DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 02/12/1998 animé par Emanuela Fronza :

Négationisme et droits de l'homme

Etaient présents : Carvajal Liliam (IHEAL), Eberhard Christoph (LAJP), Fronza Emanuela (Université de Bologne), Innak Rose (LAJP), Konan Christiane (LAJP), Liwerant Sara (Paris X - CDPC), Lollini Andrea (EHESS), Madjri Loïc (LAJP) et Saraya Aliaa (IEP de Paris).

Líentreprise révisionniste a désormais pris une dimension et une ampleur inquiétantes. Durant ces dernières années les phénomènes négationnistes et révisionnistes, qui mettent en doute, allant parfois jusquíà nier, líexistence des camps de concentrations pendant la deuxième guerre mondiale, níont pas seulement augmenté, mais ont aussi pris des formes subtiles et raffinées.

Depuis les années í80 les tribunaux des plusieurs pays européens ont dû se confronter au négationisme, conséquence grave du racisme. Justement face à líaugmentation des phénomènes négationistes dans la majorité des pays européens le législateur est intervenu pour réprimer pénalement ces affirmations. Le négationisme est donc un phénomène diffus et dangereux et les nombreux réponses normatives (pénales) en sont le témoignage.

Du terme au concept - La tentative díisoler le sens scientifique du terme négationisme par rapport au sens commun et au concept auquel il est souvent associé, le révisionnisme.

Au sens large líexpression "révisionisme" signifie la tendance historiographique à revoir les opinions historiques, sur la base de nouvelles acquisitions, en donnant une nouvelle interprétation et en opérant donc une re-écriture de líhistoire. Revenir sur les reconstructions est inévitable pour un historien comme pour níimporte quel savant.

Le révisionnisme part de la Shoah et tente une redistribution des culpabilités, attribuant à Hitler des responsabilités limités. Le négationisme, au contraire du précédent, nie simplement líexistence même de líholocauste, sans prendre en compte les règles historiografiques et sans se confronter au problème du rapport entre le génocide et la réalité historique.

Les négationnistes, les plus radicaux nient simplement líexistence des chambres à gaz hitlériennes et líextermination des juifs, des tziganes, des malades mentaux et des individus appartenant aux peuples considérés inférieurs. Selon cette doctrine, donc, le génocide pratiqué par líAllemagne nazie nía pas existé. Il relève du mythe, de la fabulation, de líescroquerie.

Il níexiste pas un paradigme négationiste unique : la seule donnée méthodologique commune, est la négation, le refus de líhistoire. Leur but esr de lutter contre “le mensonge díAuschwitz” et de síopposer à la vérité officielle en matière de génocide juif.

Négationisme et droit

Face à líaugmentation alarmante de ce phénomène plusieurs pays, dont la France, líAllemagne et la Belgique, ont introduit dispositions spéciales pour réprimer les affirmations révisionnistes et négationnistes (1).

La réflexion sur la légitimité et líopportunité de líincrimination des phénomènes négationnistes implique la confrontation avec de thématiques générales, qui relèvent du débat sur les droits fondamentaux, comme la liberté díexpression, la discrimination raciale et la dignité humaine.

Dans líhypothèse du négationisme la difficulté se situe dans la conciliation de la liberté díexpression avec autres biens juridiques garantis (la non discrimination, líordre public, líhonneur), qui se traduisent en “limites problématiques” à ce droit essentiel (2). La répression du négationisme nous amène à renouveler la réflexion sur les délits díopinion et sur líanticipation de la protection, en utilisant, pour ces infractions la structure des délits obstacles. Cette formulation est source de doutes, compte-tenu aussi du fait que cíest le droit fondamental à la liberté díexpression qui est limité. Liberté díexpression, non-discrimination, abus de la libre manifestation de pensée : ce thème exprime toutes les ambiguïtés de ce droit considéré comme essentiel dans une société démocratique.

En passant à líanalyse des législations nous noterons un droit pénal différent dans chaque Etat : le délit de négationisme est en fait décrit de manière différente dans les systèmes européens.

En matière de lutte “contre” le racisme et pour la protection de la liberté díexpression il existe au niveau international désormais un très grand nombre díinstruments contraignants ou non.

Le droit international contient simultanément des normes qui affirment la liberté díexpression et qui de líautre côté interdisent la discrimination raciale, en permettant de limiter le droit à la libre manifestation de la pensée. Les textes, ainsi que la jurisprudence qui en dérive, représentent des références fondamentales pour les solutions des cas de négationisme au niveau national (3).

Le système international, en outre, dans le but rendre effective la norme internationale, interdisant la discrimination raciale, prévoit à líégard des Etats des obligations díincriminer certains comportements (art. 4 Convention du 1965), en donnant de nouvelles lignes de politique criminelle.

Au niveau régional la CEDH avec ses normes et sa jurisprudence apporte des nombreux éléments à la réflexion sur le négationisme.

La liberté díexpression est prévue comme droit fondamental et essentiel dans une société démocratique, mais elle est pas protégée díune manière absolue (4). La Commission (cíest elle, en effet, qui síest le plus souvent prononcée sur le négationisme) admet des limites à ce droit (5). Mais on retrouve la même solution dans un arrêt récent de la Cour Européenne (6), dans lequel la Cour affirme que les manifestations négationnistes ou révisionnistes sur catégories de faits historiques clairement établis - comme líHolocauste - ne sont pas garantis par líart. 10 CEDH, en vertu de líart. 17 de la même convention (7).

LíUnion Européenne a aussi adopté une action commune (8), dans laquelle le négationisme est décrit de façon détaillée et inséré parmi les comportements que les Etats doivent eux-mêmes réprimer au niveau interne. Le Conseil européen, après avoir rappelé le fondement juridique de líaction (art. K3 TUE), en constatant líaugmentation des phénomènes racistes et líimportance de la coopération judiciaire effective face à des délits à dimension internationale, demande aux Etats díintroduire des infractions pénales pour réprimer les comportements: parmi eux líincitation publique à la discrimination (let. a)), líapologie publique de crimes contre líhumanité (b)), la diffusion díécrits contenant des manifestations xénophobes (let. d)). A la lettre c) le Conseil demande aux Etats de réprimer la négation publique des crimes définis à líart. 6 du Statut du Tribunal international de Nuremberg dans la mesure où ils incluent un comportement de mépris ou dégradant envers un groupe de personnes et en considération de leur couleur, de leur race, de leur religion ou de leur origine nationale ou ethnique.

Tous les Etats níont pas décidé de créer une infraction spéciale (cíest le cas de líItalie) et ceux qui ont opté pour líintroduction díune disposition spéciale líont formulée différemment.

Le négationisme est puni expressément en Allemagne, en France, en Autriche, en Belgique, en Espagne et en Suisse.

Le négationisme, là où il a été introduit, devient une figure autonome, séparée des infractions díapologie ou díincitation à la discrimination raciale. Est requise, selon le système national auquel on se réfère, la négation, la minimisation, la justification, líapprobation ou la contestation du génocide juif ou díautres crimes contre líhumanité.

A travers une étude terminologique des verbes pour la plupart utilisés dans les dispositions (nier, justifier, minimiser), nous observons quíil est possible de punir non seulement líaction de nier, mais aussi celle de justifier ou díapprouver, ceci comprenant le risque díune répression de ceux qui re-interprètent ou débattent sur ces événements historiques, opérations tout à fait nécessaires et essentielles dans le travail scientifique de líhistorien, sans oublier la législation française employant la notion encore plus large de contestation.

Líobjet du négationisme est réduit dans la plupart de ces dispositions à la Shoah - et pas à tous les cas de génocide et encore moins à tous les autres crimes contre líhumanité (sauf en Espagne ou en Suisse) - avec la conséquence que la négation díautres génocides ou crimes contre líhumanité ne pourraient pas être punis.

Un autre élément essentiel, comme pour les autres délits contre líordre public, est la publicité des leur conduites. Les affirmations doivent donc être faites en public. Cet élément constitutif, qui devient central pour líinfraction, est défini dans le Code pénal (par exemple dans le Code pénal allemand) ou dans les Lois spéciales concernées (Loi sur la liberté de la presse française).

Les systèmes enfin, síagissant des limites à la liberté díexpression, cherchent à limiter le champ díapplication de ces dispositions en se référant, selon les cas, à líélément du trouble susceptible díêtre porté à la paix publique (c.p. allemand) ou à la définition ìstricteî des crimes contre líhumanité, comme définis par líart. 6 du Statut du Tribunal du Nuremberg et à leur jugement par un tribunal français, et non étranger, ou international (art. 24 bis Loi Gayssot).

Face au négationisme, toutefois, il apparaît difficile de produire des lois pénales ou de rechercher la vérité historique à travers la vérité légale. Il síagit plutôt de contraster ces affirmations par des moyens intellectuels plus profonds, mais il síagit aussi de re-penser líhistoire à la lumière de la nouvelle situation de nos civilisations, ce qui permet de reconnaître le génocide comme crime propre à notre époque, et díêtre donc disposés à payer les coûts qui dérivent de la volonté de ne pas oublier et díaccueillir le principe de la tolérance idéologique parmi les principes de líétat démocratique. Face donc à la mise en crise des valeurs il faudra répondre de façon convenable et non pas confirmer cette crise en recourant à la voie institutionnelle, à la voie brève de la délégation au droit pénal.

NOTES

(1) En particulier líAllemagne avec líart. §130, c. 3 StGB, la France avec l'art. 24 bis la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l'Autriche qui utilise le § 3h de la Loi constitutionnelle du 8 mai 1945 sur l'interdiction du Parti national-socialiste, modifiée le 26 février 1992, la Suisse, avec l'art. 261 bis c. 4 du Code pénal, le Belgique, avec la Loi du 23 mars 1995 pour réprimer la contestation, la mise en discussion et la négation ou l'apologie de crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.

(2) DONINI, M., Teoria del reato. Una introduzione, Padova, 1996, p. 131.

(3) Cf. líintéressante communication du Comité pour les droits de líhomme sur líaffaire Faurisson c. France du 8 novembre 1996, COHEN JONATHAN, G., Négationisme et droits de l'homme, Revue trimestrielle de droits de l'homme, 1997, p. 571 ss.., dans laquelle le Comité déclare légitimes les restrictions à la liberté díexpression, en tant que visant à protéger la réputation autrui, et affirme que les phénomènes négationnistes constituent un des principaux vecteurs de l'antisemitisme.

(4) Sur le système du Conseil de líEurope et sur les droits fondamentaux comme logique non standard, cf. DELMAS MARTY, M., Raisonner la raison díEtat, Puf, ID. Trois défis pour un droit mondial, Seuil, 1998, p. 123 ss..

(5) Cf. Remer c. Allemagne du 6 septembre 1995 (n. 25096/94, D.R., 82-a, p. 117); Pierre Marais c. France (n. 31159/96, D.R., 86-A, p. 184); DI c. Allemagne du 26 juin 1996; Nationaldemokratische Partei Deutschlands du 29 nov. 1995 (n. 25992/94, D.R., 84-A, p. 149).

(6) Cour Européenne des Droits de líhomme, Lehideux c. France, 23 septembre 1998, § 43.

(7) Cf. RIGAUX, F., La liberté díexpression et ses limites, in Revue trimestrielle des droits de líhomme, 1995, p. 401 ss.

(8)Action commune du 15 juillet 1996, adoptée par le Conseil sur la base de l'art. K3 du Traité sur l'Union Européenne, concernant l'action contre le racisme et la xénophobie, Journal officiel de la Communauté européenne, 24 juillet 1996, volume, L 185, p. 5.