Cours Ç Droit,
gouvernance et dveloppement durable È,
organis par les Facults
universitaires Saint-Louis (Bruxelles),
la Fondation Charles-Lopold
Mayer pour le Progrs de lĠHomme
et la Fondation pour les Gnrations futures
La gouvernance internationale du dveloppement durable : acteurs non-tatiques et changements climatiques
(Cours du
10/11/2004)
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Prire de ne pas citer ce texte -
Universit libre de Bruxelles
Dans son introduction gnrale de la chaire Droit, gouvernance et dveloppement durable, Franois Ost faisait tat du dcalage de plus en plus vident entre la mondialisation et les institutions politiques. La mondialisation charrie en effet toute une srie de problmatiques indites qui on notamment comme caractristique de dborder les frontires stato-nationales et de ncessiter par consquent des rponses reposant sur un certain degr de coopration entre Etats. Les grands dfis de notre temps, quĠil sĠagisse par exemple de la pandmie du Sida ou des questions lies au dveloppement et la pauvret, apparaissent difficilement Ç traitables È par les institutions politiques classiques que sont les Etats-nations, ou les organisations intergouvernementales. Ce dcalage, entre dĠun ct les problmes qui se posent lĠhumanit et de lĠautre les institutions politiques censes y rpondre serait propice lĠapparition de nouvelles manires de produire lĠaction publique, de nouveaux modes de gouvernance.
LĠenvironnement, autre proccupation politique majeure de ces 20 dernires annes, cadre difficilement avec le paradigme politique dominant, en particulier sur la scne internationale. Comment un co-systme fondamentalement unifi sur une base plantaire pourrait-il tre gr par un systme politique international dont la caractristique premire demeure lĠclatement en entits souveraines ? DĠaucuns ont baptis ce paradoxe la Ç tragdie des communs È (Le Prestre, 1997), cĠest--dire : Ç la tension entre la conscience dĠun devenir commun et la prdominance des considrations particulires È (Badie et Smouts, 1995). LĠenvironnement serait donc emblmatique de ces problmatiques indites rtives aux modes de fonctionnement traditionnels du systme politique international.
Pourtant, malgr cette prmisse aux accents aportiques, une analyse historique montre que depuis les annes 1960-1970, la densit de la rgulation internationale en matire dĠenvironnement sĠest accrue de manire considrable. On ne compte plus les traits bilatraux en matire dĠenvironnement, et il existe un programme des Nations Unies spcifiquement charg de ces questions (PNUE). Paralllement, de nombreuses institutions internationales ont enrichi leurs missions dĠobjectifs environnementaux (voir par exemple la Banque Mondiale), et surtout quelques traits associent plus de la majorit des Etats de la plante dans un effort commun de protection de lĠenvironnement (ex : le protocole de Montral pour la couche dĠozone, la CITES pour la protection des espces en dangers, la Convention de Ble sur la circulation internationale des dchets toxiques, et le protocole de Kyoto pour la lutte contre les changements climatiquesÉ). Manifestement, quelque chose se passe, car on assiste la constitution progressive dĠun tissu de dispositifs de rgulation autorisant voquer une Ç gouvernance internationale de lĠenvironnement È.
Comment peut-on expliquer cette volution, ce Ç verdissement È de la politique internationale ? Une hypothse serait que cette volution rsulterait de lĠmergence autour des ces matires dĠune socit civile, vhicule dĠune conscience cologique plantaire, particulirement active et mobilise. Cet ensemble dĠassociations, de scientifiques et de groupements divers exercerait une pression sur les gouvernements pour les pousser agir en faveur de lĠenvironnement. Cette hypothse semble se vrifier en premire approximation puisquĠil existe une corrlation vidente entre lĠvolution du nombre dĠONG prsentes sur la scne internationale et la monte en puissance des questions environnementales sur lĠagenda politique international. Certains observateurs aviss nĠhsitent dĠailleurs pas voquer lĠmergence, autour des questions environnementales, dĠune vritable Ç cogestion transnationale È associant Etats et acteurs non-tatiques (Badie, 1999) .
Si cette hypothse se vrifiait, il sĠagirait assurment dĠune rvolution copernicienne dans lĠtude des relations internationales. Au paradigme classique bas sur la dtention par les Etats du monopole sur lĠlaboration de la norme, succderait un mode dĠaction publique hybride, ouvert dĠautres acteurs associs aux Etats, non plus sur le mode de la sujtion mais au contraire sous la forme dĠun partenariat entre pairs.
Pour tenter dĠapporter quelques claircissements ce dbat, il importe de confronter lĠhypothse sus-dcrite la ralit empirique. Le dossier des changements climatiques offre lĠopportunit de procder une telle valuation. DĠune part, le processus politique qui lui est consacr se singularise notamment par lĠimplication constante dĠacteurs non-tatiques, et dĠautre part, il sĠagit dĠun dbat relativement ancien qui permet de disposer dĠun certain recul historique. LĠanalyse de la manire dont les acteurs non-tatiques ont influenc la formulation de la rponse internationale au rchauffement de la plante permettra donc de mieux cerner lĠimplication des acteurs non-tatiques dans le processus de production de lĠaction publique internationale en matire dĠenvironnement.
La formulation dĠune action publique internationale visant rpondre aux changements climatiques sera traite ici sous forme de Ç processus politique È. Premirement, cela permet de comprendre la formulation de lĠaction publique de manire dynamique, de comprendre lĠvolution des positions et pratiques des acteurs au fil du temps. Deuximement, se concentrer sur un Ç processus de ngociation È cĠest placer le et la politique sur un lit de Procuste, cĠest mettre arbitrairement hors champ des pratiques et des acteurs qui pourtant influencent la manire dont une problmatique est aborde par les pouvoirs publics. A lĠinverse, voquer un Ç processus politique È cĠest adopter une posture qui permet de restaurer le champ politique dans son ampleur et sa complexit et de reconnecter ses dimensions explicites et implicites.
Ce Ç processus politique È peut-tre analys de manire squentielle, lĠinstar des travaux de politiques publiques qui divisent la production de lĠaction publique en phases successives. Il sĠagit en lĠespce de procder un dcoupage du processus en diffrentes squences qui correspondent autant de modes de participation spcifiques et au cours desquelles lĠimportance respective des diffrents acteurs varie. Ce squenage doit tre abord de manire souple. Tout dĠabord, le nombre de squences identifiables peut varier selon ce que lĠon cherche montrer. Ensuite, les diffrentes squences ne sont pas hermtiquement spares. Elles sĠinterpntrent assez largement de sorte quĠil nĠest pas possible dĠidentifier une csure claire entre elles. Ce qui diffrentie principalement les diffrentes squences entre elles, cĠest davantage la rationalit dominante qui y prvaut que leur situation chronologique.
Ce processus politique mobilise toute une srie dĠacteurs. Certains dĠentre-eux ont t catgoriss comme non-tatiques dans le but de les distinguer des gouvernements des Etats ou des Institutions qui constituent lĠmanation de ceux-ci. Il va de soi que la catgorie Ç acteurs non-tatiques È nĠa rien dĠopratoire. Il sĠagit dĠune expression mobilise par commodit langagire, mais qui ne doit pas occulter la profonde diversit qui caractrise les groupements abusivement subsums sous cette appellation commune. Dans lĠanalyse qui suit, trois catgories distinctes dĠacteurs non-tatiques seront abordes : les rseaux de scientifiques, les organisations non gouvernementales, et les groupements reprsentant les intrts du commerce et de lĠindustrie. Cette typologie laisse de ct certains acteurs importants comme les mdias, ou regroupe trop facilement certains autres. Le format requis explique ce manque relatif de nuance. Enfin, lĠinstar des squences, les catgories dĠacteurs doivent tre apprhendes avec souplesse dans la mesure o elles sĠinterpntrent parfois largement, notamment du fait des coalitions noues entre acteurs appartenant des sous-catgories diffrentes autour dĠenjeux ou de revendications prcis.
1. Transcodage
A lĠorigine, lĠeffet de serre est un phnomne naturel par lequel certains gaz, qui ont la proprit physique de capturer une partie du rayonnement solaire rflchi par la surface de la terre, contribuent la rgulation thermique de lĠatmosphre terrestre. Ce mcanisme essentiel la vie sur la plante a t mis en vidence au dbut du dix-neuvime sicle par un physicien franais (Fourrier 1827).
Il faut attendre la fin du dix-neuvime sicle pour assister aux premires interrogations quant une possible amplification anthropique du phnomne du fait du dveloppement extraordinaire de lĠindustrialisation. La rvolution industrielle gnre en effet une consommation de ressources et dĠnergies fossiles inconnue jusquĠalors, et cette consommation entrane une augmentation constante et exponentielle des missions de gaz effet de serre (GES) qui modifie substantiellement la composition chimique de lĠatmosphre terrestre et est susceptible de provoquer un rchauffement du climat. On assiste alors aux premires tentatives de formalisation du lien causal entre activits industrielles, missions de GES et rchauffement climatique (Arrhnius 1896), mais ces investigations pionnires sont le fait dĠindividus isols et ne refltent en rien les proccupations dominantes du monde scientifique.
Malgr ces quelques travaux dĠavant-garde, lĠide que le mode de dveloppement des socits industrielles peut provoquer une modification du climat va mettre plusieurs dcennies avant de faire lĠobjet dĠun relatif consensus au sein du monde scientifique. Dans ce processus dĠmergence progressive dĠun socle partag de connaissances et de thories explicatives sur lĠvolution du climat, les groupements internationaux de scientifiques vont jouer un rle prpondrant. Ainsi, la coopration mtorologique internationale initie par lĠOrganisation mtorologique internationale (qui deviendra mondiale par la suite) va permettre la constitution dĠun rseau plantaire de stations dĠobservation et donc la rcolte systmatique de donnes sur lĠvolution de la composition chimique de lĠatmosphre. En 1975, ce sont plus de 130 pays qui participent au programme World Weather Watch, lequel se base sur 9500 stations terrestres et 7000 maritimes pour tudier lĠvolution de lĠatmosphre. A cette poque, on a donc une premire strate de connaissances sur lĠvolution du climat qui se constitue et qui permet dĠtayer les analyses pionnires voques ci-dessus. Paralllement, lĠvolution institutionnelle (mise sur pieds dĠorganisations et de programmes de recherche internationaux) servira de base pour les futures recherches. Cette double volution cognitive et institutionnelle jette les bases partir desquelles un consensus sur lĠvolution du climat pourra tre construit.
La fin de la dcennie 1970 voit lĠide quĠun rchauffement de la plante pourrait tre induit par lĠaugmentation des concentrations de GES dans lĠatmosphre gagner en crdibilit au sein de la communaut scientifique. Les tudes se multiplient, tout comme les runions internationales de scientifiques ddies cette thmatique. Moment phare dans lĠmergence dĠun consensus scientifique sur lĠvolution du climat, la premire confrence internationale sur le climat, organise en 1979 Genve par lĠOrganisation mtorologique mondiale (OMM) et lĠInternational Council of Scientists Union (ICSU), rassemble plus de 400 scientifiques de pays et de disciplines diffrents. CĠest cette occasion quĠon assiste la premire nonciation du consensus scientifique sur lĠvolution du climat[2] :
Ç Nous pouvons
dire avec une certaine confiance que la combustion dĠnergie fossile, la
dforestation et les changements dans lĠutilisation du sol ont augment de 15%
au cours de ce sicle la quantit de dioxyde de carbone dans lĠatmosphre et
que cette concentration crot aujourdĠhui de 0,4%par an. Il est probable que
cette volution continuera dans le futur. Le dioxyde de carbone joue un rle
fondamental dans la dtermination de la temprature terrestre, et il apparat
plausible quĠune augmentation des quantits de dioxyde de carbone dans
lĠatmosphre puisse contribuer un rchauffement progressif de la basse
atmosphre, particulirement sous les hautes latitudes. Ces changements
pourraient affecter la distribution des tempratures, des prcipitations et des
autres paramtres mtorologiques, mais les dtails restent peu compris. È (cit dans Paterson, 1996, Traduction libre)
Ces quelques rfrences historiques illustrent le travail de constitution dĠune problmatique qui est le pralable de toute action politique. Sans cette Ïuvre de mise en cohrence de connaissances parses, la problmatique nĠexiste tout simplement pas. A la suite des travaux de certains sociologues des sciences et techniques, nous pouvons baptiser ce processus Ç transcodage È ou Ç traduction È (Lascoumes, Callon), au sens o il sĠagit de regrouper et de transfrer des informations dans un code diffrent : Ç Transcoder, cĠest dĠune part agrger des pratiques et des infos parses, cĠest aussi les construire et les prsenter comme une totalit ; cĠest enfin les transfrer dans dĠautres registres relavant de logiques diffrentes afin dĠassurer la diffusion lĠintrieur dĠun champ social et lĠextrieur de celui-ci È.
2.
La politisation
Le champ social mobilis par le dossier des changements climatiques tait jusque l quasi exclusivement le champ scientifique. Ds lĠinstant o la problmatique climat sĠmancipe du champ scientifique, on passe dĠune phase o la production de connaissances est la rationalit dominante des acteurs, une phase o la production cognitive cohabite avec - et est progressivement supplante par- des pratiques inscrites dans le registre de la revendication politique. Une fois la problmatique Ç climat È construite par les rseaux de scientifiques, celle-ci sert de support la formulation de demandes dĠinterventions du politique. Ds lĠinstant o la rationalit dominante autour dĠun enjeu passe de la constitution (au sens cognitif) la revendication, on peut parler de politisation de la problmatique.
En lĠoccurrence, la politisation de la problmatique climat rsulte de la conjonction de plusieurs phnomnes. Tout dĠabord, le progrs des connaissances scientifiques a gnr une politisation implicite du discours. LĠidentification des gaz impliqus dans le rchauffement ainsi que de lĠimportance de chacun de ceux-ci, la mise en exergue des activits et pratiques lĠorigine des missions de ces gaz, et enfin la prise de conscience progressive de la gravit des consquences potentielles, mettaient le doigt sur les comportements problmatiques, sans pour autant formuler explicitement de revendication dĠaction ( Voir notamment la confrence de Villach en 1985).
Ce pas sera franchi par certains scientifiques et par les premiers militants cologistes qui se sont intresss cette question (pour autant quĠon puisse toujours distinguer ces deux catgories). Le discours sur les changements climatiques se politise au travers de diverses publications, et lĠoccasion de certaines rencontres internationales ( voir par exemple la confrence de Toronto en 1988). Les acteurs ne se proccupent plus uniquement de recherche, mais galement de stratgies et de propositions dĠaction. Ainsi par exemple, lors du World Congress on Climate an Development organis Hambourg en novembre 1988, les participants se sont accords sur la ncessit de rduire les missions de dioxyde de carbone de 30% pour 2000 et de 50% pour 2015.
Jusque-l totalement absents de la problmatique, les gouvernements commencent communiquer et sĠinformer sur le sujet. Les premiers frmissements viennent de Grande-Bretagne, des Etats-Unis, ou du Canada, et des Etats les plus exposs aux consquences potentielles du rchauffement comme les Etats insulaires. On voit galement apparatre les premires mesures adoptes spontanment pas certains gouvernements pour rduire leurs missions de GES, mais de manire somme toute modeste. Il faut galement ajouter que pour diverses raisons, les opinions publiques commencent sĠintresser la question, et que certains mouvements sociaux ou forces politiques se font en interne le relais des revendications voques ci-dessus.
A la fin des annes 1980, la problmatique climat nĠest plus seulement un objet de curiosit pour les scientifiques, cĠest galement une proccupation qui pntre les espaces publics nationaux et les organisations internationales et qui occupe le sommet de lĠagenda politique international. Preuve de cette importance accrue, lĠAssemble gnrale des Nations Unies a adopt en 1988 une rsolution par laquelle elle reconnaissait le climat comme objet de proccupation commune de lĠhumanit. De mme, les sept pays les plus industrialiss de la plante runis Paris en juillet 1989 ont explicitement reconnu lĠimportance dĠun effort collectif visant rduire les concentrations de dioxyde de carbone.
3. LĠinstitutionnalisation
La phase dĠinstitutionnalisation sĠamorce ds lĠinstant o sont formules les premires rponses du systme politique la problmatique devenue politique du fait des revendications quĠelle suscite. Il sĠagit de la phase qui voit se dvelopper le cadre institutionnel lĠintrieur duquel les rponses concrtes la problmatiques seront labores. Le principe moteur glisse de la revendication vers la cration des institutions qui vont permettre de formuler une rponse collective la problmatique prcdemment construite et politise.
La premire initiative en ce sens concernera la production de connaissances. En 1988, nat le Groupe intergouvernemental dĠtude du climat (GIEC) qui a pour mission de procder, par le biais de la publication rgulire de rapports, au recensement des connaissances scientifiques sur les changements climatiques et leurs consquences, ainsi que de formuler des options pour y rpondre. Cet organe, compos de scientifiques nomms par les gouvernements, est rapidement devenu lĠinstance officielle dĠnonciation des connaissances lgitimes en matire de climat. Il sĠagit dĠun pas important dans le processus dĠinstitutionnalisation, puisque la mise sur pied du GIEC formalise les interactions entre les gouvernements et le champ scientifique.
A partir du dbut des annes 1990, la pression politique est telle que les ngociations vers une convention internationale sur le climat apparaissent invitables. Face la srie de confrences internationales (voir notamment la seconde confrence mondiale sur le climat en 1990 Genve), aux engagements unilatraux de certains Etats, et au premier rapport du GIEC, les gouvernements nĠont dĠautre choix que de mettre en place un cadre de ngociation. LĠinstitution ad hoc cre par lĠAssemble gnrale des Nations Unies est lĠ Intergovernmental Negotiating Committee for a Framework Convention on Climate Change ( INC), qui constitue le forum lĠintrieur duquel sera ngocie et labore la Convention-Cadre des Nations Unies pour les changements climatiques ( UNFCCC), du moins dans sa physionomie gnrale. Celle-ci sera prsente et signe lors du Sommet de la terre de Rio en 1992.
Face lĠmergence de ce cadre de ngociation, et lĠinvitabilit de celles-ci, dĠautres types dĠacteurs apparaissent. Les ONG de dfense de lĠenvironnement, jusque-l peu prsentes, se regroupent en 1989 sous lĠgide dĠun rseau-coupole appel Climate Action Network (CAN). LĠambition initiale est de fdrer les diffrents groupes reprsents, de manire laborer des stratgies et dfinir des positions communes, mais surtout peser plus efficacement sur les dcisions des gouvernements. Simultanment, ce sont les industries rtives lĠimposition de mesures de rduction des GES qui se coalisent. Il sĠagit en lĠoccurrence essentiellement des industries qui tirent un profit immdiat de lĠexploitation dĠnergies fossiles ou dĠactivits qui dpendent de celles-ci (ex : industrie automobile). Ainsi apparaissent certains groupes comme la Global Climate Coalition (GCC) ou le Climate Council (CC), qui ont pour objectif de faire barrage toute initiative internationale visant rduire les GES.
La phase dĠinstitutionnalisation ne se caractrise pas uniquement par la mise sur pied du cadre formel des ngociations. Dans lĠorbite de ce cadre, les acteurs non-tatiques mutent pour se conformer ce quĠexige un processus de ngociations de qui souhaite lĠinfluencer. Les groupes sociaux dont les intrts sont affects par le dossier climat sĠorganisent de manire tre reprsents au sein du processus de ngociations naissant. Ce faisant, paralllement au cadre formel, cĠest tout un espace public qui sĠamnage progressivement sur la scne internationale autour du dossier climat.
3.
Les ngociations
Pour rappel, les principales tapes des ngociations internationales relatives au climat sont les suivantes :
- Ngociations dans le cadre de lĠINC de fvrier 1991 mai 1992
- UNFCCC (Rio 1992)
- Ngociations dans le cadre de lĠINC, puis de la Confrence des parties la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP) jusquĠ la signature du Protocole de Kyoto (PK) en 1997
- Ngociations des modalits de mise en Ïuvre du PK dans le cadre des COP successives de 1997 aujourdĠhui
- 16 fvrier 2005 : entre en vigueur du PK
Sur le plan formel, il est important de rappeler que les acteurs non-tatiques se voient reconnatre un statut dĠobservateurs, mais quĠen aucun cas ils ne pourront tre considrs comme ngociateurs. Il ne sĠagit cependant pas dĠune prcision anecdotique puisque cette relgation statutaire gnre des effets tout fait tangibles.
Ce diffrentiel de pouvoir entre acteurs tatiques dĠun ct et acteurs non-tatiques de lĠautre, se matrialise par exemple dans toute une srie de pratiques et de dispositifs concrets. ( Voir les exemples donns au cours : systmes de badges, organisation de lĠespaceÉ)
Une fois cette distinction pralable et fondamentale pose, lĠtude des stratgies dployes par les diffrentes catgories dĠacteurs apporte quelques indices utiles pour saisir la manire dont ceux-ci agissent sur le processus de ngociation. Les ONG de dfense de lĠenvironnement (ONGE) inscrivent leur stratgie dans trois registres diffrents. Premirement, les pratiques de lobbying, qui consistent tenter dĠinfluencer les ngociateurs par le biais de contacts informels, occupent une place importante dans la stratgie des ONG. Ensuite, viennent toute une srie de pratiques (Voir exemples donns au cours : publication de journaux, remise du Ç fossil of the day ÈÉ) qui peuvent tre regroupes dans un registre de Ç vigilance critique È car elles ambitionnent dĠattirer lĠattention sur certains pratiques ou positions juges hostiles la lutte internationale contre les changements climatiques. Enfin, les ONGE jouent le rle dĠ Ç auxiliaires du Prince È, en apportant ponctuellement leur soutien logistique, intellectuel ou symbolique certaines dlgations favorables leurs positions. Ce triptyque stratgique vaut principalement pour lĠaction du CAN et des principales ONGE ( Greenpeace, WWF, Friends of the EarthÉ) dont il est le relais, mais certains groupes peuvent privilgier lĠun ou lĠautre registre dĠaction ( exemple du Thrid World Network ou de la plupart des ONG du Sud).
La stratgie des organisations reprsentant les intrts du monde du commerce et de lĠindustrie (BINGOĠs) est clive autour de deux ples. Le premier, reprsent principalement par la GCC et la CC, privilgie le lobbying auprs de certaines dlgations nationales favorables leur point de vue (principalement USA et pays de lĠOPEP) dans le but dĠentraver autant que possible la mise sur pied dĠun rgime international de rduction des GES efficace. Le second, reprsent principalement par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) et lĠInternational Chamber of Commerce (ICC), tente dĠinfluencer le processus Ç de lĠintrieur È. Considrant dĠune part quĠun trait est invitable, et dĠautre part quĠun tel processus peut gnrer de nouvelles opportunits industrielles, financires ou commerciales, ces groupements tendent se poser en partenaires des gouvernements, en formulant des propositions concrtes lors de runions ou par lĠintermdiaire de publications. Mme si les pratiques de lobbying nĠen sont pas absentes, la stratgie de ces groupements se caractrise par la volont de sĠriger en Ç Conseiller constructif du Prince È.
La phase de ngociation se caractrise par une pluralisation de la stratgie aussi bien des BINGOĠs que des ONGE, mais connat galement une diversification des intrts reprsents. Du ct des BINGOĠs, la posture initiale dĠhostilit incarne par la GCC et le CC cohabite ds cet instant avec la posture accommodante du WBCSD et de lĠICC, voire avec lĠenthousiasme en faveur des rductions de GES de certains secteurs industriels (ex : olien, nuclaire, voire assurances). De manire symtrique, les ONGE ont de plus en plus cohabiter avec certaines ONG de dveloppement et leurs priorits ne sont pas ncessairement en phase (Voir lĠexemple des critres dĠligibilit des mcanismes de dveloppement propre donn au cours). En outre, dĠautres acteurs, ni BINGOĠs ni ONG, apparaissent dans lĠorbite des ngociations : syndicats, glises, groupements de courtiersÉ On assiste donc dans cette phase de ngociation une dmultiplication des types dĠacteurs impliqus, et une complexification croissante de lĠespace public. Il nĠest plus possible dĠvoquer une Ç socit civile È unifie pour faire contre-poids aux Etats, ni mme une configuration binaire opposant intrts du commerce et de lĠindustrie au cosmopolitisme vert des ONG. La ralit est plus opaque : la diversit et les tensions prvalent.
LĠimpact de ces stratgies abordes plus haut demeure difficile valuer de manire rigoureuse. Il est nanmoins possible de se faire une ide relativement juste de lĠinfluence respective des diffrents acteurs en comparant les rsultats du processus de ngociation avec les positions initialement dfendues par les acteurs. Cette approche repose sur le postulat que plus la proximit entre les positions initiales et le fruit des ngociations est grande, plus le pouvoir (au sens de capacit dĠinfluence) de lĠacteur qui les porte est important. Il reste videmment que les acteurs peuvent adopter des positions extrmes dans lĠespoir dĠattirer la dcision de leur ct. On peut nanmoins supposer que la symtrie de ces pratiques dĠemphase en rduit la porte. LĠopposition radicale des entreprises ptrolires toute volont de rduire les missions de GES rpond en quelque sorte aux exigences de rduction maximalistes (jusquĠ 80%) dfendues par certaines ONG. En outre, avec le temps, une forme dĠapprentissage mutuel se dveloppe entre les acteurs et cela estompe les oppositions les plus extrmes.
Trois rflexions permettent dĠapprocher au plus prs lĠinfluence des uns et des autres sans entrer dans des dveloppements trop techniques :
- Les positions dfendues par les Etats se caractrisent par une certaine stabilit sur le long terme (15 ans). Celles-ci refltent principalement des intrts socio-conomiques qui tirent leur origine dans lĠhistoire industrielle et nergtique des Etats considrs (Paterson, 1996). Elles ne semblent pas par consquent pouvoir tre fondamentalement modifies par les stratgies des acteurs non-tatiques. A lĠinverse, les acteurs non-tatiques reformulent rgulirement leurs objectifs et stratgies lĠaune du rsultat des ngociations.
- Le rsultat des ngociations reflte davantage les positions des BINGOĠs que des ONGE (cfr, objectifs de rduction, mcanismes de flexibilitÉ). Ceci dcoule videmment de ce qui prcde. LĠimportance des industries dans la production de richesse ( donc galement dans la localisation des activits de production et de lĠemploi) confre aux organes qui en reprsentent les intrts un pouvoir structurel dont ne disposent pas les ONGE. Celles-ci peuvent influencer ponctuellement certains gouvernements, mais leur impact est marginal en comparaison de celui des BINGOĠs.
- Diverses dispositions auxquelles taient farouchement hostiles les ONGE se retrouvent finalement dans les textes produits par les ngociations (ex : les puits de carbone). Les ONGE sont incapables de faire obstacle des mesures mme si celles-ci contreviennent radicalement leurs positions. Une fois une ngociation amorce sur un projet, elles doivent se rsigner suivre le processus et tenter de le canaliser par la suggestion de mesures correctives.
La phase des ngociations se caractrise par une appropriation tatique du processus politique. La rationalit dominante est la production de la norme et les acteurs tentent au maximum de rapprocher celle-ci de leurs positions. Dans ce jeu, les gouvernements occupent plus que jamais le centre de gravit de lĠespace public, celui par rapport auquel se situe lĠensemble des acteurs. Une fois mis sur les rails des ngociations, une fois leurs options fondamentales dfinies, les Etats ne dvient que marginalement de la trajectoire quĠils se sont fixes. Il leur reste de surcrot la possibilit de se retirer unilatralement du processus si dĠaventure le produit des ngociations tendait contrarier leurs intrts fondamentaux (ex : USA et Australie).
4.
La mise en Ïuvre
Les engagements du PK portent sur la priode 2008-2012. Il nĠest pourtant pas prmatur de traiter de la mise en Ïuvre des dispositifs internationaux ngocis pour lutter contre les changements climatiques. En effet, les textes (PK) prcisent dĠores et dj les modalits concrtes de ces dispositifs et certains dĠentre eux peuvent tre activs avant la priode dĠengagement.
Ainsi, les mcanismes de flexibilit prvus par le PK accorderont un rle certains acteurs non-tatiques. Les entreprises pourront videmment acqurir des droits dĠmission, mais galement initier des projets dans le cadre des Mcanismes de dveloppement propre ou de mise en Ïuvre conjointe. (Pour rappel, il existe trois mcanismes de flexibilit dans le PK : les mcanismes de dveloppement propre, les mcanismes de mise en Ïuvre conjointe, et le commerce de droits dĠmission.). Signalons galement le rle dĠaudit jou par certaines socit dans le cadre de la procdure dĠaccrditation des projets de mcanismes de dveloppement propre.
Le recul manque pour juger du rle des acteurs non-tatiques dans la phase de mise en Ïuvre du PK, mais les dispositifs du trait ont dĠores et dj cr des dispositifs de rgulation hybrides bass sur des formes de partenariat entre priv et public. Il sĠagit assurment dĠune innovation notable dans le mode de fonctionnement du systme politique international, mais il est intressant de constater que cette ouverture aux acteurs non-tatiques fait la part belle aux industries et quĠelle confine les interactions entre Ç acteurs non-tatiques È et Ç gouvernements È (ou plus prcisment les institutions qui en sont lĠmanation) dans le registre marchand ou dans le registre de lĠvaluation technocratique. Cette remarque doit tre conserve lĠesprit lorsquĠon tente dĠassimiler cette ouverture des mcanismes internationaux dĠaction publique aux acteurs non-tatiques une dmocratisation.
Conclusions
LĠanalyse squentielle du processus politique visant rpondre au dfi pos par le rchauffement de la plante offre une reprsentation plus prcise de la manire dont des acteurs non-tatiques peuvent participer la production dĠaction collective internationale. Cette participation varie dans le temps puisque chaque squence offre des opportunits dĠaction spcifiques. Elle varie galement en fonction des acteurs considrs puisque chaque catgorie correspondent des stratgies et des rationalits spcifiques. Il est galement indniable que les diffrentes catgories dĠacteurs non-tatiques ne disposent pas de capacits dĠinfluence identiques.
Il convient par consquent dĠtre prudent lorsquĠil sĠagit de fonder un changement de paradigme en politique internationale partir la monte en puissance dĠacteurs non-tatiques. Si la conception de lĠEtat comme acteur exclusif des relations internationales ne semble plus coller la ralit empirique (mais y a-t-elle jamais coll ?), force est de constater quĠen revanche le systme politique international demeure caractris par un morcellement en entits souveraines. Les Etats demeurent en effet les dtenteurs du monopole de production de la norme et ne peuvent tre juridiquement contraints - dans les matires qui nous occupent - lĠencontre de leur volont. Cela tant, il est galement indniable que les acteurs non-tatiques peuvent ponctuellement jouer un rle significatif dans le processus politique. CĠest en particulier le cas dans la phase de construction et de politisation dĠune problmatique, mais galement dans une certaine mesure et selon des modalits prcises dans la phase de mise en Ïuvre. En revanche, leur rle dans la phase de ngociation semble plus limit, sauf peut-tre pour certains groupements reprsentant les intrts du commerce et de lĠindustrie.
SĠil faut qualifier cette configuration politique internationale, lĠexpression Ç polyarchie hirarchise È semble la plus adquate. Pluralit dĠacteurs il y a, mais la puissance publique -en lĠespce le jeu intergouvernemental- domine toujours le processus de formalisation des orientations collectives. De mme, si acteurs non-tatiques il y a, leurs capacits dĠinfluence respectives sur la production de la norme lgitime doit tre mise en perspective avec les structures dĠun mode de production capitaliste devenu mondialis.
[1] A la diffrence de lĠexpos oral, 5 phases sont ici distingues. La phase de politisation de lĠexpos oral a ici t dissocie en une phase de Ç transcodage È et une phase de Ç politisation È.
[2] Nous nĠabordons pas ici les controverses scientifiques relatives lĠvolution du climat qui perdurent encore actuellement. Pour une analyse sociologique de la production de connaissances en matire de climat, nous recommandons la lecture de Philippe ROQUEPLO, Climats sous surveillance. Limites et conditions de lĠexpertise scientifique, Paris, Economica, 1993.