DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 21/10/1998 animé par Andrea Lollini et portant sur :

La commission sud-africaine : vérité et réconciliation

Etaient présents : Adonon Akuavi (LAJP), Benfekih Souhir (LAJP), Cissé Fatou (LAJP), Descardes T. Rosier (LAJP), Eberhard Christoph (LAJP), Fontaine Sonia (LAJP), Lollini Andrea (EHESS), Loteteka Jackie (LAJP), Mas Jean-Claude (Juristes-Solidarités), Ngo Innak Rose (LAJP) et Tripier Claire (LAJP).

L'exposé a porté sur la Commission vérité et réconciliation établi en Afrique du Sud en 1995 pour faire face aux crimes commis pendant l'apartheid. J'a choisi de centrer l'analyse de la Commission sud-africaine sur deux concepts qui sont affirmés soit dans la Constitution, soit dans le statut qui règle la procédure de la Commission vérité et réconliation. Ce sont le concept de vérité et celui de réconciliation.

Au début des années 1990 la situation politique internationale d'un côté, et la pression politique à l'intérieur de l'Afrique du Sud de l'autre, avaient transformé le régime d'apartheid en quelque chose qui ne pouvait plus être considéré comme "politically correct". Le parti politique, qui avait violemment dominé la politique sud-africaine et qui avait élaboré l'apartheid comme système institutionnel de discrimination raciale, c'est a dire le National Party, fut obligé de négocier un nouvel arrangement politique avec les opposants, notamment avec l'African National Congress de Nelson Mandela. Dans cette période tourmentée de négociation on voit l'apparition de toutes les dynamiques et de toutes les problématiques de l'Afrique du Sud contemporaine. Le résultat le plus significatif de le négociation entre National Party, African National Congress et le Pan African Congress est l'accord sur une nouvelle Constitution, appelée Constitution de Transition, grâce à laquelle les premières élections furent organisées en Afrique du Sud avec la participation de la Black majority. Plusieurs raisons dénotent l'importance historique de cette Constitution datée 1993 : l'apartheid est définitivement rejetée, l'égalité formelle et substantielle entre le citoyens est affirmée et la Constitution contient un postambule d'une importance fondamentale intitulé National Unity and Reconciliation. Dans cette partie de la Constitution sont contenus les valeurs et les principes pour mettre en oeuvre la transition politique vers une nouvelle démocratie, mais sont aussi prévus tous les principes qui vont inspirer la Commission vérité et réconciliation. L'interdiction de vengeance et de représailles, la nécessité de reconstruire un nouveau tissu social et une nouvelle unité nationale, l'exigence de découvrir la vérité sur les actions criminelles commis pendant l'apartheid, la volonté de donner l'amnistie à qui avoue ses responsabilités, sont les valeurs cristallisées dans ce postambule. Cependant pour comprendre complètement l'importance de ces principes, il faut souligner le risque très élevé d'explosion de violence et de possible rétorsion de la Black majority en vers la white minority après la chute de l'apartheid. Dans cette perspective le choix de la réconciliation apparaît être un choix presque obligé.

La Commission est composée de 11 membres nommés par le Président de l'Afrique du Sud en consultation avec le gouvernement (Cabinet). La compétence ratione materiae et la compétence ratione tempore de la Commission est strictement (étroitement) prévue par la loi. En ce qui concerne la compétence ratione materiae la Commission est chargée de juger seulement les infractions graves aux droits de l'homme prévues dans le chapitre 1 section 1(ix) de la loi. Ces infractions doivent impérativement avoir été commises avec buts et objectifs politiques. La requête d'amnistie ne s'applique donc qu'aux crimes commis pendant "la guerre" entre les défenseurs de l'apartheid et de ses opposants. Cela signifie que les même crimes commis avec buts, finalités ou intérêts privés ne tombent pas sous la compétence de la Commission et leurs auteurs ne peuvent pas bénéficier de l'amnistie. La compétence ratione materiae de la Commission est elle aussi très clairement définie par la loi chapitre 2 section (3)(a). Les violations graves des droits de l'homme, que la Commission peut juger, sont celles commises de mars 1960 jusqu'à octobre 1990. En effet, c'est à ce moment qu'ont commencées les négociations entre National Party, African national Congress et Pan african Congress pour faire face à la transition post apartheid. Pour résumer il faut remarquer que la mesure d'amnistie n'est pas automatique, mais, qu'elle dépend au contraire de la présence de plusieurs éléments: (1) La requête d'amnistie doit être adressée à la Commission par quiconque a commis des infractions graves aux droits de l'homme qui tombent sous la compétence de la Commission. (2) Les violations graves de droits de l'homme doivent avoir eu des buts et objectifs politiques. (3) Les personnes ayants commis les infractions graves doivent avouer tout ce qu'ils ont commis, demander expressément pardon aux victimes et montrer un repentir, que la Commission devra juger suffisant.

Enfin, il faut ajouter que la Commission vérité et réconciliation se structure en 3 sous-comités autonomes avec compétences et procédures différentes. Ces comités sont appelés dans le texte en langue anglaise : Committee on Human Rights violations Committee on Grant an Amnesty et Committee on Reparation and Rehabilitation. Le premier Comité est chargé d'enquêter sur toutes les affaires qui lui sont soumises. Il doit notamment vérifier la nature des infractions graves aux droits de l'homme. Le deuxième est chargé de la mise en ouvre de la procédure d'amnistie ; il décide si l'aveu a été complet, si la violation a été commise avec buts politiques et si le repentir est "suffisant", donc si l'amnistie peut être accordée. Face à ce comité se déroule la liturgie de l'aveu en présence des victimes. Le troisième comité est chargé d'évaluer la meilleure indemnisation pour les victimes.

J'ai évoqué au début de cet exposé l'importance de deux concepts, celui de vérité et celui de réconciliation. Je vais maintenant aborder séparément l'analyse des ces termes. Pour ce qui concerne la réconciliation il faut réfléchir sur ce que signifie réconciliation dans la Constitution de Afrique du Sud et dans le statut de la Commission : (1) "Réconciliation" signifie d'abord l'interruption d'une dialectique action-réaction, c'est à dire l'interruption de la spirale (escalade) des vengeances, qui a caractérisé l'Afrique du Sud pendant 50 années. (2) Réconciliation signifie aussi un changement du rapport dialectique entre les défenseur et les opposants de l'apartheid, notamment un changement de langage parmi des parties longuement en conflit entre eux. C'est une nouvelle forme de communication. Dans cette perspective "réconciliation" signifie l'instauration d'un dialogue et peut être pour la première fois l'instauration d'un vrai dialogue. Selon les anthropologues la vengeance est un rapport dialectique action-réaction considéré comme une forme de dialogue très simple et basée sur la réaffirmation d'un pouvoir mis en danger par l'action de l'adversaire. Au regard de la première forme dialectique basée sur la vengeance je parlerais simplement de "rapport"; avec l'interdiction de la vengeance on peut parler non plus seulement de "rapport" mais aussi de "dialogue". Le conflit est simplement un rapport entre les parties, l'interdiction de ce conflit, c'est a dire l'interdiction de la vengeance signifie l'instauration d'un dialogue. La "Réconciliation" est donc remplacement d'un simple rapport par le dialogue.

J'aimerais maintenant réfléchir au motif du choix d'une Commission au lieu d'un tribunal. A ce propos il faut éclairer la structure du tribunal et les caractéristiques de la liturgie processuelle, liturgie où il y a une symbolique très forte. Selon les catégories que j'ai proposées tout à l'heure, se développe dans le procès un "rapport" et non pas un "dialogue". Les parties d'une dialectique processuelle sont une fois encore en conflit entre eux, une en face de l'autre avec un dynamique action-réaction. La décision du juge sanctionne la fin du conflit sur le plan processuel mais n'instaure pas un dialogue entre les parties. Ce choix est basé sur le fait qu'en réalité le tribunal est un lieu de reproduction d'un "rapport" plutôt que lieu de production d'un "dialogue".

En ce qui concerne l'analyse du terme vérité il faut envisager comme un des buts fondamentaux de la Commission le fait de poursuivre l'éclaircissement sur les faits et sur les crimes commis pendant l'apartheid. La Commission apparaît comme un institution où reconstruire l'histoire de l'Afrique du Sud, un lieu où recueillir, notamment à travers les aveux, des nouveaux éléments pour renouveler les analyses historiques. Plusieurs observateurs ont parlé de l'expérience de la Commission comme d'un "travail de deuil". Il faudrait réfléchir comment le débat politique qui s'est déroulé en Afrique du Sud autour de l'institution d'une Commission au lieu d'un tribunal, a aussi touché l'analyse du concept de vérité et de vérité historique par rapport au concept de vérité processuelle. D'où la nécessité d'établir si, et dans quelle mesure, un tribunal et un procès pénal peuvent être utiles pour le processus de reconstruction historique.

Quelques brèves allusions ici à des questions qui sont très complexes : les logiques utilisées par l'historien pendant le rangement des sources et pendant l'élaboration d'un théorie de l'histoire sont-elles homologues aux appréciations (évaluations) des preuves faites par le juge avant de prononcer un jugement ? Est-ce que les conclusions processuelles, (la "vérité processuelle"), sont directement cooptables d'un plan processuel au plan historique? Le choix effectué par l'Afrique du Sud apparaît comme très clair. La vérité que l'on veut poursuivre est une vérité qui émerge par les aveux et notamment à travers le débat qui se développe entre auteurs des crimes et leurs victimes.