TABLEAU REGROUPANT

LES PRINCIPALES DÉFINITIONS ET LES PARAMÈTRES

DU JEU DES LOIS D’ÉTIENNE LE ROY

(1ÈRE VERSION)

par

Alain Bissonnette

avocat et anthropologue

Montréal, novembre 2001.

Le défi que nous avons à relever est d’expliquer comment chaque société s’y prend pour jouer sa propre partition et comment le Droit y contribue, en formulant l’hypothèse que si le Droit y contribue toujours, le niveau de cette contribution et la forme qu’elle prend varient de société à société. Le modèle à concevoir doit donc tenir compte de ces impératifs.

Le modèle = une représentation du phénomène à la fois simplifiée et globale.

Le Roy a postulé qu’on entrait dans le jeu des lois par le statut des acteurs, et qu’on poursuivait par les ressources, les conduites, les logiques, les échelles, puis qu’on continuerait par les processus, les forums, les ordres sociaux et les enjeux pour déboucher sur les règles du jeu.

N.B. ce qui compte en juxtaposant ces paramètres, c’est moins les caractéristiques inhérentes à chacun d’entre eux que la pondération que prennent sur l’échiquier, à l’une ou l’autre des échelles, les filières d’acteurs ou les réseaux d’opérateurs sociaux.

 

  1. Statuts
  2. des acteurs

    discipline: socio

    Appartenance des acteurs à plusieurs mondes ou cités.

Cité inspirée

qui renvoie au principe de créativité et est guidée par un principe supérieur d’innovation et de nouveauté.

Cité domestique

dominée par le prince et qui renvoie à l’art des relations familiales, à la tradition au nom du respect et de l’attache-ment aux règles.

Cité d’opinion

qui vise la reconnaissance sociale.

Cité civique

qui renvoie au principe qu’une action est justi-fiée en fonction de la recherche de l’intérêt général.

Cité industrielle

qui renvoie à l’impéra-tif de l’efficacité et de la productivité.

Cité marchande

qui justifie une action par le donnant-donnant du contrat commercial.

Status jeu des différents rôles sociaux rempli par un individu ou la recomposition de ses positions.

ou statut position juridique d’un individu

Le passage de status à statut = prise en charge par le droit des positions sociales ainsi désignées.

On doit supposer que chaque acteur doit disposer d’une position et d’un rôle dans chacun des mondes et que la combinaison des mondes est d’abord une combinaison des status.

On doit supposer également et récipro-quement que tout changement de monde induit un changement de position sociale (status) et/ou de position juridique (statut).

Dans chacun des mondes qui traduisent les comportements attendus dans la cité, il existe une sorte de vade mecum du bien commun qui y est privilégié, etc.

Se référer aux mondes ainsi identifiés plutôt qu’à des groupes.

Dans une société différenciée, chaque personne doit affronter quotidiennement des situations relevant de mondes distincts, savoir les reconnaître et se montrer capable de s’y ajuster.

Un modèle à plusieurs mondes donne aux acteurs la possibilité de se soustraire à une épreuve et, en prenant appui, sur un principe extérieur, d’en contes-ter la validité ou même de retourner la situation en engageant une épreuve valide dans un monde différent.

Les acteurs doivent côtoyer des mondes différents s’inscrivant dans une même tradition et également côtoyer des mondes appartenant à des traditions, donc à des visions de l’univers différentes.

Position notion préférée à celle de fonction p.c.q. elle oriente la démarche plus vers l’acteur que vers l’action.

Rapporter les positions, rôles et status aux mondes dans lesquels ils prennent leur signification.

Rapporter chaque monde à l’archétype qui lui donne sa signification Identifier les mondes qui coexistent au sein de la société étudiée.

Si la modification de l’un ou l’autre des paramètres de notre jeu des lois oblige à une adaptation des positions des acteurs, cette position devrait être

interprétable en termes de référents compor-tementaux (le " monde ") et de " traditions " exprimant les archétypes de nos civilisations.

S’il y a pluralité des mondes, il y a ipso facto pluralité des régulations, donc multijuridisme.

Rôle = une certaine représentation des rapports sociaux selon l’interprétation qui en est donnée par l’observateur extérieur et, surtout, par les acteurs.

Si situations de pluralité, on ne peut plus être assuré que les registres statutaires des acteurs sont suscepti-bles d’être préconstruits et identifiés p.c.q.

on ne peut plus prédire quels " mondes " vont dialoguer et selon quels accords (donc quels statuts) ils vont avancer en commun.

Découvrir l’acteur derrière le statut, sa position réelle (status), les rôles et positions assumés dans le contexte, les rôles et positions voisines ou alternatives

et les conséquences qui en sont tirées par la législation ou les principes d’interpré- tation de la norme en vigueur.

En cas de doute, approfondir la logique de situation et s’informer de l’ordonnancement social applicable.

  • Ressources des acteurs
  • discipline : l’économie

    Réciprocité

    N.B. il n’y a pas de progrès (ni moral ni social) à passer d’une phase à l’autre et il n’y a pas d’unilinéarité dans le processus.

    Il faut tenir compte de la diversité des ressources et de la pluralité des formes de gestion des ressources et, enfin, des

    Redistribution

    Toute société contemporaine combine les trois formes économiques (réciprocité, redistribution, marché).

    modifications entre ces différentes formes qui apparaissent sur la longue durée dans toutes les sociétés.

    Marché

    Le capitalisme introduit un équilibre totalement neuf dans les relations entre les ressources matérielles, humaines et mentales en subordonnant ces deux dernières aux ressources matérielles entendues comme marchandises (ou biens, selon les juristes).

    Remarques préliminaires

    Les trois principes (réciprocité, redistribution, marché) partagent une idée centrale : il faut organiser la rareté en mettant en œuvre des procédures

    qui répondent au besoin d’une spécialisation des fonctions d’autorité et de gestion proportionnelle aux exigences des systèmes de production, de circulation et de consommation.

    Si ces trois principes sont apparus successivement dans une société, ils peuvent coexister dès lors qu’ils émergent à des échelles différentes.

    Se demander si la transformation des ressources en marchandises et en capitaux est si générale qu’il n’y paraît.

    Matérielles (nourriture, moyen de transport, outillages, etc.)

    L’économie fondée sur le principe de réciprocité est fondamentalement associée à une société privilégiant les liens de voisinage et de proximité. C’est une économie de petite échelle tant pour les volumes que pour les distances.

    Les ressources de subsistance circulent dans les réseaux de l’économie domestique, les ressources liées à certains produits spécifiques (la gomme ou les esclaves) circulent dans les réseaux mercantiles.

    Dans les conditions actuelles de l’accumulation primitive de capital dans l’agriculture et l’élevage, les paysanneries ouest-africaines ne peuvent prendre le risque de rompre avec les formes " traditionnelles " de solidarité

    Humaines (solidarités familiales, clientèles religieuses ou politiques, associations d’usagers ou des groupes problématiques, etc.)

    Elle est facilitée par le modèle institutionnel de la symétrie. Division des rôles fortement marquées entre les sexes, les activités professionnelles et les âges, contrebalancée par le principe de la complémentarité des différences.

    L’économie selon le principe de redistribution implique des éléments nouveaux de structuration : une certaine concentration du pouvoir entre les mains de certains acteurs et une certaine division de la société.

    et de sécurisation, même si une très large part des procès de production agricole et pastoral sont monétarisés et " marchandisés ".

    Disposer entièrement d’un bien suppose d’en être indépendant.

    Mentales (connaissances, savoir et savoir-faire)

    L’idée de réciprocité repose sur un principe de partage du produit du travail tenu pour juste dans la mesure où il reproduit un principe d’accord collectivement débattu et individuellement accepté. Le partage fournit la base de l’allocation des ressources dans un contexte de rareté, même relative et il est le critère de la socialité par excellence .

    Dès qu’elle est autonomisée, l’économie de redistribution induit son propre système juridique. Des catégories sémantiques originales décrivent des relations juridiques qui n’existaient pas initialement.

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    Le Droit = un champ de production symbolique et nous devons donc étudier l’effet structurant de ce champ, sa genèse et ses propriétés.

    Ce qui constitue la propriété par opposition à la possession, c’est qu’elle est autre chose que la possibilité de détenir et de faire usage des biens, elle est possibilité et pouvoir d’aliéner.

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    On assiste à des effets de tension ou de torsion des ressources des acteurs au sein du champ juridique.

  • Conduites des acteurs
  • discipline : psychologie sociale

    Préférence accordée à la notion de conduite p.c.q. en rupture avec la théorie des rôles et p.c.q. liée au jeu comme instrument de l’action organisée.

    Négociation (implicite ou explicite) Beaucoup d’actions pour réussir ou se pérenniser doivent rester dans le flou. La négociation implicite = le détour et la médiation de l’interprétation du comportement qui respecte la liberté des deux parties. Utile p.c.q. la négociation ouverte se heurte au risque de se trouver prisonnier des canaux institutionnels empêchant tout changement. La négociation explicite est la condition d’accords fondés sur des compromis

    Convention où chacun sachant à quoi il renonce peut aussi être valorisé par ce qu’il a gardé ou gagné, ces compromis étant inscrits dans une convention. La convention = ensemble d’éléments qui vont ensemble et sur lesquels les participants à la convention partagent un commun accord. N.B. la convention permet de coordonner des intérêts contradictoires qui relèvent de logiques opposées, mais qui ont besoin d’être ensemble pour pouvoir être satisfaits.

    Contractualisation Le contrat est une des formes juridiques de la convention. N.B. limites du contrat : - la contractualisation a pris une place démesurée dans nos sociétés; - conventions et contrats ont un coût dont l’incidence est déterminante; - plus généralement, c’est toute l’institutionnalisation des rapports sociaux à travers les mécanismes contractuels ou conventionnels qui demande à être réévaluée à travers les coûts de transaction qui lui sont liés.

    Remarques préliminaires

    Le facteur culturel comporte une double dimension de conservation des acquis d’une part, d’adaptation et de transformation d’autre part. La seconde dimension est un révélateur de situations changeantes.

    Le droit des pratiques révèle deux caractéristiques des nouvelles expériences juridiques en cours d’émergence : l’incidence de la forme sur la règle substantielle; l’importance des acteurs qu’ils soient utilisateurs ou spectateurs moins engagés mais arbitres dans l’interprétation publique de la scène juridique ou judiciaire. Le Droit = moins ce qu’en disent les textes que ce qu’en font les acteurs.

    Les phénomènes essentiels = ceux des relations, des négociations, de pouvoir et d’interdépendance. Le jeu = un mécanisme concret grâce auquel les hommes structurent leurs relations de pouvoir et les régularisent tout en leur permettant de concilier liberté et contrainte. Le joueur reste libre, mais doit, s’il veut gagner, adopter les règles du jeu.

    N.B. il faut intégrer à cette problématique les statuts des acteurs.

    Stratégies Pour provoquer un changement et une négociation de ce changement, il faut avoir compris les intérêts en présence et les enjeux. Les acteurs sont pris dans un jeu social à la fois indéterminé et structuré par eux.

    N.B. il faut faire place aux logiques non cartésiennes, au désordre, il faut entendre " intérêts " de manière large comme des enjeux et il ne faut pas réduire l’analyse des processus au changement et au développement, car la répétition et la reproduction sont aussi des processus.

    Une approche stratégique se focalise sur la recherche de ressources disponibles dans un milieu donné et sur les enjeux que représente la mobilisation de ces ressources entre les acteurs concernés par le changement.

    Il faut distinguer les pratiques des dominés de celles des dominants.

    Les dominés pratiquent souvent l’évitement, le contournement des dispositifs institutionnels ou le détournement du sens des textes ou de leur interprétation.

    Tactiques Ce sont des conduites réactives ou adaptatives quand elles sont envisagées seules. Elles sont aussi la condition de la réalisation des stratégies. Elles sont le support de notre activité pratique, elles supposent toujours la connaissance d’opportunités à saisir, un sens du jeu social. Elles sont l’occasion de mettre en œuvre les systèmes de disposition durable ou habitus.

    Tactiques et stratégies sont des modes opératoires par lesquels les acteurs tantôt appliquent les modèles de conduites et de comportements, tantôt anticipent leur adaptation ou encore tentent de les modifier, si possible à leur profit.

    C’est par la médiation des tactiques et des stratégies qu’on peut identifier le contenu, la récurrence, l’efficacité ou la concurrence des modèles de conduites et de comportements.

    Le Droit positif décrit abstraitement les sujets, l’objet des droits et les relations contractuelles, mais il ne dit rien de la manière selon laquelle les sujets ou les acteurs nouent des relations entre eux, négocient plus ou moins officiellement et aboutissent à des solutions qui vont pouvoir être pérennisées par des conventions et des contrats.

     

  •  Logiques
  • au sens de manière de raisonner, telle qu’elle s’exerce en fait, conformément ou non aux règles de la logique formelle

    discipline : la philosophie

    Institutionnelle Le recours à la logique institutionnelle, ouvrant à la généralité de la forme organisationnelle selon l’exigence de normes générales et impersonnelles est une condition de l’État de droit.

    Fonctionnelle Complémentairement, l’usage de la logique fonctionnelle est seule susceptible de faire dépendre nos interventions des besoins utilisateurs.

    Métisse Trop de logique institutionnelle met l’acteur en " lévitation " par rapport à la société, trop de logique fonctionnelle referme l'horizon des possibles ou réduit l’acteur à n’être que le consommateur au titre de ses besoins.

    Remarques préliminaires

    Il faut mettre à distance le mode de raisonnement du juriste et sa philosophie spontanée qui est idéaliste dans la mesure où par l’abstraction de la norme juridique, par l’anhistorisme des énoncés et par la prétention à la neutralité des effets sociaux du Droit, la manière " droite " de penser le Droit exclut tout ce qui lui est extérieur ou étranger à la science juridique.

    Il faut toujours rapporter l’observation des phénomènes juridiques aux logiques qui les fondent. Éviter de réduire notre démarche à la seule rationalité cartésienne. Rompre avec l’opposition des contraires pour rechercher le pourquoi de la complémentarité des différences.

    N.B. il ne suffit de décrire une situation; il ne suffit pas d’identifier puis de commenter l’applicabilité de la norme juridique; il ne suffit pas de mettre en perspective historique les institutions étudiées; l’anthropologue du droit tente de comprendre à qui et à quoi sert le Droit.

    L’institution et la fonction sont complémentaires. Seule une approche dynamique permet de conjuguer les exigences des deux définitions. Il faut savoir de quoi on part, qu’est-ce qu’on transmet, comment on va l’établir et comment cela va durer (dimension de l’institution) et il faut savoir à quel besoin cela doit répondre, qu’est-ce qu’on en fera, à qui et surtout à quoi cela servira, effectivement (dimension fonctionnelle).

    Rationalisations

    Explicites : celles qui expriment les règles du jeu affichées, les normes, et applications écrites.

    Pratiques : les raisons pour lesquelles on participe au jeu.

    Affectives : pourquoi, entré dans le jeu, on en poursuit les conséquences jusqu’à son terme.

    Le sens premier de logos est parole, discours, entretien, récit, voire texte scientifique. Le second emploi désigne la notion de raison dans des contextes à élucider. Ici, Le Roy privilégie d’utiliser la notion des logiques comme " rationalisations pour l’action ".

    Représentations :

    De sens commun / jugements de réalité

    Intellectualisées / jugements d’efficacité

    De l’indicible / impensé ou impensable 

    La série des représentations relevant d’une approche statique et discursive doit être confrontée à leur utilisation processuelle et c’est le sens qu’elles prennent dans le court, moyen ou très long terme rapportée aux échelles et aux forums qui induit des significations que l’on peut retenir comme des rationalisations, sous la forme : Représentations / processus = Rationalisations

    Deux figures logiques : L’analogie a pour fonction de faire cohabiter dans un même espace discursif des concepts et des représentations juridiques fondamentalement divergentes.

    Elle assume la transposition d’une logique extérieure ou étrangère dans le langage puis dans la logique du locuteur.

    L’analogie répond à une exigence de conformisme dans l’adhésion de l’acteur aux mots de la modernité en l’absence d’une véritable acculturation. Elle permet l’introduction dans les procédures, spécialement dans le règlement des conflits, des catégories et des solutions empruntées à la modernité juridique en limitant précisément leur effectuation.

    La dialogie est une des deux grandes exigences de la démarche anthropologique avec le diatopisme qui en est la condition. C’est en sachant partager les positions culturelles et les diverses visions du monde et de l’univers qui sont en confrontation qu’on est en situation de dialogisme en partageant les diverses rationalités et donc sans privilégier l’une de ces logiques par rapport aux autres.

    Consigne : si le juriste est convaincu qu’il faut regarder la juridicité au-delà du Droit, il lui faudra considérer les enjeux avec une corrélation forte entre les processus, les échelles et les forums de règlement. Ainsi sera-t-il apte à déceler les rationalisations (bonnes ou mauvaises) des acteurs, en interpréter les implications pour trouver la solution la plus pertinente pour son client en fonction des ordonnancements sociaux.

  • Échelles
  • discipline : géographie

    Locale

    Nationale

    Internationale

    Mondiale

    Remarques préliminaires

    La démarche permet de mesurer l’action sociale à l’échelle considérée en contextualisant les critères pris en considération.

    La série de référents spatiaux forme une suite continue et progressive, cette progression et son inversion étant orientées par des valeurs.

    Utilisation de la métaphore de l’échelle de Jacob pour expliquer l’influence du capitalisme à l’échelle locale, capable de dissoudre progressivement les pratiques foncières endogènes.

    Ces valeurs sont le primat du développement pour justifier celui de la mondialisation, le primat de la participation pour justifier les politiques de décentralisation et la localisation des projets, ce qui produit des effets particuliers.

    Chaque référent exprime un rapport particulier entre un type d’espace, son inscription temporelle et sa représentation socio-politique,

    ce qui implique à la fois une sélection de statu(t) d’acteurs, des processus, des systèmes de décisions (forums) et des logiques ou rationalisations pour l’action.

    Rapport à l’espace N.B. il est plus difficile de se préparer à considérer l’échelle locale comme un lieu pertinent pour le règlement de certains dossiers, donc en empruntant les voies et moyens de gestion des différends à cette échelle.

    En matière foncière, l’espace local en Afrique est particulièrement disputé (discussion/conflit).

    L’échelle locale est un référent explicatif des contradictions rencontrées par la pénétration et la dynamique de l’économie marchande.

    Il fait l’objet d’une confrontation entre des représentations foncières d’origine, d’âge et de portée différentes et ouvrant une dispute comme " lutte d’opinion, confrontation d’arguments entre les acteurs ".

    L’espace est ce que les hommes contruisent à partir de la matière première qu’est l’étendue en fonction de leurs activités, de leurs techniques, de leur organisation sociale, de leurs projets;

    il est du domaine de la société, de l’histoire. L’espace peut donc être défini comme " étendue socialisée et historicisée ".

    Matrice spatio-temporelle

    Pour comprendre les mécanismes de socialisation de l’étendue comme matière première, création de la notion de matrice spatio-temporelle : une sorte de machine combinant praxis et logos donc des savoir faire et des savoir penser.

    En Afrique : 3 manières de penser l’espace et les rapports sociaux : l’une géométrique, moderne, capitaliste et fondée sur la propriété privée;

    une autre topocentrique, issues du néolithique et valorisant les maîtrises foncières (dites droits d’usage);

    une dernière dite " odologique " propre à une science des chemine-ments, antérieure à la révolution du néolithique, n’autorisant pas à conce-voir de droits sur un espace, le groupe appartient autant au chemin que le chemin au groupe.

    Les trois étages de l’économie (toute société connaît une organisation à trois étages conçus autour de l’étage central ou intermédiaire de l’économie d’échange) Il convient de voir l’ensemble.

    Il existe une activité élémentaire de base d’un volume fantastique que l’on rencontre partout: cette zone au ras du sol, cette civilisation matérielle, cette infra-économie, cette autre moitié informelle de l’activité économique, est celle de l’autosuffisance, du troc des produits et des services dans un rayon très court.

    L’économie de marché = les mécanismes de la production et de l’échange liées (au Moyen Âge en Europe) aux activités rurales, aux échoppes, aux ateliers, aux boutiques, aux Bourses, aux banques, aux foires et naturellement aux marchés.

    Au dessus des marchés, se sont élevées des hiérarchies sociales actives qui faussent l’échange à leur profit, bousculent l’ordre établi, créant des anomalies, des turbulences.

    À cet étage élevé (au-dessus des marchés), quelques gros marchands peuvent bousculer, au loin des pans entiers de l’économie européenne, voire mondiale. Leurs circuits et leurs calculs sont ignorés du commun des hommes. C’est là le domaine par excellence du capitalisme.

    La distinction des échelles (ce qui caractérise une échelle : la règle des trois unités : unités de temps, de lieu et d’acteurs) et la transposition d’une échelle à l’autre (tout changement d’échelle relève de l’initiation, se prépare grâce à une socialisation ou formation adaptée).

    Possibilité de sérier les données et leurs observations en partant du plus local du local, obtenant ainsi un enchaînement d’unités spatiales avec des fonctions et des statuts d’acteurs qui produisent des espaces-temps sur la base de topo-centres (cf. tableau # 5 p. 114).

    Le changement d’échelle peut s’effectuer entre la ville (niveau local), l’arrondissement, la région, la nation. Il faut associer à chaque fois les unités spatiales, aux fonctions, aux acteurs et aux topocentres.

    À l’échelle internationale, on peut distinguer en Afrique quatre divisions : bilatérales, sous-régionales, continentales, intercontinentales.

    Ici aussi il faut mettre en évidence les acteurs, les logiques, les ressources spécifiques.

    L’échelle mondiale s’est concrétisée institutionnellement avec la création du système de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale). N.B. l’ONU appartient à l’échelle internationale.

     

    Inversement, ce n’est pas p.c.q. une solution juridico-judiciaire est légitime par son ancienneté que cette longue durée interdit tout effort d’innovation.Enchaînements

    De même que les échelles doivent s’emboîter, les processus doivent s’enchaîner :

    les micro dans les méso,

    les méso dans les macroprocessus.

    Contradictions

    Quand des processus de même ordre deviennent contradictoires, c’est l’adaptation ou le changement qui peut en être compromis,

    le blocage menaçant si on ne cherche pas, par une négociation favorable, à modifier le sens du processus, à mobiliser un processus adjacent,

    à modifier l’interprétation du blocage en changeant d’échelle ou de temporalité… Il faut avoir le sens du jeu, que seule l’expérience apporte.

    Transformation

    Les sociétés évoluent plus ou moins vite, avec des périodes d’immobilité apparente,

    des fausses ruptures, bref, toute une alchimie d’évolutions et d’adaptations

    L’analyse processuelle nous aide à comprendre tout cela.

    Stagnation

    L’entropie qui guette toute société ne serait Peut-être que la conséquence d’une série

    de renoncements à exercer sa part de liberté

    et la dynamique sociale serait cette petite fleur à cultiver soigneusement, entre confusions, renoncements, mobilisation et création…

     

  • Forums
  • discipline : science politique

    Confrontation Tout choix suppose de renoncer à une part pour un avantage estimé comparativement supérieur.

    Négociation

    Règlement des conflits

    Autorités

    Les lieux de décision sont sous le regard de l’autorité (à Rome les fori imperii sont géographiquement situés au pied du Capitole).

    N.B. Ne pas être victime des apparences. Il y a des espaces qui paraissent des " non-lieux " sans signification institutionnelle, ainsi les espaces de l’expertise où sont mis en état voire mis en scène les arguments et les stratégies qui seront développés devant le magistrat.

    L’auctoritas est, à partir de sa racine augere, ce qui augmente, ce qui fait croître, ce qui donne sa force à l’exercice d’un pouvoir. Pas de permanence ni d’effectivité du Droit sans autorité.

    Lieu

    Les lieux de la décision sont d’abord des espaces de confrontation des choix envisagés, confrontations souvent tensionnelles, parfois mortelles (d’où métaphore de l’arène).

    Mais ces lieux sont aussi le cadre de l’échange, de la communication, de la recherche plus ou moins consensuelle de la solution, sur la base d’une transaction comme partage des avantages.

    L’image du forum romain s’impose. Ce forum, espace libre, donc espace de liberté où sont suspendues certaines contraintes ou obligations liées aux appartenances familiales correspond à trois fonctions : économique, politique et judiciaire.

    N.B. les lieux de la décision sont marqués par leur fonction.

    Représentations du politique

    Les lieux de la décision sont porteurs de représentations du politique,

    N.B. les lieux prennent des sens différents avec les ordonnancements sociaux qu’ils abritent.

    représentations qui doivent être abordées dans leurs enchaînements, dans les transcriptions d’un registre à un autre

    selon les enseignements des analyses processuelles et des variations d’échelle, du micro-local à l’assemblée générale de la Banque mondiale ou du FMI.

    Médiation entre palabre et maisons de justice

    La palabre ne se tient pas n’importe où, et le choix du lieu fait déjà l’objet d’une mini-palabre. L’espace de la palabre : un lieu ordinaire qui s’érige en espace signifiant, qui se convertit en une arène où s’affrontent à travers des hommes le même et l’autre, l’ici et l’ailleurs.

    L’arbre à palabre symbolise l’enracinement, il surplombe le conflit par le vouloir-vivre ensemble.

    Même les lieux dévoués à la pacification sont " polémiques ".

    Les représentations de la justice en Occident n’offrent rien de commun avec la palabre ni avec la médiation et c’est une confusion tragique qui ferait considérer la médiation comme une " justice douce " et qui justifierait son contrôle par la justice dans le cadre de la médiation pénale.

    Violence faite à sa propre violence sous l’autorité d’un tiers, la médiation n’est jamais douce. Surtout, elle n’est pas une justice, même de proximité. Elle ne dit pas qui est en faute. Son objet est de concilier, de reconstruire le lien par le lieu de la médiation.

    La maison de justice constitue un lieu où s’articulent l’accomplissement par le pouvoir des actes de violence et le théâtre symbolique qui rend sensibles les fins supérieures au nom de quoi il fonde leur légitimité. Son histoire reflète celle de la conquête par les organes de l’État en Occident du monopole de l’exercice de la contrainte.

     

  • Ordres sociaux
  • discipline :

    l’anthropologie du Droit

    Imposé

    Négocié

    Accepté

    Contesté

    De l’ordre à l’ordonnancement

    Il s’agit ici de passer de la notion d’ordre à celle d’ordonnancement. L’ordonnancement est un rangement et une mise en ordre selon un plan préexistant, avec une finalité, un objectif, un " ordre " à respecter.

    En Occident, la notion d’ordre juridique absorbe le couple de l’ordre et du désordre et, au nom du primat de l’ordre, dissout la place réservée au désordre.

    Il faut échapper à cette représentation totalisante de l’ordre en inscrivant l’analyse dans les deux couples :

    ordre/désordre et ordre/conflit, mettant en évidence le rôle homéomorphe du conflit à la fois comme facteur de désordre et comme facteur d’un ordre nouveau quand un ancien système doit être remplacé parce qu’injuste.

    Quel ordre

    recherché ?

    Chez les héritiers des trois religions du Livre, on partage une même cosmogonie où l’ordre du monde est imposé par une force extérieure, supérieure, omnipotente et omnisciente. N.B. cette cosmogonie a maintenant été laïcisée.

    L’anthropologue du droit tente de dégager les corrélations entre ordre imposé et l’ordre de la loi.

    Chez les Africains et les animistes en général, on partage une cosmogonie où le monde est organisé par les acteurs, selon des principes d’antériorité et d’intériorité. Complémentarité des contraires.

     

    L’anthropologue du droit tente de dégager les corrélations entre l’ordre négocié et la coutume.

    En Chine archaïque, le pouvoir s’exerçait directement à travers les structures familio-cultuelles. Importance des rites (le li). L’ordre social résulte de la conformité des structures de la communauté humaine à celles de l’univers, et de la minutieuse adaptation formelle des activités des hommes aux mouvements cosmiques.

    L’anthropologue du droit tente de dégager les corrélations entre l’ordre accepté et les habitus.

    On peut aussi assister à la contestation d’un ordonnance-ment à l’œuvre, à l’existence d’un projet comme anti-projet de ce qui existe.

    Entrecroisement des modèles dans la pratique quotidienne

    On est en droit de se demander si une société est ou peut être organisée sur la base d’un seul ordonnancement.

    Rendre justice à ces divers ordonnancements, c’est retrouver la consigne méthodologique de la sociologie juridique.

    Un des grands problèmes des sociétés complexes : celui de combiner des réponses institutionnelles qui relèvent de modèles d’ordonnancements sociaux différents. (cf. la médiation pénale).

    Il existe différentes façons de régler des conflits, ces différences étant associées aux ordonnance-ments sociaux et aux projets de société.

     

  • Enjeux
  • disciplines :

    la géostratégie et la polémologie

    Matériels (immédiats/différés) (implicites/explicites)

    Symboliques (immédiats/différés) (implicites/explicites)

    Ce qui peut être gagné / Ce qui peut être perdu

    L’enjeu c’est l’objet de la compétition mais aussi le support de conduites qui expriment la maîtrise sociale, le sens du jeu, une culture de gagnant ou de gagneur.

    Tout ne peut pas être mis en jeu

    Il y a des enjeux inacceptables ou impensables.

    Juridicité

    Les faits sociaux deviennent du Droit sous le bénéfice d’un facteur de " juridicisation ", même s’il est réputé fuyant. Le meilleur repère de juridicité selon Le Roy, celui de la reproduction de la vie en société.

    Le Droit traduit dans le registre des relations entre les choses les rapports entre les personnes qu’il considère comme autorisant la reproduction de la société.

    Cette notion de reproduction de l’humanité permet d’identifier trois grands registres, vitaux pour la société et relevant à ce titre de la juridicité : la reproduction biologique, la reproduction idéologique et la reproduction écologique.

     

  • Règles du jeu
  • l’interdisciplinarité est ici invoquée afin d’éclairer le mystère du Droit comme facteur totalisant ou englobant (selon l’exigence anthropologique) de régulation de la vie en société et selon des modalités que chaque société particularise selon le sens qu’elle donne aux valeurs associées aux divers paramètres que nous avons relevés.

    L’espace de cette dernière case est bien encombré (cf. l’image du château bâti par 70 générations et dont on dit qu’il s’étend sur des kilomètres, contient tout et que rien n’existe au-delà de cet horizon…).

    N.B. il y a un sens caché dans le jeu des lois. Si la reproduction de la vie en société repose sur des règles et le sens de ces règles, la manière de les appliquer, on ne peut cependant s’arrêter à ces règles manifestes.

    Ce jeu entre les sens manifeste et caché, entre des contraintes et la capacité de les accepter, explique cette part de flexibilité, d’élasticité, cette aptitude à l’adaptation, cette part de liberté irréductible qui caractérise l’homme civilisé.

    On ne peut apprécier les implications du Droit-comme-règle-du-jeu de la vie en société qu’en ayant parcouru les 9 cases précédentes et les opportunités que chacune propose en vue de faire ou de ne pas faire, chaque choix rétroagissant sur l’ensemble des autres, au moins potentiellement.

    Normes générales et impersonnelles

    Des macro-normes, alors que la coutume = des méso-normes, et les habitus — des micro-normes.

    Le droit est tripode : il se fonde : 1) sur l’habitus; 2) les modèles coutumiers de conduites et de comportements; 3) les normes/règles générales ou impersonnelles (les " lois "). Chacun de ses fondements peut être privilégié (cf. tableau p. 202)

    Il n’y a pas de relations établies, dans notre tradition juridique, entre les normes générales et impersonnelles et les habitus. La coutume, n’apparaît pas systématiquement comme l’indispensable relais entre les normes légales et les systèmes de dispositions durables.

    Il y a deux visions du Droit, l’une minimaliste et une autre qui ouvre aux fondements du Droit tripode (NGI, MCC et SDD), qui peut être considérée comme maximaliste et qui permet d’expliquer ce qui doit être transmis dans la socialisation, les normes et valeurs qui doivent être gérées, les facteurs assurant la sécurité juridique.

    Notre expérience quotidienne du Droit en Occident est une réalité étrangère à la majorité de l’humanité.

    En lui-même, le Droit ne fait rien et ne prédit rien. Ce sont les hommes qui décident et qui font.

    Modèles de comportements et de conduites ou la coutume

    Avec l’affirmation du Droit de l’État se met en place un processus de dénaturation, de domestication, d’englobement, qui vise à l’exclusion de la coutume de la vie juridique au moins dans le domaine du Droit savant.

    Dans la coutume, ce n’est pas la répétition qui apparaît importante, mais la sanction qui la représente comme obligatoire, i.e. conforme à la représentation collective du Droit. Elle n’est pas tournée vers le passé, elle ne cesse d’évoluer en emportant avec cette évolution la réinterprétation des mythes qui la fondent.

    La coutume est définie comme l’ensemble des manières de faire et de conduire ses comportements en société, chaque groupe ayant sa coutume.

    La manière d’élucider la coutume et de la mettre en œuvre dans la résolution des conflits met en évidence comment aborder les manières de faire, tout en laissant le groupe libre de régler pratiquement le conflit en fonction de facteurs spécifiques.

    L’essence de la coutume est de proposer des modèles de conduites et de comportements à suivre (les bons comportements), tolérés ou à rejeter. Dans ce dernier cas, on parle de modèles en creux, car on doit déduire du mauvais modèle stigmatisé le bon modèle à suivre.

    Systèmes de dispositions durables

    L’habitus est manières d’être, d’agir et de penser, produit des modes de socialisation et des expériences ultérieures de vie en société et induisant des comportements au moins durables sinon permanents qui traduisent des visions du monde ou de la société, à travers les archétypes culturels dans la forme qu’ils ont après avoir été revisités par chaque groupe social particulier.

    Nous avons quelque peine à analyser les processus d’internormativité et d’échanges entre les " systèmes " juridiques faute d’avoir cherché à comprendre, dès lors que seule notre tradition occidentale a une conception du Droit comme ensemble autonome de règles, ce qui fait l’essence de la juridicité de " l’autre ", en quoi il est digne d’être compris, admiré et respecté ou contesté et critiqué.

    Il faut non seulement penser l’autre mais il convient de le penser autrement. Cf. notion de multijuridisme pour exprimer que le principe d’unité du Droit ne repose pas sur celui de hiérarchie des normes à la Kelsen mais sur une universitas, qui intègre la " pluralité des mondes ".

    Universitas : la société comme totalité dynamique composée de tous ses éléments.

    Démarche scientifique L’objet des recherches anthropologiques du droit comprend la totalité du tripode juridique, donc la loi au même titre que la coutume et l’habitus.

    Chercher à expliquer le Droit dans sa contribution au grand jeu de la vie en société, à la fois comme produit social et comme producteur de socialité.

    Le Droit ne peut être considéré comme un topo-centre. Le point de départ d’une démarche scientifique ne peut être que la société.

    Quant aux fondements du Droit, Le Roy est parti des catégories familières au juriste européen pour identifier les réalités qu’elles connotent plus généralement et tenter de leur donner un statut anthropologique interculturel.

    Refus de chercher dans le droit le sens de la totalité sociale et, au contraire, volonté de chercher dans la totalité sociale le sens de ce qui est chez nous et pour nous juridique.

    Quant aux fondements du Droit, la démarche doit répondre aux exigences d’une analyse comparative selon les critères de l’anthropologie du droit, à savoir que les catégories doivent être effectivement de nature interculturelle et qu’elles ne privilégient pas une tradition au détriment des autres traditions.

    Le fait que le Droit soit une construction autonome à laquelle on pourrait prêter une efficacité propre n’est pas reconnu hors de la tradition et du mode de penser qui lui a donné naissance (en Occident). Dans d’autres traditions, le Droit n’est pas indépendant des rapports sociaux dans lesquels il reste enchâssé.

    Critères de juridicité

    Il faut concevoir une théorie de la juridicité qui tienne compte des articulations nouvelles, à partir du lien social et selon une problématique du multijuridisme.

    La production de l’administration est-elle substantiellement du Droit ? Non, si on y applique le critère selon lequel le Droit est l’art dogmatique de nouer le social, le biologique et l’inconscient pour assurer la reproduction de l’humanité. Distinction entre les principes normatifs qui conduisent aux choix de politique (le droit principiel) et les applications particulières qui peuvent être confiées à des autorités et dont on doit simplement déterminer les procédures de travail, de prise de décision et les possibilités de recours. Conséquence : la prétention de l’État à tout encadrer devrait être réduite pour donner au législateur la fonction première de poser les principes de politique juridique et à l’exécutif la fonction d’en concrétiser les objectifs en choisissant les moyens appropriés.

    Dès lors que la place du Droit varie, dans le temps et l’espace, selon les contraintes du projet que se donne chaque société, aucune définition du Droit ne peut extrapoler les critères de juridicité de l’une d’entre elles, même si son économie domine le monde.

    Pour que la coutume soit juridique, elle doit exprimer l’exigence de reproduction institutionnelle (le noyau dur des modes de reproduction de la vie en société) et, singulièrement, de respect du projet de société.

    C’est sous l’angle de la diversité des critères de la juridicité qu’il convient d’aborder les mystères du Droit.

    Le concept de juridicité : un outil de spécification du " champ juridique " distinct à la fois du droit et du social non juridique.

    L’habitus est juridique s’il participe à la reproduction de la vie en société.

    Le champ de juridicité de l’habitus n’est pas pré-déterminé, il vit de flux et de reflux, à la manière des phénomènes d’internormativité.

    Apprentissage de la juridicité

    La fonction de reproduction est fondamentalement un acquis qui doit être transmis par un processus éducatif, faute de quoi le tripode juridique bascule : il faut trois pieds pour faire fonctionner le Droit.

    Il n’existe pas d’expérience performante, favorisant le sens du jeu social, sans apprentissages, donc sans socialisation, juridique en particulier.

    Tout le rapport au Droit passe par les conditions de la socialisation juridique et par les modalités d’intégration de la civilité au quotidien dans les modes de régulation.

    La transmission non seulement des valeurs mais aussi des enjeux apparents et cachés du jeu social est donc discriminante en faisant des acteurs de bons ou mauvais joueurs selon le contenu et l’efficacité de leur socialisation.

    Tout mode de socialisation repose sur des contraintes.

    Il convient de combiner des logiques différentes (NGI; MCC; SDD) dès lors qu’on s’attache plus à l’intériorisation des rôles et statuts.

    Remettre la société sur " ses pieds ", i.e. la faire reposer sur ses véritables fondements régulateurs (cf. le tripode juridique) et réinscrire les jeunes dans les contraintes de la socialisation juridique sont donc des prérequis à la sortie de crise de la société contemporaine.

    Gestion de la juridicité

    S’il faut trouver une " maîtrise raisonnable du jeu social ", c’est à condition de dégager une nouvelle formulation du Droit qui implique un équilibre entre la tendance du Droit à tout réglementer et l’autre tendance qui est d’abdiquer l’application du Droit dès qu’il peut remettre en question un consensus mou, qui est en fait une démission de la recherche et du respect d’un intérêt général.

    La gestion de la juridicité se situe entre adaptation et conservation selon un mouvement et un degré d’adaptabilité, voire d’élasticité qu’il conviendra d’apprécier.

    Gestion de la juridicité et management des ressources juridiques sont liées dans un contexte de pragmatisme (alors que le chercheur est souvent préoccupé de politique juridique et de de lege ferenda) et de philosophie sociale (i.e. alors que le chercheur est soucieux d’interroger le sens de la trans-modernité qui émerge), le tout en se situant dans la complexité et la très longue durée.

    Il convient de gérer la juridicité " en bon père de famille ", " en bon américain ", ou " en bon membre du parti ".

    N.B. le Droit = à la fois invention et conservation : il ne peut être l’un, l’invention de solutions neuves, que par l’autre, la conservation de l’esprit des lois.

    Sur la longue durée, il ne peut y avoir d’approfondissement d’une tradition juridique sans commerce adjacent au sens de relations extérieures lui permettant d’être iriguée, parfois interpellée.

    N’importe qui n’est pas gestionnaire de la juridicité. Il faut se préoccuper de l’utilisation optimum, précautionneuse, un peu économe, mais qui doit réussir, des ressources matérielles et humaines. On reconnaît le bon juriste à sa capacité à mobiliser ces ressources.

    Le juriste doit faire avancer l’évolution adaptative des solutions juridiques sans perdre le fil de sa tradition ni l’exigence de sécurité.

    Plusieurs modèles de conduites et de comportements peuvent être associés ou conjugués pour répondre à l’adaptation harmonique (plutôt qu’harmonieuse) d’une société.

    La question de la légitimité du Droit ne trouvera de réponse que si on envisage le Droit comme assurant ces armistices sociaux répondant à un projet de société conforme aux exigences du contexte plus général et privilégiant sans doute un ordonnancement négocié et une participation responsable des acteurs-citoyens.

    N.B. demandes neuves pour donner à l’instance de la juridicité une place d’arbitrage dans les mutations de la société.

    N.B. La trans-modernité en émergence nous oblige à redécouvrir des solutions anciennes pour en exploiter l’esprit et les apports à chaque fois qu’ils répondent à des attentes ou à des problèmes de société qui n’ont pas reçu de réponse satisfaisante dans le cadre de la modernité.

    La parenté = un construit que chaque individu peut valoriser selon les circons-tances de la vie. La parenté offre un certain nombre de solutions valorisant des rapports de partage selon des critères de proximité et d’exclusivité différents.

    Par exemple, les Wolof composent leurs solutions matrimoniales à partir de différents modèles qui répondent à trois caractéristiques : ils se sont succédés dans le temps et s’inscrivent dans la très longue durée; ils répondent à des fonctions particulières non concurrentes; ils sont d’inspiration et de valence communautaire.

    Le modèle le plus valorisé est celui qui combine les quatre formes de mariage.

    Chaque option implique le consentement (ou l’avis même implicite d’un groupe (le lignage donneur de femme dans le mariage par échange, la famille du marié qui va contribuer à réunir la compensation dans le mariage dotal, la confrérie religieuse et ses marabouts pour le mariage musulman, les classes sociales et groupes professionnels en cas de mariage à la mairie ou de mariage enregistré.

    Le législateur sénégalais a eu la sagesse de ne pas prétendre faire table rase du passé. Il a complété le dispositif existant en proposant que le mariage puisse faire l’objet, indépendamment de sa célébration, d’une procédure d’enregistrement donnant valeur légale aux choix des conjoints (et de leurs familles), introduisant ainsi une liberté de choix plus grande que ce qu’offrait la tradition en élargissant les options matrimoniales.

    Processus de sécurisation

    La sécurité juridique = un état particulier où le sentiment (réel ou illusoire) de protection à l’égard du danger est associé ou attribué au Droit. On attend du Droit la sécurité, laquelle se situe entre abstraction et casuistique, entre des principes généraux et des réponses très concrètes. Sur quoi fonder l’autorité de ce besoin de sécurité ?

    Si la sécurité juridique est un état qui repose sur un sentiment de confiance, cette confiance est à la fois une espérance dans les vertus de l’autre à tenir ses engagements, et un acte de foi. De ce fait, la confiance repose sur une croyance de nature fondamentalement religieuse au sens de ce qui nous rattache à la face cachée des choses.

    Les Occidentaux ont censuré la présence du sacré par la laïcité sans pouvoir l’abolir. La séparation de l’Église et de l’État est un simple dédoublement de la fonction religieuse. Cette dimension religieuse est restée présente dans l’État mais " en secret ", donc selon un effet de censure pouvant produire inhibitions et fantasmes.

    La loi " une " ne sera égale que si elle est uniforme dans sa rédaction comme dans son application. Unité, Égalité, Uniformité sont les cadres anthropologiques du fondement religieux de la sécurité juridique en France.

    Toute expérience juridique privilégie, énonce et protège des valeurs sociales.

    La construction des valeurs est un facteur essentiel de la fabrique de la sécurité juridique. Certaines valeurs ne sont pas bonnes à prendre en considération car elles sont délétères à l’égard des contraintes de la juridicité.Pour les industriels et commerçants africains, la sécurité juridique ne peut pas encore être garantie par la voie judiciaire, même supranationale, tant sont puissants les effets des habitus et des modèles de comportements hérités des périodes coloniale et post-coloniale. Pour l’instant, en Afrique, c’est sur la base de relations de confiance et dans le cadre de réseaux commerciaux très personnalisés que sont réalisés les actes de commerce et qu’est assurée la solution des différends possibles. C’est donc par une régulation corporative des modèles de conduites et de comportements dans les chambres de commerce et d’industrie ou au sein des réseaux de " El Hadj " (grands commerçants musulmans sahéliens ayant fait — donc ayant eu les moyens financiers de faire — le pèlerinage à La Mecque au moins une fois) qu’est assurée la sécurité juridique au quotidien.

    Chaque tradition juridique contient des référents logiques de nature religieuse en cela qu’ils sont associables à des visions du monde (cosmologies) et à des projets de société. Étant infiniment plus imperméables aux influences extérieures que les productions juridiques, ils jouent un rôle décisif dans les processus d’acculturation comme des ralentisseurs si les traditions sont opposées, comme un fixateur si les traditions sont présentées comme complémentaires.

    Dans les sociétés animistes, ce sont les MCC qui sont le cadre de la formalisation de la sécurité juridique. Dans les sociétés d’Extrême-Orient, ce sont les SDD. Donc la loi n’y est pas le meilleur support pour assurer la sécurité juridique.

    On peut poser qu’en cherchant la cohérence de la sécurité juridique dans un principe de structure, les sociétés d’héritage monothéiste trouvent cette cohérence dans le principe d’unité, ou d’unitarisme si cette unité ne s’impose pas d’elle-même et doit être provoquée plus ou moins volontairement voire violemment.

    Les sociétés héritant de la philosophie confucéenne en Chine ou au Japon, trouvent dans le principe de dualité cette assurance de sécurité, dans le li (rites) combiné au fa (droit), de même que le ying principe masculin doit être combiné au yang principe féminin.

    Les sociétés d’héritage animiste cherchent et trouvent dans le principe de pluralité, dans le jeu d’instances multiples, spécialisées et interdépendantes, le fondement de leur sécurisation.

    Les pensées indiennes, bouddhiques par exemple semblent jouer cumulativement sur les trois registres et on peut faire l’hypothèse que dans ces sociétés la sécurité juridique doit combiner les principes d’unité, de dualité et de pluralité.

    N.B. ce qui est source de sécurité pour l’un est source d’insécurité pour l’autre. La pluralité coutumière de l’animiste est facteur de désordre pour le monothéiste dont le culte de la loi et le monopole de la légalité peuvent apparaître comme les racines d’un autoritarisme exagéré pour l’héritier de Confucius. Il ne peut y avoir de modèle universel de sécurisation tant que de tels héritages n’auront pas été définitivement effacés.

    Devenir de la juridicité

    N.B. le Droit n’est pas un donné (par l’État), mais un construit au jour le jour et par un effort conjoint de tous les acteurs.

    Les citoyens doivent donc participer à produire le Droit et à donner à l’État de Droit un sens neuf, à la hauteur des contraintes du tripode juridique : nouer la loi, la coutume et les habitus.

    Pour être un de ces nouveaux " universaux " d’une société mondialisée, l’État de Droit doit s’ouvrir à tous les changements qu’induit la complexité de nos sociétés. Ainsi, en France, le mode légal d’énonciation devra faire une place aux deux autres fondements du Droit et la forme étatique, ainsi que le monopole de la juridicité, devra évoluer.

    Signification de l’État de droit à l’époque contemporaine.

    Le Droit = ce paradigme du jeu social qui met en forme et met des formes pour assurer la reproduction de nos sociétés.

    Toute solution institutionnelle doit être accompagnée d’une pédagogie apte à traduire les choix de normes générales et impersonnelles dans les registres de la coutume et des habitus.

    Le recopiage d’une solution externe ne saurait faire l’économie d’une option réellement originale et qui accepte de retravailler la nature du lien social dans une référence à la complexité.

    Une approche strictement juridique, survalorisant le rôle du Droit et de la justice ne saurait être, en soi, une réponse satisfaisante, le Droit n’étant que le reflet de la société et l’expression de ses modes de reproduction privilégiés.

    Il faut prendre en considération l’inéluctable dépassement du référent étatique et chercher les équivalences nouvelles de l’universitas dans les constructions supra-nationales.

    Importance d’examiner les fondations idéelles des acteurs notamment en ce qui concerne l’américanisation de la société française, pour savoir si les solutions pensées " à la protestante " sont compatibles avec des systèmes de pensée " à la catholique " privilégiant l’unité. l’égalité abstraite et l’uniformité.

    Le contrat et les juristes se sont substitués aux Etats-Unis aux principes de régulation intra-communautaires et exercent la même fonction de méfiance à l’égard de tout pouvoir constitué et de défiance à l’égard des médiateurs se présentant comme les seuls intermédiaires obligés.

    Du côté latin, ce sont les élites qui se sont substitués aux médiateurs cléricaux en exerçant la même fonction d’intermédiaires obligés. L’énarchie en est en France l’accomplissement achevé.

    Trois notions juridiques doivent être auscultées pour en comprendre la profonde originalité de part et d’autre de l’Atlantique et ainsi éviter les pièges d’une transposition mimétique. Il s’agit des notions de personne juridique, de droit comme titre pour l’action (right) et de contrat.

    Le Roy conclut que le contractualisme et les deux matrices de la civilisation américaine, règle de droit et marché, sont de fausses universalités, des leurres, qui cachent le besoin de fonder une universitas pour la période trans-moderne.

    Si les droits de l’homme, par leur origine occidentale, ne sont pas encore rendus universels dans leur formulation, par contre, en raison des valeurs qu’ils proclament quant à l’égale dignité de l’homme, ils doivent à terme être universalisés. Il en va de même pour l’État de Droit. N.B. une telle " requête d’universalité " exige un grand volontarisme.

    Obstacles pour l’instant :

    En survalorisant le mode légal d’énonciation de la norme, le premier principe de l’État de Droit sous-estime la place et le rôle de la coutume et des habitus.

    Le deuxième principe suppose, en contradiction avec la réalité dans de nombreux pays, que le modèle laïc et démocratique de l’État est le seul horizon de la vie en société, en oubliant les exigences de cette vie en société.

    Quant au troisième principe, il suppose que les valeurs se sont mondialisées. N.B. dans nombre de sociétés, les valeurs proclamées dans les textes protecteurs des droits de l’homme ou de l’État de Droit ne représentent que les valeurs partagées par une élite très restreinte, valeurs respectables mais en décalage avec les valeurs effectivement poursuivies par la grande majorité de la population ici ete maintenant.