(Cours dhistoire du Droit de Geneviève Chrétien-Vernicos (
GVERNICOU@aol.com)DEUG Première année - Université Paris 8 Vincennes - Saint Denis - 2001-2002
Cours n° 3)
Remarque : ne pas confondre hindou et indien. Les habitants de lInde sont des Indiens, parmi ceux-ci, ceux qui se réclament de lhindouisme (religion) sont des Hindous.
Droit Indien et droit hindou ne sont pas synonymes : le droit indien cest le droit de lÉtat indien qui sapplique à tous ses ressortissants quelle que soit leur religion, le droit hindou cest le droit qui ne sapplique quà la communauté hindoue.
Lexposé des conceptions hindoues du droit commence par un paradoxe car nulle part dans la tradition hindoue, il nexiste de terme pour expliquer le concept de droit. En 1772, le gouverneur britannique, ordonna que " dans tous les procès concernant les successions, le mariage, les castes et autres usages et institutions religieuses " on applique aux Hindous leurs propres lois. On dû alors faire un effort pour étudier et traduire les livres sanskrits dans lesquels étaient codifiées les " lois hindoues ". Ces livres étaient ce quon appelait des " traités de dharma " ; Doù léquation faite par les traducteurs occidentaux :
traité de dharma = livre de droit, code,
et
dharma = droit.
Les Indiens ont suivi cette pratique. Cependant, lorsque lon a traduit le concept de droit dans les langues modernes on a utilisé dautres termes. Ainsi, dans les dictionnaires hindi modernes on a deux termes pour droit, lun emprunté à la tradition arabo-persanne (musulmane) kanun, et lautre à la tradition sanskrite (hindoue) vidhi. Et lorsque la Constitution indienne fut traduite en hindi, vidhi est devenue la traduction officielle pour droit.
Ceci est dû au fait que les langues indiennes modernes avaient toutes utilisé le mot dharma pour désigner un autre concept importé dOccident : religion.
Lidée dun droit séparé de la religion ou dune religion séparée des autres règles de vie sociale nexiste pas dans la tradition hindoue. Le pivot du système est le dharma, qui nest ni religion, ni droit, mais qui représente les conceptions hindoues du droit.
Nous verrons dabord, la notion de dharma(§1) puis les sources du dharma (§2) et enfin, les caractères du dharma (§3)
§1 Notion de dharma
Dharma est formé avec le suffixe ma sur la racine dhar ou dhr. Cette racine exprime laction de tenir, supporter, maintenir, préserver, garder. Dharma cest la manière selon laquelle, ou les moyens par lesquels, quelquun tient, supporte ou maintient. Par un glissement de sens cela devient non seulement la manière de faire les choses mais la seule manière de les faire.
Dharma cest la manière dont on doit tenir porter, supporter ou maintenir.
Au niveau cosmique, dharma est la manière dont on maintient toute chose, la manière dont le cosmos ou léquilibre du cosmos est maintenu. Au niveau microscopique, cest la manière dont chaque élément constitutif du cosmos contribue pour sa part à maintenir léquilibre général.
Certes, chaque élément cosmique a son propre dharma, mais en pratique les Hindous portent leur attention sur le dharma des êtres vivants. Chaque individu a son propre dharma, son svadharma déterminé essentiellement par deux facteurs : lappartenance à lune des quatre étapes de la vie (asrama), lappartenance à lune des quatre classes sociales (varna).
Le dharma de chacun cest la manière dont il doit se comporter pour soutenir lordre cosmique existant.
Le dharma dune personne régule toutes ses activités quelle quen soit la nature.
1 - Ses activités quotidiennes
Quand elle doit se réveiller, comment elle doit diviser sa journée, quand elle va aller se coucher.
Sa nourriture, ce quelle doit manger, qualitativement et quantitativement.
2 - Les relations humaines avec les pouvoirs surnaturelles
Il prescrit les rituels des cérémonies par lesquelles ces relations sont entretenues, et par-là, il a à faire avec la religion
3 - Les relations dun individu avec ses semblables
Le dharma gouverne aussi les contacts sociaux, dont beaucoup daspects appartiennent au, pour nous, champ du droit
Le droit hindou est, avec tous les autres aspects des activités dun hindou, partie du dharma hindou.
Les règles du droit hindou seront trouvées dans les dharmasastras les traités de dharma, mais ces textes contiennent une multitude dautres règles qui ont peu ou rien en commun avec le droit. En outre le dharma principale source de droit admet auprès de lui dautres sources.
§ 2 Les sources du droit hindou
Les sources du droit hindou sont le dharma, dont il nous faut voir les sources matérielles, mais aussi la bonne coutume.
A Les sources matérielles du dharma
Le dharma provient dune Révélation (sruti), qui par la suite a été partiellement écrite, puis de la tradition et enfin des commentaires, qui ont été faits des précédents.
1° -La Révélation ou la littérature sruti
Sruti, śruti, shruti, signifie audition, doù entendu, doù révélé.
Le dharma provient dune révélation dont ont bénéficié quelques élus et qui a été partiellement mise par écrit dans des textes sacrés appelés Véda, qui signifie la connaissance (latin video, voir) mais aussi sagesse.
Les védas consistent en quatre recueils dont le plus ancien le Rigveda date denviron 1100 avant J.C. M. Sinha écrit que le Rigveda est " le texte le plus sacré pour les Hindous " et quil constitue " une partie de la tradition hindoue vivante ".
Cette littérature védique est essentiellement dordre religieux elle a eu besoin dêtre développée et interprétée.
2° - La Tradition ou la littérature smriti
smrti cest la mémoire ce dont on se souvient = la Tradition.
Des auteurs humains, des Sages, ont entre 600 et 100 avt J.C. interprété les révélations et les ont moulées dans une science juridique du dharma. Leurs ouvrages sont en général appelés dharmasastras : traités de dharma mais on en distingue chronologiquement deux types : les dharmasutras et les dharmasastras.
On appelle dharmasutras, la première littérature smriti. Ce sont des manuels de dharma en prose (succincte et énigmatique), utilisée également pour dautres branches du savoir (yoga, architecture ). Ils énoncent les préceptes de dharma sous forme daphorismes.
Ils ont sans doute été composés entre 600 et 300 avt JC.
Les plus anciens et les plus célèbres, sont ceux attribués à Gautama, Apastamba, Vasistha et Baudhayana.
Les premiers dharmasutras sont très vagues et ils portent peu dattention aux aspects juridiques du dharma.
Avec le temps de plus en plus de règles de droit apparaissent et encore plus dans les dharmasastras.
Puis sont apparus les dharmasastras, qui ont donné leur nom à lensemble.
Ils sont plus détaillés et sont écrits en vers, (distiques de 32 syllabes appelés sloka)
Les plus significatifs sont ceux de
Il est devenu le plus influent des exposés de droit et de doctrine hindoue aussi bien aux Indes quen Asie du Sud-Est.
On fait entrer aussi dans les dharmasastras, les poèmes épiques, tels le Mahabharata :
Le noyau du récit doit dater denviron 500 avt ; mais le texte actuel contient beaucoup daditions ultérieures et il est impossible de dater les diverses parties avec exactitude. Une date entre 200 avt et 200 après n. è., en gros contemporaine de Manu est quelque fois utilisée.
Il est divisé en 18 parties plus petites (parvan). Les passages de doctrines juridiques se trouvent pour la plupart dans la 12e partie le Santi parva, dans les 129 premiers chapitres, Bishan (lauteur supposé des passages juridiques) discourt sur les devoirs du roi (rajadharma) ; les 38 suivants traitent des devoirs spéciaux en temps de détresse apaddharma ; les 189 chapitres de fin dun moindre intérêt juridique traitent de la délivrance de lexistence terrestre (mokshadharma).
Enfin on place parmi les sources du droit un ouvrage qui appartient à lartha (la science de lutile et du gouvernement)
Cest un ouvrage machiavélique, qui met laccent sur lartha au dépend du dharma et assurant que la fin justifie les moyens.
3° - Les commentaires, les nibandhas
À partir du VIIIe siècle on cesse décrire de nouveaux dharmasastras. Dorénavant on va les interpréter dans des ouvrages souvent appelés digestes, les nibandhas. Ils ont été beaucoup utilisés durant la période coloniale, mais les spécialiste de dharma semblent en faire peu de cas.
La coutume achara est aussi considérée comme une source de droit, il sagit de " la pratique étendue et sans ambiguïté des vertueux ".
Les dharmasastras eux-mêmes évoquent la possibilité de la coutume, ils lappellent la pratique des bons sadacara ou pratique des savants sistacara.
Ainsi il a été affirmé : " les lois de pays, castes, familles qui ne sont pas opposés (contraires) aux textes (sacrés) ont aussi autorité. "
" Les cultivateurs, les commerçants, les éleveurs, les préteurs et les artisans (ont autorité pour dire les règles) pour leur classe respective.
" Ayant entendu (létat des) affaires de ceux qui (dans chaque classe) ont autorité pour parler il donnera la décision juridique. "
Selon un auteur, si en principe les sastras sont la source théorique du droit, en pratique, les maximes et coutumes étaient dominantes.
Dans chaque localité, chaque caste a ses propres coutumes, son propre tribunal, le panchayat, ou assemblée locale. Cette assemblée résout toues les difficultés interne à la caste, en sappuyant sur lopinion publique en son sein ; elle juge selon le dharma tel quil est adapté aux besoins locaux de la caste ; elle intervient en toutes matières religieuses et aussi juridiques, elle inflige des sanctions pouvant aller du mépris jusquà lexclusion de la caste.
§ 3 Les caractères du dharma
Le dharma qui est ce qui se rapproche le plus de ce que nous appelons droit est cependant particulier.
A Le dharma ne connaît pas les droits mais uniquement les devoirs
Fondé sur la croyance quil existe un ordre de lunivers inhérent à la nature des choses, nécessaires à la préservation du monde. Le dharma est lensemble des obligations qui simposent aux hommes, parce quelles découlent de lordre naturel des choses. En conséquence, notre concept de droit subjectif (fondement de notre droit actuel) apparaîtrait pour un Hindou profondément exotique : le dharma est concentré sur lidée de devoir, non de droit.
Un dharma particulier est développé dans les dharmasastras, cest celui du roi et il consiste lui aussi en devoirs. Le roi est nommé raja parce que son dharma le plus élevé est de rendre ses sujets heureux (ranjayati). Encore une fois, ses devoirs sont envisagés comme une contribution au maintien de léquilibre général. Sa responsabilité est de maintenir la balance entre les individus dans son royaume. Il doit protéger le faible contre les attaques du fort, que ce dernier ne dévore pas le premier comme poisson dans leau.
B Le dharma consacre linégalité sociale
Le dharma nest pas le même pour tous, il dépend dune part, de la caste de lindividu et dautre part, de son âge, du stade de vie dans lequel il se trouve.
Lorganisation sociale de lInde est caractérisée par les castes.
La caste est un ensemble de personnes à qui la naissance permet de contracter mariage entre elles et de manger ensemble. (Endogamy, commensality, craft exclusiveness)
Selon un texte du Rigveda, les Hindous sont répartis en principe en quatrr classes (varņas) :
Le reste de la population est rejetée hors des castes : les chandalas ou parias.
Le système est en réalité beaucoup plus complexe, car il se combine avec un autre système appelé jati qui existait déjà en Inde au moment de linvasion des tribus ariennes.
On compte environ 2000 castes (jâti) ordonnée hiérarchiquement chaque caste ayant un réel mépris pour les castes inférieures.
2° - Les stades de la vie ashram ou asaram ou asrama
Idéalement, la vie de chaque personne (mâle) passe par quatre étapes.
C Le dharma est un droit révélé mais pas absolu
Contrairement aux droits révélés comme le droit juif ou le droit musulman, le dharma se propose sans simposer, et il nest que théoriquement immuable
1° - Le dharma se propose sans simposer
Les dharmaśāstra se sont superposés à une société existante dans laquelle, chaque caste, chaque région, chaque famille, chaque groupement, avait ses coutumes particulières.
Les brahmanes qui ont composé les dharmaśāstra nétaient pas de purs théoriciens, cependant, ils ne se considéraient pas comme des législateurs mais comme des moralistes dont la mission essentielle était de révéler aux hommes les règles de conduite résultant de la nature des choses. Si la règle actuellement suivie, la règle coutumière est conforme à lenseignement des śāstra, elle se trouve définitivement consacrée, elle joint à la force contraignante dont lassortie la société lautorité de la règle de dharma. Mais, en cas de conflit, la règle de dharma ne peut que seffacer devant la règle coutumière. Au commun des hommes absorbé dans leur tache quotidienne on ne peut reprocher de sen tenir à leurs coutumes ancestrales. Aussi bien, les dharmaśāstra eux-mêmes reconnaissent la primauté de la coutume sur la règle de dharma. Il ne fait aucun mal déclare Manu (IV, 178), celui qui suit la coutume de ses ancêtres. Et le même auteur recommande au roi de se renseigner sur les usages des castes, des pays, des guildes, des familles et de fixer en conséquence les devoirs de chacun (VIII, 41).
Ainsi, en raison de sa nature même, la règle de dharma ne peut pas simposer, elle ne peut que se proposer. Les prescriptions des dharmaśāstra ne deviennent règles de droit que lorsquelles sont acceptées par la population et entrées dans la pratique.
2° - Le dharma nest que théoriquement immuable
Selon la théorie, le dharma, révélé, est éternel et immuable. Néanmoins, il apparaît que les textes bien que présentant une fascinante uniformité, donnent parfois des solutions différentes au même problème, on pourrait penser quil sagit de variations locales ou temporelles mais parfois les variations sont dans un même texte. Les auteurs hindous ont alors deux explications.
Non contents doffrir des solutions différentes pour le même problème, les textes permettent explicitement des types de variations spéciaux.
En de nombreuses occasions, après quun sujet particulier du dharma a été énoncé, des règles supplémentaires sont introduites pour être appliquée seulement en cas dapad, ce qui est généralement traduit en temps de détresse. Mais le mot nest jamais clairement défini. Il peut évidemment se référer à des calamités générales, telles quinondation ou sécheresse, mais il peut aussi se référer à une détresse concernant un seul ou quelques individus. La théorie de lapad peut donc être vue comme une indication que les auteurs des textes sur le dharma admettaient jusquà un certain degré la variation du droit et ladaptation du droit aux circonstances.
La théories selon laquelle le dharma est éternel (sanatana) et immuable doit être adaptée à un autre concept très populaire dans lhindouisme. Les Hindous, comme les anciens Grecs et beaucoup dautres civilisations, croient en la successions de quatre yugas (âges du monde), du meilleur au pire. Le temps présent est le Kaliyuga, lâge de Kali. Le dharma était parfait durant le premier âge, mais il diminue dun quart à chaque âge successif, avec le résultat quà lâge de Kali, dharma se tient sur un pied seulement. En conséquence, de nombreuses pratiques décrites dans les textes du dharma sont appelées Kalivariyas, " pratiques à éviter dans lâge de Kali ".
Par exemple, des dharmasastras plus récents ont utilisé ce critère pour expliquer les positions anciennes et contradictoires sur le lévirat (nigoya) : le lévirat était une pratique commune dans les premiers âges, mais il doit être évité dans le Kaliyuga.
LHindouisme croit, dabord dans la détérioration graduelle à lintérieur de chaque yuga et ensuite à léternel retour avec des interruptions, des quatre âges. La conclusion logique est donc que pour lHindou orthodoxe, dharma et droit sont en fait sujets à des changements continuels.
En faisant traduire les textes de dharma pour quils soient appliqués par les juges (britanniques à lorigine) les Britanniques ont en fait contribué à créer une droit mixte, droit casuistique comme le common law mais dinspiration hindoue. Ce droit a continué à être appliqué après lindépendance, et malgré les projets de codifier tout le droit Indien, une grande partie est encore en vigueur.