DHDI
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Etaient présents : Adonon Akuavi
(LAJP), Benfekih Souhir (LAJP), Cissé Fatou (LAJP), Descardes T. Rosier
(LAJP), Eberhard Christoph (LAJP), Fontaine Sonia (LAJP), Lollini Andrea
(EHESS), Loteteka Jackie (LAJP), Mas Jean-Claude (Juristes-Solidarités),
Ngo Innak Rose (LAJP) et Tripier Claire (LAJP).
L'exposé a porté sur la Commission vérité et
réconciliation établi en Afrique du Sud en 1995 pour faire
face aux crimes commis pendant l'apartheid. J'a choisi de centrer l'analyse
de la Commission sud-africaine sur deux concepts qui sont affirmés
soit dans la Constitution, soit dans le statut qui règle la
procédure de la Commission vérité et réconliation.
Ce sont le concept de vérité et celui de réconciliation.
Au début des années 1990 la situation politique internationale
d'un côté, et la pression politique à l'intérieur
de l'Afrique du Sud de l'autre, avaient transformé le régime
d'apartheid en quelque chose qui ne pouvait plus être considéré
comme "politically correct". Le parti politique, qui avait violemment
dominé la politique sud-africaine et qui avait élaboré
l'apartheid comme système institutionnel de discrimination raciale,
c'est a dire le National Party, fut obligé de négocier un nouvel
arrangement politique avec les opposants, notamment avec l'African National
Congress de Nelson Mandela. Dans cette période tourmentée de
négociation on voit l'apparition de toutes les dynamiques et de toutes
les problématiques de l'Afrique du Sud contemporaine. Le résultat
le plus significatif de le négociation entre National Party, African
National Congress et le Pan African Congress est l'accord sur une nouvelle
Constitution, appelée Constitution de Transition, grâce à
laquelle les premières élections furent organisées en
Afrique du Sud avec la participation de la Black majority. Plusieurs raisons
dénotent l'importance historique de cette Constitution datée
1993 : l'apartheid est définitivement rejetée,
l'égalité formelle et substantielle entre le citoyens est
affirmée et la Constitution contient un postambule d'une importance
fondamentale intitulé National Unity and Reconciliation. Dans cette
partie de la Constitution sont contenus les valeurs et les principes pour
mettre en oeuvre la transition politique vers une nouvelle démocratie,
mais sont aussi prévus tous les principes qui vont inspirer la Commission
vérité et réconciliation. L'interdiction de vengeance
et de représailles, la nécessité de reconstruire un
nouveau tissu social et une nouvelle unité nationale, l'exigence de
découvrir la vérité sur les actions criminelles commis
pendant l'apartheid, la volonté de donner l'amnistie à qui
avoue ses responsabilités, sont les valeurs cristallisées dans
ce postambule. Cependant pour comprendre complètement l'importance
de ces principes, il faut souligner le risque très élevé
d'explosion de violence et de possible rétorsion de la Black majority
en vers la white minority après la chute de l'apartheid. Dans cette
perspective le choix de la réconciliation apparaît être
un choix presque obligé.
La Commission est composée de 11 membres nommés par le
Président de l'Afrique du Sud en consultation avec le gouvernement
(Cabinet). La compétence ratione materiae et la compétence
ratione tempore de la Commission est strictement (étroitement)
prévue par la loi. En ce qui concerne la compétence ratione
materiae la Commission est chargée de juger seulement les infractions
graves aux droits de l'homme prévues dans le chapitre 1 section 1(ix)
de la loi. Ces infractions doivent impérativement avoir été
commises avec buts et objectifs politiques. La requête d'amnistie ne
s'applique donc qu'aux crimes commis pendant "la guerre" entre les
défenseurs de l'apartheid et de ses opposants. Cela signifie que les
même crimes commis avec buts, finalités ou intérêts
privés ne tombent pas sous la compétence de la Commission et
leurs auteurs ne peuvent pas bénéficier de l'amnistie. La
compétence ratione materiae de la Commission est elle aussi
très clairement définie par la loi chapitre 2 section (3)(a).
Les violations graves des droits de l'homme, que la Commission peut juger,
sont celles commises de mars 1960 jusqu'à octobre 1990. En effet,
c'est à ce moment qu'ont commencées les négociations
entre National Party, African national Congress et Pan african Congress pour
faire face à la transition post apartheid. Pour résumer il
faut remarquer que la mesure d'amnistie n'est pas automatique, mais, qu'elle
dépend au contraire de la présence de plusieurs
éléments: (1) La requête d'amnistie doit être
adressée à la Commission par quiconque a commis des infractions
graves aux droits de l'homme qui tombent sous la compétence de la
Commission. (2) Les violations graves de droits de l'homme doivent
avoir eu des buts et objectifs politiques. (3) Les personnes ayants
commis les infractions graves doivent avouer tout ce qu'ils ont commis, demander
expressément pardon aux victimes et montrer un repentir, que la Commission
devra juger suffisant.
Enfin, il faut ajouter que la Commission vérité et
réconciliation se structure en 3 sous-comités autonomes avec
compétences et procédures différentes. Ces comités
sont appelés dans le texte en langue anglaise : Committee on Human
Rights violations Committee on Grant an Amnesty et Committee on Reparation
and Rehabilitation. Le premier Comité est chargé d'enquêter
sur toutes les affaires qui lui sont soumises. Il doit notamment vérifier
la nature des infractions graves aux droits de l'homme. Le deuxième
est chargé de la mise en ouvre de la procédure d'amnistie ;
il décide si l'aveu a été complet, si la violation a
été commise avec buts politiques et si le repentir est "suffisant",
donc si l'amnistie peut être accordée. Face à ce comité
se déroule la liturgie de l'aveu en présence des victimes.
Le troisième comité est chargé d'évaluer la meilleure
indemnisation pour les victimes.
J'ai évoqué au début de cet exposé l'importance de deux concepts, celui de vérité et celui de réconciliation. Je vais maintenant aborder séparément l'analyse des ces termes. Pour ce qui concerne la réconciliation il faut réfléchir sur ce que signifie réconciliation dans la Constitution de Afrique du Sud et dans le statut de la Commission : (1) "Réconciliation" signifie d'abord l'interruption d'une dialectique action-réaction, c'est à dire l'interruption de la spirale (escalade) des vengeances, qui a caractérisé l'Afrique du Sud pendant 50 années. (2) Réconciliation signifie aussi un changement du rapport dialectique entre les défenseur et les opposants de l'apartheid, notamment un changement de langage parmi des parties longuement en conflit entre eux. C'est une nouvelle forme de communication. Dans cette perspective "réconciliation" signifie l'instauration d'un dialogue et peut être pour la première fois l'instauration d'un vrai dialogue. Selon les anthropologues la vengeance est un rapport dialectique action-réaction considéré comme une forme de dialogue très simple et basée sur la réaffirmation d'un pouvoir mis en danger par l'action de l'adversaire. Au regard de la première forme dialectique basée sur la vengeance je parlerais simplement de "rapport"; avec l'interdiction de la vengeance on peut parler non plus seulement de "rapport" mais aussi de "dialogue". Le conflit est simplement un rapport entre les parties, l'interdiction de ce conflit, c'est a dire l'interdiction de la vengeance signifie l'instauration d'un dialogue. La "Réconciliation" est donc remplacement d'un simple rapport par le dialogue.
J'aimerais maintenant réfléchir au motif du choix d'une Commission
au lieu d'un tribunal. A ce propos il faut éclairer la structure du
tribunal et les caractéristiques de la liturgie processuelle, liturgie
où il y a une symbolique très forte. Selon les catégories
que j'ai proposées tout à l'heure, se développe dans
le procès un "rapport" et non pas un "dialogue". Les parties d'une
dialectique processuelle sont une fois encore en conflit entre eux, une en
face de l'autre avec un dynamique action-réaction. La décision
du juge sanctionne la fin du conflit sur le plan processuel mais n'instaure
pas un dialogue entre les parties. Ce choix est basé sur le fait qu'en
réalité le tribunal est un lieu de reproduction d'un "rapport"
plutôt que lieu de production d'un "dialogue".
En ce qui concerne l'analyse du terme vérité il faut envisager
comme un des buts fondamentaux de la Commission le fait de poursuivre
l'éclaircissement sur les faits et sur les crimes commis pendant
l'apartheid. La Commission apparaît comme un institution où
reconstruire l'histoire de l'Afrique du Sud, un lieu où recueillir,
notamment à travers les aveux, des nouveaux éléments
pour renouveler les analyses historiques. Plusieurs observateurs ont parlé
de l'expérience de la Commission comme d'un "travail de deuil". Il
faudrait réfléchir comment le débat politique qui s'est
déroulé en Afrique du Sud autour de l'institution d'une Commission
au lieu d'un tribunal, a aussi touché l'analyse du concept de
vérité et de vérité historique par rapport au
concept de vérité processuelle. D'où la
nécessité d'établir si, et dans quelle mesure, un tribunal
et un procès pénal peuvent être utiles pour le processus
de reconstruction historique.
Quelques brèves allusions ici à des questions qui sont très
complexes : les logiques utilisées par l'historien pendant le rangement
des sources et pendant l'élaboration d'un théorie de l'histoire
sont-elles homologues aux appréciations (évaluations) des preuves
faites par le juge avant de prononcer un jugement ? Est-ce que les conclusions
processuelles, (la "vérité processuelle"), sont directement
cooptables d'un plan processuel au plan historique? Le choix effectué
par l'Afrique du Sud apparaît comme très clair. La
vérité que l'on veut poursuivre est une vérité
qui émerge par les aveux et notamment à travers le débat
qui se développe entre auteurs des crimes et leurs victimes.