Section 2 - la conception asiatique du droit

(Cours d’histoire du Droit de Geneviève Chrétien-Vernicos (GVERNICOU@aol.com)

DEUG Première année - Université Paris 8 Vincennes - Saint Denis - 2001-2002

Cours n° 4)

La conception asiatique du droit, c’est celle qui a cours en Extrême-Orient, en Chine, au Japon, au Vietnam et sans doute ailleurs. Les seuls travaux accessibles ne concernant que la Chine et le Japon, nous nous bornerons à ces deux pays.

Sous-section 1 — la Chine ou la dévalorisation du droit

Sous-section 2 — Le Japon ou la résistance au droit

Sous-Section 1 — La Chine ou la dévalorisation du droit

Le droit chinois n’est pas comme le droit musulman ou le droit hindou un droit strictement religieux, c’est plutôt un système juridique intégré dans une conception philosophique particulière, le confucianisme. Mais face à un droit à base philosophique s’extériorisant dans des rites (li) les souverains avec l’aide de ceux qu’on appelle les légistes, ont tenté d’imposer un système juridique basé sur la loi (fa). L’histoire du droit chinois est celle de l’antagonisme entre le li et le fa. C’est ce que nous verrons en faisant une brève esquisse historique (§1), puis en analysant les deux conceptions opposées, gouvernement par les hommes ou gouvernement pas les lois (§2), et enfin nous tenterons de voir les caractères du droit chinois traditionnel (§3).

§1 - Esquisse historique

Selon un auteur chinois, la première loi en Chine est apparue il y a plus de 4000 ans durant la dynastie des Xia, la première dynastie dans l’histoire chinoise, mais on ne sait pas grand chose sur cette période et cette dynastie est plus ou moins mythique. La longue histoire de la Chine est une succession de périodes de morcellement et d’unification.

A — Période féodale XIIe siècle avant notre ère /IIIe siècle

C’est la période des dynasties Xia, Shang et des Zhou occidentaux. Elle voit naître un régime féodal (le roi concède des terres et de pouvoirs aux membres de sa famille ou à ses ministres et généraux favoris qui en retour lui font allégeance, lui jurent fidélité), ainsi se développe une classe privilégiée composée surtout de guerriers et de lettrés.

Cette période se termine par celle dite des royaumes combattants durant laquelle des États militaires se font la guerre.

C’est également à la fin de cette période, entre les VIe et le IVe siècles a. n. è. que vivent ceux qui vont le plus influencer la pensée chinoise ; Lao-tseu, Confucius et Mencius (Mengzi 370-290).

B — Ancien Empire IIIe siècle a. n. è./ IIe siècle après

Au troisième siècle, la Chine devient un vaste empire centralisé, grâce à l’action de la dynastie des Qin (Ch’in ou Ts’in) qui donnera son nom au pays. Malgré sa courte durée (221-206) cette dynastie exercera une influence durable sur l’histoire et le droit de la Chine. Son action est continuée par la dynastie des Han (IIe siècle avant, IIe siècle après).

Ensuite, le pays est morcelé en plusieurs royaumes (Période dites des Trois Royaumes) puis après une brève période de réunification (265-316), la Chine va être partagée en une multitude de royaumes tantôt alliés, tantôt adversaires (période dite du grand creuset ou du grand émiettement). Cette période ne se terminera pas avant 589

C — Moyen Empire

La période qu’on appelle du Moyen Empire commence à la fin du VIe siècle, c’est une période de restauration de l’unité de l’Empire et d’expansion chinoise qui a pour effet un développement sans précédent des relations entre l’Asie orientale et les autres régions du continent : Asie centrale, Iran et Inde, pays de l’Asie du Sud Est. D’autre part, la réunification de la Chine et la mise en place d’une bureaucratie puissante incitent à la compilation de nombreuses histoires officielles sur la période de division (fin IIIe à la fin VIe). Le système des concours provoque l’apparition d’encyclopédie de tous genres et l’essor de la poésie.

Cette période se termine, elle aussi, par de nouveaux morcellements et de nouvelles invasions.

D — Le dernier Empire

L’unité sera rétablie par les Mongols qui sous la direction d’un descendant de Genghis-Khan vont fonder une nouvelle dynastie, celle des Yuan, en 1280. Ils seront remplacés par une dynastie chinoise celle des Ming, qui laisseront la place à une dynastie sino-manchoue celle des Qing (T’sing) qui règnera jusqu’en 1912. Le pays connaît alors une immobilisation tant économique de sociale et politique qui aboutira en 1912 à l’effondrement du régime impérial.

§2 - Gouvernement par les hommes ou gouvernement par les lois

Deux modes de gouvernement s’opposent dans la pensée chinoise, le confucianisme et les légistes.

A — La pensée confucéenne ou le Gouvernement pas les hommes (renzhi)

Kongzi, dit Confucius (Kong Fou-tseu, Kong-fuzi : Maître Kong (551-479 a. n.è.)).

1° - Le contexte historique

La pensée de Confucius se comprend en grande partie par son contexte historique, contexte de détérioration de l’ordre moral et politique qui marque dès le VIIIe a. n. è. l’affaiblissement de l’autorité des Zhou sur leurs vassaux, lesquels s’arrogent des prérogatives de plus en plus grandes et s’engagent dans des luttes sans merci pour la suprématie Une distinction se dessine entre les petites vassalités proches de la maison royales des Zhou et les pays plus grands de la périphérie, semi-barbares dont la puissance grandissante culminera dans la conquête finale et l’unification de l’empire par l’un d’eux, le pays de Qin.

Confucius était originaire de Lu, vassalité intimement liée à l’histoire des Zhou mais qui n’échappait pas au phénomène généralisé de l’usurpation et de la spoliation. C’est pour remédier à cette situation que Confucius se donna pour mission de retrouver l’ordre d’antan. Faute de pouvoir réaliser cet idéal en matière politique, il tenta de faire passer ses idées dans son enseignement, consigné par ses disciples dans les Entretiens.

2° - La pensée confucéenne

Si l’on conduit le peuple au moyen des lois et qu’on réalise la règle uniforme à l’aide de châtiments, le peuple cherchera à éviter les châtiments mais il n’aura pas le sentiment de la honte (chi). Si on conduit le peuple au moyen de la vertu et qu’on réalise la règle uniforme à l’aide des rites, le peuple acquerra le sens de la honte (chi) et en outre deviendra meilleur ".(LUNYU [Entretiens de Confucius], 2, 3.

Confucius pensait que le sens de la honte implanté dans le cœur des hommes par les rites (li) a pour effet, que les gens résistent à commettre un crime pour des raisons morales et non pas par peur d’être punis.

Confucius pense que l’homme naît bon, mais qu’il risque de devenir mauvais à cause d’un milieu mauvais, donc si on l’éduque bien il reste bon.

Dans la pensée confucéenne la honte provient de toute violation d’une obligation sociale, même d’une règle de l’étiquette. Une action est honteuse dès qu’elle ne correspond pas à au statut social de l’acteur.

Les confucéens préfèrent le gouvernement par l’exemple. Le souverain et les hommes vertueux, les sages (junzi) sont censés par leur conduite incarner l’adhésion aux rites. Ainsi le peuple est éduqué l’ordre social demeure en harmonie avec l’ordre naturel.

Sans nier l’utilité des châtiments, les confucéens en limitent l’application à la masse du peuple. Et même dans l’application des sanctions le souverain doit tenir compte de considérations morales et sociales. Le respect des rites, la loyauté envers l’empereur, et la piété filiale appellent la bienveillance du souverain et du mandarin alors que la violation de ces normes ne peut qu’aggraver leurs sentences. C’est la " voie royale " du gouvernement, le gouvernement par les hommes.

B — Les légistes ou le gouvernement par les lois (fazhi)

L’École des lois (fajia) ou Légistes prennent à contre pied les théories de Confucius

1e — Le contexte

Les théories des légistes trouvent leur origine dans les théories élaborées par un disciple de Confucius, Xunzi qui vécut entre 300-237 env. au moment où l’État de Qin commence l’entreprise qui allait le rendre maître des principautés chinoises qui se combattaient. Il ne pense pas que l’homme soit bon naturellement, il pense que c’est l’étude et sans doute la société, c’est-à-dire la contrainte qui conduisent l’homme vers la justice et la bienséance. Il confie à la société, à la répression le soin de diriger l’homme, de corriger ce qu’il recèle de méchant ou du moins de mauvais. C’est lui qui forma les deux hommes qui s’illustrèrent comme les théoriciens de l’école des lois, ou légisme et qui furent les conseilles du terrible Qin shi Huangi.

2° L’École des lois (fajia)

Li si (Premier ministre du premier empereur Qin) et Han Feizi.

S’il fallait attendre qu’on eut trouvé un bois qui fut droit naturellement, on n’arriverait pas à faire une flèche en cent générations. S’il fallait attendre qu’on eut trouvé un bois qui fut rond naturellement, on n’arriverait pas à faire une roue en mille générations ".

Pour eux, le seul fondement de la morale c’est la crainte de la police et des magistrats. La seule fin de la société l’ordre et le rendement. Le prince légifère, les fonctionnaires fixent les châtiments. Au lieu de gouverner par les rites on gouvernera par les codes et la peur. Ils sont les seuls dans la tradition chinoise à avoir élevé la loi au rang de norme suprême publique, objective, impérative

Lorsque le roi de Qin eut unifié les dernières principautés, son ministre décida d’appliquer à toute la Chine les méthodes qui l’avaient rendu invincible. On convoqua les fonctionnaires pour leur demander leur avis sur cette révolution autoritaire et centralisatrice. Un confucéen crut bon de critiquer. Li si répliqua très durement et accusa les confucéens de complot et d’exciter le peuple à la révolte et il conseilla au roi de jeter au feu " tous les écrits pernicieux du confucianisme " l’empereur approuva, tout en gardant un exemplaire de chaque livre dans sa bibliothèque personnelle. Mais les Confucéens savaient les livres par cœur et pouvaient les transmettre de la bouche à l’oreille, donc on assure que Li si fit arrêter en masse les confucéens et que 460 d’entre eux furent enterrés vifs.

Mais en 206 un homme du peuple dirigea une rébellion qui mit fin à la dynastie des Qin et fonda la sienne, celle des Han, non sans avoir auparavant mis le feu à la bibliothèque impériale où l’on avait entreposé une collection des livres condamnés. Cependant ce n’était pas la fin du Confucianisme, en effet, l’École des lois avait constitué le fondement idéologique les excès dont s’était rendu coupable l’empereur des Qin, elle était donc particulièrement impopulaire, aussi sous les Han ils furent désavoués et le confucianisme devint la doctrine officielle.

Durant toute l’histoire de la Chine ces deux écoles d pensée se feront concurrence, le confucianisme ayant cependant tendance à l’emporter le plus souvent.

§ 3 — Les caractères du droit chinois traditionnel

Les caractères du droit chinois traditionnel ou plus exactement les conceptions traditionnelles du droit en Chine reflètent les deux écoles de pensée dont on vient de parler.

A — héritage du confucianisme

Le confucianisme a légué à la pensée chinoise, d’une part, la méfiance envers le droit, d’autre part, la notion de li.

1° - La méfiance envers le droit

Selon une légende, le droit aurait été inventé au XXIIIe siècle avant notre ère par un peuple barbare, les Miao qui ont par la suite été exterminés par les dieux.

Le proverbe dit : " l’État est bien administré quand l’escalier de l’école est usé et que l’herbe croît sur celui du tribunal ".

L’idée domine que le recours au droit est un symptôme d’échec indigne d’un homme civilisé.

Le peuple chinois vit normalement en dehors du droit. Il ne se demande pas quelles règles sont formulées par les lois, il ne va pas devant les juges mais il règle ses rapports avec autrui conformément à son sens de ce qui est convenable, en ayant en vue la conciliation et l’harmonie.

On évite le procès car il est déshonorant comme portant atteinte à la paix sociale : il faut toujours chercher le compromis, la conciliation, la solution transactionnelle qui ménage l’un et l’autre.

Le li doit suffire pour maintenir l’ordre

(En 1994 on dénombrait en Chine plus de 10 millions de médiateurs : la médiation civile domine le règlement des conflits familiaux)

1° - La notion de li

C’est en chinois la notion qui se rapproche le plus de notre concept de droit, et pourtant il en est loin.

a — Contenu du li

Le li c’est l’ensemble des règles de convenances et de bienséances qui s’impose à l’honnête homme. Ce sont à la fois les usages quotidiens des gens ordinaires et des lois morales proposées par des hommes de grande vertu.

Ces règles expriment l’ordre naturel auquel l’homme tend, ce sont des règles de comportement, mais ce ne sont pas des règles générales car elles diffèrent selon les personnes entre lesquelles des rapports existent. Il y a des rites propres à chaque type de rapport entre les hommes, dans la famille, dans le clan, dans la société.

b — Le li ne connaît pas les droits subjectifs

Selon ces règles, les hommes n’ont pas de droits, mais uniquement des devoirs : envers leurs semblables, envers leurs supérieurs, envers la société. L’idéal est la soumission à ses supérieurs dans le cadre des " cinq relations " décrites par Confucius : le jeune au vieux, le fils au père, l’épouse à l’époux, l’ami à l’ami, le sujet au prince.

Selon les confucianistes le li devrait suffire à maintenir l’ordre, mais ils reconnaissent qu’il ne peut suffire à l’égard de tous les hommes, le li c’est le droit des gens de bien, mais pour la masse, les criminels, et ceux qui ne sont pas civilisés, comme les étrangers, il faut des lois :" le li ne descend pas jusqu’au peuple, les châtiments ne montent pas jusqu’aux nobles. "

B — héritage des légistes : le fa

L’héritage des légistes c’est le fa, le droit, les lois. En effet les lois ne sont pas ignorées de la tradition chinoise, elles sont nombreuses et anciennes mais cantonnées à un domaine.

1° - Nombreux codes

Il y a eu des codes avant même la formation de l’État unitaire, on en connaît au moins dix huit dont les plus anciens remontent au IVe siècle a. n. è. mais ils n’ont pas été conservés. Le premier code intégralement conservé est celui des Tang, en 737 ap. J.C., postérieurement viendront celui des Song de 963, des Ming en 1367, et des Qing en 1647.

Chaque dynastie ou presque fait son code en reprenant de nombreux éléments aux recueils anciens, ainsi ils comportent souvent jusqu’à 1500 articles

2° Caractère répressif et administratif uniquement

Ces codifications s’ordonnent en deux séries distinctes : le huidian, Code de l’administration, le lüli, Code pénal visant les fonctionnaires et l’ensemble de la population. Les deux types de codes suivent les mêmes divisions, qui correspondent à la répartition des compétences entre les six ministères composant le gouvernement.

En fait, ces codes sont autant considérés comme des archives des actes gouvernementaux : ils comprennent souvent une législation périmée. D’autre part, même s’ils peuvent être portés à la connaissance du public (le coupable qui peut réciter l’article du code visant le comportement qui lui est reproché bénéficie d’un allègement de peine) ils sont avant tout destinés à l'administration.

En ce qui concerne la partie pénale, ils énoncent jusqu’à 2000 infractions. Les peines sont sévères : la mort, la déportation, les travaux forcés, le fouet, la bastonnade. Parmi les crimes les plus graves figure l’insubordination filiale, parce qu’elle porte atteinte à l’autorité du père de famille.

Ils n’interviennent pas dans le domaine des coutumes qui régissent une grande partie de la vie sociale.

 

Sous-section 2 — le droit japonais ou la résistance au droit

Pour mieux comprendre la conception japonaise du droit (§ 2) il est utile de voir d’abord l’histoire du droit au japon (§ 1).

§1 - Aperçu historique du droit japonais de l’origine jusqu’en 1868

On peut diviser l’histoire du droit japonais en trois périodes, l’antiquité, la période des ritsu-ryô et la période féodale.

A — première époque, la société antique

Les premières informations écrites sur le Japon sont données par des livres chinois.

D’après chroniques de la dynastie Han, la société japonaise était vers le Ier siècle divisée en des centaines de clans indépendants se combattant les uns les autres. Au IIe siècle env., ces clans se regroupent graduellement en une trentaine de pays. Au début du IIIe siècle, ces groupes furent unis sous la puissance de la reine Himiko ou Himéko de l’État Yamatai, certains pensent que c’est l’ancêtre de la famille impériale.

Himiko était considérée comme un pontife qui administrait le culte des ancêtres. La religion japonaise considère les ancêtres comme des dieux et, partant, elle servait les dieux. Le fondement de sa puissance politique était donc religieux.

En témoignage de ce fait, les mots japonais ancien désignant les affaires politiques se rapportent à la religion : gouverner se dit en japonais ancien shiroshimesu ou shirasu, les deux mots signifient connaître. Le but essentiel de la politique consiste à connaître la volonté des dieux. La politique est appelé en japonais " matsurigoto " qui veut dire culte religieux. Et la loi nori vient de noru " déclarer ". La loi est la volonté des dieux déclarée par l’intercesseur entre les dieux et le peuple. L’intercesseur était presque toujours une femme. Mais Himiko n’exécutait pas elle-même la volonté des dieux, c’est son frère qui se chargeait de l’exécution de la volonté divine. Elle régnait, mais ne gouvernait pas.

- Les institutions politico-juridique reflétaient la manière de penser propre au peuple japonais. Ainsi, les Japonais antiques considéraient les délits comme de simples souillures que les dieux détestaient et ils cherchaient à s’en purifier par des cérémonies religieuses

B — L’époque du régime du Ritsu-ryô

1° — Institutions politiques

Le pouvoir impérial peu à peu laïcisé était menacé d’usurpation par des clans puissants. Les partisans de la famille impériale cherchèrent à le stabiliser en concentrant tous les pouvoirs étatiques dans le Gouvernement de l’empereur. En outre, un gouvernement bureaucratique très centralisé était établi en Chine : pour se défendre contre une invasion éventuelle, la cohésion nationale était urgente.

-> début du VIIe siècle, (réforme de Taika 646) On voit apparaître une organisation étatique centralisée comme en Chine (malgré la résistance des clans puissants.)

L’empereur gouverne personnellement et toutes les institutions politiques chinoises sont transplantées au japon.

2° — Droit : les ritsu-ryô

À l’instar de la Chine, plusieurs code furent promulgués et mis en application. Ce système juridique s’appelle le système de ritsu-ryô parce que ces codes sont composés de deux parties, celle de ritsu et celle de ryô.

Ritsu est un corps de règles répressives et ryô un corps de règles admonitives (réprimande sans condamner). Ces lois ont un caractère fortement moral, lié étroitement à la doctrine confucéenne selon lequel le ritsu-ryô a pour mission soit activement d’encourager le peuple à faire le bien, soit négativement de punir le mal qu’il commet. Le but de ces lois est d’éduquer le peuple. L’éducation du peuple étant à la charge des fonctionnaires publics, les règles de droit administratif occupent une place très importante. Les règles pénales qui composent le ritsu sont aussi essentielles, celles relatives au droit civil peu nombreuses.

Plusieurs codes de Ritsu-ryo furent promulgués, ils imitent tous assez fidèlement les codes des Tang, puissante dynastie de cette période. La langue employée est le chinois, mais quelques différences.

Le plus fameux est le Taihô ritsu-ryô promulgué dans la première année de l’ère Taihô (701), mais texte perdu.

Celui dont on connaît la plus grande partie est appelé Yôrô ritsu-ryô, promulgué dans la deuxième année de Yôro (718) mis en vigueur 39 ans plus tard.. La partie ritsu est divisée en 12 livres et celle de ryô en 30.

Le but de ces codes étant l’éducation, il faut les faire connaître à tout le monde d’où la création d’une faculté de droit " Myô-bô-dô " institué dans une grande école appelée Daigaku.

Le Daigaku est une école nationale d’administration destinée à former les fonctionnaires d’État. On dit que la science du droit a été l’objet d’un grand respect tout au long de cette période ce qui est un phénomène exceptionnel dans l’histoire japonaise.

Le système du ritsu-ryô n’a pas joui d’une heureuse fortune pendant longtemps. Le milieu culturel très différent de celui de la Chine ne permit pas à ces lois de s’y acclimater. Beaucoup sont tombées en désuétudes et autour d’eux vont se développer des usages de pratiques administrative et judiciaire qui les recouvriront. Le ritsu admet la peine capitale, pas appliquée de 810 à 1156 (346 ans)

Mais pas formellement abrogées et certaines ont été appliquées même après 1868.

3° - Évolution

En vertu du système de ritsu-ryô, le gouvernement impérial a réussi à concentrer tous les pouvoirs étatiques dans ses mains et à priver les grands clans de leurs pouvoirs politiques.

Pour entourer ses pouvoirs d’une autorité religieuse, on a inventé le culte de l’empereur. Il fut censé être un dieu vivant.

VIIIe s. Au début de l’ère Taika, l’empereur proclama, selon l’idéal du confucianisme, que toutes les terres et tous les sujets étaient soumis directement à l’autorité impériale. Fonctions publiques et fonds de terre seront distribués par le pouvoir impérial.

Une certaine étendue de terre déterminée par la loi qui reconnaissait plusieurs catégories de personnes, fut donnée pour sa vie à tout individu d’au moins six ans. (but assurer à l’État des redevances). Fonctions, théoriquement largement ouvertes, pratiquement presque toujours des nobles.

IXe siècle : tendance de plus en plus marquée à l’appropriation des fonctions publiques et des terres. Ces terres appropriées sont appelées shô ou shôen. Cette propriété privée, illégale, et ayant seulement pour but à l’origine d’augmenter les revenus, acquis graduellement un caractère officiel et son titulaire se vit accorder le privilège de l’immunité, exempt de redevance et droit d’empêcher le gouverneur de province d’entrer dans son shô pour prélever les impôts. Ce droit négatif au début sera accompagné ultérieurement de prérogatives en matière de législation, d’administration et de juridiction, exercées dans le cadre du shô.

D’autre part, on voit apparaître une classe militaire. Sous le système du ritsu-ryô, armée : militaires professionnels, plus soldats recrutés dans le peuple. Mais très impopulaire, soldats devaient pourvoir à leurs frais (équipement et nourriture) et les officiers les utilisaient comme leurs domestiques.

è fin VIIIe siècle système supprimé, remplacé par une armée composée des membres des familles puissantes des provinces, lesquelles vont former une classe nouvelle samouraï, bushi ou buke (ou Mononofu).

Le pouvoir central s’affaiblit, la classe militaire agrandit sa puissance les familles Taira (ou Heishi) et Minamoto (ou Genji) tout particulièrement.

XIIe siècle la famille Taira accède au pouvoir politique, son chef est nommé Dajô-daijin Premier ministre. Mais en 1185, elle est battue par la famille Genji dont le chef Yoritomo instaure à Katakura (près de Tokyo) un gouvernement militaire. L’empereur règne mais ne gouverne plus, ce régime durera jusqu’en 1868.

Le régime étatique centralisé du ritsu-ryô cède la place au régime féodal.

C -Le régime féodal

Ce régime passe par deux étapes distinctes : celle de la féodalité dualiste et celle de la féodalité unitaire.

1° — Époque de la féodalité dualiste

Régime mixte de la féodalité et du shô. Les shô ne sont pas supprimés mais ils sont utilisés comme base économique du régime féodal. Le régime féodal ne régit à ce moment que le domaine des buke ou bushi.

Cette période est divisée en deux : l’époque de Kamakura où le gouvernement central des bushis dit Bakufu s’installe à Kamakura et celle de Muromachi (1338-1573) ou des Ashikaga, où le Bakufu, dominé par une autre famille militaire (les Ashikaga) est établie en 1338 à Muromachi (quartier de Kyoto), entre les deux, Restauration de Kemmu (1334) très courte.

a — Traits essentiels du régime féodal de cette période

Traits caractéristiques : se compose de deux éléments, lien de vassalité et bénéfice fondé sur le shô.

Après la victoire de Yoritomo sur la famille Taira, tous les bushis furent soumis à l’autorité de Yoritomo. Un ordre hiérarchique s’établi avec au sommet Yoritomo, chef des buke.

Dans cet ordre l’inférieur doit à son supérieur l’obligation de service dévoué et celui-ci lui donne quelque bénéfice à titre de récompense.

Le lien de vassalité revêt un caractère familial marqué. Chaque groupe de bushi lié par la parenté par le sang constitue un groupe cohérent que son chef dirige. Quand le Bakufu convoque les bushis, il n’a qu’à en donner l’ordre aux chefs de famille.

Le vassal doit à son suzerain une obligation absolue alors qu’il ne peut demander en justice l’exécution des obligations du suzerain.

Le seigneur donne à ses vassaux certains bénéfices à titre de récompense de leurs services. Ces bénéfices sont appelés on ou go-on (on signifie grâce et go préfixe qui représente le sentiment de respect.

L’onkyû (acte par lequel le seigneur accorde ce bénéfice, prestation) est à la lettre, un acte de bienfaisance de la part du seigneur qui n’est en aucune façon lié juridiquement à l’exécuter parce que, le vassal ne peut rien lui demander en justice. Mais en pratique, le seigneur ne peut attendre un service désirable de ses vassaux s’il ne leur attribue pas un bénéfice

[Le lien d’onkyû est né à l’origine autour des shô. Le maître d’un shô donna des bénéfices à une personne qui lui devait des services et des devoirs (pas toujours militaires), le plus souvent la terre. Mais le maître d’un shô a de plus en plus nommé ses serviteurs à des fonctions leur imposant de gérer mes affaires du shô, pour lui permettre d’en recevoir les revenus fonciers. Cette fonction fut appelée shiki (shoku : fonction now), comme cette fonction était toujours accompagnée d’un droit de jouissance sur la terre d’un shô, le mot shiki finit par désigner ce droit.]

Après sa victoire sur les Taira, Yoritomo confisqua tous leurs domaines et les distribua à ses vassaux. Puis il demanda à la Cour Impériales, de se faire nommer jit,ô général.

Le jitô est une fonction du shô, ainsi Yoritomo fut autorisé à envoyer ses vassaux auprès de chaque shô en tant que jitô et il leur permis de jouir du shiki lié à la fonction,, le jitô était en même temps un fonctionnaire public du Bakufu qui avait la mission d’assurer la police et la justice, dans le shô où il était envoyé.

Ainsi Yoritomo put envoyer des Jitô qui étaient des guerriers même sur les shô ne lui appartenant pas. Il y eu des conflits entre les Maîtres de shô et les Jitô, et malgré les efforts du Bakufu pour équilibrer les droits des deux parties, les droits des bushis surpassèrent de plus en plus ceux des maîtres de shô. D’autant plus après la mesure prise par le Bakufu de Muromachi qui ordonna que chaque maître de shô réserve la moitié des redevances de son shô au profit des bushi à tire de provisions militaires.

b — Système juridique

Se caractérise par la coexistence de trois systèmes juridiques :

Kuge : Cour Impériale,  : droit ou loi.

Usages administratifs et judiciaires, fondés sur le ritsu-ryô. Le ritsu-ryô ne cesse de s’appliquer même à cette époque dans le domaine réservé à l’autorité impériale. Le kuge-hô reste en théorie le droit commun, mais son champ d’application et sa force sont de plus en plus limités.. La cour impériale a souvent promulgué des lois, mais elles sont en grande partie de caractère moral : elles ont pour but d’encourager la vie modérée et d’exhorter le peuple à purifier ses mœurs.

Il s’agit du droit coutumier qui s’applique à tous les shô privés. Il varie infiniment dans son contenu et selon les régions où se trouvent les shô. On peut distinguer, la coutume propre à un shô déterminé, la coutume commune à une région, et celle commune à tout le pays.

Le Honjo-hô est lui aussi une variante de ritsu-ryô.

Dès l’origine, les mœurs et coutumes particulières à la classe des bushi se sont graduellement formées. Elles sont appelées les Bushi-do, la voie des bushi (code de chevalerie. Fondé sur elles et appuyé sur le honjo-hô, un troisième système d’établit pour régler les relations entre les bushi.

À titre principal coutumier, mais il y a aussi du droit écrit, appelé shikimoku ou shikijo. Le plus important est la loi promulguée en 1232, appelée Goseibai-shikimoku ou Jôeishikimoku.

Cette loi a, selon le rédacteur lui-même, pour objet de faire connaître au public le droit de Bakufu en vue de rendre impartiale la justice. Ce code n’est applicable qu’à la classe des bushi.

Généralement, le droit de cette période est coutumier et la morale y occupe une place importante. Surtout le droit des buke sur le bushi-dô se distingue des autres à ce propos. Le système moral du bushi-dô repose sur le confucianisme mais il s’est formé d’une manière spontanée dans la vie quotidienne des bushi tout en étant influencé par la pensée confucianiste. D’autre part, la période Kamakura est une période où le bouddhisme a connu un grand essor, il pénètre dans la vie de l’homme du peuple, et son influence a été très grande sur les bushi.

2° — L’époque de la féodalité unitaire

Au fur et à mesure que le pouvoir du Bakufu s’affaiblit, le régime du shô se décompose rapidement.

À la place des anciens propriétaires des shô et des fonctionnaires publics nommés par le Bakufu ou par la cour impériale pour l’administration des shô, surgissent des potentats locaux qui bannissent les deux premiers pour saisir le pouvoir politique dans les territoires conquis. Ainsi, les shô disparaissent les uns après les autres, et on voit vers la fin du XVe siècle de petits États indépendants naître ça et là. Celui qui domine cet État est nommé Sensogu-daimyô. Ils se combattirent les uns les autres. Au bout d’une longue période de violentes guerres privées, et après l’hégémonie de courte durée de Hideyoshi, Tokugawa Iyeyasu réussit à établir la base très solide d’un régime unitaire de féodalité (1603), grâce à sa politique habile et à la politique dite de Sakoku (fermeture du pays) ce régime vivra jusqu’en 1868.

a — L’ordre social

Le nouveau régime est purement féodal : tout le Japon est soumis à la domination des bushis. Le chef du gouvernement central n’est qu’un des daimyô, mais il est le plus grand et le plus fort, et porte le titre de shôgun (signifie à l’origine généralissime).

Il possède le plus grand domaine nommé Tenryô (domaine céleste) qu’il gouverne directement, tandis que le reste des terres est partagé en fiefs entre les daimyô, petits et grands et les vassaux directs du shôgun.

Même la cour impériale était sous la surveillance stricte du shôgun, mais l’empereur restait le symbole de l’unité nationale. Tous les bushis sont rattachés par un lien de vassalité à leur supérieur direct. Les vassaux directs du shogun sont les daimyô, hatamoto, gokenin etc. le reste des bushi sont des vavasseurs à l’égard du shôgun. Pour maintenir cet ordre hiérarchique aussi longtemps que possible, le Bakufu a pris des mesures très sévères.

D’autre part, le Bakufu a adopté le confucianisme comme doctrine officielle afin de le faire servir d’appui moral à l’ordre hiérarchique en vigueur. Il s’efforça de convaincre le peuple que l’ordre établi constituait un ordre naturel immuable

La société japonaise de cette époque est caractérisée par le fait que toutes les relations sociales sont fondées sur un principe rigide et minutieux de surordination et de subordination. Non seulement le lien de vassalité, mais les relations entre maîtres et domestiques, entre parents et enfants, entre mari et femme sont, même parmi les classes autre que celles des bushi, dominées par ce principe.

Les classes qui composent cette société sont :

Les nobles de la cour impériale ne sont pas unis au shogun par un lien de vassalité mais ils sont soumis au contrôle strict du Bakufu.

La classe des roturiers est subdivisée en trois catégories : paysans, artisans commerçants (dans l’ordre hiérarchique).

Les paysans sont pour la forme, les plus respectés parmi les roturiers, mais ils sont débiteurs de redevances et de corvées extrêmement lourdes ; ils sont obligés de vivre une vie extrêmement frugale et de travailler sans repos de l’aube à minuit.

Le chônin, les citadins, ne sont pas plus heureux. Ils exercent l’arisant ou le commerce, mais ils sont censés avoir été admis à le faire par la grâce des bushi. Plusieurs sortes de restrictions sont imposées à leur vie en vue de les empêcher d’excéder leur bungen. Ce mot bungen est très important pour comprendre l’ordre hiérarchique. À la lettre, il signifie, séparation. Chaque état social est séparé des autres par une limite infranchissable. Tout individu est attaché dès sa naissance à un état social déterminé qui lui imposer une manière de vie adaptée à son état (maison, vêtements, couleurs, nourriture).

L’arrogance des bushi est très grande. Ils méprisent les classes inférieures, seulement parce qu’elles ne sont pas bushi. Ils ont dédaigné surtout le commerce.

b — Le droit

Le droit coutumier est dominant dans tous les domaines

Le système juridique n’est pas unifié. Chacun des han, c’est-à-dire, chacun des territoires partagés entre les mains des daimyô en fief, jouissant de l’autonomie politico-juridique avait un droit propre à son domaine. Le droit du Bakufu ne s’appliquait en principe que dans le cadre du domaine gouverné directement par le Shogun. Néanmoins tous les droits des han lui ressemblent. Ainsi, ce régime est composé de deux éléments : un pouvoir central assez fort et des han autonomes qui se rapprochent en se différentiant de lui à l’image de la force centripète et de la force centrifuge.

À coté du droit coutumier, des lois ont été établies ou par le Bakufu ou par chacun des han. Elles concernent en majeure partie les matières relatives au maintien du régime féodal.

Il s’agit moins de codes proprement dits que de directives adressées à l’autorité judiciaire parce que ce texte ne peut être consulté que par trois bugyö, à savoir les hauts magistrats de trois juridictions importants du Bakufu.

Le droit de cette époque est fortement soumis à l’influence du confucianisme. Sur ce point il ressemble au système de ritsu-ryô. Mais différence essentielle : Sous le système du ritsu-ryô on s’était proposé de diriger et d’éduquer le peuple, partant de lui faire connaître le droit en vue de maintenir la sécurité publique et d’assurer la perception des impôts.

Le Bakufu des Tokugawa a voulu au contraire atteindre les mêmes buts en contraignant le peuple à obéir sans mot dire comme les animaux domestiques. Plus ignorants et dociles étaient les individus plus il semblait facile au Bakufu de réaliser sa politique.. " Au peuple ne faites rien savoir, mais faites-le obéir ".

On ne doit pas censurer les gouvernants du pays où l’on habite. Si l’on n’occupe pas un poste qui nous en accorde la compétence, on ne doit pas critiquer la politique de l’État. Il est contraire à la loyauté et à la loyauté et à la fidélité que l’inférieur blâme son supérieur ".

Comme l’aveu de l’inculpé était presque le seul moyen de preuve, la torture était officiellement admise.

En conséquence, le droit ne signifiait pas autre chose pour la majorité des japonais que les moyens de contrainte employés par les autorités pour réaliser leur volonté. C’est ainsi que dans la psychologie des Japonais un complexe dit menju-fukukai s’est formé. Cela veut dire qu’on obéit à son supérieur en apparence, mais on se rebelle contre lui au fond de son cœur.

Aussi ne trouve-t-on pas dans le Japon de ce temps une classe de juriste de métier comme il s’en est formé de bonne heure en France et en Angleterre. La fonction judiciaire ne se distingue pas des autres fonctions publiques.

Cet état de chose a continué à exister presque sans changement pendant plus de deux cents. Il va sans dire que ce fait a beaucoup contribué à former la conception du droit des Japonais.

La psychologie du Japonais a été dominée par le seul souci de sa sécurité personnelle.

On s’est préoccupé d’éviter ce qu’on appelle kakariai être impliqué dans des affaires gênantes..

§2 — La conception du droit des japonais

Les Japonais conçoivent généralement le droit comme un appareil de contrainte que l’État emploie quand il veut imposer sa volonté au peuple. Droit est ainsi synonyme de peine. Pour les Japonais honnêtes le droit apparaît comme une chose indésirable, voire détestable, dont il est souhaitable de s’éloigner autant que possible. Ne jamais avoir recours au droit et ne jamais être poursuivi par le droit, telle est la manière normale de se comporter des honnête gens.

Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait aucune règle de conduite ayant pour fonction de maintenir l’ordre social. Avant que le système moderne de droit étatique n’ait été établi, un système moins logique de règles sociales qui n’étaient pas proprement juridique a orienté la vie collective des japonais et ce système demeure encore vivant à côté du système mieux défini du droit étatique

A — Les règles de Giri

La société japonaise n’est pas gouvernée par le droit, mais par des règles de conduites dites de giri. Ces règles, sont des règles de conduites mais elles ne présupposent pas entre les sujets qu’elles régissent l’existence de relations de droits et d’obligations.

Giri (gi = juste ou droiture ; ri = raison ou procédé raisonnable) signifie la manière dont on doit se comporter à l’égard d’autrui en tenant compte de sa situation sociale

1° - Le giri est un devoir bien particulier

Le giri est un devoir, mais on en peut en exiger l’exécution, il est perpétuel et censé fondé sur des relations d’affections

a - Le giri est un devoir

C’est l'état d’une personne qui est tenue de se comporter comme il faut à l’égard d’une autre personne déterminée.

Le contenu de ce devoir varie infiniment selon la situation où est placé le sujet du devoir et en fonction de la personne envers laquelle ce devoir existe.

Il y a ainsi le giri de l’enfant à l’égard de ses parents, celui du disciple à l’égard de son maître, celui de l’employé à l’égard de son employeur, celui de l’obligé à l’égard de son bienfaiteur, celui du camarade à l’égard d’un autre camarade etc.

b — le giri est un devoir dont on ne peut exiger l’exécution

La personne envers qui existe le devoir n’a pas pour autant le droit d’exiger du sujet du devoir qu’il l’exécute.

Elle doit attendre que celui-ci s’acquitte volontairement.

Certes celui qui n’a pas satisfait à son giri de la manière voulue est sérieusement deshonoré, mais l’autre partie doit se garder de l’obliger par une contrainte extérieure à remplir son devoir. S’il le fait, il viole à son tour son propre giri..

c - Les relations de giri sont perpétuelles

Elles ne disparaissent pas même lorsqu’un devoir dérivant de ces relations est acquitté par le débiteur au sens large du devoir.

Les relations de giri se maintiennent en dehors de tout délai déterminé et donnent sans cesse naissance à des devoirs. Même entre un marchand et son client, les relations tendent à être stabilisés. Si des relations de giri s’établissent entre eux, le client qui achète chez un autre marchand est considéré comme manquant à son giri.

d — Les relations de giri s’appuient sur des sentiments d’affection

Les relations de giri ne doivent pas être conçues en considération des intérêts ou du profit escompté. En pratique, il est vrai que toutes les relations de giri ne sont pas toujours soutenues par un sentiment désintéressé, mais on doit se comporter, du moins en apparence comme si l’on était poussé par un sentiment d’affection doublant un sentiment de devoir. Ce sentiment est appelé en japonais ninjô (affection naturelle humaine).

2° — Les relations de giri sont imbues des principes d’un ordre hiérarchique de caractère féodal

On a vu que rester fidèle à son bungen était la vertu capitale demandée au Japonais dans la société féodale japonaise. Cette tradition n’a pas perdu toute sa force. Il s’ensuit, que le contenu du giri d’un inférieur social envers son supérieur n’est pas équivalent, même quand il s’agit d’une relation de devoirs réciproques, à celui du giri de ce supérieur à l’égard de son inférieur.

Les relations entre les marchands et leurs clients sont dominées par le principe de hiérarchie, ceux-ci étant toujours considérés par le seul fait qu’ils sont clients comme supérieurs à ceux-ci. Le marchand pour se conformer à son propre giri doit donc manifester à l’égard de son client une déférence propre à démontrer son infériorité.

Le bon chef de service, ne s’acquitte pas bien de son giri envers ses subordonnés s’il ne fait que les diriger dans leur activité professionnelle. Le bon chef est celui qui se soucie en même temps des affaires personnelles ou domestiques de ses inférieurs. En contre partie ceux-ci doivent être prêts à aider leur chef dan ses affaires privées : par exemple, en cas de déménagements, ils lui servent de domestiques à titre gratuit.

3° — Les règles de giri ne sont pas imposées par un appareil de contrainte étatique

Elles sont sanctionnées seulement par le sentiment d’honneur. Ceux qui ont manqué à un giri sont gravement déshonorés aux yeux de ceux qui les entourent. On perd la face.

Distinction entre la civilisation fondée sur le péché et celle fondée sur le principe de la honte.

Dans la première, on s’efforce d’éviter le mal uniquement parce qu’on ne veut pas avoir à se le reprocher dans le for de la conscience.

Dans la civilisation de la honte, au contraire, chacun s’abstient de commettre une faute, afin de ne pas être blâmé par autrui. Par conséquent s’il n’y a personne pour voir son auteur, celui-ci commettra facilement une faute, car il ne pourra pas de ce fait être déshonoré.

B — Influence des règles de giri sur la vie juridique proprement dite

L’affaire bien connue (pour les plus de vingt ans) de Minimata est un exemple très intéressant de l’attitude des Japonais face au droit, nous en exposeront les faits avant de tenter d’en donner une explication.

1° - L’affaire de Minimata

Minimata était un petit village de pécheur. Au commencement du XXe siècle l’usine de la société Chisso fut invitée à s’y installer. Minimata se développa avec la société. Après la WWII, la Sté Chisso entreprit de fabriquer de l’acétaldéhyde. Peu de temps après on commença à voir mourir des poissons, des oiseaux, puis des chats.

En 1953, dans la banlieue un homme fut atteint du système nerveux central. Puis jusque vers 1960 des cas de maladie semblable se multiplièrent. Dès 1956, on avait entrepris de rechercher la cause de la maladie. On soupçonnait les eaux rejetées par l’usine. On demanda à la Sté, à plusieurs reprise de cesser l’évacuation des eaux polluées, de prendre des mesures en faveur des malades et de les dédommager. La société ne répondit pas. En 1959, un groupe de chercheur de L’Université de Kumamoto annonça que la maladie provenait de mercure, mais sans pouvoir en préciser l’origine. Les victimes renouvelèrent leurs demandes à la Sté Chisso. Celle-ci continua à faire la sourde oreille même après qu’un médecin de l’hôpital ait provoqué la maladie de Minimata chez un chat en lui faisant boire de l’eau de l’usine.

Des troubles se produisirent : les pêcheurs envahirent l’usine, la police intervint, certains furent blessés. Les malades manifestèrent devant l’usine pendant un mois. Un effort de conciliation fut entrepris, il aboutit en 1959.

– Conciliation : comité organisé : personnes importantes de la région : préfet du département, président du conseil régional, maire de la ville etc. Certains avaient été en relation avec la société : le maire avait été un responsable de l’usine.

Les indemnités furent fixées de manière très modeste. Même en 1959, c’étaient des chiffres incroyablement faibles. Il faut souligner que de plus, ces sommes étaient versées " à titre de consolation ", aucun paragraphe du document de conciliation ne mentionnait la responsabilité de la Société ; qu’il était précisé, au contraire que la société ne paierait aucune indemnité complémentaire s’il était établi que l’eau évacuée de son usine était la cause des dommages, alors qu’elle pourrait suspendre tout paiement si l’absence de causalité était établie

– En 1964, maladie comparable près de la ville de Niigata. Le gouvernement intervint rapidement, une commission technique enquêta sur la cause de la maladie. Elle aboutit à une conclusion qui ne fut divulgué qu’en 1967. La maladie était causée par l’eau polluée d’une usine. Dans l’intervalle, les victimes avaient vainement demandé des mesures à la société, au préfet du département, au maire de la ville ? On s’était borné à imposer une conciliation dérisoire. Elles avaient refusé, elles poursuivirent d’abord leurs efforts hors du tribunal, puis comprirent qu’il fallait lutter devant le tribunal pour protéger leur droit : intentèrent un procès en dommage et intérêt. Très important dans l’histoire du droit du Japon, d’autres victimes de maladies dues à la pollution les suivirent, à la fin même les victimes de Minimata.

En 1967, le gvt publie les rapport sur la cause de la maladie de Niigata, et y joignit un autre sur la maladie de Minimata : la maladie était bien causée par le mercure contenu dans l’eau évacué par l’usine Chisso. Malgré la conciliation de 1959, se posait à nouveau le pb de l’indemnisation des victimes.

– En 1970, une conciliation se réalise sous l’égide du " comité pour la compensation de la maladie de Minimata ". Les indemnisations offertes étaient considérablement plus élevées que la première. Le protocole de conciliation déclarait que ce comité avait pour fonction " d’intervenir pour régler le conflit et non pas de rendre une décision judiciaire (sur la responsabilité de la Société) ". Il a joutait " étant donné qu’il est constaté que la maladie a été causée par l’évacuation de l’eau polluée provenant de l’usine Chisso, et étant donné que les victimes souffrent de la maladie ou sont mortes, il convient socialement et moralement que la Société verse une compensation quelle que soit sa responsabilité civile ".

– Ceux qui avaient refusé la conciliation intentèrent un procès en dommage-intérêts, en 1973 le tribunal déclara la Société responsable des maladies. Il obligea à payer aux victimes des dommages—intérêt variant de 16 millions de yen (230000 F) à 18 millions 257000 F), contre la 2e conciliation 4 millions (57000 F) à un million sept (24 300F) et la première 377 000 (5400 F) à 773 000 yen (11400 F).

2° Explication : attitude des Japonais face au droit

Si les Japonais ont introduit dans leur pays un droit d’inspiration occidentale, ils oublient ce droit lorsque surgit un conflit dans leur société.

La société japonaise était une société verticale et même après la WWII elle l’est restée. C’est la puissance du supérieur sur l’inférieur qui était la norme de la vie japonaise.

Cela nous permet de comprendre les réactions de la population devant la maladie de Minimata. La société Chisso avait pu imposer aux victimes une conciliation léonine parce que c’est grâce à elle que s’était développée la ville. La Société par sa puissance financière, dominait la vie politique et économique de la ville. Pour les habitants de Minimata elle était le supérieur.

Le supérieur n’exerçait cependant pas sur l’inférieur des pouvoirs sans limite. Il lui accordait de temps en temps des faveurs. Mais l’inférieur ayant bénéficié de ces faveurs se sentait assujettis à un devoir à l’égard du supérieur. C’est le Giri.

Si les victimes de Minimata ont accepté la conciliation de 1959, c’est bien entendu sous le poids de la contrainte économique. Mais il y avait une autre raison : c’est qu’un Giri existait entre la Société et les habitants de la ville, donc entre les victimes et entre les victimes et les autres habitants. Parmi les victimes, certaines avaient des parents qui travaillaient dans la Société Chisso. Par là même elles devaient ressentir le Giri envers la société. Il est probable que le Giri qui existait entre les victimes a également empêché certaines d’entre elles d’agir à leur guise.

En outre, au jugement qui tranche le différend d’une façon " blanc ou noir ", les Japonais préfèrent la conciliation. Le professeur Kawasima écrit " Les formes courantes de règlement des conflits au Japon sont les moyens extrajudiciaires de la réconciliation et de la conciliation. Par réconciliation, il faut entendre le procédé par lequel les parties en conflit délibèrent et parviennent à un point sur lequel elles s’accordent, recréant ainsi une relation harmonieuse… la conciliation, forme modifiée de la réconciliation est la réconciliation par l’intermédiaire d’une tierce personne ".

La conciliation suppose un intermédiaire qui dispose d’une certaine autorité à l’égard des parties ; qui autrement dit soit leur supérieur. Il propose les termes de la conciliation en se gardant de donner raison à l’une ou l’autre, mais en leur demandant à l’une et à l’autre de se faire des concessions dans un esprit de paix. Les deux parties sont pratiquement obligées d’accepter les propositions pour " respecter la face de l’intermédiaire ", puisque celui-ci est leur supérieur et que parfois elles sont liées à lui par le giri. Les parties acceptent d’arrêter le conflit dans un esprit de paix ; on dit qu’elles font " couler le différend dans l’eau ".

Conciliation de Minimata : des comités ont été organisés parce que intermédiaire était nécessaire. Intermédiaire aurait pu être une personnalité importante, on a préféré un comité pour donner une plus grande impression d’impartialité ou pour diluer la responsabilité du conciliateur. De 1959 à 1970, le comité est monté du niveau de la région au niveau de l’État. C’était pour maintenir la supériorité de l’intermédiaire par rapport aux parties en jeu.

Cet exemple permet de souligner l’attitude des dirigeants japonais à l’égard du droit. Il est clair qu’ils n’ont pas cherché à faire pénétrer le droit dans la société. Non seulement ils n’ont pas encouragé les citoyens à intenter des procès, mais dans certains domaines ils les ont découragés. Dans de nombreux conflits (bailleurs/locataires, grands propriétaires/petits fermiers, employeurs/employés) le gouvernement n’a pas renforcé le droit de ceux qui se trouvaient dans la situation la plus faible : il a établi des institutions de conciliation dans le système judiciaire.