Cours dhistoire du Droit de Geneviève Chrétien-Vernicos (GVERNICOU@aol.com)
DEUG Première année - Université Paris 8 Vincennes - Saint Denis - 2001-2002
Cours n° 1
Introduction historique
au droit
DEUG DROIT Première année
Cours de Geneviève Chrétien-Vernicos
Première Partie
Les différentes conceptions du droit
Chapitre 1 - Limpossible définition du droit
Le droit appartient à la famille assez étendue des concepts qui ne sont clairs quentrevus de loin (N. Rouland). En 1787, Kant écrivait dans son fameux ouvrage (La critique de la raison pure) " Les juristes cherchent encore une définition pour leur concept du droit ". Plus de deux cents ans plus tard ils en sont toujours au même point.
En 1989, une expérience a été tentée par la revue Droits (une importante revue française de théorie juridique) Lidée avait été de demander à une cinquantaine dauteurs de donner en quelques pages leur conception du droit. Ensuite un travail de synthèse aurait dégagé quelques grandes options, à défaut de parvenir à une solution unique. Les contributions furent réunies (47) mais lobjectif ne put être atteint en raison de la trop grande diversité des définitions données. Le doyen Vedel commença même la sienne par ces mots : " Voilà des semaines et même des mois que je " sèche " laborieusement sur la question, pourtant si apparemment innocente [ ] : " Quest-ce que le droit? " Cet état déjà peu glorieux, saggrave dun sentiment de honte. Jai entendu ma première leçon de droit voici plus de soixante ans ; jai donné mon premier cours en chaire voici plus de cinquante ; je nai cessé de faire le métier de juriste tour à tour ou simultanément comme avocat, comme professeur, comme auteur, comme conseil et même comme juge. Et me voilà déconcerté tel un étudiant de première année remettant copie blanche, faute davoir pu rassembler les bribes de réponse qui font échapper au zéro. " néanmoins il conclut en disant : " si je sais mal ce quest le droit dans une société, je crois savoir de que serait une société sans droit. "
De ces nombreux efforts, il ressort quil y a deux grandes catégories de définition du droit, celles donnée par les juristes eux-mêmes et celles donnés par les anthropologues du droit.
è
Définitions juridiques du droit (Section 1)
Définitions anthropologiques du droit (Section 2
Sections 1 Définitions juridiques du droit
On a écrit que létude du droit " par les juristes fait parfois penser à une science de la religion conduite par les prêtres de cette religion, une sorte de logique de labsolu. "
Les juristes pensent effectivement quils sont les seuls à pouvoir étudier le droit de lextérieur et tout particulièrement à le définir. Aussi tous les cours de droit privé de première année, intitulés " Introduction au droit " commencent par une définition (plus ou moins rapide) du droit. Ces définitions ont beaucoup de points communs, mais à les lire, on saperçoit quil est possible de les regrouper en deux catégories. En effet, certains ne définissent le droit que par la manière dont il se présente, définitions formelles (§1) tandis que dautres sattachent à son fond, définitions substantielles (§2).
§1 Définitions formelles
Les définitions formelles les plus nombreuses, [car le plus neutre et sappliquant parfaitement au droit occidental], définissent le droit comme un ensemble de règles, pourvues de la sanction étatique.
A Droit ensemble de règles
C. Larroumet : " Le droit est un corps de règles ordonnant la vie en société de façon à éviter lanarchie entre les membres du corps social. "
Gérard Cornu, dans son Vocabulaire juridique : " Ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées qui simposent aux membres de la société. "
Boris Stark, dans son introduction au droit : " ensemble des règles de conduite qui gouvernent les rapports entre les hommes et dont le respect est assuré par lautorité publique. ".
Et pour mieux cerner le droit, aussitôt le même auteur, compare la règle de droit à dautres règles de conduite, règles morales, de convenances, religieuses etc.
Cette définition est reprise par J. Bonnard qui ajoute que ce serait plus simple de dire que le droit est un ensemble de lois mais que ce serait inexact car le droit (donc les règles) peut avoir dautres sources (coutumes, jurisprudence, doctrine).
J.P. Gridel " règle ou série de règles appelées à régir de façon identique des cas définis par leur commune caractéristique ".
Si lon prend les grands anciens : les frères Mazeaud dans leurs Leçons de droit civil, au sommaire de la première leçon, " le mot droit a deux sens : la règle de droit ou droit objectif ; les prérogatives dont une personne est titulaire ou droits subjectifs "(p. 13)
Dans le développement " Tantôt on entend par droit lensemble des règles juridiques ", p. 15.
Jean Luc Aubert " ensemble de règles destinées à organiser la vie en société "
Devant une telle unanimité il semble quil ny ait plus à quà sincliner.
Effectivement, cette définition sapplique très bien à un droit comme le droit français par exemple. Mais nos auteurs, qui certes ne prétendent pas faire une introduction aux droits du monde entier, certains intitulant même leur ouvrage " notion fondamentale de droit français " (Gridel) entendent bien à ce moment donner une définition générale du droit.
ET cest là où le bât blesse, car cette définition ne correspond pas au droit de toutes les sociétés, déjà elle ne correspond pas aux droits des systèmes de common law, qui sont des droits casuistiques et non pas vraiment composés de règles générales. Mais il y a aussi de nombreuses sociétés où les règles sont beaucoup moins valorisées, où le droit est plutôt composé de modèles de comportement.
Peut-on dire que ce nest pas du droit ? Non ! La maxime romaine ubi societas, ibi jus, où il y a une société il y a du droit, nest plus contestée par personne, et lhomme étant un " animal politique " cest à dire un être social, vit toujours en société, cela signifie quil y a partout du droit, mais il nest pas partout composé de règles.
Cette première définition formelle nest donc pas adéquate pour définir le phénomène juridique dans son universalité.
Quen est-il du caractère de ces règles, présenté comme spécifique de la règle juridique ?
B Règles sanctionnées par lÉtat
Selon les juristes, la spécificité de la règle de droit cest dune part, son caractère obligatoire, cest-à-dire que son non-respect est nécessairement sanctionné, et que cette sanction est étatique, autrement dit le droit est lié à lÉtat..
1° - La règle de droit et la sanction
On peut lire p. 24/25, dans louvrage des Mazeaud : " la règle de droit est sanctionnée par la contrainte. il y a là un caractère spécifique de la règle de droit. Une règle qui ne serait pas obligatoire, ne serait pas une règle de droit. "
Et M. J. L. Aubert, dit sensiblement la même chose : p. 20 : " la caractéristique décisive de la règle de droit consiste en ce quelle est une règle à la fois obligatoire et sanctionnée par lÉtat ".
Pourtant, on a montré que la sanction nest pas inhérente au droit, quil peut y avoir du droit sans sanction aussi bien dans notre système juridique que dans dautres traditions plus éloignées
a La sanction nest pas inhérente à la règle de droit dans notre système juridique
M. Larroumet démontre que la règle de droit nest pas toujours sanctionnée, aussi bien en droit international public quen droit interne.
Certes les sanctions éventuellement prévues en cas de violation de ses obligations par un État sont imparfaites et souvent inefficaces, mais labsence ou limperfection de la sanction ne saurait permettre daffirmer linexistence dun système juridique dès lors quil y a bien organisation sociale, en loccurrence organisation de la société inter étatique.
En droit public : le Président de la République est tenu de promulguer les lois votées par le Parlement. Or aucune sanction nest prévue en cas de non-promulgation de la loi.
De même souvent, le Parlement vote une loi et charge le gouvernement de prendre un décret complétant la loi, décret dapplication qui règle les détails dapplication. En général le Parlement assigne un délai au Gouvernement, mais rien nest prévu en cas de non-respect de ce délai, ce qui arrive souvent.
Il y avait, il y a peu, une obligation, pour toute personne majeure de sinscrire sur les listes électorales, mais aucune sanction nétait prévue en cas de non-respect.
Lobligation naturelle est un excellent exemple dune règle de droit non sanctionnée. Il sagit dune dette qui pèse sur un individu, mais celui au profit duquel elle doit être exécutée, cest-à-dire le créancier, ne peut en exiger lexécution notamment par une action en justice. On ne peut dire néanmoins quil ny a pas dobligation. Car, si le débiteur sexécute volontairement, on considère quil paie une dette quil était tenu daccomplir quil na pas accomplit un acte gratuit à légard du créancier, le paiement est considéré comme valable et il ne peut pas se raviser. Il sagit dune obligation dépourvue de sanction, son acquittement ne peut être que volontaire.
Le doyen Carbonnier évoque le droit sans obligation ni sanction, il dit que " Même à une époque dite État de droit, beaucoup croient pouvoir et devoir régler leurs rapports avec leur semblable par le droit sans les lois et les tribunaux étatiques. Il ne sagit pas de morale [ ], mais bien dun droit, dun droit qui tranche, qui décide " [ ] mais " sans formule exécutoire. Des exemples entre mille : un prêt doutils entre voisins, un legs verbal et même une union libre. "
b La sanction nest pas inhérente au droit dans dautres traditions juridiques
La sanction nest pas ignorée dans les systèmes juridiques non occidentaux, quils soient étatiques (Chine, Japon) ou non étatiques (Afrique, Inuits etc.) mais là non plus elle nest pas omniprésente.
Les conflits sont souvent réglés de manière négociée. Lapplication des sanctions obéit à un principe de flexibilité : des infractions similaires nentraînent pas les mêmes réactions sociales. En outre, on y retrouve souvent des sanctions psychologiques, blâme, mise en quarantaine
Et précisément, pour les juristes, notamment français, ce nest pas la sanction en elle-même qui caractérise le droit mais cest la sanction étatique, ce qui implique de lier le droit à lÉtat.
2° - La règle de droit et lÉtat
Lessentiel des auteurs caractérise la règle de droit non pas uniquement par la sanction, mais la sanction étatique. Ce qui aboutit à lier le droit et lÉtat.
Ainsi, le manuel de Boris Stark (déjà cité) contient une subdivision intitulée " La contrainte étatique, critère de la règle de droit " dans laquelle il nous dit : " [ ] la spécificité de la règle de droit réside dans sa sanction. Son originalité ne tient pas tellement à lexistence même dune sanction, quelle quelle soit, mais à son caractère de sanction socialement organisée. " (p. 36)
Jean-Luc Aubert lui aussi p. 23, titre son paragraphe 21 : " la sanction étatique de la règle de droit "
Il serait fastidieux de citer tous les auteurs qui partagent ce point de vue car ce serait faire une bibliographie complète des ouvrages français dintroduction au droit.
Est-ce à dire que tous ces éminents juristes se sont trompés ? Bien entendu non, leur définition coïncide parfaitement avec le droit tel que nous le connaissons dans les pays dEurope, mais elle ne peut servir comme définition universelle du droit.
En effet, toutes les sociétés ne sont pas des sociétés étatiques, ou nont pas toujours été des sociétés étatiques (dautant plus que lÉtat tel que nous lenvisageons aujourdhui, apparaît à la Renaissance seulement) et pourtant ce ne sont pas des sociétés sans système juridique.
Comme lécrivent A. Weill et F. Terré : " Une règle nest pas juridique parce quelle est sanctionnée dune certaine manière par le groupe ; elle est sanctionnée de cette manière par le groupe parce quelle est juridique ".
Les définitions juridiques " formelles " du droit ne sont donc pas des définitions " du droit " mais des définitions du droit français et des droits qui sy rapprochent.
§2 Définitions substantielles
On peut également tenter de définir le droit en sattachant soit à son contenu, soit à ses finalités.
A Définition par le contenu
Les définitions quant au contenu sont celles qui se rattachent aux doctrines que lon a appelées idéalistes ou du droit naturel ou jusnaturalistes.
1° - Les doctrines naturalistes
Ces doctrines postulent que le droit positif, le droit effectivement appliqué doit être conforme à un idéal de justice.
Ces doctrines ont toutes la même conséquence mais elles ont des contenus variables
a - Conséquence commune
Toutes ces doctrines saccordent pour dire quune règle de droit, une loi (au sens large) qui ne serait pas conforme au droit naturel, nest pas obligatoire, et quil est juste dy résister, il est même fortement recommandable de le faire.
Ce qui implique que le droit qui nest pas conforme au droit naturel nest pas du droit puisquil nest pas obligatoire.
Mais elles divergent sur le contenu de ce droit naturel.
b - Divergence sur le contenu de ce que doit être le droit
2° - Critiques de ces doctrines
Il a été aisé de critiquer ces doctrines, dune part quant à leur conséquence, dautre part quant au contenu du droit naturel.
a Le danger de leur conséquence commune
La résistance à la loi injuste se révèle inopportune aussi bien sur le plan social que sur le plan philosophique.
Sur le plan social Platon déjà écrivait que lune des plus belles lois est celle qui interdit aux jeunes gens la recherche de ce quil pourrait y avoir de bon ou de défectueux dans les lois, et qui leur ordonne au contraire de dire quelles sont parfaitement belles
Pascal dans ses pensées estime que le problème est périlleux : " il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il ny obéit quà cause quil les croit justes ".
La plupart de juristes contemporains partagent ce même point de vue : dans le conflit qui apparaît entre la nécessité de distribuer la justice et celle dassumer lordre, cette dernière doit prévaloir.
Effectivement, sur le plan philosophique, une difficulté majeure apparaît : celle que lon rencontre dans la recherche ou la découverte du critère en fonction duquel une loi doit être dite juste ou injuste ; On aborde le problème du contenu du droit naturel.
b Critique quant au contenu du droit naturel
Si le droit naturel trouve sa source dans le christianisme, quid de tous les autres droits qui ne sont pas dinspiration chrétienne ? Soit, ils reposent sur des principes différents et ne peuvent recevoir le titre de droit. Soit, ils consacrent des principes qui sont semblables et cela signifie que ces principes ne sont pas spécifiquement chrétiens.
Si le droit naturel est composé des droits qui appartiennent à lindividu par la naissance, il est très difficile de déterminer quels sont ces droits, doù la diversité des thèses proposées.
En outre cela signifie que le droit devrait être partout et toujours le même, or on le sait ce nest pas le cas, les contenus des différents droits varient, dans le temps et dans lespace et il nest pas possible de disqualifier les uns au profit des autres.
Sil est une définition du droit qui ne tient pas la route, cest celle qui entend définir le droit par son contenu.
B Définition par ses finalités
Les définitions du droit par ses finalités paraissent a priori plus fiables.
Charles Leben, a donné pour titre à sa contribution à la revue Droits, la phrase : Droit : quelque chose qui nest pas étranger à la justice. M. François Terré écrit que le droit est dabord justice mais quil nest pas que justice car " il doit satisfaire " dit-il, " le juste et le sage ". En effet, si tous les auteurs saccordent pour dire que le droit a pour but de faire régner lordre, en général ils ne pensent pas que ce soit par nimporte quels moyens. On peut résumer lopinion générale en disant que " le droit a pour but de garantir lordre et de réaliser la justice ". Certains insistant un peu plus sur lordre que sur la justice car cette dernière peut être considérée subjective.
Cette finalité du droit est susceptible de sappliquer à toute société.
Mais les sociétés traditionnelles nopèrent pas comme les nôtres une rupture radicale entre lordre et le désordre ; elles mettent fréquemment en uvre dautres moyens que la justice pour parvenir au rétablissement de lordre et de lharmonie.
Ainsi chez les Inuits : Un homme a poignardé une femme, les faits ne sont pas discutés, ils sont avérés. " Que va-t-il se passer ? Pas de vengeance, rien de comparable non plus à notre moderne procès, mais autre chose, le village se réunit. On sorganise. Le criminel va affronter le mari de la victime en une compétition de chant. Chacun à son tour va chanter sa douleur ou sa colère. Pour quoi faire ? Établir la vérité ? Contester les faits ? Faire triompher son bon droit ? Rien de semblable. La compétition de chant vise seulement à faire triompher ladresse et léloquence des protagonistes. Sera désigné vainqueur celui qui ridiculisera son adversaire à la face des spectateurs. Si le criminel perd la compétition, lhumiliation subie le poussera à en tirer les conséquences. Mais dans le cas inverse, aucune conséquence particulière ne sera attachée au fait que la victoire récompense un assassin reconnu comme tel. Laffaire sera tenue comme définitivement close, exactement comme si la victime et ses ayants droits avaient triomphé. ET le délinquant pourra repartir chez lui lavé de lopprobre et sans autre forme de " procès " ; tout coupable quil soit. "
Lordre et lharmonie sociale sont rétablis, la justice telle que nous lentendons ne lest pas.
Section 2 Définitions anthropologiques du droit
Il nexiste aucune théorie interculturelle du droit qui fasse lunanimité parmi les chercheurs. Cependant, les théories anthropologiques du droit ont au moins lavantage de tenter de saisir ce quest le droit à travers les expériences de sociétés très diverses : en ce sens, même incertaines, au moins sont-elles, par leur généralité, plus scientifiques.
§1 Les différentes approches
Si lon admet que le droit est inhérent à toute forme de vie en société, deux voies soffrent pour le découvrir, le rechercher dans ses modalités ou analyser son contenu.
A Rechercher le droit dans ses modalités
On identifiera alors le droit à des normes ou à des procédures de règlement des conflits ou lon combinera les deux, on étudiera les règles à travers le conflit.
1° - Lapproche normative
Correspond à la conception dominante du droit telle quelle est enseignée dans les pays de tradition civiliste : le droit consiste essentiellement en un certain nombre de normes explicites et écrites, contenues dans des textes le plus souvent rassemblés dans des codes.
Cette préférence pour les normes se traduit par un certain point de vue quant à la nature de la violation de ces normes et des processus conflictuels. Pour les normativistes, la vie sociale étant gouvernée par des règles, le comportement normal consiste à sy conformer, et le conflit apparaît comme une conduite pathologique.
Ainsi Radcliffe-Browne et Roscoe Pound définissent le droit comme " un type de contrôle social qui sexerce par lemploi systématique de la force dont dispose une société politiquement organisée ". Et pour Hoebel, " une norme sociale est juridique si le fait de la négliger ou de lenfreindre est régulièrement contrecarré, par la seule menace ou dans les faits, par lapplication de la force physique par un individu ou un groupe jouissant du privilège socialement reconnu de pouvoir se comporter ainsi ".
Ainsi beaucoup denquêtes ont été menées sur le terrain, selon ces principes et ont abouti à des listes de normes présentées suivant les classifications des systèmes civilistes ou de Common law.
Inconvénients de cette analyse : cette identification du droit à un corpus de règles abstraites et explicites, associées à un appareil de sanction basée sur la force répressive réduit singulièrement le champ du droit. Mis à par lOccident peu de sociétés possèdent une conception normative du droit.
Cette doctrine a du mal à sappliquer non seulement dans les sociétés acéphales, mais aussi dans certaines sociétés étatiques :
Exemple : En Chine où selon la doctrine confucianiste les préceptes moraux, la conciliation doivent être préférer aux règles abstraites des lois.
à Rome, durant toute la période républicaine, les lois sont fort peu nombreuses (800 leges rogatae des débuts de la République au Principat, dont 26 seulement concernant le droit privé). La fameuse loi des XII Tables, nest pas un code au sens moderne du terme mais la mise par écrit dun certain nombre de coutumes.
Même quand elles existent de manière explicite, les règles nen sont pas pour autant automatiquement suivies, certaines sont caduques, certaines ne sont appliquées que de manière irrégulière.
Lanalyse normative ne peut rendre compte que dune partie des phénomènes juridiques et seulement dans certaines sociétés, celles qui connaissent une organisation politique centralisée et un appareil judiciaire clairement identifiable.
2° - Lapproche processuelle
Cette approche surtout utilisée à propos de sociétés acéphales, où les conflits sont plutôt réglés par des voies non judiciaires, découle des conceptions du droit de Bronislaw Malinowski (1884-1942)
Selon Malinowski le droit doit être défini par sa fonction et non par les modalités de ses manifestations. Or, pour lui le droit assume avant tout une fonction de réciprocité : la force qui lie les individus et les groupes et permet la vie en société résulte de rapports réciproques dobligations ; cest la réciprocité de ces obligations qui assure la cohérence de la société et non pas une quelconque sanction. Le comportement dun individu est plus modelé par les relations sociales que par les normes et les institutions.
On doit donc chercher le droit dans les comportements juridiques.
Mais quest-ce quun comportement juridique ? pour la plupart des auteurs, cest à loccasion de sa contestation quon peut mieux saisir ce quest le droit effectivement vécu et observé par les individus. Le droit est plus explicité par des processus les modalités de règlement des conflits que par des normes.
Les auteurs explorent ainsi tous les aspects du conflit, lhistoire du conflit en cause, la nature des relations unissant les parties, la nature du règlement (assuré par les parties elles-mêmes, par lintervention dun médiateur, dun arbitre ou dun juge), la façon dont la décision est appliquée ou contournée, etc. lanalyse processuelle est fondée sur lanalyse de cas scrupuleusement collectés et décrits.
Avantages : Cette méthode se prête beaucoup mieux que la précédente à la comparaison interculturelle.
Elle conforte les tenants de luniversalité du droit.
Elle est plus adaptée à létude du changement.
Elle permet dintégrer au vécu les représentations idéelles, car la décision rendue dans un litige a tendance à devenir un modèle pour la solution de cas semblables dans lavenir
Mais cette méthode ne peut prétendre restituer le phénomène juridique dans sa totalité, car le droit nest pas réductible aux seuls processus conflictuels. Lobéissance au droit constitue la forme la plus courante dobservation du droit : contrairement à ce que pensait Malinowski, lhomme na pas toujours conscience dappliquer une stratégie pour défendre ses intérêts, il obéit à la règle parce que son expérience de la vie ou léducation la lui ont fait intérioriser, ou parce quil redoute une sanction, ou parce quil la trouve raisonnable
Lhomme peut vivre le droit en dehors du conflit.
3° - Approche synthétique
J.-L. Comaroff et S. Roberts, ont montré quil faut substituer à ce dualisme, une approche qui tienne compte des deux orientations.
Létude des normes nest pas inutile : non seulement celle de leur contenu, mais surtout celle de la façon suivant laquelle les parties au litige les conçoivent et les négocient au cours du conflit, même postérieurement à la décision de règlement. Les règles ne sont pas seulement un cadre mais un enjeu.
On doit aussi étudier les raisons pour lesquelles celles-ci sont appliquées, négligées ou violées, et la séquence du conflit peut être un bon terrain dobservation
B Analyse du contenu du " droit " trouvé
Quelle que soit la méthode choisie, examen des normes, étude des comportements juridiques, reconstitutions de principes juridiques implicitement contenus dans les décisions de règlement des conflits, on peut choisir entre deux voies pour analyser les résultats obtenus.
- Emploi ou rejet de critères ethnocentristes.
Certains auteurs (Radcliff-Brown, G. Van den Steenhoven, F. J. Davis) définissent le droit à partir de critères dérivés de la tradition occidentale, application systématique de la force et la sanction coercitive.
Dautres auteurs (Bohannan) sattachent à saisir le droit à partir des catégories juridiques autochtones.
- Le second type consiste à formuler des théories universelles du droit, déduites de lobservation de sociétés très diverses
De ces différentes études résultes diverses définitions du droit
§2 Quelques définitions anthropologiques du droit
Parmi les définitions du droit fournies par les anthropologues, on peut citer celle de Bohannan qui sattache à saisir le droit à partir des catégories juridiques autochtones (A), les efforts de ceux qui ont tenté de trouver des théories générales du droit (B) et de ceux qui insistent plus sur la juridicisation (C).
A - La théorie de la double institutionnalisation de P. J. Bohannan
Bohannan considère le droit comme une institution de contrôle social parmi dautres. Sa démarche consiste dabord, à distinguer le droit des autres règles de contrôle social, puis à montrer comment une institution devient juridique.
1° - La distinction du droit et des autres institutions
Pour P. Bohannan il existe deux sortes dinstitutions, les institutions sociales et les institutions juridiques.
Toute société possède à la fois des institutions sociales et des institutions juridiques.
2° - Passage de linstitution sociale à linstitution juridique
Pour Bohannan, le passage de linstitution sociale à linstitution juridique sopère par le mécanisme de la double institutionnalisation
Toute institution (sociale ou juridique) génère des coutumes, cest-à-dire des règles de comportements qui doivent être respectées pour le bon fonctionnement des institutions. Les coutumes purement sociales sont fondées sur la réciprocité, celles qui deviennent juridiques sur la réinstitutionnalisation. Il y a passage du social au juridique dans la mesure où certaines coutumes sont choisies parmi dautres par les institutions juridiques pour fournir les critères de décision permettant de résoudre les conflits qui portent atteinte au bon fonctionnement des autres institutions sociales.
Intérêt : cette théorie fournit un moyen de rendre compte de la variabilité du champ du droit dans toute société.
Critique : elle présente le défaut des analyses de type processuel :
B Des théories générales du droit
On peut en citer deux, celle de Raymond Verdier et celle de Léopold Pospisil
1° - La théorie de R. Verdier sur le droit et léchange
Pour R. Verdier, le droit consiste dans " un système de communication et déchange de valeurs instaurant des relations symboliques entre les membres (individus et groupes) dune même unité politique ou de différentes unités appartement à un groupement politique plus vaste. " Il applique sa théorie à deux domaines : le contrat et le statut, la vengeance et la peine.
a Application au couple contrat/statut
Statut et contrat : réalisent tous les deux un échange mais dans des cadres différents :
Le contrat ne succède pas nécessairement au statut, ces deux types de relations coexistent dans une société, mais chaque société choisit daccentuer plutôt lune que lautre, selon que lindividu est conçu comme un sujet individuel disposant dun pouvoir propre (prédominance des relations contractuelles) ou comme un membre dun ou plusieurs groupes (prédominance des relations statutaires, qui existent aussi dans nos sociétés : statut des fonctionnaires par ex.
Statut et contrat sont des types déchanges pacifiques, cest moins le cas pour la vengeance et la peine.
b Application au couple vengeance/peine
Vengeance et peine sont des relations plus marquées dhostilité, mais on peut établir une corrélation entre ces deux types déchange.
La vengeance est liée au statut : elle consiste dans la réaction solidaire dun groupe au dommage qui a été causé à un des siens par le membre dun autre groupe, elle correspond à une obligation de restitution de loffense.
La peine correspond au contrat, dans la mesure où le châtiment atteint plus lindividu que le groupe auquel il appartient, et manifeste la volonté de la société toute entière de se désolidariser de lui.
Vengeance et peine ne correspondent pas à deux types chronologiquement successifs de règlement des conflits. Toute société connaît des tendances simultanées au recours à la peine ou à la vengeance, mais elle choisit entre les deux suivant le type de représentation quelle se fait de lindividu.
Intérêts : cette approche permet de mieux comprendre pourquoi la sanction a toujours été retenue comme un critère du droit ; en réalité ce qui importe est moins la sanction que ce quelle sanctionne. Selon cette théorie lobjet du droit, identifié à certains mécanismes déchange, concerne les liens fondamentaux qui structurent les relations entre les individus et entre les groupes.
Cette analyse sinscrit en faux contre lévolutionnisme très présent dans les théories classiques du droit et nous confirme que si sociétés modernes et traditionnelles diffèrent, cest moins dans lidentité des éléments de leurs systèmes sociaux et juridiques que dans la façon dont elles les combinent.
2° - Les critères universels du droit : la théorie de L. Pospi_il
Léopold Pospi_il est lauteur dune théorie qui se veut opérationnelle, objective et donc scientifique.
Il entend définir le définit le droit, phénomène universel, selon plusieurs critères qui le caractériseraient dans toute société, ces critères sont au nombre de quatre, lautorité, lintention dapplication universelle, lobligatio et la sanction.
a Lautorité
" Jai dit-il appliqué le terme " droit " (ius, Recht) aux principes qui gouvernent les décisions émanant des autorités (leaders) dans les groupes et qui sont réellement en vigueur. "
Vivre dans un groupe est une nécessité biologique, mais un groupe social nest pas une réunion amorphe dindividus de la même espèce. Il est toujours structuré. Les individus qui le composent ne sont jamais complètement égaux entre eux. Les opinions de ceux qui dominent les interactions dans la société sont manifestement plus importantes que celles de ceux qui ne le font pas.
Selon Pospisil, les résultats disponibles de la recherche sérieuse (en matière ethnologique, sociologique, socio-psychologique et primatologique), mettent en évidence luniversalité de lautorité dirigeante dans les groupes humains. Commandement et autorité signifient élaborer des décisions et éliminer des conflits, laspect du droit comme principes contenus dans les décisions des autorités est universel dans les sociétés humaines.
La présence dune autorité qui prend les décisions devient dès lors un critère du droit.
b - Intention dapplication universelle
Ce ne sont pas toutes les décisions émanant dune autorité qui présentent un caractère juridique.
Les conducteurs de troupe, les chefs tribaux, les juges, peuvent émettre des opinions morales qui ne lient pas en droit, des idées tenant à des préférences purement personnelles, ou des décisions politiques. Il faut distinguer les décisions dites juridiques de celles qui ne le sont pas.
Le deuxième critère du droit permet de distinguer décision juridique et décision politique.
La différence entre le droit et la politique réside dans le fait quune décision juridique est toujours fondée sur un principe général sous-jacent qui a été appliqué à des cas similaires dans le passé, tandis que les décisions politiques sont prises ad hoc.
En prenant une décision juridique, lautorité habilitée à le faire veut que cette décision soit appliquée dans tous les cas similaires ou identiques dans lavenir.
Cest ce que Pospisil appelle " intention dapplication universelle ". Cette intention se manifeste sous la forme dune référence à un précédent, à une règle explicite, à un acte législatif, ou bien elle est expressément formulée par lautorité qui prend la décision.
c Obligatio
Pospisil désigne sous par le nom latin obligatio, la structure dune décision juridique. Une décision juridique définit les droits de la partie qui en bénéficie et le devoir de la partie débitrice. Elle précise la relation sociale des deux plaideurs telle que celle-ci était supposée exister quand le droit a été violé en même temps quelle qualifie la faute qui a déséquilibré cette relation. Dans toute décision juridique, il faut que soit exposé aussi bien le droit que le devoir de chacune des parties au procès, à ne pas confondre avec la sanction. Lobligatio cest la situation telle que lautorité la conçoit.
Lobligatio différentie le droit de la religion : lobligatio suppose une relation entre deux individus vivants. Les obligations envers le surnaturel ou les morts, dont les intérêts ne sont pas représentés par des personnes vivantes (prêtres ou shamans) nentrent pas dans le domaine du droit
d La sanction
La sanction est le dernier des attributs du droit, il nest pas nécessaire quelle soit de nature physique. Les sanctions non physiques, telles que les sanctions économiques (amendes, paiement de dommages-intérêts, restitution), psychologiques (le ridicule, la réprimande, lostracisme organisé) et socio-politique (excommunication, abandon, dégradation, retrait de titres ou de privilèges) sont dune importance considérable dans beaucoup de sociétés et souvent plus efficaces que le châtiment physique.
Nous pouvons définir la sanction juridique, dit Pospisil, comme une mesure négative de retrait de récompense ou de faveurs qui auraient pu être obtenues si le droit navait pas été violé, ou comme une action positive consistant à infliger lexpérience dune situation physiquement ou psychologiquement pénible
La sanction a aussi la fonction dun critère, elle sépare le droit dune catégorie de phénomènes sociaux que lon peu appeler moraux.
Pour cet auteur, il existe dans toute société deux types de droit.
Ces deux catégories de droit ne sont nullement étanches, et le changement juridique sexplique en grande partie par le transfert de qualification dune norme ou dun comportement dune catégorie à lautre.
Intérêt : cette théorie présente lavantage de nous fournir un cadre précis qui se veut applicable à toutes les sociétés.
Critique : certains contestent quil le soit réellement : lobservation ethnographique montre que parfois, un des quatre critères définis par Pospi_il fait défaut. Il faut alors admettre que soit, une société peut ne pas avoir de droit, ce quil conteste, soit que sa théorie nest pas universellement applicable, ce quil conteste également.
C Les théories élaborées dans le cadre du LAJP
Partant dune démarche méthodologique qui permet denglober tous les aspects du phénomène juridique, le professeur Michel Alliot, fondateur du LAJP (Laboratoire dAnthropologie Juridique de Paris, Paris I) a donné une définition du droit susceptible de sappliquer à toutes les sociétés, à sa suite, le professeur Étienne Le Roy tente daffiner létude et de dégager les critères de la juridicité.
1° - La démarche méthodologique dobservation des phénomènes juridiques
Selon léquipe du LAJP, le droit, dans nimporte quelle société ne peut être saisi en étudiant uniquement les règles ou les modes de réglementer des conflits, ou ce quen disent les intéressés. Pour saisir la réalité du droit dans une société donnée il faut se situer à trois niveaux différents, il faut analyser, les discours, les pratiques et les représentations.
a Les discours
Par discours, on entend les énoncés explicites, écrits ou oraux : les lois, les codes, les coutumes, les allocutions, les adages, etc. Trop souvent, le juriste occidental se borne à lanalyse de ces discours et de préférence, ceux qui sont écrits (tout en sachant consciemment ou inconsciemment quils ne reflètent pas la réalité du droit positif).
b Les pratiques
Les pratiques ce sont les actes posés par les individus et les groupes. Si ce niveau est essentiel à la compréhension des droits dans les sociétés traditionnelles où le droit est largement réaliste, le droit de chacun découlant moins de règles explicites que dactes qui lui fournissent sa dénomination (ex : défricheur a un droit de hache), il est également essentiel à la connaissance du droit dans les sociétés dites " modernes ", la pratique des acteurs ayant tendance parfois à modifier lapplication, la portée dune règle explicite de droit.
c Les représentations
Ce sont les croyances et constructions symboliques : elles donnent leur sens aux actes et aux discours auxquels les associent ceux qui les accomplissent ou les prononcent, ainsi quaux entreprises de ceux qui les invoquent ou les critiquent. Ces représentations sont en générales plurielles, car la maîtrise du droit est lenjeu dont cherchent à semparer certains groupes sociaux, ce qui expliquent quà lintérieur dune même société le droit, dans tel ou tel secteur (ex. la propriété) pourra être considérée comme juste ou injuste.
2° - La définition du droit de M. Alliot et ses implications
Michel Alliot : " le droit est mise en forme des luttes et consensus sur le résultat des luttes dans les domaines que la société tient pour vitaux. "
Le droit est moins un type particulier de relations sociales quune qualification spécifique que chaque société choisit de donner à certaines relations sociales, et qui détermine la variabilité du juridique. Mais si toute société manie à sa guise les processus de juridicisation, ceux-ci sont cependant fondés sur un impératif qui leur est commun : assurer la régulation de ce quelles considèrent comme essentiel à leur perpétuation.
Cela implique que :
a - le droit ne se réduit pas à la formulation quen on fait les sociétés occidentales :
Par nature le droit nest lié ni à lexistence de lÉtat, ni à la définition de règles explicites ni à la reconnaissance de sa " rationalité ".
Dans ce cas lindividu sera conçu dabord par référence aux groupes auxquels il appartient, la compétition entre les groupes est limitée, le champ du droit y est restreint et sa formulation vise plutôt à une recherche au cas par cas de léquité quà la prescription de règle générales et permanentes.
b Le champ du juridique est caractérisé par une très grande variabilité
En règle générale quand une société valorise les facteurs économiques (surdétermine les liens entre lhomme et les choses) les rapports humains sont réifiés et le droit étend son empire. À linverse, les références à léquité, la bonne foi, la conciliation, sont plus fréquentes dans les sociétés qui valorisent les liens entre les hommes plus que les liens avec les choses.
La variabilité du droit repose sur des logiques fondatrices différentes :
Donc il faut rechercher quels sont ces enjeux quune société tient pour vitaux et donc quelle juridicise. Cest ce que tente de faire Étienne Le Roy.
3° - Étienne Le Roy et la juridicité
Étienne Le Roy part du postulat que " le droit est plus petit que les relations entre les hommes ". Si tous les faits juridiques sont des faits sociaux, tous les faits sociaux ne sont pas juridiques, par contre un fait social devenu juridique reste toujours aussi un fait social. En devenant juridiques, les faits sociaux ajoutent le caractère juridique à leur nature sociale, mais ils ne changent pas de nature. Les faits juridiques, sont des faits sociaux mais ils ont quelque chose en plus qui les rend juridique.
Les faits sociaux deviennent " du droit " sous le bénéfice dun facteur de juridicisation que Le doyen Carbonnier a étudié sous lappellation " critère de juridicité ". Pour cet auteur, le signe diacritique de la juridicité est la neutralité de la règle juridique, mais cette neutralité ne se trouve pas dans tous les droits, aussi Étienne Le Roy lui en préfère un autre.
Pour Etienne Le Roy le meilleur critère de juridicité est celui de la reproduction de la vie en société, il cite Pierre Legendre selon lequel le droit est " lart dogmatique de nouer le social, le biologique et linconscient pour assurer la reproduction de lhumanité. "
Il y a trois grand registre vitaux pour la société et relevant à ce titre de la juridicité : la reproduction biologique (la vie transmise ou retirée), la reproduction idéologique (la vie dans son contexte de savoir, de mémoire et de savoir-faire) et la reproduction écologique (la vie dans son environnement matériel en relation avec les autres êtres vivants). Vaste programme qui ne nous permet pas de déterminer ce qui est droit et ce qui est simplement social.
Étienne Le Roy montre que la juridicité a une signification différente pour les juristes, les sociologues et les anthropologues, mais que le droit est susceptibles de différents montages.
a - La juridicité : attribut, critère, propriété
Étienne Le Roy défini la juridicité comme la " ligne de partage entre le droit et le social non juridique [ ] le caractère hypothétique par lequel les règles de droit peuvent être mises à part de lensemble des règles de conduite sociale ".
Plusieurs approches permettent de distinguer le droit dautres règles de comportement social ou du social en général :
Étienne Le Roy pense que lon peut conjuguer les trois points de vue, mais il ne nous donne pas vraiment de solution, quest-ce qui fait quun fait social est en même temps juridique ? le fait quil consacre des armistices sociaux sur ce que la société considère comme vital ? ceci on ne peut lapprécier que si on a déjà qualifié le fait en question comme un fait juridique. On est devant un cercle vicieux.
Néanmoins, les analyses dÉtienne Le Roy ne nous laissent pas dans une impasse, car sil ne nous éclaire pas totalement sur le critère de juridicité, il nous apporte une explication intéressante des variabilités des systèmes juridiques ainsi quun outil danalyse précieux avec ses trois fondements du droit ou de la juridicité
b - Les trois fondements du droit
Selon ELR le droit est tripode, il repose sur trois pieds :
Les fondements de la juridicité varient avec les cultures, les traditions juridiques et il propose quelques exemples dans un tableau :
Variabilité des montages de la juridicité
Traditions juridiques |
Fondement privilégié |
Fondement de 2e ordre |
Fondement de 3e ordre |
Occidentale/chrétienne |
NGI |
MCC |
SDD |
Africaine/animiste |
MCC |
SDD |
NGI |
Asiatique/confucénne |
SDD |
MCC |
NGI |
Arabe/musulmane |
NGI |
SDD |
MCC |
Ces théories de léquipe du LAJP rendent bien compte des causes de la variabilité juridique et de la nature du processus de juridicisation.
Mais leur orientation culturaliste les conduit à plus insister sur ce qui fait la diversité des sociétés que leur unité.
Toutes ces théories ont lavantage sur les explications classiques du droit de posséder un degré élevé de scientificité car elles ont basées sur lobservation dune gamme étendue de sociétés qui inclut mais ne privilégie pas les nôtres.
Malgré tout, il semble bien que Norbert Rouland et le doyen Vedel naient pas tort. On ne peut que penser le droit, mais si nous ne savons pas ce quest le droit nous savons bien ce que serait une société sans droit.