DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 13/01/1999 animé par Véronique Nké Eyebe :

Compte rendu de la 29ème session d'été sur les droits de l'homme à l'Institut International des Droits de l'Homme de Strasbourg

Etaient présents : DIOT Bénédicte (INALCO), Eberhard Christoph (LAJP), Innak Rose (LAJP), Madjri Loïc (LAJP), Maldonado Maria Mercedes (LAJP) et Nké Eyebe Véronique.

L'un des bénéfices qu'offre la session d'enseignement estivale sur les droits de l'homme à Strasbourg est la diversité des origines de ses participants qui sont environ 400, qui viennent de toutes les régions du monde et dont certains sont juristes, d'autres praticiens du droit (avocats, magistrats, policiers ...), d'autres étudiants, journalistes, fonctionnaires, militants d'ONG nationales et internationales ...

Le thème de la session était "Le cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme" et sa problématique consistait à voir "dans quelle mesure la mise en oeuvre des droits de l'homme est (...) affectée par les grands défis de la fin de siècle". La réponse à une telle question ne peut être obtenue qu'en trois étapes : la première nous amenant à nous demander ce qu'est la déclaration universelle des droits de l'homme, quels sont ses fondements et ses objectifs (1) ; la deuxième nous conduisant à nous interroger sur les conséquences directes ou indirectes de cette déclaration dans le cadre international, régional et même national (2) ; la troisième et dernière étape nous amenant à recenser les obstacles à cette mise en oeuvre, les freins, les grands défis du 21ème siècle et les solutions qui peuvent être ébauchées (3).

(1) Qu'est ce que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) ? Quels sont ses fondements, ses objectifs ?

Au lendemain de la seconde guerre mondiale tout le monde est unanime sur le respect de la dignité humaine en se disant "plus jamais cela". Lors de la conférence de San Francisco en 1945 créant l'ONU, l'unanimité est totale sur le fait d'adopter un texte fondamental de protection des droits de l'homme. Ce voeu s'accomplit le 10 décembre grâce à l'oeuvre de René Cassin et de Mme Roosevelt.

Quant aux fondements, il existe des discussions et différentes thèses sur ceux-ci néanmoins on retient des fondements historiques, philosophiques, anthropologiques et théologiques. Pour ce qui est de notre groupe de travail seuls les fondements philosophiques et anthropologiques nous concernent. Quand on regarde des philosophes comme Thomas Hobbes dans le Léviathan (l'homme y est vu comme étant un loup pour l'homme) ou comme John Locke ou Jean-Jacques Rousseau sa véritable motivation apparaît comme étant la recherche de sécurité. C'est parce que l'homme recherche la sécurité qu'il est obligé de passer par une déclaration détaillant les droits à protéger, d'où une déclaration universelle de ces droits.Mais la question principale est celle de la nature humaine. Est-elle universelle, connaissable par la raison ?

Les objectifs : premièrement il s'agit de protéger la dignité humaine, la valeur que chacun possède en tant qu'être humain (cf. l'impératif de Kant pour qui il ne faut pas considérer l'Homme comme un moyen mais comme une fin). C'est pourquoi on condamne la torture. Cependant une véritable révolution vient des travaux du philosophe indien Raimundo Panikkar qui dit que la déclaration des droits de l'homme n'est pas universelle mais universaliste. Pour lui aucun concept n'est universel, tout concept est valable par rapport au lieu où il a été conçu. Les postulats qui servent de base à la DUDH sont absents dans les autres sociétés comme par exemple dans les société indienne ou africaine qui ont d'autres moyens de protection des individus. Pour lui l'universalité est "requise" et non "acquise". Il évoque le droit à la différence. Sa méthode est l'herméneutique diatopique (une méthode qui consiste à rechercher des équivalents fonctionnels de nos propres réalités dans d'autres sociétés (homéomorphie). En occident, par exemple, c'est la déclaration universelle des droits de l'homme qui protège la dignité humaine - en Afrique celle-ci passe à travers la coutume. Il est intéressant de se reporter à des auteurs comme Norbert Rouland, Etienne Le Roy, Boaventura de Sousa Santos. Pour ces chercheurs les droits de l'homme peuvent accéder à l'universel à travers deux approches du dialogue interculturel : la première vise à la compréhension de l'autre, la deuxième à un métissage des conceptions pour arriver à une nouvelle conception des droits de l'homme (Le Roy, de Sousa Santos).

(2) La mise en oeuvre de la DUDH. Ses conséquences directes ou indirectes dans les cadre international, régional et national

Forte de ses trente articles , la DUDH peut être considérée comme le texte de base de la protection des droits de l'homme. Sur le plan international c'est elle qui inspire les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme (la Charte des Nations unies, les deux pactes relatifs aux droits économiques et aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture, la discrimination). Sur le plan régional elle inspire la Convention Européenne des Droits de l'Homme, la Convention Interaméricaine des Droits de l'Homme, la Charte Africaine des Droits de l'Homme. Sur le plan national les principes de la déclaration apparaissent dans presque toutes les constitutions modernes. Son influence se manifeste également dans le droit interne de certains pays à travers la ratification de conventions et de traités internationaux et de leur applicabilité directe (cf par exemple l'article 55 de la Constitution française conforté par l'arrêt Nicolo de 1989). On retrouve également ce principe dans la Convention Interaméricaine des Droits de l'Homme qui développe une jurisprudence pour la protection des droits de l'homme permettant à tous les ressortissants des états signataires d'introduire des requêtes individuelles sans conditions de nationalité en s'appuyant sur n'importe quel article de ces conventions qui souvent reprennent les articles de la DUDH.

(3) Les obstacles à la mise en oeuvre de la DUDH. Les grands défis face au 21ème siècle.

La DUDH était une réponse au massacre de la deuxième guerre mondiale. Mais on assiste encore aujourd'hui à des guerres, à des purifications ethniques, à des guerres économiques à travers la mondialisation. S'y ajoutent la mauvaise répartition des richesses et la misère qui touche plus de la moitié de la population mondiale sans oublier les avancées scientifiques (comme par exemple dans le domaine de la génétique), l'apparition de nouveaux médias (internet) qui lancent de nouveaux défis pour la protection de la dignité humaine. Il faut repenser une nouvelle fraternité entre les peuples au moment où il y a plus de guerres en Afrique et en Europe et des massacres fondés sur les religions.Il faut repenser à l'éducation et à la promotion des droits de l'homme pour la paix et la sécurité internationale, lutter contre le sous-développement et les inégalités sociales et repenser la prédominance de la solidarité. Sinon la Déclaration va rester lettre morte au lieu de jouer le rôle qui lui a été assigné : conforter la fraternité entre les individus en vu de protéger les droits de l'homme et la dignité humaine. L'universalité des droits de l'homme doit passer par le dialogue interculturel sinon sinon les violations des droits de l'homme se multiplieront.

Débat

Il a surtout permis de faire partager "l'ambiance qui régnait pendant cette formation". Il semblait qu'une question centrale préoccupant tous les participants était celle de savoir comment rendre "concrète" la DUDH et effective la protection des droits de l'homme. Il semblait y avoir une unanimité sur le fait qu'avant tout les droits de l'homme doivent être une réalité de tous les jours. Le rôle de l'éducation semblait primordial dans cette perspective. La prévention doit être repensée et valorisée (au niveau éthique, économique, juridique). Les droits de l'homme ne peuvent (ne doivent) pas se résumer "à ce qui est écrit dans les livres". Certains intervenants semblaient un peu déconnectés des réalités de la base ou pratiquaient de par leur fonction la langue de bois. Les échanges entre participants se sont révélés très enrichissants et on y a aussi débattu l'émergence d'une nouvelle éthique.