DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 04/02/1998 animé par Gaël de Graverol et portant sur :

Approche de la condition de la femme en Inde
au travers du rite de la Sati

Étaient présents : Bouhot Hassani Anne, Carajual Liliah (IHEAL), de Graverol Gaël (IEDES), Eberhard Christoph (LAJP), Gbago Georges B. (LAJP), Huyghebaert Patricia (Juristes Solidarités), Ngo Innak Rose (LAJP), Nké Eyebe Véronique (LAJP), Parmentier Ingrid (LAJP), Soykan Muazzez (INALCO) et Zelmar Stéphane (INALCO), Gautherin Aude (INALCO).

(1) Exposé

Le séminaire s'est organisé autour du thème du rite de la sati ou de la crémation des veuves en Inde, l'expression sanskrite désignant l'épouse vertueuse et dévouée à son mari qui, consécutivement au décès du conjoint, décide de joindre son destin à celui de son époux en s'immolant publiquement sur un bûcher funéraire. Le rapport direct avec l'objet du groupe de travail DHDI s'est établi à travers la problématique plus large de la condition de la femme hindoue dont la coutume a été présentée comme un reflet extrême. Au delà de l'aspect homicidaire de la tradition (le fait qu'une communauté puisse encourager une femme à faire le sacrifice de sa personne) l'attention de la discussion a été portée sur une appréhension du rite en tant que stigmate d'une vision singulière du monde. Cette tentative d'approche d'un imaginaire que l'on a qualifié sommairement d'hindou, dans un souci de simplification, a été présentée essentiellement au travers d'une brève étude de l'institution du mariage dans la religion hindoue.

Celle-ci a révélé,

- en même temps que le principe de pativrata (“dévotion au mari”) ou de féminité hindoue idéale, une conception largement fonctionnaliste de la femme dans le couple, ayant pour vertu principale la consécration aux tâches de protection et de conservation de son époux,

- le degré de restriction des repères identitaires de la femme aux sphères du foyer et de son conjoint. La mise à jour du conditionnement psychologique de la femme a ainsi débouché sur le constat de la manifeste limitation, dans l'éthique sociale, de l'individuation féminine.

D'une manière plus générale, l'exposé de la coutume de la sati, à travers le cadre du mariage hindou, nous a permis de développer un propos, relativement à la problématique sur les droits de l'homme et la dialogue interculturel, sur la condition humaine en Inde par le biais de la réflexion sur les deux idées de Dharma et de Karman. Les principes sont centraux dans la rationalité hindoue en ce qu'ils règlent tous les rapports de l'individu au monde. Dans cette logique environnementaliste, l'homme est placé au centre de l'univers et envisagé comme un être puissant et doué d'une grande influence sur celui-ci. Il devient un gardien, un agent du maintien de l'ordre et de l'équilibre du cosmos en tant qu'organe intégré à celui-ci. De ce fait, toutes ses projections, toutes ses objectivations sur le monde (expressions de son individualité) doivent être bridées par la communauté dans l'éthique religieuse, et donc sociale, parce que représentant un réel danger pour la cohésion sociale, image de l'ordre cosmique (voir les travaux de Werner F. Mensky).


A: mari

B: épouse

GA: famille du mari

GB: famille de l'épouse

LGA: clan élargi du mari

LGB: clan élargi de l'épouse

Contexte socio-religieux de l'épouse et du mari dans le mariage hindou (*)


Dans ce schéma de l'institution hindoue du mariage, le couple est représenté comme un microcosme du monde, placé en son centre. La stabilité de sa structure influe sur l'équilibre du tout. Une lourde responsabilité est donc placée sur les époux et surtout sur la femme qui entretient la cellule familiale, le foyer, et éduque les enfants. Le couple doit être, en ce sens, un lieu de reproduction de l'éthique sociale. Il implique plus de devoirs et de contrainte qu'il n'autorise l'épanouissement personnel sous peine de nuire à l'ensemble de la communauté, de la société et de l'ordre cosmique.

Cette théorisation des rapports de l'individu au cosmos et à la société en Inde nous a présenté l'existence d'une possible dialectique holisme-individualisme dont la recherche sur l'universalité des droits de l'homme doit tenir compte.

Enfin, l'évocation des circonstances des phénomènes “d'épidémie de sati” au Bengale au XIXè siècle, d'une part, et de la résurgence du symbole de la veuve sacrifiante dans les années 1980, d'autre part, a pu révéler quelques exemples intéressants des réels remparts sociologiques qui peuvent se dresser concrètement devant l'application des droits de l'homme, à l'encontre d'une certaine laïcité indispensable à cette application.


(2) Discussion

Le débat s'est d'abord focalisé sur deux similitudes existant entre les traitements dispensés aux veuves camerounaises et ceux réservés aux veuves hindoues en ce qui concerne leur "culpabilité" et leur "intériorisation des normes sociales".

L'idée de culpabilité imputée à l'épouse dans le décès de son mari est très présente dans les deux cas de telle façon qu'elle sera considérée comme folle ou quasi “intouchable” suivant les situations si elle ne satisfait pas à des rituels de purification afin de racheter sa faute et de rétablir un certain équilibre cosmique perturbé par une mort jamais envisagée comme naturelle.

L'intériorisation des normes sociales fait que l'individu éprouve une certaine difficulté à s'envisager en tant que sujet séparé, en conséquence en tant que sujet de droit, sa conscience de soi n'étant pas séparable de son inscription dans le groupe.

On a pu ensuite s'accorder sur la nécessité fondamentale de sonder les imaginaires pour mieux comprendre les enjeux cachés derrière le fait de penser le droit et de penser l'Homme pour développer une pratique interculturelle ou pluraliste des droits de l'homme. Et nous avons approfondi dans la discussion les vues camerounaises et indiennes.

Le mémoire intitulé Le Rite de la Sati : la Crémation des Veuves en Inde est consultable au LAJP ainsi que l'enregistrement du séminaire.







(*) Schéma tiré de Mensky (W.F), Marital Expectations as Dramatized in Hindu Marriage Rituals, dans Leslie (Julia), Roles and Rituals for Hindu Women, Delhi, Motilal Banarsidas Publishers Ltd, 1991.