Christoph Eberhard                                                                                                   

E-mail :c.eberhard@free.fr

 

 

 

 

Droit, gouvernance et responsabilités

 

Compte rendu du séminaire du 23/02/2004

 

 

 

 

Étaient présents : Hugues Bissot, Christoph Eberhard, Jacques Djoli Eseng’Ekeli, Stéphanie Dujardin, Dominik Kohlhagen, Jacques Larrue, Karine Le Breton, Caroline Plançon, Sandra Gondi-Gandzion et Jean Tounkara.

 

 

 

La séance était principalement dédiée à une discussion autour du texte de François Ost, « Stand Up for Your Rights » qui nous a été présenté par Sandra Gondi-Gandzion. Dominik Kohlhagen a aussi fait une courte présentation de TARRIUS Alain et WIEVIORKA Michel, 2002, La mondialisation par le bas : Les nouveaux nomades de l'économie souterraine, Paris, Ed. Balland, 168 p. Dominik a ainsi attiré notre attention sur l’importance de ne pas négliger les flux migratoires dans nos analyses de la gouvernance et de la mondialisation du droit. Enfin, vous trouverez à la fin de ce compte-rendu une réaction d’Akuavi Adonon qui se trouve actuellement au Mexique pour rédiger sa thèse, mais qui suit nos travaux par internet.

 

La prochaine séance se tiendra le lundi 22 mars. Elle inaugurera le début de nos propres recherches avec une présentation d’un texte sur Droit, gouvernance et responsabilités par Christoph Eberhard.

 

 

 

 

 

PrŽsentation de Sandra Gondi-Gandzion

 

 

François OST – Stand up for your rights !

 

 

A l'occasion d'une manifestation d'une association sud-africaine militant pour l'accès aux soins de tous les sidéens, l'auteur se livre, sur le terrain de la philosophie du droit principalement à une analyse des rapports qui se nouent entre la notion de responsabilité des différents acteurs intervenant dans le "traitement" (au sens large)de la maladie, et celle de droits de l'homme. Son constat s'articule autour de deux idées : les  protagonistes exercent dans ce cas "des responsabilités communes mais différenciées", le résultat de ces interactions se définirait alors comme "quelque chose qui grandit en se partageant".

 

 

Des responsabilités communes mais différenciées

 

La mise en œuvre du droit à la santé mobilise des responsabilités multiples, interdépendantes et proportionnelles au pouvoir de chaque acteur : le malade, son entourage, la société civile, le gouvernement, la communauté internationale.

 

La responsabilité du malade, non culpabilisante, est à comprendre comme la prise en charge du malade par lui-même, un refus de la fatalité, un sursaut de dignité, traduisible par la soumission au test de dépistage et le suivi d'un traitement régulier adéquat. S'y ajoute la dimension éthique de la responsabilité assumée ouvertement, par solidarité avec les autres malades.

 

La responsabilité de l'entourage se manifestera par une nécessaire remise en cause du secret médical : au moins un membre de la famille du malade devrait être informé, pour pouvoir assister, accompagner. "L'entourage" s'entend aussi des autres lieux d'insertion sociale – école, travail, Eglise – où règne une politique stigmatisante et/ou discriminatoire.

 

Outre une possibilité minimale de traitement, la seconde condition nécessaire au sursaut de dignité du malade est l'existence d'un mouvement populaire de soutien, par le biais d'associations notamment. La responsabilité de ce que l'on appelle communément la "société civile", est collective. Les revendications s'exercent donc en groupe, au moyen de campagnes d'information, d'actions de lobbying, de désobéissance civile, de procédures judiciaires.

 

La responsabilité du gouvernement a deux aspects : celui du choix de la politique à mener, celui des manquements à ses engagements qu'il se doit alors d'assumer, ce dernier se rapprochant davantage de la définition juridique de la notion. L'exemple sud-africain choisi par l'auteur est explicite : suite à la loi dite "contrôle des médicaments" de 1997, qui devait permettre un accès aux médicaments génériques en contournant le système classique des brevets, un procès a opposé entre 1998 et 2001 le gouvernement et 29 laboratoires pharmaceutiques, lesquels, sous la pression internationale, ont finalement retiré leur plainte ; mais a suivi sur le plan interne l'affaire de la "Névirapine", opposant le gouvernement à une association sud-africaine revendiquant le droit à l'accès aux soins, aux antirétroviraux en particulier. Le gouvernement n'a pas donné suite mis en exécution les décisions judiciaires favorables aux droits des sidéens. Ne peut-on pas alors dire que le gouvernement engage sa responsabilité au sens premier ?  S'il n'applique pas la possibilité de déroger aux accords de l'OMC relatifs aux droits de propriété industrielle et commerciale(ADPIC), ne privilégie-t-il alors pas sa responsabilité politique de conformité aux exigences des pays du Nord, au détriment de l'initiative d'une politique réellement responsable, propre à lutter contre une pandémie si dévastatrice ?

 

La responsabilité de la communauté internationale, enfin, diffère selon les acteurs. Sont à considérer premièrement, les Organisations non-gouvernementales, qui en plus de mener leurs campagnes de prévention assurent aujourd'hui le traitement de personnes malades – deux aspects qui devraient être indissociés. Deuxièmement, les firmes multinationales de l'industrie du médicament, de par leur choix de maladies "lucratives", endossent une part conséquente de responsabilité dans le traitement de la maladie, mais contrairement aux ONG, cette fois-ci dans le sens initialement culpabilisant du terme. Troisièmement, les Organisations intergouvernementales sont le théâtre de tensions inévitables entre la logique économique incarnée par l'OMC et la logique humanitaire de l'OMS.

 

 

Quelque chose qui grandit en se partageant

 

L'auteur insiste sur un nécessaire exercice collectif des responsabilités pour une protection efficace des droits. Ces responsabilités ne se ramènent pas à de simples obligations, leur exercice collectif vise à leur démultiplication et à leur approfondissement. Our arriver à ces conclusions, il procède à une double appréhension de la notion de responsabilité : dans ses liens avec l'éthique tout d'abord, dans ses liens avec la politique ensuite.

 

Pour saisir le fondement éthique de la responsabilité et son lien intime avec la promotion du droit, il faut se rappeler que dans l'exemple qui nous est soumis, la prise en charge du malade par lui-même, sa responsabilité, constitue une affirmation de sa dignité, elle-même conséquence de sa seule qualité d'homme, selon Kant. La dignité se trouve alors au centre des  du droit et de la responsabilité, ce qui permet un enrichissement réciproque des deux notions.

 

Etant donné qu'il n'est de droit que revendiqué et exercé, la responsabilité, un "combat pour le droit" selon l'auteur, est un concept rendant bien compte de la démarche participative de la société. La pratique collective de responsabilité politique évite la simple juxtaposition d'individus et relance la mobilisation sociale. Dans des quartiers complètements dépolitisés, c'est-à-dire sans influence des autorités publiques, les mouvements de la société civile contribuent ainsi à repolitiser, à remotiver. D'autant que cette attitude inscrira les différents acteurs dans une "logique du supplément" selon l'auteur. L'exercice de leurs droits procéduraux – à la fois prérogative personnelle et prise en charge collective, droit et responsabilité –, la priorité donnée sur le plan éthique aux décisions améliorant les conditions d'humanité, et les diverses modalités d'action comme la désobéissance civile (infraction au droit par anticipation d'une légalité revendiquée et à venir, une "légitime illégalité"), les recours en justice, le pardon enfin, en ce qu'il permet d'assumer pour préparer l'avenir, tous ces procédés devraient permettre d'asseoir la notion de responsabilité dans un champ politique.

 

 

Discussion

 

Le texte illustre une manière intéressante d’aborder la question de la gouvernance comme processus de convergences de responsabilités à différents niveaux. La discussion a néanmoins souligné l’importance de définir plus précisément les notions de « responsabilité » et de « société civile » qui peuvent se révéler problématiques. Les approches de François Ost, plus philosophiques, nous interpellent mais nous renvoient à l’importance d’approfondissements anthropologiques qui permettraient de mieux saisir les enjeux sur le terrain. Les concepts ne sont en effet pas universels et leur transposition non-critique d’un contexte à un autre peut se révéler hautement problématique. Une question qui ne pourra êtree éludée dans nos travaux est celle de la pauvreté dans de nombreux pays : dans le cas présent il faut s’interroger sur l’incapacité de certains pays du Sud à produire leurs propres médicaments, ce qui les maintient dans une position « d’assistés ». La dimension du « développement économique » ne saurait donc être écartée de nos réflexions sur la gouvernance. Elle est fondamentale et repenser la gouvernance est probablement intimement lié à repenser le développement.

 

 


 

Présentation de Dominik Kohlhagen

 

 

TARRIUS Alain et WIEVIORKA Michel, 2002, La mondialisation par le bas : Les nouveaux nomades de l'économie souterraine, Paris, Ed. Balland, 168 p.

 

Cet ouvrage qui ne traite pas de la « gouvernance » ouvre cependant des pistes de réflexion très intéressantes sur l’existence de nouveaux espaces sociaux transnationaux qui ont émergé en dehors des systèmes juridiques étatiques.

Le livre s’intéresse au fonctionnement de circuits d’échanges qui se sont établis autour de la contrebande entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Les enquêtes – effectuées sur 20 ans – ont été menées en Espagne, en Italie et dans plusieurs villes françaises, à Montpellier, Perpignan et, tout particulièrement, dans le quartier de Belsunce à Marseille qui constitue le centre névralgique de ces flux de marchandises. Les réseaux que dépeint l’auteur remontent jusqu’à Bruxelles ou l’Allemagne et s’alimentent du commerce de produits divers : tapis, vêtements, électronique, pièces détachées pour automobiles… Ceux qui les animent, Marocains, Algériens, Turcs et bien d’autres, s’accordent pour rejeter systématiquement les trafics illicites : drogues, contrefaçon, recel. Ce qui est illégal dans ce commerce, c’est qu'il contourne l’Etat et ses frontières - en évitant la douane, en employant parfois de faux visas ou en instrumentalisant le droit des étrangers et de la nationalité. Il n'y a aucun contrat écrit, tout repose sur la parole donnée. Il n'y a pas de police, ni d’administration, mais un codex moral que chacun se doit de respecter. « Le lien social, dans ces formations mobiles, véhicule en outre des valeurs autres que marchandes : la globalité même des échanges entre individus concrets exige ici la circulation d’une éthique sociale, voire celle du sacré » (p.22).

L’auteur identifie des garants de ce « bel ordre » : des personnes qu’il dénomme « notaires informels », « connus et craints de tous mais qu’on a bien rarement l’occasion de rencontrer », établis à Marseille et dans plusieurs villes espagnoles et françaises et réputés être des « hommes d’honneur et de parole » (pp. 46-47). En raison de leurs connaissances étendues au sein du réseau, ils ont le pouvoir d’écarter un commerçant en le mettant en discrédit, mais aussi de donner conseil et de faciliter des transactions. Ils disposent généralement de bonnes relations avec les autorités de leurs pays d’origine et sont en mesure de leur demander des services rémunérés. Le caractère multi-« ethnique », multinational, du réseau se reflète aussi à travers l’origine des « notaires » : Algériens liés au FLN jusqu’en 1989, puis proches du FIS, ensuite Sénégalais tombés suite à leur implication dans le trafic de stupéfiants, aujourd’hui majoritairement Marocains.

Si les observations relatées dans ce livre peuvent à première vue paraître insignifiantes à l’échelle globale, elles ne me semblent en réalité représenter qu’un échantillon des multiples « nouveaux ordres mondiaux » qui sont en train de voir le jour dans des groupes de populations trop souvent perçus comme étant simplement « marginalisés » au sein des Etats. Depuis près de 10 ans, la sociologie des migrations a commencé à s’intéresser à l’émergence d’ « espaces sociaux transnationaux ». Une réflexion anthropologique sur la place du Droit dans la mondialisation devrait, à mon sens, en tenir compte.

La gouvernance, si elle est comprise comme un moyen de s’interroger sur les interactions entre les « dynamiques transnationales », l’Etat et la « société civile », dissociée, ne sait penser une mondialisation que « par le haut », comme une mondialisation à laquelle la « société civile » peut tout au plus contribuer, mais qui appartient avant tout aux fonctionnaires internationaux et aux marchandises. Or, ce sont les migrants, et tout particulièrement ceux « de la misère », ceux, de plus en plus nombreux, à parcourir des continents, qui sont les premiers, non à subir ou à expérimenter, mais à donner vie à la globalisation : en recréant les inscriptions identitaires et en faisant à plein corps partie de ces « dynamiques transnationales ».

Dans l’ « épilogue » de son ouvrage, Alain Tarrius écrit :

« Ces hommes qui circulent en tous sens, et qui innovent là où les Etats, eux, ne font guère preuve d'imagination, nous montrent que la mondialisation peut aussi conduire à diversifier les conduites sociales. L'étranger – et pas seulement l'« ethnique » - retrouve aujourd'hui le rôle d'acteur et de témoin qu'il a toujours joué aux grandes époques de changement historique. Il anticipe sur notre existence de demain dans la mesure où, ne trouvant plus sa place dans des dispositifs d'accueil obsolètes, le voilà contraint de bricoler, et peut-être de frayer les chemins d'un nouvel avenir collectif. »  (pp. 156-157)

 

 

 

Réactions du Méxique par Akuavi Adonon

 

 

La gouvernance comme outil conceptuel de l’interdisciplinarité

La gouvernance ne serait pas une notion qui prend de l’importance dans le sens où elle devient fédératrice par rapport à plusieurs disciplines ? Economie, Science politique, Droit, Sociologie et même Anthropologie. Au carrefour de ces disciplines, on trouve une notion qui par son actuelle « imprécision », dans le sens où il n’y a pas de contenu épistémologique précis, donne la possibilité d’être construite dans l’interdisciplinarité et de former ainsi un socle conceptuel commun, pour le moins nécessaire dans la communication interdisciplinaire.

 

La gouvernance comme situation à atteindre

Par rapport au texte de Le Roy, citation faite par Caroline et les 6 fonctions associées à la bonne gouvernance par Robert Charlick, la gouvernance se présente comme une « bonne orchestration » (d’un individu ou groupe au pouvoir) de la réalité sociale vers laquelle il faut tendre ; elle vient du haut même si elle doit tenir compte des différents acteurs sociaux, être légitime et responsable.

 

La gouvernance comme dynamique sociale observée

Dans ce sens la gouvernance représente les liens qui se tissent entre Etat, marché et acteur sociaux, il ne s’agirait pas ici d’atteindre ou d’inventer quoi que se soit mais de décrire la façon dont les « compromis collectif opèrent face à des conflit d’intérêt ».

 

Quelle relation entre gouvernance et Droit lato sensu c’est-à-dire phénomène juridique ?

 

Il me semble que dans les discussions il faut avant tout identifier le registre qu’on aborde, état de fait ou idéal à atteindre, ceci pour aborder au mieux les contours d’un concept en construction. Les « regards interdisciplinaires » sur le concept apporteraient aussi beaucoup à la réflexion, dans le croisement des différentes conceptions.