Vanessa De Greef Š 17/01/2008

E-mail: vanessadegreef@gmail.com

 

 

La mŽdiation pŽnale belge, une potentielle mŽdiation qui dŽclenche du sens et qui pourrait Žveiller une dimension collective enfouie

 

(article rŽdigŽ dans le cadre du sŽminaire dÕAnthropologie du Droit du Professeur C. Eberhard lors du Master en formation ˆ la recherche en ThŽorie du Droit ˆ lÕAcadŽmie EuropŽenne en ThŽorie du Droit ˆ Bruxelles)

 

 

ŅDans le combat entre toi et le monde, seconde le mondeÓ

                                                                                                              Kafka

 

Introduction

 

La mŽdiation pŽnale est un phŽnomne qui interpelle en soi. Elle illustre que nous ne pouvons fondamentalement accepter que la rŽalitŽ soit dŽcrite de faon binaire et que cette dernire est bien plus complexe que nous voulons parfois la penser voire la dŽcrire. Une approche anthropologique de la mŽdiation pŽnale nous permet de rŽaliser ˆ quel point cette notion qui sÕinscrit dans un cadre obscur et en pleine Žvolution est terriblement complexe. Nous allons devoir prendre une photographie du phŽnomne mais il ne faudrait pas par aprs maintenir celui-ci sous cet arrt sur image.

 

Afin dÕentreprendre une dŽmarche plus dialogale Š mme si elle ne fut pas pleinement rŽalisable ici notamment ˆ cause dÕun manque de temps - , nous avons voulu nous rapprocher du terrain pour Žviter des rŽflexions trop intellectualisantes. De faon trs brve, nous avons rencontrŽ un mŽdiateur pŽnal qui relve du service public fŽdŽral belge[1]. Cette rencontre nous aura permis de confronter ses propos avec certains des Žcrits que nous avons lus.

 

Nous commencerons par prŽsenter un niveau ŅmacroÓ de la mŽdiation pŽnale (I) permettant de dŽcouvrir lÕexistence de diffŽrents archŽtypes et de nous initier ˆ lÕaltŽritŽ et la complexitŽ des systmes juridiques. Ensuite, nous approcherons dans une seconde partie (II) le concept de ŅmŽdiation pŽnaleÓ et plus prŽcisŽment de ŅmŽdiation pŽnale belgeÓ en le recadrant dans son univers occidental. Ceci nous initiera aux Žquivalents homŽomorphes de Panikkar et nous conduira ˆ relativiser une grille de lecture proposŽe par Etienne Leroy. Par lÕintermŽdiation culturelle, nous illustrerons les risques auxquels le mŽdiateur doit faire face et nous lui proposerons, avant de rŽaliser la vŽritable complexitŽ du Droit et des interactions sociales, dÕadopter une dŽmarche, la dŽmarche diatopique et dialogale qui lui permettra dՎviter notamment des oppositions binaires, des concepts universels et un totalitarisme juridique. Troisimement (III), nous montrerons les nombreuses difficultŽs auxquelles le mŽdiateur doit faire face et ce, gr‰ce au droit tripode et au modle dynamique du jeu des lois. Nous accentuerons certaines ŅcasesÓ de ce jeu qui permettront non seulement dÕapprocher de plus prs certains aspects de la mŽdiation pŽnale belge mais aussi dÕinsister sur un lien social Ņen constructionÓ. Enfin (IV), nous ouvrirons la discussion en abordant la problŽmatique du r™le de lÕEtat et la problŽmatique du ŅnŽgocier-ˆ-tout-prixÓ qui peut parfois tre trompeur.

 

 

 

 

I. La mŽdiation dans notre sociŽtŽ occidentale: adieu le paradigme de la pyramide et lÕarchŽtype de la soumission?

 

La mŽdiation se dŽvelopperait difficilement dans notre sociŽtŽ occidentale (ALLIOT M., 2003, 373). Elle rŽagit en effet au droit de la loi, au droit de la force, au droit imposŽ (Ibid., 373-374). Pourtant elle a connu une vŽritable ŅexplosionÓ et illustre par lˆ une sociŽtŽ qui Ņcherche une nouvelle faon de gouverner la citŽ et de fabriquer de la cohŽsion ˆ travers de nouveaux rŽfŽrentiels dÕactionÓ (FAGET J., 2006, 297). Elle illustre une sociŽtŽ ˆ la recherche de processus plus souples que des normes rigides devenues anachroniques (FAGET J., 2006, 297). La mŽdiation rŽpondrait ˆ la demande de cette sociŽtŽ complexe et instable: caractŽrisŽe par sa plasticitŽ, elle rŽtablirait une certaine cohŽrence et permettrait aux acteurs de Ņreconstruire par une Žthique de la discussion des significations que les mythologies normatives ne leur fournissent plusÓ (FAGET J., 2006, 297- 301).

 

Si le droit est dÕune nature conservatrice, il est nŽanmoins un moyen par lequel des changements sociaux peuvent advenir et dont la capacitŽ ˆ rŽpondre au changement devient incontournable dans un contexte de modernitŽ (LEROY E., 1995, 51). Il y a lieu de penser le droit en rŽfŽrence ˆ des archŽtypes. CrŽŽs par Michel Alliot, ils ne sont pas des rŽalitŽs qui sÕimposent mais Ņdes modles de la manire dont les gens Žtablissent un contact avec leur environnement (É) et se reprŽsentent leur monde par rapport ˆ la problŽmatique de son organisation (É)Ó (EBERHARD C., 2002a, 134). Se situant ˆ une Žchelle ŅmacroÓ, ces archŽtypes nÕont de sens que dans une comparaison entre civilisations (EBERHARD C., 2002a,135). DÕaprs Leroy, Alliot distingue trois archŽtypes: celui de soumission Š qui rŽvle une conception unitariste du monde - , celui de lÕidentification Š prŽsent dans la pensŽe confucŽenne et se manifestant par lÕidŽe de dualitŽ -, et celui diffŽrenciation Š plus prŽsent dans les sociŽtŽs africaines, o tout est pensŽ en termes multiples, spŽcialisŽs et interdŽpendants (LEROY, 1995, 59). Notre modle de sociŽtŽ occidentale rŽpondrait ˆ lÕarchŽtype de soumission dans lequel Ņles hommes ont remplacŽ Dieu par lÕEtat (mais) ils nÕont cependant pas, renonant ˆ Dieu, renonŽ ˆ la conception dÕune loi  qui fut la parole de Dieu (É)Ó (TIMSIT G., 1997, 10 et EBERHARD C., 2002a, 139-140). Ainsi, les lois sÕimposent ˆ nous et le Droit ŅnÕest pas ce sur quoi les hommes sÕentendent dans chaque cas particulier mais il est avant tout le respect de la rgle extŽrieure(É)Ó (ALLIOT M., 1983, 98-99). La mŽdiation, bien que nous ne lÕayons pas encore dŽfinie semble tre dans ce cadre, une vŽritable anomalie lorsque lÕon sÕen remet ˆ notre archŽtype et ˆ notre vision de la justice: ŅAvec cet archŽtype ŅunitaristeÓ, est posŽ un principe unificateur et uniformisant qui dŽtermine nos conceptions de la vie en sociŽtŽ et qui rŽgule les diffŽrentes dimensions de nos institutions Žconomiques, juridiques et politiques. Il justifie Žgalement quÕon fasse appel ˆ lÕinstance extŽrieure et supŽrieure qui donne sens et cohŽrence ˆ lÕorganisation du monde (Dieu), de la sociŽtŽ (lÕEtat) ou de la justice (le magistrat), car on attend de chaque autoritŽ quÕelle puisse rŽsoudre les problmes que nous ne savons pas aborder ou rŽglerÓ (LEROY E., 1995, 51).

 

Bien que nous allons nuancer lÕanomalie que constitue la mŽdiation Š en tout cas la mŽdiation pŽnale - , la plasticitŽ de la mŽdiation Ņorganise des affrontements dialectiques entre logiques dÕordre et de dŽsordreÓ (FAGET J., 2006, 298) et nous fait croire que cette ŅanomalieÓ (OST F. et VAN DE KERCHOVE M., 2002, 49) correspondrait bien ˆ la crise de paradigme que nous vivons. Mais nous prŽfŽrerons aux logiques dÕordre et de dŽsordre faire allusion aux ordonnancements imposŽ et nŽgociŽ dans la mesure o le dŽsordre pourrait tre apprŽhendŽ comme rupture de lÕordre (LEROY E. , 1999, 147). Serions-nous en train de nous diriger vers un nouvel archŽtype- sans quitter vraiment lÕancien? Irions-nous vers un archŽtype de rationalisation ou de diffŽrenciation (EBERHARD C., 2002a, 138-171) en bouleversant les archŽtypes Žtablis par Alliot ? Alliot affirme lui-mme, que des sociŽtŽs en crise peuvent hŽsiter entre deux archŽtypes (1983, 113).

Bien que la mŽdiation illustre bien cette pŽriode inconfortable de transition dÕarchŽtypes, notre sociŽtŽ occidentale a perdu lÕillusion que la mŽdiation pourrait tre la Ņforme la plus expressive de lÕordre nŽgociŽÓ (LEROY. E., 1999, 350). Ce que nous pouvons en tout cas dire, cÕest que lÕEtat se cherche un r™le adŽquat car dans le domaine pŽnal, on ne peut plus affirmer quÕil nÕ y a pas de contamination entre lÕidŽe de rŽpression- qui est assurŽe habituellement par lÕEtat et celle de rŽparation- exercŽe par tous ceux qui ont souffert un dommage (VAN DE KERCHOVE M., 2002a, 84-85). On ne peut plus affirmer catŽgoriquement se trouver dans le modle pyramidal: une vŽritable contractualisation de la justice pŽnale existe bel et bien (OST F. et VAN DE KERCHOVE M., 2002, 107).

 

La mŽdiation Žmerge dans ce contexte de crise dans lequel lÕEtat - providence sÕest affaibli, les institutions tombent en dŽclin, le lien civique est en crise (FAGET J., 2006, 298-300). Cette mŽdiation est la rŽification du contexte de crise: considŽrŽe comme une dialogie entre ordonnancements sociaux - en plus dÕune dialogie entre acteurs sociaux - , elle se dŽploie ds lors comme une dialogie entre ordres imposŽ, acceptŽ et contestŽ (LEROY E., 2002, 94-95 et YOUNES C., 2006, 340). Nous y reviendrons dans le jeu des lois (partie III).

 

Les archŽtypes nous permettent de rŽaliser dans quelles rŽalitŽs sÕinscrit notre droit mais aussi quÕune dimension ŅmicroÓ des archŽtypes complexifie encore davantage leur dimension ŅmacroÓ; par ailleurs ils nous permettent dÕavoir un rapport ˆ lÕaltŽritŽ et de nous enrichir : cÕest notamment par les cultures africaines et calŽdoniennes que nous pouvons comprendre beaucoup de nous (ALLIOT M., 2003, 373) et que nous pouvons comprendre pourquoi la mŽdiation - typique des cultures africaines - ne peut sÕimplŽmenter dans nos pays avec la mme aisance.

 

 

II. Une mŽdiation pŽnale, une notion occidentale

 

ŅIl y a autant de mŽdiations que de manires de penser la logique de la rŽsolution des conflitsÓ (LEROY E., 2002, 83).

 

Une situation de mŽdiation, malgrŽ sa flexibilitŽ prŽsumŽe, peut tre lÕoccasion dÕun choc des rŽfŽrences juridiques ou culturelles diffŽrentes - qui peuvent tre explicites ou implicites - et parfois perues comme incompatibles ou incomprŽhensibles pour les parties (STIMEC A., 2002, 221). Ainsi, le mot mŽdiateur peut pour certains tre une personne qui oriente les voyageurs dans le mŽtro ou un bibliothŽcaire recrutŽ dans le cadre de nouveaux mŽtiers pour ŅmŽdiatiserÓ la culture (Ibid., 222)! Nous allons donc envisager ici la question de lÕintermŽdiation culturelle.

 

La mŽdiation pŽnale est prŽvue en Belgique depuis 1994 par lÕarticle 216 ter du code dÕinstruction criminelle qui prŽvoit que le procureur du Roi peut Ņconvoquer lÕauteur dÕune infraction et, pour autant que le fait ne paraisse pas de nature ˆ devoir tre puni dÕun emprisonnement correctionnel principal de plus de deux ans ou dÕune peine plus lourde, lÕinviter ˆ indemniser ou rŽparer le dommage causŽ par lÕinfraction et ˆ lui en fournir la preuve. Le cas ŽchŽant, le procureur du Roi convoque Žgalement la victime et organise une mŽdiation sur lÕindemnisation ainsi que sur ses modalitŽsÓ.

 

Cette mŽdiation nÕest pas un concept universel (comme nous allons le voir infra). Il faut pour cela accepter quÕil existe diffŽrentes variantes de ce que lÕon nomme le droit : il existe diffŽrentes Ņcultures juridiquesÓ dont les diffŽrences ne sont pas uniquement procŽdurales mais aussi substantielles (VACHON R., 1990, 163). Autrement dit, les contenus diffrent autant que les contenants (EBERHARD, 2002, 238). Nous avons pu en avoir un aperu lorsque nous faisions allusion aux diffŽrents archŽtypes de Michel Alliot. Nous pouvons nommer ces cultures de cultures juridiques ŅhomŽomorphesÓ (PANIKKAR, 1978, XXII-XXIII, 33 et VACHON R., 1990, 165) ce qui signifie quÕon ne pourrait parler que dՎquivalence fonctionnelle entre elles (VACHON R., 1990, 165) dÕo la recherche de Panikkar de mettre en place des Žquivalents homŽomorphiques (PANIKKAR, 1984, 114). Alliot (2003, 373) explique ainsi une affaire ˆ laquelle il a participŽ en Afrique o il y avait eu un viol hors mariage entre deux personnes souhaitant apparemment se marier. La dŽcision fut prise en considŽrant lÕavenir du groupe et non pas en pensant sanctionner une atteinte ˆ une prŽtendue loi (ALLIOT M., 2003, 373). Nous nous interrogeons sur la dŽcision qui aurait ŽtŽ prise chez nous o la mŽdiation tente de substituer au rapport de force qui fai(sai)t le lien social, un rapport de sens (ALLIOT M., 2003, 374).

 

Etienne Leroy (1995, 40-54) dŽmontre les diffŽrentes rŽalitŽs ou diffŽrents Žtages que peut impliquer la mŽdiation, nous permettant ainsi dÕavoir une approche de ce que pourraient tre des Žquivalents homoŽmorphiques. Nous ne pouvons pas pour lÕinstant et par nous-mme les vŽrifier toutes concrtement mais Leroy donne Žgalement quelques indications concernant les matrices culturelles. Ces Žquivalents prŽparent quoiquÕil en soit un terrain pour la fŽcondation mutuelle de ces Žquivalents dans un dialogue diatopique (VACHON R., 1990, 166).

 

A un premier Žtage, la mŽdiation peut tre dÕabord vue comme une pratique dÕintervention dans un diffŽrend: elle suppose plusieurs ŽlŽments: un tiers qui nÕest pas concernŽ par le diffŽrend, une communication bloquŽe mais o les parties ne supportent pas leur opposition, lÕinterposition dÕun tiers sÕinscrivant dans la durŽe, comprenant lÕenjeu du diffŽrend et les conditions pour rŽtablir le dialogue. Enfin, lÕaccord entre les parties nÕest pas le fait du mŽdiateur et son intervention nÕentra”ne aucune obligation pour les parties ˆ exŽcuter son accord.

 

Deuximement, la mŽdiation peut tre envisagŽe comme un procŽdŽ de gestion dÕun conflit mais cette fois-ci il sÕagit dÕune opposition ouverte et publique nŽcessitant de la part de la tierce partie de gŽrer les relations par des attitudes, lÕexpression de sentiments et des compŽtences requŽrant une expŽrience particulire mais aussi de pouvoir appara”tre comme figure dÕautoritŽ par lÕexpression dÕune neutralitŽ notamment, de pouvoir sÕinscrire dans le temps (en se situant dans le passŽ, le prŽsent et le futur par rapport aux confrontations ayant lieu) et de privilŽgier les faits plut™t que les normes.

 

Troisimement, la mŽdiation est une procŽdure parajudiciaire de rglement des litiges et on y aura recours si lÕorganisation judiciaire sÕadonne ˆ un traitement parallle de certains litiges par des instances judiciaires et non judiciaires selon lÕaccord des parties ou si cette organisation, seule dŽtentrice du monopole lŽgitime de la violence, dŽlgue sous lÕautoritŽ dÕun magistrat le rglement de certains litiges ˆ des instances locales sous rŽserve dÕun certain contr™le de lÕexercice de cette dŽlŽgation et en gardant la ma”trise de la force exŽcutoire des mesures proposŽes par lÕinstance dŽlŽguŽe. Cette troisime forme est pour Etienne Leroy plus une Ņjustice nŽgociŽeÓ quÕune mŽdiation du fait notamment que le choix du tiers neutre relve du magistrat, que le tiers neutre est devenu le bras sŽculier voire armŽ du magistrat, quÕil prend lieu et place du magistrat en contr™lant lÕapplication dÕune dŽcision. Mais il souligne que ce nÕest pas tant lՎtiquettage qui importe car il comprend la nŽcessitŽ de rŽponses innovantes par rapport ˆ la crise de lÕinstitution judiciaire mais il insiste sur certains aspects ˆ approfondir dont la permanence du lien social, lÕindividualisation des mesures et la recherche dÕun accord pour exŽcuter la dŽcision.

 

Un quatrime Žtage permet de considŽrer la mŽdiation comme idŽologie de la pacification sociale, voire comme projet de sociŽtŽ permettant aux citoyens de se rŽapproprier les modes de gestion des conflits; nous avons expliquŽ ce nouveau cadre mme si particulier supra (partie I). Enfin il envisage une descente aux enfers si lÕon peut dire en envisageant la mŽdiation comme marchandisation et donc en concevant la mise en concurrence de diffŽrentes mŽdiations. Comme nous le verrons infra, la mŽdiation nÕest pas par essence ŽthiqueÉ

 

MalgrŽ ces diffŽrentes rŽalitŽs, lÕexpression ŅmŽdiation pŽnaleÓ  ne serait quant ˆ elle, gure appropriŽe: elle constituerait mme un oxymore en juxtaposant les termes ŅmŽdiationÓ et ŅpŽnalÓ (MILBURN P. et FAGET J., 2007, 1). Elle associerait un processus qui se veut consensuel et une sanction Žtrangre ˆ son Žthique (FAGET J., 2007, 2) : la mŽdiation est sous Ņle contr™leÓ de lÕinstitution pŽnale. Jacques Faget propose de parler de mŽdiation en matire pŽnale permettant dÕune part de comprendre quÕil y a diffŽrents modles de rŽponse pŽnale qui ont des moyens et objectifs diffŽrents et dÕautre part, de prendre en compte lÕensemble des processus de rŽsolution des conflits de nature pŽnale (FAGET, 2007, 2). La mŽdiation pŽnale en a troublŽ plus dÕun: dÕaprs Carole Youns, Etienne Leroy la voit comme ressortissant de la fonction judiciaire et restant extŽrieure ˆ la vŽritable mŽdiation (YOUNES, 2006, 341) mme si Žtant prt Žventuellement ˆ la concevoir entre lÕordre imposŽ et lÕordre nŽgociŽ. La mŽdiation pŽnale belge serait donc assimilŽe au troisime Žtage. Et pourtant, nous tenons ˆ nuancer cela et par lˆ, ˆ sortir dÕune logique dÕexclusion des contraires pour nous engager dans des approches plus dialogales fondŽes sur le principe de la complŽmentaritŽ des diffŽrences (EBERHARD, 2002, 240), nous permettant par lˆ de rapprocher les diffŽrentes mŽdiations prŽsentŽes.

La mŽdiation pŽnale belge est problŽmatique sur le fond en ce quÕelle aboutit ˆ une repŽnalisation du social (voir infra) mais sur la forme, sÕil est vrai quÕelle reste de lÕordre du parajudiciaire, elle est surtout plus problŽmatique au niveau du pouvoir du magistrat quÕau niveau du tiers neutre. Lors de notre entretien, nous avons appris que lÕassistant de mŽdiation nÕavait pas de pouvoir de dŽcision et quÕil nÕy avait pas de lien hiŽrachique entre lui et le procureur du Roi. Mme si cela nŽcessiterait une Žtude plus approfondie, lÕassistant que nous avons pu rencontrer a ŽtŽ formel ˆ ce sujet: ŅSur les informations qui transitent entre le procureur du roi et le mŽdiateur pŽnal, le mŽdiateur coche une case sur un formulaire prŽ-Žtabli et cÕest tout. On part du principe que la mŽdiation pŽnale ne doit pas tre un moyen pour le procureur du roi qui permet de rŽcolter les informations quÕil nÕaurait pas eues si la mŽdiation pŽnale nÕexiste pas. Ce nÕest pas un service dÕenquteÓ. Au niveau de la rŽussite dÕune mŽdiation, le mŽdiateur pŽnal ne va pas porter ˆ la connaissance du procureur du roi ce qui sÕest dit mais ce que les parties acceptent de porter ˆ sa connaissance (donc ce qui est portŽ dans lÕaccord de mŽdiation pŽnal). Toutefois, comme le mŽdiateur dŽpend du service public fŽdŽral belge, certains y ont vu une difficultŽ pour les parties ˆ sÕexprimer devant une Ņpersonnalisation de la loiÓ. A cela, le mŽdiateur nous a rŽpondu que les parties peuvent prendre dÕabord une position de dŽfense comme au tribunal et cÕest pour cela quÕil va devoir par prioritŽ dŽconstruire lÕidŽe quÕils se font de la justice et leur faire comprendre quel espace de dialogue la mŽdiation pŽnale permet de crŽer. Il estime travailler beaucoup au Ņlien socialÓ sur lequel nous reviendrons infra.

 

Si lÕaccord donne beaucoup plus de sens quÕune dŽcision du tribunal et a pour objectif que chacun puisse tre ŅconfortableÓ par rapport aux faits commis, plus critiquable est la position du procureur du Roi qui peut refuser dÕentŽriner lÕaccord et qui peut rajouter des mesures - par exemple une formation de type comportementale ou un suivi thŽrapeutique - qui se rapprochent de ŅsanctionsÓ mme si ces dernires sont ŅindividualisŽesÓ selon ce que le procureur aura pu lire. Ceci montreŅla perversitŽ dÕun processus qui, en mme temps quÕil euphŽmise lÕintervention pŽnale, sous la figure consensuelle de la mŽdiation, renforce son empriseÓ (FAGET J., 2007 ,7).

 

Par cette expŽrience, nous nuancons la position dÕEtienne Leroy. Toutefois, le caractre particulier de cette expŽrience ne nous permet pas dÕen dŽduire une position gŽnŽrale. La mŽdiation pŽnale est problŽmatique pour certains aspects mais elle apporterait du sens pour dÕautres. Le mŽdiateur va permettre de montrer un chemin ˆ emprunter vers les divers univers des parties et va leur apprendre ˆ se positionner. Certaines prŽcautions seront nŽcessaires comme nous allons le constater. Nous pensons toutefois que le terme de Ņjustice nŽgociŽeÓ Žviterait de trop grandes illusions vu le r™le important du procureur du Roi.

Ceci nous rŽvle aussi ˆ quel point les mŽdiateurs sont des Ņpersonnes-clŽsÓ. Ils doivent contribuer ˆ lՎmergence dÕun espace de dialogue fertile, dÕun Ņentre-deuxÓ voire dÕun Ņentre multipleÓ crŽatif (EBERHARD, 2002, 236). Ils doivent donc avoir une sensibilitŽ et une comprŽhension accrue des diffŽrentes visions (Ibid., 236). Le mŽdiateur va devoir prendre des prŽcautions particulires quand il prendra le facteur culturel en compte: il va devoir Žviter une attitude universaliste qui se traduit souvent par une nŽgation de la diffŽrence et/ou une vision ethnocentrique (STIMEC A., 2002, 225).  Inversement, il devra Žviter aussi une attitude culturaliste (Ibid., 225). Une autre approche risquŽe est celle du rŽductionnisme o la culture de lÕautre est rŽduite ˆ quelques facteurs explicatifs (Ibid., 225) ce qui permet une grande rapiditŽ et efficacitŽ mais ˆ quel prix?

 

Les mŽdiateurs doivent Žgalement aider les parties ˆ ŅsortirÓ justement de leurs positions pour aller vers leurs prŽoccupations et intŽrts qui sont eux rarement incompatibles (Ibid., 227).  LÕintervenant que nous avons rencontrŽ nous a expliquŽ quÕaprs avoir regardŽ le cadre de rŽfŽrence des parties et le sens des actes commis, il fallait travailler sur le positionnement des personnes. Il nous a parlŽ de la complexitŽ dans laquelle se trouvait la victime, notamment face ˆ sa culture dÕorigine. Ceci aboutit ds lors souvent ˆ un dŽni des faits. Le mŽdiateur va surtout travailler sur son positionnement afin que la victime exprime ses attentes.

 

Trompenaars dŽfinit trois niveaux pour la culture: (a) les produits et usages visibles, (b) les valeurs et les normes et, (c) les fondements (STIMEC A., 2002, 227). Pour Stimec (Ibid., 227), le choc culturel ne se produit pas au premier niveau mais au second et au troisime. Nous ferons deux remarques: premirement, il faudra choisir un mŽdiateur suffisamment sensibilisŽ aux questions culturelles voire qui a la double culture et, rŽflŽchir au dispositif de mŽdiation qui reflte souvent lui-mme une des trois approches (universalisme/ culturalisme/ rŽductionnisme) ˆ Žviter ci-dessus (Ibid., 228-231). Panikkar affirmait ˆ ce sujet quÕ Ņil nous faut travailler en vue dÕun pluralisme sain qui permettrait une convivialitŽ et une coexistence des cultures et des civilisations, reconnaissant quÕaucune culture, religion ou tradition, ˆ elle seule, nÕa le droit de prŽtendre reprŽsenter la panoplie universelle de lÕexpŽrience humaine, ni le pouvoir de rŽduire les diversitŽs de lÕhumanitŽ ˆ une seule forme, aussi large quÕelle puisse treÉÓ (DAS K., 2002, 280).

 

Deuximement, le fait que le choc culturel se produit plus souvent au niveau des valeurs et des fondements nous suggre de sÕouvrir ˆ des approches en terme de ŅmultijuridismeÓ et de penser la reproduction sociale ˆ travers le prisme du Ņdroit tripodeÓ dŽveloppŽ par Etienne Leroy (EBERHARD C., 2002, 240). DŽveloppŽe plus bas, cette dernire notion nous permet de considŽrer aussi les coutumes et habitus et dÕaller au-delˆ de notre modle occidental, la loi. Ceci est donc extrmement important pour le mŽdiateur comme nous lÕavons examinŽ dans la partie suivante. Pour prendre rŽellement au sŽrieux lÕ ŅAutreÓ, le mŽdiateur, tout comme dÕailleurs lÕautre partie, devrait mme sÕouvrir ˆ des approches plus cosmothŽandriques en intŽgrant les dimensions anthropologique, cosmique, et divine de nos vies tout en reconnaissant quÕil nÕy a ni un cosmŽothŽandrisme, ni un multijuridicisme (EBERHARD C., 2002, 240-241). Ds lors, il faudra ouvrir notre topos pour permettre lՎmergence dÕenrichissements mutuels. CÕest lˆ que la dŽmarche diatopique et dialogale peut rendre un grand service au mŽdiateur en Žvitant les piges de lÕenglobement du contraire crŽŽ par Louis Dumont. Ce principe consiste Ņˆ rŽunir explicitement deux principes contradictoires dans une mme catŽgorie, les construisant formellement comme Žgaux, tout en prenant lÕun des deux principes comme le rŽfŽrent implicite par rŽfŽrence auquel lÕautre est construit. Est ainsi introduite une hiŽrachie cachŽeÓ (EBERHARD C., 2002a, 108). Nous avons pu illustrer cela supra par les dangers de lÕuniversalisme et du culturalisme notamment. Le mŽdiateur doit donc Žviter de raisonner ˆ partir de modles construits comme universels (Ibid., 110) et Žviter les oppositions binaires. Ces prŽcautions, il va devoir les faire comprendre aux parties qui peuvent elles-mmes construire ces oppositions ce qui a un impact majeur lors dÕune mŽdiation. Kaplana Das nous explique ainsi le constat de lÕinstitut interculturel de MontrŽal dÕun paradigme Nord-Sud qui peut diffŽrencier les pays ŅŽvoluŽsÓ des pays Ņnon-ŽvoluŽsÓ (DAS K., 280-281). Ce principe se reflte dans la pensŽe dichotomique du Ņtiers excluÓ(EBERHARD C., 2002a, 110) or le dialogue nÕest possible Ņque parce que sÕest dŽjˆ creusŽ au sein du ŅjeÓ la place o sÕinscrira la voix de lÕinterlocuteurÓ (OST F. et VAN DE KERCHOVE M., 1992, 64 et EBERHARD C., 2002a, 103).

 

Il va donc falloir dŽpasser le stade dÕun monoculturalisme et dÕun totalitarisme juridique qui se cachent sous des dehors de pluralisme juridique et qui sont infidles ˆ une approche scientifique au sens plŽnier et polysŽmique du mot (VACHON R., 1990, 164). Ds lors, comment comparer ce qui peut sembler incomparable en Žvitant la superficialitŽ et lÕaffrontement infini? La dŽmarche diatopique va surmonter la distance du prŽsent au prŽsent (VACHON R., 1990, 168) et mener ˆ la reconnaissance dÕun second centre dÕintelligibilitŽ ˆ c™tŽ du logos, le mythos. La dŽmarche dialogale se rŽvle treŅoutre voyage ˆ travers des lieux et des logiques diffŽrentes en vue de leur mise en tension et articulation (thŽorie interculturelle du Droit),(É) une dŽmarche nous menant au delˆ du logos, et donc du paradigme dialectique caractŽrisant nos dŽmarches scientifiques occidentales (approche interculturelle du Droit)Ó (EBERHARD C., 2002a, 121). Cette dernire dŽmarche traverse donc le logos pour rejoindre un terrain commun que le logos ne saurait exprimer mais que Panikkar et Vachon ont tenu ˆ nommer, le mythos (VACHON R. 1990, 168). Comme le propose Christoph Eberhard (2002a, 123), cÕest en associant le logos - qui exprime la Raison ou le discours - et le mythos Š qui rŽvle les prŽsupposŽs respectifs qui sous-tendent les systmes ŅjuridiquesÓ des diffŽrentes cultures - quÕon atteindra un vŽritable pluralisme Šmme si pour Panikkar et Vachon, cÕest surtout par le mythos quÕon sÕen rapproche. Ceci nous permet Ņune prise en compte de lÕAutre comme sujet et non pas uniquement comme modle de connaissanceÓ (Ibid., 125 et VACHON R., 1990, 170). Le dialogue qui se met en place Ņlaisse entrer lÕautre et sa vŽritŽ nous interpeller dans notre propre vie et dans nos valeurs personnellesÓ permettant ainsi une rŽalisation plus profonde de lÕautre et de soi-mme (VACHON R., 1990, 170).

 

Ceci nous permet dÕinsister sur la persŽvŽrance et lÕhŽro•sme dont le mŽdiateur devra faire preuve. Pour devenir mŽdiateur, il faut donc faire preuve de certaines qualitŽs, dont lՎcoute et la rŽflexion par rapport Ņaux positionsÓ comme nous lÕa affirmŽ le mŽdiateur que nous avons rencontrŽ. Il devra, selon nous, parler de sa position pour permettre un dialogue dialogal en Žvitant de montrer son r™le de faon universelle. Si la dŽmarche diatopique et dialogale lui donnent un beau moyen de cerner la complexitŽ dÕautrui, elle ne sera pas Žvidente dans la mesure o une confiance devra sÕinstaurer dans un cadre difficile, voire dans un cadre o justement la confiance a ŽtŽ rompue. Ce jeu de confiance, Panikkar le dŽcrit quand il assure: Ņ Le dialogue est fondamentalement mÕouvrir ˆ lÕautre de faon ˆ ce quÕil puisse parler et rŽvŽler mon mythe que je ne peux conna”tre tout seul parce quÕil est pour moi transparent, quÕil va de soi.(É) Le dialogue cherche la vŽritŽ en faisant confiance ˆ lÕautre (É)Ó ( PANIKKAR, 1979, 242-243 et EBERHARD C., 2002a, 122-123).

 

Maintenant que le mŽdiateur peut saisir quelle dŽmarche lui permettra dՐtre Ņun passeur des mondesÓ, il doit faire face aux multiples difficultŽs et complexitŽs qui lÕattendent dont les reprŽsentations culturelles ne sont quÕun des facteurs (EBERHARD, 2002, 241). CÕest donc avec le jeu des lois que lÕon va poursuivre et nous avons prŽfŽrŽ assurer au mŽdiateur quÕil y avait des mŽthodes ˆ utiliser pour ne pas quÕil se perde entre les cases du jeu.

 

 

 

 

 

III. La mŽdiation pŽnale sous lÕangle du droit tripode et du jeu des lois

 

Le droit tripode et la mŽdiation pŽnale

 

LÕarchŽtype de soumission tel que nous lÕavons dŽcrit plus haut peut para”tre Ņun obstacle ŽpistŽmologique  majeur ˆ la comprŽhension de la vŽritable capacitŽ du droit ˆ rŽpondre aux attentes de la sociŽtŽÓ (LEROY E., 1995, 52). Etienne Leroy (1995, 52) a dŽveloppŽ ds lors un droit tripode, reposant sur trois fondements, qui Žvalue autrement les rapports ambigus entre la loi, la coutume et les usages comme sources substantielles du droit et qui permet ds lors de sÕinterroger sur ce culte de la loi. Si la loi nous est trs voire trop familire, la coutume est de faon synthŽtique ŅlÕensemble des manires de faire et de conduire ses comportements en sociŽtŽÓ (LEROY E., 1999, 195). Les usages - dŽnommŽs habitus ˆ la suite des travaux de Bourdieu - sont les manires dՐtre, les soubassements de la coutume donc les soubassements des manires de faire; plus exactement, lÕhabitus est selon Jacques Commaille Ņun systme de dispositions permanentes, Žtabli comme principe gŽnŽrateur et organisateur des pratiques, des reprŽsentations, des modes dÕagir et de penser, que lÕindividu a acquis tout au long de son histoire dans une interrelation active, dans une mŽdiation, entre les structures internes de sa subjectivitŽ et les structures sociales externesÓ(LEROY E., 1999, 199).

 

Nous ferons deux remarques. Premirement, la mŽdiation, dans lÕacceptation quÕEtienne Leroy lui prte, limite considŽrablement lÕintervention de la tierce partie et tout para”t nŽgociable ds lors que les choix des parties sont dŽterminŽs par le maintien de leurs relations dans le futur (LEROY E., 1995,53). Ses mots clŽs seraient ŅnŽgociation, consensus et futurÓ alors que le droit Žnonce de faon plus ou moins gŽnŽral et impersonnel - ˆ travers ses trois fondements vus supra- la manire de penser la reproduction collective puis les conduites ˆ suivre par le sujet de droits (LEROY E., 1995, 53-54). Il ŅŽvalue lՎcart dŽjˆ observŽ entre des normes et les pratiques et dŽtermine qui est en droit ou en faute par rapport ˆ des rgles du jeu dŽjˆ posŽes et susceptibles dՐtre invoquŽes dans une sociŽtŽ rŽgulŽe par lÕEtat de droitÓ (LEROY E., 1995, 54). Nous devons nuancer ces propos dans la mesure o nous pourrions nous retrouver dans une logique des contraires; de plus, le droit nous para”t dŽjˆ beaucoup moins impersonnel si analysŽ au travers du droit tripode.

 

Deuximement, la mŽdiation telle quÕapprŽhendŽe en droit belge nous semble ds lors devoir prendre en considŽration le droit tripode dŽveloppŽ par Leroy. Le mŽdiateur doit en effet dŽpasser Ņle culte de la loiÓ pour sÕattarder aux coutumes et ˆ lÕhabitus des parties en prŽsence. Le mŽdiateur pŽnal nous a dÕailleurs expliquŽ ˆ quel point ŅlՎchange dÕinformations quant au contexte des faits et quant ˆ la perception quÕont chacune des parties des faitsÓ Žtait essentiel mais formait aussi le noeud du problme. Nous nous interrogeons sur le fait que les parties ne doivent pas, comme nous lÕa confirmŽ le mŽdiateur, nŽcessairement se rencontrer dans le cadre de la mŽdiation pŽnale belge. Ceci nous a paru Žtrange mais le mŽdiateur nous a dit que cette rencontre Žtait importante si elle avait du sens pour les parties. Aussi Žtrange que cela puisse sembler, le non-sens de cette rencontre pourrait renvoyer aux coutumes ou ˆ lÕhabitus de ces parties. Serait-il possible de ne voir aucun sens ˆ se rencontrer? Ces coutumes ou habitus pourraient bien renvoyer ˆ notre sociŽtŽ occidentale qui tend ˆ se replier sur elle-mme et o le lien civique sÕestompeÉ Les coutumes et les habitus pourraient-ils nous dire ds lors que la rencontre de lÕautre nÕest pas ou nÕest plus nŽcessaire? Une dŽmarche diatopique et dialogale nous conduirait probablement ˆ une proposition inverse. Nous reviendrons ˆ cette problŽmatique dans le jeu de lois.

 

 

 

 

Jouer ˆ la mŽdiation pŽnale: un jeu ambigu?

 

Etienne Leroy a voulu approfondir sa dŽmarche en la faisant reposer sur un modle structural et dynamique qui Ņgr‰ce ˆ une dŽconstruction de lÕarchitecture des processus ˆ lÕoeuvre (dimension synchronique) [ autorise ] lՎlucidation corrŽlative du sens du mouvement ainsi provoquŽ (aspect diachronique)Ó ( LEROY E., 1999, 35). Il a ds lors construit un jeu des lois dont lÕobjectif nÕest pas de saisir le Droit en tant que tel mais de comprendre sa contribution Ņau grand jeu quÕest la vie en sociŽtŽÓ, de disposer du droit comme rgle du jeu (LEROY E., 1999, 35-36). Le jeu permet dÕapprocher la complexitŽ du droit comme une relation dialectique entre certitude et incertitude montrant par lˆ lÕ Ņopen textureÓ du Droit (EBERHARD C., 1997, 70). Mais le jeu va plus loin: il passe dÕun paradigme dialectique, centrŽ sur le systme juridique, ˆ un paradigme dialogal ancrŽ dans le jeu existenciel des acteurs (EBERHARD C., 2002a, 260). Christoph Eberhard rajouterait bien une case prŽliminaire nous rappelant que ce jeu sÕinscrit dans une vision occidentale moderne, qui est anthropocentrŽe et logocentrŽe et dont lÕHomme est donc le rŽfŽrent ultime et sÕinscrit dans des rŽalitŽs principalement matŽrielles et historiques (EBERHARD C., 2002a, 262).  Le jeu des lois permet dÕapprŽhender la rŽalitŽ en dŽpassant les rŽductions intellectuelles issues dÕune dŽmarche dialectique et en proposant un modle de lecture dynamique de nos interactions sociales (EBERHARD, 2002, 245).

 

Le jeu des lois compte actuellement dix cases (LEROY E., 1999, 43) que nous allons citer sans pouvoir les approfondir toutes. Nous entrons dans le jeu par le statut des acteurs Š qui met en Žvidence les situations de multijuridisme dans lesquelles se trouvent les acteurs -, nous poursuivons par la case des ressources Š qui considre les ressources matŽrielles humaines ou mentales - puis par celle des conduites Š quÕil sÕagisse de stratŽgies ou de tactiques; suit la case des logiques- ou Ņdes rationalisations pour lÕactionÓ et puis celle des Žchelles qui peuvent tre globales, nationales ou infranationales . Le jeu se poursuit par la case des processus Š procŽdant ˆ lÕinscription des phŽnomnes juridiques dans la temporalitŽ -  puis celle des forums qui reprŽsente les lieux de dŽcision caractŽrisŽs par la confrontation  mais aussi par lՎchange et la communication -  pour passer ˆ la case des ordonnancements sociaux - qui sont Ņune mise en ordre de la sociŽtŽ selon un dispositif particulier, impliquant ˆ la fois un projet et des procŽdŽsÓ Š advient ensuite la case des enjeux - qui exprime ce qui est mis en jeu mais aussi le contexte du jeu - qui dŽbouche sur la case finale, celle des rgles du jeu (LEROY E., 1999, 49-169 et EBERHARD, 2002a, 257-302 et EBERHARD, 1997, 69-77). Ce jeu ne doit pas tomber dans lÕopposition droit et non-droit : il faut donc admettre de se laisser conduire par lui et mme aprs avoir jouŽ, on ne pourra jamais tre assurŽ de Ņsavoir vraimentÓÉ( LEROY E., 1999, 175). Serait-ce le moment adŽquat de rappeler quÕ Ņon ne peut dŽfinir le droit mais seulement le penserÓ ? (ROULAND N., 1989, 77).

 

Nous pouvons maintenant faire rentrer Ņla bte dans lÕarneÓ et donc observer la mŽdiation pŽnale ˆ travers le jeu. Nous allons sauter des cases afin de nous consacrer aux cases que nous considŽrons arbitrairement comme trs intŽressantes pour prendre un clichŽ de la mŽdiation pŽnale belge.

 

Commenons par le statut des acteurs qui nous fait prendre conscience que nous avons quittŽ des situations de pluralisme juridique pour vŽritablement parler de situations de multijuridisme (LEROY E., 1999, 59). ŅChaque acteur dŽtient une pluralitŽ de statuts en rapport avec les divers collectifs auxquels il appartient, par hŽritage ou par libre adhŽsionÓ (LEROY E., 1996, 191-192). Cette approche nous permet de relativiser lÕunique r™le qui devrait tre pris en considŽration par un individu vu quÕil a une complŽmentaritŽ fonctionnelle avec dÕautres r™les (EBERHARD, 2002a, 274). Ceci nous permet notamment de dŽpasser lÕunique r™le du mŽdiateur pŽnal qui construit des ponts entre lÕauteur et la victime, en montrant lÕincidence dÕun second r™le: le mŽdiateur fait Žgalement office de mŽdiateur entre le procureur du Roi et lÕauteur. Il sÕagit en quelque sorte dÕune Ņdouble mŽdiationÓ lÕobligeant ˆ comprendre aussi le mythos du procureur du Roi. En effet il va devoir comprendre la perception du magistrat quant ˆ la qualification quÕil a donnŽe aux faits et celle de lÕauteur qui parfois refusera de participer ˆ une mŽdiation sous une telle qualification Šmais par contre et ˆ nouveau la mŽdiation est indirecte: le mŽdiateur tente de concilier les diffŽrents univers. Le mŽdiateur peut donc Žventuellement proposer une requalification des faits qui donne beaucoup plus de sens ˆ lÕauteur que sÕil nÕeut dž se prŽsenter au tribunal sans comprendre rŽellement la qualification des faits en droit.

 

Nous revenons ˆ la mŽdiation entre auteur et victime et approfondissons la case 1: ŅPar rapport ˆ un mode individualiste dÕidentification des statuts fondŽs sur la notion, abstraite et gŽnŽrale, de personne juridique, notre approche suggre la nŽcessaire prise en compte du r™le dans son contexte social, donc du statut dans sa dimension individuelle et collective. Ceci est essentiel pour traiter des sociŽtŽs africaines o le communautarisme, comme recherche, toujours tensionnelle, dÕun Žquilibre entre les intŽrts du groupe et ceux de lÕindividu, a ŽtŽ et reste le plus souvent la forme privilŽgiŽe dÕorganisation des rapports sociauxÓ (LEROY, 1996 a, 191-192). Ceci nous a interpellŽ quant aux r™les de la victime et de lÕauteur dans une dimension individuelle et collective. La question de la dimension collective de lÕindividu et du lien social existant dans notre sociŽtŽ occidentale nous prŽoccupait. CÕest en lÕapport de Carole Youns (2005, 49-61) et donc des propos qui suivent[2] que nous avons pu trouver de quoi nous substanter.

 

Dans la conception occidentale, le processus de mŽdiation ne se prŽoccupe quÕaccessoirement de la relation sociale et des intŽrts collectifs, sa prioritŽ est la satisfaction des besoins et intŽrts individuels des personnes. Or, si la mŽdiation illustre lÕatomisation des individus, elle pourrait permettre de rompre avec ŅlÕimaginaire occidental de lÕisolement en montrant lÕancrage des individus dans des collectifsÓ. Contrairement aux sociŽtŽs holistes qui privilŽgient la dimension collective ˆ travers la notion de personne et dans lesquelles le lien social est une rŽalitŽ qui  prŽcde lÕindividu, la sociŽtŽ occidentale est caractŽrisŽe par la centralitŽ du sujet par rapport aux mondes et aux groupes dont il fait partie, soit par Ņla prŽdominance de lÕidentitŽ du moi sur lÕidentitŽ du nousÓ, ou encore par un lien social qui rŽsulte de la verticalitŽ de la loi vu que les individus appartiennent ˆ une mme sociŽtŽ au travers de leur soumission ˆ la loi commune.

 

Ds lors la mŽdiation pŽnale a avant tout pour objectif dÕapaiser un conflit entre individus o la communautŽ et la relation nÕapparaissent quÕen filigrane. Le lien social ne va pas de soi, il appara”t plus comme un objet ˆ construire quՈ reconstruire, il est en fait un acte de volontŽ de lÕindividu vu quÕil y a absence de valeurs communautaires partagŽes. Ainsi, reconstituer le groupe se fera ˆ partir de lÕindividu et cela, si les valeurs collectives dont il est porteur sont conformes au bien de lÕindividu ou peuvent servir ses fins. Pourtant, il ne faudrait pas en dŽduire une stricte sŽparation entre les diffŽrentes conceptions sociŽtales et une incommensurabilitŽ entre leurs pratiques. CÕest la rationnalitŽ occidentale et la fiction de lÕautonomie qui scinde lÕindividu de la collectivitŽ. Mais en rŽalitŽ Ņla singularitŽ de lՐtre humain appara”t moins tenir ˆ son fondement autosuffisant quՈ un Žventail dÕappartenances qui rendent possible une individuation relevant dÕune singularitŽ plurielle, exprimant la pluralitŽ des collectifs et des mondes de rŽfŽrence auxquels les individus vont se rattacherÓ. Donc la mŽdiation et son compromis ne seraient pas tant prŽoccupŽs par la satisfaction des intŽrts divergents mais par la prise en considŽration de lÕinscription diffŽrentielle des individus dans des mondes diffŽrents: lÕindividu nÕest ni seul, ni dans une communautŽ englobante mais il sÕinscrit dans une pluralitŽ de mondes.

 

Carole Youns fait le pari que lÕindividu nÕest pas prisonnier de sa vision du monde et que sa capacitŽ rŽflexive va lui permettre une prise de conscience de son ancrage dans des collectifs sous la forme dÕunivers normatifs dŽterminant en grande partie son positionnement dans le conflit. Par la mise ˆ distance des univers normatifs, chacune des parties pourra alors prendre conscience de son univers de sens mais aussi de celui de lÕautre: cÕest un Ņespace de reconnaissanceÓ que la mŽdiation pourrait permettre ds lors selon nous, mais comme on lÕa dŽjˆ mentionnŽ, il faudra dŽpasser le fait que lÕindividu se complaise dans sa singularitŽ et ne souhaite ni dŽcouvrir les univers de lÕautre, ni mme les siens propresÉ Cette difficultŽ nÕest pas ˆ nŽgliger et nous avons pu le constater ˆ travers des documents qui mentionnaient que des auteurs sÕengageant au dŽbut ˆ respecter des conditions, baissaient les bras par la suite car pour eux, cette procŽdure Žtait Ņsans consŽquenceÓ (SERGENT M., 2007, 73). Ce dernier constat est celui dÕune magistrate et cela nous permet de relativiser lÕapport de sens de la mŽdiation, en tout cas de ne pas gŽnŽraliser un tel phŽnomne. La carence de sens pourrait sÕexpliquer tant par la difficultŽ pour lÕindividu vivant dans une sociŽtŽ occidentale de rŽaliser sa singularitŽ plurielle mais aussi peut-tre par le fait que certaines mŽdiations sont moins lÕaboutissement dÕun accord que des solutions imposŽes par le procureur du Roi. NŽanmoins, une conseillre en mŽdiation pŽnale prs le parquet gŽnŽral de la Cour dÕappel de Bruxelles distingue clairement la situation dÕun accord pris mais non respectŽ et celle dÕune interruption de la mŽdiation qui ne peut en aucun cas tre considŽrŽe comme un Žchec et cela, de qui que ce soit (VANNESTE, C., 1997, 111). LÕassistant de mŽdiation nous a en effet dit que dans ce dernier cas, la mŽdiation avait au moins pu responsabiliser les deux parties.

 

Le jeu des lois, mme sÕil est anthropocentrŽ, permet selon nous de Ņfaire Žmerger le sujetÓ (YOUNES C., 2005, 49) et de montrer par ses diffŽrentes positions quÕon ne peut le rŽduire ˆ un seul r™le, ˆ un seul monde et que lui-mme, en en prenant conscience, rŽalise les diffŽrents univers de lÕautre. Cette approche nous permet Žgalement dÕouvrir de nouvelles voies quant ˆ une dimension collective qui sommeille quelque part en nousÉ Kafka Žcrivait Ņdans le combat entre toi et le monde, seconde le mondeÓ (KAFKA, 1917 et CAUNE J., 1999, 15).

 

Nous serons plus brefs pour les illustrations des autres ŅcasesÓ du jeu.

Nous pouvons dans la case des conduites considŽrer les stratŽgies qui postulent Ņque les acteurs sont pris dans un jeu social ˆ la fois indŽterminŽ et structurŽ par euxÓ (LEROY, 1999, 83). Par ailleurs, Ņla mise en oeuvre de ces stratŽgies (É) comportera toujours deux aspects complŽmentaires. En effet chaque acteur sÕefforcera simultanŽment de contraindre les autres membres de lÕorganisation pour satisfaire ses propres exigences (stratŽgie offensive) et dՎchapper ˆ leur contrainte par la protection systŽmatique de sa propre marge de libertŽ et de manoeuvre (stratŽgie dŽfensive)Ó (CROZIER M. et FRIEDBERG E. , 1992, 91-92 et LEROY E. 1999, 82). Nous pouvons nous arrter un instant sur les conduites de lÕauteur dans le cadre de la mŽdiation pŽnale. Celui-ci pourra tant adopter une stratŽgie offensive en refusant de collaborer ˆ une mŽdiation pŽnale dont la qualification des faits lui para”t erronŽe ou injustifiŽe mais il nÕest pas certain quÕil y aura pour autant requalification de la part du magistrat. En outre, il pensera surtout ˆ une stratŽgie dŽfensive, comme nous explique notre intervenant ŅlÕauteur de lÕinfraction nÕest pas placŽ dans une situation confortable. Il sait que sÕil refuse la mŽdiation pŽnale, a sera le tribunal correctionnelÓ.

 

En ce qui concerne la case des ordonnancements sociaux, celle-ci est cruciale dans le cadre de la mŽdiation pŽnale. Nous avons dŽjˆ fait allusion supra aux diffŽrents archŽtypes et ˆ lÕentre-deux que nous serions amenŽs ˆ vivre; nous pourrions en rŽalitŽ nous diriger vers une extension de lÕordre imposŽ. La mŽdiation pŽnale devrait par ailleurs se situer entre un ordonnancement imposŽ et un ordonnancement nŽgociŽ dans lequel Dieu ne fait plus que constater sans sÕinterposer et o les acteurs organisent le monde (LEROY.E, 1999, 153) mme si ˆ nouveau, cette organisation est ˆ nuancer. Il est sžr que comme on lÕa vu supra la mŽdiation Ņˆ lÕoccidentaleÓ nÕest pas la forme la plus expressive de lÕordre nŽgociŽ (LEROY E., 1999, 350). Par cette idŽe forte de nŽgociation, elle induirait les acteurs en erreur lorsquÕils dŽcouvriraient quÕil sÕagit plus dÕune Ņjustice proposŽeÓ (LEROY E., 1999, 351)  que dÕune forme indŽpendante de la justice.

Cette contradiction peut tre analysŽe par le jeu des lois : Ņla contradiction entre ordonnancements est basŽe sur une contradiction des logiques qui implique une conjonction des statuts du juge et de tiers neutre donc induit une confusion des pratiques donc des ressources. LÕenjeu de telles confusions est de produire des adhŽsions superficielles ou des consensus mous qui privent les acteurs dÕune part de leur libertŽ. Sous le prŽtexte dÕune justice plus humaine (pour la victime, voire pour le dŽlinquant) on caricature, par le simple fait dÕemprunter cette terminologie, lÕidŽal de libre et Žgalitaire nŽgociation du diffŽrend. On abolit ainsi les repres entre les ordres imposŽ et nŽgociŽ pour produire une extension du contr™le Žtatique et judiciaire (É) Il nÕy a plus matire alors ˆ des rgles du jeu et on peut fermer les forums judiciaires au profit dÕune justice Ņplus administrŽeÓÓ (LEROY E., 1999, 351) Nous pensons que cette contradiction peut exister mais nous ne pensons pas quÕelle rŽsulte de la confusion du juge et du tiers neutre. Le mŽdiateur pŽnal ne semble pas tre le bras armŽ du magistrat dans la mŽdiation pŽnale belge mais il nÕempche quÕil est plus quÕun facilitateur ˆ nos yeux et quÕil peut tre vu comme une personnalisation de la loi. CÕest pour cette raison quÕil devra procŽder premirement ˆ une ŅdŽconstruction de la justiceÓ.

 

Nous pensons par contre que la mŽdiation par le croisement des actions du procureur du roi et du mŽdiateur pŽnal peut tre assimilŽ au modle rŽalisŽ par Leroy pour schŽmatiser la justice des mineurs (LEROY E., 1999, 345) sans pour autant quÕil y ait ici confusion des r™les dans le chef des acteurs. On aboutit ˆ un modle qui croise les valeurs caractŽristiques de lÕordre imposŽ (par les trois mesures que peut choisir le procureur du roi) et celles de lÕordre nŽgociŽ (par un processus qui conduit les parties ˆ formuler un accord mme si leur rencontre nÕest pas nŽcessaire).

 

Enfin, nous allons nous focaliser un instant sur la case des enjeux. Le joueur peut distinguer enjeux immŽdiats et enjeux diffŽrŽs, enjeux matŽriels et symboliques, enjeux implicites et explicites - ces derniers nous introduisant dans la connaissance du contexte du jeu (LEROY E., 1999, 160). Brivement, les enjeux dans la mŽdiation pŽnale belge pour la victime sont la possibilitŽ de pouvoir tre entendue, dÕobtenir rŽparation et Žventuellement de dŽdramatiser la situation en dŽmystifiant lÕauteur et en rŽduisant son angoisse (VANNESTE, C., 1997, 116). Du c™tŽ de lÕauteur, la mŽdiation peut lui apporter une conscientisation des consŽquences de ses actes et la possibilitŽ dÕexprimer sa propre logique ce qui lui permet dÕenvisager dÕautres logiques dont celles de la victime (Ibid., p.117). Bien sžr, la mŽdiation lui permet dՎchapper ˆ une confrontation ˆ un tribunal, ˆ une peine et ˆ une inscription dans le casier judiciaire, ce qui ˆ nos yeux offre une meilleure garantie de rŽinsertion socio-professionnelle compte tenu du sens que lÕauteur peut retirer de la mŽdiation. Nous pensons que les enjeux explicites et implicites de lÕEtat sont dŽcisifs dans la mesure o ils participent grandement au contexte du jeu: premirement le Conseil de lÕEurope encourageait les Etats membres ˆ dŽvelopper des procŽdures de dŽjudiciairisation et de mŽdiation et le ComitŽ des ministres affirmait que ce processus permettait une participation active de la victime et du ŅdŽlinquantÓ (DELEU A., 2007, 7); deuximement, la crise des institutions judiciaires agrŽmentŽe dÕaffaires de corruption, de mŽdias favorisant Ņune juridiction des ŽmotionsÓ, de manques de moyens internationaux face aux grandes fŽodalitŽs criminelles (ex.la mafia) fait quÕune solution peut tre de dŽriver un certain nombre de contentieux sur dÕautres instances de rŽgulation (FAGET, 1997, 75-77). Troisimement, en plus des enjeux pour la victime et le dŽlinquant, cela permet ˆ lÕEtat de rŽduire la dŽlinquance urbaine, de rŽagir rapidement au dŽlit gr‰ce ˆ une procŽdure simplifiŽe et de dŽsengorger les tribunaux et les prisons (SERGENT M., 2007, 39). Certains arrivent ˆ la conclusion  que la logique de la loi belge du 10 fŽvrier 1994 reste rŽtributive avant dՐtre restauratrice dans la mesure o un des objectifs principaux Žtait que les citoyens regagnent leur confiance envers la justice (DELEU A., 2007, 96). En effet, la mŽdiation fut instaurŽe en Belgique suite ˆ de nombreux dysfonctionnements (MARY, 1997, 328). Toutefois, elle semble Žgalement sÕinscrire dans une repŽnalisation de la petite dŽlinquance (Ibid, 331) et semble donc peu apte ˆ recrŽer le lien social (Ibid., 342).

 

 

IV. RŽcapitulatif de notre ŅpositionnementÓ et de notre qute dÕune mŽdiation Žthique

 

 

Sous une approche anthropologique du droit, nous avons situŽ la mŽdiation occidentale ˆ travers les diffŽrents archŽtypes dÕAlliot, ˆ un niveau ŅmacroÓ et ŅmicroÓ. Nous avons ds lors constatŽ lÕaltŽritŽ et la complexitŽ des systmes juridiques. Nous avons dŽmontrŽ quÕun choc entre archŽtypes et entre ordonnancements pouvait avoir lieu par la mise en place de la mŽdiation. Ce choc nÕest pas indŽpendant de la crise dans laquelle se trouve lÕEtat - providence.

 

Ensuite, nous avons voulu signaler des potentiels Žquivalents homŽomorphiques de la mŽdiation. MalgrŽ cela, la mŽdiation pŽnale semble tre un oxymore ce qui fait que dÕaucuns rejettent son statut de ŅmŽdiationÓ. Nous avons nuancŽ cela par la petite mais intŽressante expŽrience que nous avons eue. Au travers du cadre de lÕintermŽdiation culturelle, nous avons insistŽ sur le r™le essentiel des mŽdiateurs mais aussi sur les prŽcautions quÕils devaient prendre. La dŽmarche diatopique et dialogale, qui semble difficile au niveau de la mise en oeuvre dÕune certaine confiance - en tout cas dans notre sociŽtŽ - , semble par contre adŽquate pour Žviter les piges de lÕenglobement du contraire.

 

Enfin, la complexitŽ et lÕaltŽritŽ du Droit sÕillustre au travers du droit tripode et du jeu des lois. Le droit tripode va permettre une dŽmarche diatopique et dialogale en observant les coutumes et lÕhabitus. Le jeu des lois, modle plus dynamique des interactions sociales va soulever la richesse de leurs complexitŽs. Nous avons tentŽ dÕappliquer ce jeu aux problŽmatiques que nous avons pu rencontrer. Outre la case des conduites, des enjeux et des ordonnancements sociaux, la case du statut des acteurs a ŽtŽ particulirement propice ˆ la rŽflexion relative ˆ la dimension collective de lÕindividu dans la sociŽtŽ occidentale o le lien social est davantage ˆ construire quՈ reconstruire et o la communautŽ nÕappara”t quÕen filigrane. Si une singularitŽ plurielle existe, il ne sera pas Žvident pour le mŽdiateur de la faire Žmerger.

 

Nous aimerions terminer par trois remarques.

 

La premire tient au r™le de lÕEtat. Nous trouvons intŽressant dՎvoquer ˆ ce sujet le mouvement ŅAlternative Dispute ResolutionÓ, nŽ aux Etats-Unis, et qui avait pour certains lÕobjectif de dŽsinstitutionnaliser le traitement des conflits et pour dÕautres, de gŽrer la surcharge des tribunaux (FAGET, 2007, 3). Ce mouvement critiquait la justice formelle en ce quÕelle isolait les revendications individuelles faisant obstacle ˆ lÕexpression de revendications collectives, en ce quÕelle dŽtruisait les relations interpersonnelles et aggravait les conflits, en ce que la dŽcision reposait sur des normes abstraites et non pas sur des valeurs puisŽes dans les communautŽs, en ce quÕelle fournissait des jugements rŽtrospectifs sans se soucier de rŽparer ni de reconstruire [ le lien social ] pour lÕavenir (FAGET, 2007, 3). Ce mme mouvement a par ailleurs ŽtŽ critiquŽ du fait quÕil Žtait une menace pour le droit des personnes et des groupes ou que par le remplacement de juges par des experts en sciences du comportement, il pourrait tre un cauchemar foucaldien dÕune nouvelle technique disciplinaire, au service dÕune nouvelle Žlite professionnelle (FAGET, 2007, 4). Ces alternatives sont devenues aujourdÕhui des solutions complŽmentaires ˆ la justice formelle plus quÕautre chose.

 

Nous trouvons ces rŽflexions proches de celles que lÕon peut mener sur la mŽdiation pŽnale. Faget souligne par ailleurs quÕun modle externe de mŽdiation dŽfini comme une alternative ˆ lÕintervention judiciaire ou comme une voie indŽpendante permet dÕouvrir une rŽflexion sur le pluralisme juridique dont la portŽe dŽpend du contexte idŽologique en place, de la culture juridique et du dynamisme de la vie communautaire (Ibid., 8). Il dŽmontre que si ces mŽdiations ont pour objectif la recherche dÕune sociŽtŽ dÕacteurs qui sÕimpliquent et se responsabilisent, la nŽgociation gŽnŽralisŽe pourrait renforcer les inŽgalitŽs (Ibid., 8). Nous nous interrogeons donc sur le fait de mener un dŽbat ou non sur le fait que la justice et la mŽdiation correspondent ˆ des raisons dՐtre si dissemblables quÕelles doivent prŽserver leurs diffŽrences (HOFNUNG M.G., 1995, 112). Montesquieu soulignait en effet que ŅprivŽes de leur principe, les crŽations sociales dŽclinentÓ (Ibid.,112). De plus, plusieurs recherches attestent de ŅlÕexistence dÕun conflit culturel entre les tenants dÕune pratique trs judiciarisŽe de la mŽdiation et ceux qui tentent dÕamŽnager des espaces de mŽdiation plus respectueux dÕune Žthique de mŽdiationÓ (FAGET, 2007, 6). Il y a donc une tension entre Ņdes acteurs qui veulent Ņgarder la mainÓ sur le jeu et dÕautres qui veulent Ņprendre la mainÓ de faon ˆ distribuer autrement les cartesÓ (FAGET, 2007, 6).

 

Pourtant, Ņil serait simpliste de considŽrer que les pratiques internes au systme judiciaire sont dŽpourvues de valeurs alors que les pratiques communautaires ne seraient jamais des techniquesÓ (FAGET, 2007, 8). Il semblerait que le cadre judiciaire ou communautaire nÕinduit pas une plus grande puretŽ de la dimension Žthique de la mŽdiation (Ibid., 8). Faget souligne quÕ Ņune analyse scientifique de la mŽdiation en matire pŽnale doit sÕaffranchir dÕune vision angŽlique de la communautŽ et dÕune diabolisation du systme pŽnalÓ (Ibid., 8).

 

Notre seconde remarque porte sur lÕidŽal de nŽgociation. Alors que certains disent que la parole qui circule  restitue Ņle sens volŽÓ (ALLIOT, 1996, 375), dÕautres sÕinterrogent si lÕacte de nŽgocier a encore du sens (JEUDY H-P, 1996, 15). Nous tenons simplement ˆ mettre en garde contre un culte de la nŽgociation car celle-ci nŽcessitera certaines exigences essentielles pour tre vŽritable. Il faudra donc nuancer lÕidŽe que Ņje nŽgocie donc je suisÓ (JEUDY H-P, 1996a, 20) et que parfois, ŅnŽgocier, cÕest crŽer lÕillusion dÕun espace de sensÓ (Ibid., 28).

 

Enfin, Etienne Leroy disait que la mŽdiation scolaire ne se dŽvelopperait en France ŅquÕavec le support dÕune pŽdagogie qui retrouverait les exigences de lÕancienne instruction civique pour valoriser les formes de solidaritŽ plut™t que les tendances ˆ lÕindividualisme et ˆ lՎlitismeÓ (LEROY E., 1995, 42). Nous pensons quÕil y a encore bien de quoi penser le Droit.

 

 

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[1] Nous disposons dÕun enregistrement si une preuve devait tre mise ˆ disposition.

[2] Les propos de la page 10 synthŽtisent ceux de Carole Youns, ce qui explique lÕabsence de rŽfŽrences.