La coopŽration avec la Chine

dans le domaine de la rŽforme juridique et judiciaire :

pyramide, rŽseau et fonction instituante

ˆ la lumire de lÕanthropologie du droit

 

 

Alain Bissonnette [1]

 

 

RŽpondant ˆ lÕinvitation de Christoph Eberhard, jÕai pensŽ quÕil serait utile dÕintŽgrer aux rŽflexions des participants ˆ ce sŽminaire les fruits de mon expŽrience en matire de coopŽration juridique et judiciaire avec la Chine. 

Je suis conscient que la problŽmatique ŽlaborŽe par Franois Ost et Michel van de Kerchove en est une qui sÕinsre dans un contexte non seulement dÕabord juridique au sens strict du terme mais Žgalement dans un contexte europŽen, ce qui leur permet sans doute de se fonder sur des acquis qui ne demeurent ailleurs que des possibles ou carrŽment des utopies.  Je pense, entre autres, au fait que le droit en Europe est aujourdÕhui un phŽnomne qui est ŽtudiŽ isolŽment de lÕensemble de la sociŽtŽ, ce qui se justifie dans la mesure o, dÕune part, il a acquis son autonomie en tant que pratique sociale et en tant que discipline scientifique, et dans la mesure o, dÕautre part, sa propre position par rapport ˆ la sociŽtŽ privilŽgie les professionnels et universitaires qui le ma”trisent.  Car droit et pouvoir en Europe et en Occident sont, depuis des sicles, liŽs lÕun ˆ lÕautre et forment un couple insŽparable, bien que chacun conserve par rapport ˆ lÕautre une relative autonomie (Berman 1983 : 8-9).  Or, ces acquis reposent Žvidemment sur des processus historiques, des logiques et des acteurs qui nÕont pas dՎquivalents ailleurs.  Ë mon avis, non seulement est-il nŽcessaire dÕidentifier ces processus, ces logiques et ces acteurs afin de mieux comprendre les thŽories juridiques associŽes aux notions de pyramide et de rŽseau, mais il Žgalement impŽratif de reconna”tre que la complexitŽ rgne dans ce domaine et que ce qui a pu prŽvaloir ˆ un moment prŽcis en Occident ne peut tre simplement transposŽ ou exportŽ ailleurs sans tenir compte des caractŽristiques propres aux sociŽtŽs concernŽes.

Ë la lumire de ces propos, on peut facilement comprendre la perspective qui est la mienne, celle dÕun juriste soit, pour qui le droit demeure une ressource incontournable dans lÕensemble des sociŽtŽs Đ encore quÕil faille discuter de la dŽfinition mme de ce quÕon dŽsigne comme constituant du droit -, mais Žgalement un anthropologue pour qui tout phŽnomne doit tre abordŽ en lÕassociant ˆ la sociŽtŽ et au contexte dans lesquels il se manifeste et est utilisŽ, interprŽtŽ et parfois dŽjouŽ par des acteurs pour qui les normes abstraites et formelles sont rarement prises isolŽment mais plut™t intŽgrŽes dans une nŽbuleuse o sÕinsrent leurs intŽrts immŽdiats, leurs associations avec dÕautres individus et groupes, une part dÕhŽritage et une part de crŽativitŽ (Moore 2000).  Cette perspective mŽrite dՐtre mise en Īuvre partout, aussi bien au sein de nos sociŽtŽs occidentales, o la notion de pyramide est clairement le produit de processus historiques quÕil est permis de retracer, que dans des sociŽtŽs trs diffŽrentes o les notions de droit, de rŽsolution des conflits, de normes et de comportements, nÕont pas nŽcessairement les mmes dŽfinitions et o leurs interrelations diffrent. 

Ceci Žtant dit, ce serait faire injure ˆ mes h™tes que de simplement nous faire buter tous sur pareille opposition entre une perspective disons plus interne aux systmes juridiques europŽens et occidentaux et une perspective plus sociologique ou anthropologique du droit, avec ce quÕelle suppose de dŽvoilement de lÕhistorique inscrit dans le social et des conditions perpŽtuant lÕefficacitŽ des systmes dominants (Bourdieu 1980a : 45).  Il est nettement plus avantageux de chercher ˆ identifier des questions communes nous plaant devant de vrais problmes, de vraies difficultŽs, nous obligeant chacun, quelles que soient nos perspectives, ˆ tre plus intelligent.  Voici donc deux questions dont la discussion pourra se rŽvŽler fructueuse, deux questions qui prennent comme dŽnominateur commun lÕexistence universelle de la fonction instituante, ˆ savoir de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou plus prs des manires dՐtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203).  Premire question : dans le cadre de la coopŽration juridique et judiciaire avec la Chine, les objectifs des programmes occidentaux qui se fondent sur un modle pyramidal ou sur un modle de rŽseau peuvent-ils tre rŽalisŽs ?  Deuxime question : ˆ quelles conditions le dialogue entre juges chinois et juges occidentaux peut-il tre jugŽ mutuellement fructueux ?

 

Le point de vue dÕun praticien

 

Je le dis franchement : dÕabord, je ne suis pas sinologue et je ne ma”trise pas le mandarin; ensuite, ma prŽsentation dÕaujourdÕhui se fonde principalement sur les connaissances que jÕai pu acquŽrir en participant moi-mme ˆ un projet de coopŽration qui a associŽ, pendant prs de trois ans, deux facultŽs de droit canadiennes ainsi quÕune association de juges canadiens ˆ une institution chinoise ayant le mandat de concevoir et de rŽaliser la formation des juges supŽrieurs en Chine, soit lÕInstitut national des juges (Canada-China Senior Judges Training Project 2001).  Pour lÕinstant, lՎvaluation de ce projet qui a ŽtŽ confiŽ ˆ des experts indŽpendants nÕa toujours pas ŽtŽ rendu disponible.  MalgrŽ le caractre inductif de ma dŽmarche, je crois quÕelle permet de jeter un regard ŽclairŽ, dÕune part, sur les principaux projets qui, aujourdÕhui, sont mis en Īuvre dans le domaine juridique et judiciaire en Chine et, dÕautre part, sur les obstacles quÕils rencontrent ˆ cause du fait quÕils se fondent sur un modle pyramidal ou sur un modle de rŽseau.

 

A. Brve description de la coopŽration juridique et judiciaire en Chine

 

Pour Franois Ost et Michel van de Kerchove, le modle pyramidal repose sur une ontologie substantialiste et mŽcaniste ainsi que sur une mŽtaphysique du sujet : le monde simple et mŽcanique centrŽ sur la figure de lÕindividu, le monde de la rationalitŽ occidentale moderne et le modle du rŽseau, quant ˆ lui, relve dÕune ontologie relationnelle et cybernŽtique, liŽe ˆ une pragmatique de lÕintersubjectivitŽ et de la communication : le monde complexe et rŽcursif de lÕinteractivitŽ gŽnŽralisŽe dont on commence ˆ dŽcouvrir la grammaire (Ost et van de Kerchove 2002 : 15-16).  Leur ambition est de formuler un nouveau cadre thŽorique englobant ˆ la fois les survivances, les transformations et les formes inŽdites du premier, tout en rendant mieux compte des idŽes de rŽgulation (en lieu et place de la rŽglementation) et de gouvernance (en lieu et place du gouvernement) (Ost et van de Kerchove 2002 : 14).  Estimant que ces deux p™les sont aujourdÕhui en interrelation constante, ils privilŽgient lÕutilisation dÕune pensŽe dialectique favorisant la mise en tension de ces deux p™les, la vŽritŽ pouvant tre trouvŽe dans leur solidaritŽ conflictuelle et leur intime articulation (Ost et van de Kerchove 2002 : 39). 

La coopŽration avec la Chine sÕintgre dans la sŽrie de processus[2] qui ont changŽ le monde quÕavaient apprŽhendŽ les grands thŽoriciens du droit quÕont ŽtŽ Kelsen, Hart et Ross, au milieu du vingtime sicle, et ˆ ce titre, elle participe plus au modle du rŽseau quՈ celui de la pyramide.  En acceptant que des projets de coopŽration juridique et judiciaire conus par des Occidentaux puissent tre rŽalisŽs au sein de leur pays, les dirigeants politiques chinois ont ouvert consciemment des espaces de dialogue et mme de nŽgociation sans chercher ˆ imposer directement leur propre pouvoir rŽgulateur.  Certains ont toutefois fortement critiquŽ cette Ō ouverture Ķ en prŽtendant quÕil sÕagissait lˆ, en fait, dÕune stratŽgie diplomatique menŽe de main ferme et ayant obtenu comme premier rŽsultat concret le blocage des dŽbats ˆ la Commission des droits de lÕhomme des Nations unies portant sur les dŽnonciations des violations des droits de la personne en Chine (Droits et DŽmocratie 2001).  Autrement dit, les dirigeants politiques chinois auraient tendu la carotte de la coopŽration en matire juridique et judiciaire aux pays occidentaux de faon ˆ empcher lÕutilisation du b‰ton de la dŽnonciation de ses pratiques en matire de droits de la personne ou, autrement dit, afin dՎchapper au pouvoir potentiellement rŽgulateur des instruments juridiques internationaux dans ce domaine.  La tension entre les deux p™les pr™nŽe par Franois Ost et Michel van de Kerchove semble encore une fois se rŽaliser.

Mais il faut aller plus loin et regarder dÕun peu plus prs les visŽes et les approches des diffŽrents projets de coopŽration juridique et judiciaire en Chine.  Je serai Žvidemment trs schŽmatique.  Ë mon avis, ces projets ont gŽnŽralement comme visŽes de familiariser les juristes chinois aux conceptions et aux pratiques juridiques occidentales, de souligner le lien intrinsque Žtabli entre le droit et la dŽmocratie ou la bonne gouvernance et, enfin, de prŽsenter comme modle ˆ suivre le juge impartial et indŽpendant, seul capable de rendre une justice qui soit ˆ lՎcoute des parties prŽsentes devant lui en se fondant sur des textes quÕil doit interprŽter et sur des preuves et des tŽmoignages quÕil doit Žvaluer.  LÕapproche utilisŽe par ces projets est gŽnŽralement dÕapporter des informations soit sous forme de confŽrence, soit sous forme de formation plus ou moins intense et exhaustive, que ce soit en Chine ou ˆ lՎtranger (Alford 1999; Bissonnette 2000; Canada-China Senior Judges Training Project 2001; China Law and Governance Roundtable 2000; Dumont 2001) [3].  Aussi bien dans les visŽes que dans lÕapproche, ces projets sÕinsrent, ˆ mon avis, dans lÕunivers pyramidal, celui de lÕordre et de la hiŽrarchie avec lequel lÕOccident est familier, un ordre vertical et linŽaire qui culmine dans un ordre transcendant et sacrŽ, celui des sociŽtŽs libres et dŽmocratiques que chacun des pays occidentaux estime incarner ˆ sa faon avec quelques minces nuances le distinguant des autres membres de la mme famille.  Notons au sujet de ces projets quÕils ne sÕimposent cependant pas aux pays qui les accueillent selon le modle pyramidal, mais plut™t sous lÕinfluence de rŽseaux, et notamment ceux du libŽralisme constitutionnel soutenu par les organisations financires et monŽtaires internationales (Vanderlinden 1998 : 248) ainsi que par les agences de coopŽration des diffŽrents pays et le systme des Nations unies.

 

JÕai aussi constatŽ lÕexistence de quelques projets qui semblaient ˆ prime abord moins se soucier dÕexporter en Chine le modle pyramidal que de collaborer avec ceux qui, au sein des institutions lŽgislatives ou des rŽseaux de chercheurs, avaient pour t‰che dÕamŽliorer les lois chinoises.  Agissant comme conseillers et rendant compte des contenus substantifs et des techniques utilisŽes dans certains pays occidentaux (Allemagne, ƒtats-Unis, France), le but de ces projets est plut™t dÕinfluencer lÕorientation des dŽcisions prises par les dirigeants chinois vers une plus grande harmonisation avec la communautŽ internationale au strict plan des normes gŽnŽrales incorporŽes dans des lois spŽcifiques (Delmas-Marty et Gao 1997), sÕinscrivant ainsi dans un processus de rŽgulation o lÕon assiste ˆ Ō une gestion souple et Žvolutive dÕun ensemble indŽfini de donnŽes en qute dÕun Žquilibre au moins provisoire Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 26).

Sans rien enlever aux mŽrites de ces projets, et notamment au fait quÕils permettent des Žchanges de vive voix, sur le terrain, entre personnes en autoritŽ et gŽnŽralement trs intŽressŽes ˆ mieux conna”tre leurs homologues et ˆ tirer un profit professionnel immŽdiatement opŽratoire des informations, apprentissages et sensibilitŽs ainsi obtenus (McCutcheon 2000), il reste que de sŽrieux obstacles empchent ces projets de compltement atteindre leurs objectifs de dŽpart qui, de faon gŽnŽrale, ont ˆ voir avec notre conception de la justice.

 

B. Vers un enrichissement des modles de la pyramide et du rŽseau

 

Paraphrasant Sally Falk Moore, je dirai quÕune prŽoccupation centrale de tout projet de coopŽration juridique et judiciaire en Chine devrait tre lÕidentification des processus sociaux qui oprent ˆ lÕextŽrieur des rgles, ou qui font en sorte que les gens utilisent les rgles, ou quÕils les abandonnent, les flŽchissent, les rŽinterprtent, les outrepassent ou les remplacent (Moore 2000 : 4)[4].  Faute de faire sŽrieusement cet exercice, comment penser que des rŽsultats durables seront atteints par ces projets ?  Autrement dit, sÕil est utile et nŽcessaire dÕapporter des informations et de former des juristes chinois aux systmes juridiques tels quÕils se sont dŽveloppŽs historiquement et tels quÕils sont aujourdÕhui mis en Īuvre dans les pays occidentaux, on ne peut se limiter ˆ cet aspect de la t‰che si lÕon cherche vraiment une activitŽ de coopŽration qui soit efficace, car encore faut-il mieux comprendre, conna”tre et ma”triser les processus qui sont associŽs, dans le contexte chinois, ˆ la fonction instituante, soit de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et Van de Kerchove 2002 : 20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou plus prs des manires dՐtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203).

Un tel exercice suppose deux prŽalables.  DÕabord, la volontŽ et la capacitŽ de traduire et de transcrire des informations et des reprŽsentations dÕune tradition dans une autre, ce que Franois Ost et Michel van de Kerchove associent ˆ la notion de gouvernance inscrite dans le modle du rŽseau, tout en se demandant comment rŽussir le mixage dÕunivers sociaux distincts, le dialogue dÕinterlocuteurs relevant de logiques diffŽrentes, lÕhybridation de savoirs multiples, et ce en vue de relever les dŽfis posŽs par des enjeux sociaux communs ˆ tous les interlocuteurs concernŽs (Ost et van de Kerchove 2002 : 31).  Ce qui est vrai au sein mme des systmes juridiques europŽens, lÕest encore plus dans des rapports de coopŽration avec un pays comme la Chine, o traduction et transcription dÕune tradition ˆ une autre sont indispensables sauf pour ceux qui se complaisent dans des attitudes autistiques.

Ensuite, une certaine prudence face ˆ lÕutilisation des modles thŽoriques.  Si Franois Ost et Michel van de Kerchove se gardent de Ō confondre les rŽalitŽs observŽes avec lÕinstrument conceptuel qui sert ˆ les observer Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 18), ils omettent, me semble-t-il, de prŽciser les limites de leur modle, ainsi que la position quÕils adoptent par rapport aux conditions dÕobservation, dÕanalyse et de comparaison, lÕobservateur, surtout lorsquÕil aborde des traditions diffŽrentes des siennes, appartenant toujours aux conditions de lÕobservation (Le Roy 1999 : 33).  En outre, mme lorsquÕils cherchent ˆ mieux rendre compte du modle du rŽseau, ils semblent se placer au sein de la pyramide, du moins ˆ titre dÕinitiŽs ayant une vision globale du systme et se demandant jusquÕo des balances dÕintŽrt et des Žquilibrations de valeurs aussi diverses que variables Žchapperont aux hiŽrarchies auparavant fixŽes dans la loi (Ost et van de Kerchove 2002 : 10).  Ë cet Žgard, jÕaimerais apporter deux suggestions. 

Une premire tirŽe de lÕĪuvre du regrettŽ Pierre Bourdieu pour qui il convient toujours dՎtablir la diffŽrence entre le rapport thŽorique au modle et le rapport pratique aux pratiques qui est celui des acteurs :

 

Ō Se situer dans lÕordre de lÕintelligibilitŽ comme le fait Saussure, cÕest adopter le point de vue du Ō spectateur impartial Ķ qui, attachŽ ˆ comprendre pour comprendre, est portŽ ˆ mettre cette intention hermŽneutique au principe de la pratique des agents, ˆ faire comme sÕils se posaient les questions quÕil se pose ˆ leur propos.  (É)  Faute dÕune thŽorie de la diffŽrence entre le rapport purement thŽorique au langage de celui qui, comme lui, nÕa rien dÕautre ˆ faire du langage que de le comprendre et le rapport pratique au langage de celui qui, attachŽ ˆ comprendre pour agir, se sert du langage en vue de fins pratiques, juste assez pour les besoins de la pratique et dans les limites de lÕurgence pratique, le grammairien est enclin ˆ traiter tacitement le langage comme un objet autonome et autosuffisant, cÕest-ˆ-dire comme finalitŽ sans fin, sans autre fin, en tout cas, que dՐtre interprŽtŽ, ˆ la faon de lÕĪuvre dÕart. Ķ (Bourdieu 1980b : 53). 

 

Bourdieu propose en consŽquence aux anthropologues dÕobjectiver leur propre rapport ˆ lÕobjet, soit Ō celui de lՎtranger qui doit se donner le substitut de la ma”trise pratique sous la forme dÕun modle objectivŽ : les gŽnŽalogies et autres modles savants sont au sens de lÕorientation sociale qui rend possible le rapport dÕimmanence immŽdiate au monde familier ce quÕune carte, modle abstrait de tous les itinŽraires possibles, est au sens pratique de lÕespace (É) Ķ (Bourdieu 1980b : 58).  Et il souligne que, dans le domaine des relations de parentŽ, les relations logiques dŽgagŽes par les anthropologues nÕont pas pour les acteurs eux-mmes lÕautonomie que la tradition structuraliste leur accorde par rapport aux dŽterminants Žconomiques : Ō [L]es relations logiques de parentŽ, (É), nÕexistent sur le mode pratique que par et pour les usages officiels et officieux quÕen font des agents dÕautant plus enclins ˆ les maintenir en Žtat de fonctionnement et ˆ les faire fonctionner plus intensŽment (É) quÕelles remplissent actuellement ou virtuellement des fonctions plus indispensables, quÕelles satisfont ou peuvent satisfaire des intŽrts (matŽriels ou symboliques) plus vitaux. Ķ (Bourdieu 1980b : 59-60).  Paraphrasant Bourdieu (1980b : 61, note 9 in fine), jÕaffirmerai quÕon ne peut rendre raison compltement de la structure dÕun corpus Ō juridique Ķ et des transformations qui lÕaffectent au cours du temps par une analyse strictement interne ignorant les fonctions quÕil remplit dans les relations de compŽtition ou de conflit pour le pouvoir Žconomique ou symbolique.

 

Ce qui mÕamne ˆ formuler ma deuxime suggestion et ˆ souligner ˆ la suite dÕAndrŽe Lajoie que les concepts de Ō sociŽtŽ civile Ķ et de Ō gouvernance Ķ sont ˆ la fois polysŽmiques et idŽologiques, quÕil convient dՎviter les dŽfinitions essentialistes et de privilŽgier plut™t lÕanalyse des stratŽgies et des pratiques des acteurs, en constatant, dÕune part, quՈ renvoyer ˆ la Ō sociŽtŽ civile Ķ les dŽcisions de Ō gouvernance Ķ dont on croyait occulter le caractre public, on nÕa rŽussi quՈ repolitiser la sociŽtŽ civile, et, dÕautre part, quՈ affaiblir lՃtat et le modle pyramidal, les nŽo-libŽraux ont ouvert la porte ˆ des acteurs longtemps dominŽs et qui rŽclament aujourdÕhui une insertion diffŽrente au sein de la sociŽtŽ (Lajoie 1999).  Dans ce contexte, le r™le des juges, du moins dans les pays occidentaux, demeure dŽterminant, car, participant ˆ la reproduction de lՃtat, dans un r™le de support et de complŽmentaritŽ, ils exercent une ma”trise suffisante des normes fondamentales pour permettre ˆ la fois une participation au systme des acteurs qui ont longtemps ŽtŽ marginalisŽs et lÕaffirmation Đ dans les cas vraiment litigieux - des valeurs de ceux qui demeurent dominants, malgrŽ toutes les transformations officiellement reconnues.  Ë titre dÕexemple, le bilan de lÕintŽgration judiciaire des valeurs et des intŽrts autochtones dressŽ par AndrŽe Lajoie et ses collgues (Lajoie et al. 2002), permet de constater que si certaines des valeurs portŽes par le discours autochtone (identitŽ, protection de lÕenvironnement et des ressources fauniques, dŽveloppement Žconomique) sont intŽgrŽes au droit par la Cour suprme du Canada, ds que lÕon aborde la notion dÕautosuffisance, les couples protection/confiance ainsi que lՎgalitŽ dÕexpression et la dŽmocratie, alors, bien que reconnues par la Cour, ces valeurs nÕont pas pour effet de favoriser les intŽrts des peuples autochtones face ˆ leurs adversaires.  Enfin, lÕautodŽtermination politique et la ma”trise du territoire, autres valeurs portŽes par les peuples autochtones, ne sont que rarement mentionnŽes par la Cour, et lorsquÕelles le sont, cÕest pour tre immŽdiatement placŽes sous la dŽpendance de la souverainetŽ canadienne et de la primautŽ du droit.  DÕo, encore une fois, lÕintŽrt dÕintroduire dans les analyses des thŽoriciens du droit les fonctions que les institutions judiciaires remplissent ˆ lՎgard des relations de compŽtition ou de conflit pour le pouvoir Žconomique, politique et symbolique (Lajoie 1997 : 111).

Ë introduire de telles propositions, je risque sans doute de me voir opposer une fin de non-recevoir ou dՐtre simplement ignorŽ de la part de ceux-lˆ mmes qui dŽcident des projets de coopŽration avec la Chine, Žtant entendu quÕils aiment se placer derrire lՎcran des rŽsultats pragmatiques ˆ atteindre rapidement en sÕappuyant sur les connaissances et les pratiques professionnelles de juristes renommŽs, reprenant ainsi au plan international une discrimination qui a longtemps eu cours, si ce nÕest le cas encore aujourdÕhui, entre facultŽs dominantes dans lÕordre politique et facultŽs dominantes dans lÕordre culturel, les premires ayant pour fonction Ō de former des agents dÕexŽcution capables de mettre en application sans les discuter ni les mettre en doute, dans les limites des lois dÕun ordre social dŽterminŽ, les techniques et les recettes dÕune science quÕelles prŽtendent ni produire ni transformer Ķ, alors que les secondes semblent vouŽes Ō ˆ sÕarroger, pour les besoins de la construction des fondements rationnels de la science que les autres facultŽs se contentent dÕinculquer et dÕappliquer, une libertŽ qui est interdite aux activitŽs dÕexŽcution, si respectables soient-elles dans lÕordre temporel de la pratique Ķ (Bourdieu 1984 : 88-89).  QuՈ cela ne tienne, nous ne sommes pas ici dans les officines des pouvoirs diplomatiques, mais entre chercheurs soucieux de rŽflŽchir en profondeur ˆ des phŽnomnes et ˆ des enjeux juridiques et sociaux, et je poursuivrai donc ma prŽsentation en proposant quelques pistes de dialogue entre juges chinois et juges occidentaux.

 

 

II.             Pour un dialogue fondŽ sur la fonction instituante

 

Ds le dŽpart, nous devons prendre acte des analyses approfondies rŽalisŽes par Jean-Pierre Cabestan et reconna”tre que la conception chinoise traditionnelle du pouvoir et lÕattitude constante de la Chine face au droit occidental ne militent aucunement en faveur de lÕadoption de mŽcanismes politiques, judiciaires ou administratifs susceptibles dÕarrter le pouvoir, ce qui irait manifestement ˆ lÕencontre dÕune approche moniste de lÕautoritŽ qui ne distingue pas la morale individuelle du bien public et qui interdit toute Žmergence de droits subjectifs.  En Chine, jusquՈ aujourdÕhui, Ō le bon gouvernement nÕest pas celui qui limite ses propres pouvoirs, mais celui qui, faisant fi des intŽrts particuliers, utilise toute son autoritŽ pour symboliser le mieux possible la souverainetŽ hier impŽriale, aujourdÕhui populaire Ķ (Cabestan 1992 : 471). 

RŽflŽchissant ainsi au pouvoir et au droit, avec ses aspects tant lŽgislatifs que judiciaires, nous devons en matire de coopŽration juridique et judiciaire avec la Chine, aller au-delˆ dÕune premire constatation dŽsenchantante qui nous rappelle quÕon ne peut comparer lÕincomparable, sauf si lÕon se donne la peine de construire des comparables en comprenant Ō comment un microsystme de pensŽe est poussŽ ˆ organiser ses ŽlŽments constitutifs Ķ et en mettant en perspectives les diffŽrentes Ō plaques dÕencha”nement dŽcidŽes par un choix initial Ķ au sein des diffŽrentes sociŽtŽs (Detienne 2000 : 52), Žtant entendu, au surplus, que les rŽgimes dÕhistoricitŽ et de causalitŽ doivent, eux aussi, tre analysŽs en utilisant cette mme approche :

 

Ō Il sÕagit de mettre en perspective Đ sans jugement de valeur, sans visŽe typologique immŽdiate Đ des modles de pensŽe et dՎcriture de lÕhistoricitŽ, en sÕattachant ˆ leurs constructions, ˆ leurs logiques de structuration, ˆ leurs usages, ˆ leurs crises internes, aux Žcarts significatifs quÕils prŽsentent entre eux, mais aussi bien ˆ leur circulation, ˆ leurs rencontres, ˆ leurs heurts. Ķ (Detienne 2000 : 64).

 

Ce qui nous amne ˆ revenir au dŽnominateur commun qui nous rassemble ici et ˆ nous demander ce quÕil en est de la fonction instituante en Chine aujourdÕhui.

 

A.   La fonction instituante ˆ la lumire de la thŽorie du jeu des lois

 

Pour nous lancer dans pareille entreprise, jÕai fait le choix de prendre appui sur la thŽorie du jeu des lois ŽlaborŽe par ƒtienne Le Roy (1999), tout en utilisant des analyses produites dans dÕautres cadres conceptuels et en les intŽgrant dans lÕun ou lÕautre des paramtres intŽgrŽs ˆ son approche dÕanthropologie dynamique du droit. 

Rappelons ˆ cet Žgard [5] quՃtienne Le Roy propose une dŽmarche reposant sur un modle qui est ˆ la fois structural et dynamique autorisant gr‰ce ˆ une dŽconstruction de lÕarchitecture des processus ˆ lÕĪuvre (dimension synchronique), lՎlucidation corrŽlative du sens du mouvement ainsi provoquŽ (aspect synchronique).  Contrairement ˆ ce que pratique de faon spontanŽe la trs grande majoritŽ des juristes occidentaux, le modle ŽlaborŽ par Le Roy ne tente pas de saisir le droit en tant que tel.  Partant du fait que le droit au sens o les juristes occidentaux lÕentendent, nÕest une construction autonome ayant une efficacitŽ propre quÕau sein de la tradition et du mode de penser qui lui a donnŽ naissance, soit en Occident, Le Roy prend acte des autres traditions o le droit nÕest pas indŽpendant des rapports sociaux dans lesquels il reste ench‰ssŽ, et, dans un souci dÕouverture interculturelle, il propose de prendre la sociŽtŽ comme point de dŽpart de sa dŽmarche scientifique et cherche donc ˆ expliquer le droit dans sa contribution au grand jeu de la vie en sociŽtŽ, ˆ la fois comme produit social et comme producteur de la socialitŽ. Autrement dit, il refuse de chercher dans le droit le sens de la totalitŽ sociale et, au contraire, il cherche dans la totalitŽ sociale le sens de ce quÕil dŽfinit comme juridique, soit lÕart dogmatique de nouer le social, le biologique et lÕinconscient pour assurer la reproduction de lÕhumanitŽ, telle quÕelle est construite par un groupe social dŽterminŽ.  Nous sommes ici trs proche de que Franois Ost et Michel van de Kerchove ont dŽsignŽ comme la fonction instituante, soit lÕart de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 20).

Parti des catŽgories familires aux juristes occidentaux mais en leur donnant un statut interculturel, Le Roy a identifiŽ trois fondements au droit :

 

-       lÕhabitus : soit les manires dՐtre, dÕagir et de penser, autrement dit, le produit des modes de socialisation et des expŽriences ultŽrieures de vie en sociŽtŽ induisant des comportements au moins durables qui traduisent des visions du monde ou de la sociŽtŽ, ˆ travers les archŽtypes culturels dans la forme quÕils ont aprs avoir ŽtŽ revisitŽs par chaque groupe social particulier;

 

-       la coutume : soit lÕensemble des manires de faire et de conduire ses comportements en sociŽtŽ, chaque groupe ayant sa coutume.  Autrement dit, lÕessence de la coutume est de proposer des modles de conduites et de comportements ˆ suivre (les bons comportements), tolŽrŽs ou ˆ rejeter (dans ce dernier cas, on doit dŽduire du mauvais modle le bon modle ˆ suivre) [6];

 

-       et les normes ou rgles gŽnŽrales et impersonnelles, ou, autrement dit, ce ˆ quoi nous faisons rŽfŽrence gŽnŽralement en Occident en dŽsignant les lois et les constitutions.

 

La vision du droit privilŽgiŽe par ƒtienne Le Roy est ainsi maximaliste en ce quÕelle ouvre aux fondements dÕun droit tripode, o habitus, coutumes et normes gŽnŽrales sont en interaction, bien que lÕun ou lÕautre de ces fondements puisse tre privilŽgiŽ au sein dÕune sociŽtŽ donnŽe.  Dans un tableau, qui vise principalement ˆ provoquer ses lecteurs ˆ poursuivre des recherches plus approfondies ˆ cet Žgard, ƒtienne Le Roy (1999 : 203) compare la diversitŽ des amŽnagements des fondements de la juridicitŽ dans quelques-unes des grandes traditions juridiques :

 

VariabilitŽ des montages de la juridicitŽ

 

Traditions juridiques

Fondement privilŽgiŽ

Fondement de

2ime ordre

Fondement de

3ime ordre

occidentale/chrŽtienne

Normes gŽnŽrales et impersonnelles

Modles de conduites et de comportements

Habitus ou Systmes de dispositions durables

africaine/animiste

Modles de conduites et de comportements

Habitus ou Systmes de dispositions durables

Normes gŽnŽrales et impersonnelles

asiatique/confucŽenne

Habitus ou Systmes de dispositions durables

Modles de conduites et de comportements

Normes gŽnŽrales et impersonnelles

arabe/musulmane

Normes gŽnŽrales et impersonnelles

Habitus ou Systmes de dispositions durables

Modles de conduites et de comportements

 

 

Un premier avantage de cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de mieux analyser les processus dÕinternormativiŽ et dՎchanges entre les systmes juridiques, en cherchant ˆ comprendre ce qui fait lÕessence de la juridicitŽ de chacune des parties engagŽes dans ces processus, autrement dit, en quoi chaque partie concernŽe est digne dՐtre comprise, admirŽe et respectŽe ou contestŽe et critiquŽe.  Ë cet Žgard, Le Roy prŽvient quÕil faut non seulement penser lÕautre, mais quÕil convient de le penser autrement, et que, pour ce faire, il faut aller au-delˆ du principe dÕunitŽ du droit reposant sur la hiŽrarchie des normes ˆ la Kelsen, pour utiliser une universitas qui intgre la pluralitŽ des mondes.  En ce qui concerne la Chine, il faut bien Žvidemment prendre acte du fait quÕelle a historiquement privilŽgiŽ les habitus ou systmes de dispositions durables comme fondement de sa juridicitŽ et non pas, comme en Occident, les normes gŽnŽrales et impersonnelles, mme si elle les a utilisŽes largement face ˆ ceux qui semblaient incapables dÕintŽgrer les manires dՐtre enseignŽes par les rites (Delmas-Marty 2000 : 34; Glenn 2000 : 280-287; Lubman 1999 :15-32; Piquet 2002 : 163-170; Piquet 2000 : 25-40; Stockman 2000 : 206-208). 

Un deuxime avantage de cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de mieux identifier comment assurer lÕapprentissage de la juridicitŽ, Žtant entendu que la fonction de reproduction dÕune sociŽtŽ est un acquis qui doit tre transmis par un processus Žducatif combinant les logiques de chacun des fondements du droit. 

Enfin, un troisime avantage de cette vision dÕun droit tripode est quÕelle permet de rŽflŽchir dÕune manire constructive au devenir de la juridicitŽ.  Par exemple, pour ceux et celles qui ont pour souci de promouvoir les droits de la personne au plan international, il convient de remarquer, dÕune part, que ces droits, par leur origine occidentale, ne sont pas encore rendus universels dans leur formulation, mais que, dÕautre part, en raison des valeurs quÕils proclament quant ˆ lՎgale dignitŽ des personnes, ils doivent ˆ terme tre universalisŽs, argumentation qui est Žgalement pertinente pour lՃtat de droit.  Pour atteindre cet objectif, il faut non seulement des efforts soutenus, mais aussi Žviter quelques Žcueils soulignŽs par ƒtienne Le Roy :

 

-       si lÕon survalorise le mode lŽgal dՎnonciation des normes, on sous-estime alors la place et le r™le de la coutume et des habitus;

-       si lÕon oublie que le modle la•c et dŽmocratique de lՃtat nÕest pas universel, on risque de passer ˆ c™tŽ dÕexigences propres ˆ la vie en sociŽtŽ dans plusieurs pays du monde;

-       si lÕon prend pour acquis que les valeurs proclamŽes dans les textes visant la promotion et la protection des droits de la personne ou de lՃtat de droit, sont entirement mondialisŽes, on nŽgligera de conna”tre, de comprendre et de prendre en compte les valeurs effectivement poursuivies par la grande majoritŽ des populations.

 

Bref, si le droit est bien ce paradigme du jeu social qui, ˆ travers ses trois fondements, met en forme et met des formes pour assurer la reproduction des sociŽtŽs, alors ˆ toute innovation inscrite dans des normes gŽnŽrales et impersonnelles, comme, par exemple, le fait pour un ƒtat comme la Chine de ratifier le Pacte international relatif aux droits Žconomiques, sociaux et culturels, doit tre associŽe une pŽdagogie capable de traduire les choix dŽcoulant de ces normes gŽnŽrales et impersonnelles dans les registres de la coutume et des habitus.  En outre, le droit nՎtant pas un donnŽ, comme le souligne ƒtienne Le Roy, mais un construit qui se tisse au jour le jour et par un effort conjoint de tous les acteurs, il faut en consŽquence permettre aux citoyens de participer ˆ son Žlaboration et ˆ son effectivitŽ, et ce ˆ lÕaide dÕune coopŽration avec lՃtat qui vise ˆ nouer dans un mme bouquet normes gŽnŽrales, coutumes et habitus.

Afin de bien apprŽcier les implications du droit comme rgle du jeu de la vie en sociŽtŽ, ƒtienne Le Roy nous invite ˆ parcourir les neuf paramtres intŽgrŽs ˆ son modle et ˆ saisir les opportunitŽs que chacun propose, chaque choix rŽtroagissant sur lÕensemble des autres, du moins potentiellement, tout en soulignant que chaque sociŽtŽ en particularise les modalitŽs selon le sens quÕelle donne aux valeurs associŽes ˆ chacun de ces paramtres.  Faisant brivement rŽfŽrence ˆ chacun de ces neuf paramtres, jÕessaierai maintenant dÕy apporter quelques propositions provisoires quant aux modalitŽs actuellement privilŽgiŽes dans le contexte de la Chine dÕaujourdÕhui en invitant instamment de jeunes chercheurs ˆ approfondir les analyses ˆ cet Žgard.

Le premier paramtre cherche ˆ identifier le statut des acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ, en supposant que chaque acteur dispose dÕune position et dÕun r™le dans chacun des mondes au sein duquel il est engagŽ.  En Chine, jÕestime quÕau moins quatre des mondes identifiŽs par Le Roy pour lÕOccident sont Žgalement prŽsents : la citŽ domestique dominŽe par le prince et qui renvoie ˆ lÕart des relations familiales, ˆ la tradition au nom du respect et de lÕattachement aux rgles; la citŽ civique qui renvoie au principe quÕune action est justifiŽe en fonction de la recherche de lÕintŽrt gŽnŽral; la citŽ industrielle qui renvoie ˆ lÕimpŽratif de lÕefficacitŽ et de la productivitŽ; et, enfin, la citŽ marchande qui justifie un action par le donnant-donnant du contrat commercial ou autre.  En revanche, la citŽ inspirŽe qui renvoie au principe de crŽativitŽ et qui est guidŽe par un principe supŽrieur dÕinnovation et de nouveautŽ et la citŽ dÕopinion qui vise la reconnaissance sociale, si elles existent, sont sžrement en position de latence ou cachŽe derrire dÕautres mondes qui sont mis ˆ lÕavant-scne, dont particulirement celui qui renvoie ˆ lÕart des relations familiales et de la tradition.  Pour ma part, je crois possible dÕidentifier au moins une autre citŽ dans le contexte chinois, soit celle des apprentissages scolaires, qui renvoie non seulement aux acquisitions intellectuelles qui en ont dŽcoulŽ mais Žgalement aux rapports de camaraderie et dÕobligation mutuelle entre condisciples.  ƒtienne Le Roy nous invite ˆ rapporter les positions, r™les et statuts des acteurs aux mondes dans lesquels ils prennent leur signification et ˆ rapporter chaque monde ˆ lÕarchŽtype qui lui donne signification.  En outre, il nous met en garde contre le danger de prŽsumer le statut des acteurs qui seront appelŽs en dialoguer ensemble, alors quÕen fait on ne peut plus prŽdire quels Ō mondes Ķ vont dialoguer et selon quels accords (et donc selon quels statuts) ils vont avancer ensemble.  Pour amorcer immŽdiatement notre discussion portant sur le dialogue pouvant tre Žtabli, ˆ titre dÕexemple, entre les juges chinois et les juges occidentaux, il convient de remarquer lÕimportance ˆ donner ˆ cette appartenance ˆ des mondes multiples, selon des statuts, des r™les et des positions qui varient en fonction de la situation o se trouvent les acteurs. 

Le second paramtre cherche ˆ identifier les ressources matŽrielles, humaines et mentales des acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ en tenant compte de la pluralitŽ des formes de gestion de ces ressources et en distinguant entre les trois principes de gestion que sont la rŽciprocitŽ, la redistribution et le marchŽ.  Ë cet Žgard, je dois admettre que ma rŽflexion nÕest quÕembryonnaire et quÕil y aurait beaucoup ˆ tirer dÕune analyse solide quant au principe qui domine actuellement lՎconomie socialiste de marchŽ.  MalgrŽ le titre provocateur de son ouvrage : Ō Sois riche et tais-toi Ķ, ƒric Meyer, pour sa part, semble estimer que le principe de redistribution des richesses nÕest pas compltement ŽclipsŽ par lÕouverture de la Chine aux rgles du capitalisme :

 

Ō En moins de quinze ans, la Chine est passŽe dÕun sentiment de mŽfiance mlŽ parfois de haine ˆ un intŽrt excessif, presque obsessionnel pour lÕargent.  Ce retour de balancier Žtait inŽvitable, et la synthse est dŽjˆ en cours, perceptible dans lÕair du temps.  Des signes de refus ou de dŽnonciation du matŽrialisme se multiplient, lÕexigence dÕun retour aux sentiments inspirŽs du bouddhisme, telles la charitŽ ou la reconnaissance de lÕexistence de lÕautre, se manifeste Ķ (Meyer 2002 : 30).

 

Chose certaine, au niveau officiel, le souci dÕassurer la redistribution de la richesse accumulŽe dans certaines rŽgions et par certains groupes sociaux en Chine est affirmŽ et intŽgrŽ tant dans les politiques internes que dans les programmes de coopŽration avec lՎtranger.  Ë titre indicatif, dans le document rŽdigŽ par les reprŽsentants des Nations unies en Chine avec la collaboration des reprŽsentants du gouvernement chinois, on peut lire :

Ō The global guidelines for the preparation of Common Country Assessments were followed closely.  We thus took our cues, on the one hand, from the outcome of various international conferences of the 1990s as well as the international conventions that China has signed or ratified, and which are of particular relevance to the mandates and mission of the UN organisations with cooperation programmes in China.  On the other hand, we reviewed national goals and priorities, as we understand them, and identified a series of issues within those, which we considered of particular relevance for an assessment that is deliberately people-centered and in response to the Chinese governmentÕs overriding goal of Ō Reform, development and stability Ķ.  Within this context, the well being of Chinese citizens, and equity (between regions, gender and social groups such as migrant workers), emerged as issues, which run through the whole assessment Ķ (United Nations Country Team in China 2000 : 1).

 

Parmi les trois grands objectifs qui orientent aujourdÕhui la coopŽration entre les Nations unies et la Chine, le premier consiste dans la promotion dÕun dŽveloppement durable afin de rŽduire les disparitŽs :

Ō  Reversing inequities caused by the market system and alleviation of poverty for those who are not reaping the benefits of current growth is one major area where the Government has a considerable role to play.  Goal One addresses the issue of the wide and growing disparities between regions in China, between rich and poor, rural and urban areas, and between men and women, and the UNÕs support to reduce these inequities through sustainable social and human development and improvements in basic social services delivery, quality and equal access Ķ (United Nations Country Team in China and the Government Ō Mirror Team Ķ 2000 : 10).

 

Par ailleurs, quant aux ressources des diffŽrents acteurs chinois engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ, on peut estimer sans risque de se tromper que certains ont accs ˆ beaucoup plus de ressources matŽrielles (nourriture, moyen de transport, outillages, etc.), humaines (solidaritŽs familiales, clientles politiques ou religieuses, associations dÕusagers ou groupes problŽmatiques, etc.) et mentales (connaissances, savoir et savoir-faire) que dÕautres.  De faon gŽnŽrale, les responsables chinois qui participent aux Žchanges liŽs ˆ la coopŽration juridique et judiciaire avec les pays Žtrangers, disposent bien Žvidemment de ressources importantes, mais qui ne sont quand mme pas identiques ˆ celles dont disposent leurs homologues occidentaux.  Il me semble quÕafin de faciliter le dialogue entre eux, il serait utile dÕanalyser plus en profondeur chacun des ŽlŽments faisant partie de ce paramtre.

Quant au troisime paramtre ŽlaborŽ par ƒtienne Le Roy, il cherche ˆ identifier les conduites des acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ.  Dans le contexte chinois, la nŽgociation (implicite ou explicite) me semble gŽnŽralement beaucoup plus utilisŽe par les acteurs que la convention et la contractualisation, ce qui ne diminue en rien leur recours ˆ des stratŽgies ou ˆ des tactiques afin dÕatteindre leurs objectifs.  LÕinfluence des habitus ainsi que des coutumes est ici manifeste :

 

Ō  DÕune part, lÕart des rapports sociaux en Chine consiste ˆ toujours mŽnager la face de son interlocuteur.  Revendiquer un droit face ˆ autrui implique que lÕon se constitue supŽrieur ˆ notre dŽbiteur, ce quÕun Chinois bien ŽduquŽ Žvite toujours de faire directement.  DÕautre part, le confucianisme bien compris exige que lÕon sache cŽder, au nom de la prŽservation de rapports harmonieux entre les parties Ķ (Piquet 2002 : 165).

 

Le quatrime paramtre cherche ˆ identifier les logiques et les rationalisations auxquelles font rŽfŽrence les acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ.  Mes compŽtences dans ce domaine sont trop faibles pour que je puisse beaucoup mÕavancer, mais je ferai quand mme rŽfŽrence ˆ Anne Cheng pour qui :

 

Ō LÕabsence de thŽorisation ˆ la faon grecque ou scolastique explique sans doute la tendance chinoise aux syncrŽtismes.  Il nÕy a pas de vŽritŽ absolue et Žternelle, mais des dosages.  Il en rŽsulte, en particulier, que les contradictions ne sont pas perues comme irrŽductibles, mais plut™t comme des alternatives.  Au lieu de termes qui sÕexcluent, on voit prŽdominer les oppositions complŽmentaires qui admettent le plus ou le moins : on passe du Yin au Yang, de lÕindiffŽrenciŽ au diffŽrenciŽ, par transition insensible.

En somme, la pensŽe chinoise ne procde pas tant de manire linŽaire ou dialectique quÕen spirale.  Elle cerne son propos, non pas une fois pour toutes par un ensemble de dŽfinitions, mais en dŽcrivant autour de lui des cercles de plus en plus serrŽs.  Il nÕy a pas lˆ le signe dÕune pensŽe indŽcise ou imprŽcise, mais bien plut™t dÕune volontŽ dÕapprofondir un sens plut™t que de clarifier un concept ou un objet de pensŽe.  Approfondir, cÕest-ˆ-dire laisser descendre toujours plus profond en soi, dans son existence, le sens dÕune leon (tirŽe de la frŽquentation assidue des Classiques), dÕun enseignement (prodiguŽ par un ma”tre), dÕune expŽrience (du vŽcu personnel) Ķ (Cheng 1997 : 30-31).

 

Cette caractŽrisation de la pensŽe chinoise est ˆ rapprocher de lÕutilisation des rites en Chine ancienne, qui ont permis une rŽgulation politique sans imposition au sens judŽo-chrŽtien du terme, ni nŽgociation au sens africain :

 

Ō Les rites proprement dits sont les matrices formelles des conduites de toute sorte, Žtablies par les anciens rois assistŽs des devins, et sur lesquels les hommes doivent en chaque circonstance mouler leur comportement pour agir conformŽment ˆ lÕordre des choses, autrement dit ˆ la raison.  Cette raison nÕest pas celle des causes et des effets, mais celle des correspondances formelles entre toutes les rŽalitŽs qui se trouvent ˆ leur place; son paradigme est la figure des lignes du bloc de jadeÉ Ķ (Vandermeersch citŽ par Le Roy 1999).

 

Et nÕen va-t-il pas ainsi encore aujourdÕhui dans le cadre des procs criminels en Chine, alors que lÕaccusŽ semble surtout invitŽ ˆ Ō descendre toujours plus profond Ķ en lui afin de tirer une leon de ce qui lui est arrivŽ et afin de dŽmontrer quÕil est prt ˆ modifier son comportement ˆ lÕavenir ?  Compte tenu de leur caractre fortement thŽ‰tralisŽ, on peut penser que ces procs ont dÕabord une fonction Žducative tant auprs de lÕaccusŽ que du public qui y assiste  Chose certaine, jusquՈ tout rŽcemment du moins, le souci principal lors de ces procs ne portait pas sur lÕadmissibilitŽ des preuves, mais bien sur la culpabilitŽ de l'accusŽ : Ō Since the 1950s, whenever public hearings revealed important inconsistencies in evidence, the courts would adjourn to continue their investigation in private.  The function of the trial has been to demonstrate guilt, rather than to inquire into guilt or innocence Ķ (Lubman 1999 : 164).  Au surplus, le fait dÕinvoquer son innocence a longtemps eu pour effet dÕamplifier la peine finalement imposŽe : Ō Once a case reaches the trial stage, the accused is assumed to be guilty.  In fact, since leniency is frequently accorded to those who confess and show remorse, continued insistence on oneÕs innocence is likely to produce a more severe sentence than admitting guilt would Ķ (Dreyer 1996 : 175).

En poursuivant leurs analyses ˆ ce sujet, les chercheurs devraient tirer profit de lÕapproche de Le Roy pour qui il faut toujours :

-       rapporter lÕobservation des phŽnomnes juridiques aux logiques qui les fondent,

-       Žviter de rŽduire notre dŽmarche ˆ la seule rationalitŽ cartŽsienne;

-       et rompre avec lÕopposition des contraires pour rechercher le pourquoi de la complŽmentaritŽ des diffŽrences.

Quant au cinquime paramtre. il cherche ˆ identifier les Žchelles spatiales et temporelles au sein desquelles prend place la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ, de faon ˆ mieux mesurer lÕaction sociale ˆ lՎchelle considŽrŽe en contextualisant les critres pris en considŽration.  Il va sans dire que les dŽbats concernant la Chine qui ont cours au sein des Nations unies ou de lÕOrganisation mondiale du commerce sÕappuient sur des reprŽsentations diffŽrentes de celles ˆ lÕĪuvre au niveau local et correspondent surtout ˆ lÕun des fondements du droit tripode identifiŽ par ƒtienne Le Roy, ˆ savoir les normes gŽnŽrales et impersonnelles.  Bien que les normes gŽnŽrales et impersonnelles soient Žgalement utilisŽes au niveau local, de faon gŽnŽrale il semble que ce soit plut™t les relations sociales qui orientent les dŽcisions prises ˆ ce niveau, ce qui nÕest pas sans susciter beaucoup de critiques de la part des promoteurs du gouvernement par la loi en Chine :

 

Ō [T]he Chinese emphasis on relationships (guanxi) seems to have had a strength and durability for thousands of years that makes it more powerful and pervasive than comparable Western emphases.

(É), such relationships are so important in Chinese culture that no assessment of Chinese law should fail to weigh heavily the interactions between law and traditional forms of guanxi and its modern manifestations.  (É) [Even if] the deepening of economic reforms would expand contract relations and legal concepts of contract alike, the continuing strength of guanxi relationships suggests that such changes in values will only occur slowly Ķ (Lubman 1997 : 376).

 

Les distinctions pouvant tre faites en tenant compte des Žchelles sont Žgalement en lien direct avec les processus dans lesquels sÕinscrit la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ (le sixime paramtre). Tirant profit des analyses prŽalables de Sally Falk Moore et distinguant entre les microprocessus (fondŽs sur un ŽvŽnement dont lÕeffet polarisateur continue ˆ tre directement mŽmorisŽ par les acteurs et dont lՉge de vie se situe entre trois et cinq ans), les mŽsoprocessus (dont lՉge de vie est de vingt ˆ trente ans et qui se construisent sur une pŽriode de temps nŽcessaire pour quÕun ŽvŽnement soit disparaisse de la mŽmoire des acteurs, soit quÕil soit transposŽ dans un champ mythique ou symbolique o alors ils sÕinscrivent dans un macroprocessus) et les macroprocessus (construits sur la notion de sŽquence, soit une sŽrie de pŽriodes qui sÕencha”nent et se compltent en remontant ˆ lÕorigine du processus considŽrŽ, soit le mouvement fondateur de la sociŽtŽ en question), ƒtienne Le Roy souligne quÕil ne faut pas confondre processus et changement.  Comme toute sociŽtŽ est constamment rŽorientŽe par de tels processus, elle se reconstruit en consŽquence entre recopiages et inventions, ruptures et continuitŽs.  De mme que les Žchelles doivent sÕembo”ter, les processus doivent sÕencha”ner : les micro dans les mŽso, les mŽso dans les macroprocessus.  Quand des processus de mme ordre deviennent contradictoires, cÕest lÕadaptation ou le changement qui peut en tre compromis. 

O se situe aujourdÕhui la Chine, qui vit, depuis 1979, un mŽsoprocessus de rŽforme notamment juridique et judiciaire ?  LÕanalyse processuelle proposŽe par Le Roy permet dÕapporter une rŽponse qui tienne compte de la longue durŽe, ce qui est utile pour ceux qui refusent de se laisser aveugler par les effets de mode (quÕils soient pessimistes ou optimistes) et qui ont ˆ cĪur de favoriser lՎmergence de valeurs et de pratiques correspondant ˆ leur sens du droit et de la justice, dont le temps est bien celui de la longue durŽe.  Comptant, ˆ mon avis, parmi les meilleures analyses qui existent dans la littŽrature anglophone et francophone sur le processus des rŽformes juridiques actuellement en cours en Chine, celles de Lubman (1999 et 1997) me semblent souffrir dÕune insistance trop grande sur les seuls mŽsoprocessus au dŽtriment dÕune vision ayant comme horizon la longue durŽe, ce qui lÕamne ˆ adopter une vision trs pessimiste par rapport ˆ des attentes fortement marquŽes par les conceptions occidentales en matire de droit et de justice.

Ds que lÕon se situe dans la longue durŽe, on doit remarquer combien la diffŽrenciation sociale qui sÕest Žtablie en Occident depuis des sicles nÕa aucun Žquivalent en Chine notamment dans le domaine qui nous intŽresse plus particulirement ici :

 

Ō [T]he state itself was not a highly differentiated set of institutions.  At the centre there were only a small number of ministries concerned with only a narrow range of functions.  There was no separation of powers, no separate legislative or judicial instances.  Law was certainly deemed to be man-made rather than god-given; emperors could make new law and override existing law, although usually within a general framework that had the sanctity of tradition.  Law was, however, not made by legislative assemblies, of which there were none, but by the emperor and his ministers.  Nor was the law interpreted and applied by a separate, let alone an independent judiciary, but by civil servants with appeal up to the emperor in severe cases such as those carrying the death penalty.  There were very few legal specialists in government, and no legal profession ever developed during the imperial epoch.  (É)  The imperial bureaucracy, from the district magistrates right up to the central ministries, was staffed not by specialists expert in particular branches of law or administration but by generalists with a classical Confucian education Ķ (Stockman 2000 : 206).

 

Lubman nÕest pas sans reconna”tre lÕimportance de ces caractŽristiques de la sociŽtŽ chinoise lorsquÕon lÕanalyse dans la longue durŽe (Lubman 1999 : 12-32), mais adoptant comme perspective gŽnŽrale dÕanalyse la notion de rgle de droit [7], ses conclusions ne peuvent tre que trs nŽgatives :

 

Ō [B]ecause of the absence of a unifying concept of law and a considerable fragmentation of authority, China does not have a legal system.  I have noted elsewhere in this book other reasons for this view, which include the weak differentiation of the courts from the rest of the Chinese bureaucracy, organizational methods in the courts, and a cast of mind among judges that distinguish the courts little from the rest of the bureaucracy.  Structural weakness, ideology, rigidity, entrenched interests, localism, and corruption limits the functions and autonomy of the courts and undermine their legitimacy Ķ (Lubman 1999 : 317).

 

En outre, la notion de Ō guanxi Ķ qui, trs souvent, est interprŽtŽe de faon exclusivement nŽgative, porte en elle un potentiel qui ne peut tre nŽgligŽ, selon lÕanalyse quÕen fait lÕanthropologue Mayfair Mei-hui Yang.  En effet, lÕhumanisme confucŽen Žtant dŽfini en termes de rapports sociaux et ce qui est qualifiŽ dÕhumain ˆ lÕintŽrieur dÕun tel systme nՎtant jamais conu par rapport ˆ un individu et ˆ ce qui Žmerge de cet individu, mais plut™t comme le rŽsultat dŽcoulant dÕun processus engageant au moins deux personnes dans le cadre dÕune relation sociale, elle estime que lÕart du Ō guanxi Ķ, dans ses aspects idŽaux de don au sens o lÕentend Marcel Mauss et non dŽvoyŽs par un dŽsir dÕapp‰t strictement matŽriel, constitue un rempart face ˆ lÕhŽgŽmonie Žtatique :

 

Ō Collectivism was part of the rise of the nation-state in modern China.  It is possible to speculate that at the height of the Cultural Revolution, when the eclipse of the social realm by politics and by the state was the most totalizing, there occured a reaction-formation in the social body.  It took the form of private and personalistic relationships of mutual aid and obligation which implicitly challenged the universalistic ethics of self-sacrifice, national identity, and state loyalty internalized in each citizen.  The emergence of a second society in China in the aftermath of this long period of Ō state saturation Ķ can be seen in the uncovering and reinventing of what Liang called the Ō relationship-based Ķ core of Chinese culture Ķ (Yang 1994 : 297).

 

Ë lÕorientation individualiste des fondements de la sociŽtŽ civile en Occident, elle oppose cette orientation relationnelle entre les personnes en Chine, qui, mieux que la premire, pourrait servir de nouvelle Žthique face aux abus dŽcoulant du pouvoir monolithique et hŽgŽmonique de lՃtat :

 

Ō Given a cultural point of departure quite different from that of the West, Chinese minjian [8] will probably not find individual rights and citizenship the most fertile ground for its emergence or reemergence.  Where the history of civil society in the West was propelled primarily by a discourse of rights, specifically, individual rights, the formation of a social realm outside the state in China, will most likely be fueled by a discourse of relatedness and obligations Ķ (Yang 1994 : 299).

 

Quant au septime paramtre ŽlaborŽ par Le Roy, il cherche ˆ identifier les forums o se joue la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ.  En Chine, on assiste depuis une trentaine dÕannŽes ˆ une multiplication de ces forums, bien que la nŽgociation (implicite ou explicite) soit encore privilŽgiŽe par rapport ˆ la confrontation et mme au rglement des conflits sous lՎgide dÕune figure dÕautoritŽ.  Ë cet Žgard, Le Roy souligne que les lieux de la dŽcision sont porteurs de reprŽsentations du politique, reprŽsentations qui doivent tre abordŽes dans leurs encha”nements, dans les transcriptions dÕun registre ˆ lÕautre.  En outre, les lieux de dŽcision prennent des sens diffŽrents avec les ordonnancements sociaux qui les abritent, ce qui nous amne ˆ aborder immŽdiatement le huitime paramtre.

En Chine, les analystes sÕentendent pour reconna”tre que lÕordre recherchŽ par les acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ est dÕabord celui de lÕharmonie, et ce encore plus depuis que le confucianisme a ŽtŽ rŽhabilitŽ par les autoritŽs aux lendemains de la RŽvolution culturelle (Glenn 2000 : 308; Lubman 1997 : 295-296 et 340; Woo 1999 : 588).  Faisant notamment Žcho aux analyses de Margaret Woo, HŽlne Piquet rŽsume bien la situation :

 

Ō [U]ne partie importante des Chinois nÕadhrent pas ˆ la conception formaliste de la justice que tentent de faire valoir certains dirigeants.  Cette conception repose sur une mise en Īuvre du droit suivant sa propre procŽdure, et ce, indŽpendamment du caractre Žquitable ou non du rŽsultat de cette mise en Īuvre.  Or, les Chinois privilŽgient une justice substantive dans le rŽsultat, et ce, avec ou sans le respect des procŽdures lŽgales.  En dÕautres termes, si le rŽsultat de lÕopŽration de la rgle de droit ne rŽpond pas aux exigences dՎquitŽ telles que vues par les Chinois, il nÕy a pas de vŽritable justice.  On attend des juges quÕils rendent une dŽcision qui donne quelque chose ˆ chacune des parties plut™t que dÕappliquer strictement une rgle de droit.  Le fondement de ces attentes rŽside dans la perception que la dŽcision revt un impact important sur les relations futures entre les parties, et son enjeu va donc bien au-delˆ de lÕallocation des torts et des mŽrites de chacune.  Il sÕagit de prŽserver lÕharmonie, et on retrouve ici un trait culturel marquant de la sociŽtŽ chinoise.  Dans cette perspective, le juge est plut™t un gestionnaire de la crise sociale quÕun arbitre devant trancher des disputes privŽes.  Le souci de prŽserver lÕharmonie se traduit aussi par une formalisation de la mŽdiation comme mŽthode de rŽsolution des conflits, car elle permet une justice individualisŽe, et qui revt un caractre informel Ķ (Piquet 2002 : 190-191).

 

Enfin, le neuvime paramtre ŽlaborŽ par ƒtienne Le Roy cherche ˆ identifier les enjeux matŽriels et symboliques qui sont lÕobjet de la compŽtition entre les acteurs engagŽs dans la rŽgulation de la vie en sociŽtŽ.  La rŽforme juridique et judiciaire entreprise depuis la fin des annŽes 1970 comporte des enjeux quÕil reste encore ˆ dŽvoiler.  De prime abord, elle est liŽe ˆ une volontŽ de redonner ˆ la Chine une puissance Žconomique durable, tout en Žvitant ˆ lÕavenir les excs associŽs ˆ lÕexercice du pouvoir par le seul leadership des hommes plut™t que celui fondŽ sur les lois (Lubman 1997 : 244-245). Mme si plusieurs analystes occidentaux ont soulignŽ combien, ˆ leurs yeux, le droit a pu tre instrumentalisŽ par les autoritŽs politiques chinoises dans le cadre de cette rŽforme (Alford 1999 : 198-203), il nÕen demeure pas moins que des transformations majeures ont cours notamment au sein de lÕappareil judiciaire et dans lÕensemble de la population :

 

ŌLegal reform shapes and disseminates concepts about relations between state and society that affect individualsÕ relationships with each other as well as with the state.  Although many Chinese do not yet distinguish between the courts and other state agencies, some are bringing suits to force local cadres to comply with national laws. In addition, peasants angered by predatory cadre behavior use government laws and regulations as the basis for protest, sometimes violent.  The village elections that have been promoted by the Ministry of Civil Affairs in order to reassert weakening central control over policy implementation in the countryside could also generate institutionalized practices that limit government powers Ķ (Lubman 1997 : 380). 

Ō [T]he growing professionalism of numerous Chinese whose careers lie in the law, the burgeoning of an unprecedently large middle class, and both the desire and pressure China feels to be part of an international order that is reaching into the lives of its citizens in ways scarcely imaginable even a decade ago are phenomena that carry with them a potential impetus for further change Ķ (Alford 1999 : 209).

 

            Ceci dit, en Chine comme dans toute autre sociŽtŽ, il y a des enjeux qui sont inacceptables ou impensables.  Est-ce nŽcessaire de rappeler que tous les dŽbats actuels concernant le sens exact du terme Ō fazhi Ķ (gouverner selon la loi ou ƒtat de droit) sÕinscrivent dans la construction dÕun systme juridique socialiste qui rejette vigoureusement la vision occidentale des droits de la personne ?  Que des enjeux soient inacceptables ou impensables au sein dÕune sociŽtŽ nÕempche cependant pas dÕy jeter un regard qui soit critique, comme lÕa fait rŽcemment avec brio ChloŽ Froissart :

 

Ō LÕappel au respect dÕune logique historique, dÕun hŽritage culturel et institutionnel permettant dÕarticuler toute rŽforme, masque en rŽalitŽ chez les nŽoconservateurs lÕabsence dÕune rŽelle pensŽe politique.  Ils justifient leur opposition ˆ toute forme de garantie institutionnelle des droits individuels au nom de lÕefficacitŽ des rŽformes et la menace du chaos qui sÕemparerait selon eux de la Chine si le peuple venait ˆ prendre part, ne serait-ce quՈ travers lÕexercice de droits syndicaux, au processus de dŽcision politique.  Posant comme postulat que la dŽmocratisation du rŽgime et lÕinstauration dÕun vŽritable libŽralisme Žconomique dŽcouleront naturellement de lÕenrichissement du pays, les nŽoconservateurs assignent un ordre chronologique aux rŽformes, la libŽralisation et la dŽrŽgulation Žconomiques devant prŽcŽder la prise en compte de la justice sociale, qui doit elle-mme prŽcŽder la dŽmocratisation.  Ils lŽgitiment ainsi la politique pragmatique et Ō rŽaliste Ķ du gouvernement qui a lancŽ, lors du 15e Congrs du PCC en 1997, le slogan : Ō LÕefficacitŽ dÕabord, la justice ensuite. Ķ  Ce mot dÕordre reflte lÕidŽe que si les rŽformes rŽussissent en Chine, cÕest quÕelles sont guidŽes par le principe dÕune Ō Žconomie amorale Ķ ne prenant pas en compte la justice sociale Ķ (Froissart 2001 : 119-120).

 

On le voit, lÕutilisation du modle ŽlaborŽ par ƒtienne Le Roy exige un sens aigu du maniement dÕune foule de variables dans un souci constant de rendre compte du dynamisme du jeu des acteurs dans le contexte global qui est le leur. Participant rŽcemment ˆ un cours dÕanthropologie du droit dont jՎtais responsable et tirant le meilleur profit possible de la thŽorie du jeu des lois, HŽlne Piquet, sinologue et juriste de formation, a, pour sa part, caractŽrisŽ lÕactuelle rŽforme judiciaire en Chine dans les termes suivants :

 

Ō  [L]e sort rŽservŽ ˆ Confucius dans le discours communiste est marquŽ par un revirement spectaculaire.  De vilipendŽ pendant la RŽvolution Culturelle, il jouit ˆ prŽsent de la faveur du rŽgime, qui le rŽhabilite entirement.  Dans ce contexte, la rŽforme judiciaire chinoise en cours est un mŽsoprocessus, dont une partie des acteurs est marquŽe par une relative rŽticence face ˆ lÕapplication des normes gŽnŽrales et impersonnelles, pour favoriser encore largement une justice individualisŽe, adaptŽe aux circonstances particulires des parties, fondŽe sur des considŽrations extra-juridiques.  Cependant, cette rŽticence nÕest pas totale, et le rapport au droit des justiciables chinois est en pleine Žvolution, ce qui dŽbouche sur une pluralitŽ de forums de rglement des diffŽrends car les tribunaux sont de plus en plus utilisŽs.  Le statut quÕoccupe le droit dans la Chine des rŽformes est caractŽrisŽ ˆ la fois par un manque dÕautonomie face ˆ la politique, et par une imprŽgnation profonde des valeurs confucŽennes Ķ (Piquet 2001 : 3).

 

JÕajouterai simplement que la thŽorie du jeu des lois dՃtienne Le Roy permet dՎchapper ˆ une propension ˆ anthropomorphiser les traditions culturelles et ˆ les analyser comme si elles avaient une vie qui leur soit autonome et consubstantielle (Glenn 2000).  Certes, Le Roy nÕa de cesse de rappeler quÕil faut toujours rapporter lÕobservation des phŽnomnes juridiques aux logiques qui les fondent, mais il ajoute quÕil faut rendre compte des pratiques des acteurs, soit certains des individus et des groupes qui agissent dans un contexte particulier, ˆ une Žchelle quÕil convient dÕidentifier et quÕil faut tenter de comprendre ˆ qui et ˆ quoi sert le droit.  CÕest dire que, selon cette approche, les traditions juridiques nÕagissent pas par elles-mmes, mues par des forces strictement structurelles.  En fait, comme nous lÕavons expliquŽ prŽcŽdemment, Le Roy adopte une dŽfinition maximaliste du droit o celui-ci se fonde ˆ la fois sur des habitus, des modles coutumiers de conduites et de comportements et des normes ou rgles gŽnŽrales et impersonnelles, ce qui permet de mieux comprendre ce qui doit tre transmis dans la socialisation des individus et des groupes composant une sociŽtŽ, quelles valeurs doivent tre gŽrŽes et quels facteurs assurent la sŽcuritŽ juridique du groupe en question.  CÕest dire que la tradition culturelle nÕexiste jamais en soi, mais quÕelle est constamment mise au dŽfi par ceux qui lÕutilisent, la transforment ou la rejettent dans des contextes spŽcifiques.

JÕestime que les analyses proposŽes par ƒtienne Le Roy afin de rendre compte de la reproduction des personnes, des groupes et des sociŽtŽs dans une perspective rŽsolument anthropologique et dynamiste, devraient se situer au cĪur des Žchanges entre juges chinois et juges occidentaux, leur ouvrant de trs larges perspectives sur les diverses faons de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ, que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou plus prs des manires dՐtre ou habitus. 

 

La polysŽmie de la fonction de juge

 

ƒvidemment, en adoptant cette approche, juges chinois et juges occidentaux devraient immŽdiatement constater ˆ quel point la fonction du juge varie selon les diffŽrentes sociŽtŽs et ce constat les porterait sans doute ˆ mieux identifier les processus historiques, culturels et sociaux qui ont donnŽ naissance ˆ leur actuelle mission. 

Du c™tŽ de la tradition juridique occidentale, les travaux dÕHarold Berman sont inestimables en ce quÕils rŽvlent combien le modle pyramidal de la justice sÕinscrit dans une longue durŽe ayant pris naissance au onzime sicle en Occident dans le cadre des tensions Žtablies entre les Princes et lՃglise, alors que les clercs sont devenus les principaux interprtes des textes permettant dÕidentifier les partages ˆ Žtablir entre pouvoir et justice, une justice qui nՎtait pas quÕun ordre mais Žgalement une aspiration liŽe ˆ une conception particulire du sacrŽ et que le droit est en consŽquence devenu un processus social diffusŽ dans diffŽrents secteurs (lŽgislation, adjudication, administration, nŽgociation) assurant lÕallocation des droits et responsabilitŽs de chacun et favorisant du coup la rŽsolution des conflits et Žtablissant des canaux de coopŽration (Berman 1983 : 5). 

QuÕaujourdÕhui les juges chinois adoptent le port de la toge noire ne doit pas nous laisser croire quÕils participent dÕune mme tradition o les clercs ont jouŽ un r™le si important parce quÕils Žtaient les principaux acteurs appelŽs ˆ interprŽter un texte en fonction dÕune conception sacrŽe de lÕunivers o le Dieu chrŽtien siŽgeait au haut de la pyramide, ce qui, avec le temps, a ŽtŽ transformŽ par une sŽrie dՎvŽnements ˆ la fois perturbateurs et fondateurs que Berman nÕhŽsite pas ˆ qualifier de rŽvolutions (Berman 1983 : 18-19).  Il faut Žgalement rŽflŽchir au caractre messianique du droit lui-mme dans la conception occidentale ainsi quՈ la notion de causalitŽ qui, dans le contexte occidental, a permis la transformation du systme lorsque des impŽratifs sociaux lÕont exigŽe, tout en perpŽtuant des ŽlŽments structuraux qui perdurent jusquՈ aujourdÕhui :

 

Ō To change in time is the key to the vitality of any legal system that confronts irresistible pressure for change.  A revolution, in the historical sense of that term, is a rapid, discontinuous, violent change that bursts the bonds of the legal system.

It may be that the failure to anticipate fundamental changes, and to incorporate them in time, is due to an inherent contradiction in the nature of the Western legal tradition, one of whose purposes is to preserve order and another is to do justice.  Order itself is conceived as having a built-in tension between the need for change and the need for stability.  Justice also is seen in dialectical terms, involving a tension between the rights of the individual and the welfare of the community.  The realization of justice has been proclaimed as a messianic ideal of the law itself, originally associated (in the Papal Revolution) with the Last Judment and the Kingdom of God, then (in the German Revolution) with the Christian conscience, later (in the English Revolution) with public spirit, fairness, and the traditions of the past, still later (in the French and American Revolutions) with public opinion, reason, and the rights of man, and most recently (in the Russian Revolution) with collectivism, planned economy, and social equality.  It was the messianic ideal of justice, above all, that found expression in the great revolutions.  The overthrow of the preexisting law as order was justified as the reestablishment of a more fundamental law as justice.  It was the belief that the law was betraying its ultimate purpose and mission that brought on each of the great revolutions Ķ (Berman 1983 : 21-22).

 

Du c™tŽ de la tradition juridique chinoise, dÕaucuns dŽcrient lÕinsuffisante cohŽrence des plus rŽcentes rŽformes allant jusquՈ affirmer quÕil nÕexiste toujours pas de systme juridique en tant que tel en Chine, compte tenu de la fragmentation de toute ligne hiŽrarchique judiciaire et des contradictions entre diverses sources de normes lŽgislatives ou administratives, sans oublier lÕincorporation des juges dans des rŽseaux sociaux et politiques qui les incitent ˆ rendre des dŽcisions ou ˆ agir en fonction de leurs obligations au sein de ces rŽseaux plut™t quÕen fonction des normes prises isolŽment (Lubman 1997 : 371-378).

Est-ce ˆ dire quÕil est inutile de favoriser un dialogue entre juges chinois et juges occidentaux ?  Non, bien au contraire, dans la mesure o il est permis ˆ chacun de dŽvoiler les processus historiques et sociaux qui dŽterminent leur r™le actuel au sein de leurs sociŽtŽs respectives, ce qui nÕempche pas dՎchanger sur des habilitŽs plus strictement professionnelles utiles dans tout procs, mais tout en comprenant mieux les contextes o ces habiletŽs doivent tre mises en Īuvre ainsi que lÕordre idŽal recherchŽ par chacune des sociŽtŽs concernŽes.  Au fond, un tel dialogue, sÕil sÕamorait, pourrait permettre de poursuivre les rŽflexions qui portent sur la fonction de juger et le pouvoir judiciaire (Ost 1983; Russell 1983) tout en prenant acte du fait que toute fonction instituante ne passe pas nŽcessairement par une interprŽtation de textes, rŽalisŽe par des membres dÕune corporation professionnelle liŽs entre eux par une formation spŽcialisŽe et des valeurs particulires les associant et les distinguant de ceux qui exercent le pouvoir politique (Miaille 1983; Bontemps 1996).  Au lieu de juger les juges chinois uniquement par les traits qui semblent les diminuer par rapport aux juges occidentaux, et notamment le fait quÕils semblent plut™t faire partie de lÕadministration que de ce quÕon considre un vŽritable appareil judiciaire, ne vaudrait-il pas mieux rŽflŽchir ˆ lÕinteraction qui sՎtablit aujourdÕhui entre, dÕune part, les normes gŽnŽrales intŽgrŽes aux lois ou aux rglements administratifs et, dÕautre part, les manires dՐtre et les coutumes des dirigeants et des citoyens chinois ?  Si, pendant des sicles, ces manires dՐtre et de faire ont ŽtŽ associŽes aux rites et aux conceptions cosmogoniques dŽvoilŽes et prŽsentŽes comme modles ˆ respecter par lÕEmpereur, quÕen est-il aujourdÕhui ?  Je souponne quՈ un titre ou ˆ un autre, les juges comptent parmi les acteurs principaux dans la reproduction de leur sociŽtŽ, cette fonction nՎtant pas uniquement mise en Īuvre par lÕinterprŽtation des textes, mais aussi par la recherche et la mise en forme dÕun ordre idŽal fondŽ sur lÕharmonie entre les citoyens, chacun devant maintenir une attitude de respect et de compassion envers les personnes qui lui sont liŽes que ce soit au sein de la famille, par lÕintermŽdiaire des rŽseaux fondŽs sur des obligations mutuelles de don et de contre-prestation ou encore par lÕappartenance ˆ des mondes communs.

 

Conclusion

 

En centrant ma prŽsentation sur ce qui mÕest apparu comme un dŽnominateur commun entre tous les participants ˆ ce sŽminaire, ˆ savoir lÕexistence universelle de la fonction instituante ou, autrement dit, lÕart de Ō nouer le lien social en diffusant des valeurs collectives et en fixant des repres Ķ (Ost et van de Kerchove 2002 : 20), que ceux-ci soient dÕordre normatif, coutumier ou plus prs des manires dՐtre ou habitus (Le Roy 1999 : 198-203), jÕai tentŽ de porter la rŽflexion au-delˆ des modles de la pyramide et du rŽseau dans le but de mieux saisir les diffŽrents aspects de la juridicitŽ selon une approche dÕanthropologie dynamique du droit, telle que lÕa ŽlaborŽe ƒtienne Le Roy.  Comme praticien engagŽ dans des projets de coopŽration juridique et judiciaire avec des partenaires chinois, il me semble possible ˆ la lumire des diffŽrents paramtres du jeu des lois de mieux saisir les opportunitŽs qui sÕoffrent ˆ tous ceux qui souhaitent ouvrir de nouveaux lieux de rŽflexion, dՎchange et de rŽseautage tout en tenant compte des traditions, des contraintes et des exigences caractŽrisant la situation de chacun. 

Contrairement ˆ ce quÕa affirmŽ William Alford dans lÕun de ses articles (1999 : 204), certains projets de coopŽration avec la Chine abordent ouvertement les liens qui existent entre les pratiques juridiques et judiciaires en Occident et les conceptions politiques qui leur sont associŽes, et jÕai participŽ ˆ lÕun dÕentre eux (Canada-China Senior Judges Training Project 2001).  Je reconnais que certains sujets abordŽs dans le cadre de ces projets suscitent parfois de lÕindiffŽrence, de la mŽfiance, sinon de lÕhostilitŽ.  Je reconnais Žgalement que la volontŽ de ces projets dÕintŽgrer au sein dÕinstitutions de formation chinoises des programmes visant ˆ faire conna”tre les conceptions occidentales du droit et de ses pratiques, rencontre des obstacles qui ne se sont toujours pas entirement dissipŽs (Dumont 2001).  Mais il nÕen demeure pas moins que jÕai ŽtŽ tŽmoin du trs grand intŽrt manifestŽ par plusieurs juristes chinois ˆ mieux conna”tre les systmes juridiques occidentaux et mme ˆ utiliser de faon spŽcifique certains des enseignements quÕils en ont tirŽs, notamment quant ˆ la dŽontologie des juges en Chine. 

Lorsque les autoritŽs chinoises permettent ˆ des Žtrangers de participer ˆ des projets de coopŽration, elles savent trs bien qui nous sommes.  JÕestime quÕune expŽrience en matire de formation juridique de base et de formation judiciaire, non seulement dans dÕimportants secteurs du droit comme, par exemple, les droits de la personne, mais aussi dans la sensibilisation aux valeurs et au contexte social, alliŽe ˆ une connaissance approfondie du pluralisme juridique et de lÕanthropologie du droit, sont des atouts utiles ˆ nos partenaires chinois qui souhaitent participer ˆ la rŽforme juridique et judiciaire de leur pays.  Que des contradictions demeurent dans le discours des plus hautes autoritŽs politiques chinoises face ˆ cette rŽforme, que lÕon puisse mme identifier des pratiques injustes par rapport au dŽveloppement des inŽgalitŽs, ˆ la crise sociale et au renforcement du systme politique actuel (BŽja 2001), il faut, ˆ mon avis, en prendre acte et ne pas hŽsiter ˆ en faire la critique dans les forums appropriŽs, et notamment devant la Commission des droits de lÕhomme, Žtant entendu que la Chine doit assumer entirement les obligations qui dŽcoulent de son statut de membre des Nations unies ou de toute autre organisation internationale.  Mais il ne faut pas cependant Žvaluer de faon monolithique les institutions et les groupes sociaux avec lesquels il est permis de travailler, car, comme lÕa si bien soulignŽ Stephen Toope, Ō dans certains cas, il est possible de travailler avec des segments des structures dirigeantes ou avec des personnes ouvertes ˆ une rŽforme, dans lÕespoir de semer le germe de celle-ci au sein dÕun rŽgime par ailleurs stagnant et rŽpressif Ķ (Toope 1997 : 14).  En Chine, il existe des tŽmoignages convaincants soulignant la prŽsence et lÕefficacitŽ de partenaires semblables (McCutcheon 2000 : 186-189).  Dans le cadre de sa programmation actuelle en Chine, le Programme des Nations unies pour le DŽveloppement a identifiŽ comme lÕun des principaux dŽfis la nŽcessitŽ dÕamŽliorer la gouvernance notamment en rendant plus transparentes et plus redevables de leurs actions les institutions juridiques :

 

Ō In 1997 the Government announced the goal of governing the country according to law, and in 1999 the concept of the rule of law was included in ChinaÕs Constitution.  Improved governance will require legal systems and institutions that are more transparent and accountable in order to enable the society to develop in a manner that ensures equity, justice and predictability Ķ (United Nations.  Executive Board of the UNDP and of the UNPF 2001 : 3).

 

Si lÕobjectif ˆ atteindre demeure sans doute utopique, le fait de pouvoir participer avec des partenaires chinois ˆ un semblable projet commun me semble une excellente occasion pour construire des ponts, franchir des frontires et nourrir des relations au-delˆ des conflits qui risquent de nous diviser encore longtemps sur plusieurs questions de fond.

 

 

 

 

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[1] Avocat et anthropologue, lÕauteur a agi rŽcemment comme consultant notamment auprs de lÕAgence canadienne de dŽveloppement international (ACDI) et du Programme des Nations unies pour le DŽveloppement (PNUD).  Il a assumŽ des charges de cours (anthropologie du droit; droits des peuples autochtones; droits de la personne) dans plusieurs universitŽs (MontrŽal, McGill, Ottawa, UQAM, Paris I).  Il participe actuellement ˆ une recherche intitulŽe Ō Autochtonie et gouvernance Ķ, dont la directrice est Mme AndrŽe Lajoie du Centre de recherche en droit public de lÕUniversitŽ de MontrŽal. 

[2] La globalisation des marchŽs financiers; lÕinterdŽpendance accrue des Žconomies et des cultures (mondialisation); le progrs des technologies numŽriques gŽnŽratrices dÕune sociŽtŽ de lÕinformation; la construction europŽenne; lÕaffaiblissement de la capacitŽ dÕaction des ƒtats; lÕapparition de puissants pouvoirs privŽs; la montŽe en puissance des juges et le culte des droits de lÕhomme; le multiculturalisme ˆ lÕintŽrieur mme des ƒtats-nations; et la multiplication des poussŽes individualistes (Ost et van de Kerchove 2002 : 7-8).

[3] Ajoutons quÕau moment de ma participation au Projet sino-canadien de formation des juges supŽrieurs (1998-2001), le British Council animait par courrier Žlectronique des Žchanges dÕinformation et des discussions portant sur le thme de la coopŽration juridique avec la Chine : China-Law@List1.BritishCouncil.Org.

[4] Sa remarque Žtait beaucoup plus gŽnŽrale et visait les juristes occidentaux au sein mme de leurs pays dÕorigine : Ō A central concern of any rule-maker should be the identification of those social processes which operate outside the rules, or which cause people to use rules, or abandon them, bend them, reinterpret, side-step them, or replace them.  To recognize that such processes are inescapable aspects of the use of rule-systems and to try to understand as much as possible about the conditions of their operation would probably be far more effective than taking the view that such activities might be fully controlled simply by tighter drafting of Ō loophole-less Ķ legislation. Ķ (Moore 2000 : 4).

[5] La prŽsentation qui suit sÕappuie sur le tableau que jÕai ŽlaborŽ (Bissonnette 2001) et qui cherche ˆ identifier les principales dŽfinitions et les paramtres ŽlaborŽs par ƒtienne Le Roy dans son ouvrage publiŽ en 1999.  Je nÕindiquerai donc pas les pages prŽcises o se retrouvent ces dŽfinitions ou paramtres, mais quÕil soit bien compris que toutes les affirmations comprises dans ma prŽsentation sont tirŽes de cet ouvrage (Le Roy : 1999).

[6] Le Roy souligne que la manire dՎlucider la coutume et de la mettre en Īuvre dans la rŽsolution des conflits met en Žvidence comment aborder les manires de faire, tout en laissant le groupe libre de rŽgler pratiquement le conflit en fonction de facteurs spŽcifiques.

[7] Ō My perspective is informed by certain basic principles, customarily subsumed in the West under the concept of the rule of law, which I take to be the following : - legal rules, standards or principles must be capable of guiding people in the conduct of their affairs; - the law should, for the most part, actually guide people; - the law should be stable; - the law should be the supreme legal authority; - the courts should be able to do their work impartially and without direct interference from the political system Ķ (Lubman 1999 : 34).

[8] Cette expression chinoise correspond ˆ notre conception de la sociŽtŽ civile.