Par-delˆ lÕuniversalisme et le relativisme :

La Cour europŽenne des droits de lÕhomme et les dilemmes

de la diversitŽ culturelle*

 

paru dans Revue interdisciplinaire dՎtudes juridiques, 2004, n”52, pp. 109-142.

 

Florian Hoffmann (hoffmann@rdc.puc-rio.br) **

& Julie Ringelheim (julie.ringelheim@iue.it)***

 

ĒÉ.we have come to such a point in the moral history of the world [É] that we are obliged to think about [cultural] diversity rather differently than we had been used to thinking about it. If it is, in fact, getting to be the case that rather than being sorted into framed units, social spaces with definite edges to them, seriously disparate approaches to life are becoming scrambled together in ill-defined expanses, social spaces whose edges are unfixed, irregular, and difficult to locate, the question of how to deal with the puzzles of judgement to which such disparities give rise takes on a rather different aspect. Confronting landscapes and still lifes is one thing; panoramas and collages quite another. Č

Clifford Geertz, Ē The Uses of Diversity Č[1]

 

 

Introduction

 

La question de lÕuniversalisme ou du relativisme des droits de lÕhomme demeure sans doute lÕune des plus controversŽes de la thŽorie des droits. Elle a longtemps pesŽ sur lÕensemble des rŽflexions sur le concept de droits humains. Pourtant, malgrŽ ou peut-tre ˆ cause de la prŽgnance de ce dŽbat, il a souvent ŽtŽ traitŽ de faon stŽrŽotypŽe, universalisme et relativisme Žtant prŽsentŽs comme les deux p™les dÕune dichotomie rigide, assimilŽs ˆ un positionnement pour ou contre la suprŽmatie des droits de lÕhomme sur les diffŽrences culturelles. Il existe certes un antagonisme fondamental entre les principes de base de lÕuniversalisme dÕune part, et ceux du relativisme de lÕautre, et la question de savoir laquelle de ces deux perspectives saisit avec le plus de justesse le phŽnomne des Ē droits de lÕhomme dans le monde Č constitue un enjeu rŽel. Il nous semble cependant que cette dichotomie stricte, postulŽe par une large partie de la doctrine, repose sur une conception rŽductrice tant de la notion de Ē droits Č que de celle de Ē culture Č. Comme nous le soutiendrons dans cet article, ces deux concepts sont en rŽalitŽ beaucoup plus complexes et dynamiques que cette vision simplifiŽe ne le laisse penser. Nous nÕentrerons pas dans le dŽtail du dŽbat sur le relativisme culturel, qui a gŽnŽrŽ une littŽrature extrmement abondante et complexe[2]. Plut™t que de revenir sur des thmes traitŽs ˆ profusion par de nombreux auteurs, nous concentrerons notre attention sur les ŽlŽments thŽoriques et factuels qui dŽmontrent quÕun dŽpassement de la dichotomie entre droits de lÕhomme et culture est non seulement possible mais nŽcessaire. On commencera par Žvoquer brivement lՎvolution de la thŽorie anthropologique et les transformations du systme mondial qui ont marquŽ lՎpoque contemporaine. LՎtude de ce double phŽnomne conduit ˆ porter un nouveau regard sur les rapports entre Ē droits Č et Ē cultures Č (I). Pour illustrer ces considŽrations thŽoriques, on se penchera ensuite sur la jurisprudence de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme, afin de mettre en lumire la diversitŽ des formes dÕinteractions entre droits humains et facteurs culturels qui sÕy observent (II).

 

I. Universalisme contre relativisme : un dŽbat en mutation

 

La rŽflexion actuelle sur les droits de lÕhomme reste en grande partie tributaire du cadre conceptuel esquissŽ plus haut, les auteurs se situant en faveur de lÕun ou de lÕautre p™le de lÕalternative : universalisme ou relativisme. Pourtant, des voix de plus en plus nombreuses, issues principalement de lÕanthropologie juridique et du droit comparŽ, contestent les postulats sous-jacents ˆ cette reprŽsentation classique des rapports entre droits et diffŽrences culturelles. Ces critiques dŽnoncent avant tout le caractre essentialiste et a-historique de la conception des droits et de la culture qui domine cette doctrine[3]. Celle-ci apprŽhende gŽnŽralement les cultures comme des touts homognes, harmonieux, consensuels et essentiellement stables. Sans doute, cette conception correspond ˆ la notion de culture telle quÕelle a ŽtŽ thŽorisŽe par lÕanthropologie ˆ ses dŽbuts[4]. Mais depuis lors, la thŽorie anthropologique sÕest sensiblement ŽloignŽe de cette dŽfinition et tend dŽsormais ˆ concevoir les cultures comme Ē historically produced, globally interconnected, internally contested, and marked with ambiguous boundaries of identity and practice. Č[5] RŽcemment, la rŽflexion anthropologique en est mme venue ˆ sÕinterroger sur la pertinence de la notion de Ē culture Č en tant que concept scientifique essentiel de la discipline[6]. DÕun autre c™tŽ, les ŽlŽments constitutifs de la Ē culture Č, tels que lÕidentitŽ, le rapport ˆ lÕautre, les structures normatives, etc., ont ŽtŽ profondŽment transformŽs de lÕextŽrieur par lÕensemble des phŽnomnes sociaux, Žconomiques et politiques englobŽs sous le terme de mondialisation[7]. Paradoxalement, alors quÕelle a ŽtŽ progressivement dŽsavouŽe par la thŽorie anthropologique, lÕidŽe de Ē culture Č conue comme une vision du monde globale, close et uniforme, a resurgi dans dÕautres contextes. Elle est devenue un ŽlŽment-clŽ de la rhŽtorique dŽveloppŽe en faveur des revendications des peuples Ē exotiques Č, ceux-lˆ mmes dont lՎtude avait conduit les anthropologues ˆ abandonner progressivement cette conception de la culture Š une ironie de plus de la (post-)modernitŽ[8]. Ce recyclage de la vieille notion de Kultur ne sÕest toutefois pas limitŽ aux projets Žmancipateurs, fondŽs sur les droits humains, des groupes autochtones ou minoritaires. Nombre de gouvernements sÕen sont Žgalement saisis ; se posant en garants de la Ē culture nationale Č, ils en ont usŽ et abusŽ pour lŽgitimer la rŽpression des dissidences internes et justifier la violation des droits fondamentaux. Le dŽbat sur les Ē valeurs asiatiques Č fournit sans doute lÕexemple le plus significatif de cette attitude[9]. On a pu observer par ailleurs, au sein des mouvements en faveur des droits humains, une lŽgre tendance ˆ mettre en avant la Ē culture Č plut™t que les conditions Žconomiques, sociales ou politiques, pour expliquer les violations des droits de lÕhomme. Or, sÕil est crucial dÕaccorder une plus grande attention aux phŽnomnes culturels afin de surmonter le rŽductionnisme Žconomique ou politique qui a caractŽrisŽ la pŽriode antŽrieure, le recours ˆ la vieille conception rŽifiŽe de la Ē culture Č risque de conduire ˆ un pige analogue, celui du rŽductionnisme culturel[10].

 

Les processus ˆ lÕorigine de la transformation de la notion de culture ont Žgalement eu un impact dŽcisif sur le concept de Ē droits Č. Le dŽbat sur lÕuniversalitŽ des droits humains a ŽtŽ largement dominŽ par la question de savoir si les valeurs et la vision du monde sous-jacentes aux droits humains pouvaient ou non transcender les barrires culturelles. Or, cette interrogation est aujourdÕhui dŽpassŽe : le discours des droits humains est, de fait, mondialisŽ. IndŽpendamment du caractre vrai ou postulŽ des fondements moraux de ce concept, de sa contingence historique, des significations concrtes quÕil reoit dans diffŽrents contextes socioculturels, le langage des droits de lÕhomme est devenu, selon lÕexpression de Richard Rorty, Ē un fait du monde Č (a fact of the world)[11]. Mais ce fait global nÕa pas de sens par lui-mme, il nÕacquiert de signification quՈ travers les utilisations qui en sont faites dans des contextes culturels locaux. Le concept de Ē droit humain Č peut tre dŽcrit comme un Ē signifiant vide Č[12], constamment, mais toujours provisoirement, empli de signifiŽs locaux. Cette approche se distingue dÕun certain relativisme culturel, selon lequel ce nÕest quÕen fonction de la culture considŽrŽe, conue de faon rigide et essentialiste, que lÕon pourrait dire sÕil existe des droits humains et lesquels. Les significations dont sont pourvus les droits humains doivent, au contraire, tre pensŽs comme le rŽsultat dÕune interaction complexe entre discours globaux et locaux, qui nÕest contr™lŽe par aucune volontŽ, ne poursuit aucun objectif, mais constitue un processus autonome, alimentŽ par une multitude dÕapports diffŽrents. Les interactions entre les niveaux institutionnels, les forums discursifs informels et les pratiques provisoirement cristallisŽes mais toujours susceptibles de remise en cause, redŽfinissent en permanence les configurations culturelles locales, tout en rejaillissant sur le systme global des droits humains, le contraignant ˆ sÕadapter et ˆ assimiler une diversitŽ croissante de revendications[13]. Le global et le local sÕenchevtrent ainsi dans une spirale de rŽtroactions mutuelles[14]. Dans cette optique, les droits de lÕhomme se prŽsentent non plus comme le reflet figŽ des traits supposŽs essentiels de lՐtre humain, mais comme un processus auto-reproductif, au cours duquel ils sont constamment interprŽtŽs et rŽinterprŽtŽs, contestŽs et transformŽs par une myriade dÕacteurs Žvoluant dans des contextes multiples[15].

 

Ds lors quÕon redŽfinit la culture comme un rŽseau fluide et multiforme de significations, et les droits humains comme un kalŽidoscope de donnŽes hybrides, ˆ la fois locales et globales, en perpŽtuelle rotation[16], on aperoit la possibilitŽ dÕun dŽpassement de la dichotomie supposŽe entre ces deux termes. En effet, la tension entre ceux-ci nÕappara”t plus comme un conflit irrŽductible exigeant une solution tranchŽe en faveur de lÕun ou de lÕautre, mais comme un ŽlŽment inhŽrent au discours des droits humains[17].

 

Dans les pages qui suivent, nous proposons dÕillustrer ces considŽrations par lÕanalyse dÕun ensemble dÕaffaires puisŽes dans la jurisprudence de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme. Mise en place en 1959 dans le cadre du Conseil de lÕEurope, en application de la Convention de sauvegarde des droits de lÕhomme et des libertŽs fondamentales (1950), la Cour est, parmi les juridictions internationales, celle qui a la plus longue expŽrience en matire dÕapplication des droits humains. Elle conna”t des recours introduits non seulement par les Etats parties, mais Žgalement par des individus (particuliers, groupes de particuliers ou organisations non gouvernementales) qui se dŽclarent victimes dÕune violation dÕun droit protŽgŽ par la Convention imputable ˆ un Etat membre[18]. En pratique, la grande majoritŽ des recours sont de ce second type. La Cour peut ds lors tre apprŽhendŽe comme lÕun des espaces institutionnels o sÕobservent les interactions entre un niveau Ē global Č - les droits garantis sur le plan international par le systme de la Convention Š et les niveaux Ē locaux Č reprŽsentŽs par les contextes nationaux et infra-nationaux. LÕexamen de cette jurisprudence montre par ailleurs que la question de lÕincidence des diffŽrences culturelles sur lÕapplication des droits humains ne se pose pas seulement lorsquÕon oppose les pays du Ē Sud Č aux pays du Ē Nord Č ou lÕOccident au reste du monde, mais se prŽsente Žgalement dans le contexte europŽen, considŽrŽ comme le berceau historique du concept de droits.

 

 

II. La Cour europŽenne des droits de lÕhomme face ˆ la diversitŽ culturelle

 

 

La Convention de sauvegarde des droits de lÕhomme et des libertŽs fondamentales ne contient aucune rŽfŽrence ˆ la notion de Ē diversitŽ culturelle Č[19]. Les Etats signataires  insistent plut™t sur les similaritŽs qui les unissent, proclamant dans le PrŽambule, quÕils sont Ē animŽs dÕun mme esprit Č et possdent Ē un patrimoine commun dÕidŽal et de traditions politiques, de respect de la libertŽ et de prŽŽminence du droit Č[20]. Cette communautŽ de valeurs et dÕidŽaux est mise en avant pour justifier la dŽcision dÕinstituer un systme commun de garantie des droits de lÕhomme. DÕun autre c™tŽ, ce mme prŽambule proclame que Ē la sauvegarde et le dŽveloppement des droits de lÕhomme Č est lÕun des moyens dÕatteindre le but du Conseil de lÕEurope, ˆ savoir la rŽalisation dÕune Ē union plus Žtroite entre ses membres Č[21]. La Convention oscille ainsi entre lÕidŽe dÕune unitŽ prŽexistante, prŽcondition du systme, et celle dÕune union ˆ construire. Entre ces deux horizons, une incertitude demeure : quel peut tre lÕimpact des diffŽrences culturelles actuelles, entre les Etats ou au sein des Etats, sur la mise en Ļuvre des droits ?

 

On peut supposer que dans lÕesprit des Ē pres fondateurs Č de la Convention, cette question nÕavait pas lieu de se poser : il est permis de penser quՈ leurs yeux, les considŽrations culturelles nÕavaient pas leur place dans le champ des droits humains. La Convention ne contient dÕailleurs pas davantage de disposition garantissant aux membres des minoritŽs ethniques ou nationales, religieuses ou linguistiques le droit de prŽserver leurs particularitŽs culturelles[22]. En pratique pourtant, la Cour a ŽtŽ, ds ses dŽbuts, confrontŽe au problme des variations de traditions, de sensibilitŽs ou de mentalitŽs dÕun Etat ˆ lÕautre mais aussi entre diverses composantes de la population au sein dÕun mme Etat[23]. Dans plusieurs affaires, on voit en effet lÕune des parties ˆ lÕinstance demander ˆ la Cour de tenir compte, dans lÕapplication de la Convention aux faits de lÕespce, de certaines spŽcificitŽs culturelles : tant™t lÕEtat mis en cause se prŽvaut des particularitŽs de la sociŽtŽ quÕil reprŽsentait pour justifier une mesure contestŽe, tant™t un requŽrant soutient que des entraves subies dans la pratique de sa langue, de sa religion ou de ses traditions constituent une violation dÕun droit garanti. Or, contrairement ˆ ce que le texte de la Convention pouvait laisser ˆ penser, la Cour nÕa pas systŽmatiquement ŽcartŽ ce type dÕarguments. Dans de nombreux cas, elle a admis que, compte tenu des circonstances, les caractŽristiques culturelles propres ˆ lÕEtat, ˆ la rŽgion ou ˆ une communautŽ constituaient un ŽlŽment pertinent ˆ prendre en considŽration pour apprŽcier lÕexistence dÕune violation de la Convention[24].

 

Un examen attentif de la jurisprudence permet de constater que lÕinfluence des ŽlŽments culturels sur les arrts de la Cour sÕexerce principalement sous trois formes diffŽrentes. Tout dÕabord, le constat du caractre Ē culturellement sensible Č dÕune affaire amne souvent la Cour ˆ reconna”tre aux Etats une large marge nationale dÕapprŽciation. De cette manire, les circonstances dÕordre culturel affectent lÕintensitŽ du contr™le de la Cour. (1). Ensuite, lorsquÕelle contr™le la proportionnalitŽ dÕune mesure limitative dÕun droit ou dÕune libertŽ, les circonstances culturelles peuvent influencer le poids relatif attribuŽ aux divers impŽratifs pris en compte dans le processus de pondŽration des intŽrts (2). Enfin, les facteurs culturels peuvent avoir une incidence sur lÕinterprŽtation de certains termes utilisŽs dans la Convention et dotŽs dÕune dimension socioculturelle manifeste, tels que Ē famille Č[25] ou Ē mariage Č[26]. LorsquÕelle interprte ces termes, la Cour prend parfois explicitement en considŽration les caractŽristiques culturelles de la sociŽtŽ dans laquelle les faits ont eu lieu ou, plus rarement, de la communautŽ ˆ laquelle appartient le requŽrant (3). CÕest ˆ lՎtude du fonctionnement de ces diffŽrents mŽcanismes que nous allons consacrer les pages qui suivent. Il importe de prŽciser que cet examen a une visŽe purement analytique et non normative : notre objectif nÕest pas dՎvaluer le bien-fondŽ des solutions adoptŽes par la Cour, mais dÕanalyser la manire dont les facteurs culturels interagissent avec le concept de droits dans cette jurisprudence.

 

1. La marge nationale dÕapprŽciation

 

La Ē marge dÕapprŽciation Č est une notion dŽveloppŽe par la Cour dans sa pratique jurisprudentielle, qui signifie en substance que les Etats se voient reconna”tre, dans certains contextes, une latitude plus ou moins importante pour apprŽcier le contenu de leurs obligations aux termes de la Convention. H. C. Yourow la dŽfinit comme Ē the latitude of deference or error which the Strasbourg organs will allow to national legislative, executive, administrative and judicial bodies before it is prepared to declare a national derogation from the Convention, or restriction or limitation upon a right guaranteed by the Convention, to constitute a violation of one of the ConventionÕs substantive guaranties Č[27]. CÕest donc une forme de retenue ou dÕautolimitation de la part de la Cour[28], de judicial restraint[29], qui introduit une Ē ŽlasticitŽ dans la contrainte imposŽe aux Etats Č[30].

 

Bien quÕelle soit souvent associŽe ˆ lÕidŽe de respect de la diversitŽ culturelle[31], elle nÕa pas ŽtŽ conue comme un moyen de prŽserver cette diversitŽ[32]. Les fondements de la marge dÕapprŽciation ont ŽtŽ formulŽs par la Cour ˆ lÕoccasion de lÕarrt Handyside c. Royaume-Uni[33]. Elle repose tout dÕabord sur le caractre subsidiaire par rapport aux systmes nationaux de garantie, du mŽcanisme de contr™le instaurŽ par la Convention. Intervenant toujours a posteriori, la Cour ne peut ignorer lÕapprŽciation portŽe par les autoritŽs nationales quant aux exigences de la Convention dans le cas dÕespce[34]. Cette explication est cependant insuffisante. Car comme le souligne S. Van Drooghenbroeck, la subsidiaritŽ est une caractŽristique gŽnŽrale du contr™le de la Cour, elle sÕapplique indiffŽremment ˆ tous les litiges. La marge dÕapprŽciation, en revanche, nÕest reconnue aux Etats que dans certaines circonstances et son amplitude varie dÕune affaire ˆ lÕautre. La justification principale de cette technique jurisprudentielle rŽside ds lors dans la seconde raison avancŽe par la Cour[35] : les autoritŽs nationales lui paraissent dans certains contextes mieux placŽes pour apprŽcier la manire dont il convient de rŽpondre aux exigences de la Convention[36].

 

Diverses circonstances peuvent conduire la Cour ˆ ce constat. CÕest le cas en particulier lorsque la mise en Ļuvre dÕune notion de la Convention requiert lÕapplication dÕun jugement de valeur sur certains faits et que la Cour ne trouve pas de critre clair, ni dans le texte de la Convention, ni dans la pratique des Etats membres, sur lequel fonder sa propre Žvaluation. Ainsi, dans lÕaffaire Handyside, Žtaient en cause les procŽdures engagŽes contre le requŽrant en tant quՎditeur dÕun manuel de conseils destinŽ aux adolescents (The Little Red Schoolbook), incluant des informations sur la sexualitŽ et qui avait ŽtŽ qualifiŽ par les autoritŽs de Ē publication obscne Č. Ces procŽdures avaient abouti ˆ la saisie et ˆ la confiscation de lÕouvrage ainsi quՈ la condamnation du requŽrant ˆ une amende. La Cour Žtait appelŽe ˆ dŽterminer si, comme le soutenait le gouvernement, ces mesures pouvaient tre considŽrŽes comme nŽcessaires, dans une sociŽtŽ dŽmocratique, ˆ la protection de la morale, lÕun des motifs lŽgitimes de limitation ŽnoncŽs au deuxime paragraphe de lÕarticle 10[37]. Or, elle se dŽclare incapable dÕidentifier une conception commune de cette notion, qui soit valable pour tous les Etats membres :

 

Ē Éon ne peut dŽgager du droit interne des divers Etats contractants une notion europŽenne uniforme de la Ē morale Č. LÕidŽe que leurs lois respectives se font des exigences de cette dernire varie dans le temps et lÕespace, spŽcialement ˆ notre Žpoque caractŽrisŽe par une Žvolution rapide et profonde des opinions en la matire. Gr‰ce ˆ leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autoritŽs de lÕEtat se trouvent en principe mieux placŽes que le juge international pour se prononcer sur le contenu prŽcis de ces exigences comme sur la Ē nŽcessitŽ Č dÕune Ē restriction Č ou Ē sanction Č destinŽe ˆ y rŽpondre. [É] Ds lors, l'article 10 par. 2 (art. 10-2) rŽserve aux Etats contractants une marge d'apprŽciation. Č [38]

 

Ce cŽlbre passage de lÕarrt Handyside permet de mettre en lumire le lien entre marge dÕapprŽciation et diversitŽ culturelle. Bien que le terme Ē culturel Č ne soit pas utilisŽ, il appara”t quÕaux yeux des juges, les divergences des droits nationaux en matire de morale refltent les variations des conceptions de la population de chaque pays ; de lÕethos de chaque sociŽtŽ. Face ˆ cette variŽtŽ dÕopinions, les juges europŽens ne sÕestiment pas en mesure de dŽgager une norme europŽenne commune, ˆ lÕaune de laquelle Žvaluer les mesures adoptŽes par les autoritŽs internes. La diversitŽ culturelle constitue ds lors, pour la Cour, une cause  dÕincertitude, qui la contraint ˆ faire preuve dÕune plus grande dŽfŽrence envers lÕapprŽciation des autoritŽs nationales, eu Žgard ˆ leur meilleure connaissance de la sensibilitŽ et des besoins de leur population[39]. Par consŽquent, Ē la Ē diversitŽ Č nÕappara”t pas tant valorisŽe pour elle-mme, quÕendurŽe comme la source dÕune impossibilitŽ dÕordre cognitif conduisant le juge europŽen ˆ devoir sÕen remettre au surcro”t dÕexpertise corrŽlativement reconnu aux autoritŽs Žtatiques. Č[40]

 

Ce raisonnement reste conciliable avec lÕidŽal dÕunification exprimŽ dans le prŽambule de la Convention. Il laisse ouverte la possibilitŽ dÕune Žvolution des conceptions et des lŽgislations vers une plus grande similaritŽ, qui permettrait ˆ la Cour de dŽgager une notion Ē europŽenne Č des exigences de la morale, sur laquelle elle pourrait faire reposer sa propre apprŽciation. LՎventualitŽ dÕun contr™le plus strict est nŽanmoins reportŽ ˆ plus tard et subordonnŽe ˆ une uniformisation prŽalable des conceptions.

 

Dans des arrts postŽrieurs toutefois, on observe parfois un glissement dans la manire de formuler le lien entre la nature culturelle des questions en jeu et la marge dÕapprŽciation. LÕarrt Wingrove c. Royaume-Uni en fournit un exemple. Le requŽrant se plaignait de ce que son film vidŽo ait ŽtŽ interdit de distribution par les autoritŽs britanniques, en raison de son caractre jugŽ blasphŽmatoire vis-ˆ-vis des symboles chrŽtiens[41]. Examinant la licŽitŽ au regard de la Convention de lÕingŽrence subie par le requŽrant dans sa libertŽ dÕexpression, la Cour affirme :

 

Ē une plus grande marge d'apprŽciation est gŽnŽralement laissŽe aux Etats contractants lorsqu'ils rŽglementent la libertŽ d'expression sur des questions susceptibles d'offenser des convictions intimes, dans le domaine de la morale et, spŽcialement, de la religion. Č

 

Ce nÕest que dans un deuxime temps quÕelle ajoute :

 
Ē Du reste, comme dans le domaine de la morale, et peut-tre ˆ un degrŽ plus important encore, les pays europŽens n'ont pas une conception uniforme des exigences affŽrentes ˆ Ē la protection des droits d'autrui Č s'agissant des attaques contre des convictions religieuses.  Ce qui est de nature ˆ offenser gravement des personnes d'une certaine croyance religieuse varie fort dans le temps et dans l'espace, spŽcialement ˆ notre Žpoque caractŽrisŽe par une multiplicitŽ croissante de croyances et de confessions. Č[42]  

 

Alors que dans lÕarrt Handyside, cÕest lÕobservation des variations des conceptions qui avait conduit la Cour ˆ accorder aux autoritŽs internes une marge discrŽtionnaire, dans le passage citŽ ici, cÕest le fait que la protection des Ē sentiments et [des] convictions les plus profonds Č dÕune population[43] soit en jeu, qui appara”t comme le motif premier de la reconnaissance dÕune marge dÕapprŽciation Žtendue. LÕabsence de standard europŽen, en revanche, nÕest mentionnŽe quՈ titre dÕargument supplŽmentaire. Les juges semblent donc affirmer dans cet arrt que les Etats bŽnŽficient, en rgle gŽnŽrale, dÕune importante marge dÕapprŽciation, ds que le problme posŽ touche ˆ la sphre morale ou religieuse. Cette position laisse ˆ penser que mme si dans lÕavenir, ils parvenaient ˆ discerner une norme europŽenne commune, ils nÕen continueraient pas moins de considŽrer les autoritŽs nationales comme mieux placŽes pour apprŽcier les exigences de la Convention lorsque la protection de la morale ou des sentiments religieux est en cause.

 

En rŽalitŽ, la Cour nÕa pas vraiment tranchŽ entre ces deux approches. On les retrouve au fil de sa jurisprudence, la Cour penchant tant™t pour lÕune, tant™t pour lÕautre, en fonction des circonstances. Dans les affaires concernant la question du transsexualisme, autre domaine dans lequel la marge dÕapprŽciation a jouŽ un r™le important, la Cour se range clairement du c™tŽ de lÕapproche Handyside. Il lui Žtait demandŽ de dŽterminer si le refus des autoritŽs de reconna”tre juridiquement la nouvelle identitŽ sexuelle des personnes ayant subi une opŽration de changement de sexe, constituait une violation de leur droit ˆ la vie privŽe et ˆ la vie familiale garantis ˆ lÕarticle 8 de la Convention. Dans ce contexte, cÕest parce quÕelle estime que le transsexualisme soulve Ē des questions complexes de nature scientifique, juridique, morale et sociale Č et que celles-ci ne font pas lÕobjet Ē dÕune approche gŽnŽralement suivie dans les Etats contractants Č[44], que la Cour, dans un premier temps, reconna”t aux Etats une ample latitude pour dŽcider du traitement juridique quÕil convient de rŽserver aux transsexuels opŽrŽs. Par la suite, estimant que lՎvolution des droits nationaux et des attitudes sociales tŽmoigne clairement de lՎmergence dÕun consensus en la matire, elle finira par modifier sa position dans ses arrts du 11 juillet 2002 (voir infra). De faon intŽressante, on trouve dans certaines des opinions dissidentes jointes ˆ cette sŽrie dÕarrts, des rŽfŽrences directes ˆ la question de lÕincidence de la Ē culture Č ou des Ē traditions Č. Dans lÕaffaire Cossey c. Royaume-Uni, le Juge Mertens, critiquant la dŽcision de la majoritŽ de reconna”tre aux Etats une large marge dÕapprŽciation, observe :

 

 Ē ...rien dans le dossier ne donne ˆ penser que pour ce qui est des r™les sexuels, la culture du Royaume-Uni soit essentiellement diffŽrente de celle d'autres Etats membres. Il ne s'impose donc pas, pour dŽterminer si cette attitude de l'Etat en cause est compatible avec ses obligations au titre de la Convention, de prendre en compte des ŽlŽments caractŽristiques de la sociŽtŽ britannique ou d'autres conditions particulires existant au Royaume-Uni. Č[45]

 

Selon le Juge Mertens, la marge dÕapprŽciation nÕaurait ŽtŽ justifiŽe que sÕil avait ŽtŽ prouvŽ que la culture du pays concernŽ Žtait sensiblement diffŽrente sur ce point de celle des autres Etats membres. Le Juge Pettiti, par contre, sÕexprimant ˆ lÕoccasion de lÕafffaire B. c. France, semble adopter la position exactement inverse. DŽsapprouvant la conclusion de la majoritŽ selon laquelle il y aurait eu en lÕespce violation de lÕarticle 8, il dŽclare que Ē [s]'il est un domaine o il faut accorder aux Etats le maximum de marge d'apprŽciation compte tenu des moeurs et des traditions, c'est bien celui du transsexualisme [...]. Č[46]. Le Juge Pettiti penche donc pour lÕapproche Wingrove, rŽclamant une marge dÕapprŽciation maximale au nom de la nature mme de la question examinŽe.

 

Quoi quÕil en soit, lÕoctroi dÕune marge dÕapprŽciation, mme importante, nÕinduit pas nŽcessairement une conclusion de non-violation. CÕest une Ē marge de discrŽtion Č qui est reconnue aux Etats, non un Ē pouvoir discrŽtionnaire Č. Dans lÕarrt Handyside, la Cour insiste sur le fait que cette marge nÕest pas illimitŽe et que les mesures prises dans ce cadre restent soumises ˆ son contr™le[47]. Dans lÕarrt Open Door et Dublin Well Women c. lÕIrlande, elle prŽcise quÕelle Ē ne saurait admettre que l'Etat possde, dans le domaine de la protection de la morale, un pouvoir discrŽtionnaire absolu et insusceptible de contr™le Č[48]. La latitude reconnue aux Etats en vertu de la marge dÕapprŽciation peut donc tre contre-balancŽe par dÕautres ŽlŽments intervenant dans lÕapprŽciation de la Cour Š principalement lÕexistence dÕun consensus europŽen, la gravitŽ de lÕatteinte au droit garanti ou lÕimportance de la sphre dÕactivitŽs protŽgŽe.   

 

En premier lieu, la marge sera plus rŽduite, voire absente, lorsque la Cour estime quÕil existe un consensus europŽen sur la question envisagŽe. CÕest la consŽquence logique de lÕargumentation dŽveloppŽe dans lÕarrt Handyside : dans la mesure o cÕest le constat des divergences entre les Etats membres qui justifie lÕoctroi dÕune marge dÕapprŽciation, celle-ci perd sa raison dՐtre ds lors quÕune convergence vers un critre commun peut tre observŽe dans le droit et les pratiques de lÕensemble des Etats. Pour dŽgager un tel consensus, la Cour se fonde avant tout sur des facteurs juridiques Š les lois internes des Etats membres, les traitŽs internationaux auxquels ceux-ci ont adhŽrŽ, les actes des organisations internationales Š mais aussi ˆ des considŽrations non juridiques, tels que lÕopinion publique europŽenne ou lÕavis des experts[49]. Or, ces ŽlŽments connaissent des transformations constantes. LÕinterprŽtation consensuelle est donc Žtroitement liŽe au principe dÕinterprŽtation Žvolutive[50]. La Cour lÕa souvent affirmŽ : Ē la Convention est un instrument vivant ˆ interprŽter [É] ˆ la lumire des conditions de vie actuelles Č[51]. La comprŽhension des exigences de la Convention peut donc tre rŽexaminŽe en permanence, en fonction de lՎvolution tant des standards juridiques dans les Etats membres que de lÕopinion publique. La Cour peut ainsi tre amenŽe ˆ remettre en cause, ˆ raison du changement des mentalitŽs, des solutions anciennement admises parce que conformes aux Ē traditions Č gŽnŽralement acceptŽes. Dans lÕarrt Marckx, par exemple, elle admet que la distinction entre enfants Ē naturels Č et enfants Ē lŽgitimes Č Ē passait Ē pour licite et normal[e] dans beaucoup de pays europŽens ˆ lՎpoque o fut rŽdigŽe la Convention Č, mais dŽcide que cette conception doit cŽder devant lՎvolution du droit de la grande majoritŽ des Etats membres et des instruments internationaux pertinents vers lÕabolition de cette diffŽrenciation[52]. De mme, dans lÕarrt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, pour conclure que les lois rŽprimant les relations homosexuelles entre adultes consentants sont contraires ˆ lÕarticle 8 de la Convention, la Cour fait notamment valoir quÕ Ē [o]n comprend mieux aujourdÕhui le comportement homosexuel quՈ lՎpoque de lÕadoption de ces lois Č et que Ē dans la grande majoritŽ des Etats membres du Conseil de lÕEurope, on a cessŽ de croire que les pratiques du genre examinŽ ici appellent par elles-mmes une rŽpression pŽnale ; la lŽgislation interne y a subi sur ce point une nette Žvolution que la Cour ne peut nŽgliger Č[53].

 

La jurisprudence sur le transsexualisme, ŽvoquŽe plus haut, fournit lÕune des illustrations les plus frappantes de lÕapplication du principe dÕinterprŽtation Žvolutive. Ds son premier arrt en la matire, dans lÕaffaire Rees, la Cour avait prŽcisŽ que la conclusion selon laquelle le refus des autoritŽs britanniques de reconna”tre pleinement le changement de sexe des requŽrants ne portait pas atteinte ˆ leur droit au respect de la vie privŽe, pourrait tre rŽexaminŽe dans lÕavenir, Ē eu Žgard, notamment, ˆ l'Žvolution de la science et de la sociŽtŽ Č[54]. Aprs une sŽrie dÕarrts confirmant lÕabsence de violation de lÕarticle 8, la Cour a fini par renverser sa position dans les arrts Goodwin et I. du 11 juillet 2002 : considŽrant que des Ē ŽlŽments clairs et incontestŽs Č dŽmontrent Ē une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identitŽ sexuelle des transsexuels opŽrŽs Č[55]. Il est ˆ noter que la Cour se rŽfre ici ˆ lՎvolution du droit et des attitudes sociales dans les Etats membres du Conseil de lÕEurope, mais aussi dans des Etats tiers, comme lÕAustralie et la Nouvelle-ZŽlande[56].

 

LÕexistence dÕun relatif consensus au niveau europŽen nÕentra”ne cependant pas automatiquement la condamnation de lÕEtat qui maintiendrait une solution divergente. Dans lÕarrt F. c. Suisse, la Cour observe ainsi ˆ propos dÕun article du Code civil suisse autorisant le juge ˆ prononcer une interdiction de remariage dÕune durŽe de trois ans ˆ lÕencontre dÕun Žpoux condamnŽ au divorce pour adultre :

 

Ē le fait qu'un pays occupe, ˆ l'issue d'une Žvolution graduelle, une situation isolŽe quant ˆ un aspect de sa lŽgislation n'implique pas forcŽment que pareil aspect se heurte ˆ la Convention, surtout dans un domaine - le mariage - aussi Žtroitement liŽ aux traditions culturelles et historiques de chaque sociŽtŽ et aux conceptions profondes de celle-ci sur la cellule familiale. Č[57]

 

Aprs avoir dŽclarŽ que lÕexistence dÕun consensus nՎtait pas dŽterminant, la Cour conclut nŽanmoins ˆ la violation de lÕarticle 12, eu Žgard ˆ la gravitŽ de lÕatteinte portŽe au droit de se marier. Elle estime en effet que la mesure litigieuse Ē a touchŽ ˆ la substance mme du droit au mariage [É] Č[58]. CÕest lˆ le deuxime facteur susceptible de contre-balancer la marge dÕapprŽciation : selon la Cour, les Etats, dans le cadre de la marge qui leur est reconnue, ne peuvent aller jusquՈ porter atteinte ˆ lÕessence ou ˆ la substance du droit protŽgŽ[59].

 

Enfin, troisime limite de la marge dÕapprŽciation, les juges exercent en principe un contr™le plus strict lorsquÕils estiment que le droit ou lÕactivitŽ en cause est dÕune importance essentielle pour le bien-tre de lÕindividu ou le bon fonctionnement de la dŽmocratie. Ce critre a notamment ŽtŽ appliquŽ dans lÕarrt Dudgeon prŽcitŽ, o il sÕest combinŽ ˆ lÕargument du consensus europŽen et de la gravitŽ de lÕingŽrence[60], pour conduire ˆ un constat de violation. La Cour affirme ˆ cette occasion que Ē lՎtendue de la marge dÕapprŽciation dŽpend non seulement du but de la restriction, mais aussi de la nature des activitŽs en jeu. Or la prŽsente affaire a trait ˆ un aspect des plus intimes de la vie privŽe. Il doit donc exister des raisons particulirement graves pour rendre lŽgitimes, aux fins du paragraphe 2 de lÕarticle 8 [É], des ingŽrences des pouvoirs publics Č[61].

 

LÕimpact de la reconnaissance dÕune marge dÕapprŽciation dŽpend en dŽfinitive dÕun jeu complexe entre une multiplicitŽ de facteurs dont lÕinfluence varie dÕun cas ˆ lÕautre : Ē one factor may reinforce another where both point in the same direction; a factor may also compensate the influence of another factor where they point in opposite directions. Č[62] Plusieurs auteurs ont sŽvrement critiquŽ la mŽthode de la marge dÕapprŽciation, reprochant ˆ la Cour de ne pas avoir dŽfini de critres clairs qui en dŽterminent lÕusage et lՎtendue[63]. Ce dŽbat dŽpasse toutefois lÕobjet de notre analyse. En ce qui concerne les relations entre droits humains et diversitŽ culturelle, la marge dÕapprŽciation peut tre vue comme un moyen pour les juges de composer avec les facteurs culturels. Dans cette optique, sa variabilitŽ, son imprŽvisibilitŽ mme peuvent appara”tre, jusquՈ un certain point, comme une consŽquence inŽvitable de toute tentative dÕapprŽhension dÕun phŽnomne aussi multiforme, fluctuant et contrastŽ que la culture. Il faut cependant ajouter que la Ē culture Č susceptible dÕentrer en ligne de compte par le biais de la marge dÕapprŽciation, ne reflte que la version quÕen donne lÕEtat. Or, cette version est souvent contestŽe par les requŽrants. Les deux autres mŽcanismes, en revanche, vers lesquels nous allons ˆ prŽsent nous tourner, permettent lÕintŽgration dÕarguments culturels invoquŽs par lÕEtat mais aussi par les requŽrants.

 

2. Le contr™le de proportionnalitŽ

 

Le principe de proportionnalitŽ conna”t de nombreuses applications dans la jurisprudence de la Cour[64]. Mais cÕest uniquement dans le contexte des articles 8 ˆ 11 de la Convention que ce principe  nous intŽresse ici. Ces quatre dispositions autorisent les Etats ˆ apporter des limitations aux droits garantis dans leur premier paragraphe, ˆ condition quÕelles soient prŽvues par une loi et nŽcessaires dans une sociŽtŽ dŽmocratique ˆ la rŽalisation de lÕun des objectifs lŽgitimes ŽnoncŽs au second paragraphe. Selon lÕinterprŽtation quÕen ont dŽveloppŽe les juges europŽens, la condition de Ē nŽcessitŽ dans une sociŽtŽ dŽmocratique Č implique notamment que la restriction soit proportionnŽe au but lŽgitime poursuivi, cÕest-ˆ-dire que dans le choix des moyens utilisŽs pour rŽaliser ce but, les autoritŽs doivent avoir mŽnagŽ un juste Žquilibre entre lÕimportance de lÕobjectif poursuivi et lÕimpŽratif de respect des droits.

 

A lÕinstar de la marge dÕapprŽciation, le contr™le de proportionnalitŽ introduit une certaine souplesse dans les standards fixŽs par la Convention[65]. Il permet ˆ la Cour de mettre en balance lÕensemble des intŽrts en prŽsence[66]. Or, parmi ces ŽlŽments, peuvent figurer des circonstances dÕordre culturel. En tŽmoigne le raisonnement suivi par la Cour dans lÕarrt Otto-Preminger-Institute c. Autriche. En vŽrifiant le caractre Ē nŽcessaire Č, au sens de la Convention, de la dŽcision des autoritŽs judiciaires autrichiennes dÕinterdire la projection dÕun film dans un cinŽ-club du Tyrol, au motif quÕil offenserait les Ē sentiments religieux Č de la population en tournant en dŽrision les symboles du christianisme, la Cour se montre trs sensible aux particularitŽs de la rŽgion concernŽe. Elle affirme en effet ne pas pouvoir Ē nŽgliger le fait que la religion catholique est celle de lÕimmense majoritŽ des Tyroliens Č[67]. Elle observe en outre que pour conclure que le film constituait Ē une attaque injurieuse contre la religion catholique romaine Č, les juridictions autrichiennes se sont fondŽes sur Ē la conception du public tyrolien Č. CÕest donc en considŽration de la sensibilitŽ religieuse de la population locale Š ou ˆ tout le moins de la description quÕen donnent les autoritŽs Žtatiques Š que la Cour estime que la saisie et la confiscation du film, bien quÕelles constituent une ingŽrence dans la libertŽ dÕexpression du requŽrant, nՎtaient pas des moyens disproportionnŽs par rapport ˆ lÕobjectif poursuivi, ˆ savoir la protection des droits dÕautrui[68].

 

Comme pour la marge dÕapprŽciation toutefois, lÕinfluence des ŽlŽments culturels sur le contr™le de proportionnalitŽ peut tre contre-balancŽe par dÕautres facteurs. Dans lÕaffaire Dudgeon, par exemple, le gouvernement britannique se prŽvalait des particularitŽs culturelles de lÕIrlande du Nord pour justifier le fait que les lois rŽprimant lÕhomosexualitŽ aient ŽtŽ maintenues dans cette rŽgion, alors quÕelles avaient ŽtŽ abolies dans le reste du pays. La Cour admet la pertinence de cet argument : Ē Dans un Etat o vivent des communautŽs culturelles diverses, les autoritŽs compŽtentes peuvent fort bien se trouver en face dÕimpŽratifs divers, tant moraux que sociaux Č[69]. Elle concde que Ē pour apprŽcier les exigences de la protection de la morale en Irlande du Nord il faut replacer les mesures incriminŽes dans le contexte de la sociŽtŽ de cette rŽgion Č[70]. Les autoritŽs nationales pouvaient donc tenir compte du Ē climat moral de lÕIrlande du Nord en matire sexuelle Č[71], marquŽ par lÕopposition vigoureuse dÕune grande partie de la population ˆ lÕabolition des lois en cause. Mais Žtant donnŽ lÕ Ē ampleur et [le] caractre absolu Č de lÕingŽrence dans le droit du requŽrant au respect de sa vie privŽe, eu Žgard Žgalement ˆ la nature du droit en cause et ˆ lÕexistence dÕun consensus europŽen (voy. supra), la Cour conclut que les Ē restriction imposŽe ˆ M. Dudgeon en vertu du droit nord-irlandais se rŽvle [É] disproportionnŽe aux buts recherchŽs Č[72].

 

Dans ces deux affaires, les spŽcificitŽs culturelles Žtaient invoquŽes par les Etats, qui tentaient de convaincre la Cour du caractre proportionnŽ des restrictions apportŽes ˆ lÕexercice de certains droits. Mais il arrive Žgalement que des requŽrants se dŽclarent victimes dÕune violation de lÕun des droits garantis par la Convention, en raison des entraves imposŽes par lÕEtat ˆ lÕexpression de leur identitŽ culturelle ou religieuse. Le respect de la diversitŽ culturelle est alors invoquŽ pour Žtayer la thse du caractre disproportionnŽ des mesures contestŽes.

 

La notion de Ē sociŽtŽ dŽmocratique Č joue ˆ cet Žgard un r™le crucial. DÕune manire gŽnŽrale, elle reprŽsente aux yeux de la Cour Ē un ŽlŽment fondamental de lÕordre public europŽen Č : la Convention toute entire Ē est destinŽe ˆ sauvegarder et promouvoir les idŽaux et valeurs dÕune sociŽtŽ dŽmocratique Č[73]. Le test de proportionnalitŽ exercŽ dans le cadre des articles 8 ˆ 11 constitue prŽcisŽment lÕun des aspects du contr™le du caractre Ē nŽcessaire dans une sociŽtŽ dŽmocratique Č dÕune mesure de restriction. Par consŽquent, cÕest ˆ lÕaune des exigences dÕune Ē sociŽtŽ dŽmocratique Č, que la Cour doit en principe Žvaluer le poids ˆ attribuer ˆ chacun des intŽrts pris en compte. Or, en prŽcisant le sens de cette notion au fil de sa jurisprudence, la Cour a ŽtŽ amenŽe ˆ accorder une importance centrale au principe de pluralisme. Elle a commencŽ par Žvoquer de faon gŽnŽrale les idŽes de Ē pluralisme, tolŽrance et esprit dÕouverture sans lesquels il nÕest pas de Ē sociŽtŽ dŽmocratique Č Č[74]. Progressivement, elle a accordŽ une valeur autonome au concept de Ē pluralisme Č : les rŽfŽrences ˆ ce principe, considŽrŽ isolŽment, se sont multipliŽes dans la jurisprudence des annŽes 1990, en particulier dans les affaires concernant des minoritŽs religieuses, ethniques ou culturelles.

 

Dans des affaires portant sur la libertŽ religieuse, la Cour a dŽclarŽ ˆ plusieurs reprises que le pluralisme Žtait Ē consubstantiel Č ˆ la notion de sociŽtŽ dŽmocratique[75]. Dans lÕarrt Eglise mŽtropolitaine de Bessarabie c. Moldavie du 13 dŽcembre 2001, elle Žnonce explicitement les consŽquences qui en rŽsultent pour le contr™le de proportionnalitŽ. Les autoritŽs moldaves refusaient de reconna”tre lÕEglise mŽtropolitaine de Bessarabie, quÕelles accusaient dՐtre une formation schismatique de lÕEglise mŽtropolitaine de Moldavie. Faute de reconnaissance, cette Eglise Žtait, en vertu du droit moldave, empchŽe dÕexercer ses activitŽs. Il y avait donc ingŽrence dans sa libertŽ religieuse. Examinant la licŽitŽ de cette ingŽrence, la Cour dŽclare quÕest en jeu dans cette affaire Ē la nŽcessitŽ de maintenir un vŽritable pluralisme religieux, inhŽrent ˆ la notion de sociŽtŽ dŽmocratique. Č Et elle ajoute : Ē il convient dÕaccorder un grand poids ˆ cette nŽcessitŽ lorsquÕil sÕagit de dŽterminer, comme lÕexige le paragraphe 2 de lÕarticle 9, si lÕingŽrence rŽpond ˆ un Ē besoin social impŽrieux Č et si elle est Ē proportionnŽe au but lŽgitime visŽ Č Č[76]. Elle conclut que le refus de reconna”tre lÕEglise requŽrante a des consŽquences telles pour la libertŽ religieuse des requŽrants Ē quÕil ne saurait passer pour proportionnŽ au but lŽgitime poursuivi, ni, partant, pour nŽcessaire dans une sociŽtŽ dŽmocratique Č[77]. Il appara”t ainsi que lorsquÕune mesure de restriction a pour effet de porter atteinte au pluralisme, elle doit tre justifiŽe par des raisons particulirement forte pour tre considŽrŽe comme proportionnŽe au but poursuivi.

 

Les litiges impliquant des minoritŽs nationales ou culturelles ont fourni ˆ la Cour un autre terrain propice au dŽveloppement du principe de pluralisme. Dans lÕarrt Gorzelik et autres c. Pologne du 17 fŽvrier 2004, la Cour, rŽunie en Grande Chambre[78], consacre plusieurs paragraphes ˆ exposer le sens de ce principe et ses liens avec la notion de dŽmocratie[79]. Elle souligne que le pluralisme ne concerne pas seulement lÕexpression et lՎchange dÕidŽes en matire politique :

 

Ē [il] repose aussi sur la reconnaissance et le respect vŽritables de la diversitŽ et de la dynamique des traditions culturelles, des identitŽs ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idŽes et concepts artistiques, littŽraires et socio-Žconomiques. Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identitŽs diffŽrentes est essentielle ˆ la cohŽsion sociale. Č[80]

 

Citant le prŽambule de la Convention-cadre pour la protection des minoritŽs nationales, elle ajoute quÕ Ē une sociŽtŽ pluraliste et vŽritablement dŽmocratique doit non seulement respecter lÕidentitŽ ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant ˆ une minoritŽ nationale, mais Žgalement crŽer des conditions propres ˆ permettre dÕexprimer, de prŽserver et dŽvelopper cette identitŽ Č[81]. En lÕespce, elle conclut toutefois ˆ lÕabsence de violation. Les requŽrants allŽguaient quÕen refusant dÕenregistrer leur association dŽnommŽe Ē lÕUnion des personnes de nationalitŽ silŽsienne Č, les autoritŽs polonaises avaient portŽ atteinte ˆ leur droit ˆ la libertŽ dÕassociation garanti ˆ lÕarticle 11. Selon ses statuts, cette  association avait pour but de rŽtablir et promouvoir la culture silŽsienne. Mais le gouvernement faisait valoir, pour sa dŽfense, que lÕarticle 30 des statuts, en qualifiant lÕassociation dÕĒ organisation de la minoritŽ nationale silŽsienne Č, laissait entendre que les requŽrants tentaient en rŽalitŽ dÕobtenir, par le biais de la procŽdure dÕenregistrement, la reconnaissance implicite de la qualitŽ de Ē minoritŽ nationale Č, ce qui leur aurait permis de bŽnŽficier des droits attachŽs ˆ ce statut par la loi Žlectorale. Il affirmait que les requŽrants auraient pu obtenir lÕenregistrement de leur association sÕils avaient acceptŽ de modifier lÕarticle litigieux, ce quÕils avaient refusŽ. Compte tenu des particularitŽs du droit polonais, la Cour juge cette  explication convaincante : le refus ne constituait pas Ē une mesure gŽnŽrale et absolue dirigŽe contre les buts culturels et pratiques Č de lÕassociation mais visait uniquement Ē ˆ contrer un abus particulier Č. Ds lors, la restriction au droit des requŽrants ˆ la libertŽ dÕassociation Ē nÕa en aucun cas constituŽ un dŽni de lÕidentitŽ ethnique et culturelle distinctive des SilŽsiens ou mŽconnu le but premier de lÕassociation Č et lui para”t proportionnŽe au but poursuivi[82].

 

3. LÕinterprŽtation de certains termes dŽfinissant lÕobjet de la protection

 

 

Troisime cas de figure, les facteurs culturels peuvent entrer en ligne de compte dans lÕinterprŽtation de certains termes utilisŽs dans la Convention. Dans la plupart des affaires, lÕarrire-plan culturel qui conditionne la lecture de la Convention par les juges reste bien entendu implicite. Mais dans certains cas, la Cour a ŽtŽ amenŽe ˆ discuter explicitement de lÕincidence de certaines spŽcificitŽs culturelles propres au pays ou aux individus concernŽs, sur le sens de certaines notions, en particulier celle de Ē vie familiale Č et, de faon plus inattendue, celle de Ē traitement dŽgradant Č.

 

Selon lÕarticle 3 de la Convention, Ē nul ne peut tre soumis ˆ la torture ni ˆ des peines ou traitements inhumains ou dŽgradants Č. Cette prohibition a en principe un caractre absolu, aucune limitation ni dŽrogation nÕest permise, mme en cas de danger public menaant la vie de la nation[83]. Il nÕest pas toujours aisŽ cependant de dŽterminer si une peine ou un traitement peut tre qualifiŽ de Ē dŽgradant Č  au sens de lÕarticle 3. Suivant la Cour, lÕapprŽciation du seuil de gravitŽ quÕun mauvais traitement doit atteindre pour entrer dans le champ de lÕarticle 3 Ē est relative par essence ; elle dŽpend de l'ensemble des donnŽes de la cause, notamment de la durŽe du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'‰ge, de l'Žtat de santŽ de la victime, etc. Č[84]. La qualification de Ē dŽgradant Č peut aussi tre fonction de la manire dont le traitement est peru, par la personne qui en est victime ou par la sociŽtŽ environnante. Cette question a ŽtŽ soulevŽe dans lÕaffaire Tyrer c. Royaume-Uni. Le gouvernement britannique soutenait que lÕusage de ch‰timents judiciaires corporels ˆ lÕencontre des jeunes dŽlinquants sur lՔle de Man ne pouvait tre considŽrŽ comme un traitement dŽgradant car il ne choquait pas Ē lÕopinion publique locale Č[85]. La Cour rejette cet argument :

 

Ē ˆ supposer mme que celle-ci puisse avoir une incidence sur l'interprŽtation du concept de Ē peine dŽgradante Č [É] la Cour ne considre pas comme Žtabli que les habitants de l'”le favorables au maintien de ce ch‰timent ne le jugent pas dŽgradant : l'une des raisons pour lesquelles ils y voient un moyen efficace de dissuasion rŽside peut-tre prŽcisŽment dans son aspect dŽgradant. Č[86]
 
 

Il appara”t dans ce passage que si la Cour Žcarte lÕargument, cÕest quÕelle lÕestime non ŽtayŽ par les faits : il nÕest pas avŽrŽ que la population de lՔle ne considre pas les punitions corporelles comme dŽgradantes. Elle laisse donc ouverte la question de savoir si, au cas o la population aurait rŽellement considŽrŽ le traitement comme Ē non dŽgradant Č, cet ŽlŽment aurait pu avoir une incidence sur sa propre apprŽciation. LÕarrt Campbell et Cosans c. Royaume-Uni semble y rŽpondre par lÕaffirmative. AppelŽe ˆ dŽterminer si lÕusage des ch‰timents corporels dans les Žcoles Žcossaises Žtait contraire ˆ lÕarticle 3, la Cour souligne que ceux-ci Ē correspondent ˆ une tradition dans les Žcoles Žcossaises Č et quÕ Ē une forte majoritŽ des parents y semble dÕailleurs favorable Č. Toute en prŽcisant que Ē la menace dÕune mesure donnŽe ne sort pas de la catŽgorie du Ē dŽgradant Č, au sens de lÕarticle 3 [É] par cela seul quÕil sÕagit dÕune mesure consacrŽe par un long usage, voire en gŽnŽral approuvŽe [É] Č, elle conclut que, Ē eu Žgard notamment ˆ la situation existant ainsi en Ecosse Č, il nÕest pas Žtabli Ē que les Žlves dÕune Žcole o lÕon recourt ˆ de telles punitions soient en raison du simple risque dÕen subir une, humiliŽs ou avilis aux yeux dÕautrui au degrŽ voulu ou ˆ un degrŽ quelconque Č[87].

 

La notion de Ē famille Č appara”t ˆ lÕarticle 12, qui consacre le droit Ē de se marier et de fonder une famille Č, mais cÕest surtout dans le contexte de lÕarticle 8, qui garantit le droit au respect de la Ē vie familiale Č, que les problmes dÕinterprŽtation se sont prŽsentŽs. Il arrive rŽgulirement, lorsque le droit au respect de la vie familiale est invoquŽ, que les Etats contestent lÕexistence mme dÕune Ē vie familiale Č entre les requŽrants, leur dŽniant par consŽquent la possibilitŽ de se prŽvaloir de ce droit. Dans cette optique, ils se rŽfrent souvent ˆ une conception Ē traditionnelle Č de la famille. Les requŽrants, de leur c™tŽ, dŽfendent une interprŽtation large de cette notion, se prŽvalant des Ē pratiques sociales Č rŽelles. La Cour a adoptŽ une position souple, sÕefforant dÕinterprŽter la notion de famille en fonction de lՎvolution des mĻurs dans les sociŽtŽs europŽennes[88]. Elle considre en effet que Ē lÕinstitution de la famille nÕest pas figŽe, que ce soit sur le plan historique, sociologique ou encore juridique. Č[89] Elle a commencŽ par affirmer, dans lÕarrt Marckx, que le concept de Ē vie familiale Č visŽ ˆ lÕarticle 8 nՎtait pas limitŽ ˆ la famille fondŽe sur le mariage mais valait Žgalement pour la famille Ē naturelle Č[90]. Elle a par la suite prŽcisŽ que les liens familiaux incluaient des relations de couple stables lorsque les parties vivent ensemble, sans toutefois que la cohabitation soit une exigence stricte[91]. Elle a Žgalement admis quÕune femme, un transsexuel femme-homme avec lequel elle vivait en couple, et un enfant nŽ par insŽmination artificielle constituaient une famille de facto[92]. Refusant toute dŽfinition formelle et rigide de la notion de famille, la Cour considre que lÕexistence dÕune Ē vie familiale Č doit sÕapprŽcier en fonction des faits de lÕespce, en tenant compte dÕun ensemble de circonstances[93].

 

La notion de vie familiale a connu un dŽveloppement intŽressant sur un autre plan. La Cour a parfois ŽtŽ amenŽe ˆ prendre en compte les traditions non plus de la sociŽtŽ en gŽnŽral, mais dÕun groupe culturel spŽcifique auquel appartenaient les requŽrants. CÕest surtout dans les affaires ayant trait au mode de vie tsigane que ce cas de figure sÕest prŽsentŽ[94]. Les requŽrants se plaignaient dՐtre empchŽs, en vertu du droit britannique, de vivre en caravane conformŽment ˆ leurs traditions. Or, dans lÕarrt Chapman c. Royaume-Uni du 18 janvier 2001, pour dŽterminer si, comme le soutenait la requŽrante, les mesures contestŽes affectaient non seulement son droit au respect de son domicile mais Žgalement au respect de sa vie privŽe et de sa vie familiale, la Cour accepte de tenir compte de la signification particulire de la vie en caravane pour une personne appartenant ˆ la communautŽ rom :  

 

Ē La Cour considre que la vie en caravane fait partie intŽgrante de l'identitŽ tsigane de la requŽrante car cela s'inscrit dans la longue tradition du voyage suivie par la minoritŽ ˆ laquelle elle appartient. [...] Des mesures portant sur le stationnement des caravanes de la requŽrante n'ont donc pas seulement des consŽquences sur son droit au respect de son domicile, mais influent aussi sur sa facultŽ de conserver son identitŽ tsigane et de mener une vie privŽe et familiale conforme ˆ cette tradition Č[95].

 

LÕinterprŽtation de la notion de Ē vie familiale Č ne reprŽsente toutefois quÕune premire Žtape dans lÕanalyse de la Cour : la souplesse de son approche ˆ cet Žgard nÕimplique pas que lÕissue de lÕaffaire sera nŽcessairement favorable au requŽrant. Ainsi, dans les affaires concernant le mode de vie tsigane, aprs avoir admis que les mesures Žtatiques entravant la vie en caravane constituaient une ingŽrence dans la vie privŽe et familiale des requŽrants, la Cour a nŽanmoins estimŽ que cette restriction aux droits des requŽrants satisfaisaient aux conditions de licŽitŽ fixŽes par la Convention.

 

Conclusion

 

La jurisprudence de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme que nous venons dÕexaminer brise avec lÕidŽe classique dÕune opposition radicale entre respect des droits de lÕhomme et respect des diffŽrences culturelles. Appliquer les droits ŽnoncŽs dans la Convention ne consiste pas nŽcessairement ˆ imposer des solutions uniformes et invariables, en ignorant les facteurs culturels. A lÕinverse, la prise en considŽration de certaines spŽcificitŽs culturelles ne signifie pas forcŽment que lÕon subordonne lÕinterprŽtation de la Convention aux particularismes nationaux, rŽgionaux ou communautaires et que lÕon dŽvalue les standards de protection.

 

Les choses sont plus complexes : les facteurs culturels ont, dans certaines affaires, une influence sur les raisonnements de la Cour. Mais cette influence varie de plusieurs points de vue. Elle peut porter sur diffŽrents moments du raisonnement : sur la dŽtermination de la marge dÕapprŽciation  laissŽe aux Etats, sur le contr™le de proportionnalitŽ ou encore sur lÕinterprŽtation de certains termes de la Convention. DÕautre part, lÕimpact des considŽrations culturelles dŽpend de lÕincidence des autres ŽlŽments pris en considŽration. Ils constituent un facteur contextuel parmi dÕautres, auquel la Cour a parfois Žgard pour apprŽcier la compatibilitŽ dÕune mesure avec la Convention, mais auquel elle nÕaccorde aucune prŽŽminence de principe. Quant ˆ savoir dans quel sens ces ŽlŽments orientent lÕapprŽciation de la Cour, on constate lˆ aussi des variations dÕune espce ˆ lÕautre : si dans certains cas ils sont de nature ˆ justifier des restrictions ˆ un droit garanti par la Convention, dans dÕautres, au contraire, ils sont invoquŽs par les requŽrants pour Žtayer lÕallŽgation de mŽconnaissance dÕun droit protŽgŽ.

 

LՎtude de cette jurisprudence conduit en outre ˆ remettre partiellement en question la corrŽlation souvent Žtablie entre droits de lÕhomme et uniformisation dÕune part, respect des cultures et dŽfense du pluralisme dÕautre part. LÕambigu•tŽ des rapports entre ces diffŽrentes notions appara”t tout particulirement lorsquÕon examine le fonctionnement de la marge dÕapprŽciation. La reconnaissance dÕune marge Žtendue dans les matires Ē culturellement sensibles Č semble a priori contribuer ˆ la prŽservation de la diversitŽ culturelle puisquÕelle laisse ˆ lÕEtat le soin dՎtablir un juste Žquilibre entre les particularitŽs culturelles de la sociŽtŽ quÕil reprŽsente et les exigences des droits humains. Mais en limitant ainsi son contr™le, la Cour conforte le pouvoir homogŽnŽisant de lÕEtat, qui se voit autorisŽ ˆ imposer ˆ lÕensemble de la population la conception de la morale ou de la religion quÕil estime conforme aux spŽcificitŽs nationales[96]. De ce point de vue, on peut estimer que cÕest en exerant un contr™le strict du respect des droits tels que la libertŽ dÕexpression, la libertŽ dÕassociation ou le droit ˆ la vie privŽe, que la Cour protge le mieux la diversitŽ, car elle garantit aux individus le droit de contester les normes que les autoritŽs pourraient prŽtendre appliquer ˆ tous au nom des traditions. De mme, lorsque la Cour Žtablit sa propre interprŽtation de la notion de Ē vie familiale Č, Žcartant celle dŽfendue par lÕEtat, il est tentant de considŽrer quÕelle contraint les Etats ˆ adopter une conception uniforme du concept de Ē famille Č. Cependant, lorsquÕils interprtent ce terme, les juges sÕefforcent de reflŽter la pluralitŽ des pratiques sociales et culturelles rŽelles, alors que les gouvernements leur opposent gŽnŽralement une dŽfinition rigide et restrictive de la notion de Ē famille Č.

 

Il appara”t ds lors que lÕapplication des droits de lÕhomme par la Cour ne consiste pas ˆ imposer aux systmes juridiques nationaux des normes dŽfinies de manire autoritaire et abstraite au niveau europŽen. LÕaction de la Cour sÕinscrit dans un processus complexe de discussions, de questionnements, de contestations auquel participent une multitude dÕacteurs aux niveaux national et international : requŽrants et gouvernements, certes, mais aussi les juges nationaux, les institutions politiques, les mouvements de la sociŽtŽ civile, et au-delˆ, dÕautres juridictions ou organisations internationales. Le travail dÕinterprŽtation et dÕargumentation auquel se livrent les juges de Strasbourg se nourrit des idŽes, des arguments, des analyses qui sՎchangent, sÕaffrontent et interagissent dans ces multiples cŽnacles. Les arrts de la Cour eux-mmes viennent ˆ leur tour alimenter et renouveler ces dŽbats[97]. CÕest ˆ travers ce rŽseau dՎchanges et de dialogues critiques que le sens des droits de lÕhomme se construit et se transforme en permanence.

 



* Cet article est issu dÕune communication prŽsentŽe en anglais ˆ lÕUniversitŽ de Birbeck, ˆ Londres, en juin 2003, ˆ lÕoccasion dÕun sŽminaire sur le thme The New International Law. Nous remercions vivement les participants ˆ ce sŽminaire pour leurs rŽactions et commentaires, en particulier les Professeurs S. Marks et C. Douzinas. La traduction du texte en franais a ŽtŽ rŽalisŽe par Julie Ringelheim. Nous remercions  Foulek Ringelheim pour sa relecture du texte franais.

** Docteur de lÕInstitut Universitaire EuropŽen de Florence et Assistant Professor ˆ la Pontif’cia Universidade Cat—lica do Rio de Janeiro [PUC-Rio] (courriel : hoffmann@rdc.puc-rio.br).

*** Doctorante ˆ lÕInstitut Universitaire EuropŽen de Florence et chercheuse au Centre de Philosophie du Droit de lÕUniversitŽ Catholique de Louvain (courriel : julie.ringelheim@iue.it).  

[1] C. Geertz, Ē The Uses of Diversity Č, in Available Light: Anthropological Reflections on Philosophical Topics, Princeton, Princeton University Press, 2000, pp. 68-88, p. 85.

[2] Sur les origines du relativisme culturel, voy. not. F. Boas, Ē The Mind of Primitive Man Č, Journal of American Folklore, vol. 14, 1901, pp. 1-11 et Ē Liberty Among Primitive People Č, in E. Anshen (ed.), Freedom: its Meaning, New York, Harcourt Brace, 1940, pp. 375-380 ; R. Benedict, Patterns of Culture, Boston, Houghton Mifflin, 1934 ; M. Herskovits, Cultural Relativism: Perspective in Cultural Pluralism, New York, Random House, 1972 ; D. Bidney, Ē Cultural Relativism Č, in D. Sills (ed.) International Encyclopedia of the Social Sciences, New York, Cromwell Collier & Macmillan, 1968 ; I. Lazari-Pawlowska, Ē On Cultural Relativism Č, 67 Journal of Philosophy, 1970, pp. 577-583. Voy. aussi American Anthropological Association, Ē Statement on Human Rights Č, American Anthropologist, vol. 49, n”4, 1947, pp. 539 et s. et K. Engle, Ē From Skepticism to Embrace: Human Rights and the American Anthropological Association From 1947-1999 Č, in 23 Human Rights Quaterly, 2001, pp. 536-559. Sur le dŽbat actuel, voy., de faon gŽnŽrale J. Donnelly, Ē Cultural Relativism and Universal Human Rights Č, in 6 Human Rights Quarterly vol. 4, n”6, 1984, pp. 401 et s. ; A. D. Renteln, International Human Rights: Universalism versus Relativism, Newbury Park, Sage Publications, 1990, pp. 61-87 ; E. Brems, Human Rights: Universality and Diversity, Martinus Nijhoff, The Hague/Boston/London, 2001 ; R. Howard, Ē Cultural Absolutism and The Nostalgia for Community Č, in 15 Human Rights Quarterly (1993), pp. 315-338 et Ē Occidentalism, Human Rights, and the Obligations of Western Scholars Č, in 29 Canadian Journal of African Studies 1 (1995) et H. Bielefeld, Ē Ein Ōvon allen Všlkern und Nationen zu erreichendes gemeinsames IdealÕ: der Streit um die UniversalitŠt der Menschenrechte Č, in Amnesty International (ed.), Menschenrechte im Umbruch: 50 Jahre Allgemeine ErklŠrung de Menschenrechte, Neiwied, Luchterhand, 1998 et, bien entendu, le magistral C. Geertz, Ē Anti Anti-Relativism Č, in Available Light: Anthropological Reflections on Philosophical Topics, op. cit., pp. 42-67.

[3] S. E. Merry, Ē Changing Rights, Changing Culture Č, in Jane K. Cowan, Marie-Benedicte Dembour, and Richard A. Wilson (eds.), Culture and Rights: anthropologial perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 35.

[4] Idem, p. 41.

[5] Ibidem.

[6] Voy., par exemple, R. Aunger, Ē Against Idealism/Contra Consensus Č, in 40 Current Anthropology, Special Issue supplement  Ē Culture Š a second chance ? Č (Feb. 1999), S93-S101 ; R. Brightman, Ē Forget Culture: Replacement, Transcendence, Relexification Č, in 10 Cultural Anthropology 4 (1995), 509-546; E. P. Ewing, Ē The Illusion of Wholeness Š culture, self, and the experience of inconsistency Č, in 18 Ethos 3 (Sept. 1991), 251-278; J. Kahn, Ē Culture Š demise or resurrection Č, in 9 Critique of Anthropology 2 (1989), 5-25 ; M. Sokefeld, Ē Debating Self, Identity, and Culture in Anthropology Č, in 40 Current Anthropology 4 (Aug.-Oct. 1999), 417-447.

[7] Voy., par exemple, J.L. Amselle, P. Harris, A. Spiegel, R.J. Thornton, P. Davison, Ē Tension within Culture Č, in 18 Social Dynamics 1 (1992), 42-57 ; F. Barth, Ē The Analysis of Culture in Complex Societies Č, in 54 Ethnos (1989), p. 120 ; L. Bach, N. Glick Schiller, C. Szanton Blanc, Nations Unbound Š transnational projects, postcolonial predicaments, and deterritorialized nation states, Gordon and Breach, 1993; N. G. Canclini, Hybrid Cultures Š strategies for entering and leaving modernity, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995 ; R. Rosaldo, Culture and Truth: the remaking of social science, Boston, Beacon Press, 1989; P. Werbner, T. Modood, (eds.), Debating Cultural Hybridity: Multcultural Identities and the Politics of Anti-Racism, Princeton, Princeton University Press, 1996.

[8] J. Cowan et al , op. cit., pp. 9-11.

[9] On sait en effet que les dŽfenseurs des Ē valeurs asiatiques Č sont, au moins en partie, des reprŽsentants  des gouvernements chinois ou singapourien. Or, ces deux gouvernements se prŽvalent volontiers de la dŽfense de la culture nationale pour lŽgitimer la rŽpression de tout mouvement de contestation politique ou sociale, quÕils accusent dՐtre le produit de cultures Žtrangres. Voy. par exemple B. Kausikan, Ē AsiaÕs Different Standard Č, Foreign Policy vol. 92, 1993, p. 24 ; White Paper on human rights Ē Human Rights in China Č, publiŽ par lÕInformation Office of the State Council, Beijing, 1991, reproduit dans P. Alston and H. Steiner, International Human Rights In Context, Oxford, Oxford University Press, 2000, pp. 547-549. Pour une analyse critique de ce dŽbat, voy. O. De Schutter, Ē UniversalitŽ des Droits de l'Homme et mondialisation : la question des Ē valeurs asiatiques Č Č, in Th. Marrs et Paul Servais (Žd.), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue possible ?, Rencontre Orient-Occident, Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2002, pp. 23-43 ; E. Brems, Human Rights: Universality and Diversity, Martinus Nijhoff, The Hague/Boston/London, 2001 et Y. Ghai, Ē Human Rights and Governance: the Asia debate Č, in Australian Yearbook of International Law, vol. 15, no.1, 1994, p. 5.

[10] J. Cowan et al , op. cit., pp. 7 et s.

[11] R. Rorty, citŽ par R. Mullerson in Human Rights Diplomacy, London, Macmillan, 1997; Žgalement citŽ par A. G. MacGrew, Ē Human Rights in a Global Age: coming to terms with globalisation Č, in Tony Evans (ed.), Human  Rights Fifty Years On Š A Reappraisal, Manchester, Manchester University Press, 1998.

[12] On se rŽfre ici au concept ŽlaborŽ par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe in Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics, London/NY, Verso, 1986.

[13] S. E. Merry, op. cit., p. 49

[14] Cette approche sÕinscrit dans la logique du paradigme du Ē droit en rŽseau Č dont Franois Ost et Michel van de Kerchove ont dŽcrit lՎmergence dans leur ouvrage De la pyramide au rŽseau ? Pour une thŽorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des facultŽs universitaires Saint-Louis, 2002. LÕimage de la Ē spirale Č est empruntŽe ˆ ces auteurs, qui lÕutilisent dans leur analyse du processus dÕinterprŽtation des textes : Ē Tout se passe comme si un rapport dÕauto-engendrement sՎtablissait entre texte, auteur et lecteur, quelque chose comme une auto-transcendance au terme de laquelle le texte est produit par lÕauteur et le lecteur, en mme temps quÕil contribue lui-mme ˆ les produire. Dans la tradition hermŽneutique, ces paradoxes sont reprŽsentŽs par la figure du cercle (hermŽneutique) ; une telle circularitŽ nÕappara”tra ni vicieuse ni stŽrile ˆ la condition de se la reprŽsenter sur le mode de lÕouverture : une spirale, en somme, plut™t quÕun cercle. Ainsi peuvent tre pensŽes ˆ la fois lÕouverture toujours possible de lÕinterprŽtation [É] et sa nŽcessaire inscription dans lÕordre de lÕintentio operis. Č (op. cit., pp. 405-406).

[15] Dans le mme sens, voy. Nader Chokr, Ē Human Rights: Beyond Universalism and Cultural Relativism Š Toward a Contextual, Dynamic, and Cross-cultural Approach Č, 1999, p. 27, article diffusŽ sur Internet, ˆ lÕadresse suivante : <http://www.rd-inc.com/HumanRights.doc.>. 

[16] Sur lÕidŽe dÕhybridation du local et du global, voy. en particulier James Clifford, The Predicament of Culture: Twentieth Century Anthropology, Literature, and Art, Cambridge, Harvard University Press, 1988 et Homi Bhabha, The Location of Culture, New York, Routledge, 1994.

[17] En ce sens, J. Cowan et al, op. cit., p. 6. Comp. avec les critiques de Ch. Eberhard vis-ˆ-vis du Ē paradigme universalisme/relativisme Č : Droits de lÕhomme et dialogue interculturel, Paris, Editions des Ecrivains, 2002, pp. 100-114.

[18] Art. 33 et 34 de la Convention. Dans le texte initial de la Convention, la possibilitŽ pour les individus dÕintroduire des requtes devant la Cour Žtait subordonnŽe ˆ une dŽclaration en ce sens des Etats signataires. Le droit de recours individuel ne pouvait tre invoquŽ quՈ lÕencontre des Etats qui l'avaient reconnu. Mais cette reconnaissance est devenue obligatoire en application du protocole n”11 ˆ la Convention, qui rŽforme lÕensemble des mŽcanismes de contr™le de la Convention.

[19] Soulignons que la Charte des droits fondamentaux de lÕUnion europŽenne, comporte, quant ˆ elle, un article 22 qui Žnonce : Ē lÕUnion respecte la diversitŽ culturelle, religieuse et linguistique Č.

[20] PrŽambule, 5me paragraphe.

[21] Id., 3me paragraphe.

[22] Contrairement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adoptŽ par lÕAssemblŽe gŽnŽrale des Nations Unies en 1966, qui contient un article 27 aux termes duquel, Ē [d]ans les Etats o il existe des minoritŽs ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant ˆ ces minoritŽs ne peuvent tre privŽes du droit dÕavoir leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou dÕemployer leur propre langue Č. Dans la Convention, la notion dÕappartenance ˆ une Ē minoritŽ nationale Č nÕest mentionnŽe quՈ lÕarticle 14, parmi les critres prohibŽs de discrimination dans la jouissance des droits garantis. Sur la question des minoritŽs dans les travaux prŽparatoires de la Convention, voy. Ch. Hillgruber et M. Jestaedt, The European Convention on Human Rights and the Protection of National Minorities, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1994, pp. 13-21 et H. Lannung, Ē The Rights of Minorities Č, in MŽlanges offerts ˆ Polys Modinos Š Problmes des droits de lÕhomme et de lÕunification europŽenne, Paris, Pedone, 1968, pp. 181-195.

[23] Le nombre dÕEtats parties ˆ la Convention a considŽrablement augmentŽ au cours des annŽes. En avril 2004, il sՎlevait ˆ 45 : lÕAlbanie, lÕAllemagne, Andorre, lÕArmŽnie, lÕAutriche, lÕAzerba•djan, la Belgique, la Bosnie-HerzŽgovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, lÕEspagne, lÕEstonie, lÕEx-RŽpublique yougoslave de MacŽdoine, le Danemark, la Finlande, la France, la GŽorgie, la Grce, la Hongrie, lÕIslande, lÕIrlande, lÕItalie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Moldavie, la Norvge, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la RŽpublique tchque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, la Serbie-MontŽnŽgro, la Slovaquie, la SlovŽnie, la Sude, la Suisse, la Turquie et lÕUkraine.

[24] Dans lÕune des premires affaires dont elle a eu ˆ conna”tre, la Cour affirme ainsi quÕen recherchant sÕil y a eu violation de la Convention,  elle ne peut ignorer les Ē donnŽes de droit et de fait caractŽrisant la vie de la sociŽtŽ dans lÕEtat qui, en qualitŽ de Partie Contractante, rŽpond de la mesure contestŽe Č. (Cour eur. dr. h., Affaire relative ˆ certains aspects du rŽgime linguistique de l'enseignement en Belgique, arrt du 23 juillet 1968, SŽrie A, n”6, I, B, ¤10). Tous les arrts de la Cour peuvent tre consultŽs sur Internet, ˆ lÕadresse suivante  : <http://hudoc.echr.coe.int>.

[25] Art. 8 et 12 de la Convention.

[26] Art. 12 de la Convention. 

[27] H. C. Yourow, The Margin of Appreciation Doctrine in the Dynamics of European Human Rights Jurisprudence, The Hague/Boston/London, Kluwer Law International, 1996, p. 13.

[28] A.-D. Olinga et C. Picheral, Ē La thŽorie de la marge dÕapprŽciation dans la jurisprudence rŽcente de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme Č, Rev. trim. dr. h., 1995, p. 567-604, p. 569.

[29] G. van der Meersch, Ē Le caractre Ē autonome Č des termes et la Ē marge dÕapprŽciation Č des gouvernements dans lÕinterprŽtation de la Convention europŽenne des Droits de lÕHomme Č, in F. Matscher and H. Petzold (eds), Protecting Human Rights : the European Dimensions Š Studies in honour of GŽrard J. Wiarda, Koln-Berlin-Bonn-MŸnchen, Carl Heymanns Verlag KG, 1988, pp. 201-220, p. 210.

[30] A.-D. Olinga et C. Picheral, op. cit., p. 567.

[31] Voy. en particulier E. Brems, op. cit., pp. 357-422 ; D. L. Donoho, Ē Autonomy, Self-Governance, and the Margin of Appreciation: Developing a Jurisprudence of Diversity Within Universal Human Rights Č, 15 Emory IntÕl L. Rev., Fall 2001, pp. 391-466 ; P. Mahoney, Ē Marvellous Richness of Diversity or Invidious Cultural Relativism ? Č, H.R.L.J., vol. 19, No. 1, 1998, pp. 1-6 ; M. Delmas-Marty, Ē Pluralisme et traditions nationales (revendication des droits individuels) Č in P. Tavernier (dir.), Quelle Europe pour les droits de l'homme ? La Cour de Strasbourg et la rŽalisation d'une "union plus Žtroite" (35 annŽes de jurisprudence : 1959-1994), Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 81-92 ; E. Kastanas, UnitŽ et diversitŽ: notions autonomes et marge dÕapprŽciation des Etats dans la jurisprudence de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme, Bruxelles, Bruylant, 1996 et Ph. Alston, Ē The Best Interest Principle: Towards a Reconciliation of Culture and Human Rights Č, in Ph. Alston (ed.), The Best Interest of the Child. Reconciling Culture and Human Rights, Unicef, Oxford, Clarendon Paperbacks, 1994, pp. 1-25, p. 20.

[32] En ce sens, S. Van Drooghenbroeck, La proportionnalitŽ dans le droit de la Convention europŽenne des droits de lÕhomme, Prendre lÕidŽe simple au sŽrieux, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 500 et J. Schokkenbroek, Ē The Basis, Nature and Application of the Margin-of-Appreciation Doctrine in the Case-Law of the European Court of Human Rights - General Report Č, H.R.L.J., Vol. 19, No. 1, 1998, pp. 30-36, p. 36.

[33] Cour eur. dr. h., Handyside c. Royaume-Uni, arrt du 7 dŽcembre 1976.

[34] Arrt Handyside, ¤ 48. La rgle de la subsidiaritŽ du mŽcanisme de contr™le instaurŽ par la Convention par rapport aux systmes nationaux, se dŽduit de trois dispositions de la Convention : lÕarticle 1, aux termes duquel les parties contractantes reconnaissent ˆ toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertŽs dŽfinis dans la Convention ; lÕarticle 13, en vertu duquel toute personne dont les droits et libertŽs reconnus dans la Convention ont ŽtŽ violŽs a droit ˆ un recours effectif devant une instance nationale et lÕarticle 35, selon lequel la Cour ne peut tre saisie quÕaprs Žpuisement des voies de recours internes. A ce sujet, voy. not. S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 494.

[35] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., pp. 496-500.

[36] Arrt Handyside, ¤ 48.

[37] Ē 1. Toute personne a droit ˆ la libertŽ d'expression. [É]. 2. L'exercice de ces libertŽs comportant des devoirs et des responsabilitŽs peut tre soumis ˆ certaines formalitŽs, conditions, restrictions ou sanctions prŽvues par la loi, qui constituent des mesures nŽcessaires, dans une sociŽtŽ dŽmocratique, ˆ la sŽcuritŽ nationale, ˆ l'intŽgritŽ territoriale ou ˆ la sžretŽ publique, ˆ la dŽfense de l'ordre et ˆ la prŽvention du crime, ˆ la protection de la santŽ ou de la morale, ˆ la protection de la rŽputation ou des droits d'autrui, pour empcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autoritŽ et l'impartialitŽ du pouvoir judiciaire. Č.

[38] Arrt Handyside, ¤ 48.

[39] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 509. Comp. avec R. Sapienza, Ē Sul margine d'apprezzamento statale nel sistema della Convenzione europea dei diritti dell'uomo Č, Riv. dir. intern., 1991, pp. 571-614. Cet auteur analyse la marge dÕapprŽciation comme la rŽponse dŽveloppŽe par la Cour au problme des Ē notions indŽterminŽes Č dans les systmes juridiques, cÕest-ˆ-dire des expressions utilisŽes dans un texte juridique, mais dont le sens ne peut tre pleinement dŽterminŽ quÕen se rŽfŽrant ˆ des ŽlŽments extra-juridiques, tels que les circonstances de fait ou des rgles sociales.

[40] S. Van Drooghenbroeck, op. cit., p. 500. Voy. Žgalement P. Wachsmann, Ē Une certaine marge dÕapprŽciation Š ConsidŽrations sur les variations du contr™le europŽen en matire de libertŽ dÕexpression Č, in Les droits de lÕhomme au seuil du 3me millŽnaire Š MŽlanges en homage ˆ Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 1017-1042, p. 1030.

[41] DŽjˆ dans lÕaffaire Otto-Preminger-Institut, la Cour avait Žtendu le raisonnement appliquŽ dans lÕarrt Handyside aux restrictions ˆ la libertŽ dÕexpression justifiŽes par la dŽfense des Ē sentiments religieux Č de la population. Dans lÕarrt Otto-Preminger toutefois, la justification Žtait calquŽe sur celle de lÕarrt Handyside : observant quÕ Ē il nÕest pas possible de discerner ˆ travers lÕEurope une conception uniforme de la signification de la religion dans la sociŽtŽ Č, la Cour dŽcide que Ē les autoritŽs nationales doivent disposer d'une certaine marge d'apprŽciation pour dŽterminer l'existence et l'Žtendue de la nŽcessitŽ de pareille ingŽrence Č (Cour eur. dr. h., Otto-Preminger-Institut c. Autriche, arrt du 20 septembre 1994, SŽrie A 295, ¤ 50).

[42] Wingrove c. Royaume-Uni, arrt du 25 novembre 1996, Recueil 1996-V, vol. 33, ¤ 58, notre accent.

[43] Ibid.

[44] Cour eur. dr. h., Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, arrt du 30 juillet 1998, ¤ 58, notre accent. Voy. aussi Cour eur. dr. h., X, Y et Z c. the Royaume-Uni, arrt du 22 avril 1997, ¤52.

[45] Opinion dissidente du Juge Mertens jointe ˆ lÕarrt Cossey c. the Royaume-Uni du 27 septembre 1990, SŽrie A n”184, ¤ 3.6.4, notre accent.

[46] Opinion dissidente du juge Pettiti jointe ˆ lÕarrt B. c. France, du 25 mars 1992, SŽrie A n”232 C, notre accent. Voy. aussi lÕopinion dissidente du Juge Pinheiro Farinha : Ē je crois que la rŽglementation lŽgale du transsexualisme reste de la compŽtence de chaque Etat - compte tenu des moeurs et des traditions, bien que les avis des experts mŽdicaux et scientifiques diffrent Č (¤9).

[47] Arrt Handyside, ¤49.

[48] Cour eur. dr. h., Open Door et Dublin Well Women c. lÕIrlande, arrt du 29 octobre 1992, SŽrie A, n”246-A, ¤68. Sur ce point, voy. S. Van Drooghenbroeck, op. cit., pp. 505-506.

[49] Comme lÕont soulignŽ les commentateurs, la mŽthode appliquŽe par la Cour pour Žtablir lÕexistence dÕun tel consensus est toutefois assez approximative. Les juges se livrent rarement ˆ une comparaison approfondie du droit de lÕensemble des Etats parties. (Voy. L. R. Helfer, Ē Consensus, Coherence and the European Convention on Human Rights Č, Cornell Int'l L. J., Vol. 26, 1993, pp. 133-165 et T. H. Jones, Ē The Devaluation of Human Rights Under the European Convention Č, Public Law, 1995, pp. 430-449, p. 440.) Soulignons cependant quÕil ne sÕagit pas pour la Cour de calquer lÕinterprŽtation de la Convention sur le droit et les pratiques de lÕensemble des Etats membres. Le constat dÕun Ē consensus Č Žmergeant des divers systmes juridiques nationaux et internationaux, doit plut™t sÕanalyser comme lÕobservation par la Cour de tendances gŽnŽrales qui confortent une certaine interprŽtation de la Convention, contribuant ˆ dissiper ses doutes ˆ cet Žgard. En dÕautres termes, le fait quÕun grand nombre dÕEtats parties ait adoptŽ des solutions similaires est considŽrŽ par la Cour comme une forte indication de la validitŽ dÕune certaine interprŽtation des exigences de la Convention, qui vient confirmer dÕautres arguments en ce sens.

[50] Voy. F. Rigaux, Ē InterprŽtation consensuelle et interprŽtation Žvolutive Č, in F. Sudre (dir.), L'interprŽtation de la Convention europŽenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 41-62.

[51] Cour eur. dr. h., Tyrer c. Royaume-Uni, arrt du 25 avril 1978, SŽrie A no. 26, ¤ 31.

[52] Cour eur. dr. h., Marckx c. Belgique, arrt du 13 juin 1979, ¤ 41. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Inze c. Autriche, arrt du 28 octobre 1987, ¤¤ 42 et 44 et Cour eur. dr. h., Mazurek c. France, arrt du 1 fŽvrier 2000, ¤52.

[53] Cour eur. dr. h., Dudgeon c. Royaume-Uni, arrt du 22 octobre 1981, ¤ 60. Notons que le Juge Walsh, dans son opinion partiellement dissidente, conteste la pertinence de cet argument, en faisant valoir que les pays Ē qui forment le Conseil de l'Europe [...] embrassent des variŽtŽs considŽrables de cultures et de valeurs morales. Č (¤16). A ses yeux, Žtant donnŽ que la majoritŽ de la population dÕ Irlande du Nord est favorable au maintien des lois rŽprimant lÕhomosexualitŽ, lÕEtat devrait bŽnŽficier dÕune trs large marge dÕapprŽciation afin de rŽglementer la Ē morale sexuelle Č en accord avec Ē lՎthique de la collectivitŽ Č (¤¤14-15).

[54] Cour eur. dr. h., Rees c. Royaume-Uni, arrt du 17 octobre 1986, SŽrie A n”106, ¤ 47.

[55] Cour eur. dr. h., Goodwin c. Royaume-Uni, arrt du 11 juillet 2002, ¤85 et I. c. Royaume-Uni, arrt du 11 juillet 2002, ¤65.

[56] Arrts Goodwin c. Royaume-Uni, ¤ 84 et I. c. Royaume-Uni, ¤¤ 64.

[57] Cour eur. dr. h., F. c. Suisse, arrt du 18 dŽcembre 1987, SŽrie A 128, ¤ 33, notre accent.

[58] Id., ¤ 40.

[59] Ce critre a Žgalement ŽtŽ appliquŽ par la Cour pour marquer la limite de la marge de manĻuvre reconnue aux Etats dans le choix des mesures propres ˆ assurer la mise en Ļuvre de certains droits. Ainsi, dans le cadre du droit ˆ des Žlections libres, garanti par lÕarticle 3 du 1er protocole additionnel, la Cour reconna”t aux Etats une grande latitude pour Žtablir les rgles relatives ˆ lÕexercice du droit de vote et dՎligibilitŽ. Soulignant que ces rgles varient Ē en fonction des facteurs historiques et politiques propres ˆ chaque Etat Č, la Cour estime que Ē toute loi Žlectorale doit toujours s'apprŽcier ˆ la lumire de l'Žvolution politique du pays, de sorte que des dŽtails inacceptables dans le cadre d'un systme dŽterminŽ peuvent se justifier dans celui d'un autre. Č. Elle prŽcise que cette Ē marge de manĻuvre reconnue ˆ l'Etat est toutefois limitŽe par l'obligation de respecter le principe fondamental de l'article 3, ˆ savoir Ē la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps lŽgislatif Č Č (Cour eur. dr. h., Podkolzina c. Lettonie, arrt du 9 avril 2002, ¤ 33). Dans le mme ordre dÕidŽe, ˆ propos du droit ˆ lÕinstruction garanti par lÕarticle 2 du protocole additionnel n”1, la Cour remarque que ce droit Ē appelle de par sa nature mme une rŽglementation par l'Etat, rŽglementation qui peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communautŽ et des individus. Il va de soi qu'une telle rŽglementation ne doit jamais entra”ner d'atteinte ˆ la substance de ce droit, ni se heurter ˆ d'autres droits consacrŽs par la Convention. Č (Affaire relative ˆ certains aspects du rŽgime linguistique de l'enseignement en Belgique, I, B, ¤ 5, notre accent). Voy. E. Brems, op. cit., pp. 368-371.

[60] Arrt Dudgeon, ¤ 61.

[61] Arrt Dudgeon, ¤ 52. Voy. aussi les exemples citŽs par E. Brems, op. cit., p. 367.

[62] J. Schokkenbroek, op. cit., p. 35.

[63] Voy. not. T. H. Jones, op. cit. ; P. Wachsmann, op. cit. ; L. R. Helfer, op. cit. ; E. Benvenisti, Ē Margin of Appreciation, Consensus, and Universal Standards Č, N.Y.U. J. Int'l L. & Pol., Vol. 31, 1999, pp. 843-854.

[64] Sur lÕapplication du principe de proportionnalitŽ par la Cour europŽenne des droits de lÕhomme, voy. lՎtude approfondie de S. Van Drooghenbroeck, op. cit.. Sur le principe de proportionnalitŽ plus gŽnŽralement, voy. F. Ost et M. van de Kerchove, op. cit., pp. 431-443 ; O. De Schutter, Fonction de juger et droits fondamentaux Š Transformation du contr™le juridictionnel dans les ordres juridiques amŽricain et europŽen, Bruxelles, Bruylant, 1999, spŽc. pp. 5-43 et P. Martens, Ē LÕirrŽsistible ascension du principe de proportionnalitŽ Č, in PrŽsence du droit public et des droits de lÕhomme. MŽlanges offerts ˆ Jacques Velu, Bruxelles, Bruylant, t. I, 1992, pp. 49-68.

[65] E. Brems, op. cit., p. 363. S. Van Drooghenbroeck observe dÕailleurs que la distinction entre Ē marge dÕapprŽciaton Č et Ē contr™le de proportionnalitŽ Č nÕest pas toujours claire, la Cour tendant ˆ fonder ces deux analyses sur des critres identiques (op. cit., pp. 537-538).

[66] Van Dijk and Van Hoof, op. cit., p. 537.

[67] Cour eur. dr. h., Otto-Preminger-Institut c. Autriche, arrt du 20 septembre 1994, ¤ 56.

[68] Id., ¤ 57. Sur cet arrt, voy. not. les critiques de P. Wachsmann, Ē La religion contre la libertŽ dÕexpression : sur un arrt regrettable de la Cour europŽenne des droits de lÕhomme Č, 6 R.U.D.H., 1994, n”12, 441-449, p. 443 et F. Rigaux, Ē La libertŽ dÕexpression et ses limites Č, Rev. Trim. dr. h., 1995, 401-415, pp. 408-409.

[69] Arrt Dudgeon, ¤ 56.

[70] Ibid.

[71] Id., ¤ 57.

[72] Id., ¤ 61.

[73] Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Gorzelik c. Pologne, arrt du 17 fŽvrier 2004, ¤ 53. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Parti communiste unifiŽ de Turquie et autres c. Turquie, arrt du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, pp. 21-22, ¤ 45 et Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Refah Partisi (Parti de la propspŽritŽ) et autres c. Turquie, arrt du 13 fŽvrier 2003, ¤ 86.

[74] Arrt Handyside, ¤ 49. Dans un arrt ultŽrieur, elle ajoute en dŽduit que Ē la dŽmocratie ne se ramne pas ˆ la suprŽmatie constante de lÕopinion dÕune majoritŽ mais commande un Žquilibre qui assure aux minoritŽs un juste traitement et qui Žvite tout abus dÕune position dominante Č (Cour eur. dr. h., arrt Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 aožt 1981, SŽrie A n”44, ¤63).

[75] Cour eur. dr. h., Kokkinakis c. Grce, arrt du 25 mai 1993, ¤ 31. Voy. aussi not. Cour eur. dr. h., arrt Refah Partisi (Parti de la propspŽritŽ) et autres c. Turquie, ¤ 81 ; Eglise mŽtropolitaine de Bessarabie c. Moldavie, arrt du 13 dŽcembre 2001, ¤ 114 ; Agga c. Grce, arrt du 17 octobre 2002, ¤56 ; Hasan et Chaush c. Bulgarie, arrt du 26 octobre 2000, ¤ 60 ; Serif c. Grce, arrt du 14 dŽcembre 1999, ¤ 49. 

[76] Arrt Eglise mŽtropolitaine de Bessarabie, ¤ 119. Elle affirme dÕautre part devoir Žgalement tenir compte de cette nŽcessitŽ pour Ē dŽlimiter lÕampleur de la marge dÕapprŽciation en lÕespce Č (ibid).

[77] Id., ¤130.

[78] Le renvoi de lÕaffaire devant la Grande Chambre a ŽtŽ demandŽ par les requŽrants, en application de la procŽdure prŽvue ˆ lÕarticle 43 de la Convention, aprs lÕarrt du 20 dŽcembre 2001 rendu par une chambre de 7 juges.

[79] Cour eur. dr. h. (Grande Chambre), Gorzelik et autres c. Pologne, arrt du 17 fŽvrier 2004, ¤¤ 53-57.

[80] Id., ¤ 56.

[81] Id., ¤ 57. Voy. aussi Cour. eur. dr. h., Chapman c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 2001, ¤93. 

[82] Id., ¤ 69. Comp. avec Cour eur. dr. h., Stankov et the United Macedonian Organisation Ilinden c. Bulgarie, arrt du 2 octobre 2001, ¤¤ 88-89 et Sidiropoulos et autres c. Grce, arrt du 10 juillet 1998, Recueil 1998-IV, ¤44. Voy. aussi lÕarrt Parti communiste unifiŽ de Turquie et autres, ¤ 57.Sur la jurisprudence rŽcente de la Cour en matire de minoritŽs, voy. R. Medda-Windischer, Ē The European Court of Human Rights and Minority Rights Č, Journal of European Integration, sept. 2003, vol. 25(3), pp. 249-271 ; F. Beno”t-Rohmer, Ē La Cour europŽenne des droits de lÕhomme et la dŽfense des droits des minoritŽs nationales Č, 51 Rev. Trim. dr. h., 2002, pp. 563-586 ; G. Gilbert, Ē The Burgeoning Minority Rights Jurisprudence of the European Court of Human Rights Č, 24 H.R.Q., 2002, pp. 736-780 et K. Henrard, Devising an Adequate System of Minority Protection Š Individual Human Rights, Minority Rights and the Right to Self-Determination, The Hague/Boston/London, Martinus Nijhoff, 2000, pp. 56-146.

[83] Article 15 (2) de la Convention.

[84] Cour eur. dr. h., Irlande c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 1978, ¤ 162.

[85] Cour eur. dr. h., Tyrer c. Royaume-Uni, arrt du 25 avril 1978, SŽrie A no. 26, ¤ 31.

[86] Ibid.

[87] Cour eur. dr. h., Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrt du 25 fŽvrier 1982, ¤ 29. LÕusage des ch‰timents corporels fut nŽanmoins jugŽ contraire ˆ lÕarticle 2 du Protocole 1, en vertu duquel, lorsquÕil assume ses responsabilitŽs en matire dՎducation et dÕinstruction, lÕEtat doit respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents.

[88] D. J. Harris, M. O'Boyle, and C. Warbrick, Law of the European Convention on Human Rights, London, Butterworths, 1995, pp. 312-313.

[89] Mazurek c. France, ¤ 52.

[90] Marckx c. Belgique, ¤ 31.

[91] Voy. Cour eur. dr. h., Keegan c. Irlande, arrt du 26 mai 1994, ¤44. Voy. aussi Cour eur. dr. h., Kroon et autres c. Pays-Bas, arrt du 27 octobre 1994, SŽrie A, n”297-C, ¤ 29.

[92] Cour eur. dr. h.,  X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrt du 25 juin 1995, ¤36.

[93] Ibid.

[94] Voy. toutefois Comm. eur. dr. h., G. et E. c. Norvge, requtes n”9278/81 & 9415/81, dŽcision du 3 octobre 1983, D.R. 35, 30 (concernant le mode de vie traditionnel des Saamis ou Lapons en Norvge) et Cour eur. dr. h., Noack et autre c. Allemagne, dŽcision du 25 mai 2000 (concernant des membres de la minoritŽ sorabe en Allemagne).

[95] Cour eur. dr. h., Chapman c. Royaume-Uni, arrt du 18 janvier 2001, ¤73. Voy. aussi Lee c. Royaume-Uni, Coaster c. Royaume-Uni, Beard c. Royaume-Uni, Jane Smith c. Royaume-Uni, arrts du 18 janvier 2001. Cette position reprŽsente un changement capital par rapport ˆ lÕattitude adoptŽe par la Cour dans lÕarrt Buckley c. Royaume-Uni, du 25 septembre 1996, qui portait sur des faits semblables. La Cour, dans cette affaire, avait refusŽ de tenir compte de la situation particulire de la requŽrante en tant que Tsigane vivant de manire traditionnelle. Elle sՎtait contentŽe de constater quՎtait en jeu le droit de la requŽrante au respect de son domicile, estimant Ē inutile de dŽcider si lÕaffaire concerne Žgalement le droit de lÕintŽressŽe au respect de sa Ē vie privŽe et familiale Č Č (¤ 55). Voy. ˆ ce sujet O. De Schutter, Ē Le droit au mode de vie tsigane devant la Cour europŽenne des droits de lÕhomme : droits culturels, droits des minoritŽs, discrimination positive Č, Rev. Trim. dr. h., 1997, pp. 64-93, spŽc. pp. 75-77.

[96] Voy. M.-B. Dembour, Ē Between Universalism and Relativism Č, in J. Cowan et al., op. cit., p. 74. Voy. aussi E. Brems, op. cit., p. 382.

[97] Voy. F. Ost et M. Van de Kerchove, op. cit., p. 430.