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groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

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Mai 2000


Droit de l'environnement à l'épreuve des représentations culturelles africaines : une gestion à réinventer ?

Par M. SITACK YOMBATINA Béni (sitackbeni@hotmail.com),

Académie Européenne de Théorie du Droit, Bruxelles.

Introduction générale

Il y a peu d'année encore, les préoccupations écologiques apparaissaient comme un phénomène de mode, voire l'expression d'une conscience retardataire sur les progrès de l'humanité.

Jusqu'à la fin des années 1950, "maîtriser", ou "dominer" la nature au service de la croissance économique était considéré comme la condition de l'essor des sociétés humaines.

On louait alors les progrès scientifiques et technologiques : nous sommes en plein dans les "trente années glorieuses" dont devait parler Jean Fourastier.

Mais très vite, cette euphorie va connaître un déclin, et ce, grâce à une prise de conscience universelle de la protection de l'environnement comme une nécessité.

En effet, l'altération des grands équilibres de la planète, l'érosion de la diversité génétique, la raréfaction ou la disparition d'espèces vivantes, l'exploitation sans pause du minéral… acculent l'homme à une prise de conscience réactive en vue d'une nouvelle problématisation de son rapport à la nature (il s'agira, bien entendu, dans cette réflexion, avouons le - du rapport homme/nature - ou pour le dire autrement encore - du rapport homme/environnement.), en somme d'une approche fondamentale ouverte sur une perspective de mise en relation écosystémique entre le sujet et l'objet.

Aujourd'hui, la problématique de la gestion environnementale constitue un défi planétaire, auquel l'humanité est confrontée à plusieurs niveaux et dans les domaines différents. Elle se trouve à toutes les échelles, du niveau local au niveau mondial, où elle se traduit en termes de conservation.

Objet de préoccupations pressantes, enjeu de grande importance, notamment pour les populations en situation de crise conjoncturelle, environnementale et socio-économique, il convient d'y répondre en apportant des éléments essentiels pour l'effectivité de solutions urgentes.

Ainsi, l'environnement, cette nature transformée par la modernité occidentale, se trouve à la confluence des jugements de valeurs et de vérités.

Sa problématisation en Afrique, est mise sur le devant de la scène scientifique d'une part, en raison des conséquences importantes qu'elle entraîne, d'autre part, cette problématique n'est pas indifférente au souci de gestion des ressources naturelles, qui constitue l'objectif majeur de cette fin de siècle.

Pour faire bref, disons, en réalité, que l'environnement constitue un défi majeur pour les populations et Etats africains ainsi que pour la communauté internationale.

La présente réflexion s'inscrit d'une part, dans le constat d'échec que nous venons de souligner très brièvement, mais relève aussi et surtout d'une problématique d'une nouvelle approche pour un développement durable.

Cette problématique du droit de l'environnement face à la conception négro-africaine de l'environnement nous a littéralement assaillies. Dès lors, elle n'a cessé de hanter notre esprit, au point de l'inhiber par moment. Mais peu à peu, la tempête s'est apaisée, rendant possible la délimitation du sujet ainsi que l'adoption d'une approche pluridisciplinaire.

Comment cela pourrait-il en être autrement, quant on sait qu'en Afrique, les représentations locales de l'environnement intègrent outre les problèmes juridiques, des problèmes humains et sociaux qui rendent les distinctions occidentales entre <<nature>> et <<culture>> inappropriées pour comprendre les conceptions africaines des relations entre les hommes et l'environnement.

D'ailleurs, et, c'est à juste titre que Michel Prieur écrit :<<le droit de l'environnement est profondément marqué par sa dépendance étroite avec les sciences et la technologie. Sa compréhension exige un minimum de connaissances scientifiques et toute réflexion critique à son propos impose une approche pluridisciplinaire>>.

Il s'agira, pour nous, dans cette étude, de tenter une entrée en matière par une approche des fondements scientifiques du droit de l'environnement en tant que droit positif (I). Nous passerons successivement en revue les rapports scientifiques de l'homme et de la nature et les rapports juridiques de l'homme sur la nature.

Mais comme une évaluation ne s'opère qu'à partir de prémisses déterminées, nous comprendrons très vite que les nôtres s'écartent sensiblement de celles que fournit le paradigme occidental.

Notre deuxième partie sera consacré alors aux représentations culturelles africaines de la gestion de l'environnement (II). Le défi restera de réaliser un égarement par rapport à soi-même, c'est-à-dire de marquer une rupture dans le rapport avec soi et de tenter de penser le droit de l'environnement au-delà du "juridisme". Le mot est de Paul valery - mais aussi au delà du "monojurisme".

On aura compris : le problème fondamental est de parvenir à jeter les bases d'un droit de l'environnement "négocié" dans le but, d'une part, de tendre vers une gestion viable à long terme des ressources naturelles renouvelables et d'une conservation de la biodiversité, d'autre part, de sceller les perspectives d'un développement durable.

I - Des fondements scientifiques du droit de l'environnement

La liaison entre la science et le droit autour du paradigme environnemental postule l'existence d'une réflexion critique sur le droit de l'environnement, produit de la remise en cause, justement de la science et du droit. La question est essentielle : pourquoi plus que tout autre objet l'environnement repose t-il sans cesse le problème des fondements ? S'agit-il d'édicter des normes similaires aux principes valides depuis que le droit est droit ou d'instaurer une spécificité juridique autour de deux règnes naturellement distincts, l'humain et le non-humain ?.

Pour notre part, il s'agira ici de réfléchir sur les rapports science et droit de manière historique et dialectique afin d'appréhender ce que Michel Serres appelle l'épistémodicée.

Sans aucune prétention d'exhaustivité, nous essayerons d'examiner cette question de fondements tant au regard des rapports scientifiques entre l'homme et la nature (A) qu'au regard des rapports juridiques (B).

A - Des rapports scientifiques de l'homme et de la nature

Depuis la naissance du droit de l'environnement moderne au début des années 1960, se pose la question de ses rapports avec les autres sciences, et au préalable celle de sa définition.

1 - A la recherche d'une définition du droit de l'environnement

Si le terme <<environnement>> ne fait pas encore l'objet d'une définition générale universellement admise en droit positif, le droit de l'environnment, lui, ne peut se définir que d'une manière fonctionnelle, par sa finalité qui est la protection de l'environnement.

Le droit de l'environnement est en quelque sorte balkanisé, avec de fortes minorités de règles implantées hors de ses frontières, dans le droit de l'urbanisme, le droit rural, le droit forestier, etc.

Ainsi, une approche méthodologique rigoureuse requiert néanmoins la délimitation subséquente du champ de la recherche et de prime abord, de la notion d'environnement.

Elle est une notion anthropocentrique aux contours mouvants, écrit Prieur "notion caméléon" située entre une conception << (…) trop étroite : la protection de la nature et une conception trop globale attirant à elle l'ensemble des problèmes touchant à la qualité de la vie, au<< bonheur des êtres>>, dont déjà Saint Augustin avait dénombré deux cent vingt huit définitions >>.

On le voit, le droit de l'environnement ne réalisera sans doute jamais son unité, et c'est peut-être tant mieux.

Mais quoiqu'il en soit, le droit de l'environnement - ou pour le dire simplement - le droit de la protection de la nature est l'expression d'un constat scientifique - la dégradation des milieux et la disparition des espèces - ainsi que la mise en oeuvre des moyens d'y remédier.

2 - A la recherche des rapports scientifiques de l'homme et de la nature

La prise de conscience universelle de la protection de l'environnement s'est imposée comme une nécessité. D'où le sens de l'appel de Martin Heidegger <<la menace véritable a déjà atteint l'homme dans son être. Le règne de l'Arraisonnement nous menace de l'éventualité qu'à l'homme puisse être refusé de revenir à un dévoilement plus originel et d'entendre alors l'appel d'une vérité plus initiale>>.

L'indétermination de l'interrogation philosophique de M. Heidegger questionne d'une part, la nature complexe et moderne de la science et d'autre part, postule la constitution d'une nouvelle rationalité scientifique à l'aune du pluralisme de vérités.

En effet, une lecture attentive et critique des oeuvres de quelques scientifiques , nous plonge dans une invitation faite à l'homme qui veut accéder à la sphère scientifique de quitter le monde de la nature.

Ainsi, écrivent-ils, <<si la magie et le mythe participent en totalité à cette partition de l'esprit <<prélogique>> des sociétés humaines archaïques, l'accession à la sphère scientifique suppose au préalable un renoncement à la vision poétique de la nature (…), il faudra que l'homme rompe ses attaches avec la terre, qu'il oublie sa familiarité ancestrale avec la pierre qui pèse et qui écrase, et dont la crainte transparaît encore dans le mythe de sisyphe, et qu'il se libère en même temps de tous les <<complexes>> que ces éléments ont développé en lui>>.

On aura compris : le rapport sensible homme-réalité, par sa contingence vient de mourir.

Assurément, la science procède d'un arraisonnement spécifique de la nature, une manière de voir ou de découvrir la réalité de manière intelligible.

Par ailleurs, si d'autres modes de représentations coexistent, le postulat originel de sa supériorité procède donc a priori d'une force épistémologique, ajoute le philosophe des sciences, P. K. Feyerabend.

La science vient-elle de prendre le dessus ?

Dès lors, naissait une science contemporaine conçue comme la science positiviste et inductiviste. Elle repose donc sur une rationalité et une objectivité. Elle devient une science prédictive, et entière expression de la raison avec Descartes. Ce faisant, la science conquiert une force de persuasion absolue et l'homme doit se rendre <<comme maître et possesseur de la nature>>.

La science cartésienne se caractérise d'une part, par le rationalisme : la <<foi>>en la science (ses vertus, sa vérité, sa méthode) et, d'autre part, par le mécanisme (tout dans la nature est géométrie) contrairement au vitalisme hérité d'Aristote. Cette philosophie mécaniste réduit ainsi la nature à une immense horloge : tout est loi de transmission et science des structures.

Dès lors, tout homme possède le droit de la raison et seule la méthode scientifique est susceptible d'aboutir à la connaissance vraie. La science a donc pour fonction la découverte de l'ordre de la nature selon une méthode dûment élaborée au cours de l'histoire.

La nature, elle, est transformée en ordre par la science qui découvre les lois naturelles de telle façon qu'elle soit <<ordre et raison, comme l'esprit qui la pense et qui s'y meut>>.

En somme, la science tente de << rendre plus intelligible la complexité du monde>> d'une façon <<élucidante, enrichissante, conquérante, triomphante>> qui, inéluctablement, engendre certaines interrogations relatives à son statut suprême.

De ce fait, l'instrumentalisation de la connaissance ouvre la voie à la figure moderne de la science contemporaine. Celle-ci désigne alors une représentation déterminée de la nature qui s'est construite au cours d'un processus historique propre au monde occidental.

Mais si d'une part, la science proprement dite est née en Grèce au VIè siècle avant Jésus-Christ, d'autre part, les savants grecs ont dû construire un savoir structuré et cohérent sur la nature - une sorte d'idéal d'intelligibilité comme le souligne J. P. Vernant.

La nature désigne alors tout ce qui a existé, tout ce qui existe et tout ce qui existera. Ainsi, les savants grecs définissent la nature comme la terre (Empédocle), l'eau (Thalès de Millet), l'atmosphère (Anaximène), ou le feu (Héraclite d'Ephèse). La terre est donc mise en mesure (géométrie) et, dans ce cadre, mise à l'épreuve de la raison. D'où la naissance d'une certaine vision du monde. Une représentation épistémologique se fonde sur la bipartition de l'homme et de la nature - l'un, sujet pensant; l'autre, objet pensé.

On aura compris : la rupture s'ouvre sur le champ d'action de la science, avec une cassure ontologique entre l'opinion, connaissance commune (doxa) et la science, connaissance universelle et discursive (episteme).

Conséquence : l'apparition de l'idée de nature construira celle de la société.

Dès lors, si la nature possède ses lois, la cité crée les siennes propres inaugurant la dichotomie juridique droit naturel-droit positif (on y reviendra).

Enfin, la séparation absolue entre sujet et objet, ce que Bernard Latour appelle le <<grand partage>> ou la <<constitution moderne>> entre l'homme et la nature va consacrer définitivement cette distanciation et ce, en dépit de l'émergence d'une nouvelle conception de la science, à la lumière du <<pluralisme de vérité>>

B - Des rapports juridiques de l'homme et de la nature

Les rapports juridiques entre le sujet et l'objet mettent en lumière la nature nécessairement pluraliste du droit car, et comme le dit superbement M. Virally, le droit n'est pas la chose des juristes. Le droit procède du social. Il est mis à contribution dans sa dimension normative et régulatrice des rapports sociaux.

D'autre part, quoiqu'on dise sur la spéculation du droit, celui-ci apparaît comme une médiation, un "intermédiaire" qui <<médiatise>> et qui, de ce fait, relie à l'origine par la réflexion (l'expérience et la raison) l'homme à la nature.

1 - De la nature pluraliste du droit

La vie juridique ne se réduit pas à ce que le droit constate. Le droit est lui-même issu des réalités locales et de la pratique du quotidien. La distinction entre les sources formelles et les sources réelles du droit est clairement énoncée par Eugen Ehrlich : la loi et la jurisprudence constituent des sources formelles en tant que procédés de constatation du droit, alors que l'essence même du droit résulte du produit de sources réelles , règles qui puisent leur existence dans des "foyers" pluriels.

Par conséquent, le droit ne se conçoit pas, dès lors, comme un << un bloc d'une seule coulée, à l'intérieur duquel ne peut se discerner aucun pluralisme>>, mais comme un ordre qui se nourrit à partir d'éléments qui lui sont extérieur, en particulier issus des sciences et techniques. C'est à la lumière de ces données qu'il est intéressant - nous semble t-il, si l'on veut mieux appréhender le droit de l'environnement - d'élaborer une typologie des sciences fondatrices de celui-ci afin de démontrer la multiplicité et l'hétérogénéité des influences scientifiques sur sa structure, - en particulier l'importance de la partition de ce corpus juridique en ses deux branches déjà traditionnelles - que sont le droit des pollutions et nuisances et le droit de la protection de la nature.

On le voit, "indéfinissable mais présent", le droit est règne de l'écart. C'est un espace découpé autour d'un individu ou d'un groupe selon l'étymologie latine de jus, le droit se compose alors de règles que définissent par leur droiture originelle une marge de référence principielle.

L'on peut resumer l'évolution des rapports juridiques entre l'homme et la nature en trois moments forts :

D'abord, la naissance géométrique du droit naturel classique dans la nature des choses, en une bifurcation de la physis et du nomos qui sous-entend que <<la nature est essentiellement cachée par des décisions souveraines>>.

Ensuite, l'apparition d'un droit naturel "conventionné", c'est-à-dire dont la nature de l'homme constitue la référence.

Influence du mécanisme, rationalisation cartésienne après une sécularisation progressive, le droit suit l'évolution historique et épistémologique de la science. L'appel au droit de la nature change de perspective s'écartant de l'idéalisme métaphysique antique.

Enfin, le positivisme juridique, s'y oppose, en une querelle éternelle aux deux premières conceptions. Le positivisme juridique est une conception a-référentielle du droit. Il conçoit le droit tel qu'il est posé, d'une part, en dehors de tout dogme, d'autre part, à travers l'émergence d'une recherche de l'objectivité du droit car <<l'interprétation scientifique ne peut rien faire d'autre de plus que de dégager les significations possibles de normes juridiques>>.

Or, cette quête de l'objectivation des données juridiques va connaître très vite ses limites. Ainsi, science et technique du droit se mêlent et s'emmêlent jusqu'à la crise contemporaine qui fait douter de la définition du positivisme juridique. Ce déclin se traduit par une inflation des règles juridiques, un "trop de droit", véritable leitmotiv des temps modernes, une atténuation du caractère prescriptif des normes (développement des actes para règlementaires, des déclarations de principe, des normes planificatrices, etc.) bref, le phénomène s'apparente à une destructuration fondamentale du droit, à une <<dilution des prescriptions juridiques dans la production juridique>>.

Le droit est alors rongé de l'intérieur par une technicité accrue et une spécialisation qui fait éclater la vision globale du droit commun, la loi est alors "désacraliséé et destabilisée".

En somme, le droit présente des caractères qui le rapproche de la science. D'où la nécessité d'une nouvelle approche réaliste du positivisme.

2 - De la médiation juridique du droit dans les rapports de l'homme sur la nature

Le réalisme positiviste tente de réconcilier l'homme et la nature en une dialectique hégélienne au sein de laquelle l'opération de qualification juridique apparaît comme une médiation enchaînant la chose (réel) à une logique (fiction) d'attribution d'un sens référent déterminable. En effet, le droit devient un "intermédiaire" qui <<médiatise>>.

Il est clair, qu'ici le droit, dans son processus de subjectivation du réel s'oppose, dans son approche, voire sa méthodologie, à la science qui procède d'une objectivation de la nature. Or, tout ceci est loin de rétablir la relation traditionnelle entre l'homme et la nature, c'est-à-dire entre le sujet et l'objet.

D'autre part, l'environnement se révèle comme un milieu au sein duquel s'établissent des systèmes de relations juridiques. Une vision qui, on le verra, sera en partie, battue en brèche en Afrique. Nous y reviendrons.

L'environnement s'entend donc, dans ce sujet de relations juridiques, comme les ressources naturelles abiotiques et biotiques (air, espace, eau, sol, climat, faune, flore, etc.) et l'interaction de ces facteurs, l'environnement bâti, le paysage, la qualité de vie de l'homme.

De cette définition, nous retiendrons, in fine, que l'environnement recouvre l'ensemble des milieux naturels ou artificialisés de l'écosphère aménagé par l'homme, et l'ensemble des milieux non anthropisés nécessaire à la survie. Il s'agit bien là, à n'en point douter, de l'objet du droit de l'environnement, sinon de sa finalité la plus immédiate comme médiation de pouvoir de l'homme sur la nature.

Dans cette conception matérielle, le droit de l'environnement apparaît complexe, en particulier par la dispersion et la diversité des normes qu'il porte.Il est aussi enveloppé de cercles concentriques plus ou moins larges comme l'aménagement du territoire ou des droits constitués plus spécifiquement (droit rural, droit forestier, droit minier, droit nucléaire, droit de l'urbanisme, droit des risques naturels, droit des risques technologiques etc.)

En cela, l'éventualité de la pertinence d'un droit pour l'environnement constitue une frontière méthodologiquement intéressante qui peut s'inscrire dans une revendication : la revendication d'un droit à l'environnement. Celui-ci s'analysera comme la reconnaissance de valeurs fondamentales relatives aux droits de l'homme reconnues comme un droit subjectif.

D'ailleurs, parmi les nouveaux droits de l'homme, le droit à l'environnement est-il celui qui paraît le mieux correspondre à la notion de solidarité tout en se heurtant à une définition délicate : <<le droit à définir nous paraît trop flou, sa mise en oeuvre trop complexe; il met en cause trop d'intérêts privés à côté de l'intérêt public; il risquerait parfois d'entrer en conflit avec des libertés fondamentales, celles de la première génération, et nous ne pensons pas seulement au droit de propriété dont le caractère deviendra sans doute de plus en plus relatif dans la société contemporaine>>. Qu'il en soit vivement ainsi car, comment concilier un droit à l'environnement avec le droit de propriété ?

On le voit, le chemin est étroit et périlleux. Car, évoquer le droit de l'environnemnet n'implique pas une voie univoque, un corps conceptuel net, mais une représentation composée de fragments scientifiques.

On aura compris : médiation privilégiée du rapport de l'homme sur la nature, le droit de l'environnnement ne peut donc faire l'économie des ressources de la science afin d'assurer la stabilité de l'environnement face aux aléas d'un futur incertain, car toute <<forme de vie est unique et mérite d'être respectée, qu'elle que soit son utilité pour l'homme, et, afin de reconnaître aux autres organismes vivants cette valeur intrinsèque, l'homme doit se guider sur un code moral d'action>>.

Il importe ainsi de garantir, pour les générations futures, la préservation du <<patrimoine naturel d'une valeur esthétique, scientifique, culturelle, récréative, économique et intrinsèque>>.

Cette préoccupation pour l'environnement d'une part, et pour les générations futures d'autre part, est omniprésente dans la conception négro-africaine de l'environnement dont il convient d'examiner à présent.

II - Représentations culturelles africaines de l'environnement

En abordant la question du droit de l'environnement dans la perspective africaine, nous voulons jeter les bases d'une réflexion théorique sur l'efficacité et l'effectivité des différents types idéaux des ordres normatifs (qu'il soit accepté, négocié, imposé ou contesté) en vigueur dans le champ juridique et judiciaire en Afrique.

Il s'agira, pour nous, autant que faire se peut, de construire une théorie du droit de l'environnement africaine tant au regard des fondements du droit dans l'Afrique traditionnelle (A) qu'au regard des analyses et représentations culturelles de l'environnnement (B).

A - Des fondements du droit dans l'Afrique traditionnelle

On ne peut pas comprendre les systèmes juridiques africains si l'on n'a pas en tête le fait que les individus ne sont conçus que comme éléments de groupes sociaux imbriqués les uns aux autres, groupes sociaux qui entretiennent des relations particuliers avec différents éléments de la nature et avec les forces spirituelles qui la vivifient.

Par ailleurs, les sociétés africaines, si l'on veut se donner la peine de les connaître, sont constituées sur la base d'alliance entre les hommes (groupes, individus) entre eux ou entre les hommes et les dieux. Ces relations d'alliance - soulignons le - déterminent des rapports de complémentarité et de hiérarchie entre les groupes et entre les individus.

Enfin, et comme le dit excellemment Verdier, ces rapports déterminent des statuts sociaux.

Il s'agira ici d'appréhender ces rapports tant au niveau socio-anthropologique (1) qu'au niveau socio-juridique (2). rapports qui présideront aux sources de l'environnement (3).

1 - Des rapports socio-anthropologiques de l'homme et de la nature

Les notions d'alliance et de statut sont déterminants pour la compréhension des droits africains anciens.

L'alliance entre les dieux et les groupes humains est présentée comme l'acte fondateur des sociétés par la pensée africaine traditionnelle. Cependant, l'étude de l'histoire des sociétés villageoises montre que des groupes sont toujours constitués préalablement aux rites d'alliance avec les forces spirituelles.

En Afrique, deux types de groupes sociaux sont directement concernés par les questions de l'environnement. Il s'agit, dans la plupart des cas des groupes de personnes apparentées d'une part, et d'autre part, des groupes de voisins sur un territoire.

Par ailleurs, les groupes associatifs (confréries, sociétés secrètes…) ou les classes d'âges ne sont guère concernées que de façon indirecte.

Ainsi, les groupes de parenté, les familles, restreintes ou élargies, sont fondés sur une consanguinité réelle ou supposée.

S'agissant des rapports de l'homme à la nature, l'agriculteur ou l'éleveur africain voit son environnement physique comme constitué de différents éléments mus et vivifiés par les forces divines et ces esprits sont considérés comme les véritables propriétaires de la nature et de ses composantes. Jean Pierre Magnant écrit, :<<A côté des forces qui animent la nature et garantissent le bon fonctionnement de cycles saisonniers, d'autres esprits, sortes d'anges gardiens, protègent les lignages et leurs membres, tandis que d'autres esprits encore assurent une protection efficace contre telle ou telle menace>>.

Ces différentes forces divines constituent un panthéon à la hiérarchie complexe et varient selon les traditions locales.

En outre, les dieux et les esprits ne sont pas, sauf rares exceptions, hostiles à l'homme : ils lui accordent généralement leurs faveurs lorsque celui-ci accepte de se plier à leur loi. Cet accord est conclu lors de rites d'alliance, qui varient selon les coutumes et selon les forces avec lesquelles l'homme entre en contact.

Ainsi, la coutume apparaît, dans la pensée traditionnelle, comme l'ensemble des normes sociales qui découlent de l'alliance avec les dieux et qui sont garanties par eux.

On le voit, à quel point, dans la pensée africaine, les relations entre les hommes et l'environnement naturel engagent les relations sociales et anthropologiques. Tout manquement à la coutume, ou à l'égard des dieux de l'environnement entraîne la colère des esprits, colère qui se manifeste souvent par la maladie, la sécheresse ou d'autres calamités.

Enfin, si la société traditionnelle est constituée de différents groupements sociaux structurés, hiérarchisés qui s'emboîtent les uns dans les autres et coopèrent à la vie de la communauté, il n'en demeure pas moins que chacun de ces groupements constitue un ordre juridique.

2 - Des rapports socio-juridique de l'homme et de la nature

Les sociétés africaines sont fondées sur plusieurs systèmes juridiques où les groupes sociaux engendrent et appliquent des droits non étatiques. Ce pluralisme juridique rend le choix d'autant plus complexe qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer le droit appliqué de celui qui ne l'est pas.

En outre, il arrive que des mécanismes juridiques différents s'appliquent à des situations identiques. Pour toutes ces raisons, le droit africain s'oppose au droit des sociétés modernes pour qui, il n'y a qu'un seul droit, celui de l'Etat, selon le postulat : droit = loi.

Deux remarques importantes doivent être relevées ici.

D'abord, si l'Etat moderne, dans les pays européens, s'est construit contre les communautés familiales et territoriales : il les a réduites à leur plus simple expression, libérant par là même des tendances individualistes qui projettent les individus les uns contre les autres, en Afrique, ces processus sont à peine enclenchés. Les anciennes structures sociales, bien que profondément touchées par les bouleversements du XIX e et du XXe siècle, sont encore extrêmement vivantes. L'Etat de type européen, en voie de formation, ne les a pas encore éliminées : au contraire, la crise persistante de son fonctionnement, depuis les indépendances, leur a redonné vie, même si c'est souvent sous une forme abâtardie.

Ensuite, et toute la différence de la conception africaine est ici : concevoir l'individu comme personne abstraite, titulaire de droits abstraits, qui pourraient se dresser contre ceux des autres individus et contre ceux de la société; en d'autres termes, concevoir l'individu comme isolé face au groupe, est une abérration pour la pensée africaine traditionnelle. Dès lors, la notion même d'individu, au sens que lui donnent les juristes de tradition européenne, est remise en cause.

On aura compris : dans la pensée africaine traditionnelle, l'individu ne se conçoit que comme situé socialement. Il est membre d'ensembles (classes d'âge, sexe, statut etc.) de groupes (parentaux, territoriaux, initiatiques etc.) qui constituent les éléments de la société et, c'est au sein de ces ensembles, et par rapport à eux, qu'il apparaît comme détenteurs de droits.

Ces ensembles sont autant de groupements de solidarités et d'entraide qui assurent la reproduction de chacun et de tous.

Ainsi, toute vision qui priviligierait soit l'individu, soit le groupe, ne rendrait pas compte de la vision africaine de la vie sociale et juridique.

De la même façon que l'un n'existe pas sans l'autre, l'homme n'existe pas sans la nature et vice-versa. Les droits et obligations réciproques entre les groupes, entre les individus ou entre groupes et individus découlent de la proximité généalogique. De ce fait, deux lignages d'un même clan se doivent assistance mutuelle, aussi bien collectivement qu'individuellement.

En somme, et pour paraphraser, Jean Pierre Magnant, l'individu isolé n'existe que dans le roman de Daniel Defoë et dans la philosophie politique, juridique et économique libérale héritée du siècle des lumières : partout ailleurs, dans la réalité, l'individu n'existe que comme socialisé. Ce sont ces liens sociaux que n'ont pas vus ou pas compris les <<développeurs>> qui ont travaillé sur l'Afrique.

Quant au statut, plutôt que de paraphraser R. Verdier, suivons la définition magistrale qu'il en donne : <<les ordres juridiques sont essentiellement des ordres communautaires tissant entre les membres des groupes des relations d'interdépendance et de solidarité. L'individu est lié au groupe et le groupe à ses membres par un rapport dialectique qui s'oppose tant à une conception individualiste qu'à une conception collectiviste du droit. Il n'y a pas, d'un côté, l'individu séparé, pris dans sa singularité, et de l'autre le groupe en tant qu'entité supérieure distincte de ses membres : chaque individu, en tant qu'il fait partie du groupe, participe à son ordre juridique. Ainsi, au sein de chaque ordre juridique, les individus sont appelés à exercer, compte tenu de leur sexe, de leur âge, de leurs aptitudes physiques, morales, intellectuelles, différentes fonctions; ils assument un statut propre, c'est-à-dire un ensemble de droits et de devoirs réciproques au sein du groupe. Cette relation de réciprocité est essentielle car elle fonde juridiquement l'interdépendance et la solidarité des membres du groupe; on en donnera quelques exemples : Qui reçoit unchamp à cultiver sur l'espace familial foncier est tenu de le mettre en valeur ; le droit qu'il a de cultiver va de pair avec l'obligation de participer à l'entretien de ses proches…>>.

On pourrait bien si besoin en était, multiplier les exemples. Toutefois, il apparaît évident, au regard de cette définition, que la réciprocité entre les droits et les devoirs qui déterminent le statut d'une personne ainsi que la hiérarchie des statuts sont les deux éléments fondamentaux qui permettent de comprendre les droits individuels de chaque homme non pas comme des droits absolus sur les choses, mais comme des droits par rapport aux autres membres du groupe et par rapport aux choses.

C'est là - nous semble t-il - la grande différence entre d'une part, les droits européens contemporains, tels qu'ils s'imposent peu à peu à nos sociétés rurales africaines, et, d'autre part, les droits traditionnels d'Afrique noire, lesquels constituent les sources du droit de l'environnement en Afrique.

3 - Des sources du droit de l'environnement en Afrique

Elles apparaissent nombreuses et variées associant normes du droit international et règles des droits internes. Nous nous limiterons uniquement aux sources internes.

En Afrique, le droit de l'environnement puise aux trois sources traditionnelles du droit : le droit coutumier traditionnel (1), le droit colonial (2) et le droit écrit post-colonial (3).

1 - Des droits traditionnels

Les droits traditionnels ne se présentent pas de façon homogène en raison de la diversité culturelle et des spécificités régionales. Ce pluralisme culturel aboutit à un droit, fait universel, varié et dependant de l'évolution des sociétés. Indéniablement, on trouve des points communs entre les différents systèmes juridiques, même s'ils ne recouvrent pas tous le même concept.

On définit les droits traditionnels comme les droits dont la formation et le mode de légitimation ne relèvent pas du droit de l'Etat qu'ils précèdent. Il s'agit en définitive, de droits originaires qui témoignent d'un état de société et d'une conception particulière, qui structure les rapports sociaux autochtones. Notons qu'il n'y a pas un droit traditionnel africain car on trouve autant de traditions que de groupes humains.

Aussi, les sources du droit traditionnel se trouvent dans les coutumes, mais aussi dans les décisions du conseil des anciens, du conseil du village, de conseils de famille, clan etc., ainsi que dans l'héritage d'empires passés parfois retranscrite par écrits.

Le droit coutumier traditionnel constitue alors la première source du droit de l'environnement dans les Etats africains.

On peut définir la coutume comme <<l'ensemble des manières de faire, considérées comme indispensable à la reproduction des relations sociales et à la survie des groupes lorsque ces groupes ne font pas appel à une instance extérieure ou supérieure (tels Dieu ou l'Etat) pour les réguler.

Pour le dire autrement, la coutume n'est pas particulièrement judiciaire ou juridique. Elle suit les articulations sociales dont elle s'inspire ou qu'elle habille. En d'autres termes, la coutume constitue le cadre fondamental du mode de reproduction et de transmission des attitudes et valeurs.

Pour en revenir au droit de l'environnement, notons que la protection de la nature et le souci de préserver l'équilibre du milieu sont une préoccupation constante de la plupart des sociétés africaines traditionnelles dans la mesure où l'homme y vit généralement en harmonie avec la nature dont il se conçoit comme un des éléments. Il n'est rien sans la nature. C'est elle sa survie.

Cette préoccupation se traduit alors sur le plan juridique par des prescriptions du droit coutumier réglementant, suivant les zones considérées, la coupe de l'arbre, l'utilisation des cours d'eau communs, la chasse, les feux de brousse, l'affectation et l'utilisation des sols etc.

En dépit des mutations actuelles, le droit coutumier traditionnel reste encore très vivace en zone rurale, et joue dans certains cas le rôle de droit supplétif.

2 - Du droit colonial

Ce droit colonial, dont les normes directrices étaient édictées en métropole et les mesures d'application dans chaque territoire, s'appuie en la matière sur des réglementations sectorielles. Ainsi, en est-il en Afrique noire sous administration française par exemple, du régime domanial, du régime forestier, du régime minier.

Le droit colonial assure une protection indirecte et essentiellement utilitariste de l'environnement d'une part, parce qu'il ne pourvoit pas en normes spécifiques de protection de l'environnement, d'autre part, parce que, en fait de protection, il organise l'appropriation publique ou privée et une exploitation absolue libérale des ressources naturelles.

En bien des aspects, ce droit colonial est resté en vigueur dans la plupart des pays africains même après leur accession à la souverainété internationale, et fait encore souvent partie non seulement du droit positif mais complique énormément le schéma déjà complexe au départ. C'est ainsi qu'on peut avoir dans un pays africain, comme le Tchad, quatre principaux types de régimes fonciers tous différents les uns des autres basés sur quatre systèmes de droit : le droit musulman, le droit traditionnel, le droit colonial et le droit moderne écrit qui associe maladroitement ces différents systèmes.

3 - Du droit écrit post-colonial

On peut distinguer ici, suivant l'ordre chronologique de leur formation, les sources législatives et réglementaires d'émergence plus ancienne des sources constitutionnelles d'apparition plus récente.

Depuis la Conférence de Stockholm de 1972 sur l'environnement, les pays africains ont édictés de plus en plus des réglementations relatives aux parcs et réserves naturelles, à la protection des sites et de certaines espèces fauniques.

Quant aux normes spécifiques relatives à la protection de l'environnement, elles ont apparu seulement depuis la fin des années 1980.

Le droit de l'environnement apparait ainsi dans la plupart des pays africains comme un droit éclaté, fragmenté et vétuste.

Mais si, globalement, les constitutions africaines des trois premières décennies post-indépendance étaient oublieuses de l'environnement, en revanche, le renouvellement du constitutionnalisme africain, consécutif aux mutations politiques en cours depuis le début des années 1990, révèle une grande attention des constituants africains aux considérations environnementales.

Aujourd'hui, se dessine un fort mouvement de constitutionnalisation du droit de l'environnement en Afrique. Il reste toutefois, que ce droit ne peut être véritablement efficace et effective que si les représentations culturelles africaines de l'environnement sont prises en compte dans son élaboration.

B - Des représentations culturelles africaines et gestion de l'environnment

Les représentations culturelles des phénomènes environnementaux ne sont pas aisément séparables de ce que font les populations. Le <<savoir>> est lié au <<faire>> qui donne à ces phénomènes toute leur signification. Elles varient en conséquence selon le contexte et les opinions les concernant, selon la perception de ceux qui les utilisent à des fins différentes.

En ce sens, tout aspect particulier de l'environnment constitue l'objet de multiples expériences et de multiples savoirs.

Pour mieux saisir les spécificités des savoirs culturels de l'environnement, nous passerons par quelques études de cas (1) à travers les analyses locales (2) avant de nous prononcer sur la nécessité d'une réflexion théorique face à l'échec du droit de l'environnment (3).

1 - Des études de cas

Pour beaucoup de populations africaines, la terre et la végétation conservent des liens durables avec ceux qui les ont travaillées ou faconnées dans le passé. Maintenir de bons rapports avec les ancêtres est souvent considéré comme essentiel pour assurer à la fois la productivité continue des cultures et la fertilité humaine qui perpétuent le lignage. Les rapports avec les ancêtres comme avec les vivants font partie des relations socio-environnementales.

A cet effet, des sacrifices individuels, familiaux ou collectifs sont utilisés pour renouveler les rapports avec les ancêtres, solliciter leurs faveurs ou pour réparer des ruptures de ces relations, avec toutes leurs conséquences sociales et écologiques. De même, des intermédiaires non-humain - esprits ou divinités - jouent un rôle important dans ces relations socio-environnementales.

Pour de nombreuses populations ouest-africaines, le monde à l'extérieur du village est peuplé de djinns qui établissent leur "demeure" soit dans certains arbres, dans des rochers ou dans des mares et s'associent quelque fois à des animaux. Les Kouranko de Sierra Leone, par exemple, pensent que les multiples formes de djinns (djina) ont une vie"sociale" séparée de celles des êtres humains.

Ainsi, quand les agriculteurs kouranko, par exemple, abattent des forêts galeries pour créer des champs de riz, ils laissent soigneusement intacts certains bosquets à l'entrée de la vallée ou sur la pente, expliquant que ce sont les endroits où les djinns ont élu domicile ou les lieux qu'ils affectionnent pour passer le jour ou la nuit.

Abattre la totalité de la forêt reviendrait à les chasser et les conduirait à se venger, en provoquant la maladie ou la mort de l'agriculteur et quelque fois en tourmentant une famille pendant des décennies.

On aura compris, toute politique de protection de l'environnement conçue en dehors de cette pensée est vouée d'avance à l'échec. Tout ordre juridique qui ne prend pas en compte les modèles de comportement, des habitus, des codes, des usages-coutumes formant un <<système juridique droit-modèles>>, en Afrique ne peut créer qu'une insécurité permanente.

Est-il besoin de le rappeler que le droit pour être efficace et effective doit bénéficier de la légitimité des normes sociales et juridiques.

D'ailleurs, le droit n'est-il pas, avant tout, un produit, voire un fait social , caractérisé par un dispositif normatif et un ordre de contrainte ? Le droit n'est-il pas l'expression de ses rapports sociaux, l'ensemble des régles obligatoires, déterminant les rapports sociaux imposés, à tout moment, par le groupe auquel on appartient ?

En effet, le droit représente une façon de penser les rapports sociaux différente selon les sociétés, et toute société humaine, nous semble t-il a son droit.

Pour prendre un autre exemple, dans de nombreuses régions d'Afrique orientales, les déesses de l'eau et de la terre ainsi que leurs prêtres servent d'intermédiaires pour l'intégration de l'écologie humaine et "naturelle". Chez les Aouans de Côte d'Ivoire, la terre est personnifiée sous le nom d'Assie, une "déesse" qui prescrit certains comportements aux Aouans à l'égard de l'environnement forêt-savane. Ces réglementations désignent ceux qui peuvent défricher et cultiver telles ou telles parties de la terre en dehors du village, déterminent les <<jours de repos>> pour la culture et interdissent certains animaux ou certaines plantes, y compris le riz. Ils considèrent que la culture du riz conduit Assie à retirer son contrôle sur la fertilité, les précipitations et le feu, ce qui aboutit à dévaster l'environnement et à l'effrondement de la société humaine.

Enfin, il est clair que les interactions entre les hommes et les esprits peuvent impliquer des conflits aussi bien que de l'harmonie. Néanmoins, il reste, comme nous l'avons vu, tout au long de cette réflexion, que des relations socio-environnementales jouent un rôle extrêmement important dans la protection des ressources naturelles en Afrique. La prise en compte des analyses locales ainsi que des processus écologiques peuvent permettre - nous semble t-il - de faire l'économie normative de la société à travers une régulation plurielle et de ce fait, mieux comprendre le droit de l'environnement en Afrique.

2 - Des analyses locales et processus écologiques

Les approches africaines de l'environnement assimilent des processus écologiques qui intègrent des paysages et des espèces végétales et animales variés, permettant aux populations d'orienter ces processus dans leur intérêt propre. Les activités africaines de culture, d'élevage, de chasse et de cueillette représentent une <<série de variations sur des thèmes et des processus observés dans la nature>> afin que les cultivateurs <<accompagnent les processus naturels>> au lieu de les <<outrepasser>>.

Plusieurs exemples montrent les moyens employés par les paysans et les éleveurs pour diriger de multiples processus écologiques, et illustrent l'utilisation par ceux-ci d'un vocabulaire et d'expression idiomatiques spécifiques. Ces exemples, servent à mettre en lumière quelques différences entre les approches locales et les approches scientifiques européennes que nous avons décrites dans la première partie de cette réflexion.

La première différence porte sur les expressions locales, utilisées pour classer et expliquer des phénomènes significatifs dans la pensée et la pratique locales. Les chercheurs, ayant reçu une formation occidentale en sciences environnementales pourraient non seulement avoir du mal à comprendre ces expressions mais aussi et surtout négliger, comme par exemple, l'importance de la température du sol .

La deuxième différence porte sur les concepts. Dans de nombreuses sociétés africaines, les concepts utilisés pour décrire les processus agro-écologiques sont également employés pour décrire certains aspects de la fécondité et de la santé (reproductrice) des hommes. Ainsi, si la science européenne a tendance à tracer une frontière conceptuelle entre le corps humain et le sol, la médecine et l'agriculture, dans de nombreux cas, les interprétations africaines déplacent le centre d'intérêt vers des processus qui agissent sur la santé, la mort et la fertilité, problèmes communs aux plantes, aux animaux et aux hommes.

On le voit, les concepts écologiques recouvrent également des conceptions qui organisent les éléments d'une pratique locale de reproduction et de médication et vice versa.

De toute évidence, cette interdépendance entre les processus écologiques et humains est plus que métaphorique.

La troisième différence relève de la croyance religieuse. Dans de nombreuses sociétés africaines, les rapports sexuels, partie intégrante de la reproduction humaine, doivent avoir lieu uniquement dans le village et non dans la brousse ou dans les champs, lieux où les plantes et les animaux se reproduisent. Si ces règles sont transgressées, la mauvaise santé humaine, individuelle ou généralisée, ou la perte de la récolte peuvent en résulter.

Par ailleurs, chez les Beng comme chez les Aouans de Côte d'Ivoire, si la menstruation d'une femme entre en contact avec les récoltes lorsque celles-ci se trouvent au stade de la <<grossesse>>, la femme peut devenir stérile ou la récolte mourir parce que des moments différents des cycles de reproduction humaine et végétale se sont mélangés de façon inappropriée.

Pour leur part, les Mende croient que la fortune d'un chasseur peut-être influencée par les activités sexuelles de sa femme : si celle-ci commet l'adultère pendant que son mari est à la chasse, <<la brousse se refermera>> et il ne tuera rien.

On peut le constater : la relation qui lie l'homme africain à son environnement n'est pas une relation de domination, ni de possession, moins encore de soumission. Elle est une relation dialectique - fait de négociation - vivante - dynamique basée sur le respect des droits et devoirs de l'autre et de soi : On est en présence ici d'une relation de l'autre et du soi.

3 - Quel droit de l'environnement pour l'Afrique ?

Il est trop tôt ici de répondre à cette question (cette réflexion ne faisant que commencer). Aussi, nous ne prétendons pas être exhaustifs. Nous nous limiterons simplement à proposer, pour l'instant, quelques éléments de réflexion.

D'abord, le droit africain s'oppose au droit des sociétés modernes européennes pour qui, il n'y a du droit que celui de l'Etat, c'est-à-dire, droit = loi. La prévalence de la loi dans son extrémisme revêt la conception moniste qui veut qu'il n'y ait qu'un droit formant un tout homogène se confondant avec l'Etat. Cette école de juristes dogmatique, reflet de la monarchie absolue et de l'Etat jacobin, rejette toute idée d'un pluralisme car le système juridique est pour eux qualifié "d'un bloc d'une seule coulée". Cette thèse excessive doit être supplantée par une conception acceptant la possibilité rationnelle d'un pluralisme juridique de droit positif.

Nous reconnaissons avec J. Griffith, que <<le pluralisme juridique consiste dans la multiplicité de droits en présence à l'intérieur d'un même champ social>>.

De ce fait, il ne peut y avoir de droit de l'environnement applicable en Afrique que celui qui s'inscrit dans les champs sociaux réliés par des intermédiaires.En d'autres termes, un droit de l'environnement "négocié".

Ensuite, dans le cadre de la décentralisation en cours, actuellement, dans bon nombre de pays africains, la recherche d'une coviabilité entre les hommes et l'environnement en vue de jeter les bases d'un droit étatique de l'environnement légitimé par tous (populations et Etat) pour une sécurisation foncière de tous les usagers et exploitants est plus que jamais urgent.

Cette recherche passe par :

*une revisitation du rapport de l'homme à l'espace et à la ressource;

* une rédéfinition des rapports fonciers;

* une définition de la notion d'espace-ressource, écosystème-environnement;

* une mise en place des mécanismes de décisions dépendant des représentations, des logiques et des stratégies des acteurs;

* une mise en place d'une armature institutionnelle pour une cogestion intégrée dans le cadre de l'environnement et ce, dans le but de sceller les perspectives d'un développement harmonieux et durable.

Enfin, eu égard à l'insuffisance des explications de droit positif et de sociologie juridique d'une part, et à la complexité du droit de l'environnement d'autre part, la nécessité d'une réflexion théorique s'impose dans la construction d'un droit africain de l'environnement. Celle-ci passe nécessairement par une approche pluridisciplinaire et ce, à travers un pluralisme de vérités.

Conclusion Générale

Nous voici rendus au terme de cette réflexion. Il nous faut conclure, du moins pour l'instant.

Essayer de comprendre les systèmes juridiques précoloniaux dans les domaines des rapports de l'homme avec son environnement n'est pas, on l'a vu, chose facile.

La pensée européenne, façonnée par la philosophie de l'individualisme libéral du XIXe siècle, a du mal à saisir la subtilité et les nuances de la pensée communautaire de l'Afrique précoloniale.

Les populations rurales africaines dépendent directement de l'environnement. En outre, les intérêts et les représentations vis à vis de celui-ci sont souvent d'ordre pratique et technique. Il s'agit de le travailler afin de survivre.

Ainsi, si des intervenants extérieurs négligent ce savoir et ces concepts nouveaux , il est vraisemblable qu'ils échoueront dans leur tentative de répondre aux préoccupations environnementales locales, et ne comprendront ni l'écologie locale ni sa gestion.

Au demeurant, un droit africain de l'environnement doit voir le jour. Celui-ci ne sera que s'il fait siens pluralisme et complexité qui caractérisent l'Afrique contemporaine.

Il est clair, que dans sa construction, le droit africain de l'environnement doit tendre vers la reconnaissance non seulement des similitudes mais aussi des différences de sensibilité individuelle, c'est-à-dire à une forme généralisée de respect de l'autre considéré non pas comme un vis à vis du dehors, mais comme constitutif de soi.

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