DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 21/01/1998 animé par
Barnabé Georges Gbago et portant sur les:
Contributions Béninoises à la Théorie des Droits de l'Homme


Etaient présents : Caravajal Liliah (IHEAL), de Graverol Gaël (INALCO), Eberhard Christoph (LAJP), Gbago Barnabé Georges (LAJP), Huyghebaert Patricia (Juristes-Solidarités), Martin Boris (Juristes-Solidarités), Nké Eyebe Véronique (LAJP) et Soykan Muazzez (INALCO).

(1) Exposé

"Les droits de l'homme sont à leur zénith, mais ils font problème" (Michel Villey). La conscience humaine est, nous semble-t-il, la seule autorité capable de décider quelle vérité est assez bonne pour mériter d'être imposée à l'humanité entière. Mais les valeurs fondatrices d'une conscience d'aussi vastes dimensions nous manquent aujourd'hui (A. Camus). L'universalisme dont il est question ne sert-il pas d'alibi pour détruire l'autre dans sa culture ? Il n'est qu'à relire les articles 16 et 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (relatifs respectivement au mariage et à la propriété) pour s'en rendre compte. Qu'un "jus cogens" ou qu'un "noyau intangible" des droits de l'homme traverse toutes les cultures humaines, c'est un fait désormais constaté mais non encore construit. Une approche diatopique suppose avant tout l'existence d'une communauté universelle des droits puis un consensus sur le contenu de ces droits : c'est l'approche dialogale qui a manqué à l'actuelle Déclaration dite Universelle des Droits de l'Homme.

Les droits africains (donc béninois), les vécus et les relations juridiques de cette partie du monde ne sont pas reflétés par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. A titre d'exemple, l'ordre imposé d'en haut par l'Etat se conjugue ici avec un ordre négocié au sein des sociétés. La catégorie du sacré, si importante dans l'univers béninois, n'existe nulle part dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Avant tout consensus, il faut une définition interculturelle du Droit, cette normativité spéciale (le système juridique) qui ne naît pas ex nihilo mais dans un "champ juridique", au sein d'autres systèmes normatifs (morale, religion, jeu...). Les Béninois cèdent une partie de leurs cultures afin de mieux s'imprégner de la culture occidentale véhiculée par le droit international des droits de l'homme (le statut des femmes, le statut des enfants, la place des cadets...).

En retour ils sont conscients de tout l'apport que leurs cultures pourraient donner à ce couple Personne/Pouvoir si fondamental dans la théorie et dans la praxis des droits de l'homme : la structuration sociale et le "pluralisme cohérent de la personne" (L.V. Thomas). A titre d'illustration, la richesse sémantique de la notion de personne : cinq à sept vocables pour décrire les composantes de la personne humaine qui se prolonge au-delà de la mort. Il existe donc un surcroît d'être, part sacrée et immuable. Le corps se fond dans l'entourage, l'héritage et l'innéité pour faire corps avec le monde. Ainsi, des contraintes imposées à l'homme participent de son fonctionnement psychique. La scission de la personnalité (cf. le double de Dostoïevski, le Horla de G. de Maupassant ...) trop fréquente dans les sociétés individualistes et en voie de déstructuration, menace les élites béninoises gagnées par l'universalisme.

La notion de dignité humaine (noyau intangible) est restaurée dans un espace de communication et d'échange, logique fonctionnelle et permanence du droit de la solidarité. Témoins, la persistance de l'ordre territorial béninois et de l'ordre religieux (la parenté, de moins en moins) comme antidotes au pouvoir et comme protection des personnes. L'enrichissement de l'idée de l'homme et les conditions sociales de liberté constituent les insuffisances théoriques de la théorie des droits de l'homme. La conception de modèles et de concepts homéomorphes permettront de relever ces défis de la complexité et d'aborder la discussion à partir des valeurs propres. Aujourd'hui il est vain de vouloir chercher à conquérir culturellement les pays lointains. A moins que l'objectif ne soit d'appauvrir l'idéal démocratique.

(2) Discussion

Les débats ont essentiellement porté sur la perception africaine des droits de l'homme aujourd'hui, et sur la problématique de l'arbitraire de l'Etat néocolonial et de ses suppôts locaux (policiers, gendarmes, fonctionnaires ...). La question de la pertinence au Bénin (et en Afrique) de la théorie contemporaine des droits de l'homme a été abordé. La théorie des droits de l'homme est elle inutile aujourd'hui au Bénin (et en Afrique) ? Cela dépend de la définition donnée. La référence à une subjectivité individuelle et l'expression suprême d'un droit subjectif relèvent d'une construction ou d'une fiction juridique occidentale peu compréhensible par les Béninois, i.e. d'une approche abstraite et spéculative, loin des réalités de terrain.

De toute évidence, il convient d'effectuer une dichotomie entre les instances étatiques et sociétales. Les premières gagneraient à être formées au respect de la dignité de toute personne humaine - riche ou pauvre - et devraient contribuer à désarmer toute tendance hégémonique des dirigeants politiques. Quant aux secondes, il convient de prévoir en leur sein des mécanismes de régulation sociale par consensus et peut-être devraient-elles être associées au premières dans l'exercice du pouvoir. Ainsi le constituant béninois n'a pas à s'inquiéter de prévoir une seconde Chambre où seraient représentés les ressortissants de toutes les instances sociétales.

Quant à la question de savoir ce qui pourrait protéger efficacement contre les pouvoirs, il faut noter que la société a toujours joué le rôle de limite à l'absolutisme politique, autour principalement de la notion du sacré (et de la magie) au pays du vodoun. Et ce n'est pas un hasard que l'Archevèque de Cotonou eut à calmer les passions lors de la Conférence Nationale du Bénin, contribuant ainsi à la pacification du pays. Outre l'ordre religieux, l'ordre territorial ou parental constitue également un antidote visible ou invisible au pouvoir arbitraire (quoi qu'à un moindre niveau de nos jours).

Enfin a été abordé la nécessité dans le contexte béninois de repenser les termes "droit" et "homme" en ne les pensant non plus dans la tradition moderne occidentale, mais à partir des traditions animistes du Bénin.

N.B. : La thèse Contributions Béninoises à la Théorie des Droits de l'Homme, où sont approfondies les idées exposées ci-dessus, est consultable au LAJP. Rappelons aussi que les enregistrements de tous les séminaires sont disponibles au LAJP.


(3) Informations relatives au groupe de travail

Pour refléter la diversité de nos perspectives et afin de permettre l'émergence d'un véritable dialogue au sein de notre groupe de travail, nous avons décidé que ce sera toujours celui qui animera le séminaire qui en fera le compte rendu : ainsi le résumé de son intervention reflétera vraiment sa propre perspective et le compte rendu des débats chaque fois écrit par un autre membre du groupe nous permettra d'approcher ce que nous partageons au travers de nos différentes perspectives (quelle meilleure façon de pratiquer le diatopisme si indispensable à l'émergence de tout véritable dialogue ?? !!!).

Exceptionnellement nous nous réunirons à nouveau la semaine prochaine (11/02/1998). Patricia et Boris nous ferons une présentation de Juristes-Solidarités et Serge Diebolt qui s'occupe du site internet "Droit et Société" nous rejoindra. Nous en profiterons pour discuter de possibles collaborations. Puis deux semaines de vacances et retour à notre rythme habituel le 04/03/1998.

Enfin, pour les retardataires, essayez de penser aux 10 FF et à la cassette (normale, pas chrome) de 90 minutes pour enregistrer les séminaires !!! A bientôt !!!