DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Christoph Eberhard 07/06/1998

DROITS DE L'HOMME ET DIALOGUE INTERCULTUREL : RÉFLEXIONS CRITIQUES SUR UNE DÉMARCHE

Contribution pour l'Ecole Thématique Droit et Société :


Approches critiques des démarches de recherche consacrées à la production normative. Confrontations pluridisciplinaires et culturelles.

15-19 JuinUniversité Pierre Mendès-FranceInstitut d'Etudes Politiques de GrenobleSaint Martin d'Hères





Nous essaierons dans les pages suivantes d'éclairer le processus de construction de notre problématique “Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel” à travers une réflexion critique sur nos propres démarches. S'agissant dans le cadre de cette école thématique “d'inviter les stagiaires à s'interroger non pas sur leur objet de recherche en tant que tel mais bien plutôt sur les processus de construction de ce dernier en tant qu'objet d'investigation scientifique” cette contribution sera avant tout le témoignage d'une démarche de recherche personnelle éclairée par une réflexion sur celle-ci. En adoptant cette approche, plutôt qu'une approche plus “académique”, nous espérons inviter à un véritable dialogue qui nous permettra de nous enrichir à travers notre découverte mutuelle . Ce faisant nous mettrons d'ailleurs en oeuvre la “méthode”ou “discipline” qui constitue le fondement même de toute notre démarche et que Raimon PANIKKAR a conceptualisé comme “dialogue dialogal”. Nous commencerons par exposer rapidement notre recherche actuelle en délimitant son champ, en explicitant sa problématique, en clarifiant notre perspective épistémologique et en dégageant ses principaux axes. Puis nous retracerons brièvement son parcours pour illustrer comment, à partir de certains intérêts, s'est petit à petit noué notre problématique et comment notre perspective sur elle a évolué au cours du temps au fur et à mesure que nous approfondissions notre recherche et que nous découvrions de nouveaux outils scientifiques Puis nous tenterons d'illustrer la pertinence du choix de la démarche diatopique et dialogale inhérente au dialogue dialogal pour traiter notre sujet. Nous l'illustrerons par des exemples dans les trois axes constitutifs de notre recherche : l'approche interculturelle du phénomène juridique, sa traduction et sa formalisation dans le domaine de la théorie du droit par une approche interdisciplinaire et enfin le dégagement d'un horizon donnant sens à ses démarches dans un domaine plus près de la philosophie morale et politique à travers un dialogue “inter-traditions du savoir” sur l' “Homme”. Enfin, nous exposerons des problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés dans notre recherche et ses pièges spécifiques dont nous avons petit à petit pris conscience.

LA PRÉSENTATION DE NOTRE OBJET DE RECHERCHE, DE NOTRE POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET DENOS PRINCIPAUX AXES DE RECHERCHE


(1) Notre objet et notre positionnement épistémologique

L'objet de notre thèse est de réfléchir à la problématique des Droits de l'Homme dans la perspective du Dialogue Interculturel. Elle vise à nous émanciper à travers le dialogue interculturel du paradigme universalisme/relativisme qui marque la pensée contemporaine des droits de l'homme pour nous engager sur les voies d'un pluralisme sain.

Nous sommes ainsi menés à ne pas nous cantonner à une analyse purement juridique : il s'agit plutôt à travers la problématique des droits de l'homme et du dialogue interculturel de réfléchir à des projets interculturels de société pacifiée possibles, le défi majeur pour ce faire étant à notre sens, pour nous juristes occidentaux marqués par la modernité occidentale - dont les signes diacritiques sont la tendance à l'uniformité voir à l'uniformisation et à la rationalisation - d'apprendre à penser (voir de vivre) le pluralisme et les pratiques.

Le contexte dans lequel nous inscrivons notre recherche est donc celui d'une globalisation qui se traduit en même temps par une pluripolarisation croissante du monde et qui fait percevoir de plus en plus nettement les enjeux liés à la mise en oeuvre d'un véritable Dialogue Interculturel pouvant nous permettre de construire des projets de société pacifiée partagés (au niveaux du local comme du global) et de nous éviter d'aller vers un affrontement des civilisations ou un “clash of civilizations” (pour reprendre une expression de Samuel P. HUNTINGTON).

Nous considérons donc la problématique des droits de l'homme dans le dialogue interculturel comme un topos de recherche privilégié non seulement pour réfléchir à la réalisation d'un “Etat de Droit”, d'un “Rule of Law” etc... aux niveaux globaux et locaux mais aussi pour réfléchir plus largement à notre condition contemporaine qui nous lance le défi d'aborder la complexité des situations et le pluralisme de notre/nos monde(s). Ainsi c'est l'approche du pluralisme qui constitue le coeur de notre problématique.

Toute notre recherche est ultimement fondée sur la démarche dialogique qu'a élaboré Raimon PANIKKAR dans ses recherches interreligieuses et interculturelles et que nous expliciterons dans les pages à venir. Du point de vue disciplinaire notre inscription est avant tout double : nos points de vue privilégiés étant ceux d'une anthropologie du droit dynamique visant à "toujours ramener les discours et les pratiques juridiques aux logiques qui les sous-tendent" afin d'éclairer le phénomène juridique dans sa complexité (cf. Etienne LE ROY) et celui d'une théorie du Droit se voulant réflexion critique sur le Droit, privilégiant une articulation des points de vue interne et externe et une approche interdisciplinaire (cf. François OST).

Notre enracinement culturel est celui d'un chercheur européen, plus particulièrement marqué par les cultures française et germanique (allemande et autrichienne), mais aussi ouvert sur le monde anglo-saxon. Bien qu'autrichien, et ayant étudié dans divers pays, notre démarche scientifique est très francophone et notre démarche d'anthropologue du droit reflète celles du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris.

Notons que notre thèse est la continuation de recherches menées lors de notre DEA d'Anthropologie Juridique et Politique à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne sous la direction de M. Etienne Le Roy et de notre DEA de Théorie du Droit à l'Académie Européenne de Théorie du Droit à Bruxelles sous la direction de M. Roger Cotterrell de la University of London.


(2) Nos principaux axes de recherche

Il ne s'agira pas dans notre thèse d'élaborer une "Théorie Interculturelle des Droits de l'Homme" mais plutôt d'apporter une contribution ancrée dans notre tradition et ouverte aux autres traditions du monde pour poser les bases à une élaboration d'une théorie et d'une pratique véritablement interculturelle des Droits de l'Homme. Ceci pourrait contribuer à un enrichissement de notre conception actuelle des Droits de l'Homme et à l'émergence d'un consensus et d'une pratique véritablement universelle.

En effet, les droits de l'homme apparaissent de nos jours de plus en plus comme un requis que comme un acquis, alors qu'ils ont un rôle primordial à jouer dans la mise en place des nouvelles démocraties et de la réalisation de leur "Etat de Droit" et qu'ils semblent offrir un lieu privilégié pour réfléchir à notre condition humaine commune, à une globalisation qui ne soit pas qu'économique, mais soit porteuse d'un véritable projet de société interculturel permettant de contribuer à une société internationale pacifiée et solidaire pour faire face à nos défis contemporains.

S'il ne faut pas négliger les intentions politiques sous-tendant de nombreuses relativisations culturelles des droits de l'homme et s'il faut se méfier de ne pas tomber dans le relativisme, il semble cependant qu'on ne peut plus aujourd'hui ignorer les différentes perspectives culturelles sur ce qu'est un "ordre juste", une "bonne vie" dans le débat international sur les droits de l'homme. Il semble même, qu'en vue de renforcer la réalisation de l'idéal qu'ils incarnent pour nous, une vie en dignité et en fraternité entre tous les êtres humains, il est nécessaire d'enrichir notre tradition occidentale dans le dialogue avec les autres traditions. Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra faire tomber l'argument du caractère occidental des droits de l'homme comme excuse de leur non-respect et les faire accéder au rang de symbole véritablement universel partagé par toutes les cultures, ce qui est la première condition de leur efficacité. En outre, ce n'est que par la prise en compte des différentes traditions qu'on pourra trouver des points d'appui dans les différentes sociétés pour effectivement mettre en pratique les "droits de l'homme"

Pour (ré)apprendre à penser le pluralisme dans le domaine du Droit nécessaire à cette démarche prenant en compte les pratiques et les différentes visions du monde nous devons réapprendre à penser la complémentarité des différences là où nous avions l'habitude de raisonner en termes d'exclusion des contraires, le "et" là où nous avions l'habitude de penser le "ou". Ceci premièrement afin de sortir du dilemme actuel d'une pensée des Droits de l'Homme qui ne propose que le choix entre un universalisme plus ou moins uniformisateur d'une part (et souvent perçu comme oppressif) et d'un relativisme plus ou moins propice aux replis identitaires et à la justification de tous les totalitarismes d'autre part, et deuxièmement afin de réintroduire dans notre réflexion juridique les pratiques des acteurs concernés à côté de l'analyse des discours officiels et des montages institutionnels afin de pouvoir dégager des modes d'articulation possible entre ces deux réalités en vue de permettre la réalisation effective d'un "Etat de Droit".

Repenser le Droit en termes pluralistes demande une véritable rupture épistémologique avec notre tradition moderne. Cependant l'expérience des autres sociétés, ainsi que l'étude de notre propre histoire nous permettent d'opérer cette rupture, que je préfère d'ailleurs voir comme transition vers autre chose par l'ouverture et l'enrichissement de notre tradition moderne que comme véritable rupture. C'est pour cette raison que notre thèse se situera au niveau paradigmatique, et tentera de proposer des moyens, des cadres de penser, permettant d'aborder et de penser le pluralisme. Notons que l'émergence de nouveaux paradigmes de la complexité, outre dans le contexte interculturel global, se dessine d'ailleurs déjà à l'intérieur même de notre tradition juridique, parfois dans les termes d'une réflexion sur un droit "contemporain", "en sortie de modernité" voir "postmoderne"...

La thèse même s'articulera autour de trois axes de recherche principaux :

(1) Le premier est relatif au dégagement des fondements à une approche véritablement interculturelle aux Droits de l'Homme qui tout en devant permettre de rendre compte de la diversité des cultures pour penser le Droit et pour penser l'Homme devra rendre compte de l'universalité de "l'humain". Il s'agira donc de dégager un modèle permettant de reconstruire l'universel à partir des différentes traditions (et procédant donc selon le principe d'addition) au lieu de le déduire a priori d'une seule tradition et en en excluant ainsi les autres (principe de soustraction) - la démarche repose cependant évidemment sur le postulat d'une universalité de l'Homme qui elle seule rend nos différences intelligibles et rend leur analyse pertinente puisqu'elle nous permet à travers l'autre de mieux nous connaître nous même en tant qu'Hommes.

Cependant notre exigence étant de ne pas déplacer la problématique vers des spéculations purement philosophiques mais de permettre de dégager une formalisation juridique qui puisse être mise effectivement en pratique, nous serons mené au delà des réflexions épistémologiques sur le dialogue interculturel relatif au “Droit” d'inscrire cette réflexion dans le contexte de la théorie du droit (au sens large) en dégageant les apports spécifiques que l'anthropologie du droit peut apporter, dans un dialogue interdisciplinaire, aux autres sciences du droit dans le cadre d'une réflexion interculturelle sur les Droits de l'Homme. Ceci nous mène à un deuxième axe de recherche.

(2) Il s'agira en effet de rendre possible l'opérationalisation des résultats obtenus à travers le dialogue interculturel dans le domaine juridique. Pour ce faire nous serons menés à une réflexion plus proche de la théorie du droit : il s'agira d'approfondir l'évolution de la théorie et de la pratique des droits de l'homme dans notre tradition en essayant de dégager les fondements qui pourraient permettre leur enrichissement à travers une approche dialogique avec les autres traditions. Ceci nous conduira entre autre à réfléchir à notre concept de "système juridique", historiquement très lié à l'émergence du concept d'Etat-Nation, pour essayer de dégager une complémentarité et une articulation possible entre le droit étatique et d'autres formes de droit qui permettrait de répondre à la complexité caractéristique des situations contemporaines relatives aux droits de l'homme. Il nous semble qu'une réflexion approfondie sur les notions de “praxis” et de “communauté” peut se révéler fructueuse dans ce sens.

(3) Enfin un dernier axe de recherche se rapporte à une réflexion sur l'horizon dans lequel pourrait s'inscrire un dialogue interculturel sur les droits de l'homme. Après le premier axe plus anthropologique, et le deuxième plus tourné vers la théorie du droit (au sens large), le dernier est donc plus du domaine de la philosophie morale et politique. Il s'agira de réfléchir à une image de l'homme qui pourrait émerger à travers le Dialogue interculturel et pourrait donner sens à nos pratiques des droits de l'homme. Il nous semble dans ce contexte pertinent de réfléchir aux liens entre les Droits de l'Homme et le concept de "Culture de la Paix" lancé par l'UNESCO en 1994 avec la création d'un Programme pour une Culture de la Paix. Il s'agira ainsi d'engager un dialogue entre les différentes "traditions de Paix" de notre planète afin de dégager les fondements à une culture de la Paix dans laquelle pourrait s'épanouir pleinement une pratique interculturelle des Droits de l'Homme.

Notons enfin que nous comptons enrichir nos démarches théoriques par un travail de terrain. Nous tenterons ainsi de tester nos démarches sur un terrain concret permettant d'observer les pratiques concrètes de Droits de l'Homme dans un contexte interculturel. Notre terrain sera indien et portera sur une recherche relative aux droits de la femme. Il permettra d'étudier la rencontre de la "culture des droits de l'homme" avec la "culture indienne" à travers la problématique de "l'émancipation de la femme indienne" et de ses "droits". L'entrée dans la recherche se fera à travers les activités menées par une ONG visant à protéger les droits de la femme et visera à mettre en perspective cette action en l'inscrivant d'une part dans le cadre institutionnel indien et d'autre part en dégageant ses incidences et sa perception par les populations visées. Il s'agira de comprendre comment s'opère la pratique des droits de l'homme dans des contextes culturels très différents des nôtres, de voir quel sens les droits de l'homme peuvent y avoir, comment ils peuvent-être perçus, revendiqués, rejetés, assimilés, ignorés, garantis ... Notre préthèse étant que pour une “protection efficace des droits de la femme indienne”, il faudra forcément essayer de repérer des modes d'articulations et de métissages possibles entre des discours et des approches institutionnelles modernes (protection de la part de l'Etat et d'ONG) et des discours et des pratiques des populations plus ou moins traditionnelles - sans oublier que la femme et la société indienne ne se pensent pas comme nous les pensons et que nous devons donc rendre compte de cette originalité.



LE CHOIX DU SUJET ET L'EVOLUTION DE NOS DÉMARCHES

Ayant vécu dans différents pays, et ayant été éduqué en français et en allemand, j'ai commencé à m'intéresser très tôt à la manière dont nous appréhendions notre monde à travers nos constructions mentales. Je me suis aussi beaucoup intéressé à la manière dont fonctionnaient nos sociétés. C'est ainsi qu'après mon baccalauréat, j'ai décidé d'étudier le droit pour mieux comprendre le fonctionnement de nos sociétés.
Pour avoir une perspective qui ne soit pas uniquement juridique je me suis orienté vers un programme de droit des affaires et droit allemand qui me permettait d'une part de me familiariser avec une vision plus économique de la société et d'autre part de découvrir un autre système de droit, une autre manière de penser le droit. Dans ce programme j'ai écrit un mémoire où j'ai comparé les droits de la vente français et allemand. Ce travail m'a fait prendre conscience qu'au delà de règles différentes, les droits français et allemand étaient des “mondes” différents, ayant leurs logiques, leurs “atmosphères propres”. Je me suis aussi rendu compte de l'incapacité de la plupart des juristes de penser le pluralisme : avec toutes leurs différences les systèmes allemands et français étaient néanmoins tous les deux des blocs monolithiques hiérarchisés - et ceux qui comparaient ces deux systèmes affirmaient soit la supériorité de leur système, soit étaient relativistes dans le sens où à leur sens chaque système était bon dans son contexte, soit essayaient de faire des synthèses en vue d'un “supersystème” ayant tous les avantages respectifs et aucun des inconvénients. Penser le pluralisme ou penser le Droit autrement que comme “système” semblait impossible.
Pour prendre un peu de recul de notre monde occidental j'ai après passé un an en Inde pour découvrir une autre manière de vivre. A l'origine j'y suis parti pour un programme de droit international pour me familiariser avec une perspective non occidentale sur la société internationale. Cette année a été décisive pour moi. Je m'y suis rendu compte de l'absence totale de véritable dialogue interculturel au niveau global et de l'insuffisance d'approches purement juridiques pour poser les fondements à un tel dialogue. Par un concours de circonstances j'y ai rencontré des gens qui m'ont initié à l'anthropologie et il m'a semblé pertinent de voir s'il ne serait pas possible pour pouvoir réfléchir à une “structuration du monde de manière interculturelle” de compléter mon expérience de juriste par une expérience anthropologique. En effet, ceci permettrait de lier deux démarches qui pouvaient sembler contradictoires mais me paraissaient complémentaires : celle du juriste qui voit la société “telle qu'elle devrait être” et met en oeuvre son ordonnancement et celle de l'anthropologue qui essaye plutôt de voir “la société comme elle est”, faisant ainsi entre autre voler en éclats les mythologies du juriste.
C'est ainsi que je me suis retrouvé dans le DEA d'Etudes Africaines Option Anthropologie juridique et politique à l'Université Paris I et que j'y ai découvert la problématique des droits de l'homme dans le dialogue interculturel. Il faut dire qu'avant de découvrir qu'il existait une réflexion interculturelle sur les droits de l'homme, je n'aurais jamais pensé qu'on pouvait questionner les droits de l'homme - dans ma mythologie jusqu'à ce moment les droits de l'homme étaient un donné, une réalité transcendante qui “flottait quelque part” et à laquelle on ne pouvait pas toucher. Bien sûr ils n'étaient pas encore vraiment réalisés concrètement partout, mais le principe lui même n'était-il pas éternel, universel, inscrit dans la nature des choses ?
Et voilà que je découvrais que les droits de l'homme étaient l'expression d'une manière de voir le monde et qu'il y avait d'autres manières de penser l'Homme, le Droit, le Cosmos ... - et que même dans notre propre tradition on questionnait de plus en plus ce qui constituait leurs fondements comme l'individualisme, le rationalisme, l'universalisme et qu'on s'interrogeait sur notre “modernité” dans laquelle nous semblons déjà ne plus tout à fait nous trouver certains parlant de sortie de modernité, de postmodernité etc...
Je décidai donc de travailler sur cette problématique car elle me permettait de nouer tous mes questionnements : sur notre situation contemporaine, sur le dialogue interculturel, sur l'émergence d'un projet de société global interculturel, et sur l'importance, pour réfléchir sur l'Homme, du dialogue avec les différentes traditions spirituelles.
A cette époque je commençais à découvrir l'anthropologie et j'étais encore assez sous l'influence du mythe systémique et universaliste juridique. Mon mémoire s'intutilait donc : De l'universalisme à l'universalité des droits de l'homme - un défi de sortie de modernité. J'ai essayé dans ce mémoire d'émanciper la pensée des droits de l'homme d'un cadre unitariste pour l'ouvrir à une pensée pluraliste ne visant pas à réduire les différences mais à les articuler autour d'un projet interculturel partagé : il s'agissait par l'enrichissement dans le dialogue avec les autres traditions de faire accéder les droits de l'homme de l'universalisme (imposé unilatéralement par l'Occident) à l'universalité (élaborée et acceptée par toutes les cultures). J'avais aussi un autre problème : je ne pouvais pas mettre en forme scientifiquement certaines de mes intuitions car les concepts nécessaires me manquaient. Ainsi je sentais qu'il serait important de plus théoriser les pratiques mais je ne savais pas comment aborder ce défi. De même tout en sentant que les traditions spirituelles ne sont pas réductibles à d'autres façons de “penser” le monde que les traditions que nous appelons scientifiques, je n'arrivais cependant pas à les construire autrement que des logiques différentes.
Conscient de ces limites et de l'importance de bien connaître le Droit pour pouvoir le questionner voir le remettre en question, je me suis l'année d'après inscrit dans le DEA de Théorie du Droit à l'Académie Européenne de Théorie du Droit à Bruxelles. L'enseignement de ce DEA est interdisciplinaire et interculturel.
Si j'avais senti qu'au Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris “on pensait comme moi” et que j'avais mis en oeuvre ses démarches, je n'étais pas encore à ce moment vraiment capable de dire pourquoi ses démarches me convenaient plus particulièrement et plus que d'autres. C'est dans la confrontation avec les autres disciplines de la “théorie du droit” (théorie du droit, sociologie du droit, histoire du droit, sémiotique juridique, théorie du droit comparé etc...) que mes choix se sont clarifiés petit à petit et que s'est cristallisé ma propre perspective de recherche.
D'une part, je me suis rendu compte à Bruxelles de manière très nette qu'une discipline n'avait pas plus raison qu'une autre ou expliquait plus ou mieux que les autres. En effet, je dois admettre qu'au départ j'avais un peu tendance à penser que c'était nous, les anthropologues du droit, ramenant toujours discours et pratiques juridiques aux logiques et mythes qui les sous-tendent, qui avions la perspective la plus complète, la vue la plus profonde. Or je me suis rendu compte, qu'il ne s'agissait pas uniquement entre différentes disciplines de débats rationnels où les meilleurs arguments mettaient “k.o.” l'adversaire. Non - si on voulait vraiment comprendre les arguments, il fallait adopter les perspectives respectives des différents interlocuteurs. A côté de l'argumentation il fallait tenir compte du témoignage que véhiculaient leurs dires. Ce n'est qu'en comprenant la vision du monde des différents interlocuteurs, leurs préoccupations, qu'on pouvait comprendre leurs arguments. Et ce n'est qu'ainsi, et en acceptant l'autre plutôt comme “partenaire” que comme “adversaire”, qu'on pouvait vraiment tirer partie de ces arguments pour sa propre recherche. D'autre part, c'est en se rendant compte des présupposée des autres qu'on arrivait petit à petit à mieux se rendre compte de ses propres présupposés - ce qui permettait de clarifier son propre positionnement et ainsi de mieux se faire comprendre en retour par ses interlocuteurs. La traduction entre disciplines ou cultures nécessite une connaissance approfondie de ces cultures et disciplines et donc de leurs présupposés. Et ce n'est qu'à travers ce véritable dialogue qu'on peut passer de la pluridisciplinarité à l'interdisciplinarité. En effet, c'est en sachant contextualiser les différents arguments qu'il devient aussi possible de les comparer, voir de mettre à jour les insuffisances d'une démarche à partir du topos d'une autre démarche.
Je dois noter que ce que j'ai écrit là à propos du dialogue interdisciplinaire est tout aussi vrai du dialogue interculturel - même au sein de l'Europe : un chercheur allemand, français ou britannique est marqué par sa culture dans la manière d'aborder ses problématiques, au delà de ses choix personnels ou ses inscriptions disciplinaires. En écrivant mon mémoire avec un professeur britannique M. Cotterrell, je me suis particulièrement rendu compte du “monde” qui séparait la Common law, des traditions continentales comme l'allemande ou la française...
Outre cette prise de conscience “dialogale”, j'ai “découvert” à Bruxelles des concepts qui me permettaient de pousser plus loin ma recherche et d'opérer la rupture épistémologique que je présentais à Paris : ces concepts sont ceux de “communauté” et de “praxis” qui m'ont permis de recentrer mes analyses sur les pratiques tout en arrivant à les inscrire dans une théorie du droit. Ici il semble intéressant de noter que c'est la réappropriation de notions (surtout celle de “communauté”) théorisé dans le monde anglo-saxon qui m'a permis de faire avancer ma recherche qui elle est enracinée dans un terreau plus francophone.
De retour à Paris, j'ai continué cette année mes recherches sur les droits de l'Homme et le Dialogue Interculturel. Et de nouveau je me suis aperçu de l'importance du cadre dans lequel on décide de se placer pour sa recherche. Si mon mémoire Common Humanities and Human Community - Towards a Dianthropological Praxis of Human Rights visait à dégager des paradigmes permettant de sortir du paradigme dominant “universalisme/relativisme” en proposant l'alternative d'un pluralisme sain, il était cependant plus orienté “théorie du droit” qu'anthropologie juridique. C'est de retour à Paris, qu'enrichi par mon expérience bruxelloise, je me suis reattelé à des démarches plus anthropologiques et ai approfondi les exigences du dialogue interculturel. Ce qui est en train de me mener à une rupture épistémologique encore plus radicale que celle déjà effectuée. En effet, le discours juridique en tant que tel reste en dernière analyse occidental. Donc même en parlant de “pluralisme juridique” nous restons emprisonnés de notre vue du monde - or si nous prenons au sérieux les autres cultures et leurs points de vue pourquoi ne pas essayer de commencer à réfléchir en termes de “pluralisme dharmique”, de “li” etc... comme le suggère par exemple Robert VACHON ? Pour pouvoir recasser ce “cadre juridique” il faut cependant encore des concepts qui puissent nous permettre à partir de notre tradition, de nous en émanciper. Dans ce sens il me semble qu'approfondir les liens entre Droits de l'Homme et “Culture de la Paix” (que prône l'UNESCO mais qui reste mal, voir pas du tout, défini) est une piste prometteuse.
Le grand défi me semble être en ce qui concerne ma problématique de proposer des paradigmes d'approche radicalement nouveau tout en les présentant de manière à ce qu'ils puissent être mis en oeuvre à l'intérieur de notre tradition et s'appuyant sur elle pour pouvoir l'ouvrir sur un futur plus dialogal avec les autres sociétés. En outre il s'agit de rendre accessible des préoccupations d'“anthropologue” aux “juristes”. Pour ce faire une démarche diatopique et dialogale me semble incontournable.



LA DÉMARCHE DIATOPIQUE ET DIALOGALE

Roger COTTERRELL (1996 : 47-48) remarque :

“(...) it may be that the only way in which knowledge in the human sciences generally (including the study of law) can escape being limited by the particular configurations of power in the human activities that make possible each of these specific disciplines (...) is by confrontation between disciplines, or - to put it another way - the effective challenging of the mechanisms sustaining the discipline-effect of these fields. Intellectual confrontations of disciplinary knowledge fields may be possible to advance knowledge beyond that encompassed by each of them. It should follow, however, that any such effective confrontation will not merely add to knowledge but ultimately transform the terms in which knowledge is sought and conveyed by disrupting the taken-for-granted foundations of the disciplines involved.”
Il nous semble effectivement qu'une transformation dans la production et la transmission du savoir est inévitable pour nous acheminer vers des démarches “inter-”, qu'elles soient “interdisciplinaires”, “interculturelles”, “inter-traditions du savoir”, s'émancipant de l'“uni-” (disciplinaire, culturel etc...) et étant caractérisées par l'ouverture à l'échange et à la critique entre démarches reposant sur des postulats différents. Et il nous semble qu'une telle transformation devra s'opérer dans le sens du diatopisme et du dialogisme : elle devra reconnaître, pour reprendre une terminologie de Raimon PANIKKAR, que la connaissance n'est pas uniquement du domaine du logos mais aussi du mythos, que le logos ne peut jamais complètement épuiser la Réalité et qu'il faut donc accepter son caractère fondamentalement pluraliste. Nos points de vue “subjectifs” sur notre réalité “objective” et cette “réalité objective” font autant partie de la Réalité tous les deux. On ne peut pas penser la Réalité sans prendre en compte les différentes perspectives qui existent sur elles - et qui dans une certaine mesure la constituent. Il devient donc important comme nous l'avons déjà évoqué de prendre en compte l'aspect “témoignage” de tout dialogue. Les différents topoi à partir desquels on parle sont toujours différents - et ils peuvent être plus ou moins conciliables. Cependant le dialogue (dia-logos), par un jeu de dévoilement mutuel de nos présupposés, par un voyage à travers les logoi pour atteindre leurs mythoi respectifs permet de situer les démarches les unes par rapport aux autres et permet leur fécondation mutuelle. Cette démarche diatopique et dialogale est fondée sur le “dialogue dialogique” au sens de Raimon PANIKKAR (1979 : 242-244) :

“Dialogical dialogue is not the external reinforcement of a monologue in the belief that ëtwo heads are better than one'. (...) Dialogue is, fundamentally, opening myself to another so that he might speak and reveal my myth that I cannot know by myself because it is transparent to me, self-evident. (...) Dialogue seeks truth by trusting the other, just as dialectics pursues truth by trusting the order of things, the value of reason and weighty arguments. (...) Dialogue does not seek to be primarily duo-logue, a duet of two logoi, which could still be dialectical; but a dia-logos, a piercing of the logos to attain a truth that transcends it. We call this dialogical dialogue and we add that the relational nature of all witnessing belongs to this dialogue. (...) If dialogue is more than a dialectical technique, it cannot dispense with a certain testimony, i.e.,with the nonapodictic testimony of the other that communicates his experience and does not merely criticize my views. (...) His testimony says to me (...) that there are other points of view, other possibilities, that what is self-evident to me may not be to another. This new sort of dialogue can proceed only by mutually integrating our testimonies within a larger horizon, a new myth. What the other bears is not a critique of my ideas but witness to his own experience, which then enters our dialogue, flows with it and awaits a new fecundation.”

Il nous semble que ces phrases, écrites au départ dans le contexte d'une recherche sur le dialogue interreligieux et interculturel, méritent méditation pour nos trois axes de recherche exposés ci dessus :


(1) Dans le domaine “interculturel”

Les différentes cultures ne partagent pas les même présupposés. Elles ne sont pas enracinées dans les même mythes. La méthode dialectique dans le cadre interculturel a donc de fortes chances d'aboutir à "l'englobement du contraire", piège dégagé par Louis DUMONT dans ses travaux sur la hiérarchie : explicitement on pose l'"autre" comme égal, et on l'englobe ainsi dans la catégorie générale d'"humanité". Or implicitement on se construit soi même comme point de référence de cette humanité, introduisant ainsi une hiérarchie cachée. Ainsi le dialogue est biaisé et "l'autre" est construit de manière ethnocentrique comme l'image inversée de soi même plutôt que dans son originalité propre.

Le dialogue dialogique, qui est avant tout une démarche diatopique de dévoilement mutuel, permet de sortir de ce "piège" en mettant au centre l'"autre". On ne parle plus d'un objet, mais on parle entre sujets, de "moi à toi". Ce dialogue émerge à partir d'un voyage à travers les différents topoi culturels enracinés dans des mythes différents et des logiques qui y sont liées. Cette démarche s'apparente à celle suivie par Michel ALLIOT pour élaborer une “science non-ethnocentrique du Droit”. Pour ce dernier on ne peut comprendre la forme et le sens des institutions juridiques d'une société qu'en les rapportant à l'univers visible et surtout invisible de la société dans laquelle on les observe (voir ALLIOT 1989).


(2) Dans le domaine interdisciplinaire

Dans le domaine interdisciplinaire la démarche dialogique nous semble aussi pertinente : comme nous l'avons remarqué il ne s'agit pas uniquement de rendre compte des différentes manières dont les sociétés se pensent mais de réfléchir à des manières de transposer cette problématique dans le domaine de la pensée et de la pratique juridique : il faut donc s'orienter vers un véritable dialogue interdisciplinaire ou l'enrichissement s'opère par la rencontre de différentes perspectives sur une problématique partagée. Comme le remarque Etienne LE ROY dans son article “Juristique et Anthropologie: Un pari sur l'avenir” (1990) où il propose d'allier “anthropologie et juristique” en vue de dégager des voies pour “une nouvelle vision du monde et du Droit qui nous réconcilie avec le futur” (1990 : 19) :

“Les juristes mettent en évidence, avec raison, le fait que le Droit est avant tout un ëparler' lié à un mode de penser et que l'herméneutique juridique est la voie obligée à la compréhension des discours et des applications normatives. Les sociologues et les ethnologues insistent quant à eux sur le concours qu'apporte le Droit à l'organisation de la société, en particulier aux rapports intimes entre Droit et Pouvoir, au point que nombre d'entre eux tombent dans le piège de l'assimilation et réduisent le Droit à un discours sur le pouvoir ou au reflet institutionnel des modes d'appropriation de la nature.

En simplifiant, on pourra ainsi considérer que les juristes préoccupés de l'efficacité du discours et des institutions, sous-estiment à quoi sert le Droit alors que les seconds (sociologues et ethnologues), interpellés par ses fonctions sociales générales, perdent de vue les techniques juridiques et le ëmontage' institutionnel qu'elles permettent, s'interdisant dès lors de se faire comprendre des juristes ou d' infléchir l'application du Droit.(...)

Chez l'anthropologue, la subjectivité de l'observation, la primauté accordée à la qualité (plutôt qu'à la quantité) d'information et l'appréhension du réel comme globalité dynamique sont des conditions qui s'imposent à lui mais qui s'opposent aux attributs classiques de la science (en général) et de la science du Droit (en particulier).

Cette contradiction ne saurait cependant être la marque d'une impossibilité. J'y verrai personnellement le trait d'une dialectique préliminaire à cette herméneutique diatopique que nous visons. (...)” (1990 : 5, 17-18)





(3) Dans le domaine “inter-traditions du savoir”

Enfin par son ouverture sur le domaine du mythe, la démarche dialogale nous semble primordiale pour la possibilité de l'émergence d'un horizon véritablement interculturel et pluraliste qui pourrait donner sens à nos démarches. Comme l'écrit Robert VACHON (1995 : 6-7) :

“Le pluralisme est à la mode aujourd'hui. Mais en même temps il crée un malaise. Il est abordé à la fois comme un problème pour la pensée et un certain idéal à atteindre. On rêve d'unité, mais en même temps, on rêve de pluralité. On souhaiterait une seule vérité pour tous, mais la croyance en la personne et sa dignité nous force à accepter que la vérité est pluraliste. (...)

Nous soumettons ici qu'il existe une confusion entre pluralité et pluralisme, société plurielle et société pluraliste. Dans les deux cas on parle de différences. Or dans le premier cas, la pluralité, on aborde les différences comme concept logique, comme opération mentale, à partir du principe de non-contradiction ; l'emphase ici est sur le sic et non (ceci, pas cela) ; les différences sont alors des catégories mentales , les cultures aussi. Le problème alors en est un de trouver l'unité entre concepts incompatibles, l'unité malgré les différences. La pluralité est alors un problème à résoudre par la raison. On est dans l'ordre du logos.

Dans le deuxième cas, celui du pluralisme, on aborde la différence comme étant des qualités ou réalités, non définissables, internes aux choses elles-mêmes et sur lesquelles le mental n'a pas prise ou de contrôle en dernière analyse. On part de principe d'identité : l'identité d'une chose par rapport à elle-même, l'accent ici est sur l'unicité intrinsèque et l'irréductibilté de chaque chose, partant du présupposé que la différence est indépendante de la pensée qu'on peut en avoir, et libre par rapport à elle. Ici les différences sont perçues comme étant dans la nature même de la vérité et de la réalité. Elles sont irréductibles et incompatibles. Un problème ne saurait être solutionné par la raison. Nous sommes dans l'ordre du mythos, du symbole.”



PROBLÈMES ACTUELS DANS NOTRE

RECHERCHE ET PIÈGES À ÉVITER

Je suis en ce moment en train de recristalliser l'approche de mon sujet. En effet, s'agissant de dégager de nouveaux paradigmes de pensée dans une approche holistique de la problématique des droits de l'homme dans le dialogue interculturel tout changement de perspective dans un domaine de ma recherche entraîne une réorientation de la recherche en tant que tout.

Ainsi j'ai jusque maintenant procédé par approches successives. Dans mes deux mémoires de DEA j'ai traité de la même problématique et de manière globale. Mais entre mon premier et mon deuxième mémoire j'ai effectué un retournement de perspective qui m'a permis d'aborder la problématique d'une façon nouvelle et de l'enrichir. Pour ma thèse, je retravaille encore la même chose - mais la perspective est encore en train de rechanger tout en continuant à graviter autour du même centre : le pluralisme.

La difficulté est qu'avant de pouvoir commencer à écrire je dois avoir fait le tour des différentes perspectives qui m'intéressent et les avoir expérimenter pour pouvoir après les intégrer dans un tout cohérent. Pour l'instant je suis donc en train d'approfondir plusieurs problématiques liées à ma thèse et qu'il me faudra après réunir. Le danger évident est celui de s'éparpiller - surtout que ma problématique de recherche peut s'ouvrir à l'infini vers les différentes disciplines. Le remède me semble être d'être très conscient non seulement de ce qu'on veut faire mais aussi de ce qu'on peut faire. Ainsi comme je l'ai noté plus haut j'étais à certains moments confrontés à des blocages car mes outils scientifiques ne me permettaient pas d'aller plus loin. Or cette insuffisance d'outils ne peut pas être pallié n'importe comment : tout point de vue adopté ne permet pas forcément d'aller là où on veut. En adoptant des concepts fondés sur des approches dont les postulats ne sont pas compatibles avec nos propres intuitions sans en faire l'inventaire on risque de “dériver”. C'est pour cela qu'il me semble primordial dans toute recherche “inter-” de se constituer une colonne vertébrale solide en déterminant son propre positionnement et en l'approfondissant - entre autre par la confrontation à des approches différentes. Pour vraiment pouvoir comprendre les autres et dialoguer avec eux on doit passer par une connaissance approfondie de soi-même, de sa propre situation, de sa propre originalité - ce qui en retour ne peut se faire qu'en apprenant aussi à penser comme les autres - sinon, comment faire la différence ? Enfin apparaît-il primordial de connaître ses limites pour pouvoir contextualiser sa recherche afin qu'elle puisse enrichir ceux qui sont engagés dans des voies différentes.

Une deuxième difficulté de ma recherche consiste dans l'intégration d'une enquête de terrain dans une problématique qui est très théorique et dont le “terrain” est plutôt le “global” mais qui se révèle absolument nécessaire dans ma perspective anthropologique. N'ayant pas encore fait mon terrain je ne peux pas beaucoup dire sur ce sujet. Cependant je me rends déjà compte que dans mon cas, le choix de mon terrain n'est pas du tout neutre. Un problème fondamental semble être que je ne pars à la base pas d'un terrain pour ensuite élaborer une théorie à vocation plus globale mais que je pars d'une théorie globale dans laquelle j'essaye d'“intégrer mon terrain” ce qui comporte le risque de “construire mon terrain d'après mes besoins théoriques”, plutôt pour souligner ma théorie que pour vraiment la reéclairer et la tester. Il y a aussi le problème épistémologique de savoir à quel point mon terrain peut être représentatif de la problématique des droits de l'homme en contexte d'interculturalité ? En choisissant mon terrain ne choisis-je pas un exemple pour ma thèse déjà préconçue, même si j'aborde le terrain lui même “objectivement” ? Comment intégrer mon terrain dans ma recherche sans trahir les exigences anthropologiques et tout en l'utilisant dans un cadre révélant plutôt d'une théorie du droit reflétant une perspective anthropologique ? Et comment éviter de dévier sur une recherche sur l'Inde qui n'est pas le sujet de ma thèse ?

Ce dernier point nous mène à un autre piège qui me semble particulièrement dangereux dans ma recherche, et qui, il me semble, existe dans toute recherche sur une universalité, ou sur une approche globale des choses. Le risque est grand de commencer à croire que parce-qu'on réfléchit à une problématique “universelle” de manière holistique et globale, on est en train d'élaborer une théorie “universelle”, “globale” ou “holistique”.

C'est pourquoi la contextualisation de tout travail me semble primordiale car elle est le premier fondement à toute démarche diatopique et dialogique et à toute possibilité de véritable dialogue permettant un enrichissement mutuel.





















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