Cours Ç Droit, gouvernance et dŽveloppement durable È,

organisŽ par les FacultŽs universitaires Saint-Louis (Bruxelles),

la Fondation Charles-LŽopold Mayer pour le Progrs de lÕHomme

et la Fondation pour les GŽnŽrations futures

 

 

O.G.M. et dŽveloppement durable

Quelques ŽlŽments de rŽflexion ˆ partir de la situation europŽenne

 

(cours du 13/10/2004 / 2me partie)

 

Daniel de Beer

 

Vrije Universiteit Brussel

 

ddebeerd@vub.ac.be

 

 

Le texte qui suit a valeur de notes personnelles prŽparatoires ˆ un cours oral. Il est mis ˆ la disposition des Žtudiants mais il ne constitue pas un article et ne peut servir ou faire l'objet de rŽfŽrence.

 

1. Pourquoi convoquer les O.G.M. dans une rŽflexion sur le dŽveloppement durable?

 

Parce que le dŽveloppement durable est doublement convoquŽ ˆ propos des O.G.M.

 

Les O.G.M. cristallisent les enjeux du dŽbat sur le dŽveloppement durable. Pour les uns, leur mise en commerce, en libertŽ, constitue une menace majeure pour la biodiversitŽ, en raison de leur dissŽmination inŽvitable et des avantages que la transgŽnse leur donne sur les plantes aux alentours (elles contaminent et changent l'Žquilibre des Žcosystmes), tout autant qu'une menace majeure pour le dŽveloppement humain par l'imposition d'un modle agriculturo-social destructeur des savoirs faire, des pratiques et de l'organisation sociale et Žconomique du monde agricole tel qu'il existe (abandon des pratiques de sŽlection et de pratiques agricoles diversifiŽes, dŽpendance de l'agriculteur vis-ˆvis de quelques grandes multinationales, obligation de cultures de grandes surfaces et selon un mode extensif transformant l'agriculteur en employŽ-ouvrier des grandes firmes etc.)É

 

Pour leurs partisans, ils reprŽsentant la concrŽtisation, l'illustration de ce que peut tre le dŽveloppement durable. Les institutions europŽennes ayant la haute main sur la rŽglementation des O.G.M. sur l'ensemble du territoire europŽen, il est intŽressant de voir ce qui en est dit.

 

Un puissant mot d'ordre. Les institutions europŽennes ont mis une bonne quinzaine d'annŽes ˆ construire l'Ždifice lŽgislatif, en voie d'achvement, traitant directement ou indirectement des O.G.M. Livres verts, livres blancs, communications, documents de travail, dŽcisions, conclusions, feuilles de route, rapports, propositions, lignes directrices, directivesÉ La Commission surtout, mais aussi le Conseil des ministres, le Parlement europŽen, les Agences et les ComitŽs spŽcialisŽs ont produit des centaines et des centaines de pages qui traitent des sciences du vivant, de la biotechnologie et des O.G.M., abordŽs de mille et une manires. Ce qui est le plus frappant ˆ la lecture de tous ces documents europŽens est que la Commission europŽenne ne s'est jamais ŽcartŽe d'un iota d'une conviction profonde, d'un mot d'ordre, qui est le fil conducteur de toute sa politique. Ce mot d'ordre trouvera sa formulation dŽfinitive lors du Conseil europŽen de Lisbonne en mars 2000.

 

L'Europe doit devenir l'Žconomie de la connaissance la plus compŽtitive et la plus dynamique du monde. Cet objectif se traduit par trois propositions articulŽes l'une ˆ l'autre, qui constituent le fondement revendiquŽ de toute la politique europŽenne en matire d'O.G.M. Il est d'abord posŽ et rappelŽ ˆ chaque occasion que la connaissance, particulirement dans le domaine des biotechnologies, est l'avenir tout autant que la condition et la source de richesses. La compŽtitivitŽ des entreprises europŽennes et la place de l'Europe dans le monde sont en jeu. Ensuite, il est affirmŽ que les O.G.M. sont les fruits de cette connaissance, et constituent un progrs dont on rappelle sans rel‰che les promesses. On peut citer ple-mle les meilleures sŽcuritŽ, qualitŽ et variŽtŽ des produits, la lutte contre la pollution, une diminution de l'emploi de pesticides et de l'Žrosion des sols et de manire plus large une meilleure sauvegarde de l'environnement, les mŽdicaments de demain, une substantielle contribution ˆ la lutte contre la faim dans le monde, plus d'emplois et de croissance ŽconomiqueÉ Enfin, la science, source des O.G.M., sera aussi garante de leur innocuitŽ, car aucun O.G.M. ne sera l‰chŽ dans la nature et le commerce sans expertise scientifique, qui garantira qu'il n'y a aucun problme pour la santŽ et l'environnement. La science est ainsi ˆ la fois la source et la garante du progrs.

 

Le dŽveloppement durable a fait officiellement son entrŽe dans la problŽmatique "O.G.M." lors du Conseil europŽen de Gšteborg 15 et 16 juin 2001, avec l'ajoute d'une dimension environnementale ˆ la stratŽgie de Lisbonne.

 

Cette arrivŽe du dŽveloppement durable a immŽdiatement ŽtŽ mŽtabolisŽe dans le mot d'ordre: la science produit les innovations, en l'occurrence les O.G.M., qui constituent le progrs, et elle en garantit la traduction en termes de dŽveloppement durable.

 

2. Les O.G.M. en terres (rŽglementaires) europŽennes, petit Žtat des lieux

 

1990 - 2004: un Ždifice lŽgislatif en construction

 

La premire lŽgislation relative ˆ la dissŽmination des O.G.M. dans l'environnement, la directive 90/220, consacre un choix europŽen qui va fortement peser sur la manire dont l'aventure O.G.M. va se configurer en Europe. A la suite des Etats-Unis, l'Europe avait commencŽ ˆ investir depuis huit ans dans les biotechnologies et la question d'adopter ou non une lŽgislation spŽcifique s'Žtait posŽe. Soucieuse d'Žviter que des lŽgislations nationales diffŽrentes entravent la libre circulation et le libre commerce sur le territoire europŽen de ces nouveaux produits industriels, la Commission europŽenne a dŽcidŽ d'adopter une directive valant pour tous les pays membres. A l'Žpoque, les O.G.M. ne suscitaient pas les contestations de grande ampleur qu'on a connu par la suite. En revanche, une certaine sensibilitŽ Žcologique avait vu le jour, nourrie de la catastrophe de Bhopal en 1984, de celle de Tchernobyl en 1986, des pluies acides et de l'entrŽe des Verts en 1984 au Budenstag allemand et au Parlement europŽen. Sans doute poussŽe par cette brise, l'Europe a estimŽ, ˆ la diffŽrence des Etats-Unis, qu'on ne pouvait pas considŽrer de la mme manire un O.G.M. et son homologue naturel. Selon la conception amŽricaine, il n'y a pas lieu de prŽvoir une Žvaluation spŽciale pour les O.G.M. ds lors qu'ils sont "substantiellement Žquivalents" ˆ leurs homologues naturels. A l'inverse, l'Europe a dŽcidŽ que la technique mise en oeuvre pour produire les O.G.M., le gŽnie gŽnŽtique, justifiait des prŽcautions particulires au regard de la santŽ et de l'environnement. L'Europe n'a toutefois pas franchi le pas de considŽrer les O.G.M. (non pharmaceutiques) au mme titre que les pesticides, les mŽdicaments ou les additifs alimentaires. Les institutions europŽennes ont ŽvitŽ de la sorte de devoir Žtablir un rŽgime beaucoup plus contraignant et prŽcautionneux que celui qu'elles ont mis en place pour les O.G.M., tout en leur reconnaissant un statut particulier.

 

Quinze annŽes plus tard, ce rŽgime a ŽtŽ renforcŽ et complŽtŽ. L'approfondissement des critres d'expertise, l'information et parfois la consultation du public, ainsi que l'Žtiquetage en sont les manifestations les plus visibles. Sans rentrer dans le dŽtail d'une lŽgislation touffue et complexe, on peut retenir que le principe clŽ du dispositif juridique en vigueur aujourd'hui, est qu'aucun O.G.M. ne peut tre dissŽminŽ ˆ titre expŽrimental dans l'environnement, ou tre mis sur le marchŽ, sans une autorisation administrative prŽalable, dŽlivrŽe au terme d'une Žvaluation scientifique qui doit Žtablir l'absence de risque pour l'environnement et la santŽ.

 

 

Trois cas de figure sont possibles.

 

On laisse de c™tŽ les rŽgimes particuliers relatifs par exemple aux O.G.M. pharmaceutiques. Le premier cas de figure, traitŽ dans le rglement 1829/2003 sur les denrŽes alimentaires, est celui de la demande de mise sur le marchŽ d'un produit alimentaire composŽ d'O.G.M. ou fabriquŽ ˆ partir d'O.G.M. La demande est introduite dans le pays ou le produit sera commercialisŽ en premier lieu, qui la transmet ˆ la Commission. Les diffŽrents Etats en sont informŽs, mais la procŽdure se passe entirement ˆ l'Žchelon europŽen. Le dossier est soumis ˆ l'Agence europŽenne pour la sŽcuritŽ alimentaire pour avis. Cet avis est accessible au public qui peut en donner un commentaire. La Commission prend ensuite attitude et soumet sa dŽcision ˆ un ComitŽ composŽ de reprŽsentants des pays de l'Union europŽenne. De manire fort avantageuse pour la Commission, ce ComitŽ doit statuer ˆ la majoritŽ qualifiŽe. Compte tenu du nombre de voix dont chaque Etat dispose, cela signifie qu'il faut 62 voix sur 87 (chiffres pour l'Europe des quinze) pour s'opposer ˆ une proposition de la Commission. Si une pareille majoritŽ est acquise contre une proposition de la Commission, ou si aucune majoritŽ qualifiŽe n'est atteinte, le dossier est renvoyŽ au Conseil des ministres europŽens. Le mme scŽnario prŽside ˆ la prise de dŽcision de ce Conseil: il statue sur la proposition de la Commission et il faut la mme majoritŽ qualifiŽe, Žquivalente ˆ 62 voix sur 87, pour la rejeter. Cette procŽdure confre souvent ˆ la Commission a la haute main sur les dŽcisions d'approbations des O.G.M.

 

 Le deuxime cas de figure, rŽglŽ par la directive 2001/18 sur la dissŽmination volontaire d'O.G.M. dans l'environnement, est celui d'une demande de dissŽmination ˆ titre expŽrimental. Le demandeur doit prŽsenter un dossier technique soumis ˆ l'autoritŽ compŽtente nationale du pays concernŽ, qui, pour prendre sa dŽcision, la fait examiner par un comitŽ scientifique qui rendra un avis. Il doit y avoir une consultation publique. La Commission et les autres Etats de la CommunautŽ europŽenne sont informŽs et peuvent faire valoir leurs observations, mais la dŽcision appartient ˆ l'Etat saisi de la demande. En cas de refus, le demandeur peut toujours rŽintroduire son dossier dans un autre Etat.

 

Le troisime cas de figure, qui relve de la mme directive 2001/18, est celui d'une demande de mise sur le marchŽ, ˆ destination du monde agricole ou du grand public par exemple. La procŽdure commence de la mme manire : un dossier est introduit par le demandeur ˆ l'autoritŽ nationale du pays o aura lieu la premire mise sur le marchŽ, qui va demander l'avis de son comitŽ scientifique. Cette demande est transmise ˆ la Commission et aux autres Etats. Une consultation du public est prŽvue. Trois hypothses peuvent se prŽsenter. Soit l'Etat refuse l'autorisation et l'affaire en reste lˆ, le demandeur pouvant toujours rŽintroduire sa demande dans un autre Etat. Soit l'Etat accepte la demande et ni la Commission, ni les autres Etats, ne font d'objection persistante. Dans ce cas, l'autorisation est acquise pour l'ensemble du territoire europŽen. Enfin, s'il advient que la Commission ou un autre Etat membre soulve des objections malgrŽ l'accord de l'Etat qui a reu la demande, le dossier est traitŽ ˆ l'Žchelon europŽen selon la mme procŽdure que celle qui a ŽtŽ dŽcrite ˆ propos des O.G.M. alimentaires. La Commission prend une dŽcision soumise ˆ un ComitŽ composŽ de reprŽsentants des pays de l'Union europŽenne. A moins de rŽunir 62 voix sur 87 en faveur de la proposition de la Commission, l'affaire remonte au Conseil des ministres, qui doit rŽunir le mme quorum s'il veut s'opposer ˆ la dŽcision de la Commission.

 

A ce bref tour d'horizon, il faut ajouter les rŽglementations dŽjˆ ŽvoquŽes sur la traabilitŽ et l'Žtiquetage des produits O.G.M., contenant des O.G.M., ou fabriquŽs ˆ partir d'O.G.M. En revanche, les produits nourris avec des O.G.M., comme la viande et le poisson, ne doivent pas tre ŽtiquetŽs, bien qu'en 2003, 82% des O.G.M. commercialisŽs l'Žtait au titre d'aliments pour les animaux (15 % l'Žtant pour l'industrie). L'obligation d'Žtiquetage ne vaut pas si la prŽsence d'O.G.M. dans un produit ne dŽpasse pas 0,9%.

 

Une architecture en voie d'achvement

 

Fin 2004, quelques chantiers demeurent ouverts. A l'Žchelon europŽen, il faut encore fixer le seuil de puretŽ requis pour que les semences soient considŽrŽes comme Žtant conventionnelles (non O.G.M.) ou biologiques. Aux Etats sont laissŽes les Žpineuses questions de l'organisation de la coexistence "sur le terrain" des cultures transgŽniques, traditionnelles et biologiques, ainsi que du rŽgime de responsabilitŽ et de rŽparation des dommages que pourrait provoquer une contamination d'un champ biologique ou traditionnel par des cultures transgŽniques voisines. La latitude des Etats est cependant circonscrite. Par exemple, ils ne peuvent pas adopter des mesures dont l'effet serait d'exclure l'agriculture transgŽnique de certaines portions du territoire europŽen (ˆ l'exception Žventuelle des zones "Natura 2000").

 

On ne peut cependant s'arrter lˆ dans cet inventaire rudimentaire de la lŽgislation europŽenne qui traite des O.G.M. En effet un O.G.M. est avant tout un produit industriel protŽgŽ, une "invention brevetŽe". Il faut donc ajouter, comme le fait la Commission elle-mme dans tous ses rapports sur les biotechnologies, deux textes fondamentaux. Le premier est la directive 98/44 sur la brevetabilitŽ des inventions biotechnologiques. Le second, liŽ au premier, est encore en devenir. Il s'agit de l'Žtablissement d'un brevet communautaire qui rendra plus aisŽ l'obtention d'un brevet ˆ l'Žchelon europŽen. On ne peut donc dissocier O.G.M. et brevet, ce qui a d'Žnormes consŽquences.

 

Il importe Žgalement de mentionner une dimension internationale, fort agissante en matire d'O.G.M. Outre le Protocole de Carthagne, il y a l'affaire pendante devant l'O.M.C, ˆ l'initiative des Etats-Unis, du Canada et de l'Argentine. L'Union europŽenne y dŽfend un "modle europŽen", qui a ses mŽrites, en tout cas au regard d'autres approches.

 

 

3. Incertitude et science. L'Žvaluation, garante du dŽveloppement durable?

 

A lire la littŽrature europŽenne, les O.G.M. promettent le dŽveloppement durable. Cette promesse est d'autant plus assurŽe que la science est chargŽe d'en gŽrer les incertitudes. La science veille au grain. Aucun O.G.M. n'est admis en terres europŽennes sans Žvaluation de son innocuitŽ pour la santŽ et l'environnement. Quelles en sont la traduction et la signification concrtes? Quelques ŽlŽments perturbateursÉ

 

1. Le dogme de la biologie molŽculaire et le principe de l'Žquivalence substantielle

 

En matire d'Žvaluation (d'expertise), il y a eu en dix ans une indŽniable Žvolution: Žlargissement des risques considŽrŽs (indirects, diffŽrŽsÉ) et des disciplines (biologie des populationsÉ), obligation d'un suiviÉ

 

Cependant, deux occurrences continuent de biaiser l'Žvaluation: le dogme de la biologie molŽculaire et le principe de l'Žquivalence substantielle. La prŽvalence du dogme de la biologie molŽculaire - un gne une fonction - est une conviction, et non un fait scientifique, tirŽe des avancŽes encore balbutiantes d'une science toute jeune, la biologie molŽculaire. C'est un savoir non encore stabilisŽ. L'Žquivalence substantielle est prise comme point de dŽpart (on conna”t dŽjˆ l'Žquivalent naturel du produit examinŽ) et comme point d'arrivŽe de l'Žvaluation (qu'est ce qui change du fait de l'insert d'un nouveau gne?).

 

2. Qui sont les experts, et avec quel mandat?

 

-           qui choisit les experts, selon quels critres? Que signifie "l'excellence scientifique"?

-           qu'est-ce que la "bonne science" ("sound science")? La question renvoie au problme de la recherche scientifique (quelles connaissances sont produites par qui, pour quoi, pour qui et avec quels financements?),

-           sous le cahier de charges, quelle est la demande? (cfr. l'expertise judiciaire; l'avis donnŽ en "l'Žtat actuel des connaissances"; l'intŽgration des contraintes juridiques -voir point 4).

 

3. Le dossier, les donnŽes, sont fournies par le producteur d'O.G.M.

 

4. La confidentialitŽ de certaines donnŽes

 

Les experts "extŽrieurs" n'ont pas accs aux donnŽes protŽgŽes par les droits de la propriŽtŽ intellectuelle ou qui sont d'un intŽrt commercial. Ces donnŽes peuvent porter sur les mŽthodes de rŽcolte de l'information livrŽe aux experts.

 

4. Le contexte juridique et ses contraintes

 

Le dŽveloppement durable et la protection de l'environnement font partie du droit primaire (TraitŽ instituant la CommunautŽ europŽenne, notamment les articles 174 et 175), de la mme manire que le principe fondamental du marchŽ intŽrieur (art. 81 ˆ 97) et de la libre circulation des marchandises (art. 28 et 29). Ce droit primaire est le fondement de l'immense corpus de textes europŽens (essentiellement des rglements et des directives) pris dans de multiples matires, qui constituent le droit dŽrivŽ.

 

Les rglements et directives sur l'environnement sont ainsi habituellement fondŽes, ou dŽrivent de l'article 175 du TraitŽ. Entre autres caractŽristiques, cet article 175 laisse une certaine marge d'apprŽciation aux Etats.

 

La rŽglementation sur les O.G.M. fait aussi partie du droit dŽrivŽ, mais elle a un tout autre fondement que le droit primaire sur l'environnement. La lŽgislation sur les O.G.M. relve en effet de la libre circulation des marchandises et du marchŽ intŽrieur (art. 95). La dŽmarche est celle de l'harmonisation maximale des lŽgislations, qui ne laisse gure de marge d'adaptation aux Etats. Le but premier de la lŽgislation est d'empcher les entraves ˆ la libre circulation des marchandises que sont les O.G.M.

 

Quelques consŽquences

 

-           le principe est que les O.G.M. doivent tre admis, ou plut™t sont dŽjˆ admis en terres europŽennes, sous couvert du libre choix du consommateur, mais surtout du producteur. Il faut ainsi une bonne raison, "scientifiquement fondŽe", pour dire "non",

 

-           la coexistence n'est plus discutable, seules les modalitŽs le sont encore,

 

-           les questions Žventuelles sont tranchŽes ˆ l'aune des principes qui guident la rŽalisation du marchŽ intŽrieur: une objection, une limitation est appelŽe une entrave au libre marchŽ, qui ne peut se justifier que par des raisons scientifiques, elles-mmes apprŽciŽes selon des critres de nŽcessitŽ et de proportionnalitŽ (l'entrave doit tre indispensable pour Žviter un dommage vraiment important eu Žgard ˆ la gravitŽ de perturber le libre jeu Žconomique).

 

5.    O.G.M. et dŽveloppement durable: petite touche cosmŽtique ou Žbauche d'un espace de mŽdiation?

 

Au vu de ce qui prŽcde, la rŽfŽrence du discours officiel au dŽveloppement durable ne semble pas changer grand chose au statut des O.G.M. et ˆ la logique qui l'organise. On pourrait mme tre tentŽ de voir dans cette mise des O.G.M. ˆ l'Žpreuve du dŽveloppement durable, la preuve de l'infŽodation complte de la durabilitŽ au dŽveloppement Žconomique. Pire, n'est-ce pas l'illustration que le dŽveloppement durable ne veut strictement rien dire, ou qu'il signifie ce qu'on a envie qu'il dise, en toute irresponsabilitŽ?

 

Comment tenter de penser la question des O.G.M. ˆ la lumire des rŽflexions de Serge Gutwirth sur les sciences et le dŽveloppement durable? N'est-on pas dans l'exacte situation qu'il dŽcrit, celle du concept de "nature" qui dŽvie une question de la sphre politique et juridique et l'aiguillonne vers l'expertise et les experts. Les O.G.M. en constitueraient peut-tre l'exemple le plus abouti. Ils cumulent les qualitŽs de produits de laboratoire, de produits naturels et de produits destinŽs ˆ tre mis en nature. Qui peut mieux que les reprŽsentants de la nature et du laboratoire, les scientifiques et les experts, en parler et en rendre compte?

 

PhotographiŽe telle qu'elle se donne ˆ voir aujourd'hui, la rŽglementation europŽenne semble offrir bien peu d'espace ˆ la prise en compte de la durŽe, ou ˆ la mŽdiation des intŽrts multiples cristallisŽs sur les O.G.M.

 

Bien que non dŽnuŽe de vŽritŽ, il importe de refuser cette lecture, du moins si elle prŽtend donner le dernier mot, car elle fait l'impasse sur un contexte et une histoire.

 

6.      Des partis pris aux prises ˆ partie, ou le retour d'un cachŽ

 

Peut-tre faut-il voir les choses autrement. En invitant le dŽveloppement durable aux c™tŽs des O.G.M., la Commission europŽenne a peut-tre rŽouvert le dŽbat qu'elle voulait clore, elle a peut-tre rendu discutable ce qu'elle cherchait ˆ rendre indiscutŽ. Petit retour en arrire.

 

EncadrŽs ds 1990 par une directive, les O.G.M. Žtaient censŽs arriver en terres europŽennes sans trop de problmes, de concert avec de multiples autres applications des biotechnologies. On sait cependant combien l'agenda europŽen a ŽtŽ perturbŽ et contraint par la suite des ŽvŽnements. DŽbordant le cadre Žtroit dans lequel la Commission avait voulu les confiner, les O.G.M. ont commencŽ ˆ se dissŽminer et ˆ "contaminer" les dŽbats portant sur des domaines de plus en plus larges des politiques communautaires: environnement et santŽ bien sžr, mais aussi agriculture, recherche, alimentation, industrie, concurrence, consommateurs, habitats naturels, biodiversitŽ, propriŽtŽ intellectuelle, relations Žconomiques internationales, aide au dŽveloppementÉ Des scientifiques aux activistes, les parties intŽressŽes aux dŽbats se sont multipliŽes.  Aux controverses scientifiques qui n'ont cessŽ de cro”tre, se sont ajoutŽs et dŽveloppŽs des arguments liŽs aux relations entre science et sociŽtŽ, au r™le et ˆ l'organisation des expertises, ˆ la transparence et ˆ la participation du public dans les prises de dŽcisions, aux effets socio-Žconomiques des O.G.M., ˆ des questions Žthiques, au libre choix des consommateurs etc. Pareille prolifŽration de prises ˆ partie n'Žtait pas prŽvue au dŽpart. La question de la sortie des O.G.M. des laboratoires et de leur mise en commerce est devenue celle de leur mise en sociŽtŽ, soulevant et cristallisant nombre des questions enchevtrŽes du monde commun dans lequel nous voulons vivre. Ces questions ont ŽtŽ posŽes avec suffisamment de force pour que les gouvernements et les instances europŽennes les entendent, en tout cas un peu et d'une certaine manire, on l'a vu. Pourtant, la lŽgislation europŽenne n'a pas - ou pas encore en tout cas - rŽussi son oeuvre de pacification. On ne peut pas dire que c'est fait, c'est rŽglŽ, qu'on est au moins d'accord sur a, sur quelque chose qui permette de passer sereinement ˆ une Žtape suivante. La question des O.G.M. reste non seulement ouverte, mais vivante.

 

C'est peut-tre lˆ que se situe le saut dans "l'au-delˆ" de la nature auquel Serge Gutwirth se rŽfŽrait, dans ce qu'implique aussi et peut-tre nŽcessairement le concept de dŽveloppement durable. L'histoire non achevŽe des O.G.M. en terres europŽennes dŽvoile une double dimension, qui n'est pas dite, pas prise en compte comme telle dans le discours officiel, mais qui est disponible dans les termes dŽveloppement durable, et sans laquelle le "dŽveloppement durable" est une terre sche, infŽconde. Les O.G.M. ne se rŽduisent en effet ˆ aucune des dŽfinitions qu'on peut leur donner, ils constituent un imbroglio de "possibles" qui sont pris ˆ parti, pris en compte par le public intŽressŽ comme autant de "discutabilitŽs". Les institutions europŽennes ont collŽ le dŽveloppement durable aux O.G.M., en tendant de le plier ˆ leur discours univoque, axŽ sur le dŽveloppement. N'ont-elles pas en rŽalitŽ lŽgitimŽ l'intŽressement et la prise en compte des multiples possibles de la durabilitŽ?

 

Le 13 octobre 2004