DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Compte rendu du séminaire du 29/04/1998 animé par O. Sara Liwerant et portant sur :

Génocide, crimes contre l'humanité et criminologie

Etaient présents: Eberhard Chritoph (LAJP), Gbago Georges (LAJP), Liwerant Sara (Paris X), Martin Kathia (Paris I), Mérazka Karima (LAJP)

1. Exposé

La criminologie est une science qui pour objet le crime. Elle se situe à l'intersection de plusieurs disciplines, la psychologie, la sociologie, le droit et la médecine (plus particulièrement la psychiatrie).

Il existe plusieurs définitions de la criminologie qui se révèlent être des définitions interprétatives selon les auteurs. Cependant on peut établir une définition large et "consensuelle", en reprenant la définition que Sutherland a dégagé. Deux paradigmes ont longtemps dominé la criminologie, le paradigme du passage à l'acte et le paradigme de la réaction sociale, même si d'autres ont pu émerger. Il reste cependant que la criminologie pose question, notamment celle de savoir si elle désigne un domaine ou une discipline. De plus ses outils méthodologiques et sa pratique sont jusqu'à présents interrogés.

En ce qui concerne ce travail, la criminologie est appréhendée comme une discipline qui peut se définir comme ce qu'il reste de la pensée face aux expériences limites, comme un "laboratoire" d'avant-garde de la crise.

Ce travail a pour objet de rechercher une grille de lecture transversale des phénomènes de génocide, situation paroxystique des crimes contre l'humanité.

Sans nier les particularités locales, historiques, politiques, ethniques ..., il convient de déterminer des éléments communs qui rendent possible les massacres collectifs. Le phénomène génocidaire est abordé selon l'angle criminologique, entendu largement, afin de recouvrir les trois niveaux d'interprétation du phénomène criminel.

A travers la définition juridique des termes de "crimes contre l'humanité ", catégorie d'infractions dans laquelle s'inscrit l'incrimination de "génocide", la question essentielle est celle du rôle du droit. Du champ juridique strict (élaboration et application de la loi pénale) ce travail s'efforce d'analyser la signification de la manifestation sociale du droit.

Le second niveau d'interprétation, la problématique du passage à l'acte, est abordé ici au regard de la problématique des passages à l'acte collectifs, caractéristiques du génocide. Il s'agit alors d'expliquer le processus de ces passages à l'acte, c'est-à-dire d'apporter des éléments de réponse à la question de l'accès d'un individu à la folie meurtrière. Cette approche nécessite une analyse particulière qui fait appel aux grilles psychanalytique et ethnologique principalement.

Quant au troisième niveau d'interprétation, celui concernant les réactions provoquées par l'infraction, ce niveau est considéré comme le résultat de l'interaction des deux premiers niveaux. En effet, nous considérons que la réaction sociale, dans ces situations peut être envisagée comme la production et l'application de la norme juridique d'incrimination pour crime contre l'humanité ou génocide.

Le champ juridique permet de comprendre les normes dont l'importance sociale a pu dans certaines sociétés se traduire juridiquement. La nature de la norme juridique est interrogée afin de pouvoir comprendre les expériences de la pensée juridique et approcher la question de l'impact de la norme juridique dans le champ social.

Ainsi, ce travail développe une approche d'anthropologie juridique sur le rôle du droit et comprend aussi une analyse de l'articulation des niveaux individuel et collectif nécessaire à de tels passages à l'acte.


Discussion:

Comment donc repenser le droit avec ces exigences ?

La question du pourquoi de ces passages à l'acte, présentée indépendamment de celle du comment, s'oriente alors vers une autre perspective qui admet de dégager les logiques qui sous-tendent ces actions. Ces logiques isolées, permettent de comprendre ce qui dans le champ du droit favorise la déresponsabilisation.

Ceci pose la question inévitable de la définition du droit. On peut considérer le droit comme un travail de formalisation, soit pour créer des consensus soit pour permettre un travail de deuil. Si l'on reprend la définition de P. Legendre, le droit est l'art dogmatique de nouer le biologique, le social et l'inconscient pour la reproduction de l'humanité.

Par ailleurs, la question du rôle de l'Etat a été évoquée. Dans les sociétés occidentales le droit est pensé comme l'expression de l'Etat, ce dernier pouvant peut-être représenter le "Père". Par conséquent les différentes analyses marquent une séparation entre d'une part les individus, et d'autre part la collectivité, sans autre "échelle intermédiaire" possible. A ce titre repenser la notion de tiers est intéressante au regard des différents archétypes de pensées du droit.

En outre, les processus de régionalisation remettent en cause la distinction entre la loi et le politique. Ainsi le rôle de la complémentarité des différences dans la régulation sociale est interrogé ainsi que la notion de communauté. Entre le collectivisme et l'individualisme une vision plurale peut être élaborée, notamment en intégrant la notion d'habitus développée par P. Bourdieu.

En outre, la notion de pardon pour certains, ou la notion de réparation pour d'autres, a été discuté. Si les rituels doivent être nécessairement pris en compte, il reste que le travail de deuil et/ou de pardon n'est possible que si l'Etat envisage notre rationalité et accepte de repenser le droit comme un projet de société.

Ainsi, la question traitée est celle de la fonction symbolique du droit.

Le droit peut être envisagé comme un projet et une remise en question pour une renégociation du futur. Le rapport entre temps et droit pose la question de savoir comment articuler les différentes temporalités pour construire des projets de société.

Cependant, le droit en tant que projet de société et de pacification ne résout pas le problème des dimensions de l'impensé et de l'impensable. Les différences de niveau de discours juridique (le dit/le non-dit, le pensé/l'impensable) permet de considérer le droit comme un moyen de mettre des formes pour permettre d'aboutir à des consensus sociaux.

Comment alors penser le pluralisme ? En occident la question se focalise sur le rôle symbolique du droit. Ce dernier est l'expression d'un symbolique qui inscrit par ailleurs de nouvelles légitimités. Comment le droit peut-il formaliser de nouveaux consensus ?

Ailleurs, la question est celle de déterminer le droit qui peut jouer ce rôle. La question devient celle de l'articulation du droit moderne avec les populations locales, ainsi que celle du droit démocratique.

En dernier lieu la question de la fonction de la peine a été discutée. La distinction a été établie entre le prononcé de la sanction et le rôle de la peine comme verbalisation, reconnaissance et réparation. La discussion s'est achevée sur la question de l'impunité des criminels de guerre en relation avec des perspectives de réconciliation.