DHDI
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Étaient présents : Bouhot Hassani Anne,
Carajual Liliah (IHEAL), de Graverol Gaël (IEDES), Eberhard Christoph
(LAJP), Gbago Georges B. (LAJP), Huyghebaert Patricia (Juristes
Solidarités), Ngo Innak Rose (LAJP), Nké Eyebe Véronique
(LAJP), Parmentier Ingrid (LAJP), Soykan Muazzez (INALCO) et Zelmar
Stéphane (INALCO), Gautherin Aude (INALCO).
(1) Exposé
Le séminaire s'est organisé autour du
thème du rite de la sati ou de la crémation des veuves en Inde,
l'expression sanskrite désignant l'épouse vertueuse et
dévouée à son mari qui, consécutivement au
décès du conjoint, décide de joindre son destin à
celui de son époux en s'immolant publiquement sur un bûcher
funéraire. Le rapport direct avec l'objet du groupe de travail DHDI
s'est établi à travers la problématique plus large de
la condition de la femme hindoue dont la coutume a été
présentée comme un reflet extrême. Au delà de
l'aspect homicidaire de la tradition (le fait qu'une communauté puisse
encourager une femme à faire le sacrifice de sa personne) l'attention
de la discussion a été portée sur une appréhension
du rite en tant que stigmate d'une vision singulière du monde. Cette
tentative d'approche d'un imaginaire que l'on a qualifié sommairement
d'hindou, dans un souci de simplification, a été
présentée essentiellement au travers d'une brève étude
de l'institution du mariage dans la religion hindoue.
Celle-ci a révélé,
- en même temps que le principe de
pativrata (dévotion au mari) ou de féminité
hindoue idéale, une conception largement fonctionnaliste de la femme
dans le couple, ayant pour vertu principale la consécration aux
tâches de protection et de conservation de son époux,
- le degré de restriction des repères
identitaires de la femme aux sphères du foyer et de son conjoint.
La mise à jour du conditionnement psychologique de la femme a ainsi
débouché sur le constat de la manifeste limitation, dans
l'éthique sociale, de l'individuation féminine.
D'une manière plus générale,
l'exposé de la coutume de la sati, à travers le cadre du mariage
hindou, nous a permis de développer un propos, relativement à
la problématique sur les droits de l'homme et la dialogue interculturel,
sur la condition humaine en Inde par le biais de la réflexion sur
les deux idées de Dharma et de Karman. Les principes
sont centraux dans la rationalité hindoue en ce qu'ils règlent
tous les rapports de l'individu au monde. Dans cette logique environnementaliste,
l'homme est placé au centre de l'univers et envisagé comme
un être puissant et doué d'une grande influence sur celui-ci.
Il devient un gardien, un agent du maintien de l'ordre et de l'équilibre
du cosmos en tant qu'organe intégré à celui-ci. De ce
fait, toutes ses projections, toutes ses objectivations sur le monde (expressions
de son individualité) doivent être bridées par la
communauté dans l'éthique religieuse, et donc sociale, parce
que représentant un réel danger pour la cohésion sociale,
image de l'ordre cosmique (voir les travaux de Werner F. Mensky).
A: mari
B: épouse
GA: famille du mari
GB: famille de l'épouse
LGA: clan élargi du mari
LGB: clan élargi de l'épouse
Contexte socio-religieux de l'épouse et
du mari dans le mariage hindou (*)
Dans ce schéma de l'institution hindoue du mariage, le couple est représenté comme un microcosme du monde, placé en son centre. La stabilité de sa structure influe sur l'équilibre du tout. Une lourde responsabilité est donc placée sur les époux et surtout sur la femme qui entretient la cellule familiale, le foyer, et éduque les enfants. Le couple doit être, en ce sens, un lieu de reproduction de l'éthique sociale. Il implique plus de devoirs et de contrainte qu'il n'autorise l'épanouissement personnel sous peine de nuire à l'ensemble de la communauté, de la société et de l'ordre cosmique.
Cette théorisation des rapports de l'individu
au cosmos et à la société en Inde nous a
présenté l'existence d'une possible dialectique
holisme-individualisme dont la recherche sur l'universalité des droits
de l'homme doit tenir compte.
Enfin, l'évocation des circonstances des
phénomènes d'épidémie de sati au
Bengale au XIXè siècle, d'une part, et de la résurgence
du symbole de la veuve sacrifiante dans les années 1980, d'autre part,
a pu révéler quelques exemples intéressants des réels
remparts sociologiques qui peuvent se dresser concrètement devant
l'application des droits de l'homme, à l'encontre d'une certaine
laïcité indispensable à cette application.
(2) Discussion
Le débat s'est d'abord focalisé sur
deux similitudes existant entre les traitements dispensés aux veuves
camerounaises et ceux réservés aux veuves hindoues en ce qui
concerne leur "culpabilité" et leur "intériorisation des normes
sociales".
L'idée de culpabilité imputée
à l'épouse dans le décès de son mari est très
présente dans les deux cas de telle façon qu'elle sera
considérée comme folle ou quasi intouchable suivant
les situations si elle ne satisfait pas à des rituels de purification
afin de racheter sa faute et de rétablir un certain équilibre
cosmique perturbé par une mort jamais envisagée comme
naturelle.
L'intériorisation des normes sociales fait
que l'individu éprouve une certaine difficulté à s'envisager
en tant que sujet séparé, en conséquence en tant que
sujet de droit, sa conscience de soi n'étant pas séparable
de son inscription dans le groupe.
On a pu ensuite s'accorder sur la nécessité
fondamentale de sonder les imaginaires pour mieux comprendre les enjeux
cachés derrière le fait de penser le droit et de penser l'Homme
pour développer une pratique interculturelle ou pluraliste des droits
de l'homme. Et nous avons approfondi dans la discussion les vues camerounaises
et indiennes.
Le mémoire intitulé Le Rite de la
Sati : la Crémation des Veuves en Inde est consultable au LAJP
ainsi que l'enregistrement du séminaire.
(*) Schéma tiré de Mensky (W.F),
Marital Expectations as Dramatized in Hindu Marriage Rituals, dans
Leslie (Julia), Roles and Rituals for Hindu Women, Delhi, Motilal
Banarsidas Publishers Ltd, 1991.