DHDI
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Etaient présents : Eberhard Christoph (LAJP), Innak
Rose (LAJP), Liwerant Sara (CDPC/ Paris 10), Madjri Loïc (LAJP), Maldonado
Maria Mercedes (LAJP), Ngono Solange (Paris 13), Oumerzouk Sabrina (LAJP),
Tounkara Jean (LAJP) et Younes Carole (LAJP).
Dans ce séminaire il s'agissait de voir dans quelle mesure l'Islam
était devenu un instrument destiné à gérer, à
contrôler la société et la politique. En raison de la
trop grande largeur du sujet, il ne fut pas possible d'aborder entièrement
le point de l'instrumentalisation politique de l'Islam, qui, à travers
l'exemple algérien, nous aurait permis de voir comment l'Islam fut
utilisé par les "autorités religieuses", au milieu du 20ème
siècle, pour lutter contre la présence française et
le risque de "dépersonnalisation", de "déculturation" de la
société algérienne (voir à ce sujet le discours
idéologique développé par le mouvement des Oulemas,
et de son leader Cheikh Ben-Badis).
Au lendemain de l'indépendance, l'Islam fut utilisé par le
pouvoir algérien, pour, d'une part, se maintenir à la tête
de l'Etat et, d'autre part, pour gérer et contrôler la
société civile. C'est notamment ainsi que l'Islam fut
déclaré religion d'Etat, qu'un Ministère des Affaires
Religieuses fut créé, permettant ainsi au Pouvoir en place
de se placer dans la position du seul représentant et défenseur
véritable de l'Islam. Les autorités religieuses locales furent
ainsi assujetties aux contrôles étatiques et au discours religieux
officiel.
Par ailleurs, la politique d'arabisation menée par l'Etat introduisit
au sein du système scolaire une méthode d'apprentissage
héritée des médersas (Ecoles coraniques), basée
sur la seule mémorisation - ce qui excluait tout travail d'analyse
et de critique.
Dans le même temps, l'Etat faisait appel à des professeurs
arabisants venus du Moyen-Orient (Egypte, Syrie ...) dont le conservatisme
religieux était notablement connu dans leurs pays. Avec les cours
de Tarbi'a islamia (Education religieuse) introduits dès les
classes primaires, les valeurs islamiques, issues de l'orthodoxie religieuse,
étaient ainsi peu à peu inculquées aux jeunes enfants.
C'est notamment, pourrait-on dire sans trop se tromper, cette arabisation
et islamisation, alliée à une méthode d'apprentissage
uniquement basée sur la mémorisation et l'interprétation
littérale excluant tout esprit d'analyse qui généra,
pour partie, une génération post-indépendance
imprégnée des valeurs islamiques les plus conservatrices, et
qui seront, à partir des années 1970, de plus en plus attentives
aux discours et à l'idéologie islamistes développés
par les leaders religieux qui réunissaient autour d'eux, nombre
d'étudiants arabisants, puis, par la suite, les jeunes
défavorisés séduits par le discours égalitaire
et les promesses d'une vie meilleure entièrement régie par
les valeurs islamiques.
A partir de 1988, les différents leaders islamistes, souvent contraints
à la clandestinité en raison de leurs discours politiques vinrent
officiellement faire reconnaître leurs mouvements, associations etc.
A partir de là, les premiers partis politiques se formèrent
et entrèrent dans l'arène politique pour réclamer une
République Islamique.
1.L'instrumentalisation sociale de l'Islam et la pensée
orthodoxe
Ce point fut examiné à travers, surtout, les rapports homme/femme,
dans la mesure où ce sont, me semble-t-il, les relations homme/femme
qui peuvent le mieux nous donner un aperçu de type de société
dans laquelle nous sommes. Nous avons commencé par brosser un tableau
de la société arabe bédouine pré-islamique où
les relations homme/femme pouvaient être très différentes
d'une tribu à l'autre : de tribus où les femmes n'avaient aucun
droit aux tribus où les femmes avaient des droits forts élevés
allant de la propriété de la tente au droit de répudier
l'époux, des tribus patrilinéaires aux tribus
matrilinéaires.
A l'époque où apparu l'Islam, la société
pré-islamique traversait une période où le relâchement
des moeurs, notamment dans les centres sédentarisés, était
profond. Quête du profit, prostitution consécutive aux razzias
destinées au début à enrichir les tribus par l'apport
de biens matériels ou de femmes, et qui , par la suite, permettaient
aux hommes d'enlever les femmes uniquement dans le but de les vendre comme
esclaves ou prostituées.
L'esprit mercantile, de plus en plus développé dans la
société, aboutissait au relâchement des liens de sang
au profit de la communauté d'intérêt. L'apparition de
l'Islam à cette époque, avec les droits nouveaux qu'il accordait
aux femmes, les nouvelles valeurs morales d'entre-aide, d'équité
etc. qu'il prônait, apparu donc comme une avancée pour l'ensemble
de la société. Dès son apparition l'Islam prouva sa
tolérance envers les autres religions. Les guerres saintes, ou
Djihad, avaient certes pour but de répandre la nouvelle religion,
mais le principe fondamental était alors de convaincre et non de
contraindre. Les vaincus conservaient ainsi leur religion en échange
du payement d'un impôt spécial. Les conquêtes arabes furent
pour cette raison plus favorablement accueillies et acceptées par
les populations locales que les conquêtes barbares. Les musulmans,
dans un esprit de pragmatisme, se montrèrent également très
accueillants face aux coutumes des sociétés conquises : ils
admirent ainsi le Mazdéisme parmi les religions du Livre, bien que
le Coran ne le mentionnera pas et condamnera au contraire les adorateurs
du feu. De la même façon, ils intégrèrent dans
leur propre culture, l'héritage intellectuel des civilisations conquises,
sans que cela soit perçu comme une menace pour leur identité
culturelle.
Les premiers siècles de l'Islam connurent donc une atmosphère
de relative liberté de pensée et d'expression permettant le
débat intellectuel, l'avancée des recherches scientifiques
ou la floraison de grandes oeuvres littéraires, philosophiques ...
C'est notamment grâce à cette liberté de pensée
et d'expression que les quatre écoles juridiques se formèrent.
Puis peu à peu, entre le 10ème et le 11ème siècle,
cette liberté commença à décliner au profit d'un
mode de penser orthodoxe, dogmatique, uniforme, refusant le débat
tant politique que religieux. Les portes de l'Ijtihad (effort
d'interprétation des textes religieux face à l'évolution
de la société) furent définitivement closes à
cette période, immobilisant ainsi la pensée religieuse alors
que la société continua à évoluer au fil du temps
à l'exception des structures familiales qui restèrent
influencées par cette pensée.
La méthode d'enseignement des médersas, basée,
comme nous l'avons vu, sur l'interprétation littérale des textes,
la stricte mémorisation, engendra donc un mode de penser conformiste
d'où était exclu l'esprit de critique et d'analyse, ainsi que
l'introduction de la raison dans l'interprétation religieuse. Le pouvoir
religieux orthodoxe, jusque là minoritaire, s'étendit de plus
en plus et gagna de plus en plus en influence sur la société
civile, mais ne triompha finalement que lorsqu'il s'unit avec le pouvoir
politique (voir à ce sujet le film de Youcef Châhine, Le
Destin). Dès lors, tout ce qui était perçu comme
une menace à l'encontre de l'orthodoxie religieuse, fut
écarté, voir détruit grâce à l'appui du
pouvoir politique ("Alliance du Sabre et du Goupillon").
Aujourd'hui encore, tout chercheur/penseur, allant à l'encontre des
dogmes officiels, reste largement méconnu des sociétés
civiles arabo-musulmanes, voir est tout simplement considéré
par les autorités religieuses comme apostat.
2. La pensée orthodoxe, la société et les femmes
L'orthodoxie religieuse, qui se développa autour des 10ème
et 11ème siècles pour triompher au 12ème siècle,
est basée sur une pensée essentiellement tournée vers
le passé, selon laquelle le Coran, incluant toute la vérité,
est et restera un texte hors du temps et de l'espace.Dès lors les
innovations ou les interprétations innovatrices du Coran ne peuvent
que conduire à l'erreur, et ce d'autant plus que le prophète
et tous ceux qui ont vécu la révélation sont désormais
morts. Les risques d'une interprétation fausse sont dès lors
encore plus grands.
Le passé, ayant pour point de départ la Révélation,
est ainsi le moment de la perfection et plus on s'éloigne de ce point,
plus on s'éloigne de la perfection pour s'approcher de l'imperfection.
Afin de sauvegarder la perfection d'origine, il faut alors non pas innover,
interpréter ou analyser mais simplement imiter. Le taqlid,
c'est à dire l'imitation, tout comme la mémorisation, devient
le principe premier de tout apprentissage. Les idées orthodoxes du
10ème/11ème siècle se retrouvent ainsi aujourd'hui aussi
vivement qu'à cette période, donnant cette impression d'une
pensée arabo-musulmane totalement figée, regardant toute recherche
scientifique et l'Avenir avec méfiance. Le triomphe de l'orthodoxie
et l'émergence de la pensée formaliste eurent pour effet de
rendre les structures sociales et politiques d'une rigidité
empêchant aujourd'hui toute transformation interne aussi longtemps
qu'une transformation de la pensée orthodoxe elle-même n'a pas
eu lieu.
C'est encore, en grande partie, cette orthodoxie religieuse qui contribue
à maintenir la femme dans son statut social traditionnel. En effet,
bien avant l'apparition de l'Islam, la société arabe était
une société majoritairement patriarcale. Le groupe masculin
dominait le groupe féminin en une hiérarchie jusque là
non démentie. Avec l'Islam, les femmes accédèrent au
statut de sujet, et non plus d'objet, de droits, et à celui de croyant
au même titre que les hommes. Afin de contourner ces principes nouveaux
et d'en limiter les effets sur la hiérarchie traditionnelle, les hommes,
détenteurs du monopole d'interprétation des textes religieux,
firent en sorte de maintenir la femme dans son rôle ancestral, en
soumettant, notamment, son accès au statut de croyante à son
obéissance totale à l'homme pour prouver ainsi son obéissance
à Dieu.