LĠIMPERATIF CATEGORIQUE DU PRINCIPE HUMANITAIRE.
Rflexion sur les
responsabilits du droit dĠingrence humanitaire
sebijean@yahoo.fr
La problmatique de lĠhumanitaire constitue un
ingrdient majeur des mutations de notre monde.
LĠ Ç humanitaire È, qualificatif devenu substantif selon une
logique de lĠidologie dominante aujourdĠhui, sĠaborde essentiellement sous
lĠangle juridique des droits de lĠhomme et du droit international ou encore
sous lĠangle politique de la gestion des rfugis, des conflits, des
catastrophes naturelles (comme le raz de marre provoqu par le sisme
(Tsunami) qui sĠest produit en Asie du Sud et du Sud-Est en dcembre 2004
notamment en Inde, Indonsie, Sri Lanka, Thalande, etc), de lĠingrence mais rarement de manire thique. Ici,
lĠinflation du fatras motionnel mdiatique masque plusieurs aspects dans ses
rouages constitutifs.
Pourtant, lĠingrence au nom de lĠhumanit (I) confre
un droit ambigu et sujet controverses qui se butte souvent au principe de
souverainet cher aux Etats. CĠest peut-tre pour cela que depuis quelques
annes lĠassistance humanitaire fait lĠobjet de commentaires sur ses excs, ses
dbordements ou drapages, sans que ces rserves altrent le caractre dominant
du discours humanitaire devenu comme vident force dĠtre rpt, montr et
partag.
Ce temps
de tous les possibles est aussi un temps de dsarroi dans lequel, par des
combines de haute facture, lĠassistance humanitaire se convertit en commerce de
lĠhumanitaire (II). LĠanalyse de cette ralit nous pousse affirmer que
lĠheuristique dĠun cosmopolitisme humanitaire doit irrvocablement trouver ses
fondements en lĠhomme, cĠest--dire, en tout homme et en tout lĠhomme. CĠest
pourquoi nous pensons quĠil importe de trouver un commandement qui, en amont,
permette chacun de subordonner tout le reste ce principe premier. Comme
lĠhumanit est une, il importe que le principe de sa protection et de son
assistance reste le mme et ne soit pas chercher dans les circonstances o se
trouve plac lĠhomme qui souffre. LĠhumanitaire pourra, ds lors, engendrer un
impratif catgorique (III).
Face cette situation, nous sommes dsarrims les uns
des autres et secrtement rdent notre angoisse, notre perte dĠestime et de
confiance, un autrui dont les contours se sont estomps. Dsarroi sans doute,
mais opportunit aussi dĠaborder un questionnement qui se pose, sĠexpose et
sĠimpose notre rflexion : le
sens profond dĠune assistance humanitaire. CĠest sur fond de controverse relle que nous avons
rexplorer la question de la responsabilit du droit dĠingrence humanitaire
(IV).
I.
LĠINGERENCE
AU NOM DE LĠHUMANITE
Le devoir dĠassistance humanitaire est n dĠune
pratique mdicale, celle des French doctors. Depuis la guerre du Biafra, ils ont voulu sĠaffranchir
des rgles du droit international humanitaire classique qui leur faisait
obstacle et qui les empchait dĠaccder aux victimes des catastrophes
naturelles, industrielles ou politiques sans lĠagrment des parties. CĠest de
leur confrontation avec les juristes quĠest n ce que les journalistes
appellent dsormais le droit dĠingrence humanitaire[1].
Reprochant aux juristes de servir un droit qui faisait
de lĠEtat le propritaire absolu des souffrances de son peuple et interdisait ceux quĠil nĠavait pas
autoriss, de venir sauver les victimes des ses ngligences ou de ses
turpitudes, Bernard Kouchner a conceptualis partir de 1987, avec la
collaboration de M.Bettati, un droit qui a remis en cause des conceptions
restrictives de la souverainet des Etats, gnratrice de ces obstacles.
Autrement dit, B.Kouchner voulait quĠon change le droit international, pour
quĠon puisse affirmer Ç plus jamais Auschwitz È, plus de gnocides lĠabri des frontires, plus de massacres sans
que de lĠextrieur on puisse se rendre auprs des victimes et leur porter
secours[2].
LĠhumanit se trouvait ainsi revalorise dans un monde priv de sens[3]
et pouvait ds lors tre comprise comme la ralisation concrte intrieure et
extrieure de lĠhumanisme. Elle sĠimpose comme condition ncessaire pour que
lĠon comprenne authentiquement le monde humain et pour que se ralisent des
communauts dans les peuples et dans les cultures. Ce qui poussera Max Huber
dĠcrire : Ç Un vritable droit de lĠhumanit sĠest cr en
vertu duquel la personne humaine, son intgrit, sa dignit sont dfendus au
nom dĠun principe moral qui sĠlve bien au-dessus des limites du droit
national et de la politique È[4].
Mais en ralit quel est lĠobjectif poursuivi par une
intervention dĠhumanit ? CĠest lĠintervention qui, comme le dit Joblin,
conduite diplomatiquement ou militairement est le fait dĠun Etat vis--vis dĠun
autre Etat ; elle nĠa habituellement dĠautre titre juridique que de venir
en aide ses propres nationaux dont les biens ou la vie sont menacs ou de
faire cesser des violations graves et rptes des droits fondamentaux des
ressortissants dĠun autre Etat[5].
Les interventions de ce type se sont multiplies
depuis plus de 50 ans. DĠaprs Mario Bettati, elles rpondent des situations
extrmement diverses comme le montrent les interventions des Etats-Unis au
Liban en 1958, de la Belgique au Congo (Stanleyville) en 1964, le raid
isralien sur lĠaroport dĠEntebbe en 1976 en vue de librer des prisonniers
des mains des terroristes, de lĠexpdition franaise de Kolwezi en 1978 en vue
dĠvacuer des civils europens menacs de massacre par des irrguliers,
lĠintervention amricaine au Panama en 1989 afin de rtablir la lgalit
constitutionnelle la demande dĠun prsident rgulirement lu et de protger
la vie des amricains vivant dans ce pays, lĠintervention de la Tanzanie en
Ouganda en 1979, de la France au Zare en 1991, etc[6].
Il va sans dire que cette dmarche de fonder en raison
la constitution dĠun humanisme cosmopolite soulve des questions comme celles
de lĠaltrit et de la porosit des frontires tatiques, et partant, celle de
la relativit de la souverainet des Etats.
La question de lĠaltrit ne devrait pas, en fait,
porter sur des pratiques folklorises, mais plutt sur la capacit et le droit
quĠont les hommes en socit de produire le sens de leur vie individuelle et
collective. Snque a eu le mrite de dire que Ç autrui est pour
lĠhomme quelque chose de suprieur, de sacr È[7] et non pas seulement la fonction de ses
intrts.
Au regard de ce qui se passe travers le monde, lĠon a comme
lĠimpression que des questions comme Ç qui est mon
frre ? È, Ç suis-je le gardien dĠautrui ? È ne devraient pas se poser parce quĠayant dj
trouv leur rponse. Pourtant, le tragique de la fraternit universelle reste
lĠun des problmes srieux auquel nous sommes confronts quotidiennement. Il
nous semble ds lors que la question de lĠaltrit exige quĠelle soit
reformule. Dans le contexte humanitaire, Alain Finkielkraut nĠa pas tort
lorsquĠil crit : Ç LĠide de similitude des hommes sĠatteste
dsormais sous la forme dĠune condolance illimite, cĠest--dire dĠune
participation affective tous les maux qui frappent lĠespce humaine È[8].
La responsabilit apparat comme la rponse cette proccupation. En effet, se porter garant[9], sĠengager pour lĠautre et devant la loi, la communaut des autres, cĠest rpondre prsent, rpondre de lĠautre par ma prsence[10], une prsence vivante. Nous devons tre lĠotage de lĠautre, avec ou sans Dieu.
Cependant, le droit dĠingrence humanitaire reste
ambigu parce quĠaux fondements incertains, au contenu imprcis et gomtrie
variable[11]. Il
apparat mme suspect car pouvant justifier toutes sortes dĠinterventions qui
seraient dissimules de vises hgmoniques[12]
ds lors quĠil fait reculer lĠabsoluit de la souverainet des Etats. Marie
Dominique Perrot nĠhsite pas dĠaffirmer qu Ç avec lĠintroduction
du droit dĠingrence humanitaire, les puissances qui comptent sur lĠchiquier
international ont maintenant les coudes encore plus franches. Elles peuvent
laisser pourrir une situation ou provoquer dlibrment la dchance dĠun Etat
(pour des raisons propres la vision quĠelles se font de leurs intrts) pour
ensuite intervenir au nom de lĠhumanitaire. Mais elles peuvent tout aussi bien
provoquer la dgradation dĠune socit et de son gouvernement, sans pour autant
intervenir et en invoquant le
principe de non-ingrence dans les affaires intrieures dĠun Etat[13]
pour justifier leur abstention È[14].
Le droit dĠingrence suscite actuellement pas mal
dĠinquitudes car on ne sait plus quand il y a ingrence ou sĠil y a ingrence,
de mme on ne distingue plus clairement lĠhumanitaire du politique ou du
militaire[15]. Tout se
passe comme si nous tions entrs dans une re o le droit et la morale se
mettent au service de lĠhumanitaire, tandis que ce dernier sert de couverture
aux nouveaux enjeux politiques et stratgiques[16].
LĠhumanit ne cherchant pas autre chose que la
comprhension de soi-mme et le devoir de son respect, ne devait pas tre au
centre des calculs et des discours dĠun certain consumrisme mercantilis et
parfois mercantilisant.
II. LĠASSISTANCE HUMANITAIRE OU LE COMMERCE DE LĠHUMANITAIRE
Si la sincrit de la collaboration des humanitaires est mise en cause, la paix peut-elle rgner entre les hommes quelles que soient leurs tendances idologiques ou croyances si chacun tente de se faire le propagandiste de sa vision du monde lĠoccasion de lĠassistance quĠil apporte ? Quel sens peut avoir la volont humanitaire de servir lĠhomme si elle en fait un moyen dĠexploitation politique, conomique, religieuse ? LĠaide humanitaire ne repose-t-elle pas sur la conviction que tout homme vaut un autre homme et quĠil y a obligation morale de donner chacun les moyens de Ç progrs matriel et dveloppement spirituel È ?[17]
Les interventions politiques qui se sont produites lĠpoque contemporaine dans les affaires intrieures des Etats ont reu diverses justifications qui lgitiment toutes que la force soit mise au service dĠun certain ordre international. La difficult de la mise en Ïuvre des interventions humanitaires vient, il nous semble, de ce que la solidarit dont elles se rclament est compromise par des calculs politiques qui caractrisent les gouvernements qui la soutiennent.
LĠassistance humanitaire dispose dĠun pouvoir politique indirect. La pression humanitaire qui en dcoule constitue un outil manipul slectivement par des Etats ou des groupes de pression. Bernard Hours nĠhsite pas dĠaffirmer dans ses analyses que Ç lĠargument humanitaire nĠest parfois quĠun habillage commode pour masquer les contraintes politico-conomiques et cacher le cynisme et la violence qui rgne dans les rapports internationaux. Cette morale humanitaire apparat finalement comme un bon moyen pour abuser, avec des rfrences morales, les citoyens du Nord, une partie des lites du Sud, sur le dos du reste de lĠhumanit È[18].
LĠinterfrence de
lĠhumanitaire et du politique dtourne lĠhumanitaire de sa mission fondamentale
et le fait passer pour un instrument dĠhgmonie sans scrupule et sans
considration vritable de lĠhomme quĠil prtend pourtant servir. CĠest
certainement ce qui a pouss Robert Redeker dire que ÇlĠhumanitaire
nĠenvisage lĠhomme que comme animal biologique dont on doit prserver lĠexistence ;
les devoirs de lĠhumanitaire nĠont rien de devoirs thiques : il sĠagit
simplement des devoirs devant lĠhomme comme un tre vivant ; en fait
lĠhumanitaire est profondment nihiliste dans la mesure o il porte en lui la
ngation de lĠhomme en tant quĠautre chose quĠanimal mortel. (É) Sous cet
aspect, lĠhumanitaire nĠest rien dĠautre quĠune cologie de lĠhumain et les
fivres de bienfaisance qui rgulirement secouent par lĠintermdiaire de la
tlvision le public ne sont rien dĠautre que le pardon de cette inquitante
zoophilie qui ravage les mentalits È[19].
Ce rquisitoire
peut paratre svre, mais il y a lieu de se rendre compte que lĠanglisme humanitaire prsente plusieurs
limites. Il parle des droits abstraits l o prvalent des exploitations relles
dont il sĠabstient dĠanalyser les causes sociales et politiques. La morale
sommaire de bons sentiments applique des socits dont les intervenants
ignorent profondment les valeurs et donc la vraie nature de la souffrance
endure, constitue un spectacle gratuit en trompe-Ïil, destin justifier les
affrontements entre les Etats, la concurrence internationale, y compris ce que Bernard Hours appelle Ç Charity
business È[20].
Que cherche-t-on conserver, protger ou prolonger sous cet talage mdiatis dĠindignations collectives et de bons sentiments ? Le nouvel ordre humanitaire, comme sĠinterroge Marie-Dominique Perrot, servirait-il faire oublier ce qui de Ç lĠordre international È est inacceptable et injuste ?[21]
Au regard de ce qui vient dĠtre dit, nous pensons que le spectacle de la misre du monde, au nom duquel sĠorganise lĠassistance humanitaire, nĠest nullement un signe de bonne solidarit. Il manifeste, par contre, le voyeurisme, parfois obscne, dĠune certaine opinion qui se rconforte de sa propre situation en regardant la misre des autres. Cela nous amne dire que lĠassistance humanitaire et le droit dĠingrence qui en dcoule doivent tre repenss dans leur nature et leur matrialit. A ce niveau lĠthique, plus prcisment, lĠthique de la responsabilit se pose et sĠimpose comme un impratif catgorique. La morale de Kant peut nous tre utile. De manire que lĠaction soit valable pour tous les tres raisonnables, il enseigne : Ç Agis comme si la maxime de ton action devait tre rige par ta volont en loi universelle de la nature È[22].
III. LĠHUMANITAIRE ENGENDRE
LĠIMPERATIF CATEGORIQUE
Selon que lĠon met lĠaccent sur le juridique ou
lĠthique, droit dĠingrence humanitaire ou devoir
dĠingrence , obit cette tournure dĠesprit occidental[23]qui sĠattache jumeler troitement des
logiques contradictoires. On fait comme si on avait trouv la formule magique
qui permet de gagner sur deux tableaux opposs sans rien avoir cder pour
autant. Double contrainte qui, loin de nĠtre quĠun paradoxe logique, reflte
et dtermine des pratiques importantes. Celles-ci ne sont pas aussi nouvelles
quĠon veut le croire, mais elles sont lgitimes diffremment, comme si le
produit dĠingrence ncessitait une publicit plus moderne, mieux mme de mettre
en valeur lĠempressement humanitaire allger les souffrances dĠautrui. Il se
pose alors un rel problme thique.
La plaidoirie pour une thique plantaire du principe
humanitaire reste un dbat dĠactualit qui trouve aussi inspiration dans
lĠhritage nous lgu par plusieurs penseurs, en lĠoccurrence Kant. La
distinction quĠil fait entre lĠimpratif catgorique et lĠimpratif
hypothtique concerne lĠthique de la simultanit qui sĠapplique galement
notre propos. LĠimpratif moral nĠest donc pas un impratif hypothtique, qui
soumettrait le bien au dsir (fais ton devoir si tu y trouves ton intrt, ou
bien si les sentiments spontans tĠy poussent), mais un impratif catgorique
(fais ton devoir sans conditions)[24].
Le principe humanitaire passe comme un impratif
catgorique pour toute action dĠassistance autrui tant entendu que la
reconnaissance pratique de lĠautre comme reprsentant de lĠhumanit implique
lĠobligation gnrale dĠune intervention et dĠun engagement actifs pour tout
homme incapable de dfendre son droit dĠtre icne de lĠhumanit. Ç Agis
de telle sorte que tu traites
lĠhumanit aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout
autre toujours en mme temps comme une fin et jamais simplement comme un
moyen È[25]. Ainsi, le devoir dĠassistance humanitaire
qui dcoule du droit dĠingrence, parce quĠil oblige lĠhumanitaire considrer
tout homme en souffrance comme une fin, proscrit tout autant la domination,
lĠesclavage, la sgrgation que de considrer lĠassist simplement comme un
moyen. Car sĠil y a devoir, cĠest donc quĠil y a dans le droit dĠingrence
autre chose, et par quoi il soit li. CĠest au fait reconnatre quĠon a raison
de sĠingrer dans les affaires intrieures dĠun Etat mais quĠon ne saurait
faire ce qui ne soit pas, ni qui nĠait t aperu comme raison. Or, ce motif,
raison dterminante de lĠingrence humanitaire, ne peut tre quĠune fin,
cĠest--dire, lĠhomme en souffrance. Non seulement terme o lĠon aboutit, mais
aussi but o lĠon tend.
Il importe de constater dans cette thique kantienne
un rigorisme o la raison parle sous la forme svre du devoir parce quĠil faut
imposer silence notre nature charnelle, parce quĠil faut, au prix dĠun
effort, plier lĠhumaine volont la loi du devoir : je veux faire ceci
parce que je le dois, mutatis
mutandis, je veux apporter assistance lĠhumanit parce que je le dois. En effet, dire Ç je veux assister
lĠhumanit parce que je le dois È, cĠest videmment affirmer une libert. Car cĠest
exclure une dtermination extrieure. CĠest nĠtre li par rien, qui soit autre
chose que ce Ç je dois È. Et il faut bien, si ne sont morales que les actions proprement
humaines, issues de la spontanit dĠun sujet libre. Mais cĠest affirmer en
mme temps, lĠintrieur de cette libert, une ncessit qui la dpasse. Car
sĠil y a devoir, cĠest donc quĠil y a dans ce vouloir autre chose qui nĠest pas
lui, et par quoi il soit li. CĠest au fait reconnatre quĠon a raison dĠagir
et qui dtermine maintenant cette libert[26].
CĠest le motif quĠon se donne, la raison dĠagir quĠon a perue et dont on peut
sans doute ne tenir aucun compte ; mais lĠon ne saurait faire quĠelle ne
soit pas, ni quĠelle nĠait t aperue comme raison.
Cette rflexion dbouche poser videmment la
question de la responsabilit. Prcisons cependant toute suite que, dans le
cadre de notre tude, la problmatique de la responsabilit sera aborde plus
sous lĠangle transcendantal, cĠest--dire une rflexion qui dborde les faits,
le vcu quotidien pour envisager les conditions de possibilit, le
contrafactuel, bref une lecture du futur partir des faits prsents que dans
ses aspects purement juridiques. Bien quĠtant juriste, nous pensons que le
droit trouve indniablement fondement dans les considrations philosophiques
des questions quĠil rgit.
IV. LA RESPONSABILITE COMME FACE CACHEE DU DROIT DĠINGERENCE
HUMANITAIRE
Le droit dĠingrence humanitaire est un droit
lĠassistance pour les
victimes, un droit dĠassistance pour lĠhomme qui apporte lĠaide aux victimes et est mme un droit
du devoir dĠingrence pour
tout citoyen, comme obligation dĠassistance personne en danger, de sorte que
sĠy drober pourrait constituer un manquement juridiquement et moralement
sanctionnable[27]. Il parat
revtir une double face : dĠun cte comme un droit naturel des hommes en
dtresse qui attendent assistance et de lĠautre comme un droit du devoir
dĠingrence dans les affaires intrieures dĠun Etat. Ce droit fait appel des
responsabilits qui incombent ceux qui assument la charge et qui prennent sur
eux la mission dĠingrence : responsabilit envers tel ou tel tat de
choses (la prservation dĠun conflit arm ou dĠune catastrophe qui cause la
situation de dtresse) qui prendrait plusieurs formes dans le but de prserver
la vie collective et ses institutions[28],
la responsabilit envers la personne en souffrance et la responsabilit envers
soi-mme lĠingrant qui traduit lĠide de la dignit partage, en ce sens que
lĠingrant prouve le sentiment quelque chose qui tout la fois le comprend,
le dpasse et est compris par lui et dpend pourtant partiellement de lui
(lĠuniversalit de la condition humaine). LĠexistence de lĠhumanit et sa
sauvegarde sĠimpose comme un premier commandement.
Parlant de la priorit de lĠhomme parmi les candidats
la responsabilit humaine, Hans Jonas estime quĠil faut dire quĠelle nĠa rien
voir avec un bilan valuatif du comportement de lĠhumanit sur terre. A
lĠexistence de Socrate ou celle de la symphonie de Beethoven qui peuvent bien
tre cites afin de justifier lĠensemble, on peut toujours opposer un catalogue
comparable dĠatrocits constantes : de la sorte, selon la disposition du
juge, le bilan peut tre ngatif. La commisration et lĠindignation du
pessimisme ne peuvent pas tre rfutes ici[29].
Dans tous les cas, le prix norme, la mesquinerie humaine est au moins
quivalente sa grandeur, et globalement, dit H. Jonas, le dfenseur de
lĠhumanit mme sĠil a pour lui les grands purificateurs comme Franois
dĠAssise, est dans la plus mauvaise position. Face tout cela lĠexistence de
lĠhomme a toujours la priorit, peu importe quĠil a le mrite au vu de ce qui a
t fait jusquĠici et au vu de sa continuation probable : cĠest la
possibilit, comportant sa propre existence, toujours transcendante, qui doit
tre maintenue ouverte par lĠexistence. Prcisment le maintien de cette
possibilit en tant que responsabilit cosmique signifie lĠobligation
dĠexister. Sous forme pointue, on
peut dire : la possibilit quĠil ait de la responsabilit, est la
responsabilit qui a la priorit absolue[30].
Les responsabilits dcoulant du droit dĠingrence tant comprises, lĠon ne devrait plus assister lĠhumanitaire qui dshumanise, lĠhumanitaire qui tue parce que tlguid par des vecteurs dĠinhumanit. LĠhumanitaire doit cesser dĠtre une entreprise de philanthropisme cynique qui prtend dĠun ct venir au secours de lĠhomme et de lĠautre exploiter sa situation de dtresse pour des fins essentiellement inhumanitaires.
La question de responsabilit suscite finalement dĠautres questions surtout lorsquĠon doit chercher comprendre pourquoi lĠingrence humanitaire sĠest facilement impose. En effet, pourquoi lĠon admet gnralement avec relative facilit ou alors dans lĠindiffrence, la suprmatie dĠun systme de relations conomiques internationales, aujourdĠhui la mondialisation et lĠOMC son porte-tendard , pourvoyeur dĠingalits inadmissibles, alors quĠen revanche on trouve inacceptables les souffrances physiques, causes par la guerre, les catastrophes naturelles ? LĠingrence humanitaire ne serait-elle pas devenue la continuation de la coopration au dveloppement par dĠautres moyens, une prolongation du type rgressif de lĠaide aux pays pauvres, un aveu dĠchec converti en urgence ? Quel est lĠeffet pour les populations, pour les socits, de la substitution progressive des objectifs politiques ou des projets de dveloppement par une assistance humanitaire dicte par le caractre immdiat des problmes ? Comment lĠingrence humanitaire sĠy prend-t-elle pour cacher la volont de non-ingrence, la hantise et la peur dĠintervenir ? Quels sont les rsultats politiques de lĠorganisation de la charit par ceux-l mme qui la rendront forcment indispensable ? DĠo vient finalement ce souci humanitaire, que lĠon trouve, certes, codifi lĠintrieur de chaque socit, mais jamais, si ce nĠest de la part des socits industrielles occidentales, projet aux quatre coins du monde ?[31]
Somme toute, disons que la responsabilit du droit
dĠingrence hante et obsde sans pouvoir tre dfinie car elle chappe au
savoir et reste dire indfiniment. Elle prend diverses formes dont la forme
conomique est donc de produire pour partager, et de partager ce qui est
produit. Et la responsabilit politique, de nature collective[32],
consiste diriger pour protger lĠordre lgitime, et assurer la lgitimit des
dirigeants. Dans ce sens le contenu de la responsabilit peut tre compris
comme le dveloppement de la paix internationale associ la justice sociale[33].
La responsabilit sĠavre dans ce contexte irrcusable,
lĠhumanitaire ne peut y chapper. Ce nĠest pas un rle pour lequel il peut se
faire remplacer car elle est ce qui constitue le sens de son engagement, de son
intervention. CĠest donc dans lĠhorizon qui veille lĠide quĠen tant que
crature, il nĠest pas crateur mais responsable de la cration. Dans cet
veil, le sujet est immdiatement convoqu rpondre, non seulement de ses
actes propres mais aussi, de ceux dĠautrui. Se rsigner de porter secours
lĠautre est un signe de solitude. Celle-ci nĠa plus de sens si ce nĠest que
comme refus dĠtre dtermin par le bien, le refus dĠtre cre le refus dĠtre
humain, la haine de soi qui mne la fuite, vasion impossible, ou au meurtre
dĠautrui dont la rptition infinie dans lĠhistoire vient affirmer sans cesse
lĠimpuissance de la violence nier lĠaltrit, qui fait de la responsabilit Ç la
violence du bien È[34].
Cette responsabilit doit pouvoir interpeller tous les acteurs humanitaires et se traduire dans une mobilisation gnrale. LĠinvocation et la mise en pratique de lĠingrence humanitaire doit toujours sĠaccompagner de la prise en compte des responsabilits qui en dcoulent.
Que
dire pour conclure cette rflexion, du reste inacheve ? Nous sommes tent
de dire simplement rien.
Peut-tre rien que ce travail aura, parmi tant dĠautres, essay dĠveiller,
dĠinterpeller, de prvenir lĠhomme sur lĠhomme. Le principe dĠingrence
humanitaire a certes t consacr par la coutume qui est une source par
excellence du droit international, mais nous avons dplor et dnonc les
machinations politiques, conomiques qui le justifient et les mesquineries qui
lĠaccompagnent.
Sans
mconnatre par ailleurs le bien-fond de ce droit dĠingrence humanitaire,
nous pensons ncessaire quĠil soit fond sur une morale plantaire qui sert
lĠhomme et chaque homme dans sa grandeur comme dans sa dchance.
Nous
demeurons convaincu que la pratique humanitaire reste un processus
dĠhumanisation croissante. Ce qui incite en dernire analyse la ncessit de
maintenir toujours veills les idaux sur lesquels se fonde toute vie dans ce
monde en pleine mutation.
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[2] CĠest ce qui a motiv la publication de lĠouvrage commun de M.Bettati et B.Kouchner, Le Devoir dĠingrence, Denol, Paris, 1987.
[3] Voir ZAKI Ladi, Un monde priv de sens, Fayard, Paris, 1996 ; voir aussi, A. FINKIELKRAULT, LĠhumanit perdue. Essai sur le XX sicle, Seuil, Paris, 1996.
[4] Max HUBERT, cit par J.L. HIEBEL, Assistance spirituelle et conflits arms, Institut Henri Dunant, Genve, 1980, p.36.
[5] .JOBLIN, Ç Ingrence des Etats en temps de guerre. Actions des organisations bnvoles chrtiennes et tmoignage de lĠvangile È, in Gregorianum, nĦ1, Rome, 1995, p.105.
[6] Mario BETTATI, Ç Un droit dĠingrence È, in Revue Gnrale de Droit International, 1991, p.648.
[7] SENEQUE, cit par F. J.VON RINTELEN, Ç Signification et importance actuelles de lĠhumanisme et de lĠhumanit È, in Archives de Philosophie, Janvier-Mars 1978, Tome 41, Cahier 1, p.94.
[8] Alain FINKIELRAUT, Op. cit., p.33.
[9] Lire avec intrt, F. EWALD, Ç LĠexprience de la responsabilit È, in T. FERENZI (dir), De quoi sommes-nous responsables ?, d. Le Monde,Paris, 1997pp.15-24.
[10] Voir aussi, J-L. NANCY, Ç Rpondre de lĠexistence È, in T. FERENZI, Op. cit., pp.37-50.
[11] DJIENA WEMBOU, Ç Le droit dĠingrence humanitaire : un droit aux fondements incertains, au contenu imprcis et gomtrie variable È, in Temps Nouveaux, nĦ72, 1993, pp.1-4.
[12] Voir M BEDJAOUI dans son tude prsente en 1991 lĠAcadmie Royale du Maroc, La porte incertaine du concept nouveau Ç devoir dĠingrence È dans un monde troubl : quelques interrogations ; J.M. Sorel, Le devoir dĠingrence : longue histoire et ambigut constante, in Relations internationales et stratgiques, 1991, nĦ3, pp.95-96 ; NGOMA BINDA, Ç Indpendance, Droit dĠingrence et Politiques Hgmoniques È, in Les enjeux de la mondialisation pour lĠAfrique, Actes des journes philosophiques de Canisius, Kimwenza, Kinshasa, Edition Loyola, 1998, pp.132-155.
[13] Cfr les Rsolutions 2131 (XX) du 21 dcembre 1969 et 2625 (XXV) du 14 octobre 1970 de lĠAssemble Gnrale des Nations Unies, cĠest nous qui soulignons.
[14] Marie-Dominique PERROT (dir), Drives humanitaires. Etats dĠurgence et droit dĠingrence, PUF, Paris, 1994, p.12.
[15] Pour ce dernier aspect, lire avec fruit, Bernard ADAM et cie, Militaires-Humanitaires. A chacun son rle, Ed. Complexe, GRIP, Bruxelles, 2002, 278p.
[16] Voy Marie-Dominique PERROT, Op.cit., p.13.
[17] J.JOBLIN, Art. cit., p.99.
[18] B. HOURS, LĠidologie humanitaire ou le spectacle de lĠaltrit perdue, LĠHarmattan, 1998, p.142.
[19] R. REDEKER, cit par B. HOURS, op.cit., p.55.
[20] Idem, p.52.
[21] Marie-Dominique PERROTt, Op. cit., p.12.
[22] E. KANT, Fondement de la mtaphysique des mÏurs, Traduction de Victor Delbos, Delagrave, Paris, 1976, p.137.
[23] LĠexpression est de M-D PERROT, Op. cit., p. 13.
[24] HUISMAN D. et VERGEZ A., Histoire des philosophes, Nathan, 1996, p.191.
[25] E. KANT, Op.cit., p. 150.
[26] Voir J.P SEGIHOBE BIGIRA, LĠimpratif catgorique du principe humanitaire. Heuristique dĠun cosmopolitisme humanitaire, Mmoire de Licence en Philosophie, Facult des Lettres et Sciences Humaines, Unikin, 1999-2000, p.60.
[27] NGOMA BINDA, Art. Cit., p.142.
[28] J. LADRIERE, Ç La responsabilit È, in LĠthique dans lĠunivers de la rationalit, Montral, Catalyses, 1997, p. 155 et s.
[29] H. JONAS, Le Principe Responsabilit. Une thique pour la civilisation technologique, Cerf, Paris, 1997, p. 141.
[30] Idem, p. 142
[31] M-D., PERROT, Op. Cit., p. 14.
[32] Voir aussi, R. SIMON, Ethique de responsabilit, Cerf, Paris, 1993, p.181.
[33] C. BIRMAN, in Monette VACQUIN (dir), La responsabilit. La condition de notre humanit, Sries Morales, nĦ14, Autrement, Paris, 1994, p.10
[34] Mylne BAUM-BOTBOL, Ç Aprs vous Monsieur È, in M. VACQUIN(dir), op.cit., p.58.