Rpondant lÕinvitation de Christoph Eberhard, jÕai
pens quÕil serait utile dÕintgrer aux rflexions des participants ce
sminaire les fruits de mon exprience en matire de coopration juridique et
judiciaire avec la Chine.
Je suis conscient que la
problmatique labore par Franois Ost et Michel van de Kerchove en est une
qui sÕinsre dans un contexte non seulement dÕabord juridique au sens strict du
terme mais galement dans un contexte europen, ce qui leur permet sans doute
de se fonder sur des acquis qui ne demeurent ailleurs que des possibles ou
carrment des utopies. Je pense,
entre autres, au fait que le droit en Europe est aujourdÕhui un phnomne qui
est tudi isolment de lÕensemble de la socit, ce qui se justifie dans la
mesure o, dÕune part, il a acquis son autonomie en tant que pratique sociale
et en tant que discipline scientifique, et dans la mesure o, dÕautre part, sa
propre position par rapport la socit privilgie les professionnels et
universitaires qui le matrisent.
Car droit et pouvoir en Europe et en Occident sont, depuis des sicles,
lis lÕun lÕautre et forment un couple insparable, bien que chacun conserve
par rapport lÕautre une relative autonomie (Berman 1983 : 8-9). Or, ces acquis reposent videmment sur
des processus historiques, des logiques et des acteurs qui nÕont pas
dÕquivalents ailleurs. Ë mon
avis, non seulement est-il ncessaire dÕidentifier ces processus, ces logiques
et ces acteurs afin de mieux comprendre les thories juridiques associes aux
notions de pyramide et de rseau, mais il galement impratif de reconnatre
que la complexit rgne dans ce domaine et que ce qui a pu prvaloir un
moment prcis en Occident ne peut tre simplement transpos ou export ailleurs
sans tenir compte des caractristiques propres aux socits concernes.
Ë la lumire de ces
propos, on peut facilement comprendre la perspective qui est la mienne, celle
dÕun juriste soit, pour qui le droit demeure une ressource incontournable dans
lÕensemble des socits Đ encore quÕil faille discuter de la dfinition mme de
ce quÕon dsigne comme constituant du droit -, mais galement un anthropologue
pour qui tout phnomne doit tre abord en lÕassociant la socit et au
contexte dans lesquels il se manifeste et est utilis, interprt et parfois
djou par des acteurs pour qui les normes abstraites et formelles sont
rarement prises isolment mais plutt intgres dans une nbuleuse o
sÕinsrent leurs intrts immdiats, leurs associations avec dÕautres individus
et groupes, une part dÕhritage et une part de crativit (Moore 2000). Cette perspective mrite dÕtre mise en
Īuvre partout, aussi bien au sein de nos socits occidentales, o la notion de
pyramide est clairement le produit de processus historiques quÕil est permis de
retracer, que dans des socits trs diffrentes o les notions de droit, de
rsolution des conflits, de normes et de comportements, nÕont pas
ncessairement les mmes dfinitions et o leurs interrelations diffrent.
Ceci tant dit, ce serait
faire injure mes htes que de simplement nous faire buter tous sur pareille
opposition entre une perspective disons plus interne aux systmes juridiques
europens et occidentaux et une perspective plus sociologique ou
anthropologique du droit, avec ce quÕelle suppose de dvoilement de
lÕhistorique inscrit dans le social et des conditions perptuant lÕefficacit
des systmes dominants (Bourdieu 1980a : 45). Il est nettement plus avantageux de chercher identifier
des questions communes nous plaant devant de vrais problmes, de vraies
difficults, nous obligeant chacun, quelles que soient nos perspectives, tre
plus intelligent. Voici donc deux
questions dont la discussion pourra se rvler fructueuse, deux questions qui
prennent comme dnominateur commun lÕexistence universelle de la fonction
instituante, savoir de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs
collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 :
20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou plus prs des manires
dÕtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203). Premire question : dans le cadre de la coopration
juridique et judiciaire avec la Chine, les objectifs des programmes occidentaux
qui se fondent sur un modle pyramidal ou sur un modle de rseau peuvent-ils
tre raliss ? Deuxime
question : quelles conditions le dialogue entre juges chinois et juges
occidentaux peut-il tre jug mutuellement fructueux ?
Je le dis
franchement : dÕabord, je ne suis pas sinologue et je ne matrise pas le
mandarin; ensuite, ma prsentation dÕaujourdÕhui se fonde principalement sur
les connaissances que jÕai pu acqurir en participant moi-mme un projet de
coopration qui a associ, pendant prs de trois ans, deux facults de droit
canadiennes ainsi quÕune association de juges canadiens une institution
chinoise ayant le mandat de concevoir et de raliser la formation des juges
suprieurs en Chine, soit lÕInstitut national des juges (Canada-China Senior
Judges Training Project 2001).
Pour lÕinstant, lÕvaluation de ce projet qui a t confi des experts
indpendants nÕa toujours pas t rendu disponible. Malgr le caractre inductif de ma dmarche, je crois
quÕelle permet de jeter un regard clair, dÕune part, sur les principaux
projets qui, aujourdÕhui, sont mis en Īuvre dans le domaine juridique et
judiciaire en Chine et, dÕautre part, sur les obstacles quÕils rencontrent
cause du fait quÕils se fondent sur un modle pyramidal ou sur un modle de
rseau.
Pour Franois Ost et
Michel van de Kerchove, le modle pyramidal repose sur une ontologie
substantialiste et mcaniste ainsi que sur une mtaphysique du sujet : le
monde simple et mcanique centr sur la figure de lÕindividu, le monde de la
rationalit occidentale moderne et le modle du rseau, quant lui, relve
dÕune ontologie relationnelle et cyberntique, lie une pragmatique de
lÕintersubjectivit et de la communication : le monde complexe et rcursif
de lÕinteractivit gnralise dont on commence dcouvrir la grammaire (Ost
et van de Kerchove 2002 : 15-16).
Leur ambition est de formuler un nouveau cadre thorique englobant la
fois les survivances, les transformations et les formes indites du premier, tout
en rendant mieux compte des ides de rgulation (en lieu et place de la
rglementation) et de gouvernance (en lieu et place du gouvernement) (Ost et
van de Kerchove 2002 : 14).
Estimant que ces deux ples sont aujourdÕhui en interrelation constante,
ils privilgient lÕutilisation dÕune pense dialectique favorisant la mise en
tension de ces deux ples, la vrit pouvant tre trouve dans leur solidarit
conflictuelle et leur intime articulation (Ost et van de Kerchove 2002 :
39).
La coopration avec la
Chine sÕintgre dans la srie de processus[2]
qui ont chang le monde quÕavaient apprhend les grands thoriciens du droit
quÕont t Kelsen, Hart et Ross, au milieu du vingtime sicle, et ce titre,
elle participe plus au modle du rseau quÕ celui de la pyramide. En acceptant que des projets de
coopration juridique et judiciaire conus par des Occidentaux puissent tre
raliss au sein de leur pays, les dirigeants politiques chinois ont ouvert
consciemment des espaces de dialogue et mme de ngociation sans chercher imposer
directement leur propre pouvoir rgulateur. Certains ont toutefois fortement critiqu cette
Ō ouverture Ķ en prtendant quÕil sÕagissait l, en fait, dÕune
stratgie diplomatique mene de main ferme et ayant obtenu comme premier
rsultat concret le blocage des dbats la Commission des droits de lÕhomme
des Nations unies portant sur les dnonciations des violations des droits de la
personne en Chine (Droits et Dmocratie 2001). Autrement dit, les dirigeants politiques chinois auraient
tendu la carotte de la coopration en matire juridique et judiciaire aux pays
occidentaux de faon empcher lÕutilisation du bton de la dnonciation de
ses pratiques en matire de droits de la personne ou, autrement dit, afin
dÕchapper au pouvoir potentiellement rgulateur des instruments juridiques
internationaux dans ce domaine. La
tension entre les deux ples prne par Franois Ost et Michel van de Kerchove
semble encore une fois se raliser.
Mais il faut aller plus
loin et regarder dÕun peu plus prs les vises et les approches des diffrents
projets de coopration juridique et judiciaire en Chine. Je serai videmment trs
schmatique. Ë mon avis, ces
projets ont gnralement comme vises de familiariser les juristes chinois aux
conceptions et aux pratiques juridiques occidentales, de souligner le lien
intrinsque tabli entre le droit et la dmocratie ou la bonne gouvernance et,
enfin, de prsenter comme modle suivre le juge impartial et indpendant,
seul capable de rendre une justice qui soit lÕcoute des parties prsentes
devant lui en se fondant sur des textes quÕil doit interprter et sur des
preuves et des tmoignages quÕil doit valuer. LÕapproche utilise par ces projets est gnralement
dÕapporter des informations soit sous forme de confrence, soit sous forme de
formation plus ou moins intense et exhaustive, que ce soit en Chine ou
lÕtranger (Alford 1999; Bissonnette 2000; Canada-China Senior Judges Training
Project 2001; China Law and Governance Roundtable 2000; Dumont 2001) [3]. Aussi bien dans les vises que dans
lÕapproche, ces projets sÕinsrent, mon avis, dans lÕunivers pyramidal, celui
de lÕordre et de la hirarchie avec lequel lÕOccident est familier, un ordre
vertical et linaire qui culmine dans un ordre transcendant et sacr, celui des
socits libres et dmocratiques que chacun des pays occidentaux estime
incarner sa faon avec quelques minces nuances le distinguant des autres
membres de la mme famille. Notons
au sujet de ces projets quÕils ne sÕimposent cependant pas aux pays qui les
accueillent selon le modle pyramidal, mais plutt sous lÕinfluence de rseaux,
et notamment ceux du libralisme constitutionnel soutenu par les organisations
financires et montaires internationales (Vanderlinden 1998 : 248) ainsi
que par les agences de coopration des diffrents pays et le systme des
Nations unies.
JÕai aussi constat
lÕexistence de quelques projets qui semblaient prime abord moins se soucier
dÕexporter en Chine le modle pyramidal que de collaborer avec ceux qui, au
sein des institutions lgislatives ou des rseaux de chercheurs, avaient pour
tche dÕamliorer les lois chinoises.
Agissant comme conseillers et rendant compte des contenus substantifs et
des techniques utilises dans certains pays occidentaux (Allemagne, tats-Unis,
France), le but de ces projets est plutt dÕinfluencer lÕorientation des
dcisions prises par les dirigeants chinois vers une plus grande harmonisation
avec la communaut internationale au strict plan des normes gnrales
incorpores dans des lois spcifiques (Delmas-Marty et Gao 1997), sÕinscrivant
ainsi dans un processus de rgulation o lÕon assiste Ō une gestion
souple et volutive dÕun ensemble indfini de donnes en qute dÕun quilibre
au moins provisoire Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 26).
Sans rien enlever aux mrites de ces projets, et
notamment au fait quÕils permettent des changes de vive voix, sur le terrain,
entre personnes en autorit et gnralement trs intresses mieux connatre
leurs homologues et tirer un profit professionnel immdiatement opratoire
des informations, apprentissages et sensibilits ainsi obtenus (McCutcheon
2000), il reste que de srieux obstacles empchent ces projets de compltement
atteindre leurs objectifs de dpart qui, de faon gnrale, ont voir avec
notre conception de la justice.
B. Vers un enrichissement des
modles de la pyramide et du rseau
Paraphrasant Sally Falk
Moore, je dirai quÕune proccupation centrale de tout projet de coopration
juridique et judiciaire en Chine devrait tre lÕidentification des processus
sociaux qui oprent lÕextrieur des rgles, ou qui font en sorte que les gens
utilisent les rgles, ou quÕils les abandonnent, les flchissent, les
rinterprtent, les outrepassent ou les remplacent (Moore 2000 : 4)[4]. Faute de faire srieusement cet
exercice, comment penser que des rsultats durables seront atteints par ces
projets ? Autrement dit, sÕil est
utile et ncessaire dÕapporter des informations et de former des juristes
chinois aux systmes juridiques tels quÕils se sont dvelopps historiquement
et tels quÕils sont aujourdÕhui mis en Īuvre dans les pays occidentaux, on ne
peut se limiter cet aspect de la tche si lÕon cherche vraiment une activit
de coopration qui soit efficace, car encore faut-il mieux comprendre,
connatre et matriser les processus qui sont associs, dans le contexte
chinois, la fonction instituante, soit de Ō nouer le lien social en
diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et Van
de Kerchove 2002 : 20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou
plus prs des manires dÕtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203).
Un tel exercice suppose
deux pralables. DÕabord, la
volont et la capacit de traduire et de transcrire des informations et des
reprsentations dÕune tradition dans une autre, ce que Franois Ost et Michel
van de Kerchove associent la notion de gouvernance inscrite dans le modle du
rseau, tout en se demandant comment russir le mixage dÕunivers sociaux
distincts, le dialogue dÕinterlocuteurs relevant de logiques diffrentes,
lÕhybridation de savoirs multiples, et ce en vue de relever les dfis poss par
des enjeux sociaux communs tous les interlocuteurs concerns (Ost et van de
Kerchove 2002 : 31). Ce qui
est vrai au sein mme des systmes juridiques europens, lÕest encore plus dans
des rapports de coopration avec un pays comme la Chine, o traduction et
transcription dÕune tradition une autre sont indispensables sauf pour ceux
qui se complaisent dans des attitudes autistiques.
Ensuite, une certaine
prudence face lÕutilisation des modles thoriques. Si Franois Ost et Michel van de Kerchove se gardent de
Ō confondre les ralits observes avec lÕinstrument conceptuel qui sert
les observer Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 18), ils omettent, me
semble-t-il, de prciser les limites de leur modle, ainsi que la position
quÕils adoptent par rapport aux conditions dÕobservation, dÕanalyse et de
comparaison, lÕobservateur, surtout lorsquÕil aborde des traditions diffrentes
des siennes, appartenant toujours aux conditions de lÕobservation (Le Roy
1999 : 33). En outre, mme
lorsquÕils cherchent mieux rendre compte du modle du rseau, ils semblent se
placer au sein de la pyramide, du moins titre dÕinitis ayant une vision
globale du systme et se demandant jusquÕo des balances dÕintrt et des
quilibrations de valeurs aussi diverses que variables chapperont aux
hirarchies auparavant fixes dans la loi (Ost et van de Kerchove 2002 :
10). Ë cet gard, jÕaimerais
apporter deux suggestions.
Une premire tire de
lÕĪuvre du regrett Pierre Bourdieu pour qui il convient toujours dÕtablir la
diffrence entre le rapport thorique au modle et le rapport pratique aux
pratiques qui est celui des acteurs :
Ō Se situer dans
lÕordre de lÕintelligibilit comme le fait Saussure, cÕest adopter le point de
vue du Ō spectateur impartial Ķ qui, attach comprendre pour
comprendre,
est port mettre cette intention hermneutique au principe de la pratique des
agents, faire comme sÕils se posaient les questions quÕil se pose leur
propos. (É) Faute dÕune thorie de la diffrence
entre le rapport purement thorique au langage de celui qui, comme lui, nÕa
rien dÕautre faire du langage que de le comprendre et le rapport pratique au
langage de celui qui, attach comprendre pour agir, se sert du langage en vue
de fins pratiques, juste assez pour les besoins de la pratique et dans les
limites de lÕurgence pratique, le grammairien est enclin traiter tacitement
le langage comme un objet autonome et autosuffisant, cÕest--dire comme finalit
sans fin,
sans autre fin, en tout cas, que dÕtre interprt, la faon de lÕĪuvre
dÕart. Ķ (Bourdieu 1980b : 53).
Bourdieu propose en consquence
aux anthropologues dÕobjectiver leur propre rapport lÕobjet, soit
Ō celui de lÕtranger qui doit se donner le substitut de la matrise
pratique sous la forme dÕun modle objectiv : les gnalogies et autres
modles savants sont au sens de lÕorientation sociale qui rend possible le
rapport dÕimmanence immdiate au monde familier ce quÕune carte, modle
abstrait de tous les itinraires possibles, est au sens pratique de lÕespace
(É) Ķ (Bourdieu 1980b : 58).
Et il souligne que, dans le domaine des relations de parent, les
relations logiques dgages par les anthropologues nÕont pas pour les acteurs
eux-mmes lÕautonomie que la tradition structuraliste leur accorde par rapport
aux dterminants conomiques : Ō [L]es relations logiques de parent,
(É), nÕexistent sur le mode pratique que par et pour les usages officiels et
officieux quÕen font des agents dÕautant plus enclins les maintenir en tat
de fonctionnement et les faire fonctionner plus intensment (É) quÕelles
remplissent actuellement ou virtuellement des fonctions plus indispensables,
quÕelles satisfont ou peuvent satisfaire des intrts (matriels ou
symboliques) plus vitaux. Ķ (Bourdieu 1980b : 59-60). Paraphrasant Bourdieu (1980b : 61,
note 9 in fine), jÕaffirmerai quÕon ne peut rendre raison compltement de
la structure dÕun corpus Ō juridique Ķ et des transformations qui
lÕaffectent au cours du temps par une analyse strictement interne ignorant les
fonctions quÕil remplit dans les relations de comptition ou de conflit pour le
pouvoir conomique ou symbolique.
Ce qui mÕamne formuler
ma deuxime suggestion et souligner la suite dÕAndre Lajoie que les
concepts de Ō socit civile Ķ et de Ō gouvernance Ķ sont
la fois polysmiques et idologiques, quÕil convient dÕviter les dfinitions
essentialistes et de privilgier plutt lÕanalyse des stratgies et des
pratiques des acteurs, en constatant, dÕune part, quÕ renvoyer la
Ō socit civile Ķ les dcisions de Ō gouvernance Ķ dont on
croyait occulter le caractre public, on nÕa russi quÕ repolitiser la socit
civile, et, dÕautre part, quÕ affaiblir lÕtat et le modle pyramidal, les
no-libraux ont ouvert la porte des acteurs longtemps domins et qui
rclament aujourdÕhui une insertion diffrente au sein de la socit (Lajoie
1999). Dans ce contexte, le rle
des juges, du moins dans les pays occidentaux, demeure dterminant, car,
participant la reproduction de lÕtat, dans un rle de support et de
complmentarit, ils exercent une matrise suffisante des normes fondamentales
pour permettre la fois une participation au systme des acteurs qui ont
longtemps t marginaliss et lÕaffirmation Đ dans les cas vraiment litigieux -
des valeurs de ceux qui demeurent dominants, malgr toutes les transformations
officiellement reconnues. Ë titre
dÕexemple, le bilan de lÕintgration judiciaire des valeurs et des intrts
autochtones dress par Andre Lajoie et ses collgues (Lajoie et al. 2002),
permet de constater que si certaines des valeurs portes par le discours
autochtone (identit, protection de lÕenvironnement et des ressources
fauniques, dveloppement conomique) sont intgres au droit par la Cour
suprme du Canada, ds que lÕon aborde la notion dÕautosuffisance, les couples
protection/confiance ainsi que lÕgalit dÕexpression et la dmocratie, alors,
bien que reconnues par la Cour, ces valeurs nÕont pas pour effet de favoriser
les intrts des peuples autochtones face leurs adversaires. Enfin, lÕautodtermination politique et
la matrise du territoire, autres valeurs portes par les peuples autochtones,
ne sont que rarement mentionnes par la Cour, et lorsquÕelles le sont, cÕest
pour tre immdiatement places sous la dpendance de la souverainet
canadienne et de la primaut du droit.
DÕo, encore une fois, lÕintrt dÕintroduire dans les analyses des
thoriciens du droit les fonctions que les institutions judiciaires remplissent
lÕgard des relations de comptition ou de conflit pour le pouvoir
conomique, politique et symbolique (Lajoie 1997 : 111).
Ë introduire de telles
propositions, je risque sans doute de me voir opposer une fin de non-recevoir
ou dÕtre simplement ignor de la part de ceux-l mmes qui dcident des
projets de coopration avec la Chine, tant entendu quÕils aiment se placer
derrire lÕcran des rsultats pragmatiques atteindre rapidement en
sÕappuyant sur les connaissances et les pratiques professionnelles de juristes
renomms, reprenant ainsi au plan international une discrimination qui a
longtemps eu cours, si ce nÕest le cas encore aujourdÕhui, entre facults
dominantes dans lÕordre politique et facults dominantes dans lÕordre culturel,
les premires ayant pour fonction Ō de former des agents dÕexcution
capables de mettre en application sans les discuter ni les mettre en doute,
dans les limites des lois dÕun ordre social dtermin, les techniques et les
recettes dÕune science quÕelles prtendent ni produire ni transformer Ķ,
alors que les secondes semblent voues Ō sÕarroger, pour les besoins de
la construction des fondements rationnels de la science que les autres facults
se contentent dÕinculquer et dÕappliquer, une libert qui est interdite aux
activits dÕexcution, si respectables soient-elles dans lÕordre temporel de la
pratique Ķ (Bourdieu 1984 : 88-89). QuÕ cela ne tienne, nous ne sommes pas ici dans les
officines des pouvoirs diplomatiques, mais entre chercheurs soucieux de
rflchir en profondeur des phnomnes et des enjeux juridiques et sociaux,
et je poursuivrai donc ma prsentation en proposant quelques pistes de dialogue
entre juges chinois et juges occidentaux.
Ds le dpart, nous
devons prendre acte des analyses approfondies ralises par Jean-Pierre
Cabestan et reconnatre que la conception chinoise traditionnelle du pouvoir et
lÕattitude constante de la Chine face au droit occidental ne militent
aucunement en faveur de lÕadoption de mcanismes politiques, judiciaires ou
administratifs susceptibles dÕarrter le pouvoir, ce qui irait manifestement
lÕencontre dÕune approche moniste de lÕautorit qui ne distingue pas la morale
individuelle du bien public et qui interdit toute mergence de droits
subjectifs. En Chine, jusquÕ
aujourdÕhui, Ō le bon gouvernement nÕest pas celui qui limite ses propres
pouvoirs, mais celui qui, faisant fi des intrts particuliers, utilise toute
son autorit pour symboliser le mieux possible la souverainet hier impriale,
aujourdÕhui populaire Ķ (Cabestan 1992 : 471).
Rflchissant ainsi au
pouvoir et au droit, avec ses aspects tant lgislatifs que judiciaires, nous
devons en matire de coopration juridique et judiciaire avec la Chine, aller
au-del dÕune premire constatation dsenchantante qui nous rappelle quÕon ne
peut comparer lÕincomparable, sauf si lÕon se donne la peine de construire des
comparables en comprenant Ō comment un microsystme de pense est pouss
organiser ses lments constitutifs Ķ et en mettant en perspectives les
diffrentes Ō plaques dÕenchanement dcides par un choix initial Ķ
au sein des diffrentes socits (Detienne 2000 : 52), tant entendu, au
surplus, que les rgimes dÕhistoricit et de causalit doivent, eux aussi, tre
analyss en utilisant cette mme approche :
Ō Il sÕagit de
mettre en perspective Đ sans jugement de valeur, sans vise typologique
immdiate Đ des modles de pense et dÕcriture de lÕhistoricit, en
sÕattachant leurs constructions, leurs logiques de structuration, leurs
usages, leurs crises internes, aux carts significatifs quÕils prsentent
entre eux, mais aussi bien leur circulation, leurs rencontres, leurs
heurts. Ķ (Detienne 2000 : 64).
Ce qui nous amne
revenir au dnominateur commun qui nous rassemble ici et nous demander ce
quÕil en est de la fonction instituante en Chine aujourdÕhui.
A. La fonction instituante
la lumire de la thorie du jeu des lois
Pour nous lancer dans
pareille entreprise, jÕai fait le choix de prendre appui sur la thorie du jeu
des lois labore par tienne Le Roy (1999), tout en utilisant des analyses
produites dans dÕautres cadres conceptuels et en les intgrant dans lÕun ou
lÕautre des paramtres intgrs son approche dÕanthropologie dynamique du
droit.
Rappelons cet gard [5]
quÕtienne Le Roy propose une dmarche reposant sur un modle qui est la fois
structural et dynamique autorisant grce une dconstruction de lÕarchitecture
des processus lÕĪuvre (dimension synchronique), lÕlucidation corrlative du
sens du mouvement ainsi provoqu (aspect synchronique). Contrairement ce que pratique de
faon spontane la trs grande majorit des juristes occidentaux, le modle
labor par Le Roy ne tente pas de saisir le droit en tant que tel. Partant du fait que le droit au sens o
les juristes occidentaux lÕentendent, nÕest une construction autonome ayant une
efficacit propre quÕau sein de la tradition et du mode de penser qui lui a
donn naissance, soit en Occident, Le Roy prend acte des autres traditions o
le droit nÕest pas indpendant des rapports sociaux dans lesquels il reste
enchss, et, dans un souci dÕouverture interculturelle, il propose de prendre
la socit comme point de dpart de sa dmarche scientifique et cherche donc
expliquer le droit dans sa contribution au grand jeu de la vie en socit, la
fois comme produit social et comme producteur de la socialit. Autrement dit,
il refuse de chercher dans le droit le sens de la totalit sociale et, au
contraire, il cherche dans la totalit sociale le sens de ce quÕil dfinit
comme juridique, soit lÕart dogmatique de nouer le social, le biologique et
lÕinconscient pour assurer la reproduction de lÕhumanit, telle quÕelle est
construite par un groupe social dtermin. Nous sommes ici trs proche de que Franois Ost et Michel
van de Kerchove ont dsign comme la fonction instituante, soit lÕart de
Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant
des repres Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 20).
Parti des catgories
familires aux juristes occidentaux mais en leur donnant un statut
interculturel, Le Roy a identifi trois fondements au droit :
-
lÕhabitus : soit les manires dÕtre, dÕagir et de penser,
autrement dit, le produit des modes de socialisation et des expriences
ultrieures de vie en socit induisant des comportements au moins durables qui
traduisent des visions du monde ou de la socit, travers les archtypes
culturels dans la forme quÕils ont aprs avoir t revisits par chaque groupe
social particulier;
-
la coutume : soit lÕensemble des manires de faire et de conduire
ses comportements en socit, chaque groupe ayant sa coutume. Autrement dit, lÕessence de la coutume
est de proposer des modles de conduites et de comportements suivre (les bons
comportements), tolrs ou rejeter (dans ce dernier cas, on doit dduire du
mauvais modle le bon modle suivre) [6];
-
et les normes ou rgles gnrales et impersonnelles, ou, autrement dit,
ce quoi nous faisons rfrence gnralement en Occident en dsignant les lois
et les constitutions.
La vision du droit
privilgie par tienne Le Roy est ainsi maximaliste en ce quÕelle ouvre aux
fondements dÕun droit tripode, o habitus, coutumes et normes gnrales sont en
interaction, bien que lÕun ou lÕautre de ces fondements puisse tre privilgi
au sein dÕune socit donne. Dans
un tableau, qui vise principalement provoquer ses lecteurs poursuivre des
recherches plus approfondies cet gard, tienne Le Roy (1999 : 203)
compare la diversit des amnagements des fondements de la juridicit dans
quelques-unes des grandes traditions juridiques :
Traditions
juridiques |
Fondement
privilgi |
Fondement de 2ime ordre |
Fondement de 3ime ordre |
occidentale/chrtienne |
Normes gnrales et impersonnelles |
Modles de conduites et de comportements |
Habitus ou Systmes de dispositions durables |
africaine/animiste |
Modles de conduites et de comportements |
Habitus ou Systmes de dispositions durables |
Normes gnrales et impersonnelles |
asiatique/confucenne |
Habitus ou Systmes de dispositions durables |
Modles de conduites et de comportements |
Normes gnrales et impersonnelles |
arabe/musulmane |
Normes gnrales et impersonnelles |
Habitus ou Systmes de dispositions durables |
Modles de conduites et de comportements |
Un premier avantage de
cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de mieux analyser les
processus dÕinternormativi et dÕchanges entre les systmes juridiques, en
cherchant comprendre ce qui fait lÕessence de la juridicit de chacune des
parties engages dans ces processus, autrement dit, en quoi chaque partie
concerne est digne dÕtre comprise, admire et respecte ou conteste et
critique. Ë cet gard, Le Roy
prvient quÕil faut non seulement penser lÕautre, mais quÕil convient de le
penser autrement, et que, pour ce faire, il faut aller au-del du principe
dÕunit du droit reposant sur la hirarchie des normes la Kelsen, pour
utiliser une universitas qui intgre la pluralit des mondes. En ce qui concerne la Chine, il faut
bien videmment prendre acte du fait quÕelle a historiquement privilgi les
habitus ou systmes de dispositions durables comme fondement de sa juridicit
et non pas, comme en Occident, les normes gnrales et impersonnelles, mme si
elle les a utilises largement face ceux qui semblaient incapables dÕintgrer
les manires dÕtre enseignes par les rites (Delmas-Marty 2000 : 34;
Glenn 2000 : 280-287; Lubman 1999 :15-32; Piquet 2002 : 163-170;
Piquet 2000 : 25-40; Stockman 2000 : 206-208).
Un deuxime avantage de
cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de mieux identifier comment
assurer lÕapprentissage de la juridicit, tant entendu que la fonction de
reproduction dÕune socit est un acquis qui doit tre transmis par un
processus ducatif combinant les logiques de chacun des fondements du
droit.
Enfin, un troisime
avantage de cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de rflchir
dÕune manire constructive au devenir de la juridicit. Par exemple, pour ceux et celles qui
ont pour souci de promouvoir les droits de la personne au plan international,
il convient de remarquer, dÕune part, que ces droits, par leur origine
occidentale, ne sont pas encore rendus universels dans leur formulation, mais
que, dÕautre part, en raison des valeurs quÕils proclament quant lÕgale
dignit des personnes, ils doivent terme tre universaliss, argumentation
qui est galement pertinente pour lÕtat de droit. Pour atteindre cet objectif, il faut non seulement des
efforts soutenus, mais aussi viter quelques cueils souligns par tienne Le
Roy :
-
si lÕon survalorise le mode lgal dÕnonciation des normes, on
sous-estime alors la place et le rle de la coutume et des habitus;
-
si lÕon oublie que le modle lac et dmocratique de lÕtat nÕest pas
universel, on risque de passer ct dÕexigences propres la vie en socit
dans plusieurs pays du monde;
-
si lÕon prend pour acquis que les valeurs proclames dans les textes
visant la promotion et la protection des droits de la personne ou de lÕtat de
droit, sont entirement mondialises, on ngligera de connatre, de comprendre
et de prendre en compte les valeurs effectivement poursuivies par la grande
majorit des populations.
Bref, si le droit est
bien ce paradigme du jeu social qui, travers ses trois fondements, met en
forme et met des formes pour assurer la reproduction des socits, alors
toute innovation inscrite dans des normes gnrales et impersonnelles, comme,
par exemple, le fait pour un tat comme la Chine de ratifier le Pacte
international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels, doit tre associe une
pdagogie capable de traduire les choix dcoulant de ces normes gnrales et
impersonnelles dans les registres de la coutume et des habitus. En outre, le droit nÕtant pas un
donn, comme le souligne tienne Le Roy, mais un construit qui se tisse au jour
le jour et par un effort conjoint de tous les acteurs, il faut en consquence
permettre aux citoyens de participer son laboration et son effectivit, et
ce lÕaide dÕune coopration avec lÕtat qui vise nouer dans un mme bouquet
normes gnrales, coutumes et habitus.
Afin de bien apprcier
les implications du droit comme rgle du jeu de la vie en socit, tienne Le
Roy nous invite parcourir les neuf paramtres intgrs son modle et
saisir les opportunits que chacun propose, chaque choix rtroagissant sur
lÕensemble des autres, du moins potentiellement, tout en soulignant que chaque
socit en particularise les modalits selon le sens quÕelle donne aux valeurs
associes chacun de ces paramtres.
Faisant brivement rfrence chacun de ces neuf paramtres,
jÕessaierai maintenant dÕy apporter quelques propositions provisoires quant aux
modalits actuellement privilgies dans le contexte de la Chine dÕaujourdÕhui
en invitant instamment de jeunes chercheurs approfondir les analyses cet
gard.
Le premier paramtre
cherche identifier le statut des acteurs engags dans la rgulation de la vie
en socit, en supposant que chaque acteur dispose dÕune position et dÕun rle
dans chacun des mondes au sein duquel il est engag. En Chine, jÕestime quÕau moins quatre des mondes identifis
par Le Roy pour lÕOccident sont galement prsents : la cit domestique
domine par le prince et qui renvoie lÕart des relations familiales, la
tradition au nom du respect et de lÕattachement aux rgles; la cit civique qui
renvoie au principe quÕune action est justifie en fonction de la recherche de
lÕintrt gnral; la cit industrielle qui renvoie lÕimpratif de
lÕefficacit et de la productivit; et, enfin, la cit marchande qui justifie
un action par le donnant-donnant du contrat commercial ou autre. En revanche, la cit inspire qui
renvoie au principe de crativit et qui est guide par un principe suprieur
dÕinnovation et de nouveaut et la cit dÕopinion qui vise la reconnaissance
sociale, si elles existent, sont srement en position de latence ou cache
derrire dÕautres mondes qui sont mis lÕavant-scne, dont particulirement
celui qui renvoie lÕart des relations familiales et de la tradition. Pour ma part, je crois possible
dÕidentifier au moins une autre cit dans le contexte chinois, soit celle des
apprentissages scolaires, qui renvoie non seulement aux acquisitions
intellectuelles qui en ont dcoul mais galement aux rapports de camaraderie
et dÕobligation mutuelle entre condisciples. tienne Le Roy nous invite rapporter les positions, rles
et statuts des acteurs aux mondes dans lesquels ils prennent leur signification
et rapporter chaque monde lÕarchtype qui lui donne signification. En outre, il nous met en garde contre
le danger de prsumer le statut des acteurs qui seront appels en dialoguer
ensemble, alors quÕen fait on ne peut plus prdire quels Ō mondes Ķ
vont dialoguer et selon quels accords (et donc selon quels statuts) ils vont
avancer ensemble. Pour amorcer
immdiatement notre discussion portant sur le dialogue pouvant tre tabli,
titre dÕexemple, entre les juges chinois et les juges occidentaux, il convient
de remarquer lÕimportance donner cette appartenance des mondes multiples,
selon des statuts, des rles et des positions qui varient en fonction de la
situation o se trouvent les acteurs.
Le second paramtre
cherche identifier les ressources matrielles, humaines et mentales des
acteurs engags dans la rgulation de la vie en socit en tenant compte de la
pluralit des formes de gestion de ces ressources et en distinguant entre les
trois principes de gestion que sont la rciprocit, la redistribution et le
march. Ë cet gard, je dois
admettre que ma rflexion nÕest quÕembryonnaire et quÕil y aurait beaucoup tirer
dÕune analyse solide quant au principe qui domine actuellement lÕconomie
socialiste de march. Malgr le
titre provocateur de son ouvrage : Ō Sois riche et tais-toi Ķ,
ric Meyer, pour sa part, semble estimer que le principe de redistribution des
richesses nÕest pas compltement clips par lÕouverture de la Chine aux rgles
du capitalisme :
Ō En moins de quinze
ans, la Chine est passe dÕun sentiment de mfiance ml parfois de haine un
intrt excessif, presque obsessionnel pour lÕargent. Ce retour de balancier tait invitable, et la synthse est
dj en cours, perceptible dans lÕair du temps. Des signes de refus ou de dnonciation du matrialisme se
multiplient, lÕexigence dÕun retour aux sentiments inspirs du bouddhisme,
telles la charit ou la reconnaissance de lÕexistence de lÕautre, se
manifeste Ķ (Meyer 2002 : 30).
Chose certaine, au niveau
officiel, le souci dÕassurer la redistribution de la richesse accumule dans
certaines rgions et par certains groupes sociaux en Chine est affirm et
intgr tant dans les politiques internes que dans les programmes de
coopration avec lÕtranger. Ë
titre indicatif, dans le document rdig par les reprsentants des Nations
unies en Chine avec la collaboration des reprsentants du gouvernement chinois,
on peut lire :
Parmi les trois grands objectifs qui orientent aujourdÕhui la coopration entre les Nations unies et la Chine, le premier consiste dans la promotion dÕun dveloppement durable afin de rduire les disparits :
Ō Reversing inequities caused by the market system and alleviation
of poverty for those who are not reaping the benefits of current growth is one
major area where the Government has a considerable role to play. Goal One addresses the issue of the
wide and growing disparities between regions in China, between rich and poor,
rural and urban areas, and between men and women, and the UNÕs support to
reduce these inequities through sustainable social and human development and
improvements in basic social services delivery, quality and equal access Ķ (United Nations Country
Team in China and the Government Ō Mirror Team Ķ 2000 : 10).
Par ailleurs, quant aux
ressources des diffrents acteurs chinois engags dans la rgulation de la vie
en socit, on peut estimer sans risque de se tromper que certains ont accs
beaucoup plus de ressources matrielles (nourriture, moyen de transport,
outillages, etc.), humaines (solidarits familiales, clientles politiques ou
religieuses, associations dÕusagers ou groupes problmatiques, etc.) et
mentales (connaissances, savoir et savoir-faire) que dÕautres. De faon gnrale, les responsables
chinois qui participent aux changes lis la coopration juridique et
judiciaire avec les pays trangers, disposent bien videmment de ressources importantes,
mais qui ne sont quand mme pas identiques celles dont disposent leurs
homologues occidentaux. Il me
semble quÕafin de faciliter le dialogue entre eux, il serait utile dÕanalyser
plus en profondeur chacun des lments faisant partie de ce paramtre.
Quant au troisime
paramtre labor par tienne Le Roy, il cherche identifier les conduites des
acteurs engags dans la rgulation de la vie en socit. Dans le contexte chinois, la
ngociation (implicite ou explicite) me semble gnralement beaucoup plus
utilise par les acteurs que la convention et la contractualisation, ce qui ne
diminue en rien leur recours des stratgies ou des tactiques afin
dÕatteindre leurs objectifs.
LÕinfluence des habitus ainsi que des coutumes est ici manifeste :
Ō DÕune part, lÕart
des rapports sociaux en Chine consiste toujours mnager la face de son
interlocuteur. Revendiquer un
droit face autrui implique que lÕon se constitue suprieur notre dbiteur,
ce quÕun Chinois bien duqu vite toujours de faire directement. DÕautre part, le confucianisme bien
compris exige que lÕon sache cder, au nom de la prservation de rapports
harmonieux entre les parties Ķ (Piquet 2002 : 165).
Le quatrime paramtre
cherche identifier les logiques et les rationalisations auxquelles font
rfrence les acteurs engags dans la rgulation de la vie en socit. Mes comptences dans ce domaine sont
trop faibles pour que je puisse beaucoup mÕavancer, mais je ferai quand mme
rfrence Anne Cheng pour qui :
Ō LÕabsence de
thorisation la faon grecque ou scolastique explique sans doute la tendance
chinoise aux syncrtismes. Il nÕy
a pas de vrit absolue et ternelle, mais des dosages. Il en rsulte, en particulier, que les
contradictions ne sont pas perues comme irrductibles, mais plutt comme des
alternatives. Au lieu de termes
qui sÕexcluent, on voit prdominer les oppositions complmentaires qui
admettent le plus ou le moins : on passe du Yin au Yang, de
lÕindiffrenci au diffrenci, par transition insensible.
En somme, la pense
chinoise ne procde pas tant de manire linaire ou dialectique quÕen
spirale. Elle cerne son propos,
non pas une fois pour toutes par un ensemble de dfinitions, mais en dcrivant
autour de lui des cercles de plus en plus serrs. Il nÕy a pas l le signe dÕune pense indcise ou imprcise,
mais bien plutt dÕune volont dÕapprofondir un sens plutt que de clarifier un
concept ou un objet de pense.
Approfondir, cÕest--dire laisser descendre toujours plus profond en
soi, dans son existence, le sens dÕune leon (tire de la frquentation assidue
des Classiques), dÕun enseignement (prodigu par un matre), dÕune exprience
(du vcu personnel) Ķ (Cheng 1997 : 30-31).
Cette caractrisation de
la pense chinoise est rapprocher de lÕutilisation des rites en Chine
ancienne, qui ont permis une rgulation politique sans imposition au sens
judo-chrtien du terme, ni ngociation au sens africain :
Ō Les rites
proprement dits sont les matrices formelles des conduites de toute sorte,
tablies par les anciens rois assists des devins, et sur lesquels les hommes
doivent en chaque circonstance mouler leur comportement pour agir conformment
lÕordre des choses, autrement dit la raison. Cette raison nÕest pas celle des causes et des effets, mais
celle des correspondances formelles entre toutes les ralits qui se trouvent
leur place; son paradigme est la figure des lignes du bloc de jadeÉ Ķ
(Vandermeersch cit par Le Roy 1999).
Et nÕen va-t-il pas ainsi
encore aujourdÕhui dans le cadre des procs criminels en Chine, alors que
lÕaccus semble surtout invit Ō descendre toujours plus profond Ķ
en lui afin de tirer une leon de ce qui lui est arriv et afin de dmontrer
quÕil est prt modifier son comportement lÕavenir ? Compte tenu de leur caractre fortement
thtralis, on peut penser que ces procs ont dÕabord une fonction ducative
tant auprs de lÕaccus que du public qui y assiste Chose certaine, jusquÕ tout rcemment du moins, le souci
principal lors de ces procs ne portait pas sur lÕadmissibilit des preuves,
mais bien sur la culpabilit de l'accus : Ō Since the 1950s,
whenever public hearings revealed important inconsistencies in evidence, the
courts would adjourn to continue their investigation in private. The function of the trial has been to demonstrate
guilt, rather than to inquire into guilt or innocence Ķ (Lubman
1999 : 164). Au surplus, le
fait dÕinvoquer son innocence a longtemps eu pour effet dÕamplifier la peine
finalement impose : Ō Once a case reaches the trial stage, the
accused is assumed to be guilty.
In fact, since leniency is frequently accorded to those who confess and
show remorse, continued insistence on oneÕs innocence is likely to produce a
more severe sentence than admitting guilt would Ķ (Dreyer 1996 :
175).
En poursuivant leurs
analyses ce sujet, les chercheurs devraient tirer profit de lÕapproche de Le
Roy pour qui il faut toujours :
-
rapporter lÕobservation des phnomnes juridiques aux logiques qui les
fondent,
-
viter de rduire notre dmarche la seule rationalit cartsienne;
-
et rompre avec lÕopposition des contraires pour rechercher le pourquoi
de la complmentarit des diffrences.
Quant au cinquime
paramtre. il cherche identifier les chelles spatiales et temporelles au
sein desquelles prend place la rgulation de la vie en socit, de faon
mieux mesurer lÕaction sociale lÕchelle considre en contextualisant les
critres pris en considration. Il
va sans dire que les dbats concernant la Chine qui ont cours au sein des
Nations unies ou de lÕOrganisation mondiale du commerce sÕappuient sur des
reprsentations diffrentes de celles lÕĪuvre au niveau local et
correspondent surtout lÕun des fondements du droit tripode identifi par
tienne Le Roy, savoir les normes gnrales et impersonnelles. Bien que les normes gnrales et
impersonnelles soient galement utilises au niveau local, de faon gnrale il
semble que ce soit plutt les relations sociales qui orientent les dcisions
prises ce niveau, ce qui nÕest pas sans susciter beaucoup de critiques de la
part des promoteurs du gouvernement par la loi en Chine :
Ō [T]he Chinese
emphasis on relationships (guanxi) seems to have had a strength and durability
for thousands of years that makes it more powerful and pervasive than
comparable Western emphases.
(É), such
relationships are so important in Chinese culture that no assessment of Chinese
law should fail to weigh heavily the interactions between law and traditional
forms of guanxi and its modern manifestations. (É) [Even if] the deepening of economic reforms would expand
contract relations and legal concepts of contract alike, the continuing
strength of guanxi relationships suggests that such changes in values will only
occur slowly Ķ (Lubman 1997 : 376).
Les distinctions pouvant
tre faites en tenant compte des chelles sont galement en lien direct avec
les processus dans lesquels sÕinscrit la rgulation de la vie en socit (le
sixime paramtre). Tirant profit des analyses pralables de Sally Falk Moore
et distinguant entre les microprocessus (fonds sur un vnement dont lÕeffet
polarisateur continue tre directement mmoris par les acteurs et dont lÕge
de vie se situe entre trois et cinq ans), les msoprocessus (dont lÕge de vie
est de vingt trente ans et qui se construisent sur une priode de temps
ncessaire pour quÕun vnement soit disparaisse de la mmoire des acteurs,
soit quÕil soit transpos dans un champ mythique ou symbolique o alors ils
sÕinscrivent dans un macroprocessus) et les macroprocessus (construits sur la
notion de squence, soit une srie de priodes qui sÕenchanent et se
compltent en remontant lÕorigine du processus considr, soit le mouvement
fondateur de la socit en question), tienne Le Roy souligne quÕil ne faut pas
confondre processus et changement.
Comme toute socit est constamment roriente par de tels processus,
elle se reconstruit en consquence entre recopiages et inventions, ruptures et
continuits. De mme que les
chelles doivent sÕemboter, les processus doivent sÕenchaner : les micro
dans les mso, les mso dans les macroprocessus. Quand des processus de mme ordre deviennent
contradictoires, cÕest lÕadaptation ou le changement qui peut en tre
compromis.
O se situe aujourdÕhui
la Chine, qui vit, depuis 1979, un msoprocessus de rforme notamment juridique
et judiciaire ? LÕanalyse
processuelle propose par Le Roy permet dÕapporter une rponse qui tienne
compte de la longue dure, ce qui est utile pour ceux qui refusent de se laisser
aveugler par les effets de mode (quÕils soient pessimistes ou optimistes) et
qui ont cĪur de favoriser lÕmergence de valeurs et de pratiques
correspondant leur sens du droit et de la justice, dont le temps est bien
celui de la longue dure. Comptant,
mon avis, parmi les meilleures analyses qui existent dans la littrature
anglophone et francophone sur le processus des rformes juridiques actuellement
en cours en Chine, celles de Lubman (1999 et 1997) me semblent souffrir dÕune
insistance trop grande sur les seuls msoprocessus au dtriment dÕune vision
ayant comme horizon la longue dure, ce qui lÕamne adopter une vision trs
pessimiste par rapport des attentes fortement marques par les conceptions
occidentales en matire de droit et de justice.
Ds que lÕon se situe
dans la longue dure, on doit remarquer combien la diffrenciation sociale qui
sÕest tablie en Occident depuis des sicles nÕa aucun quivalent en
Chine notamment dans le domaine qui nous intresse plus particulirement
ici :
Ō [T]he state
itself was not a highly differentiated set of institutions. At the centre there were only a small
number of ministries concerned with only a narrow range of functions. There was no separation of powers, no
separate legislative or judicial instances. Law was certainly deemed to be man-made rather than
god-given; emperors could make new law and override existing law, although
usually within a general framework that had the sanctity of tradition. Law was, however, not made by
legislative assemblies, of which there were none, but by the emperor and his
ministers. Nor was the law
interpreted and applied by a separate, let alone an independent judiciary, but
by civil servants with appeal up to the emperor in severe cases such as those
carrying the death penalty. There
were very few legal specialists in government, and no legal profession ever
developed during the imperial epoch.
(É) The imperial
bureaucracy, from the district magistrates right up to the central ministries,
was staffed not by specialists expert in particular branches of law or
administration but by generalists with a classical Confucian education Ķ (Stockman 2000 :
206).
Lubman nÕest pas sans
reconnatre lÕimportance de ces caractristiques de la socit chinoise
lorsquÕon lÕanalyse dans la longue dure (Lubman 1999 : 12-32), mais
adoptant comme perspective gnrale dÕanalyse la notion de rgle de droit [7],
ses conclusions ne peuvent tre que trs ngatives :
Ō [B]ecause of
the absence of a unifying concept of law and a considerable fragmentation of
authority, China does not have a legal system. I have noted elsewhere in this book other reasons for this
view, which include the weak differentiation of the courts from the rest of the
Chinese bureaucracy, organizational methods in the courts, and a cast of mind
among judges that distinguish the courts little from the rest of the
bureaucracy. Structural weakness,
ideology, rigidity, entrenched interests, localism, and corruption limits the
functions and autonomy of the courts and undermine their legitimacy Ķ (Lubman 1999 :
317).
En outre, la notion de
Ō guanxi Ķ qui, trs souvent, est interprte de faon exclusivement
ngative, porte en elle un potentiel qui ne peut tre nglig, selon lÕanalyse
quÕen fait lÕanthropologue Mayfair Mei-hui Yang. En effet, lÕhumanisme confucen tant dfini en termes de
rapports sociaux et ce qui est qualifi dÕhumain lÕintrieur dÕun tel systme
nÕtant jamais conu par rapport un individu et ce qui merge de cet
individu, mais plutt comme le rsultat dcoulant dÕun processus engageant au
moins deux personnes dans le cadre dÕune relation sociale, elle estime que
lÕart du Ō guanxi Ķ, dans ses aspects idaux de don au sens o
lÕentend Marcel Mauss et non dvoys par un dsir dÕappt strictement matriel,
constitue un rempart face lÕhgmonie tatique :
Ō Collectivism
was part of the rise of the nation-state in modern China. It is possible to speculate that at the
height of the Cultural Revolution, when the eclipse of the social realm by
politics and by the state was the most totalizing, there occured a
reaction-formation in the social body.
It took the form of private and personalistic relationships of mutual
aid and obligation which implicitly challenged the universalistic ethics of
self-sacrifice, national identity, and state loyalty internalized in each
citizen. The emergence of a second
society in China in the aftermath of this long period of Ō state saturation Ķ
can be seen in the uncovering and reinventing of what Liang called the
Ō relationship-based Ķ core of Chinese culture Ķ (Yang 1994 : 297).
Ë lÕorientation
individualiste des fondements de la socit civile en Occident, elle oppose
cette orientation relationnelle entre les personnes en Chine, qui, mieux que la
premire, pourrait servir de nouvelle thique face aux abus dcoulant du
pouvoir monolithique et hgmonique de lÕtat :
Ō Given a
cultural point of departure quite different from that of the West, Chinese
minjian [8]
will probably not find individual rights and citizenship the most fertile
ground for its emergence or reemergence.
Where the history of civil society in the West was propelled primarily
by a discourse of rights, specifically, individual rights, the formation of a
social realm outside the state in China, will most likely be fueled by a
discourse of relatedness and obligations Ķ (Yang 1994 : 299).
Quant au septime
paramtre labor par Le Roy, il cherche identifier les forums o se joue la
rgulation de la vie en socit.
En Chine, on assiste depuis une trentaine dÕannes une multiplication
de ces forums, bien que la ngociation (implicite ou explicite) soit encore
privilgie par rapport la confrontation et mme au rglement des conflits
sous lÕgide dÕune figure dÕautorit.
Ë cet gard, Le Roy souligne que les lieux de la dcision sont porteurs
de reprsentations du politique, reprsentations qui doivent tre abordes dans
leurs enchanements, dans les transcriptions dÕun registre lÕautre. En outre, les lieux de dcision
prennent des sens diffrents avec les ordonnancements sociaux qui les abritent,
ce qui nous amne aborder immdiatement le huitime paramtre.
En Chine, les analystes
sÕentendent pour reconnatre que lÕordre recherch par les acteurs engags dans
la rgulation de la vie en socit est dÕabord celui de lÕharmonie, et ce
encore plus depuis que le confucianisme a t rhabilit par les autorits aux
lendemains de la Rvolution culturelle (Glenn 2000 : 308; Lubman
1997 : 295-296 et 340; Woo 1999 : 588). Faisant notamment cho aux analyses de Margaret Woo, Hlne
Piquet rsume bien la situation :
Ō [U]ne partie
importante des Chinois nÕadhrent pas la conception formaliste de la justice
que tentent de faire valoir certains dirigeants. Cette conception repose sur une mise en Īuvre du droit
suivant sa propre procdure, et ce, indpendamment du caractre quitable ou
non du rsultat de cette mise en Īuvre.
Or, les Chinois privilgient une justice substantive dans le rsultat,
et ce, avec ou sans le respect des procdures lgales. En dÕautres termes, si le rsultat de
lÕopration de la rgle de droit ne rpond pas aux exigences dÕquit telles
que vues par les Chinois, il nÕy a pas de vritable justice. On attend des juges quÕils rendent une
dcision qui donne quelque chose chacune des parties plutt que dÕappliquer
strictement une rgle de droit. Le
fondement de ces attentes rside dans la perception que la dcision revt un
impact important sur les relations futures entre les parties, et son enjeu va
donc bien au-del de lÕallocation des torts et des mrites de chacune. Il sÕagit de prserver lÕharmonie, et
on retrouve ici un trait culturel marquant de la socit chinoise. Dans cette perspective, le juge est
plutt un gestionnaire de la crise sociale quÕun arbitre devant trancher des
disputes prives. Le souci de
prserver lÕharmonie se traduit aussi par une formalisation de la mdiation
comme mthode de rsolution des conflits, car elle permet une justice
individualise, et qui revt un caractre informel Ķ (Piquet 2002 :
190-191).
Enfin, le neuvime
paramtre labor par tienne Le Roy cherche identifier les enjeux matriels
et symboliques qui sont lÕobjet de la comptition entre les acteurs engags
dans la rgulation de la vie en socit.
La rforme juridique et judiciaire entreprise depuis la fin des annes
1970 comporte des enjeux quÕil reste encore dvoiler. De prime abord, elle est lie une
volont de redonner la Chine une puissance conomique durable, tout en
vitant lÕavenir les excs associs lÕexercice du pouvoir par le seul
leadership des hommes plutt que celui fond sur les lois (Lubman 1997 :
244-245). Mme si plusieurs analystes occidentaux ont soulign combien, leurs
yeux, le droit a pu tre instrumentalis par les autorits politiques chinoises
dans le cadre de cette rforme (Alford 1999 : 198-203), il nÕen demeure
pas moins que des transformations majeures ont cours notamment au sein de lÕappareil
judiciaire et dans lÕensemble de la population :
ŌLegal reform shapes
and disseminates concepts about relations between state and society that affect
individualsÕ relationships with each other as well as with the state. Although many Chinese do not yet
distinguish between the courts and other state agencies, some are bringing
suits to force local cadres to comply with national laws. In addition, peasants
angered by predatory cadre behavior use government laws and regulations as the
basis for protest, sometimes violent.
The village elections that have been promoted by the Ministry of Civil
Affairs in order to reassert weakening central control over policy
implementation in the countryside could also generate institutionalized
practices that limit government powers Ķ (Lubman 1997 : 380).
Ō [T]he growing
professionalism of numerous Chinese whose careers lie in the law, the
burgeoning of an unprecedently large middle class, and both the desire and
pressure China feels to be part of an international order that is reaching into
the lives of its citizens in ways scarcely imaginable even a decade ago are
phenomena that carry with them a potential impetus for further change Ķ (Alford 1999 : 209).
Ceci
dit, en Chine comme dans toute autre socit, il y a des enjeux qui sont
inacceptables ou impensables.
Est-ce ncessaire de rappeler que tous les dbats actuels concernant le
sens exact du terme Ō fazhi Ķ (gouverner selon la loi ou tat de droit)
sÕinscrivent dans la construction dÕun systme juridique socialiste qui rejette
vigoureusement la vision occidentale des droits de la personne ? Que des enjeux soient inacceptables ou
impensables au sein dÕune socit nÕempche cependant pas dÕy jeter un regard
qui soit critique, comme lÕa fait rcemment avec brio Chlo Froissart :
Ō LÕappel au respect
dÕune logique historique, dÕun hritage culturel et institutionnel permettant
dÕarticuler toute rforme, masque en ralit chez les noconservateurs
lÕabsence dÕune relle pense politique.
Ils justifient leur opposition toute forme de garantie
institutionnelle des droits individuels au nom de lÕefficacit des rformes et
la menace du chaos qui sÕemparerait selon eux de la Chine si le peuple venait
prendre part, ne serait-ce quÕ travers lÕexercice de droits syndicaux, au
processus de dcision politique.
Posant comme postulat que la dmocratisation du rgime et lÕinstauration
dÕun vritable libralisme conomique dcouleront naturellement de
lÕenrichissement du pays, les noconservateurs assignent un ordre chronologique
aux rformes, la libralisation et la drgulation conomiques devant prcder
la prise en compte de la justice sociale, qui doit elle-mme prcder la
dmocratisation. Ils lgitiment
ainsi la politique pragmatique et Ō raliste Ķ du gouvernement qui a
lanc, lors du 15e Congrs du PCC en 1997, le slogan :
Ō LÕefficacit dÕabord, la justice ensuite. Ķ Ce mot dÕordre reflte lÕide que si
les rformes russissent en Chine, cÕest quÕelles sont guides par le principe
dÕune Ō conomie amorale Ķ ne prenant pas en compte la justice
sociale Ķ (Froissart 2001 : 119-120).
On le voit, lÕutilisation
du modle labor par tienne Le Roy exige un sens aigu du maniement dÕune
foule de variables dans un souci constant de rendre compte du dynamisme du jeu
des acteurs dans le contexte global qui est le leur. Participant rcemment un
cours dÕanthropologie du droit dont jÕtais responsable et tirant le meilleur
profit possible de la thorie du jeu des lois, Hlne Piquet, sinologue et
juriste de formation, a, pour sa part, caractris lÕactuelle rforme
judiciaire en Chine dans les termes suivants :
Ō [L]e sort rserv
Confucius dans le discours communiste est marqu par un revirement
spectaculaire. De vilipend
pendant la Rvolution Culturelle, il jouit prsent de la faveur du rgime,
qui le rhabilite entirement.
Dans ce contexte, la rforme judiciaire chinoise en cours est un
msoprocessus, dont une partie des acteurs est marque par une relative rticence
face lÕapplication des normes gnrales et impersonnelles, pour favoriser
encore largement une justice individualise, adapte aux circonstances
particulires des parties, fonde sur des considrations extra-juridiques. Cependant, cette rticence nÕest pas
totale, et le rapport au droit des justiciables chinois est en pleine
volution, ce qui dbouche sur une pluralit de forums de rglement des
diffrends car les tribunaux sont de plus en plus utiliss. Le statut quÕoccupe le droit dans la
Chine des rformes est caractris la fois par un manque dÕautonomie face
la politique, et par une imprgnation profonde des valeurs confucennes Ķ
(Piquet 2001 : 3).
JÕajouterai simplement
que la thorie du jeu des lois dÕtienne Le Roy permet dÕchapper une
propension anthropomorphiser les traditions culturelles et les analyser
comme si elles avaient une vie qui leur soit autonome et consubstantielle
(Glenn 2000). Certes, Le Roy nÕa
de cesse de rappeler quÕil faut toujours rapporter lÕobservation des phnomnes
juridiques aux logiques qui les fondent, mais il ajoute quÕil faut rendre
compte des pratiques des acteurs, soit certains des individus et des groupes
qui agissent dans un contexte particulier, une chelle quÕil convient
dÕidentifier et quÕil faut tenter de comprendre qui et quoi sert le
droit. CÕest dire que, selon cette
approche, les traditions juridiques nÕagissent pas par elles-mmes, mues par
des forces strictement structurelles.
En fait, comme nous lÕavons expliqu prcdemment, Le Roy adopte une
dfinition maximaliste du droit o celui-ci se fonde la fois sur des habitus,
des modles coutumiers de conduites et de comportements et des normes ou rgles
gnrales et impersonnelles, ce qui permet de mieux comprendre ce qui doit tre
transmis dans la socialisation des individus et des groupes composant une
socit, quelles valeurs doivent tre gres et quels facteurs assurent la
scurit juridique du groupe en question.
CÕest dire que la tradition culturelle nÕexiste jamais en soi, mais
quÕelle est constamment mise au dfi par ceux qui lÕutilisent, la transforment
ou la rejettent dans des contextes spcifiques.
JÕestime que les analyses
proposes par tienne Le Roy afin de rendre compte de la reproduction des
personnes, des groupes et des socits dans une perspective rsolument
anthropologique et dynamiste, devraient se situer au cĪur des changes entre
juges chinois et juges occidentaux, leur ouvrant de trs larges perspectives
sur les diverses faons de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs
collectives et en fixant des repres Ķ, que ceux-ci soient dÕordre
normatif, coutumier ou plus prs des manires dÕtre ou habitus.
videmment, en adoptant
cette approche, juges chinois et juges occidentaux devraient immdiatement
constater quel point la fonction du juge varie selon les diffrentes socits
et ce constat les porterait sans doute mieux identifier les processus
historiques, culturels et sociaux qui ont donn naissance leur actuelle
mission.
Du ct de la tradition
juridique occidentale, les travaux dÕHarold Berman sont inestimables en ce
quÕils rvlent combien le modle pyramidal de la justice sÕinscrit dans une
longue dure ayant pris naissance au onzime sicle en Occident dans le cadre
des tensions tablies entre les Princes et lÕglise, alors que les clercs sont
devenus les principaux interprtes des textes permettant dÕidentifier les
partages tablir entre pouvoir et justice, une justice qui nÕtait pas quÕun
ordre mais galement une aspiration lie une conception particulire du sacr
et que le droit est en consquence devenu un processus social diffus dans
diffrents secteurs (lgislation, adjudication, administration, ngociation)
assurant lÕallocation des droits et responsabilits de chacun et favorisant du coup
la rsolution des conflits et tablissant des canaux de coopration (Berman
1983 : 5).
QuÕaujourdÕhui les juges chinois adoptent le port de
la toge noire ne doit pas nous laisser croire quÕils participent dÕune mme
tradition o les clercs ont jou un rle si important parce quÕils taient les
principaux acteurs appels interprter un texte en fonction dÕune conception
sacre de lÕunivers o le Dieu chrtien sigeait au haut de la pyramide, ce
qui, avec le temps, a t transform par une srie dÕvnements la fois
perturbateurs et fondateurs que Berman nÕhsite pas qualifier de rvolutions
(Berman 1983 : 18-19). Il
faut galement rflchir au caractre messianique du droit lui-mme dans la
conception occidentale ainsi quÕ la notion de causalit qui, dans le contexte
occidental, a permis la transformation du systme lorsque des impratifs
sociaux lÕont exige, tout en perptuant des lments structuraux qui perdurent
jusquÕ aujourdÕhui :
Ō To change in
time is the key to the vitality of any legal system that confronts irresistible
pressure for change. A revolution,
in the historical sense of that term, is a rapid, discontinuous, violent change
that bursts the bonds of the legal system.
It may be that the
failure to anticipate fundamental changes, and to incorporate them in time, is
due to an inherent contradiction in the nature of the Western legal tradition,
one of whose purposes is to preserve order and another is to do justice. Order itself is conceived as having a
built-in tension between the need for change and the need for stability. Justice also is seen in dialectical
terms, involving a tension between the rights of the individual and the welfare
of the community. The realization
of justice has been proclaimed as a messianic ideal of the law itself,
originally associated (in the Papal Revolution) with the Last Judment and the
Kingdom of God, then (in the German Revolution) with the Christian conscience,
later (in the English Revolution) with public spirit, fairness, and the
traditions of the past, still later (in the French and American Revolutions)
with public opinion, reason, and the rights of man, and most recently (in the
Russian Revolution) with collectivism, planned economy, and social equality. It was the messianic ideal of justice,
above all, that found expression in the great revolutions. The overthrow of the preexisting law as
order was justified as the reestablishment of a more fundamental law as
justice. It was the belief that
the law was betraying its ultimate purpose and mission that brought on each of
the great revolutions Ķ (Berman 1983 : 21-22).
Du ct de la tradition
juridique chinoise, dÕaucuns dcrient lÕinsuffisante cohrence des plus
rcentes rformes allant jusquÕ affirmer quÕil nÕexiste toujours pas de systme
juridique en tant que tel en Chine, compte tenu de la fragmentation de toute
ligne hirarchique judiciaire et des contradictions entre diverses sources de
normes lgislatives ou administratives, sans oublier lÕincorporation des juges
dans des rseaux sociaux et politiques qui les incitent rendre des dcisions
ou agir en fonction de leurs obligations au sein de ces rseaux plutt quÕen
fonction des normes prises isolment (Lubman 1997 : 371-378).
Est-ce dire quÕil est
inutile de favoriser un dialogue entre juges chinois et juges occidentaux
? Non, bien au contraire, dans la
mesure o il est permis chacun de dvoiler les processus historiques et
sociaux qui dterminent leur rle actuel au sein de leurs socits respectives,
ce qui nÕempche pas dÕchanger sur des habilits plus strictement
professionnelles utiles dans tout procs, mais tout en comprenant mieux les
contextes o ces habilets doivent tre mises en Īuvre ainsi que lÕordre idal
recherch par chacune des socits concernes. Au fond, un tel dialogue, sÕil sÕamorait, pourrait
permettre de poursuivre les rflexions qui portent sur la fonction de juger et
le pouvoir judiciaire (Ost 1983; Russell 1983) tout en prenant acte du fait que
toute fonction instituante ne passe pas ncessairement par une interprtation
de textes, ralise par des membres dÕune corporation professionnelle lis
entre eux par une formation spcialise et des valeurs particulires les
associant et les distinguant de ceux qui exercent le pouvoir politique (Miaille
1983; Bontemps 1996). Au lieu de
juger les juges chinois uniquement par les traits qui semblent les diminuer par
rapport aux juges occidentaux, et notamment le fait quÕils semblent plutt
faire partie de lÕadministration que de ce quÕon considre un vritable
appareil judiciaire, ne vaudrait-il pas mieux rflchir lÕinteraction qui
sÕtablit aujourdÕhui entre, dÕune part, les normes gnrales intgres aux
lois ou aux rglements administratifs et, dÕautre part, les manires dÕtre et
les coutumes des dirigeants et des citoyens chinois ? Si, pendant des sicles, ces manires dÕtre et de faire ont
t associes aux rites et aux conceptions cosmogoniques dvoiles et
prsentes comme modles respecter par lÕEmpereur, quÕen est-il aujourdÕhui
? Je souponne quÕ un titre ou
un autre, les juges comptent parmi les acteurs principaux dans la reproduction
de leur socit, cette fonction nÕtant pas uniquement mise en Īuvre par lÕinterprtation
des textes, mais aussi par la recherche et la mise en forme dÕun ordre idal
fond sur lÕharmonie entre les citoyens, chacun devant maintenir une attitude
de respect et de compassion envers les personnes qui lui sont lies que ce soit
au sein de la famille, par lÕintermdiaire des rseaux fonds sur des
obligations mutuelles de don et de contre-prestation ou encore par
lÕappartenance des mondes communs.
En centrant ma
prsentation sur ce qui mÕest apparu comme un dnominateur commun entre tous
les participants ce sminaire, savoir lÕexistence universelle de la
fonction instituante ou, autrement dit, lÕart de Ō nouer le lien social en
diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et van
de Kerchove 2002 : 20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou
plus prs des manires dÕtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203), jÕai
tent de porter la rflexion au-del des modles de la pyramide et du rseau
dans le but de mieux saisir les diffrents aspects de la juridicit selon une
approche dÕanthropologie dynamique du droit, telle que lÕa labore tienne Le
Roy. Comme praticien engag dans
des projets de coopration juridique et judiciaire avec des partenaires
chinois, il me semble possible la lumire des diffrents paramtres du jeu
des lois de mieux saisir les opportunits qui sÕoffrent tous ceux qui
souhaitent ouvrir de nouveaux lieux de rflexion, dÕchange et de rseautage
tout en tenant compte des traditions, des contraintes et des exigences
caractrisant la situation de chacun.
Contrairement ce quÕa
affirm William Alford dans lÕun de ses articles (1999 : 204), certains
projets de coopration avec la Chine abordent ouvertement les liens qui
existent entre les pratiques juridiques et judiciaires en Occident et les
conceptions politiques qui leur sont associes, et jÕai particip lÕun
dÕentre eux (Canada-China Senior Judges Training Project 2001). Je reconnais que certains sujets
abords dans le cadre de ces projets suscitent parfois de lÕindiffrence, de la
mfiance, sinon de lÕhostilit. Je
reconnais galement que la volont de ces projets dÕintgrer au sein
dÕinstitutions de formation chinoises des programmes visant faire connatre
les conceptions occidentales du droit et de ses pratiques, rencontre des
obstacles qui ne se sont toujours pas entirement dissips (Dumont 2001). Mais il nÕen demeure pas moins que jÕai
t tmoin du trs grand intrt manifest par plusieurs juristes chinois
mieux connatre les systmes juridiques occidentaux et mme utiliser de faon
spcifique certains des enseignements quÕils en ont tirs, notamment quant la
dontologie des juges en Chine.
Lorsque les autorits
chinoises permettent des trangers de participer des projets de
coopration, elles savent trs bien qui nous sommes. JÕestime quÕune exprience en matire de formation juridique
de base et de formation judiciaire, non seulement dans dÕimportants secteurs du
droit comme, par exemple, les droits de la personne, mais aussi dans la
sensibilisation aux valeurs et au contexte social, allie une connaissance
approfondie du pluralisme juridique et de lÕanthropologie du droit, sont des
atouts utiles nos partenaires chinois qui souhaitent participer la rforme
juridique et judiciaire de leur pays.
Que des contradictions demeurent dans le discours des plus hautes
autorits politiques chinoises face cette rforme, que lÕon puisse mme
identifier des pratiques injustes par rapport au dveloppement des ingalits,
la crise sociale et au renforcement du systme politique actuel (Bja 2001),
il faut, mon avis, en prendre acte et ne pas hsiter en faire la critique
dans les forums appropris, et notamment devant la Commission des droits de
lÕhomme, tant entendu que la Chine doit assumer entirement les obligations
qui dcoulent de son statut de membre des Nations unies ou de toute autre
organisation internationale. Mais
il ne faut pas cependant valuer de faon monolithique les institutions et les
groupes sociaux avec lesquels il est permis de travailler, car, comme lÕa si
bien soulign Stephen Toope, Ō dans certains cas, il est possible de
travailler avec des segments des structures dirigeantes ou avec des personnes
ouvertes une rforme, dans lÕespoir de semer le germe de celle-ci au sein
dÕun rgime par ailleurs stagnant et rpressif Ķ (Toope 1997 :
14). En Chine, il existe des
tmoignages convaincants soulignant la prsence et lÕefficacit de partenaires
semblables (McCutcheon 2000 : 186-189). Dans le cadre de sa programmation actuelle en Chine, le
Programme des Nations unies pour le Dveloppement a identifi comme lÕun des
principaux dfis la ncessit dÕamliorer la gouvernance notamment en rendant
plus transparentes et plus redevables de leurs actions les institutions
juridiques :
Ō In 1997 the
Government announced the goal of governing the country according to law, and in
1999 the concept of the rule of law was included in ChinaÕs Constitution. Improved governance will require legal
systems and institutions that are more transparent and accountable in order to
enable the society to develop in a manner that ensures equity, justice and
predictability Ķ (United Nations.
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*
* *
[1] Avocat et anthropologue, lÕauteur a agi rcemment comme consultant notamment auprs de lÕAgence canadienne de dveloppement international (ACDI) et du Programme des Nations unies pour le Dveloppement (PNUD). Il a assum des charges de cours (anthropologie du droit; droits des peuples autochtones; droits de la personne) dans plusieurs universits (Montral, McGill, Ottawa, UQAM, Paris I). Il participe actuellement une recherche intitule Ō Autochtonie et gouvernance Ķ, dont la directrice est Mme Andre Lajoie du Centre de recherche en droit public de lÕUniversit de Montral.
[2] La globalisation des marchs financiers; lÕinterdpendance accrue des conomies et des cultures (mondialisation); le progrs des technologies numriques gnratrices dÕune socit de lÕinformation; la construction europenne; lÕaffaiblissement de la capacit dÕaction des tats; lÕapparition de puissants pouvoirs privs; la monte en puissance des juges et le culte des droits de lÕhomme; le multiculturalisme lÕintrieur mme des tats-nations; et la multiplication des pousses individualistes (Ost et van de Kerchove 2002 : 7-8).
[3] Ajoutons quÕau moment de ma participation au Projet sino-canadien de formation des juges suprieurs (1998-2001), le British Council animait par courrier lectronique des changes dÕinformation et des discussions portant sur le thme de la coopration juridique avec la Chine : China-Law@List1.BritishCouncil.Org.
[4] Sa remarque tait beaucoup plus gnrale et visait les juristes occidentaux au sein mme de leurs pays dÕorigine : Ō A central concern of any rule-maker should be the identification of those social processes which operate outside the rules, or which cause people to use rules, or abandon them, bend them, reinterpret, side-step them, or replace them. To recognize that such processes are inescapable aspects of the use of rule-systems and to try to understand as much as possible about the conditions of their operation would probably be far more effective than taking the view that such activities might be fully controlled simply by tighter drafting of Ō loophole-less Ķ legislation. Ķ (Moore 2000 : 4).
[5] La prsentation qui suit sÕappuie sur le tableau que jÕai labor (Bissonnette 2001) et qui cherche identifier les principales dfinitions et les paramtres labors par tienne Le Roy dans son ouvrage publi en 1999. Je nÕindiquerai donc pas les pages prcises o se retrouvent ces dfinitions ou paramtres, mais quÕil soit bien compris que toutes les affirmations comprises dans ma prsentation sont tires de cet ouvrage (Le Roy : 1999).
[6] Le Roy souligne que la manire dÕlucider la coutume et de la mettre en Īuvre dans la rsolution des conflits met en vidence comment aborder les manires de faire, tout en laissant le groupe libre de rgler pratiquement le conflit en fonction de facteurs spcifiques.
[7] Ō My perspective is informed by certain basic principles, customarily subsumed in the West under the concept of the rule of law, which I take to be the following : - legal rules, standards or principles must be capable of guiding people in the conduct of their affairs; - the law should, for the most part, actually guide people; - the law should be stable; - the law should be the supreme legal authority; - the courts should be able to do their work impartially and without direct interference from the political system Ķ (Lubman 1999 : 34).
[8] Cette expression chinoise correspond notre conception de la socit civile.