Section 3 Les droits originellement africains
(Cours dhistoire du Droit de Geneviève Chrétien-Vernicos (
GVERNICOU@aol.com)DEUG Première année - Université Paris 8 Vincennes - Saint Denis - 2001-2002
Cours n° 5)
Introduction
Peut-on parler de droit africain, alors quau cours de leur histoire, certaines sociétés africaines ont connu lÉtat sous la forme dempire que dautres étaient organisées en petits royaumes ou chefferies et que dautres ne connaissait quune structure sociale élémentaire, (lorganisation parentale assurant la totalité des fonctions politiques). Les ethnologues ont parfois été sceptiques, mais on a dû constater " quil y a véritablement une unité de droits africains, même parmi les peuples différents ethniquement, par leur mode de vie et par leur organisation. "
Ce qui ne devrait pas nous surprendre car lon sait par de nombreuses études historiques que lAfrique précoloniale connaissait une civilisation originale avec ces valeurs propres, ce que lon a appelé " la négritude " et sil est vrai que le droit révèle une certaine manière denvisager le monde, les rapports sociaux et la justice il est normal que ces valeurs communes à lAfrique noire se reflètent dans son droit
Sous ce vocable on entend droits en vigueur avant la colonisation. Ces droits nétaient pas écrits, ils résultaient de la pratique. Durant la colonisation, on en a mis par écrit, dans des ouvrages appelés coutumiers (comme avait fait le roi de France : rédaction des coutumes) et on a parlé de droit coutumier. Mais on sest rendu compte plus tard que cette tentative navait fait que déformer ces droits, on a même dit quon avait ainsi inventé une nouvelle catégorie de droit, le droit coutumier. Aussi, aujourdhui on parle de droits traditionnels ou de droits originellement africains. Malgré la colonisation, et lacculturation qui sen est suivie, malgré les Indépendances et ladoption dun droit inspiré du droit occidental, il apparaît que les populations africaines ont tendance à éviter le droit dinspiration étrangère et à continuer autant ce faire que peut à suivre leurs pratiques traditionnelles, aussi on peut les connaître, en lisant les ouvrages dethnologie ou danthropologie juridique assez anciens, mais également grâce aux recherches récentes souvent effectuées maintenant par des chercheurs africains.
§ 1 La vision du monde africaine
Grâce à de grands ethnologues (Marcel Griaule, G.Dieterlen ) on connaît bien la mythologie des Dogon (peuple qui habite au Mali dans la partie sud-ouest de la boucle du Niger, une région montagneuse appelée " falaises de Bandiagara "). Cette mythologie ressemble dailleurs à celle des temples de la vallée du Nil. Dans lun ou lautre cas, le monde est le résultat transitoire dune création par différenciation (A) et il en résulte que ce sont les différences qui unissent et sont à la base de la cohésion de la société (B) .
A Le monde a été créé par différenciation
Dans la tradition africaine, le monde nest que transitoire, il est né de la différenciation des énergies qui étaient au sein du chaos, il est le résultat fragile des luttes entre les forces de lordre et les forces du désordre. Aussi, lhomme ainsi que tous les êtres rationnels on pour mission de faire triompher lordre à tout moment.
1° - Le monde na pas été créé ex-nihilo
Avant la création, il y avait le chaos. Le chaos nétait pas le néant : bien au contraire, il contenait, indistinct, tout lavenir en puissance, aussi bien la création que le créateur lui-même. Au sein du chaos se sont distingués peu à peu, le dieu primordial puis dautres dieux primordiaux lesquels ne sont pas des personnes mais plutôt le développement du chaos, des énergies, dont les puissances apparaissent en se différentiant, le plus souvent en couples complémentaires.
À leur tour, ces puissances vont tirer du chaos le monde visible et tout ce qui sy trouve, et enfin lhomme, souvent après des essais mal réussis (souvent trois, symbole de la pluralité).(Et même il y faudra le sacrifice et la résurrection de Nommo chez les Dogon ou dOsiris en Égypte). Depuis, les projets et les conflits des puissances divines rendent compte de la présence, dans le monde et en chaque homme, de lordre et du désordre, du bien et du mal, du juste et de linjuste.
2° - Toujours en mouvement, lunivers est toujours en péril
Ces cosmogonies qui retracent lhistoire du chaos des origines à aujourdhui, ont peut les lire comme des cosmologies, enseignant que lapparence nest stable que dans la mesure fragile où les forces dordre lemportent sur les puissances de désordre.
Selon Jacqueline Roumeguere, dans la tradition africaine, il ny a pas un univers mais trois :
1 LUnivers de création, de chaos, univers dénergie pure non maîtrisée, auquel nous navons pas accès, univers destructeur, univers de désordre. Auquel est associée la femme (parce quelle accouche donc elle crée).
2 LUnivers de lordre, de la mise en ordre, monde dénergie sacrée qui organise lensemble des forces. Qui a une polarité masculine (lhomme étant le contraire de la femme, il est chargé de lordre).
Cest aussi à ce deuxième monde que se rattache le monde du pouvoir
3 Le monde aléatoire, le monde visible, celui où nous vivons
Cest également le monde où se combattent lordre et le désordre. Cest aussi le résultat de la lutte entre lordre et le désordre.
Et dans cet univers, tous les êtres rationnels, cest-à-dire : les génies, les ancêtres et les hommes doivent faire en sorte que les forces de lordre lemportent sur les forces du désordre.
Autrement dit lunivers est toujours en péril, et lhomme est essentiel à son maintien en équilibre.
Dans cette incertitude, lhomme tient une place exceptionnelle.
Par la parole, il rend la réalité cohérente, faisant passer sa représentation du monde invisible de la pensée au monde visible du réel.
Par les rites quil accomplit, il permet aux puissances divines de faire triompher lordre.
Par la divination, il oriente son action malgré les apparences muettes ou trompeuses dans lequel il vit.
Par la magie, il fait servir luniversel à ses desseins et concourt lui-même au plus vaste dessein de la création.
B La société animiste tire sa cohésion de ses différences
La création par différenciation progressive des éléments du monde actuel doit être distinguée de celles où ils sont tous tirés du néant par le Créateur.
Lorsquils ont tous été tirés du néant, sils sont unis, ce nest pas par leurs différences, cest par leur soumission au même Dieu et à sa loi.
Dans la création par différenciation, ce sont les différences qui rendent complémentaires et solidaires. Les sociétés africaines obéissent ainsi à une logique plurale [ ]
Le fait que des hommes, dans une création sociétale progressive se sont fait paysans et dautres forgerons, chasseurs, guerriers ou griots, les oblige à vivre les uns avec les autres, les uns par les autres
Le fait que dans un mouvement de différenciation analogue à celui des cosmogonies, se sont peu à peu distingués le maître de la terre, le chef politique, le maître des travaux agricoles collectifs, le maître de la pluie, le maître des récoltes et le maître de linvisible a pour résultat que nul ne peut exercer son pouvoir sans lassentiment des autres. Tous les mythes de fondation relatent avec soin lorigine de ces différences créatrices de solidarité qui assurent la cohésion sociale.
Dans de telles sociétés, les législations uniformisantes sont ressenties comme destructrices de lunité et lÉtat, quand il a existé na jamais tenté dimposer de telles législations (avant de se concevoir selon le modèle européen).
Outre la solidarité qui résulte de la différenciation, un système social hiérarchique et gérontocratique, reflet lui aussi dune cosmologie filiatique, un état desprit unanimiste invitant à multiplier les conseils, une préférence pour la conciliation et létablissement incessant dalliances (notamment matrimoniales) entre les éléments concurrents dune société sont considérés comme les meilleurs garants de la cohésion sociale.
§ 2 Reflet de cette vision dans le droit et la société
Le Droit est fortement marqué par cette interdépendance qui pèse sur les hommes et par le sentiment de très grande responsabilité qui en découle et dont ne les décharge vraiment aucun système de règles préétablies.
Il en résulte que le droit traditionnel reconnaît la coexistence du monde visible et invisible (A), que la société est organisée selon le modèle communautariste (B), et que le droit africain est un droit de modèles négocié (C).
A Le droit africain prend en compte les mondes visible et invisible
Comme nous venons de la dire, le monde africain est multiple et le droit africain en tient compte. Ceci peut sobserver à différents égard, nous nen donnerons ici que quelques exemples, dune part, nous verrons que le monde invisible est à la source de lautorité du droit africain, et dautre part, que la définition et le traitement des infractions sont conçues en fonction des deux mondes (visible et invisible).
1° - Dans la source de son autorité
La source la plus importante de lautorité du droit traditionnel consiste dans les croyances religieuses et les rituels de la communauté.
Un aspect du système de croyance qui mérite une mention spéciale considère que le groupe ou la communauté est une succession continuelle infinie de générations, une personne morale englobant les vivants et les morts. Le droit de la communauté est donc conçu et accepté comme la possession et lhéritage dune chaîne infinie de générations. Il jouit du support moral et il est lobjet de la vigilance jalouse non seulement des contemporains vivants mais aussi des ancêtres disparus. Lintérêt de ces derniers que lautorité du droit soit observée à tout moment, quun attachement inébranlable à, et une stricte observation de ces doctrines soient considérés comme un devoir par les survivants est une part absolument essentielle de lintégration des mythes auxquelles tous les membres adultes sont exposés au cours du processus de socialisation.
Cette foi que lesprit des ancêtres est incarné dans le droit est un facteur précieux et puissant duquel dérive un " intérêt interne "ressenti par un membre individuel et qui influence son comportement envers les murs et les usages de sa communauté.
Cest aussi la principale explication du fait que les rituels sacrés et les formes de cérémonies forment une partie inséparable de processus juridique. Et puisque cest ainsi, cela explique que toute violation du droit est en même temps une violation de la religion. Une infraction juridique nest pas seulement une simple question de transgression dune règle coutumière ou de comportement. Cest aussi une violation dune règle religieuse. Faire amende pour avoir violé une règle de droit en payant une compensation qui restaure les conditions du statu quo ante nest pas la fin de la question. Il y a la dimension spirituelle à soccuper avant que la question puisse être considérée comme terminée. Le fautif doit faire une cérémonie expiatoire qui est la condition nécessaire et suffisante pour quil se purge de lopprobre et ainsi se libère ainsi que sa communauté des fardeaux de linexorable rétribution par lesprit des ancêtres morts, qui comme nous lavons déjà dit ont aussi leur intérêt à ce que le droit soit préservé intact contre toute chose qui dérogerait à la plénitude de son autorité et de son contrôle.
2° - Dans sa définition et son traitement des infractions
Est considéré comme crime dans les sociétés traditionnelles tout ce qui perturbe les forces vitales et tout acte qui porte atteinte à la sûreté publique. Comme dans nos sociétés, le crime a une nature physique, mais et cest la différence il a également une nature mystique.
" Le crime est à lorigine de tout désordre ontologique. Si un groupe est confronté à une épidémie, à des inondations, à la foudre, à des maladies, à la sécheresse, et il nen recherchera pas les causes naturelles, car rien nest naturel, rien nest le fait du hasard. Si tel événement sest produit, cela signifie que telle volonté sest manifestée. Il y a donc eu crime. Les auteurs de lacte peuvent être les mânes, les génies, les hommes, les sorciers, peu importe il faut combattre ce désordre. "
Ainsi parmi les infractions traditionnelles on trouve beaucoup datteintes au sacré, souillure de la terre (par le sang, violation des interdits) et surtout la sorcellerie. La preuve de celle-ci nest dailleurs pas logique mais mystique, si on accuse un individu dêtre sorcier il accepte avec résignation car il peut détenir lorgane de sorcellerie sans le savoir.
Le caractère sacré se manifeste aussi au stade de la sanction ; la compensation au group de la victime ne suffit pas, il faut aussi procéder à des rites purificatoires pour sallier les puissances divines et recouvrer léquilibre
B - le modèle communautariste
Les relations sociales dans les sociétés traditionnelles peuvent être qualifiées de communautariste, cest-à-dire que les hommes sont regroupés en diverses communautés (1°). Ils ne sont jamais envisagés en tant quindividus isolés (2°) et la personnalité juridique nexiste qua travers son statut dans la communauté (3°).
1° - La notion de communauté
La communauté est une certaine organisation des relations quentretiennent les hommes entre eux et avec le monde.
La communauté se définit non par une ressemblance mais par un triple partage.
a Partage dune même vie
Cest le partage dun même espace, dune vie quotidienne, le partage dancêtres communs, dune langue commune (dans ses mots et son idéologie) des mêmes divinités, des mêmes amis et des mêmes ennemis.
b Partage de la totalité des spécificités
Les communautés valorisent plus leurs spécificités que leurs similitudes, les hiérarchies que légalité. Mais ces spécificités sont partagées car elles ne constituent pas de foyers de tensions ou doppositions entre les groupes qui en sont porteurs. Au contraire ceux-ci ont tendance à se penser comme complémentaires
La spécificité de chacun est nécessaire à la vie des autres. Et cest là le fondement de la société. La plupart des mythes de fondation de communautés montrent que les individus semblables ne peuvent pas fonder la société politique si au préalable ils ne sont pas différenciés.
En principe, Linterdépendance de tous les pouvoirs fait que, sauf crise, aucun pouvoir ne peut tendre à devenir absolu.
(Le droit des communautés na pas besoin dun pouvoir qui veuille le maintenir, il est la conséquence nécessaire de leur structure.)
c Partage dun champ décisionnel commun
Une communauté coïncide avec une aire sur laquelle les mêmes règles sappliquent. Et elle ne doit pas permettre que des règles puissent être fixées par dautres quelle-même : ni par certains de ses membres qui sarrogeraient un pouvoir de commandement et de contrainte, ni à lextérieur delle-même.
Il y a pour chaque communauté un champ décisionnel, des espaces décisionnels, tous complémentaires les uns des autres et dont lensemble constitue vis-à-vis de lextérieur un champ décisionnel aussi autonome que possible.
2° - Laspect communautaire tend à dominer laspect individuel
Ce que nous voulons dire par-là cest dune part que lhomme ne se considère et nest considéré que comme membre de sa communauté et quen outre le droit est plus un droit de groupes que des personnes.
a Lêtre humain se voit dabord en tant que membre dun groupe
Lhomme étant un être social, tout être humain, Occidental ou Africain, est membre dune communauté grande ou petite et parfois de plusieurs. Cependant il y a une différence quant à la manière dont chacun se pense :
LOccidental se pense dabord comme un individu privé indépendant, il cherche en premier à protéger ses droits individuels, et très secondairement à remplir les obligations qui découlent de son appartenance à la société.
Dans les sociétés africaines lhomme se connaît en premier lieu en tant que membre de sa communauté avec des devoirs et des responsabilités et les avantages qui en découlent et cest seulement en second lieu quil est un individu. Ce qui a pour résultat que la pire sanction est lexclusion de la communauté, lostracisme.
b Le droit a une approche communautariste
Le système juridique traditionnel envisage les problèmes par rapport à la communauté et non pas par rapport à lindividu et ce sont les intérêts de la collectivité qui passent en premier. Ceci peut sobserver à différents niveaux :
La gravité dune infraction est jugée non sur lintention mais sur la préméditation, on considère quun acte prémédité est plus dangereux contre la société quun acte intentionnel non prémédité, car son auteur serait susceptible de récidiver. Lintention ou le motif ne deviennent des facteurs à prendre en compte que dans la mesure où ils affectent toute la communauté et empêchent son fonctionnement.
3° Limportance du statut dans la communauté
Dans sa communauté ou ses communautés, lêtre humain occupe une certaine place, cest son statut et cest à travers ce statut quil a en vérité une personnalité " juridique ". Ce statut et donc la personnalité évolue au cours de la vie et il consacre une certaine inégalité.
a La personnalité évolue au cours de la vie
Lenfant ladulte et le vieillard nont pas le même statut et donc pas les mêmes droits. La personnalité (juridique) va saccroître au fur et à mesure que lhomme avance dans la vie
Lenfant bien souvent nest pas tout à fait une personne, souvent on ne lui donne pas de nom véritable, il est à cheval entre le monde invisible et le monde visible, susceptible dy retourner sil ne se plait pas ici bas. Un enfant qui meurt nest pas enterré dans le tombeau familial. Dans certaines régions, on peut éliminer une enfant mal formé ou anormal, ce nest pas un crime.
Le jeune homme aura un peu plus de statut, chez les peuples où existent des initiations, il nest un homme (ou une femme) quaprès celle-ci, souvent avec un nouveau nom.
Mais cest sa participation à la vie de la société qui lui fait peu à peu acquérir une personnalité pleine et entière, mariage, enfants participation à la vie politique de sa communauté.
On peut même dire parfois que lêtre humains devient une personne à part entière car lorsquil meurt, il ne disparaît pas mais il devient un ancêtre et il continuera à participer et même à diriger la vie de sa société en visitant ses descendants en rêve.
b - La justice distributive consiste à donner à chacun selon son statut
Par exemple, chez les Ibos, le style de vie communautaire demande que les ressources de la communauté soient distribuées le plus largement et le plus équitablement possible. Ainsi, non seulement " le partage équitable " est la conception standard de la justice, mais laphorisme le plus rencontré sur le sujet de la justice est " si trois tuent un animal et que seulement deux dentre eux le partagent, il y a injustice ".
On peut remarquer que ces aphorismes sur la justice concernent la chasse qui nest pas toujours une activité communautaire. La signification des aphorismes est que ceux qui ont investi dans une activité communautaire ont le droit de partager les bénéfices matériels et les autres gains qui en découlent. Le principe concerné est celui de la justice distributive. Mais des principes subordonnés sont aussi pris en compte, tel que par exemple celui selon lequel, le chasseur qui a tiré le coup ayant tué ou blessé lanimal a droit à une part plus importante que les autres.
La connexion entre la justice dune part et le corps de droit et de devoirs dans la société traditionnelle Ibo dautre part, est le mieux mis en valeur dans les relations du même groupe familial. Le système de status est tel que par exemple, entre femmes (dans un ménage polygame) lordre de séniorité correspond à lordre de leur mariage, en commençant par le premier. En ce qui concerne les descendants, le sexe et lage sont déterminant. Étant entendu que la structure de lautorité a un parti pris pour les hommes et que la filiation est patrilinéaire, lordre de séniorité va de laîné au benjamin, le long des lignes parallèles eu égard au sexe. Tout ceci doit être compris dans le contexte de la prééminence de lokpara premier fils en matière religieuse, juridique, et sociale. Quil sagisse dhéritage ou du partage dun animal tué dans une fête ou une cérémonie ou de toute autre chose qui doit être partagée, la tradition demande que dans lintérêt de la justice distributive le poids qui lui est dû soit accordé au statut dans les termes de lordre de séniorité ou de tout autre facteur pertinent. Si la part du premier fils était donnée au second ou la part de la deuxième femme à la troisième et vice-versa, ce serait un cas dinjustice. Quand la bonne part a été donnée à lindividu quil fallait, dans le bon ordre de séniorité alors on doit dire que " on a partagé justement et équitablement "
Quand cest une plus large communauté ou le village qui est concerné, la justice distributive implique de tenir compte de tels facteurs tels que lâge, le titre et les relations (familiales ou autres).
Autrement dit le partage équitable nest pas un partage égalitaire, cest un partage à chacun son statut.
C Droit de modèles négociés
En raison de son caractère communautariste, du souci de sauvegarder les différences et de limportance de laction humaine dans le maintien de léquilibre social, le droit africain sexprime rarement en termes de règles générales et abstraites (1°), et comme lunivers animiste il est le résultat dune négociation (2°).
1° - Le droit africain sexprime rarement en termes généraux et abstraits
Ceci peut sobserver aussi bien quant au langage et aux pratique que quant aux modèles utilisés qui eux aussi sont concrets
a - Réalisme du langage et des pratiques
Le droit a souvent un caractère concret, la langue utilisée dans les relations juridiques est souvent celle de la vie courante. Ainsi les Wolof qualifient-ils de " mariage de sable " une union qui ne vise pas à la procréation : il est de ce fait fragile et risque de se dissoudre comme une poignée de sable.
On ne peut être investi dun droit sur la terre que par une action concrète consistant à prendre possession réelle de la terre et à la cultiver.
Le consentement au mariage sexprime par lenvoi et lacceptation de dons particuliers. Le mariage lui-même est conclu par la délivrance physique de la fiancée par sa famille et la délivrance physique de la prestation matrimoniale par la famille du mari. Il ne sagit pas dune action symbolique mais de la conclusion du mariage lui-même. Un Africain ayant fait ses études de droit en France traduit cette situation en disant que " la remise de la dot est une condition de formation du mariage "
b - Cest un droit de modèles concrets
" Vous ne trouverez pas dindigène aussi intelligent et expérimenté soit-il qui peut sengager à donner un exposé systématique et critique dune question juridique particulière [ ] il peut éventuellement citer un certain nombre de maximes et les représenter comme si elles constituaient le droit mais quand on arrive à la pratique on se rend compte quelles sont beaucoup trop générales, beaucoup trop vagues. En réalité elles représentent des guides, des indications qui marquent le chemin à suivre "
Le droit traditionnel nest pas constitué de règles préétablies et uniformes ce qui ne conviendrait pas à la logique plurale qui le domine, sa source principale dit-on est la coutume, mais celle-ci nest pas un ensemble normatif et autonome de règles distinctes quimposeraient la morale, la religion ou les convenances. La coutume nest pas un être : elle est la manière dêtre, de parler, dagir qui permet à chacun de contribuer au mieux au maintien de léquilibre du groupe. Il en résulte quelle est souvent constituée de modèles, non pas de modèles généraux et abstraits comme le droit français (bon père de famille) mais de modèles concrets. Le chef doit se comporter comme X dans telle ou telle circonstance. Le chef de famille doit suivre lexemple de Z dans tel cas de figure.
" Le génie du droit indigène est de rappeler et dencourager à percevoir et à intérioriser le besoin dexécuter les devoirs et les responsabilités que le fait dêtre membre dune société impose " Son principal objectif est de poser des standards de comportement correct pour tous, il sexprime par des dispositions qui exprime en termes positifs les attentes au sujet de la conduite des membres de la société dans des situations particulières.
2° Le conflit : préférence pour lordre négocié
À lexemple de lunivers toujours en mouvement, le droit nest pas vraiment est fixé à lavance : jusquau dernier moment on fait son droit dans la négociation. (Alliot).
Car le règlement des conflits est orienté lui aussi par le souci de restructurer la société en désordre.
" Le principal objectif de la justice indigène est de maintenir léquilibre entre des intérêts et des forces dont linteraction dynamique forme la substance de la société. La justice exige de tous la même chose, à savoir que rien ne soit fait pour détruire léquilibre entre les groupes. "
a Tout est fait pour éviter le conflit
La restructuration de la société est plus facile si le conflit est résolu avant dêtre public. Ainsi celui qui sestime lésé doit tout essayer pour y arriver. Certains signes conventionnels déposés par un homme volé sur le chemin de celui quil soupçonne dêtre lauteur du vol incite ce dernier à restituer discrètement lobjet du larcin de peur dêtre victime de maléfice : le volé rentrera dans son bien sans avoir la preuve que le voleur est celui auquel il pensait et celui-ci le saura, on aura réparé le tissu social.
Lorsque les parties au conflit sont connues, par exemple lorsque lépouse fait retraite dans sa famille pour marquer son opposition au traitement que son mari lui inflige, les parents les voisins, les amis des deux feront tout leur possible pour éviter la rupture définitive.
Quand le conflit se noue publiquement, la préoccupation de restructurer la société commande les modalités de la solution. Pour réconcilier, il faut convaincre. Autant que possible on sadressera à un juge " naturel " connaissant dautant mieux laffaire et les parties quil y est impliqué, le chef du lignage concerné, le maître de la terre, celui de la brousse ou des eaux, selon la nature du conflit. On peut aussi sadresser à un juge choisi en commun, voire un " passant " qui accepte de tenter de régler le conflit. Dans un cas comme dans lautre il appartient au juge de convaincre les parties, car il faut restructurer la société de lintérieur.
b Le jugement a en vue le futur et non le passé
" Une décision correcte de ce qui est juste et dinjuste, à laquelle on est arrivé après une déduction raisonnée et impartiale selon des principes juridiques clairement définis est notre idéal du devoir et de lintégrité du juge ", ce nest pas le cas dans la société traditionnelle, laquelle est surtout concernée par leffet que le jugement aura sur les relations futures des parties qui sont vitales pour la vie de la communauté elle-même.
Il en résulte que le juge na pas pour mission dappliquer la loi mais de réconcilier les parties.
" Un chef Shona hésitera à prononcer un jugement tant quil nest pas raisonnablement certain que les parties se conformeront à sa décision Il va demander aux parties si elles sont satisfaites, et si elles ne le sont pas, de nouveaux efforts sont faits pour arriver à une situation qui soit acceptable pour tous ". En effet, il faut non seulement que le jugement soit appliqué, mais il faut que les parties puissent continuer à vivre ensemble à lavenir. Il faut que le tissu social soit réparé, cest pourquoi la solution à un litige va être négociée et que lon ne sarrêtera que lorsque tout le monde sera daccord. Ce qui peut prendre du temps et étonner lobservateur.