DHDI
|
Etaient présents : Carvajal Liliam (IHEAL), de Graverol
Gaël (INALCO), Eberhard Christoph (LAJP), Konan Christiane (LAJP), Lebrault
Christelle (Paris 8), Loteteka Jackie (LAJP), Madjri Loïc (LAJP), Maldonado
Maria Mercedes (LAJP), Oumerzouk Sabrina (LAJP), Skander Sami (LAJP) et Younes
Carole (LAJP).
Depuis deux ans le Laboratoire d'Anthropologie Juridique de l'Université
de Paris I et le Tribunal pour Enfants de Paris effectuent une expérience
commune d'intermédiation culturelle. Elle porte en particulier sur
la différence culturelle mais dans un but commun, celui de l'assistance
éducative.
L'intermédiation culturelle fait partie du phénomène
de médiation (phénomène très à la mode
aujourd'hui, dont le besoin se fait ressentir partout, tant dans les cités,
dans les entreprises, dans l'administration que dans la police, etc.). Mais
ce n'est pas de la médiation en tant que telle. La médiation
se définit comme un mode de règlement de conflits, qui fait
appel à un tiers, neutre, en vue de l'émergence de solutions
acceptées par les parties et élaborées avec elles.
L'intermédiation culturelle, quant à elle, se définit
certes comme une forme alternative du règlement de conflits, mais
l'intermédiaire culturel qui fait office de médiateur
n'est mandaté uniquement que par le Juge. L'intermédiaire
culturel permet ainsi l'échange d'informations culturelles et
fonctionnelles, donne un éclairage ethnique, en vue d'améliorer
la communication entre le Magistrat et un groupe de famille issu d'une culture
différente, dans le but d'une inter-compréhension. Il s'agit
donc de s'interroger sur ce qui est acceptable et sur ce qu'on peut mettre
en place pour qu'une communication et une compréhension entre les
deux parties puissent s'établir. L'intérêt de
l'intermédiation culturelle c'est de permettre au juge de mieux orienter
son action sur la base de données culturelles que lui apporte
l'intermédiaire culturel. L'irruption de ce type de médiation
dans le champ social résulte de la crise sociale , mais aussi d'une
augmentation de volume de la population africaine dans l'hexagone. En 1995,
des Juges pour enfants se sont posés cette question : "qu'en est-il
(quelle est la part) de la différence culturelle pour les mineurs
qui comparaissent devant le Juge des Enfants ?"
Cet état de fait a ouvert la brèche à une intervention
spécifique. Une première expérience a été
mise en place par l'équipe éthno-psychiatrique du professeur
Tobie NATHAN (Université Paris XIII). L'ethnopsychiatrie consiste
à prendre en charge les familles migrantes de toutes origines dans
leur propre langue, selon des manières de faire conforme à
leur culture et à l'aide de concepts ou d'objets ayant cours dans
leur univers culturel. Des réflexions évolutives issues de
ces groupes de travail ont amené le Tribunal de solliciter le LAJP
pour mettre en place et évaluer l'expérience d'intermédiation
culturelle, expérience s'adressant aux mineurs d'origine africaine
dont le cadre judiciaire est fixé par le nouveau code de la
procédure civile.
Le fait de tenir compte de la différence culturelle devant la Justice
est une démarche qui favorise l'intégration. S'adapter à
une situation, c'est reconnaître des difficultés spécifiques
pour mieux communiquer avec l'autre. C'est prendre en compte certaines
différences pour les dépasser rapidement et favoriser ainsi
le processus intégrateur.
Ordonnateur du réel de l'enfant et garant du contradictoire, le Juge
des Enfants est souvent confronté à des blocages réels
du fait de sa culture et/ou de sa position. Il est tenu au terme de l'art.375
al.1 du Code Civil, d'associer la famille à sa décision qui
peut être frappée d'appel. Ainsi la famille doit être
impliquée de la manière la plus consensuelle aux solutions
préconisées. Compte tenu de ces blocages, le Juge peut avoir
recours à l'intermédiaire culturel. L'initiative du Tribunal
pour Enfants de paris de recourir à des intermédiaires culturels
africains formés au LAJP s'inscrit dans la recherche de solutions,
des meilleures solutions, qui permettront au Juge de faire la part du culturel
et du pathologique. C'est également une manière d'intégrer
véritablement les familles africaines dans la gestion des conflits
et dans la recherche de solutions appropriées. Selon le code de
déontologie des intermédiaires culturels établi par
le LAJP, l'objectif de l'intermédiation culturel est de communication
et non de thérapie.
L'intervenant n'est pas un traducteur assermenté, mais un chercheur
en sciences sociales prenant en charge la gestion du lien social dans des
familles d'origines africaines. L'intervention d'un intermédiaire
culturel dans une situation complexe permet au Juge occidental qui n'a pas
nécessairement connaissance des cultures d'origine, de comprendre
ce qui, dans une famille africaine par exemple, explique les comportements
et les attitudes, sources de conflits. Cette intervention permettra au Juge
d'éviter de tomber dans les stéréotypes. Il pourra alors
juger en connaissance de cause.
L'action de l'intermédiaire culturel auprès de la famille,
sera de lui expliquer la décision du Juge, ainsi que le rôle
et la place de chaque intervenant dans la situation. Ce qui permettra ainsi
à la famille de comprendre le fonctionnement de la Justice française
et la mission du Juge et pourra peut-être la conduire à changer
le rapport qu'elle a avec la loi. En transmettant les éléments
de compréhension de la culture du pays d'accueil, l'intermédiaire
culturel permet aux jeunes et à leur famille de mieux s'insérer
dans la société française. L'intermédiation
culturelle facilite donc le dialogue interculturel. Le but est de mettre
un terme au monologue culturel dans lequel sont enfermés la
société d'accueil et les communautés d'immigrés
(ex : les familles africaines disent souvent à leurs enfants que leurs
cousins germains sont leurs véritables frères et soeurs, ce
qui est difficile à concevoir dans une logique occidentale.
L'ethnocentrisme est la source de beaucoup de malentendus. Prenons comme
exemple le placement des enfants. L'émergence de l'intermédiation
permet, plutôt devrait permettre, de développer et de renforcer
le lien éducateur-famille d'accueil-parent. Le but de l'assistance
éducative c'est de recréer les liens parents-enfants. Or la
difficulté d'un placement est souvent mal vécu par son
inacceptation par les parents ou lorsque ceux-ci ne comprennent pas les raisons
de ce placement. cela résulte souvent d'une absence de communication
et de dialogue entre parents et institutions éducatives. Cette absence
de communication donne l'impression aux éducateurs que les parents
ne veulent pas s'investir dans leurs enfants et que c'est là une
démission de leur part. C'est le cas de cette assistante sociale qui
était choquée par le fait qu'un père ne se manifestait
pas pour rencontrer ses enfants, mais qui disait les aimer. Pour un père
africain, l'amour ne se manifeste pas par des gestes mais plus en donnant
naissance par la transmission de la vie, de biens, d'un nom, d'une appartenance
ethnique, etc.
du côté des parents, c'est un raisonnement différent
qu'ils ont vis-à-vis des institutions qui ont à charge leurs
enfants. Ils pensent, pour leur part, que l'ultime volonté de ces
instituions est de faire de leurs enfants des petits-blancs et de les
séparer ainsi de leur famille d'origine (c'est le cas de cette mère,
furieuse de s'entendre dire qu'elle devait laver les sous-vêtements
de sa fille dans la machine à laver au lieu d'exiger de celle-ci de
le faire à la main). La conséquence de ce manque et de dialogue
est qu'aucun travail éducatif ne peut être mis en place et le
placement ou la situation de l'enfant risque de perdurer. L'intermédiation
culturelle, en ce qu'elle établit un lien entre l'institution judiciaire
et les familles africaines permet d'arriver à des modes de
règlements des conflits alternatifs basés sur la négociation
et le consensus. En somme, l'intermédiation culturelle semble être
la solution idéale qui permet l'établissement de liens productifs
entre les institutions de la société française et les
familles d'origine immigrée.
En conclusion, nous pouvons dire que l'intermédiation culturelle sert
de passerelle culturelle, de pont qui permet aux deux parties, institution
et famille, d'aller l'une vers l'autre.