DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 13/05/1998 animé par Rose Innack et portant sur :

L'émergence au Cameroun d'un droit " post-moderne "

à travers l'action d'une ONG camerounaise de femmes juristes

Etaient présents : CARVAJAL Liliam (IHEAL), de GRAVEROL Gaël (INALCO), de MONTVALON Prune (Paris V), EBERHARD Christoph (LAJP), GBAGO Barnabé Georges (LAJP), INNACK Rose (LAJP), LIWERANT Sara (Paris X), MARTIN Boris (Juristes-Solidarités), MAS Jean-Claude (Juristes-Solidarités), SOYKAN Muazzez (INALCO).


Exposé :

L'objet du séminaire était de réfléchir sur la manière dont, à travers une action humanitaire, de véritables outils méthodologiques et épistémologiques peuvent être mis en place, pour apporter des réponses neuves au problème de crise du droit dans les pays africains. Le but de l'ACAFEJ (Association Camerounaise de Femmes Juristes) est de diffuser, de vulgariser le droit auprès des populations féminines du Cameroun. Il s'agit de donner à ces dernières, les moyens nécessaires leur permettant de se défendre contre injustices et préjugés et donc, d'améliorer leurs conditions de vie et leur statut social. Il a été créé deux structures les Cliniques Fixes, qui proposent des consultations juridiques, et les Cliniques Mobiles, activités de terrain organisées sous la forme de rencontres au profit de groupes de femmes, dans leur environnement.

Ces cadres d'action mettent en jeu des rationalités à la fois différentes et complémentaires. A l'analyse, on constate que l'on a face à face, le mode de pensée moderne, à travers les différents instruments juridiques diffusés auprès des masses, et les conceptions autochtones de régulation sociale. La pensée traditionnelle africaine se caractérise par les notions de diversité, de différenciation, de communautarisme. La pensée occidentale, dont l'Etat est le véhicule, oppose les concepts d'uniformité, d'individualisme. Malgré l'incapacité de l'Etat à assumer ses fonctions régaliennes, son droit par un bon nombre de côtés a réussi à s'intégrer dans la société et à y trouver signification. Si la modernisation du Tiers-Monde est un échec, il faut tout de même tenir compte des mutations qui se sont opérées.

La coexistence entre logiques diverses, n'est cependant pas à rattacher uniquement au fait colonial. Il faut également procéder à une observation de l'intérieur. Cela permet de constater que la pluralité est toujours au fondement des systèmes de représentation, des modes d'organisation en Afrique. L'économie dite " informelle " est un exemple, aujourd'hui, de la capacité d'invention et de la faculté d'adaptation des sociétés africaines. Il est démontré que c'est dans le cadre des systèmes de pensée qui leur sont propres, que les populations puisent les ressources leur permettant de se retourner efficacement, et de créer cet environnement économique particulier.

Toutefois, il s'agit de dépasser la prise en compte des problèmes en termes d'alternative. L'acceptation, voire même l'encouragement, par l'Etat, du rôle de la société civile dans la gestion de la société globale doit inviter tous les citoyens (individuellement et/ou collectivement), à une réflexion sur un véritable projet de société. Le défi est alors d'intégrer dans la réflexion ce que la pratique révèle déjà : l'enchevêtrement entre données culturelles endogènes, données culturelles exogènes, ainsi que le produit résultant de leur contact.



La post-modernité nous apparaît comme un paradigme permettant d'entamer une telle démarche. Ce concept, originaire des milieux artistiques et littéraires, trouve aujourd'hui à s'exprimer dans le domaine du droit. La philosophie post-moderne offre à la réflexion sur le droit de la société post-industrielle, la reconnaissance de la multiplicité, de la diversité des espaces, de la pluralité des discours. Le droit " post-moderne " permettrait la prise en compte de la complexité des phénomènes sociaux. C'est un droit qui remettrait en valeur le rôle et la responsabilité des acteurs sociaux dans l'édification de la société globale (André-Jean Arnaud).

Discussion :

Le tour de table a porté particulièrement sur ce concept de post-modernité. Sa proximité sémantique avec la modernité ne risque-t-elle pas de dérouter, et de limiter à une critique de ce dernier courant ? Ne sous-entend-il pas l'idée d'une " pré-modernité " ? Ne risque-t-on pas de se trouver en train de reprendre, en Afrique, une fois de plus des concepts élaborés en Occident ? Ne serait-ce pas réactualiser les théories sur l'évolution unilinéaire de l'espèce humaine ?

Les débats ont permis d'écarter le danger, en se fondant sur la notion d'acculturation. Il n'y a aucun mal à emprunter ailleurs. D'autre part, le " droit de la post-modernité " est un concept qui se construit encore par ses défenseurs. Les différents auteurs proposent des pistes de réflexion. Rien n'empêche les intellectuels africains ou africanistes de se servir des éléments qui existent actuellement, si ceux-ci leur semblent pertinents pour faire avancer les recherches.

La parenté entre le courant littéraire post-moderne et certains aspects de la culture africaine a d'ailleurs été relevée, à savoir le symbolisme, qui imprègne fortement toutes les dimensions de la société africaine et que Senghor a particulièrement mis en exergue dans ses oeuvres. En fin de compte, il ne faut pas craindre d'envisager une pensée juridique post-moderne spécifique. Le plus important pour l'heure est de la nourrir, le vocable n'ayant par ailleurs aucun caractère définitif. L'essentiel est qu'il puisse impulser une dynamique euristique.