Par-del lÕuniversalisme et le
relativisme :
La Cour europenne des droits de lÕhomme et
les dilemmes
de la diversit culturelle*
paru dans Revue interdisciplinaire dÕtudes
juridiques, 2004, n”52, pp. 109-142.
Florian Hoffmann (hoffmann@rdc.puc-rio.br) **
& Julie Ringelheim (julie.ringelheim@iue.it)***
ĒÉ.we have come to such a point in the moral history of the world [É]
that we are obliged to think about [cultural] diversity rather differently than
we had been used to thinking about it. If it is, in fact, getting to be the
case that rather than being sorted into framed units, social spaces with
definite edges to them, seriously disparate approaches to life are becoming
scrambled together in ill-defined expanses, social spaces whose edges are
unfixed, irregular, and difficult to locate, the question of how to deal with
the puzzles of judgement to which such disparities give rise takes on a rather
different aspect. Confronting landscapes and still lifes is one thing;
panoramas and collages quite another. Č
Clifford Geertz, Ē The Uses of
Diversity Č[1]
Introduction
La question de
lÕuniversalisme ou du relativisme des droits de lÕhomme demeure sans doute
lÕune des plus controverses de la thorie des droits. Elle a longtemps pes
sur lÕensemble des rflexions sur le concept de droits humains. Pourtant,
malgr ou peut-tre cause de la prgnance de ce dbat, il a souvent t
trait de faon strotype, universalisme et relativisme tant prsents comme
les deux ples dÕune dichotomie rigide, assimils un positionnement pour ou
contre la suprmatie des droits de lÕhomme sur les diffrences culturelles. Il
existe certes un antagonisme fondamental entre les principes de base de
lÕuniversalisme dÕune part, et ceux du relativisme de lÕautre, et la question
de savoir laquelle de ces deux perspectives saisit avec le plus de justesse le
phnomne des Ē droits de lÕhomme dans le monde Č constitue un enjeu rel.
Il nous semble cependant que cette dichotomie stricte, postule par une large
partie de la doctrine, repose sur une conception rductrice tant de la notion
de Ē droits Č que de celle de Ē culture Č. Comme nous le
soutiendrons dans cet article, ces deux concepts sont en ralit beaucoup plus
complexes et dynamiques que cette vision simplifie ne le laisse penser. Nous
nÕentrerons pas dans le dtail du dbat sur le relativisme culturel, qui a
gnr une littrature extrmement abondante et complexe[2]. Plutt que de revenir sur des thmes
traits profusion par de nombreux auteurs, nous concentrerons notre attention
sur les lments thoriques et factuels qui dmontrent quÕun dpassement de la
dichotomie entre droits de lÕhomme et culture est non seulement possible mais
ncessaire. On commencera par voquer brivement lÕvolution de la thorie
anthropologique et les transformations du systme mondial qui ont marqu
lÕpoque contemporaine. LÕtude de ce double phnomne conduit porter un
nouveau regard sur les rapports entre Ē droits Č et Ē cultures Č
(I). Pour illustrer
ces considrations thoriques, on se penchera ensuite sur la jurisprudence de
la Cour europenne des droits de lÕhomme, afin de mettre en lumire la
diversit des formes dÕinteractions entre droits humains et facteurs culturels
qui sÕy observent (II).
La rflexion
actuelle sur les droits de lÕhomme reste en grande partie tributaire du cadre
conceptuel esquiss plus haut, les auteurs se situant en faveur de lÕun ou de
lÕautre ple de lÕalternative : universalisme ou relativisme. Pourtant,
des voix de plus en plus nombreuses, issues principalement de lÕanthropologie
juridique et du droit compar, contestent les postulats sous-jacents cette
reprsentation classique des rapports entre droits et diffrences culturelles.
Ces critiques dnoncent avant tout le caractre essentialiste et a-historique
de la conception des droits et de la culture qui domine cette doctrine[3]. Celle-ci apprhende gnralement les
cultures comme des touts homognes, harmonieux, consensuels et essentiellement
stables. Sans doute, cette conception correspond la notion de culture telle
quÕelle a t thorise par lÕanthropologie ses dbuts[4]. Mais depuis lors, la thorie
anthropologique sÕest sensiblement loigne de cette dfinition et tend
dsormais concevoir les cultures comme Ē historically produced, globally
interconnected, internally contested, and marked with ambiguous boundaries of
identity and practice. Č[5] Rcemment, la rflexion anthropologique
en est mme venue sÕinterroger sur la pertinence de la notion de
Ē culture Č en tant que concept scientifique essentiel de la
discipline[6]. DÕun autre ct, les lments
constitutifs de la Ē culture Č, tels que lÕidentit, le rapport
lÕautre, les structures normatives, etc., ont t profondment transforms de
lÕextrieur par lÕensemble des phnomnes sociaux, conomiques et politiques
englobs sous le terme de mondialisation[7]. Paradoxalement, alors quÕelle a t
progressivement dsavoue par la thorie anthropologique, lÕide de
Ē culture Č conue comme une vision du monde globale, close et
uniforme, a resurgi dans dÕautres contextes. Elle est devenue un lment-cl de
la rhtorique dveloppe en faveur des revendications des peuples
Ē exotiques Č, ceux-l mmes dont lÕtude avait conduit les
anthropologues abandonner progressivement cette conception de la culture Š
une ironie de plus de la (post-)modernit[8]. Ce recyclage de la vieille notion de Kultur ne sÕest toutefois pas limit aux projets
mancipateurs, fonds sur les droits humains, des groupes autochtones ou
minoritaires. Nombre de gouvernements sÕen sont galement saisis ; se
posant en garants de la Ē culture nationale Č, ils en ont us et
abus pour lgitimer la rpression des dissidences internes et justifier la
violation des droits fondamentaux. Le dbat sur les Ē valeurs
asiatiques Č fournit sans doute lÕexemple le plus significatif de cette
attitude[9]. On a pu observer par ailleurs, au sein
des mouvements en faveur des droits humains, une lgre tendance mettre en
avant la Ē culture Č plutt que les conditions conomiques, sociales
ou politiques, pour expliquer les violations des droits de lÕhomme. Or, sÕil
est crucial dÕaccorder une plus grande attention aux phnomnes culturels afin
de surmonter le rductionnisme conomique ou politique qui a caractris la
priode antrieure, le recours la vieille conception rifie de la
Ē culture Č risque de conduire un pige analogue, celui du
rductionnisme culturel[10].
Les processus lÕorigine de la transformation de la notion de culture ont galement eu un impact dcisif sur le concept de Ē droits Č. Le dbat sur lÕuniversalit des droits humains a t largement domin par la question de savoir si les valeurs et la vision du monde sous-jacentes aux droits humains pouvaient ou non transcender les barrires culturelles. Or, cette interrogation est aujourdÕhui dpasse : le discours des droits humains est, de fait, mondialis. Indpendamment du caractre vrai ou postul des fondements moraux de ce concept, de sa contingence historique, des significations concrtes quÕil reoit dans diffrents contextes socioculturels, le langage des droits de lÕhomme est devenu, selon lÕexpression de Richard Rorty, Ē un fait du monde Č (a fact of the world)[11]. Mais ce fait global nÕa pas de sens par lui-mme, il nÕacquiert de signification quÕ travers les utilisations qui en sont faites dans des contextes culturels locaux. Le concept de Ē droit humain Č peut tre dcrit comme un Ē signifiant vide Č[12], constamment, mais toujours provisoirement, empli de signifis locaux. Cette approche se distingue dÕun certain relativisme culturel, selon lequel ce nÕest quÕen fonction de la culture considre, conue de faon rigide et essentialiste, que lÕon pourrait dire sÕil existe des droits humains et lesquels. Les significations dont sont pourvus les droits humains doivent, au contraire, tre penss comme le rsultat dÕune interaction complexe entre discours globaux et locaux, qui nÕest contrle par aucune volont, ne poursuit aucun objectif, mais constitue un processus autonome, aliment par une multitude dÕapports diffrents. Les interactions entre les niveaux institutionnels, les forums discursifs informels et les pratiques provisoirement cristallises mais toujours susceptibles de remise en cause, redfinissent en permanence les configurations culturelles locales, tout en rejaillissant sur le systme global des droits humains, le contraignant sÕadapter et assimiler une diversit croissante de revendications[13]. Le global et le local sÕenchevtrent ainsi dans une spirale de rtroactions mutuelles[14]. Dans cette optique, les droits de lÕhomme se prsentent non plus comme le reflet fig des traits supposs essentiels de lÕtre humain, mais comme un processus auto-reproductif, au cours duquel ils sont constamment interprts et rinterprts, contests et transforms par une myriade dÕacteurs voluant dans des contextes multiples[15].
Ds lors quÕon redfinit la culture comme un rseau fluide et multiforme de significations, et les droits humains comme un kalidoscope de donnes hybrides, la fois locales et globales, en perptuelle rotation[16], on aperoit la possibilit dÕun dpassement de la dichotomie suppose entre ces deux termes. En effet, la tension entre ceux-ci nÕapparat plus comme un conflit irrductible exigeant une solution tranche en faveur de lÕun ou de lÕautre, mais comme un lment inhrent au discours des droits humains[17].
Dans les pages
qui suivent, nous proposons dÕillustrer ces considrations par lÕanalyse dÕun
ensemble dÕaffaires puises dans la jurisprudence de la Cour europenne des
droits de lÕhomme. Mise en place en 1959 dans le cadre du Conseil de lÕEurope,
en application de la Convention de sauvegarde des droits de lÕhomme et des
liberts fondamentales (1950), la Cour est, parmi les juridictions
internationales, celle qui a la plus longue exprience en matire dÕapplication
des droits humains. Elle connat des recours introduits non seulement par les
Etats parties, mais galement par des individus (particuliers, groupes de particuliers
ou organisations non gouvernementales) qui se dclarent victimes dÕune
violation dÕun droit protg par la Convention imputable un Etat membre[18].
En pratique, la grande majorit des recours sont de ce second type. La Cour
peut ds lors tre apprhende comme lÕun des espaces institutionnels o
sÕobservent les interactions entre un niveau Ē global Č - les droits
garantis sur le plan international par le systme de la Convention Š et les
niveaux Ē locaux Č reprsents par les contextes nationaux et infra-nationaux.
LÕexamen de cette jurisprudence montre par ailleurs que la question de
lÕincidence des diffrences culturelles sur lÕapplication des droits humains ne
se pose pas seulement lorsquÕon oppose les pays du Ē Sud Č aux pays
du Ē Nord Č ou lÕOccident au reste du monde, mais se prsente
galement dans le contexte europen, considr comme le berceau historique du
concept de droits.
II. La Cour europenne des droits de lÕhomme
face la diversit culturelle
La Convention
de sauvegarde des droits de lÕhomme et des liberts fondamentales ne contient
aucune rfrence la notion de Ē diversit culturelle Č[19]. Les Etats signataires insistent plutt sur les similarits
qui les unissent, proclamant dans le Prambule, quÕils sont Ē anims dÕun
mme esprit Č et possdent Ē un patrimoine commun dÕidal et de
traditions politiques, de respect de la libert et de prminence du
droit Č[20]. Cette communaut de valeurs et dÕidaux
est mise en avant pour justifier la dcision dÕinstituer un systme commun de
garantie des droits de lÕhomme. DÕun autre ct, ce mme prambule proclame que
Ē la sauvegarde et le dveloppement des droits de lÕhomme Č est lÕun
des moyens dÕatteindre le but du Conseil de lÕEurope, savoir la ralisation
dÕune Ē union plus troite entre ses membres Č[21]. La Convention oscille ainsi entre lÕide
dÕune unit prexistante, prcondition du systme, et celle dÕune union
construire. Entre ces deux horizons, une incertitude demeure : quel peut tre
lÕimpact des diffrences culturelles actuelles, entre les Etats ou au sein des
Etats, sur la mise en Ļuvre des droits ?
On peut supposer que dans lÕesprit des Ē pres fondateurs Č de la Convention, cette question nÕavait pas lieu de se poser : il est permis de penser quÕ leurs yeux, les considrations culturelles nÕavaient pas leur place dans le champ des droits humains. La Convention ne contient dÕailleurs pas davantage de disposition garantissant aux membres des minorits ethniques ou nationales, religieuses ou linguistiques le droit de prserver leurs particularits culturelles[22]. En pratique pourtant, la Cour a t, ds ses dbuts, confronte au problme des variations de traditions, de sensibilits ou de mentalits dÕun Etat lÕautre mais aussi entre diverses composantes de la population au sein dÕun mme Etat[23]. Dans plusieurs affaires, on voit en effet lÕune des parties lÕinstance demander la Cour de tenir compte, dans lÕapplication de la Convention aux faits de lÕespce, de certaines spcificits culturelles : tantt lÕEtat mis en cause se prvaut des particularits de la socit quÕil reprsentait pour justifier une mesure conteste, tantt un requrant soutient que des entraves subies dans la pratique de sa langue, de sa religion ou de ses traditions constituent une violation dÕun droit garanti. Or, contrairement ce que le texte de la Convention pouvait laisser penser, la Cour nÕa pas systmatiquement cart ce type dÕarguments. Dans de nombreux cas, elle a admis que, compte tenu des circonstances, les caractristiques culturelles propres lÕEtat, la rgion ou une communaut constituaient un lment pertinent prendre en considration pour apprcier lÕexistence dÕune violation de la Convention[24].
Un examen attentif de la jurisprudence
permet de constater que lÕinfluence des lments culturels sur les arrts de la
Cour sÕexerce principalement sous trois formes diffrentes. Tout dÕabord, le constat du caractre
Ē culturellement sensible Č dÕune affaire amne souvent la Cour
reconnatre aux Etats une large marge nationale dÕapprciation. De cette manire, les circonstances
dÕordre culturel affectent lÕintensit du contrle de la Cour. (1). Ensuite, lorsquÕelle contrle la
proportionnalit dÕune
mesure limitative dÕun droit ou dÕune libert, les circonstances culturelles
peuvent influencer le poids relatif attribu aux divers impratifs pris en
compte dans le processus de pondration des intrts (2). Enfin, les facteurs culturels peuvent
avoir une incidence sur lÕinterprtation de certains termes utiliss dans la Convention et dots dÕune
dimension socioculturelle manifeste, tels que Ē famille Č[25] ou Ē mariage Č[26]. LorsquÕelle interprte ces termes, la
Cour prend parfois explicitement en considration les caractristiques
culturelles de la socit dans laquelle les faits ont eu lieu ou, plus
rarement, de la communaut laquelle appartient le requrant (3). CÕest lÕtude du fonctionnement de
ces diffrents mcanismes que nous allons consacrer les pages qui suivent. Il
importe de prciser que cet examen a une vise purement analytique et non
normative : notre objectif nÕest pas dÕvaluer le bien-fond des solutions
adoptes par la Cour, mais dÕanalyser la manire dont les facteurs culturels
interagissent avec le concept de droits dans cette jurisprudence.
La Ē marge
dÕapprciation Č est une notion dveloppe par la Cour dans sa pratique
jurisprudentielle, qui signifie en substance que les Etats se voient
reconnatre, dans certains contextes, une latitude plus ou moins importante
pour apprcier le contenu de leurs obligations aux termes de la Convention. H. C. Yourow la dfinit comme
Ē the latitude of deference or error which the Strasbourg organs will
allow to national legislative, executive, administrative and judicial bodies
before it is prepared to declare a national derogation from the Convention, or
restriction or limitation upon a right guaranteed by the Convention, to
constitute a violation of one of the ConventionÕs substantive guaranties Č[27].
CÕest donc une forme de
retenue ou dÕautolimitation de la part de la Cour[28], de judicial restraint[29], qui introduit une Ē lasticit dans
la contrainte impose aux Etats Č[30].
Bien quÕelle
soit souvent associe lÕide de respect de la diversit culturelle[31], elle nÕa pas t conue comme un moyen
de prserver cette diversit[32]. Les fondements de la marge
dÕapprciation ont t formuls par la Cour lÕoccasion de lÕarrt Handyside
c. Royaume-Uni[33]. Elle repose tout dÕabord sur le
caractre subsidiaire par rapport aux systmes nationaux de garantie, du
mcanisme de contrle instaur par la Convention. Intervenant toujours a
posteriori, la Cour ne
peut ignorer lÕapprciation porte par les autorits nationales quant aux
exigences de la Convention dans le cas dÕespce[34]. Cette explication est cependant
insuffisante. Car comme le souligne S. Van Drooghenbroeck, la subsidiarit est
une caractristique gnrale du contrle de la Cour, elle sÕapplique
indiffremment tous les litiges. La marge dÕapprciation, en revanche, nÕest
reconnue aux Etats que dans certaines circonstances et son amplitude varie
dÕune affaire lÕautre. La justification principale de cette technique
jurisprudentielle rside ds lors dans la seconde raison avance par la Cour[35] : les autorits nationales lui
paraissent dans certains contextes mieux places pour apprcier la manire dont il convient de
rpondre aux exigences de la Convention[36].
Diverses
circonstances peuvent conduire la Cour ce constat. CÕest le cas en
particulier lorsque la mise en Ļuvre dÕune notion de la Convention requiert
lÕapplication dÕun jugement de valeur sur certains faits et que la Cour ne
trouve pas de critre clair, ni dans le texte de la Convention, ni dans la
pratique des Etats membres, sur lequel fonder sa propre valuation. Ainsi, dans
lÕaffaire Handyside,
taient en cause les procdures engages contre le requrant en tant quÕditeur
dÕun manuel de conseils destin aux adolescents (The Little Red Schoolbook), incluant des informations sur la
sexualit et qui avait t qualifi par les autorits de Ē publication
obscne Č. Ces procdures avaient abouti la saisie et la confiscation
de lÕouvrage ainsi quÕ la condamnation du requrant une amende. La Cour
tait appele dterminer si, comme le soutenait le gouvernement, ces mesures
pouvaient tre considres comme ncessaires, dans une socit dmocratique,
la protection de la morale, lÕun des motifs lgitimes de limitation noncs au deuxime paragraphe de
lÕarticle 10[37]. Or, elle se dclare incapable
dÕidentifier une conception commune de cette notion, qui soit valable pour tous
les Etats membres :
Ē Éon ne peut dgager du droit interne des
divers Etats contractants une notion europenne uniforme de la
Ē morale Č. LÕide que leurs lois respectives se font des exigences
de cette dernire varie dans le temps et lÕespace, spcialement notre poque
caractrise par une volution rapide et profonde des opinions en la matire.
Grce leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays,
les autorits de lÕEtat se trouvent en principe mieux places que le juge
international pour se prononcer sur le contenu prcis de ces exigences comme
sur la Ē ncessit Č dÕune Ē restriction Č ou
Ē sanction Č destine y rpondre. [É] Ds lors, l'article 10 par. 2 (art. 10-2) rserve aux
Etats contractants une marge d'apprciation. Č [38]
Ce clbre
passage de lÕarrt Handyside permet de mettre en lumire le lien entre marge dÕapprciation et
diversit culturelle. Bien que le terme Ē culturel Č ne soit pas
utilis, il apparat quÕaux yeux des juges, les divergences des droits
nationaux en matire de morale refltent les variations des conceptions de la
population de chaque pays ; de lÕethos de chaque socit. Face cette
varit dÕopinions, les juges europens ne sÕestiment pas en mesure de dgager
une norme europenne commune, lÕaune de laquelle valuer les mesures adoptes
par les autorits internes. La diversit culturelle constitue ds lors, pour la
Cour, une cause dÕincertitude, qui la contraint faire preuve dÕune
plus grande dfrence envers lÕapprciation des autorits nationales, eu gard
leur meilleure connaissance de la sensibilit et des besoins de leur
population[39].
Par consquent, Ē la Ē diversit Č nÕapparat pas tant valorise
pour elle-mme, quÕendure comme la source dÕune impossibilit
dÕordre cognitif conduisant le juge europen devoir sÕen remettre au surcrot
dÕexpertise corrlativement reconnu aux autorits tatiques. Č[40]
Ce raisonnement reste conciliable avec lÕidal dÕunification exprim dans le prambule de la Convention. Il laisse ouverte la possibilit dÕune volution des conceptions et des lgislations vers une plus grande similarit, qui permettrait la Cour de dgager une notion Ē europenne Č des exigences de la morale, sur laquelle elle pourrait faire reposer sa propre apprciation. LÕventualit dÕun contrle plus strict est nanmoins report plus tard et subordonne une uniformisation pralable des conceptions.
Dans des arrts
postrieurs toutefois, on observe parfois un glissement dans la manire de
formuler le lien entre la nature culturelle des questions en jeu et la marge
dÕapprciation. LÕarrt Wingrove c. Royaume-Uni en fournit un exemple. Le requrant se plaignait
de ce que son film vido ait t interdit de distribution par les autorits
britanniques, en raison de son caractre jug blasphmatoire vis--vis des
symboles chrtiens[41]. Examinant la licit au regard de la
Convention de lÕingrence subie par le requrant dans sa libert dÕexpression,
la Cour affirme :
Ce nÕest que dans un deuxime temps quÕelle ajoute :
Ē Du reste, comme dans le domaine de la morale, et peut-tre un degr plus important encore, les pays europens n'ont pas une conception uniforme des exigences affrentes Ē la protection des droits d'autrui Č s'agissant des attaques contre des convictions religieuses. Ce qui est de nature offenser gravement des personnes d'une certaine croyance religieuse varie fort dans le temps et dans l'espace, spcialement notre poque caractrise par une multiplicit croissante de croyances et de confessions. Č[42]
Alors que dans
lÕarrt Handyside,
cÕest lÕobservation des variations des conceptions qui avait conduit la Cour
accorder aux autorits internes une marge discrtionnaire, dans le passage cit
ici, cÕest le fait que la protection des Ē sentiments et [des] convictions
les plus profonds Č dÕune population[43] soit en jeu, qui apparat comme le motif
premier de la reconnaissance dÕune marge dÕapprciation tendue. LÕabsence de
standard europen, en revanche, nÕest mentionne quÕ titre dÕargument
supplmentaire. Les juges semblent donc affirmer dans cet arrt que les Etats
bnficient, en rgle gnrale, dÕune importante marge dÕapprciation, ds que
le problme pos touche la sphre morale ou religieuse. Cette position laisse
penser que mme si dans lÕavenir, ils parvenaient discerner une norme
europenne commune, ils nÕen continueraient pas moins de considrer les
autorits nationales comme mieux places pour apprcier les exigences de la
Convention lorsque la protection de la morale ou des sentiments religieux est
en cause.
En ralit, la Cour nÕa pas vraiment tranch entre ces deux approches. On les retrouve au fil de sa jurisprudence, la Cour penchant tantt pour lÕune, tantt pour lÕautre, en fonction des circonstances. Dans les affaires concernant la question du transsexualisme, autre domaine dans lequel la marge dÕapprciation a jou un rle important, la Cour se range clairement du ct de lÕapproche Handyside. Il lui tait demand de dterminer si le refus des autorits de reconnatre juridiquement la nouvelle identit sexuelle des personnes ayant subi une opration de changement de sexe, constituait une violation de leur droit la vie prive et la vie familiale garantis lÕarticle 8 de la Convention. Dans ce contexte, cÕest parce quÕelle estime que le transsexualisme soulve Ē des questions complexes de nature scientifique, juridique, morale et sociale Č et que celles-ci ne font pas lÕobjet Ē dÕune approche gnralement suivie dans les Etats contractants Č[44], que la Cour, dans un premier temps, reconnat aux Etats une ample latitude pour dcider du traitement juridique quÕil convient de rserver aux transsexuels oprs. Par la suite, estimant que lÕvolution des droits nationaux et des attitudes sociales tmoigne clairement de lÕmergence dÕun consensus en la matire, elle finira par modifier sa position dans ses arrts du 11 juillet 2002 (voir infra). De faon intressante, on trouve dans certaines des opinions dissidentes jointes cette srie dÕarrts, des rfrences directes la question de lÕincidence de la Ē culture Č ou des Ē traditions Č. Dans lÕaffaire Cossey c. Royaume-Uni, le Juge Mertens, critiquant la dcision de la majorit de reconnatre aux Etats une large marge dÕapprciation, observe :
Ē ...rien dans le dossier ne donne penser que
pour ce qui est des rles sexuels, la culture du Royaume-Uni soit essentiellement diffrente de
celle d'autres Etats membres. Il ne s'impose donc pas, pour dterminer si cette
attitude de l'Etat en cause est compatible avec ses obligations au titre de la
Convention, de prendre en compte des lments caractristiques de la socit
britannique ou d'autres conditions particulires existant au Royaume-Uni. Č[45]
Selon le Juge Mertens, la marge
dÕapprciation nÕaurait t justifie que sÕil avait t prouv que la culture
du pays concern tait sensiblement diffrente sur ce point de celle des autres
Etats membres. Le Juge Pettiti, par contre, sÕexprimant lÕoccasion de
lÕafffaire B. c. France, semble adopter la position
exactement inverse. Dsapprouvant la conclusion de la majorit selon laquelle
il y aurait eu en lÕespce
violation de lÕarticle 8, il dclare que Ē [s]'il est un
domaine o il faut accorder aux Etats le maximum de marge d'apprciation compte
tenu des moeurs et des traditions, c'est bien celui
du transsexualisme [...]. Č[46]. Le Juge Pettiti penche donc pour
lÕapproche Wingrove,
rclamant une marge dÕapprciation maximale au nom de la nature mme de la
question examine.
Quoi quÕil en soit, lÕoctroi dÕune marge dÕapprciation, mme importante, nÕinduit pas ncessairement une conclusion de non-violation. CÕest une Ē marge de discrtion Č qui est reconnue aux Etats, non un Ē pouvoir discrtionnaire Č. Dans lÕarrt Handyside, la Cour insiste sur le fait que cette marge nÕest pas illimite et que les mesures prises dans ce cadre restent soumises son contrle[47]. Dans lÕarrt Open Door et Dublin Well Women c. lÕIrlande, elle prcise quÕelle Ē ne saurait admettre que l'Etat possde, dans le domaine de la protection de la morale, un pouvoir discrtionnaire absolu et insusceptible de contrle Č[48]. La latitude reconnue aux Etats en vertu de la marge dÕapprciation peut donc tre contre-balance par dÕautres lments intervenant dans lÕapprciation de la Cour Š principalement lÕexistence dÕun consensus europen, la gravit de lÕatteinte au droit garanti ou lÕimportance de la sphre dÕactivits protge.
En premier
lieu, la marge sera plus rduite, voire absente, lorsque la Cour estime quÕil
existe un consensus europen sur la question envisage. CÕest la consquence logique de lÕargumentation
dveloppe dans lÕarrt Handyside : dans la mesure o cÕest le constat des divergences entre les Etats
membres qui justifie lÕoctroi dÕune marge dÕapprciation, celle-ci perd sa
raison dÕtre ds lors quÕune convergence vers un critre commun peut tre
observe dans le droit et les pratiques de lÕensemble des Etats. Pour dgager
un tel consensus, la Cour se fonde avant tout sur des facteurs juridiques Š les
lois internes des Etats membres, les traits internationaux auxquels ceux-ci
ont adhr, les actes des organisations internationales Š mais aussi des
considrations non juridiques, tels que lÕopinion publique europenne ou lÕavis
des experts[49]. Or, ces lments connaissent des
transformations constantes. LÕinterprtation consensuelle est donc troitement
lie au principe dÕinterprtation volutive[50]. La Cour lÕa souvent affirm :
Ē la Convention est un instrument vivant interprter [É] la lumire
des conditions de vie actuelles Č[51]. La comprhension des exigences de la
Convention peut donc tre rexamine en permanence, en fonction de lÕvolution
tant des standards juridiques dans les Etats membres que de lÕopinion publique.
La Cour peut ainsi tre amene remettre en cause, raison du changement des
mentalits, des solutions anciennement admises parce que conformes aux
Ē traditions Č gnralement acceptes. Dans lÕarrt Marckx, par exemple, elle admet que la distinction entre
enfants Ē naturels Č et enfants
Ē lgitimes Č Ē passait Ē pour licite et normal[e] dans
beaucoup de pays europens lÕpoque o fut rdige la Convention Č, mais
dcide que cette conception doit cder devant lÕvolution du droit de la grande
majorit des Etats membres et des instruments internationaux pertinents vers lÕabolition
de cette diffrenciation[52]. De mme, dans lÕarrt Dudgeon c.
Royaume-Uni du 22 octobre
1981, pour conclure que les lois rprimant les relations homosexuelles entre
adultes consentants sont contraires lÕarticle 8 de la Convention, la Cour
fait notamment valoir quÕ Ē [o]n comprend mieux aujourdÕhui le
comportement homosexuel quÕ lÕpoque de lÕadoption de ces lois Č et que
Ē dans la grande majorit des Etats membres du Conseil de lÕEurope, on a
cess de croire que les pratiques du genre examin ici appellent par
elles-mmes une rpression pnale ; la lgislation interne y a subi sur ce
point une nette volution que la Cour ne peut ngliger Č[53].
La jurisprudence sur le transsexualisme, voque plus haut, fournit lÕune des illustrations les plus frappantes de lÕapplication du principe dÕinterprtation volutive. Ds son premier arrt en la matire, dans lÕaffaire Rees, la Cour avait prcis que la conclusion selon laquelle le refus des autorits britanniques de reconnatre pleinement le changement de sexe des requrants ne portait pas atteinte leur droit au respect de la vie prive, pourrait tre rexamine dans lÕavenir, Ē eu gard, notamment, l'volution de la science et de la socit Č[54]. Aprs une srie dÕarrts confirmant lÕabsence de violation de lÕarticle 8, la Cour a fini par renverser sa position dans les arrts Goodwin et I. du 11 juillet 2002 : considrant que des Ē lments clairs et incontests Č dmontrent Ē une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identit sexuelle des transsexuels oprs Č[55]. Il est noter que la Cour se rfre ici lÕvolution du droit et des attitudes sociales dans les Etats membres du Conseil de lÕEurope, mais aussi dans des Etats tiers, comme lÕAustralie et la Nouvelle-Zlande[56].
LÕexistence
dÕun relatif consensus au niveau europen nÕentrane cependant pas
automatiquement la condamnation de lÕEtat qui maintiendrait une solution
divergente. Dans lÕarrt F. c. Suisse, la Cour observe ainsi propos dÕun article du
Code civil suisse autorisant le juge prononcer une interdiction de remariage
dÕune dure de trois ans lÕencontre dÕun poux condamn au divorce pour
adultre :
Ē le fait qu'un pays occupe, l'issue d'une
volution graduelle, une situation isole quant un aspect de sa lgislation
n'implique pas forcment que pareil aspect se heurte la Convention, surtout
dans un domaine - le mariage - aussi troitement li aux traditions
culturelles et historiques de chaque socit et aux conceptions profondes de
celle-ci sur la cellule familiale. Č[57]
Aprs avoir dclar que lÕexistence dÕun consensus nÕtait pas dterminant, la Cour conclut nanmoins la violation de lÕarticle 12, eu gard la gravit de lÕatteinte porte au droit de se marier. Elle estime en effet que la mesure litigieuse Ē a touch la substance mme du droit au mariage [É] Č[58]. CÕest l le deuxime facteur susceptible de contre-balancer la marge dÕapprciation : selon la Cour, les Etats, dans le cadre de la marge qui leur est reconnue, ne peuvent aller jusquÕ porter atteinte lÕessence ou la substance du droit protg[59].
Enfin,
troisime limite de la marge dÕapprciation, les juges exercent en principe un
contrle plus strict lorsquÕils estiment que le droit ou lÕactivit en cause
est dÕune importance essentielle pour le bien-tre de lÕindividu ou le bon
fonctionnement de la dmocratie. Ce critre a notamment t appliqu dans
lÕarrt Dudgeon
prcit, o il sÕest combin lÕargument du consensus europen et de la
gravit de lÕingrence[60], pour conduire un constat de violation.
La Cour affirme cette occasion que Ē lÕtendue de la marge
dÕapprciation dpend non seulement du but de la restriction, mais aussi de la
nature des activits en jeu. Or la prsente affaire a trait un aspect des
plus intimes de la vie prive. Il doit donc exister des raisons
particulirement graves pour rendre lgitimes, aux fins du paragraphe 2 de
lÕarticle 8 [É], des ingrences des pouvoirs publics Č[61].
LÕimpact de la reconnaissance dÕune marge
dÕapprciation dpend en dfinitive dÕun jeu complexe entre une multiplicit de
facteurs dont lÕinfluence varie dÕun cas lÕautre : Ē one factor may
reinforce another where both point in the same direction; a factor may also
compensate the influence of another factor where they point in opposite
directions. Č[62] Plusieurs auteurs ont svrement critiqu la mthode de la marge
dÕapprciation, reprochant la Cour de ne pas avoir dfini de critres clairs
qui en dterminent lÕusage et lÕtendue[63]. Ce dbat dpasse toutefois lÕobjet de
notre analyse. En ce qui concerne les relations entre droits humains et
diversit culturelle, la marge dÕapprciation peut tre vue comme un moyen pour
les juges de composer avec les facteurs culturels. Dans cette optique, sa
variabilit, son imprvisibilit mme peuvent apparatre, jusquÕ un certain
point, comme une consquence invitable de toute tentative dÕapprhension dÕun
phnomne aussi multiforme, fluctuant et contrast que la culture. Il faut
cependant ajouter que la Ē culture Č susceptible dÕentrer en ligne de
compte par le biais de la marge dÕapprciation, ne reflte que la version quÕen
donne lÕEtat. Or, cette version est souvent conteste par les requrants. Les
deux autres mcanismes, en revanche, vers lesquels nous allons prsent nous
tourner, permettent lÕintgration dÕarguments culturels invoqus par lÕEtat
mais aussi par les requrants.
Le principe de proportionnalit connat de nombreuses
applications dans la jurisprudence de la Cour[64]. Mais cÕest uniquement dans le contexte des articles 8 11 de la
Convention que ce principe nous
intresse ici. Ces quatre dispositions autorisent les Etats apporter des
limitations aux droits garantis dans leur premier paragraphe, condition
quÕelles soient prvues par une loi et ncessaires dans une socit
dmocratique la ralisation de lÕun des objectifs lgitimes noncs au second
paragraphe. Selon lÕinterprtation quÕen ont dveloppe les juges europens, la
condition de Ē ncessit dans
une socit dmocratique Č implique notamment que la restriction soit proportionne
au but lgitime
poursuivi, cÕest--dire que dans le choix des moyens utiliss pour raliser ce
but, les autorits doivent avoir mnag un juste quilibre entre lÕimportance
de lÕobjectif poursuivi et lÕimpratif de respect des droits.
A lÕinstar de
la marge dÕapprciation, le contrle de proportionnalit introduit une certaine
souplesse dans les standards fixs par la Convention[65]. Il permet la Cour de mettre en balance
lÕensemble des intrts en prsence[66]. Or, parmi ces lments, peuvent
figurer des circonstances dÕordre culturel. En tmoigne le raisonnement suivi
par la Cour dans lÕarrt Otto-Preminger-Institute c. Autriche. En vrifiant le caractre
Ē ncessaire Č, au sens de la Convention, de la dcision des
autorits judiciaires autrichiennes dÕinterdire la projection dÕun film dans un
cin-club du Tyrol, au motif quÕil offenserait les Ē sentiments religieux Č
de la population en tournant en drision les symboles du christianisme, la Cour
se montre trs sensible aux particularits de la rgion concerne. Elle affirme
en effet ne pas pouvoir Ē ngliger le fait que la religion catholique est
celle de lÕimmense majorit des Tyroliens Č[67]. Elle observe en outre que pour conclure
que le film constituait Ē une attaque injurieuse contre la religion
catholique romaine Č, les juridictions autrichiennes se sont fondes sur
Ē la conception du public tyrolien Č. CÕest donc en considration de
la sensibilit religieuse de la population locale Š ou tout le moins de la
description quÕen donnent les autorits tatiques Š que la Cour estime que la
saisie et la confiscation du film, bien quÕelles constituent une ingrence dans
la libert dÕexpression du requrant, nÕtaient pas des moyens disproportionns
par rapport lÕobjectif poursuivi, savoir la protection des droits dÕautrui[68].
Comme pour la
marge dÕapprciation toutefois, lÕinfluence des lments culturels sur le
contrle de proportionnalit peut tre contre-balance par dÕautres facteurs.
Dans lÕaffaire Dudgeon, par exemple, le gouvernement britannique se prvalait des particularits
culturelles de lÕIrlande du Nord pour justifier le fait que les lois rprimant
lÕhomosexualit aient t maintenues dans cette rgion, alors quÕelles avaient
t abolies dans le reste du pays. La Cour admet la pertinence de cet
argument : Ē Dans un Etat o vivent des communauts culturelles
diverses, les autorits comptentes peuvent fort bien se trouver en face
dÕimpratifs divers, tant moraux que sociaux Č[69]. Elle concde que Ē pour apprcier
les exigences de la protection de la morale en Irlande du Nord il faut replacer
les mesures incrimines dans le contexte de la socit de cette rgion Č[70]. Les autorits nationales pouvaient donc
tenir compte du Ē climat moral de lÕIrlande du Nord en matire
sexuelle Č[71], marqu par lÕopposition vigoureuse dÕune
grande partie de la population lÕabolition des lois en cause. Mais tant
donn lÕ Ē ampleur et [le] caractre absolu Č de lÕingrence
dans le droit du requrant au respect de sa vie prive, eu gard galement la
nature du droit en cause et lÕexistence dÕun consensus europen (voy. supra), la Cour conclut que les
Ē restriction impose M. Dudgeon en vertu du droit nord-irlandais se
rvle [É] disproportionne aux buts recherchs Č[72].
Dans ces deux
affaires, les spcificits culturelles taient invoques par les Etats, qui
tentaient de convaincre la Cour du caractre proportionn des restrictions
apportes lÕexercice de certains droits. Mais il arrive galement que des
requrants se dclarent victimes dÕune violation de lÕun des droits garantis
par la Convention, en raison des entraves imposes par lÕEtat lÕexpression de
leur identit culturelle ou religieuse. Le respect de la diversit culturelle
est alors invoqu pour tayer la thse du caractre disproportionn des mesures
contestes.
La notion de
Ē socit dmocratique Č joue cet gard un rle crucial. DÕune
manire gnrale, elle reprsente aux yeux de la Cour Ē un lment
fondamental de lÕordre public europen Č : la Convention toute
entire Ē est destine sauvegarder et promouvoir les idaux et valeurs
dÕune socit dmocratique Č[73]. Le test de proportionnalit exerc dans
le cadre des articles 8 11 constitue prcisment lÕun des aspects du contrle
du caractre Ē ncessaire dans une socit dmocratique Č dÕune
mesure de restriction. Par consquent, cÕest lÕaune des exigences dÕune
Ē socit dmocratique Č, que la Cour doit en principe valuer le
poids attribuer chacun des intrts pris en compte. Or, en prcisant le
sens de cette notion au fil de sa jurisprudence, la Cour a t amene
accorder une importance centrale au principe de pluralisme. Elle a commenc par
voquer de faon gnrale les ides de Ē pluralisme, tolrance et esprit
dÕouverture sans lesquels il nÕest pas de Ē socit
dmocratique Č Č[74]. Progressivement, elle a accord une
valeur autonome au concept de Ē pluralisme Č : les rfrences ce
principe, considr isolment, se sont multiplies dans la jurisprudence des
annes 1990, en particulier dans les affaires concernant des minorits
religieuses, ethniques ou culturelles.
Dans des
affaires portant sur la libert religieuse, la Cour a dclar plusieurs
reprises que le pluralisme tait Ē consubstantiel Č la notion de
socit dmocratique[75]. Dans lÕarrt Eglise mtropolitaine de
Bessarabie c. Moldavie du
13 dcembre 2001, elle nonce explicitement les consquences qui en rsultent
pour le contrle de proportionnalit. Les autorits moldaves refusaient de
reconnatre lÕEglise mtropolitaine de Bessarabie, quÕelles accusaient dÕtre
une formation schismatique de lÕEglise mtropolitaine de Moldavie. Faute de
reconnaissance, cette Eglise tait, en vertu du droit moldave, empche
dÕexercer ses activits. Il y avait donc ingrence dans sa libert religieuse.
Examinant la licit de cette ingrence, la Cour dclare quÕest en jeu dans
cette affaire Ē la ncessit de maintenir un vritable pluralisme
religieux, inhrent la notion de socit dmocratique. Č Et elle
ajoute : Ē il convient dÕaccorder un grand poids
cette ncessit lorsquÕil sÕagit de dterminer, comme lÕexige le paragraphe 2
de lÕarticle 9, si lÕingrence rpond un Ē besoin social imprieux Č
et si elle est Ē proportionne au but lgitime vis Č Č[76].
Elle conclut que le refus de reconnatre lÕEglise requrante a des consquences
telles pour la libert religieuse des requrants Ē quÕil ne saurait passer
pour proportionn au but lgitime poursuivi, ni, partant, pour ncessaire dans
une socit dmocratique Č[77]. Il apparat ainsi que lorsquÕune mesure
de restriction a pour effet de porter atteinte au pluralisme, elle doit tre
justifie par des raisons particulirement forte pour tre considre comme
proportionne au but poursuivi.
Les litiges
impliquant des minorits nationales ou culturelles ont fourni la Cour un
autre terrain propice au dveloppement du principe de pluralisme. Dans lÕarrt Gorzelik
et autres c. Pologne du
17 fvrier 2004, la Cour, runie en Grande Chambre[78], consacre plusieurs paragraphes exposer
le sens de ce principe et ses liens avec la notion de dmocratie[79]. Elle souligne que le pluralisme ne
concerne pas seulement lÕexpression et lÕchange dÕides en matire politique :
Ē [il] repose
aussi sur la reconnaissance et le respect vritables de la diversit et de la
dynamique des traditions culturelles, des identits ethniques et culturelles,
des convictions religieuses, et des ides et concepts artistiques, littraires
et socio-conomiques. Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes
ayant des identits diffrentes est essentielle la cohsion sociale. Č[80]
Citant le prambule de la Convention-cadre pour la protection des minorits nationales, elle ajoute quÕ Ē une socit pluraliste et vritablement dmocratique doit non seulement respecter lÕidentit ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant une minorit nationale, mais galement crer des conditions propres permettre dÕexprimer, de prserver et dvelopper cette identit Č[81]. En lÕespce, elle conclut toutefois lÕabsence de violation. Les requrants allguaient quÕen refusant dÕenregistrer leur association dnomme Ē lÕUnion des personnes de nationalit silsienne Č, les autorits polonaises avaient port atteinte leur droit la libert dÕassociation garanti lÕarticle 11. Selon ses statuts, cette association avait pour but de rtablir et promouvoir la culture silsienne. Mais le gouvernement faisait valoir, pour sa dfense, que lÕarticle 30 des statuts, en qualifiant lÕassociation dÕĒ organisation de la minorit nationale silsienne Č, laissait entendre que les requrants tentaient en ralit dÕobtenir, par le biais de la procdure dÕenregistrement, la reconnaissance implicite de la qualit de Ē minorit nationale Č, ce qui leur aurait permis de bnficier des droits attachs ce statut par la loi lectorale. Il affirmait que les requrants auraient pu obtenir lÕenregistrement de leur association sÕils avaient accept de modifier lÕarticle litigieux, ce quÕils avaient refus. Compte tenu des particularits du droit polonais, la Cour juge cette explication convaincante : le refus ne constituait pas Ē une mesure gnrale et absolue dirige contre les buts culturels et pratiques Č de lÕassociation mais visait uniquement Ē contrer un abus particulier Č. Ds lors, la restriction au droit des requrants la libert dÕassociation Ē nÕa en aucun cas constitu un dni de lÕidentit ethnique et culturelle distinctive des Silsiens ou mconnu le but premier de lÕassociation Č et lui parat proportionne au but poursuivi[82].
Troisime cas
de figure, les facteurs culturels peuvent entrer en ligne de compte dans
lÕinterprtation de certains termes utiliss dans la Convention. Dans la
plupart des affaires, lÕarrire-plan culturel qui conditionne la lecture de la
Convention par les juges reste bien entendu implicite. Mais dans certains cas,
la Cour a t amene discuter explicitement de lÕincidence de certaines
spcificits culturelles propres au pays ou aux individus concerns, sur le
sens de certaines notions, en particulier celle de Ē vie familiale Č
et, de faon plus inattendue, celle de Ē traitement dgradant Č.
Selon lÕarticle
3 de la Convention, Ē nul ne peut tre soumis la torture
ni des peines ou traitements inhumains ou dgradants Č. Cette prohibition a en principe un caractre
absolu, aucune limitation ni drogation nÕest permise, mme en cas de danger
public menaant la vie de la nation[83]. Il nÕest pas toujours ais cependant de
dterminer si une peine ou un traitement peut tre qualifi de
Ē dgradant Č au sens de
lÕarticle 3. Suivant la Cour, lÕapprciation du seuil de gravit quÕun mauvais
traitement doit atteindre pour entrer dans le champ de lÕarticle 3 Ē est
relative par essence ; elle dpend de l'ensemble des donnes de la cause,
notamment de la dure du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi
que, parfois, du sexe, de l'ge, de l'tat de sant de la victime, etc. Č[84]. La qualification de
Ē dgradant Č peut aussi tre fonction de la manire dont le
traitement est peru, par la personne qui en est victime ou par la socit
environnante. Cette question a t souleve dans lÕaffaire Tyrer c. Royaume-Uni. Le gouvernement britannique soutenait
que lÕusage de chtiments judiciaires corporels lÕencontre des jeunes
dlinquants sur lÕle de Man ne pouvait tre considr comme un traitement
dgradant car il ne choquait pas Ē lÕopinion publique locale Č[85]. La Cour rejette cet
argument :
Ē supposer mme que celle-ci puisse avoir une incidence sur l'interprtation du concept de Ē peine dgradante Č [É] la Cour ne considre pas comme tabli que les habitants de l'le favorables au maintien de ce chtiment ne le jugent pas dgradant : l'une des raisons pour lesquelles ils y voient un moyen efficace de dissuasion rside peut-tre prcisment dans son aspect dgradant. Č[86]
Il apparat
dans ce passage que si la Cour carte lÕargument, cÕest quÕelle lÕestime non
tay par les faits : il nÕest pas avr que la population de lÕle ne
considre pas les punitions corporelles comme dgradantes. Elle laisse donc
ouverte la question de savoir si, au cas o la population aurait rellement
considr le traitement comme Ē non dgradant Č, cet lment aurait
pu avoir une incidence sur sa propre apprciation. LÕarrt Campbell et
Cosans c. Royaume-Uni
semble y rpondre par lÕaffirmative. Appele dterminer si lÕusage des
chtiments corporels dans les coles cossaises tait contraire lÕarticle 3,
la Cour souligne que ceux-ci Ē correspondent une tradition dans les
coles cossaises Č et quÕ Ē une forte majorit des parents y
semble dÕailleurs favorable Č. Toute en prcisant que Ē la menace dÕune
mesure donne ne sort pas de la catgorie du Ē dgradant Č, au sens
de lÕarticle 3 [É] par cela seul quÕil sÕagit dÕune mesure consacre par un
long usage, voire en gnral approuve [É] Č, elle conclut que, Ē eu
gard notamment la situation existant ainsi en Ecosse Č, il nÕest pas
tabli Ē que les lves dÕune cole o lÕon recourt de telles punitions
soient en raison du simple risque dÕen subir une, humilis ou avilis aux yeux
dÕautrui au degr voulu ou un degr quelconque Č[87].
La notion de
Ē famille Č apparat lÕarticle 12, qui consacre le droit Ē de
se marier et de fonder une famille Č, mais cÕest surtout dans le contexte
de lÕarticle 8, qui garantit le droit au respect de la Ē vie
familiale Č, que les problmes dÕinterprtation se sont prsents. Il
arrive rgulirement, lorsque le droit au respect de la vie familiale est
invoqu, que les Etats contestent lÕexistence mme dÕune Ē vie
familiale Č entre les requrants, leur dniant par consquent la
possibilit de se prvaloir de ce droit. Dans cette optique, ils se rfrent
souvent une conception Ē traditionnelle Č de la famille. Les
requrants, de leur ct, dfendent une interprtation large de cette notion,
se prvalant des Ē pratiques sociales Č relles. La Cour a adopt une
position souple, sÕefforant dÕinterprter la notion de famille en fonction de
lÕvolution des mĻurs dans les socits europennes[88]. Elle considre en effet que Ē
lÕinstitution de la famille nÕest pas fige, que ce soit
sur le plan historique, sociologique ou encore juridique. Č[89] Elle a commenc par affirmer, dans
lÕarrt Marckx, que le
concept de Ē vie familiale Č vis lÕarticle 8 nÕtait pas limit
la famille fonde sur le mariage mais valait galement pour la famille
Ē naturelle Č[90]. Elle a par la suite prcis que les
liens familiaux incluaient des relations de couple stables lorsque les parties
vivent ensemble, sans toutefois que la cohabitation soit une exigence stricte[91]. Elle a galement admis quÕune femme, un
transsexuel femme-homme avec lequel elle vivait en couple, et un enfant n par
insmination artificielle constituaient une famille de facto[92]. Refusant toute dfinition formelle et rigide de
la notion de famille, la Cour considre que lÕexistence
dÕune Ē vie familiale Č
doit sÕapprcier en fonction des faits de lÕespce, en tenant compte dÕun
ensemble de circonstances[93].
La notion de
vie familiale a connu un dveloppement intressant sur un autre plan. La Cour a
parfois t amene prendre en compte les traditions non plus de la socit en
gnral, mais dÕun groupe culturel spcifique auquel appartenaient les
requrants. CÕest surtout dans les affaires ayant trait au mode de vie tsigane
que ce cas de figure sÕest prsent[94]. Les requrants se plaignaient dÕtre
empchs, en vertu du droit britannique, de vivre en caravane conformment
leurs traditions. Or, dans lÕarrt Chapman c. Royaume-Uni du 18 janvier 2001, pour dterminer si,
comme le soutenait la requrante, les mesures contestes affectaient non
seulement son droit au respect de son domicile mais galement au respect de sa
vie prive et de sa vie familiale, la Cour accepte de tenir compte de la
signification particulire de la vie en caravane pour une personne appartenant
la communaut rom :
Ē La Cour considre que la vie en caravane fait partie intgrante de
l'identit tsigane de la requrante car cela s'inscrit dans la longue tradition
du voyage suivie par la minorit laquelle elle appartient. [...] Des mesures
portant sur le stationnement des caravanes de la requrante n'ont donc pas
seulement des consquences sur son droit au respect de son domicile, mais
influent aussi sur sa facult de conserver son identit tsigane et de mener une
vie prive et familiale conforme cette tradition Č[95].
LÕinterprtation
de la notion de Ē vie familiale Č ne reprsente toutefois quÕune
premire tape dans lÕanalyse de la Cour : la souplesse de son approche
cet gard nÕimplique pas que lÕissue de lÕaffaire sera ncessairement favorable
au requrant. Ainsi, dans les affaires concernant le mode de vie tsigane, aprs
avoir admis que les mesures tatiques entravant la vie en caravane
constituaient une ingrence dans la vie prive et familiale des requrants, la
Cour a nanmoins estim que cette restriction aux droits des requrants
satisfaisaient aux conditions de licit fixes par la Convention.
Conclusion
La jurisprudence de la Cour europenne des droits de lÕhomme que nous venons dÕexaminer brise avec lÕide classique dÕune opposition radicale entre respect des droits de lÕhomme et respect des diffrences culturelles. Appliquer les droits noncs dans la Convention ne consiste pas ncessairement imposer des solutions uniformes et invariables, en ignorant les facteurs culturels. A lÕinverse, la prise en considration de certaines spcificits culturelles ne signifie pas forcment que lÕon subordonne lÕinterprtation de la Convention aux particularismes nationaux, rgionaux ou communautaires et que lÕon dvalue les standards de protection.
Les choses sont
plus complexes : les facteurs culturels ont, dans certaines affaires, une
influence sur les raisonnements de la Cour. Mais cette influence varie de
plusieurs points de vue. Elle peut porter sur diffrents moments du
raisonnement : sur la dtermination de la marge dÕapprciation
laisse aux Etats, sur le contrle de proportionnalit ou encore sur
lÕinterprtation de certains termes de la Convention. DÕautre part, lÕimpact
des considrations culturelles dpend de lÕincidence des autres lments pris
en considration. Ils constituent un facteur contextuel parmi dÕautres, auquel
la Cour a parfois gard pour apprcier la compatibilit dÕune mesure avec la
Convention, mais auquel elle nÕaccorde aucune prminence de principe. Quant
savoir dans quel sens ces lments orientent lÕapprciation de la Cour, on
constate l aussi des variations dÕune espce lÕautre : si dans certains
cas ils sont de nature justifier des restrictions un droit garanti par la
Convention, dans dÕautres, au contraire, ils sont invoqus par les requrants
pour tayer lÕallgation de mconnaissance dÕun droit protg.
LÕtude de
cette jurisprudence conduit en outre remettre partiellement en question la
corrlation souvent tablie entre droits de lÕhomme et uniformisation dÕune
part, respect des cultures et dfense du pluralisme dÕautre part. LÕambigut
des rapports entre ces diffrentes notions apparat tout particulirement
lorsquÕon examine le fonctionnement de la marge dÕapprciation. La
reconnaissance dÕune marge tendue dans les matires Ē culturellement
sensibles Č semble a priori contribuer la prservation de la diversit culturelle puisquÕelle laisse
lÕEtat le soin dÕtablir un juste quilibre entre les particularits
culturelles de la socit quÕil reprsente et les exigences des droits humains.
Mais en limitant ainsi son contrle, la Cour conforte le pouvoir homognisant
de lÕEtat, qui se voit autoris imposer lÕensemble de la population la
conception de la morale ou de la religion quÕil estime conforme aux
spcificits nationales[96]. De ce point de vue, on peut estimer que
cÕest en exerant un contrle strict du respect des droits tels que la libert
dÕexpression, la libert dÕassociation ou le droit la vie prive, que la Cour
protge le mieux la diversit, car elle garantit aux individus le droit de
contester les normes que les autorits pourraient prtendre appliquer tous au
nom des traditions. De mme, lorsque
la Cour tablit sa propre interprtation de la notion de Ē vie
familiale Č, cartant celle dfendue par lÕEtat, il est tentant de
considrer quÕelle contraint les Etats adopter une conception uniforme du
concept de Ē famille Č. Cependant, lorsquÕils interprtent ce terme,
les juges sÕefforcent de reflter la pluralit des pratiques sociales et
culturelles relles, alors que les gouvernements leur opposent gnralement une
dfinition rigide et restrictive de la notion de Ē famille Č.
Il apparat ds lors que lÕapplication des droits
de lÕhomme par la Cour ne consiste pas imposer aux systmes juridiques
nationaux des normes dfinies de manire autoritaire et abstraite au niveau
europen. LÕaction de la Cour sÕinscrit dans un processus complexe de
discussions, de questionnements, de contestations auquel participent une
multitude dÕacteurs aux niveaux national et international : requrants et
gouvernements, certes, mais aussi les juges nationaux, les institutions
politiques, les mouvements de la socit civile, et au-del, dÕautres
juridictions ou organisations internationales. Le travail dÕinterprtation et
dÕargumentation auquel se livrent les juges de Strasbourg se nourrit des ides,
des arguments, des analyses qui sÕchangent, sÕaffrontent et interagissent dans
ces multiples cnacles. Les arrts de la Cour eux-mmes viennent leur tour
alimenter et renouveler ces dbats[97].
CÕest travers ce rseau dÕchanges et de dialogues critiques que le sens des
droits de lÕhomme se construit et se transforme en permanence.
*
Cet article est issu dÕune communication prsente en anglais lÕUniversit de
Birbeck, Londres, en juin 2003, lÕoccasion dÕun sminaire sur le thme The
New International Law.
Nous remercions vivement les participants ce sminaire pour leurs ractions
et commentaires, en particulier les Professeurs S. Marks et C. Douzinas. La
traduction du texte en franais a t ralise par Julie Ringelheim. Nous
remercions Foulek Ringelheim pour
sa relecture du texte franais.
** Docteur de lÕInstitut Universitaire Europen de Florence et Assistant
Professor la Pontifcia Universidade Catlica do Rio de
Janeiro [PUC-Rio] (courriel : hoffmann@rdc.puc-rio.br).
*** Doctorante lÕInstitut Universitaire Europen de Florence et
chercheuse au Centre de Philosophie du Droit de lÕUniversit Catholique de
Louvain (courriel : julie.ringelheim@iue.it).
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1 (1992), 42-57 ; F. Barth, Ē The Analysis of Culture in Complex Societies Č,
in 54 Ethnos
(1989), p. 120 ; L. Bach, N. Glick Schiller, C. Szanton Blanc, Nations
Unbound Š transnational projects, postcolonial predicaments, and
deterritorialized nation states, Gordon and Breach, 1993; N. G. Canclini, Hybrid Cultures Š
strategies for entering and leaving modernity, Minneapolis, University of Minnesota Press,
1995 ; R. Rosaldo, Culture and Truth: the remaking of social science, Boston, Beacon Press, 1989; P.
Werbner, T. Modood, (eds.), Debating Cultural Hybridity: Multcultural
Identities and the Politics of Anti-Racism, Princeton, Princeton University Press, 1996.
[8] J. Cowan et al , op. cit., pp. 9-11.
[9] On sait en effet que les dfenseurs des Ē valeurs
asiatiques Č sont, au moins en partie, des reprsentants des gouvernements chinois ou
singapourien. Or, ces deux gouvernements se prvalent volontiers de la dfense
de la culture nationale pour lgitimer la rpression de tout mouvement de
contestation politique ou sociale, quÕils accusent dÕtre le produit de
cultures trangres. Voy.
par exemple B. Kausikan, Ē AsiaÕs Different Standard Č, Foreign
Policy vol. 92,
1993, p. 24 ; White Paper on human rights Ē Human Rights in China Č,
publi par lÕInformation Office of the State Council, Beijing, 1991, reproduit dans P.
Alston and H. Steiner, International Human Rights In Context, Oxford, Oxford University Press,
2000, pp. 547-549. Pour une analyse critique de ce dbat,
voy. O. De Schutter, Ē Universalit des Droits de l'Homme et
mondialisation : la question des Ē valeurs asiatiques Č Č, in Th.
Marrs et Paul Servais (d.), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue possible ?, Rencontre
Orient-Occident,
Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2002, pp. 23-43 ; E. Brems, Human
Rights: Universality and Diversity, Martinus Nijhoff, The Hague/Boston/London,
2001 et Y. Ghai, Ē Human Rights and Governance: the Asia debate Č, in
Australian Yearbook of International Law, vol. 15, no.1, 1994, p. 5.
[10] J. Cowan et al , op. cit., pp. 7 et s.
[11] R. Rorty, cit par R. Mullerson in Human
Rights Diplomacy,
London, Macmillan, 1997; galement cit par A. G. MacGrew, Ē Human Rights in a
Global Age: coming to terms with globalisation Č, in Tony Evans (ed.), Human Rights Fifty Years On Š A Reappraisal, Manchester, Manchester University
Press, 1998.
[12] On se rfre ici au concept labor
par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe in Hegemony and Socialist Strategy:
Towards a Radical Democratic Politics, London/NY, Verso, 1986.
[13] S. E. Merry, op. cit., p. 49
[14] Cette approche sÕinscrit dans la logique du paradigme du Ē droit
en rseau Č dont Franois Ost et Michel van de Kerchove ont dcrit
lÕmergence dans leur ouvrage De la pyramide au rseau ? Pour une
thorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications
des facults universitaires Saint-Louis, 2002. LÕimage de la
Ē spirale Č est emprunte ces auteurs, qui lÕutilisent dans leur
analyse du processus dÕinterprtation des textes : Ē Tout se passe
comme si un rapport dÕauto-engendrement sÕtablissait entre texte, auteur et
lecteur, quelque chose comme une auto-transcendance au terme de laquelle le
texte est produit par lÕauteur et le lecteur, en mme temps quÕil contribue
lui-mme les produire. Dans la tradition hermneutique, ces paradoxes sont
reprsents par la figure du cercle (hermneutique) ; une telle
circularit nÕapparatra ni vicieuse ni strile la condition de se la
reprsenter sur le mode de lÕouverture : une spirale, en somme, plutt
quÕun cercle. Ainsi peuvent tre penses la fois lÕouverture toujours
possible de lÕinterprtation [É] et sa ncessaire
inscription dans lÕordre de lÕintentio operis. Č
(op. cit., pp. 405-406).
[15] Dans le mme sens, voy. Nader Chokr, Ē Human Rights: Beyond Universalism and Cultural Relativism Š Toward a Contextual, Dynamic, and Cross-cultural Approach Č, 1999, p. 27, article diffus sur Internet, lÕadresse suivante : <http://www.rd-inc.com/HumanRights.doc.>.
[16] Sur lÕide dÕhybridation du local
et du global, voy. en particulier James Clifford, The Predicament of
Culture: Twentieth Century Anthropology, Literature, and Art, Cambridge, Harvard University
Press, 1988 et Homi Bhabha, The Location of Culture, New York, Routledge, 1994.
[17] En ce sens, J. Cowan et al, op. cit., p. 6. Comp. avec les critiques de Ch. Eberhard vis--vis du Ē paradigme universalisme/relativisme Č : Droits de lÕhomme et dialogue interculturel, Paris, Editions des Ecrivains, 2002, pp. 100-114.
[18] Art. 33 et 34 de la Convention. Dans le texte initial de la Convention, la possibilit pour les individus dÕintroduire des requtes devant la Cour tait subordonne une dclaration en ce sens des Etats signataires. Le droit de recours individuel ne pouvait tre invoqu quÕ lÕencontre des Etats qui l'avaient reconnu. Mais cette reconnaissance est devenue obligatoire en application du protocole n”11 la Convention, qui rforme lÕensemble des mcanismes de contrle de la Convention.
[19] Soulignons que la Charte des droits fondamentaux de lÕUnion europenne, comporte, quant elle, un article 22 qui nonce : Ē lÕUnion respecte la diversit culturelle, religieuse et linguistique Č.
[20] Prambule, 5me paragraphe.
[21] Id., 3me paragraphe.
[22] Contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopt par lÕAssemble gnrale des Nations Unies en 1966, qui contient un article 27 aux termes duquel, Ē [d]ans les Etats o il existe des minorits ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant ces minorits ne peuvent tre prives du droit dÕavoir leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou dÕemployer leur propre langue Č. Dans la Convention, la notion dÕappartenance une Ē minorit nationale Č nÕest mentionne quÕ lÕarticle 14, parmi les critres prohibs de discrimination dans la jouissance des droits garantis. Sur la question des minorits dans les travaux prparatoires de la Convention, voy. Ch. Hillgruber et M. Jestaedt, The European Convention on Human Rights and the Protection of National Minorities, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1994, pp. 13-21 et H. Lannung, Ē The Rights of Minorities Č, in Mlanges offerts Polys Modinos Š Problmes des droits de lÕhomme et de lÕunification europenne, Paris, Pedone, 1968, pp. 181-195.
[23] Le nombre dÕEtats parties la Convention a considrablement augment au cours des annes. En avril 2004, il sÕlevait 45 : lÕAlbanie, lÕAllemagne, Andorre, lÕArmnie, lÕAutriche, lÕAzerbadjan, la Belgique, la Bosnie-Herzgovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, lÕEspagne, lÕEstonie, lÕEx-Rpublique yougoslave de Macdoine, le Danemark, la Finlande, la France, la Gorgie, la Grce, la Hongrie, lÕIslande, lÕIrlande, lÕItalie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Moldavie, la Norvge, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Rpublique tchque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, la Serbie-Montngro, la Slovaquie, la Slovnie, la Sude, la Suisse, la Turquie et lÕUkraine.
[24] Dans lÕune des premires affaires dont elle a eu connatre, la Cour affirme ainsi quÕen recherchant sÕil y a eu violation de la Convention, elle ne peut ignorer les Ē donnes de droit et de fait caractrisant la vie de la socit dans lÕEtat qui, en qualit de Partie Contractante, rpond de la mesure conteste Č. (Cour eur. dr. h., Affaire relative certains aspects du rgime linguistique de l'enseignement en Belgique, arrt du 23 juillet 1968, Srie A, n”6, I, B, ¤10). Tous les arrts de la Cour peuvent tre consults sur Internet, lÕadresse suivante : <http://hudoc.echr.coe.int>.
[25] Art. 8 et 12 de la Convention.
[26] Art. 12 de la Convention.
[27] H. C. Yourow, The Margin of
Appreciation Doctrine in the Dynamics of European Human Rights Jurisprudence, The Hague/Boston/London, Kluwer Law
International, 1996, p. 13.
[28] A.-D. Olinga et C. Picheral, Ē La thorie de la marge dÕapprciation dans la jurisprudence rcente de la Cour europenne des droits de lÕhomme Č, Rev. trim. dr. h., 1995, p. 567-604, p. 569.
[29] G. van der Meersch, Ē Le caractre Ē autonome Č des termes et la Ē marge dÕapprciation Č des gouvernements dans lÕinterprtation de la Convention europenne des Droits de lÕHomme Č, in F. Matscher and H. Petzold (eds), Protecting Human Rights : the European Dimensions Š Studies in honour of Grard J. Wiarda, Koln-Berlin-Bonn-Mnchen, Carl Heymanns Verlag KG, 1988, pp. 201-220, p. 210.
[30] A.-D. Olinga et C. Picheral, op. cit., p. 567.
[31] Voy. en particulier E. Brems, op. cit.,
pp. 357-422 ; D. L. Donoho, Ē Autonomy, Self-Governance, and the Margin of
Appreciation: Developing a Jurisprudence of Diversity Within Universal Human
Rights Č, 15 Emory IntÕl L. Rev., Fall 2001, pp.
391-466 ; P. Mahoney, Ē Marvellous Richness of Diversity or Invidious Cultural
Relativism ? Č, H.R.L.J., vol. 19, No. 1, 1998, pp.
1-6 ; M. Delmas-Marty, Ē Pluralisme et traditions nationales
(revendication des droits individuels) Č in P. Tavernier (dir.), Quelle
Europe pour les droits de l'homme ? La Cour de Strasbourg et la ralisation
d'une "union plus troite" (35 annes de jurisprudence : 1959-1994), Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 81-92 ; E. Kastanas, Unit et
diversit: notions autonomes et marge dÕapprciation des Etats dans la
jurisprudence de la Cour europenne des droits de lÕhomme, Bruxelles, Bruylant, 1996 et Ph. Alston, Ē The Best Interest Principle:
Towards a Reconciliation of Culture and Human Rights Č, in Ph. Alston
(ed.), The Best Interest of the Child. Reconciling Culture and Human Rights, Unicef, Oxford, Clarendon
Paperbacks, 1994, pp. 1-25, p. 20.
[32] En ce sens, S. Van Drooghenbroeck, La proportionnalit dans le droit de la Convention europenne des droits de lÕhomme, Prendre lÕide simple au srieux, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 500 et J. Schokkenbroek, Ē The Basis, Nature and Application of the Margin-of-Appreciation Doctrine in the Case-Law of the European Court of Human Rights - General Report Č, H.R.L.J., Vol. 19, No. 1, 1998, pp. 30-36, p. 36.
[33] Cour eur. dr. h., Handyside c. Royaume-Uni, arrt du 7 dcembre 1976.
[34] Arrt Handyside, ¤ 48. La rgle de la subsidiarit du mcanisme de contrle instaur par la Convention par rapport aux systmes nationaux, se dduit de trois dispositions de la Convention : lÕarticle 1, aux termes duquel les parties contractantes reconnaissent toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberts dfinis dans la Convention ; lÕarticle 13, en vertu duquel toute personne dont les droits et liberts reconnus dans la Convention ont t viols a droit un recours effectif devant une instance nationale et lÕarticle 35, selon lequel la Cour ne peut tre saisie quÕaprs puisement des voies de recours internes. A ce sujet, voy. not. S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 494.
[35] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., pp. 496-500.
[36] Arrt Handyside, ¤ 48.
[37] Ē 1. Toute personne a droit la libert d'expression. [É]. 2. L'exercice de ces liberts comportant des devoirs et des responsabilits peut tre soumis certaines formalits, conditions, restrictions ou sanctions prvues par la loi, qui constituent des mesures ncessaires, dans une socit dmocratique, la scurit nationale, l'intgrit territoriale ou la sret publique, la dfense de l'ordre et la prvention du crime, la protection de la sant ou de la morale, la protection de la rputation ou des droits d'autrui, pour empcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorit et l'impartialit du pouvoir judiciaire. Č.
[38] Arrt Handyside, ¤ 48.
[39] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 509. Comp. avec R. Sapienza, Ē Sul margine d'apprezzamento statale nel sistema della Convenzione europea dei diritti dell'uomo Č, Riv. dir. intern., 1991, pp. 571-614. Cet auteur analyse la marge dÕapprciation comme la rponse dveloppe par la Cour au problme des Ē notions indtermines Č dans les systmes juridiques, cÕest--dire des expressions utilises dans un texte juridique, mais dont le sens ne peut tre pleinement dtermin quÕen se rfrant des lments extra-juridiques, tels que les circonstances de fait ou des rgles sociales.
[40] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 500. Voy. galement P. Wachsmann, Ē Une certaine marge dÕapprciation Š Considrations sur les variations du contrle europen en matire de libert dÕexpression Č, in Les droits de lÕhomme au seuil du 3me millnaire Š Mlanges en homage Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 1017-1042, p. 1030.
[41] Dj dans lÕaffaire Otto-Preminger-Institut, la Cour avait tendu le raisonnement appliqu dans lÕarrt Handyside aux restrictions la libert dÕexpression justifies par la dfense des Ē sentiments religieux Č de la population. Dans lÕarrt Otto-Preminger toutefois, la justification tait calque sur celle de lÕarrt Handyside : observant quÕ Ē il nÕest pas possible de discerner travers lÕEurope une conception uniforme de la signification de la religion dans la socit Č, la Cour dcide que Ē les autorits nationales doivent disposer d'une certaine marge d'apprciation pour dterminer l'existence et l'tendue de la ncessit de pareille ingrence Č (Cour eur. dr. h., Otto-Preminger-Institut c. Autriche, arrt du 20 septembre 1994, Srie A 295, ¤ 50).
[42] Wingrove c. Royaume-Uni, arrt du 25 novembre 1996, Recueil 1996-V, vol. 33, ¤ 58, notre accent.
[43] Ibid.
[44] Cour eur. dr. h., Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, arrt du 30 juillet 1998, ¤ 58, notre accent. Voy. aussi Cour eur. dr. h., X, Y et Z c. the Royaume-Uni, arrt du 22 avril 1997, ¤52.
[45] Opinion dissidente du Juge Mertens jointe lÕarrt Cossey c. the Royaume-Uni du 27 septembre 1990, Srie A n”184, ¤ 3.6.4, notre accent.
[46] Opinion dissidente du juge Pettiti jointe lÕarrt B. c. France, du 25 mars 1992, Srie A n”232 C, notre accent. Voy. aussi lÕopinion dissidente du Juge Pinheiro Farinha : Ē je crois que la rglementation lgale du transsexualisme reste de la comptence de chaque Etat - compte tenu des moeurs et des traditions, bien que les avis des experts mdicaux et scientifiques diffrent Č (¤9).
[47] Arrt Handyside, ¤49.
[48] Cour eur. dr. h., Open Door et Dublin Well Women c. lÕIrlande, arrt du 29 octobre 1992, Srie A, n”246-A, ¤68. Sur ce point, voy. S. Van Drooghenbroeck, op. cit., pp. 505-506.
[49] Comme lÕont soulign les commentateurs, la mthode applique par la Cour pour tablir lÕexistence dÕun tel consensus est toutefois assez approximative. Les juges se livrent rarement une comparaison approfondie du droit de lÕensemble des Etats parties. (Voy. L. R. Helfer, Ē Consensus, Coherence and the European Convention on Human Rights Č, Cornell Int'l L. J., Vol. 26, 1993, pp. 133-165 et T. H. Jones, Ē The Devaluation of Human Rights Under the European Convention Č, Public Law, 1995, pp. 430-449, p. 440.) Soulignons cependant quÕil ne sÕagit pas pour la Cour de calquer lÕinterprtation de la Convention sur le droit et les pratiques de lÕensemble des Etats membres. Le constat dÕun Ē consensus Č mergeant des divers systmes juridiques nationaux et internationaux, doit plutt sÕanalyser comme lÕobservation par la Cour de tendances gnrales qui confortent une certaine interprtation de la Convention, contribuant dissiper ses doutes cet gard. En dÕautres termes, le fait quÕun grand nombre dÕEtats parties ait adopt des solutions similaires est considr par la Cour comme une forte indication de la validit dÕune certaine interprtation des exigences de la Convention, qui vient confirmer dÕautres arguments en ce sens.
[50] Voy. F. Rigaux, Ē Interprtation consensuelle et interprtation volutive Č, in F. Sudre (dir.), L'interprtation de la Convention europenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 41-62.
[51] Cour eur. dr. h., Tyrer c. Royaume-Uni, arrt du 25 avril 1978, Srie A no. 26, ¤ 31.
[52] Cour eur. dr. h., Marckx c. Belgique, arrt du 13 juin 1979, ¤ 41. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Inze c. Autriche, arrt du 28 octobre 1987, ¤¤ 42 et 44 et Cour eur. dr. h., Mazurek c. France, arrt du 1 fvrier 2000, ¤52.
[53] Cour eur. dr. h., Dudgeon c. Royaume-Uni, arrt du 22 octobre 1981, ¤ 60. Notons que le Juge Walsh, dans son opinion partiellement dissidente, conteste la pertinence de cet argument, en faisant valoir que les pays Ē qui forment le Conseil de l'Europe [...] embrassent des varits considrables de cultures et de valeurs morales. Č (¤16). A ses yeux, tant donn que la majorit de la population dÕ Irlande du Nord est favorable au maintien des lois rprimant lÕhomosexualit, lÕEtat devrait bnficier dÕune trs large marge dÕapprciation afin de rglementer la Ē morale sexuelle Č en accord avec Ē lÕthique de la collectivit Č (¤¤14-15).
[54] Cour eur. dr. h., Rees c. Royaume-Uni, arrt du 17 octobre 1986, Srie A n”106, ¤ 47.
[55] Cour eur. dr. h., Goodwin c. Royaume-Uni, arrt du 11 juillet 2002, ¤85 et I. c. Royaume-Uni, arrt du 11 juillet 2002, ¤65.
[56] Arrts Goodwin c. Royaume-Uni, ¤ 84 et I. c. Royaume-Uni, ¤¤ 64.
[57] Cour eur. dr. h., F. c. Suisse, arrt du 18 dcembre 1987, Srie A 128, ¤ 33, notre accent.
[58] Id., ¤ 40.
[59] Ce critre a galement t appliqu par la Cour pour marquer la limite
de la marge de manĻuvre reconnue aux Etats dans le choix des mesures propres
assurer la mise en Ļuvre de certains droits. Ainsi, dans le cadre du droit
des lections libres, garanti par lÕarticle 3 du 1er protocole
additionnel, la Cour reconnat aux Etats une grande latitude pour tablir les
rgles relatives lÕexercice du droit de vote et dÕligibilit. Soulignant que
ces rgles varient Ē en fonction des facteurs historiques et politiques
propres chaque Etat Č, la Cour estime que Ē toute loi lectorale
doit toujours s'apprcier la lumire de l'volution politique du pays, de
sorte que des dtails inacceptables dans le cadre d'un systme dtermin
peuvent se justifier dans celui d'un autre. Č. Elle prcise que cette Ē marge
de manĻuvre reconnue l'Etat est toutefois limite par l'obligation de
respecter le principe fondamental de l'article 3, savoir Ē la libre
expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps lgislatif Č Č
(Cour eur. dr. h., Podkolzina c. Lettonie, arrt du
9 avril 2002, ¤ 33). Dans le mme ordre dÕide, propos du droit
lÕinstruction garanti par lÕarticle 2 du protocole additionnel n”1, la
Cour remarque que ce droit Ē appelle de par sa nature mme une rglementation
par l'Etat, rglementation qui peut varier dans le temps et dans l'espace en
fonction des besoins et des ressources de la communaut et des individus. Il va
de soi qu'une telle rglementation ne doit jamais entraner d'atteinte la
substance de ce droit, ni se heurter d'autres droits
consacrs par la Convention. Č (Affaire relative certains aspects du rgime linguistique de
l'enseignement en Belgique, I, B, ¤ 5, notre accent). Voy. E. Brems, op. cit., pp. 368-371.
[60] Arrt Dudgeon, ¤ 61.
[61] Arrt Dudgeon, ¤ 52. Voy. aussi les exemples cits par E. Brems, op. cit., p. 367.
[62] J. Schokkenbroek, op. cit., p. 35.
[63] Voy. not. T. H. Jones, op. cit. ; P. Wachsmann, op. cit. ; L. R. Helfer, op. cit. ; E. Benvenisti, Ē Margin of
Appreciation, Consensus, and Universal Standards Č, N.Y.U. J. Int'l L. &
Pol., Vol. 31,
1999, pp. 843-854.
[64] Sur lÕapplication du principe de proportionnalit par la Cour europenne des droits de lÕhomme, voy. lÕtude approfondie de S. Van Drooghenbroeck, op. cit.. Sur le principe de proportionnalit plus gnralement, voy. F. Ost et M. van de Kerchove, op. cit., pp. 431-443 ; O. De Schutter, Fonction de juger et droits fondamentaux Š Transformation du contrle juridictionnel dans les ordres juridiques amricain et europen, Bruxelles, Bruylant, 1999, spc. pp. 5-43 et P. Martens, Ē LÕirrsistible ascension du principe de proportionnalit Č, in Prsence du droit public et des droits de lÕhomme. Mlanges offerts Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, t. I, 1992, pp. 49-68.
[65] E. Brems, op. cit., p. 363. S. Van Drooghenbroeck observe dÕailleurs que la distinction entre Ē marge dÕapprciaton Č et Ē contrle de proportionnalit Č nÕest pas toujours claire, la Cour tendant fonder ces deux analyses sur des critres identiques (op. cit., pp. 537-538).
[66] Van Dijk and Van Hoof, op. cit., p. 537.
[67] Cour eur. dr. h., Otto-Preminger-Institut c. Autriche, arrt du 20 septembre 1994, ¤ 56.
[68] Id., ¤ 57. Sur cet arrt, voy.
not. les critiques de P.
Wachsmann, Ē La religion contre la libert dÕexpression : sur un arrt
regrettable de la Cour europenne des droits de lÕhomme Č, 6 R.U.D.H., 1994, n”12, 441-449, p. 443 et F.
Rigaux, Ē La libert dÕexpression et ses limites Č,
Rev. Trim. dr. h., 1995, 401-415, pp. 408-409.
[69] Arrt Dudgeon, ¤ 56.
[70] Ibid.
[71] Id., ¤ 57.
[72] Id., ¤ 61.
[73] Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Gorzelik c. Pologne, arrt du 17 fvrier 2004, ¤ 53. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Parti communiste unifi de Turquie et autres c. Turquie, arrt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, pp. 21-22, ¤ 45 et Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Refah Partisi (Parti de la propsprit) et autres c. Turquie, arrt du 13 fvrier 2003, ¤ 86.
[74] Arrt Handyside, ¤ 49. Dans un arrt ultrieur, elle ajoute en dduit que Ē la dmocratie ne se ramne pas la suprmatie constante de lÕopinion dÕune majorit mais commande un quilibre qui assure aux minorits un juste traitement et qui vite tout abus dÕune position dominante Č (Cour eur. dr. h., arrt Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 aot 1981, Srie A n”44, ¤63).
[75] Cour eur. dr. h., Kokkinakis c. Grce, arrt du 25 mai 1993, ¤ 31. Voy. aussi not. Cour eur. dr. h., arrt Refah Partisi (Parti de la propsprit) et autres c. Turquie, ¤ 81 ; Eglise mtropolitaine de Bessarabie c. Moldavie, arrt du 13 dcembre 2001, ¤ 114 ; Agga c. Grce, arrt du 17 octobre 2002, ¤56 ; Hasan et Chaush c. Bulgarie, arrt du 26 octobre 2000, ¤ 60 ; Serif c. Grce, arrt du 14 dcembre 1999, ¤ 49.
[76] Arrt Eglise mtropolitaine de Bessarabie, ¤ 119. Elle affirme dÕautre part devoir galement tenir compte de cette ncessit pour Ē dlimiter lÕampleur de la marge dÕapprciation en lÕespce Č (ibid).
[77] Id., ¤130.
[78] Le renvoi de lÕaffaire devant la Grande Chambre a t demand par les requrants, en application de la procdure prvue lÕarticle 43 de la Convention, aprs lÕarrt du 20 dcembre 2001 rendu par une chambre de 7 juges.
[79] Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Gorzelik et autres c. Pologne, arrt du 17 fvrier 2004, ¤¤ 53-57.
[80] Id., ¤ 56.
[81] Id., ¤ 57. Voy. aussi Cour. eur. dr. h., Chapman
c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 2001, ¤93.
[82] Id., ¤ 69. Comp. avec Cour
eur. dr. h., Stankov et the United Macedonian Organisation Ilinden c. Bulgarie, arrt du 2 octobre 2001, ¤¤ 88-89 et Sidiropoulos et autres c.
Grce, arrt du 10 juillet 1998, Recueil 1998-IV, ¤44.
Voy. aussi lÕarrt Parti communiste unifi de Turquie
et autres, ¤ 57.Sur la jurisprudence rcente de la Cour en
matire de minorits, voy. R. Medda-Windischer, Ē The European Court of Human Rights and
Minority Rights Č, Journal of European Integration, sept. 2003, vol. 25(3), pp.
249-271 ; F. Benot-Rohmer, Ē La Cour europenne des droits de lÕhomme et
la dfense des droits des minorits nationales Č, 51 Rev. Trim. dr. h., 2002, pp. 563-586 ; G.
Gilbert, Ē The Burgeoning Minority Rights Jurisprudence of the
European Court of Human Rights Č, 24 H.R.Q., 2002, pp. 736-780 et K. Henrard, Devising
an Adequate System of Minority Protection Š Individual Human Rights, Minority
Rights and the Right to Self-Determination, The Hague/Boston/London, Martinus Nijhoff,
2000, pp. 56-146.
[83] Article 15 (2) de la Convention.
[84] Cour eur. dr. h., Irlande c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 1978, ¤ 162.
[85] Cour eur. dr. h., Tyrer c. Royaume-Uni, arrt du 25 avril 1978, Srie A no. 26, ¤ 31.
[86] Ibid.
[87] Cour eur. dr. h., Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrt du 25 fvrier 1982, ¤ 29. LÕusage des chtiments corporels fut nanmoins jug contraire lÕarticle 2 du Protocole 1, en vertu duquel, lorsquÕil assume ses responsabilits en matire dÕducation et dÕinstruction, lÕEtat doit respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents.
[88] D. J. Harris, M. O'Boyle, and C.
Warbrick, Law of the European Convention on Human Rights, London, Butterworths, 1995, pp.
312-313.
[89] Mazurek c. France, ¤ 52.
[90] Marckx c. Belgique, ¤ 31.
[91] Voy. Cour eur. dr. h., Keegan c. Irlande, arrt du 26 mai 1994, ¤44. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Kroon et autres c. Pays-Bas, arrt du 27 octobre 1994, Srie A, n”297-C, ¤ 29.
[92] Cour eur. dr. h., X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrt du 25 juin 1995, ¤36.
[93] Ibid.
[94] Voy. toutefois Comm. eur. dr. h., G. et E. c. Norvge, requtes n”9278/81 & 9415/81, dcision du 3 octobre 1983, D.R. 35, 30 (concernant le mode de vie traditionnel des Saamis ou Lapons en Norvge) et Cour eur. dr. h., Noack et autre c. Allemagne, dcision du 25 mai 2000 (concernant des membres de la minorit sorabe en Allemagne).
[95] Cour eur. dr. h., Chapman c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 2001, ¤73. Voy. aussi Lee c. Royaume-Uni, Coaster c. Royaume-Uni, Beard c. Royaume-Uni, Jane Smith c. Royaume-Uni, arrts du 18 janvier 2001. Cette position reprsente un changement capital par rapport lÕattitude adopte par la Cour dans lÕarrt Buckley c. Royaume-Uni, du 25 septembre 1996, qui portait sur des faits semblables. La Cour, dans cette affaire, avait refus de tenir compte de la situation particulire de la requrante en tant que Tsigane vivant de manire traditionnelle. Elle sÕtait contente de constater quÕtait en jeu le droit de la requrante au respect de son domicile, estimant Ē inutile de dcider si lÕaffaire concerne galement le droit de lÕintresse au respect de sa Ē vie prive et familiale Č Č (¤ 55). Voy. ce sujet O. De Schutter, Ē Le droit au mode de vie tsigane devant la Cour europenne des droits de lÕhomme : droits culturels, droits des minorits, discrimination positive Č, Rev. Trim. dr. h., 1997, pp. 64-93, spc. pp. 75-77.
[96] Voy. M.-B. Dembour, Ē Between Universalism and Relativism Č, in J. Cowan et al., op. cit., p. 74. Voy. aussi E. Brems, op. cit., p. 382.
[97] Voy. F. Ost et M. Van de Kerchove, op. cit., p. 430.