DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 20/01/1999 animé par Sabrina Oumerzouk :

L'instrumentalisation politique et sociale de l'Islam

Etaient présents : Eberhard Christoph (LAJP), Innak Rose (LAJP), Liwerant Sara (CDPC/ Paris 10), Madjri Loïc (LAJP), Maldonado Maria Mercedes (LAJP), Ngono Solange (Paris 13), Oumerzouk Sabrina (LAJP), Tounkara Jean (LAJP) et Younes Carole (LAJP).

Dans ce séminaire il s'agissait de voir dans quelle mesure l'Islam était devenu un instrument destiné à gérer, à contrôler la société et la politique. En raison de la trop grande largeur du sujet, il ne fut pas possible d'aborder entièrement le point de l'instrumentalisation politique de l'Islam, qui, à travers l'exemple algérien, nous aurait permis de voir comment l'Islam fut utilisé par les "autorités religieuses", au milieu du 20ème siècle, pour lutter contre la présence française et le risque de "dépersonnalisation", de "déculturation" de la société algérienne (voir à ce sujet le discours idéologique développé par le mouvement des Oulemas, et de son leader Cheikh Ben-Badis).

Au lendemain de l'indépendance, l'Islam fut utilisé par le pouvoir algérien, pour, d'une part, se maintenir à la tête de l'Etat et, d'autre part, pour gérer et contrôler la société civile. C'est notamment ainsi que l'Islam fut déclaré religion d'Etat, qu'un Ministère des Affaires Religieuses fut créé, permettant ainsi au Pouvoir en place de se placer dans la position du seul représentant et défenseur véritable de l'Islam. Les autorités religieuses locales furent ainsi assujetties aux contrôles étatiques et au discours religieux officiel.

Par ailleurs, la politique d'arabisation menée par l'Etat introduisit au sein du système scolaire une méthode d'apprentissage héritée des médersas (Ecoles coraniques), basée sur la seule mémorisation - ce qui excluait tout travail d'analyse et de critique.

Dans le même temps, l'Etat faisait appel à des professeurs arabisants venus du Moyen-Orient (Egypte, Syrie ...) dont le conservatisme religieux était notablement connu dans leurs pays. Avec les cours de Tarbi'a islamia (Education religieuse) introduits dès les classes primaires, les valeurs islamiques, issues de l'orthodoxie religieuse, étaient ainsi peu à peu inculquées aux jeunes enfants. C'est notamment, pourrait-on dire sans trop se tromper, cette arabisation et islamisation, alliée à une méthode d'apprentissage uniquement basée sur la mémorisation et l'interprétation littérale excluant tout esprit d'analyse qui généra, pour partie, une génération post-indépendance imprégnée des valeurs islamiques les plus conservatrices, et qui seront, à partir des années 1970, de plus en plus attentives aux discours et à l'idéologie islamistes développés par les leaders religieux qui réunissaient autour d'eux, nombre d'étudiants arabisants, puis, par la suite, les jeunes défavorisés séduits par le discours égalitaire et les promesses d'une vie meilleure entièrement régie par les valeurs islamiques.

A partir de 1988, les différents leaders islamistes, souvent contraints à la clandestinité en raison de leurs discours politiques vinrent officiellement faire reconnaître leurs mouvements, associations etc. A partir de là, les premiers partis politiques se formèrent et entrèrent dans l'arène politique pour réclamer une République Islamique.

1.L'instrumentalisation sociale de l'Islam et la pensée orthodoxe

Ce point fut examiné à travers, surtout, les rapports homme/femme, dans la mesure où ce sont, me semble-t-il, les relations homme/femme qui peuvent le mieux nous donner un aperçu de type de société dans laquelle nous sommes. Nous avons commencé par brosser un tableau de la société arabe bédouine pré-islamique où les relations homme/femme pouvaient être très différentes d'une tribu à l'autre : de tribus où les femmes n'avaient aucun droit aux tribus où les femmes avaient des droits forts élevés allant de la propriété de la tente au droit de répudier l'époux, des tribus patrilinéaires aux tribus matrilinéaires.

A l'époque où apparu l'Islam, la société pré-islamique traversait une période où le relâchement des moeurs, notamment dans les centres sédentarisés, était profond. Quête du profit, prostitution consécutive aux razzias destinées au début à enrichir les tribus par l'apport de biens matériels ou de femmes, et qui , par la suite, permettaient aux hommes d'enlever les femmes uniquement dans le but de les vendre comme esclaves ou prostituées.

L'esprit mercantile, de plus en plus développé dans la société, aboutissait au relâchement des liens de sang au profit de la communauté d'intérêt. L'apparition de l'Islam à cette époque, avec les droits nouveaux qu'il accordait aux femmes, les nouvelles valeurs morales d'entre-aide, d'équité etc. qu'il prônait, apparu donc comme une avancée pour l'ensemble de la société. Dès son apparition l'Islam prouva sa tolérance envers les autres religions. Les guerres saintes, ou Djihad, avaient certes pour but de répandre la nouvelle religion, mais le principe fondamental était alors de convaincre et non de contraindre. Les vaincus conservaient ainsi leur religion en échange du payement d'un impôt spécial. Les conquêtes arabes furent pour cette raison plus favorablement accueillies et acceptées par les populations locales que les conquêtes barbares. Les musulmans, dans un esprit de pragmatisme, se montrèrent également très accueillants face aux coutumes des sociétés conquises : ils admirent ainsi le Mazdéisme parmi les religions du Livre, bien que le Coran ne le mentionnera pas et condamnera au contraire les adorateurs du feu. De la même façon, ils intégrèrent dans leur propre culture, l'héritage intellectuel des civilisations conquises, sans que cela soit perçu comme une menace pour leur identité culturelle.

Les premiers siècles de l'Islam connurent donc une atmosphère de relative liberté de pensée et d'expression permettant le débat intellectuel, l'avancée des recherches scientifiques ou la floraison de grandes oeuvres littéraires, philosophiques ... C'est notamment grâce à cette liberté de pensée et d'expression que les quatre écoles juridiques se formèrent. Puis peu à peu, entre le 10ème et le 11ème siècle, cette liberté commença à décliner au profit d'un mode de penser orthodoxe, dogmatique, uniforme, refusant le débat tant politique que religieux. Les portes de l'Ijtihad (effort d'interprétation des textes religieux face à l'évolution de la société) furent définitivement closes à cette période, immobilisant ainsi la pensée religieuse alors que la société continua à évoluer au fil du temps à l'exception des structures familiales qui restèrent influencées par cette pensée.

La méthode d'enseignement des médersas, basée, comme nous l'avons vu, sur l'interprétation littérale des textes, la stricte mémorisation, engendra donc un mode de penser conformiste d'où était exclu l'esprit de critique et d'analyse, ainsi que l'introduction de la raison dans l'interprétation religieuse. Le pouvoir religieux orthodoxe, jusque là minoritaire, s'étendit de plus en plus et gagna de plus en plus en influence sur la société civile, mais ne triompha finalement que lorsqu'il s'unit avec le pouvoir politique (voir à ce sujet le film de Youcef Châhine, Le Destin). Dès lors, tout ce qui était perçu comme une menace à l'encontre de l'orthodoxie religieuse, fut écarté, voir détruit grâce à l'appui du pouvoir politique ("Alliance du Sabre et du Goupillon").

Aujourd'hui encore, tout chercheur/penseur, allant à l'encontre des dogmes officiels, reste largement méconnu des sociétés civiles arabo-musulmanes, voir est tout simplement considéré par les autorités religieuses comme apostat.

2. La pensée orthodoxe, la société et les femmes

L'orthodoxie religieuse, qui se développa autour des 10ème et 11ème siècles pour triompher au 12ème siècle, est basée sur une pensée essentiellement tournée vers le passé, selon laquelle le Coran, incluant toute la vérité, est et restera un texte hors du temps et de l'espace.Dès lors les innovations ou les interprétations innovatrices du Coran ne peuvent que conduire à l'erreur, et ce d'autant plus que le prophète et tous ceux qui ont vécu la révélation sont désormais morts. Les risques d'une interprétation fausse sont dès lors encore plus grands.

Le passé, ayant pour point de départ la Révélation, est ainsi le moment de la perfection et plus on s'éloigne de ce point, plus on s'éloigne de la perfection pour s'approcher de l'imperfection. Afin de sauvegarder la perfection d'origine, il faut alors non pas innover, interpréter ou analyser mais simplement imiter. Le taqlid, c'est à dire l'imitation, tout comme la mémorisation, devient le principe premier de tout apprentissage. Les idées orthodoxes du 10ème/11ème siècle se retrouvent ainsi aujourd'hui aussi vivement qu'à cette période, donnant cette impression d'une pensée arabo-musulmane totalement figée, regardant toute recherche scientifique et l'Avenir avec méfiance. Le triomphe de l'orthodoxie et l'émergence de la pensée formaliste eurent pour effet de rendre les structures sociales et politiques d'une rigidité empêchant aujourd'hui toute transformation interne aussi longtemps qu'une transformation de la pensée orthodoxe elle-même n'a pas eu lieu.

C'est encore, en grande partie, cette orthodoxie religieuse qui contribue à maintenir la femme dans son statut social traditionnel. En effet, bien avant l'apparition de l'Islam, la société arabe était une société majoritairement patriarcale. Le groupe masculin dominait le groupe féminin en une hiérarchie jusque là non démentie. Avec l'Islam, les femmes accédèrent au statut de sujet, et non plus d'objet, de droits, et à celui de croyant au même titre que les hommes. Afin de contourner ces principes nouveaux et d'en limiter les effets sur la hiérarchie traditionnelle, les hommes, détenteurs du monopole d'interprétation des textes religieux, firent en sorte de maintenir la femme dans son rôle ancestral, en soumettant, notamment, son accès au statut de croyante à son obéissance totale à l'homme pour prouver ainsi son obéissance à Dieu.