DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 18/11/1998 animé par Christoph Eberhard et portant sur :

Pour une approche pluraliste des Droits de l'Homme

Etaient présents : Eberhard Christoph (LAJP), Fontaine Sonia (LAJP), Huyghebaert Patricia (Juristes-Solidarités), Innak Rose (LAJP), Konan Christiane (LAJP), Lavocat Alain, Lesage Manuela (LAJP), Lollini Andrea (EHESS), Loteteka Jackie (LAJP), Madjri Loïc (LAJP), Maldonado Maria Mercedes (LAJP), Malutama Narcy (LAJP), Martin Boris (Juristes-Solidarités), Mbouck Thérèse d'Avila (Cabinet Weissberg) et Tounkara Jean (LAJP).

Exposé

Ce séminaire avait pour but de répondre à une demande croissante de clarification épistémologique de notre démarche. Il a introduit une série de séminaires qui se tiendront les mercredis où il n'y a pas de présentation de travaux. L'idée est de nous rencontrer, de clarifier les bases de notre démarche commune et de dégager petit à petit à travers nos dialogues nos topoi de recherche respectifs, de cristalliser nos démarches et de les mettre en perspective par rapport à notre thème général "Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel". Il serait bien que chaque chercheur arrive d'ici les mois d'avril-mai de présenter en cinq pages (maximum) sa démarche en l'inscrivant dans son parcours de recherche, en réfléchissant à la manière dont s'est construite sa problématique et comment elle continue à évoluer, comment elle se situe par rapport à d'autres recherches et par rapport à notre groupe de travail (voir par exemple ma contribution "Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel - Réflexions critiques sur une démarche" dont il y a une copie dans notre casier "Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel" au secrétariat). Ceci nous permettra outre nos discussions de lire nos "présentations respectives" et débouchera en juin sur un ou deux séminaires "Pour une approche pluraliste des Droits de L'Homme" qui nous permettra de cristalliser notre démarche commune.

L'essentiel de cet exposé était basé sur l'article de Robert Vachon "Le mythe émergent du pluralisme et de l'interculturalisme de la réalité" qui approfondit et éclaire les travaux de Raimon Panikkar sur le pluralisme (voir aussi les n° 127, 128 et 129 d'Interculture).

Il faut petit à petit apprendre à aller de la simple pluralité au pluralisme. En effet, le pluralisme n'est pas uniquement reconnaissance de la pluralité comme rationnellement intelligible. Si la pluralité réfère à un monde d'objets et de concepts, la reconnaissance du pluralisme va plus loin. C'est la reconnaissance que le monde dans lequel nous vivons n'est pas uniquement un monde de concepts et d'objets mais aussi de sujets qui ne pourront jamais être réduits à des objets. Le pluralisme émerge donc avec la découverte de la "personne" comme noeud dans un filet de relations. Il n'existe rien d'isolé, tout est interdépendant et on est ainsi dans une relativité radicale. Le pluralisme est fondé sur la conviction que quel que soit le degré de réalité de nos idées elles ne pourront jamais épuiser la réalité. Il surgit donc quand on reconnaît les limites de la Raison et qu'on ne les identifie pas avec les limites de l'Etre. Le problème du pluralisme émerge lorsque la pluralité devient un problème non plus uniquement intellectuel mais existentiel : les différences entre nous et entre nous et les éléments de la nature ne sont pas simplement conceptuelles, catégorielles ou logiques mais sont beaucoup plus radicales. Elles sont irréductibles à la connaissance qu'on peut en avoir et se situent au niveau de l'Etre. Ces différences sont donc irréductibles à l'unité. Une attitude pluraliste ne consiste ni à essayer de réduire les différences à une unité, ni à affirmer qu'il existe plusieurs vérités. Fondamentalement c'est une attitude qui consiste à voir la Vérité même comme pluraliste et est donc une attitude d'ouverture et d'écoute. Elle ne s'oppose pas à la cohérence, à l'unité, à la rationalité mais elle met en garde contre le totalitarisme de la pensée. Si le défi de la pluralité est d'établir l'unité malgré les différences, celui du pluralisme est de vivre en harmonie dans et à cause des différences. L'attitude pluraliste nous permet de prendre conscience de la différence fondamentale entre nos concepts et nos présupposés implicites et nous ouvre aux différences fondamentales de nos visions du monde. Nous ne pouvons pas être réduits en tant que sujets à des interprétations extérieures. Ainsi il peut exister différents centres d'intelligibilité : le logos (monde des concepts et des objets) et le mythos (le monde des sujets et des personnes). Cette reconnaissance qu'il n'y a pas de besoin absolu de tout ramener à un point d'intelligibilité universel nous invite à placer notre confiance dans la Réalité elle même et fait appel à une "confiance cosmique". Raimon Panikkar note à propos du pluralisme : "Le pluralisme comporte une méthode, mais n'offre pas une alternative aux systèmes existants ... Ce qu'il fait c'est d'empêcher, avec des raisons intrinsèques qu'une méthode ou ensemble de méthodes se déclarent auto-suffisantes pour approcher une question." La méthode inhérente au pluralisme est celle du dialogue dialogal : nous regardons tous la réalité à travers notre propre fenêtre et avons donc des perspectives différentes. Pour approcher de manière plus complète une question il s'agira alors de rentrer en dialogue avec d'autres fenêtres que la nôtre, et de nous engager ainsi dans une herméneutique diatopique. Nous essayons de voir comment des "problématiques" se construisent à travers différentes perspectives et interprétons donc (herméneutique) ces problématiques à partir des lieux (topoi) qui les ont vu émerger. Ceci permet ensuite une mise en relation dialogale de ces différentes problématiques qui permet le dévoilement mutuel et progressif des présupposés implicites à chaque problématique et enrichit ainsi la compréhension que nous pouvons en avoir.

Par rapport à l'anthropologie du Droit cette démarche nous mène à réfléchir à la manière dont différentes sociétés "mettent des formes et se mettent en forme pour leur reproduction" (voir la théorie des archétypes de Michel Alliot). Mais l'approche pluraliste nous fait aussi prendre conscience de la complexité des situations. En effet, comme le remarque Michel Alliot à l'intérieur d'une même société de différentes logiques coexistent - et même à l'intérieur de nous même. De plus par rapport à notre réflexion juridique nous observons de plus en plus de phénomènes de métissage. Les sociétés ne sont pas figées, ce ne sont pas des structures immuables. Il semble donc primordial d'aborder la complexité des situations dans leur dynamisme d'où la pertinence d'une analyse processuelle telle que celle du jeu des lois développée par Etienne Le Roy. Mais à la base il y a l'exigence du dialogisme et du diatopisme pour enraciner nos démarches et rendre possible leur enrichissement mutuel et aussi la prise de conscience d'une possible complémentarité. En outre c'est uniquement à travers une telle démarche qu'il sera possible petit à petit de voir comment on peut critiquer les résultats d'une démarche à partir du point de vue d'une autre démarche (mais de façon dialogale, en ayant compris l'autre démarche et en ayant la capacité de replacer ses résultats dans le cadre de ce qu'elle cherche à expliquer). Il semble que le pluralisme et le dialogisme soient donc aux fondements de toute recherche "inter", qu'elle soit "inter-culturelle", "inter-disciplinaire" voir "inter-traditions du savoir"... En outre comme il s'agit avant tout d'une démarche plus que d'une théorie il est primordial que nous la mettions en oeuvre. Alors tous à nos ordinateurs pour commencer à clarifier nos positionnements respectifs et pour pouvoir faire émerger une véritable approche pluraliste des droits de l'Homme au sein de notre groupe de travail.

Débat

Le débat a porté sur le caractère polysémique de la notion de "Droits de l'Homme" dans notre recherche et nous a incité à réfléchir à des voies de faire entrer leur "multidimensionalité" dans les réflexions juridiques et les montages institutionnels. Dans ce cadre nous avons réfléchi à la possible émergence de "cultures communes" relatives aux "Droits de l'Homme" à des niveaux plus ou moins locaux ou globaux. Cette discussion nous a mené à un débat plus approfondi sur les pratiques alternatives du Droit, dont Patricia Huyghebaert de Juristes-Solidarités a fait une rapide présentation. Il est apparu nettement que toutes nos démarches ne pouvaient faire sens qu'en s'émancipant d'un cadre de pensée uniquement "étatique", réduisant le Droit à l'Etat et à la Loi - sans dénier cependant que l'Etat a aussi son rôle à jouer. Il y a là des pistes intéressantes à approfondir surtout que s'est maintenant constituée au Laboratoire une équipe de recherche sur l'Etat en Afrique.

P.S. : S'il vous plaît pensez aux 10 FF pour ceux qui ne me les ont pas encore donnés. De plus je n'ai encore reçu aucune cassette (normale pas chrome, de 90 minutes, pour enregistrer les séminaires) et je n'en ai plus que deux. Pensez-y s'il vous plaît. Enfin j'en profite : pensez à me faire parvenir vos disquettes (mémoires, articles...). Merci à tous !!!