DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 01/04/1998 animé par Véronique Nké Eyebe

et portant sur :

La veuve face au réel juridique au Cameroun : Conflits de valeur, conflits de Droits

Etaient présents: de Graverol Gaël (INALCO), Eberhard Chritoph (LAJP), Huyghebaert Patricia (Juristes-Solidarités), Liwerant Sara (Paris X), Martin Boris (Juristes-solidarités), Mérazka Karima (LAJP), Ngo Innack Rose (LAJP), Nké Eyebe Véronique (LAJP), Obiang Jean-François (Paris I), Ouattara Samba (Paris I).

1. Exposé

(1) La situation et la conception du sujet

La veuve est la femme qui a perdu son mari, donc vulnérable sur le plan psychologique et matériel.

Le réel juridique camerounais un peu particulier, assez original, oppose deux droits : un droit vu de l'extérieur comme traditionnel et consistant en la coutume, en habitudes, en modèles de conduite et de comportement ; un droit moderne introduit par la colonisation qui a beaucoup de mal à s'insérer dans les sociétés africaines en général et camerounaise en particulier, surtout quand il s'agit des domaines personnels qui touchent la vie directe des individus comme les successions. Le droit moderne a subi beaucoup de résistances dans ces branches d'où la naissance d'une série d'oppositions et de contradictions entraînant des conflits de valeurs et des conflits de droits.

(2) La problématique des Droits de l'Homme et du Dialogue Interculturel

La veuve camerounaise subit des pratiques coutumières traditionnelles, sous formes de rites, qui sont nécessaires selon elle, mais qui peuvent s'avérer parfois exagères et dégradants surtout lorsque s'y ajoutent des conflits personnels pouvant avoir des effets néfastes sur sa santé morale et physique.

Pour pouvoir aborder la problématique de la veuve face au réel juridique camerounais dans une perspective interculturelle il faut partir d'une conception culturelle différente de celle occidentale, individualiste, caractérisant le mariage comme une union entre un homme et une femme régie par des normes établies dans le Code civil et sanctionnées par des tribunaux. En effet on se trouve en présence au Cameroun de valeurs patriarcales, communautaristes caractérisant le mariage comme une union entre deux groupes, deux lignages, deux communautés régies par les lois de l'harmonie des groupes, les coutumes, les habitudes et la tradition. Et il en va de même pour sa dissolution.

Pour comprendre la situation de la veuve il faut donc replacer la femme au coeur du dispositif familial camerounais. Différentes sortes de mariage y coexistent : la polygamie reconnue, la monogamie en vigueur depuis la colonisation et reconnue également par le code civil, l'union libre reconnue par la tradition, le mariage coutumier reconnu par la tradition en cas de versement de la dot, le mariage religieux musulman reconnu dans la tradition musulmane. Cette multitude de régimes peut être à l'origine d'un imbroglio juridique source de conflits interminables renforcés dans certains cas par l'absence de preuves et d'un héritage suffisant pour tous les acteurs.

Comment dans ces cas la veuve peut-elle se battre pour défendre ses intérêts et ceux de ses enfants ? Comment est-il possible de concilier l'opposition consistant en ce que la veuve se retrouve entre un droit traditionnel qui ne lui donne aucun droit et un droit moderne qui lui en donne ainsi que la possibilité de le revendiquer et de le faire valoir, afin qu'elle ne soit pas l'éternelle perdante et afin de mieux protéger ses intérêts et ceux de ses enfants ? Etant donné que le Cameroun est un pays assez avancé dans les réformes, il faut raisonner en termes de réadaptation des moeurs, des mentalités et des coutumes d'où la nécessité de faire preuve d'ingéniosité et d'innovation.

(3) Quelques pistes de réflexion

Dans un premier temps, il faut aborder ce problème à travers les variables réelles liées à la tradition et aux modes de successions modernes :

- en envisageant la formation du mariage et de sa dissolution et leur conception dans la société camerounaise dans leur originalité et dans leur diversité avec une perspective d'observateur interne ;

- en identifiant les différents acteurs étant donné que la veuve n'est pas isolée : les belles soeurs, les beaux frères, les neveux, les tantes, les oncles ont chacun un rôle à jouer dans les rites de veuvage qui souvent échappent à la veuve elle-même ;

- en analysant les institutions que sont le conseil de famille, le levirat ;

-enfin, en analysant les moyens mis en place par la justice moderne par rapport à la justice traditionnelle.

Dans un second temps, il faut pouvoir aborder les réalités des veuves camerounaises, la nécessité pour elles d'avoir un droit de terrain, un droit concret, pratique, original, assorti à leur contexte de vie :

- à travers une recherche sur différentes situations spécifiques à travers différentes situations réelles de veuvage concret ;

- en analysant le régime matrimonial dans le contexte sociologique camerounais,

- pour aboutir à un Droit de complémentarité, de terrain qui serait un droit spontané, adapté du Code Civil, parrainé par la Coutume et pensé de la base c'est-à-dire par la veuve elle-même en évitant de tomber dans l'informel juridique.

Le rôle de l'anthropologue du droit peut être à partir de ces données concrètes de contribuer à façonner un droit original, pratique, ses éléments de base étant fournis par le Droit moderne (le Code Civil, la norme, les lois) et le Droit traditionnel (la Coutume, les rites, la tradition, les habitudes et les modèles de conduite et de comportement). Ceci se fait déjà à travers la jurisprudence au Cameroun qui est l'oeuvre des juges en fonction des difficultés qu'ils ont rencontré, mais devrait se faire plus explicitement par celles directement concernées, les veuves elles mêmes, à travers :

- la médiation

- le raisonnement par analogie au Droit des affaires

- la recherche d'une forme de transcription de la volonté du mari - de cujus ;

- une information de proximité pour les moins instruits ;

- la promotion de nouveaux acteurs tels les associations, les ONG, des intermédiaires mieux avertis de proximité ;

- en évitant les conflits de générations ;

- mais surtout à travers un réel débat de société pouvant mener à une réadaptation des mentalités.