DHDI
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Etaient présents : CARVAJAL Liliam (IHEAL), de GRAVEROL Gaël
(INALCO), de MONTVALON Prune (Paris V), EBERHARD Christoph (LAJP), GBAGO
Barnabé Georges (LAJP), INNACK Rose (LAJP), LIWERANT Sara (Paris X),
MARTIN Boris (Juristes-Solidarités), MAS Jean-Claude
(Juristes-Solidarités), SOYKAN Muazzez (INALCO).
Exposé :
L'objet du séminaire était de réfléchir
sur la manière dont, à travers une action humanitaire, de
véritables outils méthodologiques et épistémologiques
peuvent être mis en place, pour apporter des réponses neuves
au problème de crise du droit dans les pays africains. Le but de l'ACAFEJ
(Association Camerounaise de Femmes Juristes) est de diffuser, de vulgariser
le droit auprès des populations féminines du Cameroun. Il s'agit
de donner à ces dernières, les moyens nécessaires leur
permettant de se défendre contre injustices et préjugés
et donc, d'améliorer leurs conditions de vie et leur statut social.
Il a été créé deux structures les Cliniques
Fixes, qui proposent des consultations juridiques, et les Cliniques
Mobiles, activités de terrain organisées sous la forme
de rencontres au profit de groupes de femmes, dans leur environnement.
Ces cadres d'action mettent en jeu des rationalités à la fois
différentes et complémentaires. A l'analyse, on constate que
l'on a face à face, le mode de pensée moderne, à travers
les différents instruments juridiques diffusés auprès
des masses, et les conceptions autochtones de régulation sociale.
La pensée traditionnelle africaine se caractérise par les notions
de diversité, de différenciation, de communautarisme. La
pensée occidentale, dont l'Etat est le véhicule, oppose les
concepts d'uniformité, d'individualisme. Malgré l'incapacité
de l'Etat à assumer ses fonctions régaliennes, son droit par
un bon nombre de côtés a réussi à s'intégrer
dans la société et à y trouver signification. Si la
modernisation du Tiers-Monde est un échec, il faut tout de même
tenir compte des mutations qui se sont opérées.
La coexistence entre logiques diverses, n'est cependant pas à rattacher
uniquement au fait colonial. Il faut également procéder à
une observation de l'intérieur. Cela permet de constater que la
pluralité est toujours au fondement des systèmes de
représentation, des modes d'organisation en Afrique. L'économie
dite " informelle " est un exemple, aujourd'hui, de la capacité
d'invention et de la faculté d'adaptation des sociétés
africaines. Il est démontré que c'est dans le cadre des
systèmes de pensée qui leur sont propres, que les populations
puisent les ressources leur permettant de se retourner efficacement, et de
créer cet environnement économique particulier.
Toutefois, il s'agit de dépasser la prise en compte des problèmes
en termes d'alternative. L'acceptation, voire même l'encouragement,
par l'Etat, du rôle de la société civile dans la gestion
de la société globale doit inviter tous les citoyens
(individuellement et/ou collectivement), à une réflexion sur
un véritable projet de société. Le défi est alors
d'intégrer dans la réflexion ce que la pratique révèle
déjà : l'enchevêtrement entre données culturelles
endogènes, données culturelles exogènes, ainsi que le
produit résultant de leur contact.
La post-modernité nous apparaît comme un paradigme permettant
d'entamer une telle démarche. Ce concept, originaire des milieux
artistiques et littéraires, trouve aujourd'hui à s'exprimer
dans le domaine du droit. La philosophie post-moderne offre à la
réflexion sur le droit de la société post-industrielle,
la reconnaissance de la multiplicité, de la diversité des espaces,
de la pluralité des discours. Le droit " post-moderne "
permettrait la prise en compte de la complexité des phénomènes
sociaux. C'est un droit qui remettrait en valeur le rôle et la
responsabilité des acteurs sociaux dans l'édification de la
société globale (André-Jean Arnaud).
Discussion :
Le tour de table a porté particulièrement sur ce concept
de post-modernité. Sa proximité sémantique avec la
modernité ne risque-t-elle pas de dérouter, et de limiter à
une critique de ce dernier courant ? Ne sous-entend-il pas l'idée
d'une " pré-modernité " ? Ne risque-t-on pas de se
trouver en train de reprendre, en Afrique, une fois de plus des concepts
élaborés en Occident ? Ne serait-ce pas réactualiser
les théories sur l'évolution unilinéaire de l'espèce
humaine ?
Les débats ont permis d'écarter le danger, en se fondant sur
la notion d'acculturation. Il n'y a aucun mal à emprunter ailleurs.
D'autre part, le " droit de la post-modernité " est un concept
qui se construit encore par ses défenseurs. Les différents
auteurs proposent des pistes de réflexion. Rien n'empêche les
intellectuels africains ou africanistes de se servir des éléments
qui existent actuellement, si ceux-ci leur semblent pertinents pour faire
avancer les recherches.
La parenté entre le courant littéraire post-moderne et certains
aspects de la culture africaine a d'ailleurs été relevée,
à savoir le symbolisme, qui imprègne fortement
toutes les dimensions de la société africaine et que Senghor
a particulièrement mis en exergue dans ses oeuvres. En fin de compte,
il ne faut pas craindre d'envisager une pensée juridique post-moderne
spécifique. Le plus important pour l'heure est de la nourrir, le vocable
n'ayant par ailleurs aucun caractère définitif. L'essentiel
est qu'il puisse impulser une dynamique euristique.