Diop  M. Moustapha

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                                             Thèse d’Anthropologie et Sociologie du politique

 

Titre de thèse : ‘Mutations patrimoniales ou individualisation «imparfaite » des droits fonciers dans la plaine de Timbi-Madina au Fouta Djalon’, République de Guinée.

 

                                    Dirigée conjointement par :

 

                        Pierre Philippe Rey, professeur d’Anthropologie à l’Université Paris 8

                       

                        Etienne Le Roy, professeur de Droit à l’Université Paris 1

 

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Introduction liminaire

 

Cette brève introduction  a pour but de montrer l’intérêt de cette étude anthropologique  portant sur le foncier et la gestion des ressources naturelles  en Guinée. En effet, le «paradigme du foncier » est une démarche pertinente pour rendre compte à la fois de la complexité et du devenir des sociétés humaines.  Le foncier apparaît dès lors  comme un «fait social total » dans le sens de Marcel Mauss. Dans la mesure où la terre constitue le support et le moyen de  réalisation de l’ensemble des activités des sociétés humaines.

 

            C’est dans une telle approche que nous  avons voulu restituer la mutation des rapports traditionnels de l’Homme  à la terre dans la plaine de Timbi-Madina. Ce processus, que nous avons qualifié de «patrimonial», est particulièrement observable dans cette région de la Guinée.

 

            Ce présent texte se propose de présenter l’essentiel de notre démonstration à travers notamment la problématique et les enjeux de la plaine de Timbi-Madina ; nos thèse et hypothèses sur cette problématique ; notre démarche ;  les résultats de nos observations et notre perspective de sécurisation  foncière locale.

 

1.     La problématique et les enjeux de la plaine de Timbi-Madina

 

Les enjeux de la plaine de Timbi sont capitaux tant pour la question de l’aménagement du territoire que pour l’accès individuel des acteurs à leurs sols et à leurs ressources. Cette plaine convoitée, aujourd’hui, par plusieurs acteurs locaux, couvre en réalité une superficie totale de plus de 48.000 hectares. Ces terres ont été appropriées par les Peuls musulmans depuis la guerre sainte instaurant  l’Etat théocratique du Fouta Djalon. Ces espaces et ressources étaient confiés directement aux anciens maîtres du pays conquis par les Peuls musulmans. Des ressources foncières qui ont été longtemps négligées et même abandonnées par certains maîtres.

 

 

 

Les sols de cette plaine, réputés traditionnellement pauvres ou non rentables, sont particulièrement recherchés aujourd’hui par les nouveaux agriculteurs ou les producteurs de rente. C’est surtout la culture de la pomme de terre qui symbolise cette mutation patrimoniale. L’extension de cette production agricole tend actuellement à l’éviction des agriculteurs traditionnels et des éleveurs transhumants. Cette situation entraîne des conflits incessants entre les nouveaux agriculteurs et les producteurs locaux.

 

      La mutation des rapports fonciers et d’accès aux ressources naturelles se posent donc à la fois en termes de réaménagement  des espaces ; de sécurisation des rapports individuels à la terre ; de l’extension agricole ;  d’urbanisation rurale ; de la réduction ou de la disparition des jachères et des espaces de pâturage.

 

Cette problématique et enjeux fonciers locaux ont été reformulés  en une seule interrogation.  Une question à laquelle nous avons  cherché à répondre : Comment se fait-il que l’espace agricole a tendance aujourd’hui à une occupation totale de l’espace pastoral, en remettant en cause le principe traditionnel d’interdépendance et de complémentarité entre l’élevage et l’agriculture dans une région pourtant considérée et réputée comme étant pauvre en ressources agricoles mais au contraire propice à l’élevage ?

 

2.     Notre thèse

 

Notre observation directe de la gestion foncière et des ressources naturelles dans la plaine de Timbi-Madina, nous a permis de soutenir que : les principes traditionnels d’interdépendance et de complémentarité agropastoraux ont été bouleversés  par la politique de «mise en valeur coloniale » ; reposant sur un système individuel d’attribution et d’exploitation des terres. Mais ce processus d’individualisation reste toujours «imparfait » dans la mesure où le contrôle lignager est encore vivace dans la circulation des terres et des ressources naturelles. Le foncier, dans cette région de la Guinée, n’est pas seulement une question économique ; il est aussi et surtout politique, social, culturel et religieux. 

 

3.     Nos hypothèses

 

Cette thèse est démontrée à partir d’une série d’hypothèses :

 

° Les Baga furent les premiers occupants connus du Fouta Djalon et ce groupe ethnique aurait mis en valeur les terres de bas fonds des agriculteurs jalonke et des éleveurs Pulli ;

 

° Les modes traditionnels d’aménagement de l’espace entre agriculteurs jalonke et éleveurs Pulli n’a pas été remis en cause en fait mais en droit sous le régime de l’Etat théocratique ;

 

° Les Peuls musulmans ont conquis le Jalonkadugu avec les armes ou le Coran. Mais ils ne seraient pas venus avec le bétail comme les Peuls Pulli.

 

° La structure sociale des Peuls du Fouta Djalon repose sur l’alliance entre animistes (premiers occupants ou autochtones) et les conquérants (Peuls musulmans). C’est cette alliance qui fonde cette communauté agropastorale. Malgré le système de domination de façade institué par l’Etat théocratique du Fouta Djalon.

 

° L’administration coloniale française, ne pouvait certainement pas concevoir l’exploitation des ressources naturelles sans attribution individuelle des terres.

 

° Le système d’exploitation et d’exportation des ressources naturelles a été la finalité de la colonisation en Afrique. C’est cet héritage qui ferait que l’Etat se construit et s’institutionnalise en Afrique à partir de la régulation foncière et de la gestion des ressources naturelles.

 

4.     Notre démarche

 

Notre démarche théorique et notre méthode d’observation ont été mises en œuvre dans la compréhension ou pour rendre compte de la complexité  des rapports fonciers, résultants de la superposition de plusieurs processus, de logiques et de représentations des différents usagers de la terre et des ressources naturelles. D’où notre théorie de mutations patrimoniales, notre démarche  «odologique » et  la pertinence de notre méthode de comparaison.

 

° Notre théorie de mutations patrimoniales repose sur un double concept : mutation et  patrimoine. Des concepts qui lui donnent son sens théorique ou critique (recherche fondamentale) et son intérêt pratique (recherche appliquée).

 

° La démarche «odologique ». Ce concept a été repris par Etienne Le Roy pour la compréhension de la complexité de la gestion de l’espace pastoral en Afrique. Le mot viendrait du grec et défini comme étant une science ou connaissance du cheminement ou de parcours. Nous avons adopté cette démarche en dépassant la gestion de l’espace pastoral à travers la question de la transhumance et en intégrant les pistes de commerce et de migration ou de déplacement des populations.

 

° La pertinence de notre méthode d’observation et de recueil d’informations ont été réalisés sur le terrain selon trois techniques : enquête du type institutionnel auprès des organismes étatiques et non étatiques ; enquête dite fonctionnelle permettant l’observation directe des acteurs sur le terrain à l’aide d’entretiens directifs ou semi-directifs, et une enquête du type comparatif permettant de rapprocher les modes de gestion des terres et des ressources chez les Peuls et chez les populations du littoral guinéen.

 

5.     Les résultats notre étude

 

Notre démarche a abouti à l’idée que la plaine de Timbi-Madina est l’espace local qui  révèle au mieux le caractère patrimonial de la terre dans cette région : les sols et ressources de cette plaine lient et relient toutes les populations de ce terroir. C’est pour dire que cet espace convoité appartient en fait ou en droit à tous les acteurs locaux ; même si cette région se trouve encore aujourd’hui  dans un rapport de domination politique et culturelle.

 

Ces mutations patrimoniales ou individualisation imparfaite d’accès à la terre et aux ressources naturelles touchent aux problèmes d’aménagement du territoire et d’autorité légitime de régulation foncière. Les droits de propriété ou d’usage s’exercent dans l’insécurisation ou dans l’exclusion la plus totale. C’est un véritable problème à résoudre qui se cache en réalité derrière la course individuelle à l’appropriation de la terre et ses ressources. Les différentes interventions de l’Etat ou réformes foncières sont encore loin de maîtriser  la régulation foncière et la gestion durable des ressources naturelles dans ce pays.

 

 

 

6.     Notre perspective de sécurisation foncière locale

 

Notre perspective de sécurisation foncière tient compte à la fois des droits de différents groupes, de la nature des espaces et des enjeux liés à la gestion des ressources naturelles. Notre observation des problèmes fonciers locaux nous autorise à proposer une forme de sécurisation foncière qui serait mieux adaptée aux réalités des acteurs locaux : la «sécurisation foncière conjointe ». Une idée qui s’inspire et s’appuie sur le droit coutumier local, marqué à la fois par l’interdépendance entre les groupes par alliances ou la complémentarité entre les différents droits sur le sol.