Dans le Bulletin de lÕONG belge, RCN Justice & DŽmocratie, consacrŽ au Droit et Femmes, Aboubakri Sidi NDONGO sÕest penchŽ sur la manire de penser la paritŽ entre hommes et femmes dans les milieux peuls dÕAfrique Occidentale. Une vision basŽe sur une expŽrience du vŽcu et une analyse juridico-anthropologique qui Žclaire le dŽbat sur le statut de la femme dans certaines sociŽtŽs dÕAfrique au sud du Sahara.

 

 

 

Du Droit des Femmes au devoir des fils en milieu peul : Mauritanie, SŽnŽgal, MaliÉ

 

 

 

   En Afrique, les images peu reluisantes de divisions, de conflits et de souffrances[1], largement consacrŽes pour qualifier les peuples sont loin dՎpargner la femme. Cette dernire, est souvent montrŽe en gros plan comme un tre triste, soumis, hagard, ŽcrasŽ par le poids des traditions, sans moyens de dŽfense ni pouvoir de dŽcision, ˆ la merci des hommes et des alŽas de la vie. Si bien que, dans quasiment tous les programmes de dŽveloppement ŽlaborŽs au Nord, le sort de la femme du Sud reste au cĻur des prŽoccupations.

Dans le combat que mnent les gouvernements des pays initiateurs des actions de dŽveloppement, lՎgalitŽ entre les femmes et les hommes fait partie des thmes transversaux, dont devrait tenir compte tout partenaire responsable, partie prenante de la coopŽration entre le Nord et le Sud.

 

   CÕest ici pour nous lÕoccasion de revenir sur les diffŽrences dÕapprŽciation des concepts dՎgalitŽ, de droit, de la place et du r™le de chacun dans la sociŽtŽ africaine en gŽnŽral et peule en particulier. Loin de nous, lÕidŽe de vouloir Žtablir ˆ tout prix la diffŽrence absolue entre les manires de voir. Mais nous sommes convaincus que le monde qui nous est commun nÕest pas aussi uniforme que nous le croyons. Il serait dÕailleurs bien dommage pour lÕhumanitŽ qu'il en soit ainsi. La richesse du monde, ne vient-elle pas de sa diversitŽ comme la beautŽ dÕun tapis vient de la variŽtŽ de ses couleurs ?

 

   Pour Guy AdjŽtŽ Kouassigan, il y a au demeurant deux sociŽtŽs diffŽrentes, mises en rapport par la colonisation et qui se retrouvent maintenant face ˆ face dans le cadre du partenariat.

Ē DÕun c™tŽ, les sociŽtŽs africaines ˆ Žconomie non-technicienne, envisageant les Žchanges commerciaux plut™t dans la perspective de rŽciprocitŽ de services que dans celle de rŽalisation de profits, profondŽment religieuses mais non chrŽtiennes, apprŽciant la valeur des choses par ce quÕelles leur suggrent en rŽfŽrence ˆ leur essence et signification ontologique, consacrant certes la primautŽ du groupe sur lÕindividu, mais dont les structures portent la marque de cette recherche constante dÕun Žquilibre entre lÕindividuel et le collectif.

De lÕautre, lÕEurope ˆ Žconomie dŽveloppŽe, hautement technicienne, ma”trisant sans cesse la matire, et dont les institutions inspirŽes de la religion chrŽtienne consacrent le triomphe de lÕindividu sur la communautŽ[2]. Č   

Dans les deux sociŽtŽs, les diffŽrences de croyance, de mythes, de conception du bonheur, du rapport ˆ lÕabsolu, ˆ lÕespace et au temps[3], du r™le et de la place de lÕindividu dans la sociŽtŽ, conduisent forcŽment ˆ des systmes juridiques diffŽrents.

 

 

Notion dՎgalitŽ?

 

 

   Partant, le terme d'ŽgalitŽ nous semble inappropriŽ pour qualifier les composantes de la sociŽtŽ africaine dans l'organisation de leur vie en sociŽtŽ. Il renvoie ˆ un imaginaire sublimŽ de quantitŽ ou de mesure et met en conflit d'intŽrt des ŽlŽments constitutifs du genre humain.

Dans une sociŽtŽ qui pr™ne l'Žquilibre et l'effort constant de toujours consolider la qualitŽ de vie dans les rapports humains quotidiens, il serait moins rŽaliste de vouloir accorder ˆ tout prix plus de droits qu'ils n'en ont ˆ tel ou tel membre de la sociŽtŽ sans courir le risque de les opposer et crŽer entre eux des dŽsŽquilibres destructeurs et difficilement rŽparables.

 

   Chez les Peuls, pour qui l'apprentissage au vivre ensemble va du berceau au tombeau, il faut, pour commencer tre trois pour fonder l'unitŽ et la stabilitŽ de la famille : le pre, la mre et l'enfant. Exactement, comme il faut trois pierres pour crŽer un foyer sur lequel repose la marmite qui cuit le repas collectif.[4]

L'idŽal rŽside dans la qute que chacun se livre dans son tre, et par la fonction qu'il occupe au sein de la sociŽtŽ pour apporter le meilleur de lui-mme afin de mŽriter la postŽritŽ et trouver une place de choix dans le panthŽon des illustres qui ont dignement servi la communautŽ.

L'ŽgalitŽ est naturelle, compltement inhŽrente ˆ l'humanitŽ qui s'appuie sur ces trois ŽlŽments qui fondent la sociŽtŽ. Loin de toute forme de compŽtition, elle admet la pluralitŽ des fonctions, la paritŽ sociale et l'ŽquitŽ. C'est une autre forme d'organisation sociale et en mme temps une manire de concevoir le monde.

 

 

La femme et son milieu

 

 

   La femme dans cette cosmogonie, dŽcoule d'une rŽalitŽ humaine o elle est compltement immergŽe dans son environnement naturel. C'est un creuset de symboles en mme temps partenaire et partie prenante de la collectivitŽ. Elle procde de l'Humain, de la Personne dont on dit que les personnes de la Personne sont multiples dans la Personne.[5]

Dans les villages traditionnels, il y a toujours le grand champ collectif ou familial auquel tout le monde travaille. Chacun peut avoir Žgalement son petit jardin ou potager. Femmes ou hommes, petits ou grands. On y rŽcolte des citrouilles et du ma•s, de grosses courges, des pastques et des patates douces, des gombos, des tomates etcÉ

 

 

Esprit de solidaritŽ

 

 

   Revendiquer dans cet espace, plus de droits  individuels que d'autres peuvent tre par consŽquent peru comme une tendance vers l'Žgo•sme, considŽrŽe dans la tradition africaine comme la pire des choses. Ici, le plus grand souci est celui d'ŽquitŽ.

Dans l'imaginaire peul, l'humain est crŽŽ pour crŽer et chaque personne est riche de la crŽation des autres. Il faut tre anormal ou tre en manque d'amour propre pour prŽtendre vivre ˆ l'Žcart du groupe, c'est-ˆ-dire refuser de partager.

 

   Si le droit peut tre envisagŽ comme l'expression d'un ordre social dont il assure le maintien et la stabilitŽ[6], il est surtout, ici, le symbole de la solidaritŽ sociale.

Dans le systme de vie communautaire, tissŽ de multiples brassages, la femme s'identifie donc autant au groupe -famille, caste, lignŽe, ethnie ou tribu- auquel elle appartient par sa naissance qu'aux rŽseaux spŽcifiques des classes d'‰ges -vŽritables communautŽs de destin- et les circuits formŽs ˆ travers le cousinage ˆ plaisanterie, qui incline l'absence d'hostilitŽ et ce phŽnomne original du vivre ensemble.

 

 

Le Pasiraagal

 

 

   Le pasiraagal Žtablit une sorte de paritŽ, non pas entre hommes et femmes mais entre personnes hŽritires d'une mme fonction sociale. Le pasiraagal pourrait tre le pendant peul de l'ŽgalitŽ occidental. Mais ˆ la diffŽrence de celle-ci, il commande non pas l'ŽgalitŽ dŽjˆ acquise ˆ la naissance entre les membres de la sociŽtŽ, mais plut™t l'ŽquitŽ au niveau de celles et ceux qui remplissent la mme fonction sociale.

Dans la tradition, ils sont gŽnŽralement pasteurs, paysans, guerriers, pcheurs, forgerons, tisserands, bžcherons, potiers, cordonniers, tanneurs, griots etcÉ

Tous rŽpondent au modle cohŽrent de complŽmentaritŽ et d'interdŽpendance : le paysan qui n'a pas le droit de travailler le mŽtal a besoin du forgeron qui ne pouvant travailler la terre[7] attend sa nourriture du paysan; le mme paysan trouve l'ordre de cultiver son champ des ceddo, guerriers qui en pays halaybŽ (Mauritanie) sont les seuls et habilitŽs ˆ donner cet ordre de cultiver, prŽcŽdŽ d'une fte au cours de laquelle hommes et femmes rivalisent de bravoure, d'ŽlŽgance et de poŽsie. Elle annonce l'arrivŽe ou le retrait des eaux du fleuve, propice ˆ la culture des champs du walo. Les mmes ceddo ne rŽcoltent ˆ leur tour leurs champs qu'aprs la coupure symbolique d'un Žpi (de mil) par les toorodo, dŽpositaires de la terre hŽritŽe des anctres.

 

   Pour maintenir sa valeur, dans un contexte o le mariage reste l'institution la plus chargŽe de sens, une femme peule, d'origine pastorale voudra naturellement Žpouser un homme de famille similaire, comme une griotte tendra la main ˆ un griot dans le but de perpŽtuer la mŽmoire collective.

Ce choix qui ne se dŽmentit pas encore aujourd'hui dans les faits; mme avec "l'Žvolution" rapide du monde et les transformations observŽes ces dernires annŽes au Fuuta[8]; rŽsulte, ˆ la fois du souci de demeurer dans son tre et de pŽrenniser la fonction qui le dŽtermine et le complte dans sa plŽnitude.

Il rŽsulte Žgalement de l'assurance que procure le sentiment d'ŽquitŽ entre les deux partenaires d'un couple, issus d'une mme caste, pour l'Žquilibre du couple et l'harmonie de la sociŽtŽ.

   Dans le mariage conclu dans un tel esprit, aucun des deux partenaires ne peut manifester vis-ˆ-vis de l'autre, un sentiment de supŽrioritŽ ou d'infŽrioritŽ. Et ce, mme si avec l'islam (autre ordre juridique auquel se rŽfrent les peuls en gŽnŽral), c'est au mari que revient la charge d'assurer la nourriture, le logement et l'entretien de son Žpouse et des enfants.

 

 

La Pulaagu ou le fait d'tre peul

 

 

   Reconnaissons enfin qu'en Afrique, le droit est parlŽ et vŽcu. Il conditionne la manire d'tre et de se comporter. Il dŽcoule de l'Homme primordial qui reut de Dieu une parcelle de sa puissance crŽatrice de l'Esprit et de la Parole.

Mais, la mŽconnaissance des traditions rŽgissant l'organisation et le fonctionnement des sociŽtŽs africaines d'une part; la volontŽ dŽlibŽrŽe de relŽguer ses mŽcanismes de rŽgulation et de modŽlisation ˆ l'arrire plan au profit de rgles positives transposŽes, d'autre part, ont conduit ˆ rendre encore plus complexe et grand le fossŽ ŽpistŽmologique existant entre le droit et la rŽalitŽ juridique en Afrique. La place et le r™le de la femme s'en trouvent donc durement affectŽs. Difficile dans ces conditions, d'imaginer qu'elle pus tre un acteur de crŽation et de transmission du droit. Et pourtant, dans la vie juridique en Afrique, la femme occupe une place de choix.

 

   Le Droit, est entendu par nous, non pas seulement dans sa forme restreinte et Žtroite, comme un ensemble de normes positives plus ou moins liŽes ˆ l'ƒtat;  mais comme une rŽalitŽ sociale, une composante des activitŽs humaines, marquŽe, comme toutes les autres par la culture.[9]

Dans son sens large et ouvert, le Droit est trs souvent vŽhiculŽ chez les Peuls par les femmes, aussi bien d'ailleurs dans sa crŽation que dans sa transmission aux gŽnŽrations futures.

Mieux, gr‰ce ˆ la pulaagu[10], code de conduite chez les Peuls, on retrouve la femme au cĻur du droit traditionnel.

La pulaagu, c'est cette manire d'tre et de se comporter en sociŽtŽ. C'est un code basŽ sur l'honneur et les valeurs cardinales que chaque homme ou femme doit respecter pendant toute sa vie sous peine de perdre la face devant ses pairs ou de mourir civilement, c'est-ˆ-dire dŽmŽriter l'estime de Dieu et des anctres vivants ou invisibles.

 

   Concrtement, si un homme ou une femme enfreint les rgles de la pulaagu, il se retrouve isolŽ au sein de la communautŽ. Une somme importante dont le montant, Žtabli par les chefs traditionnels, et sciemment surŽlevŽ, lui est alors demandŽ afin qu'il s'amende. Le fautif, dans l'incapacitŽ de satisfaire ˆ telles exigences monŽtaires, est contraint d'en plaider le rabais; la sociŽtŽ entend, par-lˆ, l'humilier, l'amener ˆ demander un pardon qu'elle ne peut nullement lui refuser.

Tant qu'un geste de rachat n'est pas posŽ, l'isolement perdure non seulement pour le coupable mais aussi pour sa famille, son troupeau, ses champs ainsi que les travaux qu'il entreprend et qui requirent des bras. Les femmes de la communautŽ reoivent par exemple la consigne de ne plus tresser son (ou ses) Žpouse(s); et ses btes,  d'ordinaires surveillŽes par tous sont traitŽes avec indiffŽrence. Lorsqu'il revient ˆ la raison, gr‰ce ˆ la palabre ou qu'il s'amende, tout rentre dans l'ordre. L'honneur Est sauf, et le monde avec lui. 

 

   La pulaagu s'applique, on l'a vu, comme un ordre juridique interne ˆ la sociŽtŽ. On l'observe sur les manires d'agir, de parler, de faire et de se comporter. Elle est gestuelle, parlŽe, parfois tue, comportementaleÉ

C'est la coutume dŽfinie par Jacques Venderlinden comme "la production du droit par le peuple". Et donc "la seule faon de la voir, la seule faon de la pŽnŽtrer, c'est de la voir fonctionner. Et, en fait, les membres de la sociŽtŽ, ils voient fonctionner eux depuis qu'ils sont et ils grandissent avec. Pas s'ils sont dŽracinŽsÉ[11]

Gr‰ce ˆ la pulaagu, nous saurons comment la femme dans son r™le de mre, outre les chefs traditionnels, fait office de gardienne du droit et source privilŽgiŽe dans l'instruction et la transmission des valeurs nŽcessaires ˆ l'Žpanouissement de la personne humaine et au vire ensemble collectif. Quoi de plus merveilleux avait dit Boileau :

 

"De voir autour de soi cro”tre dans sa maison

Sous les paisibles lois d'une agrŽable mreÉ"

Satire X, 12-14[12]

 

   Voici pour complŽter, quelques rgles puisŽes dans le rŽpertoire de la tradition peule, formulŽes oralement par une femme s'adressant ˆ son "grand fils" qui s'engage dans sa vie d'homme. Ces rgles nous permettront de voir qu'au-delˆ de la norme, c'est l'esprit des rgles qu'il faut pŽnŽtrer pour comprendre comme Michel ALLIOT que le droit est finalement une vision du monde, qui se nourrit de culture, de religion, de morale et des faons de concevoir les Žchanges en sociŽtŽ.

 

 

Adieu au bord du fleuve (mbayniigu daande maayo)

 

 

   "Me prenant par la main, ma mre m'attira un peu plus loin (É), puis prenant mes deux mains dans les siennes, elle me dit : "Regarde-moi bien dans les yeux".

Je plongeai mon regard dans le sien, et pendant un instant, comme on dit en peul, "nos yeux devirent quatre". Toute l'Žnergie de cette femme indomptable semblait couler d'elle ˆ moi ˆ travers son regard. Alors elle retourna mes mains, et dans un geste de grande bŽnŽdiction maternelle, ˆ la faon des mamans africaines, elle passa le bout de sa langue sur mes paumes. Puis elle dit :

"Mon fils, je vais te donner quelques conseils qui te seront utiles pour toute ta vieÉ

Retiens-les bien :

 

1)      "N'ouvre jamais ta malle en prŽsence de qui que ce soit. La force d'un homme vient de sa rŽserve; il ne faut Žtaler ni sa misre ni sa fortune. Fortune exhibŽe appelle  jaloux, quŽmandeurs et voleurs.

2)      "N'envie jamais rien ni personne. Accepte to sort avec fermetŽ, sois patient avec l'adversitŽ et mesurŽ dans le bonheur. Ne te juge pas par rapport ˆ ceux qui sont au-dessus de toi, mais par rapport ˆ ceux qui sont moins favorisŽs que toi.

3)      "Ne sois pas avare. Fais l'aum™ne autant que tu le pourras, mais fais-la aux malheureux plut™t qu'aux petits marabouts ambulants.

4)      "Rends le plus de services que tu pourras et demandes-en le moins possible. Fais le sans orgueil et ne sois jamais ingrat ni envers Dieu ni envers les hommes.

5)      "Sois fidle dans tes amitiŽs et fais tout pour ne pas blesser tes amis.

6)      "Ne te bats jamais avec un homme plus jeune ou plus faible que toi.

7)      "Si tu partages un plat avec des amis ou des inconnus, ne prends jamais un gros morceau, ne remplis pas trop ta bouche d'aliments, et surtout ne regarde pas les gens pendant que vous mangez, car rien n'est plus vilain que la mastication. Et ne sois jamais le dernier ˆ te lever. S'attarder autour d'un plat est le propre des gourmands, et la gourmandise est honteuse.

8)      "Respecte les personnes ‰gŽes. Chaque fois que tu rencontreras un vieillard, aborde-le avec respect et fais-lui un cadeau, si minime soit-il. Demande-lui des conseils et questionne-le avec discrŽtion.

9)      "MŽfie-toi des flatteurs, des femmes de mauvaise vie, des jeux de hasard et de l'alcool.

10)  "Respecte tes chefs, mais ne les mets pas ˆ la place de Dieu.

11)  "Fias rŽgulirement tes prires. Confie ton sort ˆ Dieu chaque matin au lever, et remercie-Le chaque soir avant de te coucher.

Tu as bien compris?

Oui Dadda.

Enfin, n'oublie pas, au cours de ton voyage, d'aller saluer nos parents ˆ DiafarabŽ, SarŽdina et Mopti. Et ds que tu arriveras ˆ Bandiagara, rŽserve ta premire visite ˆ Tierno Bocar. Quand tu le verras, dis-lui ceci : "Ma mre, ta petite sĻur, me commande de venir me remettre entre les mains de Dieu par ton entremise."

Tu as tout retenu?

Oui, Dadda, Sois tranquille. Je garderai chacune de tes paroles toute ma vie."

 

 

Le droit, c'est le respect Édes sources

 

 

   Ainsi, se transmet le droit traditionnel dans le contexte des diverses sociŽtŽs africaines. L'essentiel de la pulaagu se rŽsume dans : le sens de l'honneur, la confiance en soi et la foi en Dieu, le souci et le respect de la parole donnŽe, l'esprit de justice, la droiture, la fidŽlitŽ, la gŽnŽrositŽ, le courage, la fiertŽ, le sens de la retenue, la rŽserve, la ma”trise de soi : gacce[13] ; l'absence de jalousie et le respect des A”nŽs.

 

Mais la pulaagu, au-delˆ du fait d'tre peul, de l'imitation aux meilleurs exemples hŽro•ques, illustrŽs par les anctres et constamment ressassŽs dans le rŽcit des hauts faits historiques, lŽgendaires et Žpiques; est surtout caractŽrisŽe par le respect, l'abandon total ˆ la volontŽ maternelle. L'adage peul ne dit-il pas que : "Tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, nous le devons une fois seulement ˆ notre pre, mais deux fois ˆ notre mre?"[14]

 

   La mre est sacrŽe chez les Peuls. Elle est considŽrŽe comme l'tre au sein duquel nous avons logŽ pendant neuf mois, dont la matrice nous a servi de chambre ˆ coucher, de salle ˆ manger, de lieu d'aisances, et qui, au risque de perdre ses jours nous a donnŽ les n™tres. On ne peut pas refuser la moindre demande formulŽe par sa maman. N'est-ce pas elle, qui aprs notre naissance nous a encore portŽ durant vingt quatre mois, pendus ˆ ses mamelles, blottis dans son giron ou attachŽs dans son dos? Qui pourrait vraiment jamais payer sa mre? Personne.

Le plus grand tŽmoignage de reconnaissance que l'on peut lui manifester est de satisfaire ses moindres dŽsirs, quels qu'ils soient avec le plus d'empressement possible.[15]

 

Aussi, sait-on que dans quasiment toutes les cultures du monde, l'on jure, avec toute la solennitŽ du serment sur ce qu'il y a de fondamental et de sacrŽ. Chez les peuls, c'est au nom de Dieu, des Anctres et sur l'‰me maternelle. Trois sources de crŽation du droit.

 

   Voilˆ les paramtres locaux, universels peut-tre dont devraient aussi tenir compte les politiques de dŽveloppement destinŽes ˆ l'Afrique pour promouvoir l'ŽgalitŽ entre les hommes et les femmes. Elles devraient en tout cas intŽgrer ceci : le fait que l'homme soit investi de certaines responsabilitŽs ne signifie pas qu'il est supŽrieur ˆ la femme. La responsabilitŽ parentale peut tre exercŽe soit par l'homme, soit par la femme, mme si en Afrique, elle incombe souvent, mais seulement en apparence au mari.

 

 

Aboubakri Sidi NDONGO, Juriste-Anthroplogue, Stagiaire RCN Justice & DŽmocratie.



[1] Ly Djibril, Ē Fondements humanitaires dans la sociŽtŽ pulaar en Mauritanie et au SŽnŽgal Č, RICR, N” 832,  dŽcembre 1998, pp. 695-706.

[2] Guy A. Kouassigan, Ē Quelle est ma loi ? Tradition et modernitŽ dans le droit privŽ de la famille en Afrique noire, francophone Č, Toulouse, Ed. Pedonne, 1974, pp. 14-15.

[3] Lire ˆ ce sujet Jean-Godefroy Bidima Ē La Palabre, Une juridiction de la parole Č, Paris, Ed. Michalon, coll. Le bien commun, 1997, 127 pp.

[4] Voir B‰ Amadou Hamp‰tŽ, "Contes initiatiques peuls", Stock, Nea, Abidjan, 1994.

[5] Christoph Eberhard et Aboubakri Sidi Ndongo "Relire Amadou Hamp‰tŽ B‰, pour une approche africaine du Droit. Images rŽflŽchies de la pyramide et du rŽseau", Revue Interdisciplinaire d'Etudes Juridiques, N” 47, Bruxelles, 2001, pp.75-113.

[6] Louis Assier-Adrieu, "Le Droit dans les SociŽtŽs Humaines", Nathan, Paris, 1996, p.5.

[7] Michel Alliot, "Modles sociŽtaux : les communautŽs", Bulletin de Liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris 1, N”2, 1980, pp. 87-93.

[8] Territoire habituel des peuls d'Afrique de l'ouest rŽparti en quatre zones : le Fouta Toro, le Fouta Macina, le Fouta Fouladou et le Fouta Djalon.

[9] Louis Assier-Andrieu, op. cit.

[10] En ce sens, voir Mamadou N'diaye, "La pulaagu d'hier ˆ aujourd'hui", Peuples du SŽnŽgal, Saint-Maur, SŽpia, 1996, pp. 139-156.

[11] Jacques Venderlinden, "La Coutume en Afrique", Bulletin du RCN Justice & DŽmocratie, N” 8, 2me trimestre 2004, Bruxelles, pp. 23-24.

[12] CitŽ par Kouassigan, op. cit. P. 24.

[13] LittŽralement, ce mot dŽsigne la honte. Mais en Afrique, ce mot ne recouvre pas seulement ce que l'on entend par-lˆ en franais, mais Žgalement la pudeur, la rŽserve, la timiditŽ, qui sont considŽrŽes comme autant de noblesse de caractre, particulirement chez les Peuls. Pour approfondir cette notion, lire Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambigu‘, prŽface de Vincent Monteil, 10/18, Mulhouse, 1971,pp.191.

[14] Proverbe du Mali.

[15] Ici, la raison ne joue pas. On ne juge pas si l'acte est bon ou mauvais. Lire ˆ ce sujet Amadou Hamp‰tŽ B‰, Contes initiatiques peuls, op. cit. p 187.