Le principe de
prcaution en droit de lÕenvironnement :
rgle
juridique obligatoire ou simple principe politique destin É
Porte
et consquences dans les ordres juridiques international et national.
Par Dr SITACK YOMBATINA Bni,
Professeur de Droit de lÕenvironnement
lÕUniversit de NÕDjamna,
Directeur des Etudes et des
Stages de lÕENAM/Tchad.
Le terme Ē principe Č est polysmique dans le
vocabulaire juridique. On lÕemploie indiffremment pour dsigner un constat
dÕvidence, la conclusion dÕune analyse, une norme non juridique ou une rgle
juridique obligatoire. Pour preuve, la Dclaration de Dublin de janvier 1992
sur lÕeau[1]
nonce quatre Ē principes Č de nature et de porte trs diffrentes. La
Dclaration de Rio de Juin 1992 en compte 27 conus de faon similaire. Ces
deux dclarations ont une prtention juridique et pourtant leurs noncs ne
sont pas tous libells en termes normatifs : certains sont de simples
constats (dÕvidence ou dÕobservation) alors que dÕautres ont un caractre
normatif qui se manifeste travers lÕutilisation rcurrente du verbe Ē devoir Č, verbe impratif ou
prescriptif.
QuoiquÕil en soit, la notion de principe ncessite
en droit, une clarification.
En droit, le concept de Ē principe Č revt deux
significations[2] :
Ainsi
dfinis, les principes sont une dfinition et une cristallisation normatives
des valeurs fondamentales de la socit. Ils indiquent les objectifs
fondamentaux ou la doctrine de lÕEtat et de la socit en une matire donne.
Ce sont finalement des normes programmatoires dont le lgislateur ou le juge
auront la charge de prciser le contenu[3].
Au plan
international, les principes se retrouvent la fois noncs par les textes
dclaratoires ou par les prambules de certaines conventions ainsi quÕau niveau
de la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) Exemple : La Confrence de
Stockholm en juin 1972 sur lÕenvironnement a approuv une Dclaration
constitue dÕune proclamation en 7 points et de 26 principes.
Cette
Dclaration exprime comme premier principe, lÕide que Ē lÕHomme a un droit
fondamental la libert, lÕgalit et des conditions de vie
satisfaisantes, dans un environnement dont la qualit lui permette de vivre
dans la dignit et le bien-tre Č. Cette Ē conviction commune Č a t dtaille
sous la forme dÕautres principes, parmi lesquels on peut particulirement
souligner :
¤
lÕHomme
a le devoir solennel de protger et dÕamliorer lÕenvironnement pour les
gnrations prsentes et futures (principe 1)
¤
les
ressources naturelles doivent tre prserves par une planification ou une
gestion prudente (principe 2) et leur conservation doit tenir une place
importante dans la planification pour le dveloppement conomique (principe 4),
ou encore
¤
les
rejets de matires toxiques ou dÕautres matires, et les dgagements de chaleur
en quantits ou sous des concentrations telles que lÕenvironnement ne puisse
plus en neutraliser les effets doivent tre interrompus de faon viter que
les cosystmes ne subissent des dommages graves ou irrversibles (principe 6).
Mais quelle
que soit sa valeur juridique, un principe doit avoir, ncessairement, un
caractre normatif[4].
En droit de lÕenvironnement,
puisque cÕest de cela quÕil sÕagit, lÕtude des principes exige que soient
tris dans lÕamas actuel des noncs prtention principielle, ceux qui
constituent rellement des principes au sens o lÕentend la science du droit.
Il convient de dgager, en effet,
quelques principes fondamentaux de porte gnrale autour desquels peuvent
sÕagrger des sous-principes. Certains de ces principes sont relativement
anciens, et font dsormais partie du droit coutumier quand ils ne sont pas
consacrs conventionnellement. Il sÕagit principalement du principe de
prcaution, du principe pollueur-payeur, du principe de lÕinformation des
citoyens ou du public etc.
Pour mieux
apprhender lÕventail des principes et leur porte juridique en droit de
lÕenvironnement, nous avons dcid dÕen retenir tout simplement, dans cet
article, le Ē principe de prcaution Č et ce, pour trois raisons
essentielles.
La premire
est essentiellement dÕordre pratique. CÕest dans le cadre de diffrents
problmes rcents relatifs des risques mal connus et dÕun retentissement
important, que lÕon a vu voquer de faon croissante le Ē principe de
prcaution Č.
Les histoires de Ē vache folle Č ou de lÕencphalite spongiforme
bovine (ESB) en Grande Bretagne, du sang contamin en France, de la diffusion
des organismes gntiquement modifis (OGM) aux Etats-Unis, de la Ē crise
la dioxine Č
(Contamination de la chane alimentaire) en Belgique etc., en offrent de
difficiles exemples. Les consquences des risques sont ici graves, en mme
temps quÕil existe une incertitude leur sujet. LÕide de ces formulations est
que dans ces circonstances, lÕincertitude ne doit pas conduire ne pas prendre
de mesures de diminution des risques[5].
La deuxime
est dÕordre politique et scientifique. Le Ē principe de prcaution Č modifie les
rapports entre dcision politique et fondement scientifique de cette dcision.
Nombre de dcisions politiques du pass et du prsent nÕont pas t fondes sur
des certitudes scientifiques. Quels changements introduit ds lors le Ē principe
de prcaution Č
sous ce rapport ? Un fondement scientifique est Šil suffisant pour
dterminer une dcision politique ?
La troisime
enfin est dÕordre juridique. On retrouve aujourdÕhui de nombreux textes
caractre contraignant ou non relatifs au Ē principe de prcaution Č quÕil importe de
bien cerner car ils fournissent des rfrences Š o chaque mot compte dans le
traitement de ces problmatiques selon des rgulations politiques et
juridiques. Le Ē principe de prcaution Č utilis dÕabord de manire
limite dans des lgislations spcifiques (lois sur lÕair, sur lÕeau), va
changer de statut au milieu des annes 1980. Il devient un des grands principes
directeurs des politiques dÕenvironnement. SÕagit-il dÕune rgle de droit
part entire ? Ou dÕun Ē principe politique Č destin guider
lÕaction lgislative et rglementaire ? Est-il suffisamment prcis et
cohrent pour que lÕon puisse en dduire des consquences juridiques ?
CÕest ces trois hypothses que
lÕon tentera de rpondre mme si lÕaccent sera beaucoup plus mis sur lÕapproche
juridique, objet de cette tude.
Pratiquement inconnu jusquÕau milieu des annes
1990, le Ē principe de prcaution Č est devenu, avec lÕaffaire
de la vache folle, une expression populaire[6].
On invoque lÕapplication du principe de prcaution dans les domaines les plus
htrognes (climat, couche dÕozone, faune, flore, pcheries, OGM, sant,
alimentation, jusquÕaux conditions dÕutilisation des armes sur les champs de
bataille). Il est donc devenu une rfrence majeure de la gestion des risques
dans le champ de lÕenvironnement et de la scurit alimentaire et sanitaire. Un
spcialiste de la sant publique y voit travers le Ē principe de
prcaution Č
une reprise de la dmarche pidmiologique classique face au risque :
confronte une maladie dont les causes ne sont pas lucides, la prvention
sÕorganise, sans attendre des certitudes, partir de lÕanalyse des facteurs de
risques, qui ne sont pas des causes[7].
Ainsi, le principe apparu au dbut
des annes 1970[8], afin de
mettre lÕenvironnement au centre des politiques publiques, en vient devenir
synonyme de politique de scurit. LÕquation est la suivante : scurit
= prcaution.
Ē Le principe de prcaution Č est une approche de
gestion des risques qui sÕexerce dans une situation dÕincertitude scientifique,
exprimant une exigence dÕaction face un risque potentiellement grave sans
attendre les rsultats de la recherche scientifique[9].
La prcaution se distingue de la
protection contre les dangers. La diffrence rside dans lÕidentification du
risque. Les pouvoirs publics ont videmment protger contre les risques
identifiables. Or, le contexte actuel dans lequel le Ē principe de
prcaution Č
tente de sÕimposer est celui dÕun basculement de lÕimaginaire collectif et des
pratiques sociales touchant la science et la technique vers une
systmatisation du doute et de la controverse. Si la foi dans les bienfaits de
la science et du progrs technique nÕa pas disparu, il reste quÕelle nÕest plus
constitutive du lien social. La scurit apporte certains membres de la
socit nÕempche pas une large exclusion conomique et sociale de se
dvelopper.
La gestion des risques prsuppose
que le risque ait t pralablement valu. Sur la base de cette valuation,
les diffrentes options de mesures prendre sont considres par les gestionnaires
du risque, cÕest--dire les dcideurs. Les dcideurs sont juridiquement et
politiquement fonds prendre des mesures de prcaution sans attendre une
confirmation scientifique du risque. Une approche de prcaution doit prendre en
compte, comme le fait dj la gestion normale, les risques actuels mais aussi
les risques pour les gnrations futures tels que les risques de dversement
des produits chimiques, de mutations gntiques ou de perturbations
endocriniennes lis aux bio- accumulations de substances toxiques ou
radioactives.
Les institutions qui devaient
apporter la scurit ont, souvent failli et menacent de le faire davantage
encore lÕavenir, tant elles semblent dbordes par le mouvement heurt des
innovations et des pratiques hors normes. En de nombreux cas, les dfaillances
observes ne sÕexpliquent pas par la force majeure, mais par des erreurs de
jugement ou par un trouble dans la hirarchie des critres de dcision et des
valeurs, ou encore par une compromission tolre entre des intrts de sant
publique et des intrts industriels. Des comptes commencent tre demands,
si bien quÕil a fallu que lÕEtat en France rvise dÕurgence les rgles
dÕengagement de la responsabilit pnale des agents publics pour des faits
dÕimprudence ou de ngligence (cf. Loi du 13 mai 1996) afin de mieux protger
ceux qui le servent, sans dÕailleurs y parvenir[10].
Le gouvernement allemand a adopt,
ds 1986, des Directives sur la prcaution en matire dÕenvironnement . Ces Directives ont t
par la suite soumises au Bundestag. On pouvait lire dans le texte ce qui suit :
Ē Par
prcaution, on dsigne lÕensemble des mesures destines soit empcher des
menaces prcises lÕenvironnement, soit, dans un objectif de prvention,
rduire et limiter les risques pour lÕenvironnement, soit, en prvoyance de
lÕtat futur de lÕenvironnement, protger et amliorer les conditions de
vie naturelles, ces diffrents objectifs tant lis Č[11].
La prcaution dsigne trois types
dÕactions hirarchises selon une perspective temporelle qui vont du court
terme de la prvention contre les risques imminents au long terme de la gestion
de ressources naturelles. La perspective de prcaution intgre la prvention.
Elle passe par trois impratifs : rduire les risques et viter les
missions mme quand on ne constate pas dÕeffets dans lÕimmdiat ;
formuler des objectifs de qualit environnementale ; dfinir une approche
cologique de la gestion de lÕenvironnement.
On lÕaura compris : lÕattitude
de prcaution nat de la volont de sÕaffranchir de la dmarche assimilative
pour lui substituer une dmarche prventive voire anticipative[12].
La dmarche de prcaution, avec la dimension dÕincertitude qui lÕaccompagne,
impose dÕanticiper, de prvenir, de prendre le devant, dÕaller au-devant du
risque, de la menace avant quÕelle ne se ralise. Cela change tout : non
pas tant la volont de rduire les risques que la manire dÕy parvenir. La
prcaution dcrit alors un comportement de prvoyance, de prvision vis--vis
de lÕavenir. On se laisse pas prendre au dpourvu, parce quÕon redoute que,
alors, il sera trop tard. Le comportement dÕassurance, du moins tel quÕon lÕa
valoris au XIXe sicle, travers la vertu de prvoyance, correspond aussi
une dmarche de prcaution, mme sÕil y a une nuance : dans le cas de
lÕassurance, on estime que le risque est indpendant de la volont Š cÕest une
des dfinitions de lÕala -, quÕil faut donc le subir sÕil doit arriver, alors
que, dans lÕattitude de prcaution, on a conscience dÕtre les auteurs potentiels
du dommage. LÕassurance porte sur des risques exognes, quand la dmarche de
prcaution concerne des risques endognes, cÕest--dire dont nous savons que
nous en sommes les auteurs, les causes, que nous en sommes lÕorigine. Ainsi
pourrait-on dfinir la prcaution comme lÕassurance des risques endognes.
Le Ē principe de prcaution Č est un sujet de plus en
plus important dans les dbats relatifs aux risques environnementaux. Ses
consquences pour lÕlaboration des politiques soulvent de nombreuses
questions. Beaucoup craignent que Ē lÕapproche de prcaution Č soit trop ambigu
et trop peu oprationnelle pour servir de base une relle prise de dcision,
quÕelle sÕoppose la science, voire mme quÕelle menace dÕtouffer
lÕinnovation technologique et la croissance conomique. Nous examinerons ici
quelques questions clefs, la fois thoriques et pratiques, relatives la
relation entre Ē science Č et Ē prcaution Č dans la gestion du
risque environnemental.
Le risque environnemental, on le
sait, nÕest pas un concept monolithique. Dans les approches quantitatives les
plus troitement dfinies et rductrices, il est reconnu que le risque est
fonction de deux variables : la probabilit et lÕamplitude dÕun impact donn.
Habituellement, la spcification
des risques associs une option individuelle ncessite la combinaison dÕun
ensemble de risques de types distincts, chacun correspondant une forme
particulire dÕimpact. Prenons lÕexemple dÕune question dÕactualit, les
aliments gntiquement modifis. Il est clair que le dbat rgulateur en la
matire embrasse un large ventail de problmes disparates qui comprennent
lÕenvironnement, la sant humaine, lÕagriculture, lÕconomie et les questions
dÕthique[13].
Le problme qui se pose est la
slection des facteurs inclure dans lÕvaluation du risque. LÕvaluation
doit-elle tenir compte des problmes sociaux, conomiques, culturels et
thiques, au mme titre que des facteurs environnementaux et de sant ? En
ce qui concerne les facteurs physiques dfinis plus troitement, dans quelle
mesure lÕvaluation doit-elle chercher tenir compte des effets additifs et
indirects associs des risques environnementaux particuliers ?
Pour rpondre ces questions, il
convient de noter que toutes choses tant gales par ailleurs, lÕvaluation
sociale des risques environnementaux doit tre aussi complte et exhaustive que possible. La prise de
dcision rgulatrice en matire de risques environnementaux devrait,
idalement, reposer sur lÕanalyse de lÕensemble des problmes considrs comme
pertinents et de tous les aspects des cycles de vie et des chanes de
production associs aux diverses technologies. LÕvaluation devrait tenir
compte de tous les effets additifs et indirects, qui sont significatifs au mme
titre que les relations causales plus simples.
Un autre problme qui se pose le
plus souvent porte sur la manire de construire et de hirarchiser les
diffrents aspects du risque environnemental qui sont compris dans
lÕvaluation. Par exemple, dans quelle mesure les analyses doivent-elles
reposer sur des donnes empiriques passes et bien documentes, des pratiques
primes ou des circonstances non pertinentes ? Comment des aspects
individuels et non quantifiables du risque peuvent-ils tre pris en
considration ?
Mme lorsquÕils sont quantifiables,
se pose la question de la hirarchisation des facteurs agrgeant certains
effets tels que la toxicit, le caractre cancrigne, la nature allergne, la
scurit et lÕhygine au travail, la biodiversit ou lÕintgrit cologique.
Quels doivent tre les poids relatifs des impacts sur les diffrents groupes
notamment les travailleurs, les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants,
les gnrations futures, ou mme sur les animaux et les plantes ? Quels
sont les poids relatifs des impacts de pollution de lÕair et de bien dÕautres
substances sur les populations vivant actuellement dans la rgion productrice
du ptrole au Tchad ?
Quelque soit le danger intrinsque
dÕune substance, ce qui importe en ralit du point de vue de lÕvaluation de
son impact potentiel, cÕest de savoir si le niveau dÕexposition cette
substance pour une cible potentielle (homme, faune, flore, cosystme) est
susceptible dÕatteindre ou de dpasser le seuil maximal dtermin comme tant
celui sans effet indsirable.
Dans la plupart des cas, du fait
des incertitudes exprimentales, de la variabilit de sensibilit entre
individus ou espces et, le plus souvent, de lÕabsence de donnes relatives
ces cas rels, cette valuation ne peut sÕexprimer que comme une probabilit
assortie
dÕun degr dÕincertitude. CÕest pour cela que lÕon parle dÕvaluation dÕun risque (risk assessment) et que, compte tenu de
cette dimension statistique, il est peu raliste dÕvoquer un Ē risque
nul Č.
Un risque est dfini comme la probabilit dÕun effet calcul sur la base du
rapport entre le niveau dÕexposition une substance (la combinaison de la dose
et de la dure) et le niveau-seuil au-del duquel ses proprits dangereuses
seraient susceptibles de se manifester. Le risque dpend donc du niveau
dÕexposition probable ou avre une substance. Mme pour une substance identifie
comme intrinsquement trs dangereuse (toxine botulique, dioxine, oxyde de
carboneÉ), il nÕ y a risque que si ce rapport est suffisamment lev.
Enfin, les critres retenus dans la
slection du niveau de risque acceptable et donc prsentant une scurit juge suffisante varieront
selon les situations. Ce sont l des jugements de valeur et la responsabilit
de dfinir ce qui est acceptable ne peut tre assume par les seuls experts
scientifiques ou les pouvoirs publics : il faut associer - me semble t-il Š la socit
civile. La dfinition du caractre
acceptable doit tenir compte du caractre plus ou moins irremplaable de
lÕactivit lie lÕexposition de la substance : est-ce les hydrocarbures,
un aliment, un mdicament vital ? A t-il des qualits techniques,
nergtiques, conomiques, pratiques (dans le cas des sachets plastiques
communment appel Ē Leydas Č au Tchad ou OGM par exemple)
particulires ? Il doit aussi prendre en compte la sensibilit
particulire de la cible potentielle : enfant, femme, handicap,
utilisateur averti ou non, etc.
Ici comme ailleurs, la prcaution
doit tre de mise. Elle doit alors intgrer dÕautres critres pour tablir un niveau
de scurit requis et acceptable pour la population expose.
Le concept du Ē principe de
prcaution Č
a t considrablement dvelopp et juridiquement tabli dans le domaine de la
protection de lÕenvironnement. De nombreuses conventions internationales ont
instaur ce principe comme base des actions de prvention.
La Dclaration
de Rio en 1992 a adopt le principe 15 : Ē pour protger lÕenvironnement,
des mesures de prcaution doivent tre largement appliques par les Etats selon
leurs capacits. En cas de risque de dommages graves ou irrversibles,
lÕabsence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prtexte pour
remettre plus tard lÕadoption de mesures effectives[14]
visant prvenir la dgradation de lÕenvironnement Č et la Convention-cadre des
Nations Unies sur le changement climatique (Rio, 1992) prvoit son article 3 des
dispositions analogues.
Le Trait
dÕAmsterdam a
modifi lÕarticle 130 R (2) du Trait sur lÕUnion europenne comme suit : Ē La politique de la
Communaut dans le domaine de lÕenvironnement vise un niveau de protection
lev, en tenant compte de la diversit des situations dans les diffrentes
rgions de la communaut. Elle est fonde sur les principes de prcaution et
dÕaction prventive, sur le principe de la correction, par priorit la
source, des atteintes lÕenvironnement et sur le principe du pollueur-payeurÉ Č
Dans le domaine de la
protection des consommateurs et de leur sant, lÕarticle 100a paragraphe 3 du
Trait t modifi comme suit :
Ē La commission, dans ses
propositions prvues au paragraphe 1er en matire de sant, de
scurit, de protection de lÕenvironnement et de protection des consommateurs,
prend pour base un niveau de protection lev en tenant compte notamment de
toute nouvelle volution base sur des faits scientifiques Č.
En outre, la
communication de la Commission du 30 avril 1997 sur la sant des consommateurs
et la scurit des aliments (COM 97 183 final) a tabli que : Ē La Commission sera guide
dans son analyse de risque par le principe de prcaution dans les cas o les
bases scientifiques sont insuffisantes ou lorsquÕil existe quelques
incertitudes Č.
Solidaire de
la philosophie du Ē dveloppement durable Č, le Ē principe de
prcaution Č
va, sous une forme ou une autre, tre repris, ou intgr, dans toute une srie
de Conventions portant sur la gestion des ressources naturelles (biodiversit,
pche, forts), la protection de lÕenvironnement, soit sous une forme rgionale
(Mditerrane, Atlantique du Nord-Est, Mer Baltique etc.) soit par problmes
(dchets, couche dÕozone, etc.).
La Convention
sur la diversit biologique (Rio 1992) prcise, dans son prambule : Ē Notant quÕil importe au
plus haut point dÕanticiper et de prvenir la source les causes de la
rduction ou de la perte sensible de la diversit biologique et de sÕy
attaquer, notant galement que, lorsquÕil existe une menace de rduction
sensible ou de perte de la diversit biologique, lÕabsence de certitudes
scientifiques totales ne doit pas tre invoque comme raison pour diffrer les
mesures qui permettraient dÕen viter le danger ou dÕen attnuer les effetsÉ Č
Dans le cadre de cette Convention,
le Protocole de Carthagne sur la prvention des risques biotechnologiques (Montral, 29 janvier
2000) prcise : Ē LÕabsence de certitude scientifique due lÕinsuffisance
des informations et connaissances scientifiques pertinentes concernant
lÕtendue des effets dfavorables potentiels dÕun organisme vivant modifi sur
la conservation et lÕutilisation durable de la diversit biologique dans la
Partie importatrice, compte tenu galement des risques pour la sant humaine,
nÕempche pas cette partie de prendre comme il convient une dcision concernant
lÕimportation de cet organisme vivant (É) pour viter ou rduire au minimum ces
effets dfavorables potentiels Č. CÕest faire jouer ici le Ē principe de prcaution Č comme clause de
sauvegarde en matire de sant publique.
LÕAccord aux
fins de lÕapplication des dispositions de la Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer du 10 dcembre 1982 relative la conservation et la
gestion des stocks de poissons dont les dplacements sÕeffectuent tant lÕintrieur
quÕau-del des zones conomiques exclusives et des stocks de poissons grands
prvoit que Ē Les Etats appliquent largement lÕapproche de prudence la
conservation, la gestion et lÕexploitation des stocks de poissons
chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs afin de protger les
ressources biologiques marines et de prserver le milieu marin et que les Etats
font preuve dÕune prudence dÕautant plus grande que les donnes sont
incertaines, peu fiables ou inadquates Č.
Aux termes de
la Convention sur la protection du milieu marin de lÕAtlantique du Nord-Est (Ospar, 1992), Ē Les Parties
contractantes appliquent : le principe de prcaution, selon lequel des
mesures de prvention doivent tre prises lorsquÕil y a des motifs raisonnables
de sÕinquiter du fait que des substances ou de lÕnergie introduites, directement
ou indirectement, dans le milieu marin, puissent entraner des risques pour la
sant de lÕhomme, nuire aux ressources biologiques et aux cosystmes marins,
porter atteinte aux valeurs dÕagrment ou entraver dÕautres utilisations
lgitimes de la mer, mme sÕil nÕ y a pas de preuves concluantes dÕun lien
causal entre les intrants et les effets supposs Č.
La Convention
sur lÕinterdiction dÕimporter des dchets dangereux et le contrle de leurs
mouvements transfrontires en Afrique (Bamako, 1991) stipule que Ē Chaque Partie
sÕefforce dÕadopter et de mettre en Ļuvre, pour faire face au problme de la
pollution, des mesures de prcaution qui comportent, entre autres,
lÕinterdiction dÕvacuer dans lÕenvironnement des substances qui pourraient
prsenter des risques pour la sant de lÕhomme et pour lÕenvironnement, sans
attendre dÕavoir la preuve scientifique de ces risques Č.
Que dire des
Ē Leydas Č qui empoisonnent
la vie des NÕDjamnois (es) en ce moment?
Le mot
Ē dchet Č, apparu au XIVe sicle, vient du verbe Ē dchoir Č, qui traduit la
diminution de valeur dÕune matire, dÕun objet, jusquÕau point o ils
deviennent inutilisables en un lieu et en un temps donns. De faon plus
administrative, la Directive europenne 91/56/EEC dfinit un dchet comme
Ē toute
substance que le propritaire abandonne, destine lÕabandon ou se trouve dans
lÕobligation de se dbarrasser Č[15].
Un dchet est
galement ce qui doit tre limin parce quÕil prsente un danger sÕil est
inflammable, explosif, corrosif, chimiquement trs ractif, comme le sodium, ou
encore radioactif. Un dchet peut galement tre dangereux du fait quÕil cre
de la pollution dans notre biosphre.
Quant au Protocole
relatif aux substances qui appauvrissent la couche dÕozone (Londres, 1990), il pose que les
Parties sont Ē dtermines protger la couche dÕozone en prenant des mesures de
prcaution pour rglementer quitablement le volume mondial total des missions
de substances qui lÕappauvrissentÉ Č
Sur le plan
Phytosanitaire, LÕaccord sur lÕapplication des mesures sanitaires et
phytosanitaire (accord SPS) est prcis quant la possibilit dÕutiliser le
Ē principe de prcaution Č bien que ce terme ne soit pas
explicitement employ. LÕarticle 5 (7) stipule que : Ē Dans le cas o les preuves
scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un membre pourra provisoirement adopter des mesures
sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents
disponibles, y compris ceux qui manent des organisations internationales
comptentes ainsi que ceux qui dcoulent des mesures sanitaires ou
phytosanitaires appliques par dÕautres membresÉ Č
Au regard de
cet Accord SPS, les mesures adoptes travers lÕapproche de prcaution lorsque
les donnes scientifiques sont insuffisantes nÕont quÕun caractre provisoire
et impliquent quÕun effort soit dploy pour obtenir ou gnrer les donnes
scientifiques ncessaires. La mesure prise dans ce contexte ne peut donc tre
maintenue que pendant un temps raisonnable dont la longueur nÕest pas
dtermine, et pour autant que des recherches scientifiques soient en cours[16].
Le Ē principe
de prcaution Č
est aussi voqu plusieurs reprises devant les juridictions internationales.
CÕest ainsi que la Nouvelle-Zelande a voulu lÕopposer la France, devant la
C.I.J, lors de la reprise des essais nuclaires (1995), au motif que la France
aurait d procder une valuation de lÕimpact sur lÕenvironnement avant de
les entreprendre, et dmontrer quÕelles taient sans risque. La Cour ne sÕest
pas prononce sur la question. Saisie dans une affaire opposant la Hongrie la
Slovaquie propos dÕinstallations hydrauliques sur le Danube (projet Gabcikovo-Nagymaros), la Cour a cart
lÕargumentation hongroise, considrant que le pril dont se plaignait la
Hongrie tait la fois trop incertain et trop lointain.
Dans la
jurisprudence de la Cour europenne de justice, lÕarrt sur la validit de la
dcision de la Commission interdisant lÕexportation du bĻuf du Royaume-Uni (aff.
C-180/96)
pour limiter le risque de transmission de la BSE est clair : Ē Prenant en
considration la gravit du risque et lÕobjectif de la dcision, lÕinterdiction
globale dÕexportation des bovins, de la viande bovine et des produits
drivs, la Commission nÕa pas agi de faon manifestement inapproprie en
adoptant la dcision, de faon temporaire et dans lÕattente dÕinformations
scientifiques plus dtaillesČ[17]. (paragraphes 97 et 110).
Ē Or, il doit tre admis que,
lorsque des incertitudes subsistent quant lÕexistence ou la porte des
risques pour la sant des personnes, les institutions peuvent prendre des
mesures sans avoir attendre que la ralit et la gravit de ces risques
soient pleinement dmontres Č (paragraphe 99).
Notons que dans le cadre des
contentieux de lgalit, tant les juridictions communautaires que les
juridictions administratives nationales (notamment en France, en Belgique, en
Allemagne) exercent un contrle la fois sur le bien-fond de la dcision
(lgalit interne) et sur le respect des procdures (lgalit externe). Si le juge
se livre un contrle plus tendu du respect des procdures, il restreint son
contrle du bien-fond de la dcision (lgalit interne) dans la mesure o la
lgislation laisse lÕadministration une importante marge dÕapprciation.
Ainsi, dans
lÕaffaire de la vache folle, la Cour europenne de justice a fait rfrence au
Ē principe de prcaution Č inscrit lÕarticle 174, ¤ 2 du Trait pour
corroborer la dcision dÕinterdiction de la Commission, au motif que cette
dernire pouvait prendre des mesures de protection de la sant publique sans
devoir attendre que la ralit et la gravit des risques de propagation de la
maladie de Creutzfeld-Jakob soient pleinement dmontres[18].
Dans la mme veine, le Conseil
dÕEtat franais a recouru plusieurs reprises au Ē principe de
prcaution Č,
tantt pour valider des normes de protection de la sant[19],
tantt pour suspendre un arrt autorisant la commercialisation du mas
transgnique[20].
En procdant de la sorte, les
juridictions communautaires et nationales laissent aux administrations une
marge dÕapprciation importante lorsquÕelles adoptent des mesures de police
administrative dans un contexte dÕincertitude scientifique. On peut se demander
quand lÕapplication du principe de prcaution au Tchad ? et plus prcisment
devant les juridictions nationales ?
Devant les
juridictions de lÕOrganisation Mondiale du Commerce (OMC), le Ē principe
de prcaution Č
semble promis un bel avenir : il sÕagit dÕarbitrer le conflit entre le
principe de la libert des changes et les mesures de sauvegarde quÕun Etat
peut tre amen prendre pour protger la sant de sa population ou son
environnement. Car, en mme temps quÕils organisent la libert du commerce, les
accords OMC reconnaissent quÕun Etat peut se prvaloir du principe de
prcaution. Dans lÕaffaire du bĻuf aux hormones, les Etats-Unis nÕadmirent pas
devant les juridictions de lÕOMC que le Ē principe de prcaution Č puisse revtir le
statut de rgle coutumire internationale ; il fut suggr quÕil
sÕagissait plus dÕune approche que dÕun principe[21].
On lÕaura
compris : pour revtir un caractre autonome et parvenir obliger leurs
destinataires, le principe de prcaution doit remplir deux conditions :
dÕune part, il doit tre coul dans un texte porte normative (approche
formelle) et, dÕautre part, il doit tre formul de manire suffisamment
prescriptive (approche matrielle). CÕest au regard de cette double approche
quÕil pourra sÕimposer, tout au moins sur un plan thorique, dans les
diffrents ordres et sphres juridiques distincts.
En France[22],
comme en Belgique[23],
les amorces de rformes du droit de lÕenvironnement furent une occasion pour
proclamer le principe de prcaution au ct dÕautres principes plus anciens.
Au Tchad, la
Loi n” 014/PR/98 dfinissant les principes gnraux de la protection de
lÕenvironnement voque de faon lapidaire la question des principes :
lÕArticle1
portant sur les objectifs stipule : Ē La prsente Loi a pour objectifs
dÕtablir les principes pour la gestion durable de lÕenvironnement et sa
protection contre toutes les formes de dgradation, afin de sauvegarder et
valoriser les ressources naturelles et dÕamliorer les conditions de vie de la
population. Des textes rglementaires subsquents prciseront le cadre et les modalits
dÕapplication Č. De quels principes parle
t-on ? Le texte ne dit rien. Il reprend simplement le mme contenu dans le
chapitre 3, article 3 relatif aux principes fondamentaux qui ne sont noncs
nulle part. On note que des Dcrets prciseront le cadre et les modalits
dÕapplication des dispositions de lÕalina 1 de la prsente loi.
Obligation de concision ou simple
oubli ? Nous y reviendrons dans la prochaine rflexion.
En conclusion, sÕil y a
certainement une part de slogan mythique, voire de manifeste politique, on ne
saurait pourtant rduire le Ē principe de prcaution Č lÕarme dÕun
combat politicien, car lorsquÕil est repris dans des textes au contenu normatif
et quÕil sÕimpose des catgories prcises de personnes, ce principe constitue
incontestablement une vritable norme juridique dont lÕinfluence est toutefois
plus diffre quÕimmdiate.
Son intensit
juridique varie en fonction de lÕordre juridique dans lequel il est
repris : international, communautaire ou national.
Au demeurant,
le Ē principe
de prcaution Č
sÕaffirme progressivement comme une rgle dÕapplication directe et autonome
dans des contentieux se rapportant des dcisions publiques prises dans un
contexte dÕincertitude scientifique.
Aussi, les
juridictions contribuent-elles, de plus en plus, leur tour, en affiner la
porte et les consquences juridiques du principe qui, dans une socit
mondialise du risque comme la ntre, a encore un
bel avenir.
[1] Confrence internationale sur lÕeau et
lÕenvironnement : le dveloppement dans la perspective du XXI sicle, 26-31 janvier 1992, Dublin, Irlande,
Dclaration de Dublin et Rapport de la Confrence.
[2] Cf. Le Vocabulaire juridique de
lÕAssociation Henri Capitant (Sous
la direction de Grard CORNU), Paris, PUF, 1987, P. 613 ; voir aussi, Le Dictionnaire
encyclopdique de thorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., Story-Scienta, 1998.
[3]
KAMTO M., Droit
de lÕenvironnement en Afrique,
Paris, d. EDICEF/AUPELF, 1996, p. 72.
[4] Ibidem.
[5] Voir par exemple la formulation dans la
Dclaration de Rio (Confrence des Nations-Unies sur lÕEnvironnement et le
Dveloppement, 1992, dans son principe 15) : Ē En cas de risques de
dommages graves ou irrversibles, lÕabsence de certitude scientifique ne doit
pas servir de prtexte pour
remettre plus tard lÕadoption de mesures conomiquement efficaces
visant prvenir la dgradation de lÕenvironnement Č.
[6] EWALD F., GOLLIER C., DE SADELEER N., Le principe de prcaution, Paris, PUF, 2001, p. 3.
[7] ABENHAIM L., Ē Nouveaux enjeux de sant publique :
en revenir au paradigme du risque Č, Revue franaise des Affaires
sociales, 1999, 53, 1, pp.
31-44.
[8] Le principe (Vorsorgeprinzip) prend naissance en Allemagne au cours des
annes 1970. Konrad von Molte, dans lÕtude quÕil a ralise pour lÕInstitut de politique europenne
de lÕenvironnement, prcise que la notion apparat comme principe des
politiques de lÕenvironnement du gouvernement allemand en
1976 : Ē La politique de lÕenvironnement ne se limite pas prvenir des
dommages imminents ou les rparer sÕils se ralisent. Une politique
environnementale prcautionneuse (vorsorgende Umweltpolitik) demande en outre
que les ressources naturelles soient protges et quÕelles soient gres avec
soin Č. voir EWALD
F., et al., op. cit., p. 6.
[9] ZACCAI E., et MISSA J.N., (dir.,) Le principe de prcaution,
Significations et consquences,
Bruxelles, d. de lÕUniversit de Bruxelles, 2000, p. 42.
[10] Conseil dÕEtat, La responsabilit des
agents publics en cas dÕinfractions non intentionnelles, La Documentation franaise, Paris, 1996.
[11] BOEHMER C., The
precautionary principle in Germany Š enabling Government, Interpreting the
Precautionary Principle, London, 1994, p. 31.
[12] Sur le principe de prcaution comme Ē changement
de paradigme Č, voir
HOHMANN H., Precautionary
Legal Duties and Principles of Modern International Environmental Law, Londres-Boston, 1994.
[13] STIRLING A.,
MAYER S.,ÓRethinking Risk: a report multi-criteria mapping of a genetically
modifield crop in agricultural systems
in the UKÓ, report for the UK Roundtable on genetic
Modification, SPRU, University of Sussex, 1999.
[14] En anglais : Ē cost
effective Č
[15] PICHAT Ph., La gestion des dchets, Paris, d., Flammarion, 1995, p. 11.
[16] ZACCAI E., et MISSA J.N., (dir,.) op. cit., p. 41.
[17] Arrt du 5 mai 1998 (Aff. C-180/96).
[18] CJCE, 5 mai 1998, Royaume-Uni c.
Commission, aff. C-180/96, Rec., p. I-2269, points 99 et 100.
[19] CE, 24 fvrier 1999, Socit Pro-Nat, req. n” 192465 ; 30 juin 1999, Germain, req. n” 202814.
[20] CE, 19 fvrier 1998, Association
Greenpeace France.
[21] United States
appelleeÕs submission, point 92.
[22] Voir la Loi L 95-101 du 2 Fvrier relative
au renforcement de la protection de lÕenvironnement.
[23] Voir le Dcret du 5 avril 1995 de la Rgion
Flammande contenant des dispositions gnrales concernant la politique de
lÕenvironnement de mme que la Loi fdrale belge du 12 mars 1999 visant la
protection du milieu marin.