DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 07/10/1998 animé par Marie-Pierre Jouan

et portant sur :

La socialisation juridique dans la protection de l'enfance maltraitée

et en situation d'immigration

Etaient présents: Chrétien-Vernicos Geneviève (Paris 8), Eberhard Christoph (LAJP), Fronza Emanuela (Université de Bologna), Marie-Pierre Jouan (LAJP), Le Roy Etienne (LAJP), Lollini Andrea (EHESS), Loteteka Jackie (LAJP), Madjri Loïc (LAJP), Ngo Innack Rose (LAJP), Oumerzouk Sabrina (LAJP) et Yu Shuo (Paris X).


Comment passer d'une philosophie idéale des droits de l'homme à une philosophie pratique et sortir d'un débat confisqué par la seule alternative du "laisser faire" au nom du relativisme culturel et de l'uniformisation des comportements au nom du principe d'égalité ?

En particulier, comment établir une politique de prévention des mauvais traitements alors que la communication du droit semble poser problème auprès des familles immigrées concernées?

En effet, ces familles en situation d'acculturation, sont plongées dans des contextes difficiles qui contribuent à brouiller leurs repères. L'enfant victime se trouve alors au coeur d'une concurrence voire d'un conflit de normes. Or, le droit positif français en matière de protection de l'enfance en danger s'articule autour de notions à lire en creux (la maltraitance est une notion relative et qui n'est pas légalement définie). Généralement la maltraitance est conçue comme étant : soit des violences physiques, soit de la cruauté mentale, des abus sexuels ou des négligences lourdes préjudiciables au développement de l'enfant. Or, l'apparente simplicité des mots cache la difficulté qu'il y a, dans la réalité, à analyser des situations où les faits ne sont jamais clairement établis et qui renvoie chacun à sa propre conception de l'éducation, de la famille, de l'enfant. En l'occurrence, ce qui est en cause ce n'est pas tant l'arbitraire du juge qui par ailleurs s'entoure d'experts pour analyser la situation que sa référence constante aux normes dominantes.

Jill Korbin nous invite à poser le problème différemment : La maltraitance est une conduite aberrante, injustifiée et abusive des parents par rapport à l'enfant eu égard aux modèles de comportements admis dans une société donnée et contrevenant à sa dignité d'être humain. Dans cette perspective, l'auteur souligne le lien qui est censé exister entre l'auteur de la maltraitance et le modèle de comportement attendu. Il ne s'agit donc pas seulement de connaître la loi mais de partager l'ensemble des valeurs et des représentations qui la sous tendent, lui donnent son sens profond et auxquelles elle répond. Autrement dit, ce lien a à voir avec la légitimité de la norme énoncée et de celui qui l'énonce, selon une certaine représentation de l'ordre des choses (schémas mentaux, catégories selon lesquelles nous organisons notre perception du monde et de la société). On perçoit donc l'importance, dans une politique de prévention de la maltraitance, d'un travail de socialisation qui aille au delà du rappel de la loi, par ailleurs nécessaire (pour qu'il y ait assimilation de la fonction symbolique de la loi et que se soit l'occasion de nommer la violence).

En effet, si la socialisation juridique est le processus par lequel chacun s'approprie le droit qui régit son milieu selon des étapes articulées ainsi : transmission, appropriation et transformation de la norme juridique ; cela ne concerne pas la connaissance de la seule norme de droit positif et du système juridique étatique. Il s'agit aussi des coutumes (comme standards de conduites et de comportements, rituels) et habitus (dispositions mentales floues, inconscientes mais durables). Ces derniers sont loin d'être les moins importants. Ils sont la condition sine qua non de toute adhésion et de toute reproduction des valeurs et des normes essentielles à l'apprentissage des civilités (au sens de ce qui s'oppose à la barbarie, à l'animalité). C'est véritablement la maîtrise de ces trois niveaux de compréhension du juridique, loi-coutume et habitus, qui vont permettre à l'individu, nous semble-t-il, d'anticiper et d'avoir l'intuition de la "norme". Dans ce sens nous sommes loin d'une socialisation juridique uniquement articulée sur la déviance et la conformité.

Enfin, la maltraitance est une relation mal engagée entre deux personnes, un enfant et un adulte, dont les statuts sont aussi constitutifs du délit ou du crime. Il importe donc, nous semble-t-il que le travail de socialisation engagé par le juge se construise à partir d'un droit attributif de statuts et de rôles ; cela implique de prendre en compte l'impensable "inégalité" des statuts et une vision renouvelée de la personne et notamment de l'enfant en tant que sujet de protection.

Alors, le débat ne doit plus porter, nous semble t-il, sur l'existence de "méga principes" mais sur la recherche concrète d'un consensus en termes d'habitus.