UNIVERSITE PARIS I (PANTHEON-SORBONNE)
Laboratoire dAnthropologie juridique de PARIS I
(LAJP)
LINSTITUTION JUDICIAIRE FACE A LA REPRESENTATION DE LA JUSTICE ET DU MONDE REEL A LA REUNION
Mémoire de DEA dEtudes Africaines
(Option Anthropologie juridique et politique)
présenté par
Manuela LESAGE (lineninia@yahoo.fr)
Sous la direction du Professeur
Camille Mwissa KUYU
Année universitaire :
2000-2001
" LUniversité nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les mémoires et thèses. Ces opinions sont considérées comme propres à leurs auteurs. "
DEDICACE
A ma mère, Régine BONNET, et à ma sur, Lise LESAGE, pour leur soutien, leurs encouragements et leur présence constante malgré léloignement géographique, pour avoir toujours accepté et respecté mes choix, pour mavoir guidée sur la voie
A Rodrigue, pour avoir partagé mes angoisses, mes peines et mes joies, pour sa patience, pour son sourire, pour être là
A Serge, Sanuanga, Issiakou, Assitan, Christel, Valérie, et Nesrin, pour leur amitié et leur soutien
Aux Rényonés
REMERCIEMENTS
Que tous ceux qui nous ont aidé dans la conception et la réalisation de cette étude, ainsi qui nous ont soutenue trouvent ici lexpression de notre profonde reconnaissance :
Monsieur Camille KUYU, notre directeur, qui dans les moments de doute nous a rassurée et a montré sa disponibilité.
Jean TOUNKARA, toujours disponible et encourageant, pour son intérêt pour les autres
Mes collègues du DEA avec lesquels des liens damitié ont pu se tisser, réunis par cette formation, nous nous sommes soutenus et conseillés pour garder courage. Certains mont beaucoup apporté.
Ma maman-métropole, Coco, et mes frères, Xavier, Géry et Adrien.
Mes amis de là-bas, Elda, Alain, Sarah, Eric, Elodie, Eddy, Fred, Jimmy et Willy.
SOMMAIRE
Première partie : - Les logiques judiciaires dans un département atypique : La Réunion···8
Chapitre I. La logique institutionnelle et la justice à La Réunion ····································9
Section 1. Lorganisation du système judiciaire·························································9
Section 2. Application dune logique········································································13
Chapitre II. De la justice comme institution à la justice comme fonction et valeur·········21
Section 1. Ce que Justice veut dire·············································································21
Section 2. Les représentations réunionnaises de la Justice ·······································26
Seconde partie La Justice face aux pratiques et croyances ··············································38
Chapitre I. Des pratiques et croyances réunionnaises·······················································39
Section 2. Des pratiques magico-religieuses································································ 49
Chapitre II. La Justice face à des pratiques et croyances··················································60
Section 1. Analyse des cas····························································································60
Section 2. Pour une gestion plurale des conflits···························································69
Conclusion ···················································································································77
TABLE DES MATIERES
Introduction·································································································································1
Première partie : Les logiques judiciaires dans un département atypique : La Réunion ········· 8
Chapitre I. La logique institutionnelle et la justice à La Réunion ··········································9
Section 1. Lorganisation du système judiciaire ······················································· ·9
1.1. Lorganisation judiciaire coloniale de 1848 à 1946·························9
1.2. Lorganisation judiciaire depuis la départementalisation···············12
Section 2. Application dune logique·········································································13
2.1. La conception de la justice après labolition de lesclavage ·········14
2.2. La procédure dinstruction criminelle aujourdhui ·······················17
Chapitre II. De la justice comme institution à la justice comme fonction et valeur ·············21
Section 1. Ce que Justice veut dire ··································································21
1.1. Une fonction, une valeur ································································21
1.2. Visions du monde et visions du droit et de la Justice : la théorie des archétypes·······················································································23
Section 2. Les représentations réunionnaises de la Justice ·········································26
2.1. Une vision héritée de lhistoire de lIle··········································27
2.2. Un sentiment dinjustice ······························································34
Seconde partie : La Justice face aux pratiques et croyances ················································· 38
Chapitre I.- Des pratiques et croyances réunionnaises·····························································39
Section 1. Des pratiques rituelles·····························································································39
Section 2. Des pratiques magico-religieuses ···················································49
2.1. La religion populaire······································································50
2.2. Quelques rites de protection ··························································53
2.3. La sorcellerie ··············································································· ·55
Chapitre II. La Justice face à des pratiques et croyances · ······················································60
Section 1. Analyse des cas··············································································· 60
1.1. Affaire L.Q. ·············································································· 60
1.2. Affaire R. ·······················································································64
1.3. La position du juge · ······································································66
Section 2. Pour une gestion plurale des conflits················································69
2.1. Une complémentarité nécessaire entre la logique institutionnelle et la pratique des acteurs·····································································69
2.2.Vers une conciliation des besoins sociaux et de la logique institutionnelle par le biais de la négociation·································71
Conclusion································································································································77
Annexes·····································································································································79
Bibliographie·····························································································································94
INTERVIEWS
Les personnes interrogées se sont présentées comme suit :
30 mars 2001 : Jacques Brandibas, Psychologue, consultation de psychothérapie transculturelle, expert près la Cour, Sainte-Clotilde.
17 avril 2001 : M. Pison, juge dinstruction au Palais de Justice de Champ Fleuri, Saint-Denis.
18 avril 2001 : Frédéric Dennemont, Réunionnais, 30 ans, fonctionnaire territorial, Saint-Paul.
19 avril 2001 : Cécile Fontaine, 36 ans, agricultrice, veuve, deux enfants, Saint-Benoît.
20 avril 2001 : M. Louaseil, psycho-sociologue, astrologue, Saint-André
21 avril 2001 : Ankatassany Rico, serviteur de Dieu, Tamoul, Petit Bernica.
21 avril 2001 : Jocelyn Flahaud., infirmier psychiatrique ayant travaillé plusieurs années au service psychiatrique de la prison, Saint-Paul.
21 avril 2001 : Jacqueline Carpin, 40 ans, origine tamoule infirmière en pédopsychiatrie, Saint-Paul.
INTRODUCTION
Le lieu de la question
Située dans lOcéan Indien, au Sud-Ouest de Madagascar, La Réunion est un département français dOutre-mer qui compte plus de 706 000 habitants pour une superficie de 2 500 km2. Cest une île volcanique dont lun de ses deux volcans est toujours en activité.
Un rapide aperçu de lhistoire de lIle paraît nécessaire, il permettra une meilleure compréhension de la mise en place de la société réunionnaise, et notamment de la composition particulière de sa population ; les raisons et les conditions darrivée sur lIle des ancêtres des réunionnais exil, choix, esclavage, engagisme, etc - ont été déterminantes, elles exercent encore une forte prégnance dans les relations entre Réunionnais, mais aussi entre les Réunionnais et la métropole, les rapports affectifs à la République et notamment à ses institutions, dont la machine judiciaire, en sont bien évidemment touchés.
La Réunion a ceci de particulier quelle était vierge de la présence de lhomme avant larrivée " des premiers Français ". Jean Poirier dit dailleurs quil sagit dune " société "unique" au monde " car elle bénéficie
" dun commencement, incarné, non pas par un mythe fondateur, mais par un événement très réel, linstallation sur son sol, il y a trois siècles et demi dune petite troupe de Français et de Malgaches, dont on connaît lorigine, la situation, le type ethnique et même, pour certains, lidentité. Il nexiste pas dautres pays qui puissent se prévaloir dun "acte de naissance" aussi précis et aussi symbolique [ ]. "
Les premiers navigateurs à lavoir inscrite sur leurs cartes sous le nom de Dina Morgabin furent les Arabes au XIVème siècle ; les Portugais la rebaptisèrent ensuite Santa Apolonia, mais ne sy arrêtèrent pas non plus ; en 1505, Don Pedro de Mascarenhas lui donna son nom.
En 1638, la France en prit possession mais sans penser en faire une colonie, il fallut une insurrection à Madagascar, "possession" française à lépoque, en 1642, pour que des hommes y soient envoyés, dans lespoir quils nen reviendraient pas dailleurs. Ce sont eux quon appelle " les premiers français ", des marins révoltés contre les chefs du Fort-Dauphin, exilés sur une île inhabitée. Quand, quelques années plus tard, on vint sinquiéter de leur sort, ils étaient en bonne santé et avaient profité de cette île au climat plus clément que celui de Madagascar.
La colonisation commença en 1665, les premiers habitants furent dorigine les plus diverses, venant de plusieurs pays dEurope, les femmes étant surtout dorigine indienne ou malgache, à cette population de volontaires vint sajouter danciens forbans amnistiés.
Dès 1674, le gouverneur de la Haye interdit les mariages entre Blancs et Noirs, " cest une confusion à éviter ", et un acte de 1679 mentionne la première vente desclaves à Bourbon. La France alla " sauver des âmes " ou " arracher des malheureux à la misère " à partir de comptoirs arabes ou portugais de Mozambique, de Kilwa ou de Madagascar, sajoutèrent des Indiens et des Chinois, ainsi que des esclaves de Guinée achetés par un navire venant dEurope. Ce crime contre lhumanité quest lesclavage dura jusquen 1848, avec, entre temps, une abolition avortée en 1795 ; le 20 décembre 1848, 62000 esclaves devinrent " égaux " des 35000 libres de lIle de la Réunion. Après bien des changements, ce nom lui est resté jusquà aujourdhui.
Commence alors la période de lengagisme jusquen 1882, des Indiens, puis des Africains surtout des Malgaches, Comoriens, Mozambicains, Somalis, Yéménites venaient, pour une période déterminée par un contrat dengagement, travailler sur lIle, les conditions de travail étant souvent comparables à lesclavage. Certains sont ceux qui restèrent après la fin de leur contrat.
A la fin du XIXème siècle, des Chinois et des Indiens musulmans arrivèrent en tant que travailleurs engagés, mais surtout en tant quartisans et petits commerçants.
Avec la départementalisation, louverture des réseaux daviation et le très rapide développement économique, sanitaire et social de lIle, des métropolitains appelés Zoreys , viennent sinstaller, certains sont de passage, dans le cadre dun poste dans la fonction publique par exemple, dautres restent.
Il ne faut pas négliger limmigration actuelle de populations de lOcéan Indien, Mahorais et Comoriens, qui intègrent la société réunionnaise dans un contexte plus ou moins difficile daccueil par la population.
Cest ce mélange de personnes, dhistoires - individuelles et collectives - et de cultures qui a façonné la société réunionnaise daujourdhui.
En tant que résidents dun département français, les Réunionnais sont français, cependant, la revendication identitaire est forte sur lIle, et la langue créole en est un facteur important.
La population réunionnaise est composée de Kafs descendants des Africains , de Malbars Indiens hindouistes venus de la côte de Coromandel , de Zarabs Indiens musulmans , de Chinois, de Groblans " grandes familles " de lIle , de Yabs ou Petits Blancs, Blancs des Hauts, issus de la prolétarisation dune partie de la population blanche dès le XVIIIème siècle , de Malgaches, de Zoreys, de Mahorais, de Komors, et bien dautres " arrivants " encore.
Cette société est qualifiée de " multiethnique " par Yu-Sion Live, " hétéroculturelle " avec " dysculturation " par Jean Poirier, " pluriethnique " marquée par des " réalités multiculturelles " par Bernard Champion.
La compréhension de cette société ne peut se faire que par le biais de la connaissance de son histoire.
Avec la départementalisation, la société de plantation devient une " société pseudo-industrielle " dont les repères sont bouleversés, les solidarités qui pouvaient exister se dispersent ; la métropole devient le modèle de référence. En réponse, laffirmation identitaire se fait entendre.
La mobilité, avec les nombreux partants il y a aujourdhui plus de 750000 Réunionnais en métropole et tous les nouveaux arrivants, a, elle aussi, modifié le paysage social de lIle. Les Métropolitains, appelés Zoreys, sont de plus en plus nombreux, ils ne sont plus seulement cadres de la fonction publique, ils sont maintenant dans les professions libérales, dans les services, dans lartisanat "local", on en trouve dans toutes les couches sociales. Il y a également de nouveaux arrivants des Comores et de Mayotte, qui intègrent la société réunionnaise, malgré le racisme dont ils sont souvent victimes.
La revendication identitaire se fait très forte, en effet, on est face à une " pluralité des appartenances sociales " et, comme le rappelle Etienne LE ROY concernant ce type de pluralité, une concurrence entre ces différentes appartenances est inéluctable, un choix sopère.
On trouve dune part la citoyenneté française, dautre part lidentité résidentielle, réunionnaise, laquelle est opposée aux " cultures plurielles " où chacun va vers les sources et ressources de "sa culture dorigine" malgache, africaine, indienne, par exemple.
On note quil ny a pas dappartenance simple pour le Réunionnais, il ne faut dailleurs pas oublier lintégration à lEurope, ainsi quà lIndocéanie, un autre ensemble original. On peut comprendre ainsi la complexité des sentiments identitaires à La Réunion.
Il est, important de reconnaître ces appartenances multiples, car comme le rappelle Amin Maalouf,
" Reconnaître au sein de la collectivité nationale, un certain nombre dappartenances linguistiques, religieuses, régionales, etc. peut souvent atténuer les tensions, et assainir les rapports entre les différents groupes de citoyens ; mais cest un processus délicat dans lequel on ne peut sengager à la légère, parce quil suffit de peu de chose pour quil produise leffet inverse de celui quon avait souhaité. "
Laffirmation de lidentité réunionnaise apparaît comme une forme de résistance à lincorporation française, une demande de reconnaissance.
Après 1959, avec lémergence du PCR, on parle de culture et de langue réunionnaise dans la lutte contre le colonialisme et limpérialisme, comme résistance à lassimilation. Dans les années 1960, le Père Gilbert Aubry parle de " peuple réunionnais " en souhaitant une unification des Réunionnais, " Nous lest blanc, nous lest noir, nous lest tout couleur mais dans nout cur cest le même sang y coule. ", il affiche là lidentité réunionnaise.
Pour Jean Defos du Rau, le " peuple réunionnais " est une création de lesprit,
" La nationalité réunionnaise est ainsi créée de toute pièce, devant limpossibilité pratique de proclamer une Réunion Indienne, une Réunion Cafre, une Réunion Chinoise, une Réunion Blanche, et devant le fait que le passé et laspect extérieur du Réunionnais moyen et sa mentalité en font toute autre chose quun Breton ou un Auvergnat. "
Pour lauteur, les Réunionnais ne sont pas un " peuple colonisé " mais " des citoyens brimés ".
Le débat est ouvert sur la différence dune identité réunionnaise ou une identité créole ; certains se disent Créoles, dautres se disent Réunionnais. Il y aurait apparemment une connotation de couleur de peau dans cette distinction, mais on dit pourtant bien "un Créole blanc". Certains disent que le terme "créoles" est utilisé pour désigner tous les Domiens, ou quil sert à différencier les Réunionnais des Antillais et Guyanais. Dautres pensent que "créolité" sert à désigner tous les Réunionnais alors que "réunionité" désignerait les Réunionnais mais en prenant en compte les différences de "communautés" à lintérieur de la communauté réunionnaise.
Le combat pour la langue créole est important dans la reconnaissance de lidentité réunionnaise.
Certains se battent pour lécriture du créole, dautres sinsurgent contre cette voie, estimant que le créole est une langue parlée.
Une des grandes victoires des combattants pour la reconnaissance de la langue et la culture créole est le CAPES de créole qui vient dêtre mis en place, mais cette formation est très controversée et nemporte pas lunanimité auprès de lopinion
Mais, tout de même, quel pas en avant considérable pour le créole, quand on entend de nombreuses personnes raconter quil était interdit de parler créole à lécole "sous Debré" sous prétexte que parler créole empêchait les enfants de progresser ; aujourdhui, il y a des cours en créole.
Amin Maalouf rappelle
" Il est essentiel que soit établi clairement, sans la moindre ambiguïté, et que ce soit surveillé sans relâche le droit de tout homme à conserver sa langue identitaire, et à sen servir librement. "
Se penser "créole" permet au Réunionnais de relier ses différentes composantes, son insularité, son " ethnicité plurielle " et sa nationalité française.
Le problème
La Réunion, département français depuis 1946, fait partie intégrante de la République, et les réunionnais, après sêtre longtemps sentis des " français entièrement à part " comme dautres populations des anciennes colonies devenues départements dOutre-mer, sont aujourdhui des " français à part entière ". Les relations à la métropole et aux institutions républicaines ont évoluées au fur et à mesure de lhistoire commune de lIle et la France, nous nous sommes particulièrement intéressée aux rapports que vit le Réunionnais avec linstitution judiciaire républicaine. Parfois les logiques républicaines qui se veulent universelles sur le territoire français, confrontées à la réalité dune culture particulière dans un contexte qui se veut national mais qui a une histoire et un vécu propre différent de celui de la métropole, peuvent soulever des incohérences. Le pluralisme, " lhétéroculture ", comme la nomme Jean Poirier et Sudel Fuma, de La Réunion, ainsi que son histoire, engendrent des représentations de la justice particulière à lIle et la gestion qui peut être apportée au règlement des conflits nest pas toujours celle quon sattendrait à trouver dans un département français.
Une affaire dexorcisme passée devant la Cour dAssises et qui a eu des conséquences particulières nous a longtemps questionnée quant à la pratique de la justice sur lIle et sa représentation par les Réunionnais ; préparant un DEA Etudes Africaines option Anthropologie Juridique et Politique, ce questionnement nous a paru digne de réflexion, une affaire, comme celle-ci permettant daborder un dialogue de cultures.
Lintérêt de la recherche
Toute société est régie par des règles et encadrée par des institutions, celles-ci sont le résultat dune longue élaboration que lhistoire et lévolution de cette société ont façonnée. La Réunion est un département français, elle a indéniablement une histoire commune avec la métropole pourtant, la société réunionnaise nest pas la société française mais les institutions sur lIle sont les mêmes quen métropole, linstitution judiciaire notamment, avec lapplication de ses textes.
Il est intéressant de sarrêter un moment sur cette institution et le regard que peuvent porter les Réunionnais sur elle ; cette étude permet daborder le dialogue de cultures qui peut se poser en France entre la métropole et les DOM. La prise en compte de la culture spécifique à La Réunion dans son intégration à la société française paraît nécessaire, et les problèmes dincompréhension que peuvent ressentir certains justiciables vis-à-vis de linstitution judiciaire peuvent parfois être liés à la négation des spécificités de cette culture.
On saperçoit quil y a parfois superposition de modes de régulation de lordre social et une sorte de compétition entre la régulation exercée par linstitution et la régulation relevant de modes fondés sur le fonctionnement et la tradition de la société elle-même. Réfléchir à un dialogue interculturel permettrait daboutir à une complémentarité au lieu dune opposition et ainsi à une relation plus harmonieuse entre la société et linstitution.
Division du travail
Dans la première partie de ce travail seront abordées les logiques judiciaires dans ce département atypique quest La Réunion, avec létude de la logique institutionnelle et lapplication de cette logique à La Réunion, puis une recherche de " ce que justice veut dire " et les représentations que peut en avoir la population. La seconde partie étudiera la justice face aux pratiques et croyances, avec un aperçu de certaines pratiques rituelles et dautres magico-religieuses et une analyse de deux cas qui permettent de montrer les limites que peut rencontrer la Justice étatique face aux réalités réunionnaises.
PREMIERE PARTIE :
Les logiques judiciaires dans un département atypique : La Réunion
CHAPITRE I
LA LOGIQUE INSTITUTIONNELLE ET LA JUSTICE A LA REUNION
La justice française relève dune logique institutionnelle puisque la formule choisie par lorganisation du judiciaire est unitaire, elle induit la généralisation au niveau de tout le territoire, métropole et outre-mer, et les dispositifs sont réglés de façon uniforme.
Lorganisation de ce système est donc à étudier avant de voir lapplication de cette logique à la réalité réunionnaise.
Section 1 Lorganisation du système judiciaire
Le système judiciaire suit les mêmes règles dorganisation et de fonctionnement à La Réunion quen métropole, on a affaire à une " régulation juridique dans sa version légale et étatiste " fondée sur des normes générales et impersonnelles. Cependant tel na pas toujours été le cas, depuis 1946, La Réunion nest plus une colonie et son organisation judiciaire ont changé du fait de ce changement de statut.
Létude de lensemble du système judiciaire nest pas nécessaire ici, lintérêt sera porté particulièrement sur la justice pénale pour permettre de centrer la démonstration, de plus cette organisation ne sera étudiée quà partir de 1848, année de labolition de lesclavage et de légalité pour tous.
1.1. Lorganisation judiciaire coloniale de 1848 à 1946
Le système de la justice pénale en 1848 est hérité dune ordonnance du Roi de 1828 organisant ladministration judiciaire et destinée à rétablir le Code pénal et le Code dinstruction criminelle. Les deux Codes sont donc appliqués avec des adaptations aux conditions locales ; cependant, les juridictions nont ni les mêmes compétences, ni la même composition que celles de la Métropole.
Le gouverneur colonial et le Conseil privé qui sera remplacé plus tard par le Conseil général ont de grands pouvoirs en matière judiciaire, et la magistrature a un recrutement, un statut, et un traitement différent de la Métropole.
Il y a deux Cours dassises, une à Saint-Paul transférée à Saint-Pierre en 1862 et lautre à Saint-Denis, lordonnance du Roi du 30 septembre 1827 règle leur fonctionnement et leur composition qui est un compromis entre une cour formée de magistrats et un jury traditionnel puisquelles sont formées de trois conseillers à la Cour Royale et de quatre assesseurs ; la règle de la majorité est appliquée, il faut quatre voix sur sept pour obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le choix des assesseurs se fait par tirage au sort une semaine avant louverture de chaque session dassises parmi un collège de trente membres de larrondissement concerné. La liste des membres du collège est proposée par le Procureur général au Conseil privé qui arrête la liste que le Gouverneur propose au Roi, cette liste est renouvelée tous les trois ans.
" Les conditions requises pour être choisi assesseur étaient les suivantes : avoir trente ans révolus, être "habitant", cest-à-dire propriétaire dune exploitation agricole ou "négociant" éligible au Conseil Colonial, ou fonctionnaire jouissant dun traitement annuel dau moins quatre mille francs, ou encore être juge de paix, licencié en droit sans fonction judiciaire, professeur, notaire ou avoué retiré.
Ainsi le pouvoir de condamner était confié à des notables choisis par le Pouvoir. Très vite linstitution de lassessorat se révéla vicieuse, cest pourquoi on tenta den corriger les effets les plus révoltants. "
Ce système dassessorat empêche la condamnation des possédants. Dans lidée daméliorer la justice criminelle, la loi du 4 mars 1831 crée un collège dassesseurs fonctionnaires pour connaître des crimes de traite des Noirs ; la loi du 18 juillet 1845 modifie la composition des Cours dassises pour les crimes commis sur des personnes non libres ou commis par les maîtres sur les esclaves, dans ces cas, elles sont composées de quatre magistrats et trois assesseurs avec toujours lapplication de la règle de la majorité.
Le 9 août 1847, une loi est votée sur proposition de M. Guizot, Ministre de la Marine et des Colonies par intérim, qui dénonce " des faits déplorables ", détranges acquittements, " véritables scandales moraux dont le renouvellement serait aussi périlleux que douloureux. ". Cette loi prévoit une Cour criminelle composée de six magistrats pour connaître des crimes des individus libres envers les esclaves et ceux des esclaves envers les libres
La Cour devient ainsi exclusivement judiciaire, pour assurer son bon fonctionnement, on porte le nombre des conseillers à la Cour Royale à huit et le Ministre recommande de faire appel à des "hommes de couleur" pour établir les listes des assesseurs des Cours dassises ordinaires. Cependant, cette réforme oublie de prendre en compte les immigrants qui sont libres, on observe là une lacune du droit, une sorte de vide juridique.
Le 4 mai 1848, Victor Schoelcher donne lordre de supprimer les Cours criminelles spéciales crées par cette loi dès que le décret sur labolition de lesclavage serait exécutoire, cependant, il nadapte pas cette loi au nouveau statut des travailleurs et
" décida "le retour au droit commun", ou plutôt au régime dexception qui réglait la justice dans les colonies depuis 1827, régime qui assurait aux puissants le contrôle de la justice criminelle, et partant leur garantissait limpunité ainsi quà leur affidés. "
Leur impunité est garantie puisque les modalités de nominations des assesseurs redeviennent celles de lordonnance de 1827.
Malgré la connaissance des défauts de lassessorat, ce régime est maintenu.
Les peines appliquées dans la Colonie sont différentes de celles appliquées en Métropole car ce sont celles du Code pénal colonial contenant des dispositions sur les esclaves tombées en désuétude après lémancipation , de plus, le Code pénal avait été modifié sous la Monarchie de Juillet et sous le Second Empire dans un sens plus libéral mais ces modifications nont pas été appliquées aux Colonies.
En 1861, Napoléon III ouvre le recours en cassation à tous les condamnés criminels et aux condamnés correctionnels ayant fait appel, ce qui avait été refusé avant pour la Colonie à cause des lenteurs des communications avec la Métropole et léloignement de lIle, seul le Ministère public pouvait " dans lintérêt de la loi " pourvoir en cassation. Cette ouverture de la cassation ne plaît pas aux autorités conservatrices locales, elle leur est imposée ; mais elle permet le respect de la procédure au niveau de linstruction des affaires et du déroulement des séances notamment puisque la Cour de cassation contrôle le travail des juridictions des 1er et 2e degré.
1.2. Lorganisation judiciaire depuis la départementalisation
La Réunion devenue département français, on lui applique la même organisation judiciaire quen métropole.
La Cour dAppel siège à Saint-Denis, son Premier Président est assisté de deux Présidents de Chambre et de six Conseillers qui président et composent les six Chambres civile, correctionnelle, sociale, daccusation et la Cour régionale des pensions militaires -.
Un Procureur général, un Avocat général et un Substitut général tiennent le Ministère Public près la Cour dAppel.
La Cour dAppel de Saint-Denis connaît en tant que juridiction de 2e degré des procès qui ont lieu devant ces différents tribunaux, elle comprend deux ressorts, Saint-Denis et Saint-Pierre.
Le Ministère Public près les TGI est tenu par un Procureur de la République assisté dun Premier substitut et de quatre substituts.
Celui des tribunaux dinstance est tenu par un substitut du Procureur de la République ou un officier du Ministère public, commissaire de police ; les tribunaux dinstance statuent au civil sur les litiges dont le montant nexcède pas trente mille francs et au pénal sur les faits de nature contraventionnelle, ces tribunaux statuent à juge unique.
La Cour dAssises du département statue à Saint-Denis sur les affaires criminelles à des dates fixées par le Premier Président qui désigne également pour chaque session le magistrat qui présidera et ses assesseurs choisis dans les deux juridictions de Saint-Denis et Saint-Pierre. Le Ministère Public est désigné par le Procureur Général.
Les magistrats sont nommés par décret du Président de la République, ceux du siège le sont après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Il existe une hiérarchie judiciaire, les Présidents de Chambre de la Cour dappel, du TGI de Saint-Denis, lAvocat général et le Procureur de la République de Saint-Denis sont au sommet de celle-ci ; le Premier Président de la Cour dappel et le Procureur général sont en dehors de cette hiérarchie.
Chaque juridiction comporte un greffe sous lautorité dun greffier en chef qui est chargé de ladministration et la gestion de la juridiction.
On compte à La Réunion deux Barreaux, celui de Saint-Denis et celui de Saint-Pierre, chacun sous lautorité dun bâtonnier.
La Compagnie des huissiers est chargée de lexécution des décisions judiciaires.
La Cour de cassation siège à Paris, le pourvoi en cassation est ouvert à tous les justiciables dans la mesure où elle juge si les juridictions des 1er et 2e degré ont fait une exacte application du Droit.
Les Codes appliqués ont les mêmes quen métropole, le Code pénal, civil, dinstruction criminelle, etc
Toutes les conventions internationales signées par la France et rendues applicables dans les DOM sappliquent, ainsi que les conventions européennes et les lois et décrets en vigueur en métropole exceptés ceux dont la date de mise en application pour les DOM a été différée -.
Les arrêtés préfectoraux du Préfet, du Commissaire de la République de lIle et les arrêtés municipaux pris par les maires de lIle sont également sources de Droit.
La logique institutionnelle républicaine française est donc appliquée à La Réunion au niveau de lorganisation judiciaire après la fin de la période coloniale. Le fonctionnement de ce système judiciaire relève lui aussi de cette logique et il est intéressant de voir lapplication de cette logique dans le contexte réunionnais.
Section 2. Application dune logique
La logique institutionnelle sapplique, ceci vient du caractère unitaire et uniformiste de la République, mais le contexte réunionnais est différent de celui de la métropole, la question qui se pose est celle de savoir si on peut uniformiser un système métropolitain aux DOM, et particulièrement à La Réunion, en appliquant les mêmes règles de fonctionnement sur le fondement que ces terres font partie du territoire national, sans tenir compte de leurs particularités sociales notamment.
Il est intéressant de voir comment les représentants de linstitution judiciaire à La Réunion voyaient leur rôle et leur conception de la justice dès labolition de lesclavage, et comment sont appliquées les procédures aujourdhui.
2.1. La conception de la justice après labolition de lesclavage
Les représentants de linstitution judiciaire à La Réunion au XIXème siècle ont une conception de la justice qui ne ressemble guère à lidéal du " juste ". En effet, la justice coloniale est partiale, et lidée principale qui anime les magistrats et assesseurs à cette époque est surtout une idée utilitaire de la justice, certains Procureurs généraux dénonceront dailleurs cette " justice utilitaire ".
En 1849, le Procureur général Massot souligne les dangers dune telle conception de la justice :
" Le Procureur général fait remarquer que ces arrêts sont dune extrême sévérité ; la Cour a été sans doute conduite à en user ainsi dans la pensée détablir ce fait que sous le régime de la liberté, la pénalité est plus sévère, et darrêter ainsi bien des crimes dans la population nouvellement affranchie ; il faudrait craindre cependant darriver ainsi à linjustice, parce quil faut avoir en vue dans un jugement celui qui en est lobjet et non pas celui qui peut devenir coupable. "
Cette " conception utilitaire de la justice " fut cependant vigoureusement soutenue par le successeur de Massot, Justin Béret, pour qui
" la discipline des ateliers ne peut et ne doit être maintenue que par la peur des châtiments quinflige la justice "
Le rôle de la justice pour certains est donc de défendre la société coloniale, même si le Code pénal après labolition de lesclavage ne fait pas de différences entre les hommes, ce sont " des êtres abstraits, doués de raison ". La société de plantation nest pas de cet avis et les juges et assesseurs qui sont des notables entendent protéger leurs intérêts, lidée de justice passant après.
Des discriminations ont donc cours sur lIle, les Blancs sont rarement condamnés et sils le sont cest pour des peines légères, les immigrés engagés et les nouveaux affranchis sont les plus sévèrement punis.
Les procédures ne sont pas forcément respectées, les conditions de choix des assesseurs et le fait que les juges, le Procureur général et son Premier substitut soient métropolitains par lintroduction de ces métropolitains, le pouvoir central a voulu rendre la justice moins dépendante des notables locaux épousant des créoles issues de familles de notables, tout cela fait que la justice est aux mains des notables et ce sont leurs intérêts quils protègent, la partialité est donc totale.
La Cour dassises na pas à motiver ses décisions qui sont fondées sur " lintime conviction " de ses membres, ceci est un nouvel élément jouant contre toute une partie de la population pour en favoriser une autre partie, puisque daprès Jean-Claude Laval
" [ ] la conviction la plus profonde des assesseurs était quils siégeaient pour défendre une société dont la survie ne reposait que sur lexploitation la plus rigoureuse du travail des Noirs. Imbus de leur supériorité, partageant les préjugés de leur époque et de leur classe, ils siégeaient donc avec le parti pris de disculper le Blanc, daccabler lengagé : Africain ou Malgache, laccusé navait pu se dégager de sa "barbarie native" ; Indien ou Chinois, il appartenait à une civilisation "corrompue et pervertie". "
Précisons que les assesseurs nétaient pas seuls responsables de cet usage de la justice, le juge dinstruction participait aussi de ce processus, ainsi que la Chambre de mise en accusation composée des Conseillers de la Cour Impériale, il suffit de consulter les archives pour se rendre compte des manipulations de procédures qui étaient exercées.
Des différences sont remarquables également en ce qui concerne les peines de prison selon la couleur de peau des personnes concernées, Jean-Claude Laval note une très faible proportion de Blancs dans les prisons, " particularité locale, héritée de la période de lesclavage. ", de plus,
" si les Blancs sortaient de prison en bonne santé avec un certificat de maladie, les Noirs y croupissaient et y mouraient en masse. "
En effet, on sait que les Blancs sortent de prison grâce à ces certificats de maladie, mais certains peuvent sortir " sur ordre de Monsieur le Procureur général ", on remarquera que ces derniers étaient des " habitants " ou des propriétaires.
Durant les années 1848-1870, en ce qui concerne la peine capitale,
" en cas de pluralité dauteurs dans un crime, une seule tête était nécessaire, et comme le fit remarquer Chassériau [ ], ce nétait pas forcément celle du plus coupable. "
Plus tard, au début du XXème siècle, cet usage semble persister puisque lors de laffaire " des buveurs de sang de Saint-Pierre " en 1910, daprès certains témoignages seul Sitarane aurait été exécuté, le chef de la bande, Saint-Ange Gardien, et Emmanuel Fontaine auraient été épargnés, le premier ayant été exilé après avoir bénéficié dune grâce, le second ayant été emprisonné. Sitarane, de son vrai nom Simincoundza Simicourba, était un engagé mozambicain et les deux autres des créoles blancs dont lun dune grande famille, on remarque donc que celui qui fut exécuté était lengagé noir, limmigré, les deux autres ayant été épargnés du fait de leurs relations dans la bourgeoisie locale Saint-Ange était un sorcier réputé et les planteurs avaient souvent recours à lui -. Après la campagne médiatique autour de cette affaire qui présentait Sitarane comme un monstre sanguinaire, le fait quil soit africain ayant beaucoup joué dans lexpression des fantasmes racistes que pouvaient avoir les Réunionnais de cette époque. Après son exécution, la légende de Sitarane sest propagée dans lIle, son culte était né, encore aujourdhui, beaucoup vont sur sa tombe pour y pratiquer des sacrifices, y demander vengeance contre une autre personne.
La justice a, là, était plus sévère avec un engagé quavec les autres de la bande qui étaient nés à La Réunion, plus sévère avec le Noir quavec les Blancs de la bande dont le chef, Saint-Ange.
De nombreuses irrégularités de procédure pratiquées par les magistrats sont courantes à cette époque, la société injuste de lIle est pleine de préjugés que les magistrats partagent ; Jean-Claude Laval précise que :
" Le rôle des magistrats nétait pas de rendre justice, mais de terroriser les populations laborieuses afin dassurer lordre et la tranquillité dans les ateliers. On navait donc pas besoin dhommes de valeur. "
Daprès le Procureur général Béret, le rôle de la justice était utilitaire, elle devait protéger et défendre la société coloniale, " elle devait assurer son fonctionnement même. ", ainsi, un élément essentiel de cette société quétait la propriété devait être protégé plus particulièrement, cest dailleurs dans ce cadre seulement quon pouvait voir des peines sévères contre des Blancs. En effet, le fait de détourner un engagé devenait un délit grave et était fortement sanctionné, non pas par rapport à lengagé lui-même, ce nest pas la personne de lengagé qui est prise en compte mais le tort causé à son engagiste.
" Ce qui prouverait que le rôle de la justice était, avant toute autre considération de défendre la propriété : détourner un Indien, cétait léser son engagiste. En revanche, si un engagiste à la main un peu lourde en tuait un, le fait était le plus souvent moins puni, quand il létait. "
La remarque est simple à faire que légalité proclamée par les principes de la République peut être parfois une formule creuse, et quà La Réunion, même après lémancipation, les Noirs nétaient pas les égaux des Blancs, malgré le fait quils pouvaient voter et étaient des citoyens aux yeux de la loi.
Heureusement, les choses évoluent, sans doute, un jour, cette égalité sera entendue par tout le monde et respectée. Mais aujourdhui comment sont appliquées les procédures à La Réunion ?
2.2. La procédure dinstruction criminelle aujourdhui
La procédure dinstruction criminelle nous intéressera particulièrement ici car cest celle qui intervient avant le procès, nous prendrons le cas dune affaire de " violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion et avec usage dune arme ", dans le cadre dune mort à la suite dun exorcisme. En effet, une affaire de ce type permet détudier le cas dune pratique à La Réunion qui nest pas répertoriée dans les Codes juridiques appliqués par les juristes formés en métropole.
Enonçons rapidement les faits, un homme, que nous nommerons A., meurt après avoir été battu par plusieurs membres de sa famille, une de ses surs appelle la gendarmerie qui trouve lhomme attachés dans la maison. Sont retrouvés sur les lieux divers signes permettant de conclure à des pratiques magico-religieuses.
Onze personnes sont placées en garde à vue, dont deux sont libérées le soir même, et une est placée en détention préventive.
Au cours des différents interrogatoires, les personnes présentes expliquent que A. était possédé par Satan et quelles avaient tenté, sous les consignes dune des surs qui disait avoir le don, de lexorciser en le flagellant toute la nuit à coups de branches et rameaux de bois de piodène, arbre servant dexpiatoire chez les Tamouls. Elles nont pas voulu le tuer, " Ce nest pas les blessures que nous lui avons faites qui lont tué, nous avons seulement essayé de chasser le mauvais esprit. "
Les gendarmes interrogent plusieurs fois chaque personne, le fait quil y ait plusieurs participants et quils se soient mis daccord pour mentir au début ne facilitent pas les choses, mais après plusieurs interrogatoires, les versions se recoupent entre elles.
Bien sûr, une autopsie est pratiquée qui déterminera de quoi est mort exactement A., cette autopsie révèle que la victime navait pas dalcool dans le sang, quelle a probablement eu une crise dépilepsie aux vues des morsures sur la langue et quelle a eu un arrêt cardiaque.
Le juge dinstruction demande, comme la loi le prévoit pour toutes les affaires criminelles, une expertise psychiatrique concernant les mises en examen et une expertise psychologique. Le juge fait souvent appel au même expert. Lors de son expertise le psychologue rapporte les faits en expliquant les détails de la séance dexorcisme qui a eu lieu, il explique que la victime était un Malbar et que lui et sa famille sont de religion catholique et tamoule en même temps, lexpert parle du culte que pratiquait la victime.
Le juge dinstruction que nous avons rencontré, le juge P., explique que les gens parlent plus de leurs pratiques religieuses et de " sorcellerie " à lexpert quau juge.
" Je pense que ce nest pas forcément le lieu où les gens sont le plus à laise pour en parler. Alors que sils ont une oreille qui peut être parfois un petit peu plus attentive, enfin, plus complaisante sur ces problèmes là. Mais cest peut-être aussi un moyen pour eux déchapper un peu à leur responsabilité. Je pense quil y a un problème de culture parce que devant un Zorey, les gens ont peut-être plus de mal à le dire. Mais cest vrai que moi, je ne cherche pas non plus ce genre de confidences. [ ] Cest peut-être plus au psychiatre ou au psychologue de sen intéresser. Moi, en tant que juge, jai plus un rôle darbitre ou de chef dorchestre, cest-à-dire que cest à moi de récolter les éléments. "
La loi donne au juge obligation de faire lire lexpertise à la personne concernée.
Quand lexpert aborde lidée de la sorcellerie, le juge P. en tient compte dans le sens où
" ça éclaire la personnalité du type, quelquun qui est très religieux au sens général du terme, cest-à-dire très rituels, pour qui les rites sont très importants, ça peut expliquer pourquoi il sest fourré dans une situation dans laquelle il sest trouvé complètement enfermé. Mais ce nest pas ça qui fait que la décision sera différente. Non, ça cest marginal. Ca intéressera le tribunal ou la Cour dAssises comme nimporte quel élément de personnalité. ",
et estime que parfois ça peut peut-être expliquer le passage à lacte.
Mais, la justice doit être la même partout en France et il nest pas question dadapter les textes aux réalités locales, on applique partout les mêmes Codes.
" Quon sintéresse aux spécificités de chacun, aux coutumes. En région parisienne, dans les banlieues, cest pas des coutumes, mais il y a des façons de vivre qui sont très différentes de ce quon peut connaître ici ; quand jétais juge dinstruction à Bobigny ou à Pontoise, on faisait attention à ça aussi, mais il ne faut pas en faire plus que ça, il faut être conscient des milieux dans lesquels on vit mais il faut pas non plus tout transformer par rapport au milieu dans lequel on vit. Ca deviendrait une justice très régionale. Sintéresser, ne jamais perdre de vue quon sadresse à des gens différents selon les régions de France, oui, mais ce nest pas pour ça, quon rendrait une justice différente, il ny a pas de raison. "
Il y a pourtant eu des cas à La Réunion où on a fait appel, dans le cadre daffaires criminelles, à des personnes qui avait un contact direct avec le monde de linvisible. Par exemple, pendant la période où " la bande des buveurs de sang de Saint-Pierre " terrorisait tout le Sud, le capitaine de gendarmerie chargé de lenquête avait été, sur proposition du premier adjoint à la mairie de Saint-Louis, consulté une voyante pour avancer dans son enquête.
Cette voyante avait pu lui décrire le sorcier qui dirigeait la bande, Saint-Ange, et le lieu où se cachait la bande, avec de nombreux détails. Le gendarme ayant peur du ridicule vis à vis de sa hiérarchie, en parle comme dindices fournis par un informateur anonyme, mais nest pas pris au sérieux, mais quand la bande est arrêtée, tout correspond à la description de la voyante.
Il existe également un personnage dont le nom revient souvent à lesprit de nos interlocuteurs, il sagit du Docteur Kalen, daprès certains, pendant les années quatre vingt, la justice faisait appel au Docteur Kalen, qui avait le don de communiquer avec les morts, pour élucider certaines affaires. Le Docteur demandait à la victime qui était responsable de sa mort et après enquête, lauteur du crime savérait être celui quavait désigné le Docteur Kalen. Ce personnage serait mort ou aurait quitté lIle depuis au moins une quinzaine dannées, cependant, nous navons pu vérifier nulle part lexistence de cette personne, mais elle est présente à lesprit des Réunionnais.
Un aspect important de linstitution de la justice à La Réunion doit être précisé, il faut noter que les juges sont métropolitains en règle générale en ce moment, il ny a quun seul juge réunionnais à Saint-Denis, cest une juge pour enfants ils sont formés en métropole, et bien souvent ne sont que de passage sur lIle. Le juge P. le fait dailleurs remarqué, cet aspect des choses peut aussi faire que les gens nabordent pas facilement certains aspects de leur culture qui peuvent pourtant être déterminants dans leurs actions, par exemple, tout ce qui concerne les rites et pratiques locales.
" En tant que Zorey, on na pas un accès direct à la société réunionnaise, et pour une raison simple qui se comprend facilement, bon, dabord, on est zorey, mais ce nest peut-être pas la première raison, cest que les Réunionnais dici qui travaillent avec nous savent bien quon nest que de passage, moi, je vous le dis, je ne vais pas y rester toute ma vie à La Réunion. "
Le problème de la langue peut intervenir également, certains préconisent dailleurs quil y ait des interprètes pendant les audiences, mais sur ce point, le juge P. nest pas daccord, pour lui, le fait que les auxiliaires de justice soient créoles est suffisant.
" Les juges sont des Zoreys, mais on a des greffiers créoles, et ça, je pense, pour le coup, cest primordial, cest-à-dire, autrement, ça ne pourrait pas fonctionner ; honnêtement, si javais un greffier zorey, je crois quon aurait du mal à fonctionner. Cest vrai que quelque fois, il y a besoin du coup de main, pouvoir sadresser en créole au type pour le débloquer ou le mettre à laise, ou aussi dans lautre sens, cest-à-dire que le greffier sassure bien que le juge ait bien compris la réponse du type. Parfois, ils parlent un peu mi-créole mi-français, parfois, on peut se tromper un peu sur le sens exact de la réponse, et là, le greffier créole, à ce moment-là, il est très important. Ca permet une double sécurité quand même. Ca évite les gros contresens quil peut y avoir parfois. Le créole, pour ça, est assez curieux pour ça, il y a des faux amis, on croit avoir compris et en fait on na rien compris du tout. [ ] En France, on nutilise pas dinterprète ni à laudience ni à linstruction, mais cest vrai quon est entouré et aidé par des gens, la plupart des fonctionnaires qui sont ici sont des Créoles. Et bon, jallais dire quon évite de grosses catastrophes quand même. "
Pour ce juge, avoir de vrais interprètes serait beaucoup " trop fastidieux ", ce serait impossible et naurait aucun sens pour lui puisque La Réunion est un département français.
Ce chapitre a permis de voir la logique institutionnelle appliquée sur lIle du fait de lappartenance de celle-ci au territoire et à lEtat français. La départementalisation, qui a permis à La Réunion de faire partie intégrante de la République française en tant que département, a eu des apports positifs, mais aussi des " effets pervers ". La logique judiciaire a été particulièrement développée, avec tout dabord une définition des termes et des différentes perceptions possibles de la justice, puis le caractère de logique institutionnelle du judiciaire en France avec lapplication de cette logique à La Réunion. La logique judiciaire est un exemple de ce que le caractère unitaire et institutionnel de la République développe à La Réunion. Ce caractère unitaire a pu aboutir à des dérives, nous lavons vu avec le détournement de la fonction de la Justice par les notables locaux qui lont manipulé dans leurs intérêts. Aujourdhui, les données du problème ont changé, les procédures sont appliquées conformément aux textes mais le juge garde une vision unitariste de linstitution. Le problème vient alors de ce que la spécificité du contexte nest pas prise en compte, on aboutit alors à une sorte de rigidité. Pour comprendre comment est rendue la justice et la représentation quon peut en avoir, il convient de voir maintenant " ce que justice veut dire ".
CHAPITRE II :
DE LA JUSTICE COMME INSTITUTION A LA JUSTICE COMME FONCTION ET VALEUR
Section 1. Ce que Justice veut dire
Il existe différentes manières dentendre le mot " Justice ", la justice peut être entendue comme une fonction mais également comme lexpression dune valeur.
La justice comme fonction
Le mot " justice " est le terme par lequel les justiciables en général désignent lappareil judiciaire, le rôle des institutions judiciaires, la " justice " devient donc un terme générique pour désigner en fait une fonction, celle qui est la gardienne de la " méta-raison de lEtat ", symbole de lordre imposé, celle qui fait respecter le droit, celle qui réprime.
Quand la Justice est fonction, elle entraîne une certaine représentation aux yeux du justiciable qui est souvent celle de lEtat tout-puissant mais elle peut apparaître également comme la main qui rétablit lordre.
On se rend compte que peu sintéressent au Droit, excepté le jour où, dune façon ou dune autre, les gens ont " affaire à la justice ", ce qui est dommage daprès Emile Poulat
" non dabord parce quil façonne leur vie quotidienne, mais pour tout ce quil révèle sur un état de société. Le droit est un miroir : il nous renvoie notre image, et pas toujours comme nous limaginons. "
Lauteur parle ici du rôle du droit dans la société, il dit plus loin qu " avec le droit, on rencontre lEtat ", car cest par le droit et la loi que lEtat est soumis, que lexercice de sa puissance est modéré.
Mohamed Camara, interlocuteur dEtienne Le Roy lors de lélaboration de sa recherche sur la complémentarité des logiques institutionnelle et fonctionnelle, explique à propos de la justice quelle
" réside dans la fonction, cest-à-dire, dans la recherche du juste. Partout où on traque le juste, il y a justice. Dans cette quête peu importe le lieu, la personne, cest-à-dire les institutions de la justice occidentale. "
La justice a donc également comme fonction la recherche du " juste ", la valeur, lidéal du juste.
Malgré lidéal que peut représenter la justice, celle-ci est parfois détournée de sa fonction du " juste " par les hommes, ainsi, au XIXème siècle, à La Réunion, la justice a surtout une fonction utilitaire, elle est utilisée par ses représentants pour protéger et défendre la société coloniale et ses intérêts économiques et financiers, ainsi que la mainmise des notables sur le pouvoir dans cette société de plantation.
La Justice comme valeur
La justice est donc la fonction de rechercher le " juste ", mais " Justice " peut également être entendue comme valeur.
A la prononciation de ce mot en tant que valeur on ressent une sorte de respect, un recueillement, un idéal, un absolu. On entend " Justice pour tous ", " égalité devant la justice ", on voit la déesse Thémis fière ; justice devient alors un grand mot, chargé de sens, de beauté parfois. Cest vers cet absolu que lon souhaite aller pour une société en marche.
La société évolue, elle est composée dappartenances multiples, pour permettre que la société assume cette diversité, le droit et la justice doivent évoluer. Etienne Le Roy explique que
" Le Droit doit sadapter aux nouvelles conditions de la société complexe contemporaine car cest seulement ainsi que notre société sera régie par lEtat de Droit en répondant à son exigence la plus délicate : refléter les valeurs poursuivies par la société. "
La justice et le droit, en tant que règles qui régissent celle-ci, doivent donc évoluer en sadaptant aux valeurs de la société. Maître Rémi Boniface, avocat réunionnais, estime ainsi
" quévolue linstitution judiciaire, à limage de la société, cest-à-dire à limage des hommes, avec leurs contradictions. "
La Justice est une valeur mais elle est exercée par des hommes, la vision individuelle ou collective du " juste " peut différer dune personne ou dun groupe à lautre et la façon dexercer cette justice dépend de cette conception.
Christoph Eberhard cite Jacques Commaille pour qui
" le droit nest pas seulement disposition concrète, il est symbole, symbole de la façon dont les hommes se représentent ce que doivent être leurs relations mais aussi symbole comme moyen dimposition pour certains hommes investis dautorité (morale, juridique, politique) dune représentation " juste " des relations au sein du monde social. "
Christoph Eberhard se rapporte ici à lexcision et le Droit en France où deux ordres sociaux se confrontent, or chacun de ces deux ordres a sa propre légitimité et est doté " dun propre ordre symbolique et dun sens propre du "juste". ", la justice française apparaît alors comme le symbole dune domination car elle impose sa légitimité à un autre ordre social en se fondant sur le fait que les personnes concernées par lexcision se trouvent sur le territoire français, lautorité juridique simpose exerçant là une violence légitimée. Cette idée de domination, de violence peut parfois apparaître également à La Réunion, ce que nous verrons plus tard dans les représentations quont les Réunionnais de la justice.
Quelques chercheurs, notamment ceux du Laboratoire danthropologie juridique de Paris (LAJP), associés à certains magistrats et travailleurs sociaux réfléchissent en ce moment pour tenter détablir une justice dans lidée de lesprit public " par le bas " partagée par les différents groupes résidant sur le territoire, on parle de dialogue interculturel.
Bien sûr, la Justice est un absolu recherché mais, comme il a été souligné plus haut, lexercice de la justice est fait par des hommes qui sont entre autres déterminés par leur culture, leur histoire personnelle, familiale et collective, ces différentes personnes amènent différents regards portés sur le Droit.
1.2. Visions du monde et visions du droit et de la Justice : la théorie des archétypes
En 1980, le LAJP organise un colloque " Sacralité, Pouvoir et Droit en Afrique ", lors de ce colloque, on rappelait le caractère ethnocentrique de la problématique traditionnelle des rapports entre sacralité, pouvoir et droit en Afrique, problématique purement occidentale ; cet ethnocentrisme permettait
" de mieux comprendre à la fois les résistances africaines à lEtat et aux Droits dimportation et lambiguïté de lattitude des Occidentaux à légard de leur Etat et de leurs Droits. "
Les recherches sur ce thème amorcées en 1978 sarrêtent du fait de la non publication de ce colloque, mais Michel Alliot apporte sa réflexion sur les archétypes qui, une fois les fondements posés, évolue au cours des années.
Létude ces archétypes permet de mieux comprendre le problème qui peut se poser à La Réunion autour de la question de la justice.
Michel Alliot, pour qui la compréhension de la forme et du sens des institutions juridiques dune société passe par le rapport à lunivers visible et invisible de cette société, a mis en place une distinction basée sur trois grands archétypes juridiques.
Dans un premier temps, Michel Alliot distingue trois types de modèles sociétaux, celles où toute division sociale est ignorée et où le chef na pas de pouvoir de coercition exemple des sociétés amérindiennes -, celles qui acceptent la division sociale mais la contrôle par une logique plurale exemple des sociétés animistes africaines -, et celles qui ont une logique unitaire telles que lEtat occidental.
Cette première approche de la question ne sera pas suffisante et Michel Alliot lenrichira, notamment en ce qui concerne la distinction entre logique plurale et logique unitaire qui constituera la base de la réflexion de bon nombre de chercheurs.
Il propose ensuite de distinguer trois types dordres juridique selon la nécessité doù provient le Droit, quil sagisse de " maintenir la création, la circulation ou la soumission ". Etienne Le Roy fait reposer ce schéma sur un déroulement historique, " des sociétés archaïques (primat de la création) jusquaux sociétés modernes (primat de la soumission). "
Plus tard, Michel Alliot explique que ce qui sépare les sociétés cest le mode de pensée et dorganisation, chaque société distinguant trois modes de pensée que cite Etienne Le Roy, " une pensée officielle, une pensée " affective " fondée sur le sentiment plus secret qui attache ses membres à la société et enfin une vision de la réalité " qui contredit la pensée officielle. Michel Alliot précise que lattention se porte sur lécart entre chacun de ces trois modes de pensée et dorganisation et le mode lui correspondant dans dautres sociétés.
Pour expliquer les différences entre ces mode de pensée et dorganisation, Michel Alliot a recours aux visions du monde des sociétés, aux cosmologies, aux idées sur la construction du monde qui leur sont propres, pour lui
" Sil y a un trait commun entre toutes les sociétés, cest bien que chacune construit son propre univers mental, porteur de modèles fondamentaux et dispensateur de sens. " La vision " quune société a du monde et delle-même explique plus particulièrement les comportements juridiques individuels et fondamentalement les limites de la juridicité. "
Les archétypes sont donc ces visions et les comportements qui y sont associés, la logique de lidentification dans la pensée confucéenne, la logique de la différenciation dans les sociétés animistes africaines et la logique de soumission dans lIslam et lOccident chrétien sont trois exemples de ces archétypes.
Comme lexplique Etienne Le Roy, les sociétés monothéistes judéo-chrétiennes pensent que le principe de cohérence est dans laffirmation de lunité, pour atteindre cette unité, on cherche une uniformité de statuts et de conditions puis on réprime tout ce qui fonde les différences par lexclusion des contraires. Christoph Eberhard parle dailleurs en ces termes de la conception occidentale des " droits de lhomme ",
" "Droit" et "Homme" sont pensés dans notre tradition moderne de manière unitaire. Les êtres humains sont conçus comme des individus abstraits, uniformes et égaux. Ils sorganisent en société rationnellement en abandonnant leur souveraineté à lEtat, qui devient ainsi le dépositaire de tout pouvoir, et qui maintient lharmonie de la société en lui imposant uniformément ses règles générales et impersonnelles. La pluralité y est perçue comme chaos et comme danger pour lharmonie sociale. "
Etienne Le Roy explique que les sociétés confucéennes pensent que " le monde repose sur la complémentarité de deux éléments, le Ying et le Yang, comme le li (rites) et la fa (loi) ", la société est régulée par lautodiscipline.
Il parle également dun " monde plural-trinitaire " pour les sociétés " animistes " où les religions et croyances ne reposent pas sur la révélation mais plus sur la manipulation des énergies.
Il semble, daprès lévolution des travaux en anthropologie du droit, que les trois archétypes de Michel Alliot correspondent à trois ordres sociétaux, lordre accepté, lordre négocié et lordre imposé.
Voici donc posés les archétypes juridiques qui permettent de comprendre la forme et le sens des institutions juridiques dune société, reste à voir maintenant si La Réunion entre dans la définition de lun de ses trois grands archétypes.
Section 2. Les représentations réunionnaises de la Justice
Pour comprendre les représentations que peuvent avoir les justiciables réunionnais de la Justice, il convient de se rapporter à leur conception du monde et à lhistoire de lIle.
La Réunion est une société à part entière même si cette société est considérée comme partie intégrante de la société française, qui est, rappelons le, une société occidentale.
Larchétype des institutions juridiques et judiciaires à La Réunion, département français est donc celui de la soumission et de lordre imposé. Pourtant, les archétypes sont fonction de la société où on observe les institutions, on peut donc se poser la question de savoir si cette logique dordre imposé correspond bien à la société réunionnaise.
Au cours de son projet de recherche-action dans le cadre du Tribunal pour Enfants de Paris, le LAJP a rappelé le fonctionnement très " néo-colonial " de la justice française marqué par lidée quelle est aux ordres de lEtat et dont la légitimité tient " à la capacité à incarner une conception de lordre social (en métropole) et de la civilisation européenne (outre-mer). "
Larchétype de lordre imposé est caractérisé par la valorisation de luniformité, la société y abandonne sa responsabilité à lEtat, instance extérieure et supérieure et les contraires sont exclus.
Sans doute correspond-il bien à la société métropolitaine française, mais est-il adapté aux sociétés domiennes et plus particulièrement à la société réunionnaise ?
La population réunionnaise est un amalgame de toutes sortes de visions différentes du visible et de linvisible. On trouve des Chinois, des Kafs, des Malbars, des Zarabs, des Créoles blancs, Groblans et Yabs, des Malgaches, des Comoriens, Mahorais ou des Africains du Continent, et des Zoreys. La Réunion cosmopolite compte donc sur son sol comme des micro-sociétés relevant de diverses pensées, on y trouve la pensée confucéenne, la pensée animiste et la pensée occidentale, des logiques didentification, de différenciation, et de soumission et donc différentes conceptions de lordre. De plus, parfois certaines personnes vivent entre deux voire trois de ces logiques du fait du métissage biologique et social.
Au niveau institutionnel, la logique appliquée est celle dune société uniforme, lordre est imposé, on a donc pensé les institutions de La Réunion daprès le paradigme de larchétype de la soumission qui correspond à la société occidentale. Mais peut-on affirmer que la société réunionnaise est une société occidentale ?
Peut-être faudrait-il changer de paradigme et passer, comme le propose Christoph Eberhard à propos dune recherche interculturelle sur les Droits de lHomme,
" de larchétype dordre imposé à larchétype communautaire de différenciation [ ], caractérisé par la valorisation de la pluralité, par la prise en charge de la société par elle-même et par une logique de complémentarité des différences. "
Ou peut-être faudrait-il chercher une autre solution, mais il semble bien que cette question du rapport à la Justice et ses institutions puisse poser problème à La Réunion, une démarche interculturelle semble intéressante de ce point de vue.
Après ces questionnements à propos des conceptions de la justice à La Réunion, il est important de voir maintenant les représentations réunionnaises de la Justice.
2.1. Une vision héritée de lhistoire judiciaire de lîle
Il est délicat de donner une opinion globale pour la population car la société réunionnaise nest pas uniformisée, il existe donc différentes représentations de la justice. Un sentiment dinjustice est ressenti par une bonne partie de la population, ce sentiment nest pas basé sur un fantasme, il est légitimé par ce que les gens observent et ont observé durant lhistoire de lIle. Nous aborderons ici essentiellement certains aspects de lhistoire judiciaire réunionnaise à partir de 1848, car cest à partir de cette date quest née la société libre réunionnaise.
Ainsi, à lévocation de la question de la représentation de la justice, certaines affirmations retentissent telles que " Zistis Groblan ! ", " Zitis Zorey ! ", ou encore " Zistis makro ! ".
" Zistis Groblan ! " " Zistis Zorey ! "
Cette représentation de " Zistis Groblan " montre que la justice et le pouvoir sont intimement liés, on comprend alors le terme groblan non pas dans son sens strict qui désignerait le descendant de propriétaire mais dans le sens extensif de pouvoir, les Groblan représentant dans la société de plantation le pouvoir. Dans ces désignations de Groblan ou Zorey sexprime lidée que la justice privilégie les riches et les Blancs et par extension les métropolitains.
En observant les pratiques judiciaires après labolition, on saperçoit que les discriminations ont été couramment pratiquées dans lexercice de la justice criminelle. Le Code pénal français ne prévoit aucune distinction entre les personnes comme le faisait le droit romain en considérant lesclave comme une chose ou encore comme en Inde, où les peines variaient selon la position de la caste dappartenance de lauteur et de la victime. Bien sûr, le Code français protège la propriété mais, inspiré du principe révolutionnaire de légalité civile, il considère que tous les hommes ont les mêmes droits. Pour lappliquer dans la Société coloniale, il a fallu y adjoindre des dispositions particulières concernant les esclaves, de plus lassessorat, comme nous lavons vu plus haut, a permis un contrôle de la justice par les puissants, même après 1848, où officiellement les discriminations nétaient plus admises.
Dans son étude, La justice à La Réunion de 1848 à 1870, Jean-Claude Laval montre bien avec quelle partialité la justice coloniale était rendue, mais il exprime aussi son effarement de voir un
" acharnement aussi constant et impitoyable contre les immigrants quand ils étaient auteurs dun illégalisme et une telle absence de protection quand ils étaient les victimes. "
Lauteur exprime sa stupéfaction de voir au fur et à mesure de ses recherches que la justice ait pu être
" avec un telle constance au service des intérêts sucriers, le plus choquant étant moins la répression officielle, qui, à part les exécutions capitales, avait abandonné ses rites barbares, que labsence de répression contre les propriétaires et leurs employés dans les affaires de sévices. "
En 1849, le Procureur général Massot fait dailleurs remarquer que
"Les gens appartenant à la classe du peuple se soumettent, mais dès quun homme appartenant à une classe plus élevée est condamné, il ny a pas de tentatives quil ne fasse pour se soustraire à lexécution de larrêt. Cest ce que fait M. Rivière qui sest vanté dans son quartier quil nirait pas en prison." "
Lassessorat, du fait des conditions de recrutement des assesseurs notamment, permettait que les notables soient prémunis contre une quelconque répression de la part de linstitution judiciaire. Cette réalité nétait dailleurs pas ignorée par les autorités métropolitaines puisquen 1854 et 1855 le Ministre de la Marine et des Colonies recevait des comptes rendus dassises dont voici quelques extraits
" "lapplication des peines est faite dune manière qui accuse éloquemment le peu dintelligence des assesseurs et le vice de lassessorat",
"les assesseurs aidant, laccusé a été acquitté, malgré les efforts du Ministre public",
"la justice se compromet par de pareils acquittements".
"la répression du grand crime est nulle ou dérisoire à lencontre de la race dominante du pays" (Hubert-Delisle)
"avec linstitution de lassessorat ( ) limpunité est assurée pour tout individu appartenant à la race blanche, quelque modeste que soit sa position et bornée que soit son influence",
"indulgence déplorable" pour une affaire dun "caractère exceptionnellement odieux "; "parti pris dacquitter" : "Il est toujours difficile quand il sagit de violences exercées par un grand propriétaire sur ses employés de pouvoir même obtenir une condamnation". "
Les magistrats étaient métropolitains pour éviter la dépendance de la justice par rapport aux notables locaux, la règle était que les magistrats navaient pas le droit dépouser des créoles pour préserver leur indépendance, mais cet interdit est transgressé et les magistrats épousent des femmes issues de famille de notables. Ainsi, les grandes familles déjà puissantes économiquement bénéficiaient alors de la puissance publique et de lhonorabilité, la répression contre les notables était bien impossible, la parenté liant souvent les accusés et les représentants de la justice. Ces liens familiaux empêchaient de façon quasi systématique laction de la justice répressive dans des circonstances où celles-ci était requise.
Laffaire Sitarane dont nous avons parlé plus haut, est un exemple de cette zistis groblan, en effet, Saint-Ange a bénéficié de lamnistie présidentielle, il a été appuyé pour ça par des notables influents de lIle qui profitaient de ses services de tisaneur et même de sorcier. Le fait davoir des relations avec des grandes familles lui a sauvé la vie en permettant quil ne soit pas exécuté. De plus, le fait que Sitarane ait " payé " pour les crimes commis par toute la bande, quil ait finalement été le bouc émissaire, la population de lépoque a dû ressentir linjustice qui avait été commise et cest peut-être pour exorciser cette injustice quelle a diabolisé le personnage de Sitarane, quelle a ressenti une nécessité de lui donner un pouvoir pour oublier linadmissible.
Aujourdhui, il est fréquent dentendre que la justice cest bon pour les riches ou pour les Zoreys
" Si ou lé zorey, ou va gain-y kozé au tribunal, ou va explik aou ; si ou lé kréol, sé ou va payé. "
Beaucoup de Réunionnais ne croient pas en la justice, ils ne sapproprient pas la loi, la violence très présente à La Réunion trouve peut-être un de ses fondements dans cette non appropriation,
" La société libre réunionnaise est en devenir, elle est jeune [ ], elle se cherche, elle agresse, est agressée, elle se sent agressée, elle ne se sent pas écoutée. "
Le sentiment dinjustice est indéniablement à rattacher à lhistoire de La Réunion, il existe des histoires dinjustice, même très lointaines dans le temps, qui se transmettent de génération en génération dans des familles et qui alimentent ce sentiment. Madame C., lors de son interview, parle de son grand-père né du viol de son arrière-grand-mère malbarèse par son " maître " - elle précise dailleurs quon dit aussi bien esclave quengagé car les conditions de vie étaient semblables à lesclavage ce viol na jamais été puni, cette violente injustice sest transmise à travers les générations et trois générations plus tard, la famille connaît un rejet du Blanc très fort, étendu au rejet du Zorey. Madame C., qui est plus claire de peau que ses cousins, se trouve alors exclue par une partie de la communauté familiale ; elle ne côtoie que ceux de sa génération et pense quil faut de nombreuses générations pour quune injustice comme celle-ci puisse être pardonnée.
Leffet de ces injustices passées est que
" La justice, on ny croit pas de père en fils, ça fait partie de linconscient collectif. "
Linjustice touche pratiquement les entrailles mêmes de la population, une explication peut venir de lhistoire de lIle, le fait que beaucoup sont arrivés sur lIle sur la demande ou pour le besoin dune petite partie de la population et dans lintérêt de ces propriétaires qui dominaient a sans doute favorisé à déterminer la représentation quont les Réunionnais de linstitution judiciaire et de la justice elle-même quils ressentent comme une émanation dominante. De plus, il y a tout un contexte qui fait que la notion de ce qui est juste et égal navait pas cours à La Réunion même après la proclamation de légalité pour tous, cette situation sest poursuivie après la départementalisation également avec le fait que les textes nétaient pas appliqués entièrement, légalité nétait pas totale avec la métropole. Aujourdhui encore, le RMI nest toujours pas aligné sur celui de la métropole, ce qui devrait changer au 1er janvier 2002. Tous ces éléments fondent le sentiment dinjustice et renforcent la méfiance contre la métropole et ce qui la représente comme par exemple linstitution judiciaire.
La justice est donc vue comme bonne seulement pour les riches ou les zoreys, mais une autre représentation existe, on qualifie la justice de zistis makro.
" Zistis makro ! "
Lorsque la question de la perception que les Réunionnais ont de la justice est abordée, souvent, lune des premières exclamations est " Zistis makro ! " ; quelle est la signification de ce cri ? Pourquoi cette vision ?
" Zistis makro " veut dire que la justice est vendue, mais cest bien plus que ça, car makro est une insulte en créole qui a une forte signification péjorative intraduisible par un seul mot. Cette désignation de la justice est apparue sur tout ce qui pouvait servir de support à la revendication et lexpression de la colère de 1993 à 1995, les murs, les routes, les panneaux, etc Lors de nos interviews du mois davril 2001, les personnes consultées réitéraient ce cri, rappelant ce slogan qui a marqué les Réunionnais lors de laffaire Dumez mais qui a également rappelé dautres épisodes de lhistoire judiciaire de lIle.
En 1993, commence laffaire de lendiguement de la Rivière des Galets, à la suite dune fraude dans une procédure dappel doffre pour des travaux qui auraient permis dendiguer la Rivière des Galets dont la crue fait des dégâts matériels et humains considérables en période cyclonique. Lidée de la réalisation de ces travaux a été abordée depuis plus dun siècle.
Il sest avéré que des personnes de la société qui a obtenu le marché en 1993 ont ouvert les plis des entreprises concurrentes avant la date légale pour modifier son offre en la revoyant à la baisse et obtenir le marché.
Dans cette affaire, il y a donc trois personnes poursuivies pour avoir fraudé lappel doffre, mais ces trois personnes avouent la participation du maire de la ville du Port, Pierre Vergès, et son secrétaire général adjoint, Alain Payet, et impliquent deux autres personnes.
A la suite de ces accusations, Alain Payet est conduit au commissariat pour être entendu comme témoin, mais se retrouve en détention préventive pendant deux mois. Pierre Vergès, lui, prend le maquis ; après avoir dit quil se tenait à la disposition du juge dinstruction pour être entendu, il est prévenu un soir quil doit être arrêté le lendemain matin en conduisant ses enfants à lécole devant des journalistes, constatant que les choses nallaient peut-être pas se passer " dans les règles " et connaissant les conditions darrestation de Alain Payet, il sest caché. Sa cavale dure deux ans et demi, pendant tout ce temps, il affirme quil se rendra devant le juge dès que le mandat darrêt inutile lancé contre lui sera levé.
Le 4 août 1995, la sentence est rendu par le tribunal correctionnel de Saint-Pierre, Alain Payet et Pierre Vergès sont condamnés à lemprisonnement, une amende et interdiction des droits civils, civiques et de famille. Appel est interjeté.
Dans cette affaire, il est reproché aux différents magistrats par les avocats des parties et par une bonne partie de la population de ne pas avoir instruit et juger à décharge et de ne pas avoir respecté les droits de la défense. Beaucoup sont persuadés que ce procès nétait quune affaire politique visant à se débarrasser des communistes Alain Payet et Pierre Vergès, le fils de Paul Vergès, sont, tous deux, membres influents du PCR .
En effet, linstruction apparaît incontestablement à charge, aucune preuve nétayant les accusations des trois " fraudeurs ", le juge na pas jugé utile découter les témoins de Alain Payet et Pierre Vergès qui affirmaient que les deux hommes ne pouvaient pas être là où on dit quils étaient au moment des faits. Plus le temps passait, plus les accusations des trois hommes se contredisaient elles mêmes et entre elles, alors que les témoins très nombreux des deux personnes de la mairie du Port se rejoignaient indubitablement.
Une plainte pour faux a même été déposée par les avocats contre le Juge dinstruction qui aurait modifier la date de son ordonnance de renvoi après avoir notifié un mandat darrêt alors quil nétait pas compétent.
Après cette instruction à charge son secret ayant été dailleurs levé à plusieurs reprises puisque les journaux diffusaient des informations de cette instruction quotidiennement, par exemple, publication dune déposition dun des accusateurs le lendemain matin de cet interrogatoire et le parti pris de la presse, un contre-procès est organisé. Il a lieu à la mairie de Saint-Pierre, organisé par le PCR qui ne sait plus comment faire pour que soient entendus les témoins à décharge et apportées les preuves de linnocence de Pierre Vergès et Alain Payet, cinq jours avant la date du procès officiel du Tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Avec ce contre-procès, on expose au public les éléments qui nont pas été abordés lors de linstruction. Un film est projeté expliquant lendiguement de la Rivière des Galets, Maître Rémi Boniface explique la procédure de lappel doffre, Maître Jacques Vergès conduit le contre-interrogatoire bien sûr, certains des concernés ont absents , le public, dans la salle et dans le gymnase où a été installé un grand écran, entend enfin, les témoins de la défense, la plaidoirie est faite par Maître Vergès. Ensuite a lieu une conférence de presse puis le délibéré qui aboutit à la relaxe de Alain Payet et Pierre Vergès.
Quelques jours après, le procès commence au Tribunal correctionnel, des policiers en armes empêchent le public dentrer, seuls les journalistes et des policiers en civil sont admis dans la salle daudience Pierre Vergès ne sest toujours pas présenté et il est attendu de pieds fermes . Un des accusateurs nest pas présent, le juge dinstruction retourné en métropole, depuis le début de la procédure, ne sest pas déplacé alors quil est cité à témoigner par la défense, un autre accusateur malade est excusé, Alain Payet malade nest pas excusé par le juge malgré les attestations de son état de santé de deux médecins.
Le procès est souvent interrompu par les cris de la foule qui veut pénétrer dans la salle et qui en est empêchée par les policiers qui finissent par lancer des grenades fumigènes ; ce procès nest ni contradictoire, ni public.
La sentence est rendue, les deux communistes sont condamnés à des peines très lourdes, bien plus lourdes que celles des autres condamnés, leurs témoins nont pas été écoutés. Une personne est condamnée à trois mois de prison avec sursis pour avoir chanté un maloya devant le Tribunal dans lequel la police empêchait le public dentrer, exprimant par ce chant son mécontentement du déroulement de laffaire.
" Zistis makro ! ", linstitution a agit au mépris de la justice, les droits de la défense nont pas été respectés, ce procès a été ressenti comme une chasse aux sorcières, il a souvent été comparé à laffaire Dreyfus et au combat dEmile Zola pour faire entendre la vérité.
Cette cavale de Pierre Vergès rappelle celle de son père, Paul Vergès, qui en 1964 dura vingt-huit mois, pour échapper à une inculpation quil estime infondée de délit de presse par lintermédiaire de Témoignages dont il est le directeur de la publication. En 1966, il est amnistié par une loi damnistie du Parlement. Pendant cette période, Paul Vergès avait joué à cache-cache avec le Préfet et la police, continuant ses activités dans la clandestinité, participant à des meetings, sans jamais être arrêté, soutenu et aidé par ses camarades du PCR, tout comme cela a été le cas pour Pierre Vergès en 1993.
2.2. Un sentiment dinjustice
Une justice venue de lextérieur
La représentation quont les Réunionnais de la justice vient de lhistoire de lIle, mais elle est aussi liée au fait quil sagit dune justice importée, elle nest donc pas forcément en phase avec la société réunionnaise. Il sagit donc dune justice transcendante et non immanente, cest-à-dire que son principe ne réside pas dans la société où elle est rendue, elle est universelle et vient dun niveau supérieur, les justiciables réunionnais ont du mal à sidentifier à cette justice et son institution.
Linstitution est celle de la métropole puisque La Réunion est un département français, elle est comme posée sur le contexte, par cette sorte de plaquage sur une société autre que celle qui la fondée, linstitution reste étrangère malgré le fait quelle se situe en France. Cette extranéité est révélée également par le fait que ce sont des gens de lextérieur qui rendent la justice sur lIle. En principe, ceci ne devrait pas poser de problème puisque la justice doit être impartiale, pourtant, on peut se demander pourquoi il y a si peu de juges créoles à La Réunion seulement un aujourdhui à Saint-Denis . Au début des années 1990, le juge Akhoun, juge créole, démissionne de son poste pour reprendre son métier davocat, il na jamais donné de raison officielle à cette démission, monsieur J., lors de son interview, nous avance lhypothèse que M. Akhoun était peut-être plus à laise dans son rôle de défenseur que dans celui de juge ; il serait bon dinterroger lintéressé pour connaître ses raisons.
Lextranéité se ressent également par rapport au fait que la justice est rendue en français alors que la langue véhiculaire est le créole, malgré le fait que pratiquement tout le monde comprend le français aujourdhui, tout le monde ne le parle pas. Le problème que pose la langue dans la justice à La Réunion nest pas une question de traduction, le juge P. interviewé le 17 avril 2001 a bien montré que les greffiers étant créoles permettent déviter des contresens au niveau de la compréhension de la parole de chacun. Le problème est surtout celui dune incompréhension affective, cette différence de langue peut empêcher de comprendre les raisons de lautre, il sagit donc plus dun problème relationnel que dun problème de dialogue pur.
Le juge P. estime que la justice doit être rendue en français car La Réunion fait partie du territoire français et rappelle quon ne peut pas rendre la justice dans chaque " patois " du lieu où on se trouve en parlant des différentes régions de France métropolitaine.
Jacques Brandibas, expert près de la Cour, interrogé le 30 mars 2001, raconte quon peut parfois se trouver face à des situations absurdes du fait de la langue
" Je me souviens que le Président, fraîchement arrivé ici, ce nest pas sa faute... Il mène les débats, il interroge laccusé qui répond un truc, peu importe, mais qui répond en créole. Et voilà, notre bon Président qui traduit en français ce quil a compris de ce qua dit laccusé et vous savez à qui il le dit ? Aux jurés, qui sont créoles Jai trouvé ça assez comique. "
Lassociation Ankraké de Saint-Pierre a le projet de mettre en place un système de médiation par des créoles auprès du tribunal de Saint-Pierre pour participer aux différentes étapes des procédures judiciaires et accompagné le justiciable, ceci dans le but de participer à " linter-compréhension ".
La justice nest pas toujours en phase avec la société réunionnaise, une sorte déquilibre se met alors en place de part et dautre, des choses sont communément admises de façon plus ou moins tacite et quand un juge veut agir, son intervention est alors très mal tolérée et " ça pète ". La violence est sous-jacente, elle peut se réveiller et exploser à tout moment. Souvent, la manifestation de cette violence na rien à voir avec létincelle qui la provoqué, le passage à lacte est comme une libération de ce que les gens nont pas digéré. Tout se passe en vase clos sur lIle, si une personne est touchée par une injustice, on observe comme une sorte de contagion, une solidarité se met en place et le passage à lacte se produit. Jean-François Sam-Long compare la société réunionnaise au volcan, le Piton de la Fournaise est toujours en activité et ses irruptions sont phénoménales notamment par de leffet quelles produisent sur les Réunionnais, les gens se déplacent en masse pour voir quand " Lo volkan la pété ".
Un exemple de cette satisfaction partielle de part et dautre, déquilibre qui sinstalle est donné par monsieur J. lors de son interview avec les nombreuses maisons construites sans permis et qui ne sont jamais démolies, dusage fréquent sur lIle.
" La justice est makro, on le sait, il ny a rien à attendre delle, mais quelle ne nous embête pas trop et ça passe. "
Pour monsieur J., les institutions sont parties prenantes dans cet arrangement, tout le monde participe pour que le sentiment dinjustice ne prenne pas le pas sur la satisfaction.
Le sentiment dinjustice nest pas seulement ressenti par rapport à linstitution elle-même, mais se vit au quotidien.
Linjustice au quotidien
Le sentiment dinjustice par rapport aux Zoreys et au pouvoir ne touche pas seulement linstitution judiciaire, on observe régulièrement un basculement vers lidée de " Zistis Zorey ".
Ainsi, madame C. rappelle comment des incidents de la vie quotidienne prennent des proportions extrêmes parce quils sont rattachés à cette idée de " Zistis zorey ", une agression peut devenir un phénomène zorey/kréol parce quelle implique un Zorey et un Créole. Un usager mécontent agresse un agent de la fonction publique, lagressé demande réparation devant la justice, on peut imaginer que si les deux parties avaient été créoles ou zoreys, les choses se seraient passées de la même façon. Or, ici, il y a un usager créole et un fonctionnaire zorey, le Créole condamné à payer une indemnité estime être victime dune injustice et crie " Zistis zorey ! ", " Zistis makro ! " - cette dernière expression sest étendue et ne touche plus seulement le contexte politique . Madame C. montre là que le sentiment dinjustice légitimé par lhistoire peut dériver et devenir dangereux pour la paix sociale.
Un exemple de la légitimation de ce sentiment que le Zorey passera toujours avant le Créole, comme une sorte de domination du métropolitain est apporté par monsieur J. qui raconte un cas de violence à lhôpital.
Un jeune homme blessé aux yeux par une bombe lacrymogène monsieur J. le décrit de type cafre rasta attend aux urgences depuis plusieurs heures quand arrive un Métropolitain avec un enfant dans les bras. Linfirmière accueille ce nouvel arrivant et sen occupe tout de suite. Le jeune homme se lève et casse tout ce qui lui passe sous la main, le vigile nintervient pas et le laisse faire. Face à linjustice qua subi ce jeune homme, une sorte de solidarité sest créée de la part du vigile qui est cafre lui aussi et qui a été témoin de lattitude de linfirmière, dans ce contexte particulier, le vigile oublie pourquoi il est là, il oublie son travail qui est de maintenir lordre dans lhôpital, il vit linjustice. Plus tard, linfirmière, zorey elle aussi, reconnaîtra quelle naurait pas dû faire passer lenfant qui était moins gravement blessé que le jeune homme.
Dans les années 1960, une ordonnance est prise, elle permet la mutation immédiate de fonctionnaires en métropole quand ils expriment leur mécontentement par rapport aux décisions et à lattitude du pouvoir central en place. Le motif officiel de ces mutations est le maintien de lordre public, pourtant les Réunionnais lont vécu comme une violation de leur droit à la liberté dexpression, comme une injustice. Des personnes ayant refusé de partir dans ces conditions ont perdu leur emploi et linjustice nen a été que ressentie que plus fortement. Aujourdhui encore, trente ans après labrogation de ce texte, les souvenirs sont marqués par cette injustice imposée aux Réunionnais ainsi quaux autres DOM dailleurs, certains affirment que cette mesure était en fait pour casser les mouvements autonomistes et indépendantistes par le pouvoir étatique.
Ces exemples montrent bien que le sentiment dinjustice est prégnant à La Réunion et conduit à une sorte de frustration de la population qui ne trouve à sexprimer parfois que par le passage à lacte, la violence.
Limage du juge en est touchée également, le juge nest pas personnifié, il représente trop de choses, il est vu comme lautre, celui qui nest pas moi, on en revient là à la théorie de lenglobement du contraire de Louis Dumont qui peut aboutir au racisme. La loi et ses représentants sont donc pris au sens péjoratif, elle va séparer plutôt que rassembler.
Ce chapitre a permis de comprendre comment était perçue la justice par les Réunionnais et pourquoi un sentiment dinjustice très fort est ressenti.
Il convient maintenant dobserver les pratiques et croyances réunionnaises qui font partie de la vie et de la culture de cette société et qui est bien différente de la culture occidentale qui a fondé les institutions établies à La Réunion. Sera ensuite abordé le positionnement de la Justice par rapport à cette culture, ce qui permettra de constater quil existe dans cette société un pluralisme de fait qui doit être reconnu par linstitution pour rendre une justice " meilleure " par un métissage institutionnel et une gestion plurale des conflits.
SECONDE PARTIE :
La Justice face aux pratiques et croyances
CHAPITRE I
DES PRATIQUES ET CROYANCES REUNIONNAISES
La Réunion connaît des pratiques et croyances diverses, certains rites sont pratiqués selon la "communauté" à laquelle on appartient, tels que certains rites de passage et de protection. Mais on assiste également à des pratiques connues quelque soit la communauté dappartenance au sein de la société réunionnaise, comme par exemple, la religion populaire qui regroupe de nombreux cultes, ou encore certaines manipulations des âmes et autres pratiques quon pourrait qualifier de sorcellerie.
Toutes les pratiques ne seront pas abordées ici et celles qui le seront ne feront pas lobjet dune étude approfondie, des études très complètes ont été faites sur ce sujet par des spécialistes de ces questions. Ce chapitre se propose simplement de montrer la prégnance de la pensée magico-religieuse à La Réunion.
Section 1. Des pratiques rituelles
Seuls certains rites de purification et dautres de passage seront abordés ici, ainsi que des rites funéraires, rites de séparation. En ce qui concerne les rites de purification, la communauté des Indiens hindouistes sera plus particulièrement observée. Il faut préciser également que le fait demployer le mot "sacrifice" ne veut pas seulement dire sacrifice sanglant, mais également sacrifice de soi, don . Les Indiens hindous se sont regroupés à La Réunion, autour dune solidarité ethnique, ne reproduisant pas le système des castes connu en Inde, et pratiquent le culte des divinités végétariennes ainsi que des divinités sanglantes.
Le corps peut parfois être impur entraînant limpureté de lesprit, par exemple pendant la période de menstruation de la femme, dont limpureté peut se transmettre aux autres membres de la famille. Laccouchement plonge également la mère et lenfant dans limpureté pendant seize jours après la naissance période qui peut être de onze jours selon les familles on pratique donc un rite de purification après cette période. Laccouchée et le nouveau né prennent un bain purificateur, le bain en grand. Ce bain pris dans un lieu clos est préparé avec des plantes en nombre impair ayant des vertus médicinales et magico-religieuses infusées au feu de bois les trois bois choisis pour le feu sont spécifiques . Avant le bain purificateur, la jeune mère, assistée de deux autres femmes boit trois gorgées de linfusion. Après le bain, ont lieu des rituels domestiques liés à la naissance.
Un autre bain aura lieu au quarantième jour après la naissance permettant à la femme et lenfant davoir accès au temple et de remercier la divinité.
Le bain est pratiqué à loccasion des différents rites par aspersion avant chaque rite sacrificiel à la maison, dans une rivière ou la mer avant des rites thérapeutiques et funéraires.
1.2 Des rites de passage
Dautres rites encore souvent pratiqués sont appelés rites de passage, tels que le rite de la poule noire, le rite de la tonsure, le rite du mariage par exemple.
Le rite de la poule noire
Il se pratique le seizième jour après la naissance et régulièrement par la suite, si lengagement envers la déesse nest pas respecté, cela peut entraîner une malédiction sur la famille. La déesse de la maternité est invoquée sous son double aspect, Pétiaye et Kartéri, lofficiant fait diverses offrandes apportées par les parents à la déesse, notamment un nécessaire de couture ; il lui sacrifie une poule noire en lui présentant la première ponte de la poule le nombre dufs présenté doit être impair . Cette cérémonie se déroule en deux temps, le premier étant à laube du seizième jour, la seconde partie du rituel se déroule avant midi ou en début daprès-midi, selon les heures fastes du calendrier astrologique.
Quand ce rite est prévu et annoncé pendant la grossesse, il permet dannihiler le pouvoir de lavatar Kartéri de la déesse qui devient meurtrière en détruisant le ftus ou plus tard lenfant , la poule représente le corps du sacrifiant dans le sacrifice de soi. Précisons que le déesse Pétiaye est la seule à bénéficier du sacrifice dun animal femelle.
Selon Yolande Govindama, la mère offre lutérus de la poule à la déesse pour montrer quelle lui sacrifie sa fertilité, acceptant par là de reconnaître " le pouvoir divin comme le seul qui donne la vie et la reprend ".
Le rite de la tonsure
Ce rite est appelé à La Réunion, tir sové zenfan, il est célébré quand lenfant a un an et un jour, un deuil pouvant le différer, cet âge correspond à lacquisition par lenfant de la marche à La Réunion, les enfants marchent à neuf mois, au plus tard à un an .
Le rite est accompli dans le temple où les ancêtres de la famille avaient lhabitude de procéder à la même cérémonie. Ce rite sert à ce que
" lenfant puisse se débarrasser, avec ses cheveux, des dernières impuretés contractées dans la matrice et obtenir ainsi la protection de la divinité. "
Les cheveux du bébé nont pas été coupés avant cette cérémonie depuis la naissance, là encore revient lidée que la divinité doit être servie en priorité.
Le paiement des honoraires de lofficiant est effectué par le père à la fin de la cérémonie.
Daprès Yolande Govindama, parmi les 81% des hindous pratiquants à La réunion, 40% ne procèdent à la tonsure que si les cheveux de lenfant sont emmêlés sové mayé . La déesse la plus souvent choisie pour ce rite se nomme Souplémaniel ou Mourouga, mais certains choisissent Vishnu, et parfois une divinité populaire telle que la déesse Kàli, Mariamman, ou le dieu Minispren.
La tonsure symbolise à la fois un rite de séparation de lenfant davec la mère et un rite de passage, il symbolise également un rite daffiliation symbolique au père ancêtre car il rappelle le sacrifice de soi qua accompli, à lorigine, le père fondateur Pràjàpati. Là, cest lenfant qui pratique le don ou le sacrifice de soi en offrant ses cheveux.
Le rite du mariage
Bon nombre de Tamouls, étant également catholiques, se marient à léglise et ne pratiquent plus le mariage traditionnel tamoul. Cependant, la date du mariage à léglise est toujours choisie par rapport au calendrier astrologique et à la date de naissance des futurs époux.
Pour ceux qui pratiquent le mariage traditionnel tamoul, dont Yolande Govindama a fait une description détaillée dans sa thèse ainsi que dans un film, ce rite a
" un caractère de don et de maîtrise du kàma (désir, envie)qui permet daccomplir le dharma (lordre), notamment le devoir dengendrer au moins un fils pour perpétuer les rites et , par là, pour rendre le père capable daccéder au ciel au moment de sa mort. "
Le rite du mariage est un rite de passage car par cette cérémonie, le frère de la mariée ainsi que sa famille confient la femme au mari. Le rappel de linterdit de linceste fraternel est fait par laccueil du mari dans sa belle-famille par le frère aîné de la mariée qui lui lave les pieds. La belle-famille fait le don de sa fille au marié et renonce à tout amour passionnel et tutelle sur elle. Une série de nouages de nuds au poignets des époux exprime la relation nouvelle dattachement entre eux.
Le dieu de lamour, Kàma, est invoqué. Lattachement du cordon aux poignets des époux concrétise la nécessité de maîtriser le kàma, cest-à-dire, le désir, la jouissance charnelle qui pourraient empêcher la réalisation de leur devoir dengendrer. Par ces nuds sexprime également le symbole que les deux époux sont désormais complémentaires ne formant quune seule personne.
Lhomme attache au cou de sa femme le tàli un collier en fils de coton safrané où est suspendu un pendentif en or qui ne sera désormais vu que par le mari et rompu seulement à la mort de celui-ci par un rite spécifique.
Le rite se termine par le détachement des cordons liés aux poignets des mariés et par le partage dune nourriture sanctifiée dont les époux se nourrissent mutuellement.
On procède à un autre rite pour protéger le couple du mauvais il, lunion est bénie par les parents et les divinités du temple sont remerciées.
1.3. Des rites de conjuration et de guérison
Il existe certaines situations où la transmission des pratiques rituelles a fait défaut, certains rites de conjuration sont alors nécessaires, tel que le marlé, ou des rites thérapeutiques permettant de rétablir la notion de don dans le sacrifice de soi, tels que le rite du cheveu maillé. Il existe des rites thérapeutiques chez les adultes où le corps est sacrifié dans la réalité, notamment le rite de la marche sur le feu ou celui du transperçage du corps par des vels
.
Le rituel du marlé
Le marlé en créole désigne, chez les Indiens hindous, le cordon ombilical enroulé autour du cou du nouveau né, on appelle en créole ce rituel tir marlé (enlève le cordon).
Lenfant qui naît avec le cordon ombilical autour du cou est soustrait au regard de loncle maternel jusquau rite du marlé qui a lieu au seizième jour après laccouchement.
" Cette naissance singulière est considérée comme mettant loncle en danger de mort et comme prédisposant lenfant à devenir bagarreur, violent, destructeur, insoumis par rapport aux règles et contraintes. On y voit par ailleurs le mécontentement de la déesse Pétiaye ou de son avatar qui nauraient pas été vénérés durant la grossesse et qui exigent alors que leur culte soit réintroduit dans la famille infidèle ou, pour le moins, négligente.
On ne peut alors quinterpréter le nud du cordon ombilical au cou de lenfant comme un nud non propice, héritage du kàma non maîtrisé de la mère durant sa grossesse. "
Lenfant né avec le cordon autour du cou est considéré comme le double de loncle maternel au lieu de celui du père, il se trouve en quelque sorte " désaffilié ".
Le rite qui est alors pratiqué vise à simuler une seconde naissance sous de bons auspices pour conjurer le destin de lenfant.
Après le rite et le bain purificateur du bébé, le père jette dans leau courante le collier de fleurs (le marlé) et les vêtements que lenfant portait avant le bain, le père présente ensuite le bébé au soleil et à loncle maternel qui le voit de face pour la première fois, il salue lenfant, lembrasse et lui remet un cadeau. Lenfant est " réaffilié ".
Le rite du cheveu maillé
Ce rite spécifique au cas où lenfant a les cheveux emmêlés se différencie du rite de la tonsure seulement par la démarche des parents. Les cheveux emmêlés de lenfant représentent des nuds non propices, ce phénomène est très redouté par la plupart des parents tamouls à La Réunion. Dans ce rite, les parents ne font pas don des cheveux à une divinité mais attendent que lancêtre les réclame par lintermédiaire dune divinité. En effet, les nuds des cheveux du bébé représentent une manipulation de la divinité adorée de lancêtre, un officiant est consulté pour déterminer sil sagit bien de lintervention dune divinité oubliée et la désigner si cest bien le cas. La désignation se fait à laide du calendrier astrologique ou de la technique divinatoire selon lofficiant consulté.
Par loffrande que lenfant fait de ses cheveux, lenfant obtient alors la protection de la divinité et celle de son ancêtre. A partir de ce moment, la famille perpétuera le culte de cette divinité, un culte oublié ou renié revient donc dans les pratiques familiales.
Ce rite est un rite thérapeutique, il permet de replacer le père exclu par le kàma non maîtrisé de la mère, il réintroduit lidée de la dette à lancêtre, du sacrifice de soi et de la fonction active du père. Comme nous le verrons plus loin, ce rite nest pas pratiqué exclusivement par les Tamouls.
La marche sur le feu
A La Réunion, les pénitents qui se soumettent à la marche sur le feu sont des hommes. Avant cette marche, les pénitents sont en période de carême, de purification, de méditation et dhumilité durant dix huit jours, pendant lesquels, ils doivent se détacher progressivement du monde matériel et profane pour entrer en communication avec la divinité. La cérémonie se déroule une fois par an, les pénitents qui vont marcher ont fait un vu qui doit rester secret, le rite implique donc lattente dun résultat tangible, la réalisation du vu. La finalité du rite consiste en ce que le pénitent traverse le brasier sans garder aucune trace de brûlure et sans simmoler.
Le rite commence à cinq heures, heure où les pénitents préparent le brasier avec un bois spécifique, ils partent ensuite en procession et reviennent au temple pour dix-sept heures pour éviter dix-huit heure qui est une heure néfaste. Selon le vu quils ont fait, les pénitents traversent une à trois fois le brasier, après chaque traversée, ils plongent leurs pieds dans une fosse remplie de lait. La marche se fait au rythme des tambours. Après la marche, on sacrifie un cabri et le groupe partage un dernier repas collectif, lespace du feu sacrificiel est fermé huit jours après la marche sur le feu par un rite de remerciement.
Le cavadee
Ce rite se déroule également une fois par an, il sagit là encore dun rite dont on attend un résultat concret. Les pénitents se transpercent le corps de vel, javelots de différentes tailles, ceux-ci sont investis du pouvoir magique de détruire le mal et les mauvais désirs.
Là encore,
" Ce sont des gens qui ont fait une " promesse " parce quils souffrent de conduites répétées déchec (ou les craignent), de troubles psychologiques qualifiés de " crises " (hystériques ou prépsychotiques), ou encore de fréquents troubles fonctionnels, qui résistent à la médecine moderne. "
La personne se fait transpercer, certaines parties du corps différentes selon le sexe, par des vel de petite ou moyenne taille fabriqués en or ou en argent, il peut y en avoir entre cent et mille.
Le pénitent est reclus pendant dix jours après avoir vécu une période de purification de huit jours, cependant les pénitents peuvent dormir chez eux mais seuls, et ils peuvent continuer à travailler à condition de respecter les prescriptions du carême.
La fin du rite, qui doit être fait aux heures fastes, est marquée par le retour de la divinité et de son vel dans le temple par deux pénitents ayant reçu un sacrement spécial, les autres pénitents les suivent formant ainsi une procession jusquau temple à laquelle viennent sajouter les personnes qui le désirent. Un rite de protection est pratiqué à lentrée du temple, ensuite chaque pénitent entre dans le temple, certains à genoux, et se fait retirer les vel du corps. Le rite se termine par une prière commune.
Les rites pratiqués à La Réunion ne sont pas les mêmes que ceux que pratiquent les Hindous en Inde, les swâmis arrivant dInde ne reconnaissent pas les pratiques de La Réunion comme des pratiques hindouistes pures. Prosper Eve cite le swâmi du temple de Saint-Paul :
" Il est ici une autre coutume qui consiste à organiser des samblanis à tout moment Ce ne sont que simagrées On étale des feuilles de manguier sur le sol, on égorge un cabri, on met des plats par terre. Mais est-ce que le mort participe à ces turpitudes ? Tout cela est inutile. La religion hindoue telle quelle est pratiquée à La Réunion nest pas authentique. "
Les rites hindous ont évolué, du fait du métissage de la culture réunionnaise, mais on peut également en observer certains qui sont pratiqués tels quils létaient il y a plusieurs générations en Inde. On sinterroge sur lorigine de certains rites à La Réunion, car quand ils rappellent un mythe, certains éléments peuvent provenir dun autre mythe en même temps.
1.4. Des rites funéraires
A la Réunion, les morts " font partie de la vie ", il existe une grande crainte des âmes des morts, surtout de celles de personnes qui ont connu une " mauvaise mort " - accident, suicide, mort violente . De nombreux rites, et notamment des rites funéraires, sont pratiqués pour permettre une bonne relation entre les vivants et les morts, et ce, quelque soit la communauté dappartenance.
Les rites funéraires chinois bouddhistes
Malgré la conversion au catholicisme dune bonne partie de la population chinoise, le culte des ancêtres est toujours respecté. Les sacrements catholiques sont parfois demandés par la famille et peuvent être considérés par certains comme un viol de la conscience du défunt.
Les familles métissées montrent un plus grand abandon des rites funéraires, du service des morts.
A la mort dun des époux, le rite de séparation par le symbole du peigne cassé est toujours pratiqué, de même que le rite de séparation du défunt davec ses biens consistant à lui mettre une pièce de monnaie sur la langue avant la fermeture du cercueil.
Au cimetière des offrandes sont faites au défunt pour quil ne parte pas démuni dans le monde des morts et un prêtre officiant apaise lâme du mort en bénissant la fosse et son cercueil.
A la sortie du cimetière, on rachète les péchés du défunt en offrant une pièce de monnaie en son nom à chaque assistant de la cérémonie. Un grand repas est ensuite servi à tous.
Le troisième jour après linhumation, le fils aîné prépare les mets préférés du défunt et va les déposer sur sa tombe avec dautres offrandes rituelles.
Le mort intègre la catégorie des défunts par son inscription au temple par les officiants.
La vénération des morts peut se faire deux fois par jour à lautel familial, ou être bimensuelle et se dérouler au temple.
A La Réunion, les Chinois christianisés demandent souvent des messes à léglise catholique pour accélérer la réincarnation de lâme. Certaines cérémonies à la pagode permettent de savoir ce dont le défunt a besoin dans lau-delà. Deux fêtes des morts sont célébrées par an, en février et en septembre, on y sacrifie une poule blanche, on prépare un repas quon offre sur la tombe, et un repas en commun met fin à la cérémonie.
La célébration de ces différentes cérémonies permettent de garantir la solidarité du groupe et de satisfaire les besoins des défunts. Ces rites sont encore présents à La Réunion, mais les jeunes semblent les abandonner de plus en plus.
Les rites funéraires malgaches
Certaines familles ayant des ancêtres malgaches continuent de pratiquer les rites qui leur ont été transmis par les générations précédentes. Quand, toutefois, ces rites ne sont plus respectés, on retrouve lascendance malgache dans les attitudes devant la vie et la mort.
Les rites de séparation qui témoignent de la peur des vivants de mécontenter les morts sont importants. Là encore, les sacrements de léglise catholique sont complémentaires des rites familiaux.
Trois cérémonies principales sont pratiquées par les familles ayant des ascendances malgaches. La cérémonie qui a lieu juste avant et après le dernier soupir du mourant est nommée à La Réunion Itanda Haroumbela, après le départ du prêtre un sacrifice de volaille noire ou dun buf, selon les moyens de la famille, est fait. Les larmes pouvant retarder lentrée de lâme du défunt dans lautre monde, on ne pleure pas. Une veillée est organisée lors de laquelle, la famille à lintérieur prie et prépare le mort et les invités à lextérieur jouent aux cartes ou aux dominos et racontent des histoires, ceci pour que le passage du défunt dans lautre monde ne lui paraisse pas désagréable et pour ne pas lui manquer de respect.
Lheure de lenterrement est fixé par un ombiasy. Des précautions sont prises pour que lâme du défunt nexerce pas une action maléfique sur les vivants.
La Cérémonie appelée Velasa se déroule après une période de marge qui peut être différente selon les familles, allant de huit jours à quarante jours ou encore neuf mois. Un buf est sacrifié, on sert un repas au défunt puis on prend un grand repas avec tous les invités. Cette cérémonie ne se pratique pas entre minuit et quatre heures, heures néfastes. Cette cérémonie sert à se protéger de certains morts et à sattirer la bienveillance des autres, elle peut donc être renouvelée plusieurs fois si la situation familiale de la famille le permet, à chaque jour anniversaire de la mort de lancêtre et obligatoirement le 1er ou 2 novembre selon la pleine lune. Après des circonstances spéciales comme un accident, un rêve, elle pourra être célébrer également.
Une autre cérémonie est pratiquée par certaines familles, comme le rappelle Prosper Eve, il sagit du Nacoualé qui a lieu dix huit mois après linhumation, ce rite permet de mettre un terme au deuil. Il sagit dune grande fête, le cycle habituel se déroule, messe, visite au cimetière, achat de denrées, préparation du repas, offrandes de nourriture au défunt, prières et invocation. Une salle verte est préparée où sont réunis les invités pendant que le défunt consomme ses offrandes dans la maison, quand on a constaté quil a bien mangé son repas, le deuil est terminé, la danse peut commencer. Le Kabar (danse) souvre on ne danse que du Maloya. Certains entrent en transe et peuvent communiquer avec lau-delà.
" Cette cérémonie permet aux vivants de sattirer les bonnes grâces des ancêtres pour affronter les difficultés de la vie, et pour maintenir entre vivants et disparus les meilleurs relations. "
Il semble que les rites malgaches et africains se soient interpénétrés à La Réunion, car les rites ne sont pas les mêmes quà Madagascar, de plus la christianisation a également modifié la conception de la mort.
Ces cérémonies sont souvent appelées Sèrvis malgas ou Sèrvis kabaré, mais certaines familles les désignent aussi par lexpression utilisée par les Indiens hindouistes, Samblani.
Des règles élémentaires sont à respecter, un carême est suivi par les organisateurs avant la cérémonie, Monsieur et Madame Baba, qui organisent une à deux fois par an des Sèrvis kabaré dans le sud de lIle, expliquent que quand les esprits se sont restaurés, la fête peut commencer,
" Ca i fé pas nimporte comment. Il faut nana lesprit su ou. Après, mi pren roulèr, a moin i fé la rouverture. "
La fête dure toute la nuit. Ces cérémonies permettent également aux participants de se rappeler leurs racines malgaches, comme le dit Madame Baba
" Mon zancêt lété malgas, mais après la mélanzé. Zot la fane la race. Ca i appelle le san mélanzé. Mais par le chant, par lesprit nana dann mon corps, mi koné moin lé malgas. "
Les rites funéraires malbars
Les rites funéraires des Indiens hindouistes à La Réunion comprennent des rites de séparation et des rites de levée des interdictions des règles de deuil.
Une cérémonie est organisée avant le départ du cercueil de la maison, même quand les funérailles se déroulent à léglise catholique, cette cérémonie marque la séparation entre les vivants et les morts.
Divers rites sont pratiqués au cimetière pour bénir la fosse et empêcher lâme du défunt de revenir chez elle. Dès le lendemain de lenterrement, des cérémonies sont célébrées où on montre au défunt quon lui pardonne ses mauvaises actions passées, ces rites permettent que son âme se réincarne le plus rapidement possible.
Une période dinterdit est respectée, au huitième jour a lieu le Alpou, cérémonie qui accentue la séparation.
Pendant un an et un jour, la famille ne peut plus offrir de Samblani, service des morts, et des interdits sont à respecter. Après cette période, on célèbre le tevson, qui lève le deuil, les prières ont suivies dun samblani végétarien et le lendemain dun autre mais composé de viande cette fois.
Chaque année, après trois jours de carême, un samblani a lieu pour nourrir les âmes des défunts qui peuvent encore errer et pour permettre aux vivants de rester unis et éviter une rupture après la perte dun maillon de la famille. On sert les plats favoris de chaque ancêtre.
De plus, un jour par an on pratique un jeûne complet, amarvasso-viroudom, pour porter un témoignage de respect et de reconnaissance envers les défunts.
Il est vrai que certains ont abandonné leurs pratiques, mais dautres ont adapté le message chrétien à leurs rites et croyances et ne les ont pas laissés se déculturer, les apports chrétiens sont considérés comme complémentaires pour être agréables aux ancêtres.
Etant donné limportance de ces différents rites funéraires, on peut comprendre que quand un Réunionnais est hospitalisé en fin de vie, la famille préfère le faire sortir pour lui permettre de mourir chez lui pouvoir pratiquer les rites de séparation correctement.
Section 2. Des pratiques magico-religieuses
Des rites et croyances sont communs aux Réunionnais quelque soit leur communauté dappartenance, il y a tout dabord, ce que Prosper Eve a appelé la religion populaire, mais aussi certains rites de protection, ou encore la sorcellerie.
2.1. La religion populaire
Le mélange des cultures a permis lélaboration de formes de syncrétisme qui relèvent de lidentité collective des Réunionnais. Se fera ici la découverte non seulement de création de saints Tibon dié la kour et la relation qui peut être entretenue avec certains morts.
Les tibon dié
Par ces cultes, dont seulement quelques uns seront cités ici, les Réunionnais montrent leur besoin dintercesseurs, de médiateurs entre eux et le divin. La création doratoires au bord de la route et parfois dans les églises est une réponse à un besoin collectif dêtre entendu par Dieu. On pratique le culte à des saints dimportation, tels que Saint-Expédit, par exemple, ou à des saints de fabrication locale, tels que le culte au Père Raimbault ou au Frère Scubilion par exemple. Ces Tibon dié servent à aider dans la maladie, à assister dans la peur de la mort.
Certains cultes à la Vierge sont très prégnants sur lIle, notamment, le culte à la Vierge Noire à la Rivière-des-Pluies. Limplantation de cette vierge aurait eu lieu au milieu du XIXème siècle, certains disent quelle était destinée à amener le peuple noir à la religion catholique, mais une légende raconte comment un jeune esclave enfui très pieux a été sauvé des chasseurs de Marrons par sa prière à une petite vierge débène, un bougainvilliers layant protégé. Cest à cet emplacement quon a installé la statue de la Vierge Noire.
La Vierge Noire peut tout, les pèlerins viennent chaque jour la vénérer, et certains jours de lannée font affluence, les 1er et 2 janvier, 15 août et 19 septembre, ces jours-là, des milliers de personnes viennent la prier. Elle garantit lemploi, protège la famille, elle est la mère protectrice, elle a aussi un pouvoir thérapeutique. Leau du ruisseau qui coule sous la paroi rocheuse sous la Vierge est considérée comme bénie, les pèlerins sy lavent certaines parties du corps, certains en rapportent chez eux pour les jours de maladie.
Le culte de Notre-Dame de la Salette à Saint-Leu est également très pratiqué, une chapelle sélève derrière léglise paroissiale pour montrer la reconnaissance de la population envers cette Vierge qui les a sauvé du choléra en 1859 ; ce sanctuaire est lui aussi un lieu de pèlerinage très fréquenté. Notre-Dame de la Salette est considéré par les Tamouls de lIle comme Marliemin, la Mère, le 19 septembre voit donc des pèlerins venir de toute lIle. Notre-Dame de la Salette est la mère guérisseuse.
On célèbre également Notre-Dame de la Délivrance le 24 septembre qui est mère guérisseuse et délivre de toutes les souffrances.
De nombreuses messes du Saint-Esprit sont célébrées pour apporter la lumière sur un situation, retrouver du travail, réconcilier une famille, le Saint-Esprit est protecteur et guérisseur, pour certains, il est le justicier, son culte peut dériver en demande de vengeance, des messes sont parfois demandées sur conseil dun sorcier. Cet aspect du culte du Saint-Esprit montre que dans la mentalité populaire, religion catholique et sorcellerie vont parfois de pair.
Le culte de Saint-Expédit connaît lui aussi ce passage vers la sorcellerie, ses chapelles fleurissent tout le long de la route, il a même parfois des autels dans les églises, tels que celui dans léglise de Notre-Dame de la Délivrance où les fidèles vont prier lun et lautre, Philippe Reignier, dans sa thèse danthropologie religieuse Saint-Expédit à La Réunion, monographies, dénombre 340 oratoires dédiés à ce saint. Les hypothèses sur son origine se multiplient, mais il semble que ce culte se soit implanté à La réunion au début du XXème siècle. LEglise a tenté de marquer un recul par rapport à ce culte mais na pas pu aller à lencontre de la mentalité populaire. Saint-Expédit est celui qui expédie les affaires courantes, il assure la guérison des malades, il est le protecteur, on lui construit parfois des petites chapelles dans la cour pour protéger la maison ; mais il est également le Saint Vengeur. Il est assimilé par les Malbars à Kàli, la nuit suprême qui dévore tout ce qui existe, au pouvoir de destruction sans limite, elle est aussi la félicité suprême qui soutient tous les vivants et les morts, Saint-Expédit ayant tous les attributs de Kàli est donc ambivalent ; il est parfois assimilé à Mardévirin qui fait régner le calme et la justice mais " qui résout les problèmes par le sang ".
Les intercesseurs
Appelés par Prosper Eve des " médiateurs ", ces personnages permettent à ceux qui leur vouent un culte dintercéder en leur faveur auprès de Dieu, la plupart sont des religieux de lIle. On trouve le culte du Père Léopold, du Père Boiteau, du Père Raimbault, du Père Martin, du Père Lafosse, ainsi que celui du Frère Scubilion. Ces Pères, vivants, étaient des conseillers écoutés, à leur mort, ils deviennent des intercesseurs auprès de Dieu.
Le Père Raimbault arrive à La Réunion en 1935, il est réputé pour sa bienveillance, sa générosité envers les plus humbles et les lépreux et sa connaissance des thérapies par les plantes, il meurt en 1949 ayant négligé sa santé pour soccuper de ses malades. Il est vénéré en tant que guérisseur, les fleurs cueillies sur sa tombe ont le pouvoir de guérir.
Le Frère Scubilion arrive en 1833 sur lIle, il est enseignant, il crée des classes du soir pour les esclaves, il était appelé de son vivant " le saint ", à sa mort en 1867, une grande procession de fidèles laccompagne au cimetière. Il est invoqué en vue dune guérison.
Un culte est pratiqué en lhonneur du Père Lafosse, ce prêtre a été mal apprécié de son vivant, il a pris une part importante aux journées révolutionnaires et a défendu les esclaves, il passe pour avoir été abolitionniste. Il arrive sur lIle en 1775, en 1790, labbé est élu maire de Saint-Louis, après 1798, il est exilé de la Colonie après avoir participé à une insurrection dans le Sud, il semble quil y revienne en 1802, et meurt en 1821 assassiné par un propriétaire. Son mausolée se trouve au cimetière du Gol à Saint-Louis. Le Père Lafosse est le seul intercesseur à qui lon offre des croix. Le culte est professé par les couches moyennes et défavorisées de la population, il était " le prêtre des pauvres ", seuls les Comoriens et les Indiens musulmans ny adhèrent pas. Le Père Lafosse est le confident de toutes les causes. Un tisaneur est venu sinstaller dans le cimetière et contribue à lentretien des tombes, il dit tenir ses dons du Père Lafosse qui lui aurait béni les doigts et " donner pour mission de prier et de guérir ceux qui viendraient à lui ", cet homme sest installé un cabinet de consultation dans le cimetière. La présence de ce tisaneur contribue à rendre le culte du Père Lafosse controversé alors quil était déjà très ambigu du fait de la personnalité du prêtre.
Le culte aux âmes du Purgatoire
Après labolition de lesclavage, lEglise développe le culte aux âmes du Purgatoire et propose des messes pour les défunts. Un système de quête est mis en place le jour de la fête des Morts pour financer ces messes, certains nayant pas les moyens de faire dire une messe pour leurs morts. Des associations des âmes du Purgatoire sont créées dans différentes paroisses, pour en faire partie, il faut verser une cotisation, ainsi les associés ont droit à leur mort à deux messes pour le repos de leur âme. Une Archiconfrérie est également créée à la fin du XIXème siècle.
En priant pour ces âmes, le vivant sattire leur intercession pour lavenir, une fois arrivées au Ciel, elles peuvent intercéder auprès de Dieu pour ceux qui ont prié pour elles, qui les ont délivrées du Purgatoire ; ce culte nest donc pas totalement désintéressé. Prosper Eve précise quen 1985,
" 70 à 90% des messes sont demandées à lintention des âmes du Purgatoire et des défunts, les premières représentant 20 à 30% "
Les âmes du Purgatoire sont invoquées pour résoudre des conflits, des problèmes, parfois pour une guérison, et la tendance est parfois de " confondre âme abandonnée et tombe abandonnée ".
2.2. Quelques rites de protection
Les âmes errantes
La croyance au Ciel, au Purgatoire et à lEnfer, nempêche pas de penser que les esprits des morts peuvent influer sur les vivants de façon bénéfique ou néfaste, cette conception de lâme commune à la population vient sans doute du métissage des cultures, lEglise nayant pas pu dans ses conversions empêcher les gens de conserver leurs croyances. Toute une catégorie dâmes, celles des suicidés, des accidentés ou de ceux ayant connu une mort violente, ne vont pas au Ciel, au Purgatoire ou en Enfer, de plus, certaines peuvent sévader de lEnfer et se réfugier sur terre dans des arbres spécifiques ; ces âmes sont appelées âmes errantes ou bèbètes. Ces mauvaises âmes peuvent envoûter les vivants et les rendre malades. Certains gestes, connus de la plupart des Réunionnais, permettent de se protéger de ces âmes : on jette une pierre, on les insulte très vulgairement, on fait le signe de croix, on se déshabille et remet ses vêtements à lenvers, pour les empêcher dentrer dans la maison, on place au-dessus du linteau de chaque entrée des feuilles de manguier ceci est surtout pratiqué par les familles dorigine indienne et a une double signification : la protection de la maison et la bienvenue aux invités .
Ces mauvais esprits peuplent lespace, ils agissent surtout à des heures spécifiques, midi, dix huit heures, minuit et toute la nuit, et à certaines périodes de lannée, la veille de la Toussaint et pendant la période de lAvent. Les sorciers qui manipulent les âmes des morts suspendent dailleurs leurs activités pendant ces périodes. Il faut également éviter de circuler la nuit pour ne pas déranger ces âmes.
De plus, le soir, ces âmes se rendent à léglise pour prier. Ainsi, les églises ne sont pas fréquentées par les vivants dès la tombée de la nuit.
On raconte que les pirates qui cachaient leur trésor du XVIIème au XIXème siècle sur lIle tuaient un jeune matelot pour que son âme garde le trésor déventuels voleurs, cette croyance a conduit certains chasseurs de trésors à kidnapper des enfants pour les offrir à lâme du gardien en sacrifice.
Ces peurs des âmes errantes qui agissent surtout la nuit est peut-être inconsciemment à lorigine de la peur que ressentent certains Réunionnais, et surtout les femmes, de la nuit ; en effet, certaines femmes refusent de conduire la nuit ou de rester seule dans une maison la nuit.
Les veillées
A la mort dune personne, on organise une veillée, comme il a été vu plus haut, les rites de ces veillées sont spécifiques à chaque communauté, cependant, cette veillée est commune à toute la population. Elle dure toute la nuit.
" vieux principes créoles qui font dune veillée mortuaire une étape importante de la vie de lindividu, avec ses règles, ses codes sans lesquels lâme ne saurait décemment passer dans lautre monde. "
Certains racontent que si lon na pas quitté la veillée avant minuit, il faut rester jusquau matin, lâme du défunt pouvant suivre celui qui part après minuit dautres disent quil ne faut pas partir entre 23h30 et 1h du matin .
Certains ne sy présentent quen ayant dans sa poche du gros sel et des morceaux de charbon afin de se protéger des mauvaises âmes, quand ils rentrent chez eux, ils doivent jeter derrière eux sans se retourner ces protections au moment de passer le seuil de leur porte.
Certains placent au travers de leur porte un balai avant de partir quils devront franchir pour rentrer, ainsi si une âme les a suivis, elle ne pourra pas entrer dans la maison.
Souvent, les femmes prient à lintérieur de la maison où a lieu la veillée et les hommes jouent aux cartes ou aux dominos, vers minuit, ils rejoignent les femmes.
Des rites permettent de protéger les enfants de lâme du défunt jusquà la mise en bière, ainsi dans certaines familles, on place un collier blanc autour du cou des enfants, des chats et des chiens de la maison pour éviter que lâme ne les possède.
Des précautions peuvent être prises pendant le passage dun convoi funèbre, les enfants ne doivent pas le regarder pour éviter que lâme se réfugie en eux, de plus il faut éviter de voir le convoi par lintermédiaire dun miroir ou dun reflet quelconque.
Les cheveux maillés
Comme il est précisé plus haut, ce rite est pratiqué par les Tamouls, mais, on remarque une adhérence de toute la population réunionnaise, quelque soit la communauté dappartenance de la famille.
Daprès Gérard Mouls, cette pratique a surtout cours dans les milieux populaires et pauvres de lIle et nécessite lintervention dun sorcier malbar, cependant, il semble que parfois ce rite soit pratiqué ailleurs que chez un sorcier, et notamment à lautel dune Vierge.
La famille qui constate le maillage des cheveux de son enfant va consulter un devineur qui détermine sil sagit dun maillage malgache ou malbar pour savoir devant quel sorcier il faut se présenter pour le démaillage.
Lemmêlement des cheveux de lenfant est interprété comme une attaque dun esprit malfaisant, les parents ne touchent donc pas aux touffes de cheveux emmêlées de leurs enfants jusquà la cérémonie qui permettra de les tondre selon des rites particuliers.
Les Créoles blancs catholiques font parfois procéder à la tonte par des Surs à lautel de la Vierge Noire.
Cette cérémonie doit toujours se dérouler près dune source ou dun point deau, car les cheveux y sont jetés et leau courante est purificatrice.
2.3. La sorcellerie
Le phénomène sorcier
La sorcellerie à La Réunion est utilisée dans un but thérapeutique et comme maintien déquilibre pour la société, mais elle peut être également utilisée à des fins de vengeance et pour faire le mal.
Le terme de " sorcier " sera utilisé au sens générique désignant toute personne qui effectue des pratiques magiques ou surnaturelles pour influencer les phénomènes naturels. Dans cette conception générale, le sorcier possède un don quil a appris à maîtriser au cours dune initiation qui est souvent une maladie, il peut aussi bien tir lo sor et retirer un sort, être un devinèr et prédire lavenir, être un tisanèr ou simple et préparer des thérapeutiques à base de plantes, il peut guérir des maladies physiques, ali y tir lo mal, ou psychique, ali y tir lespri, certains sont spécialisés dans une activité, dautres en font plusieurs. Quoiquil fasse, cest un être de pouvoir, il est craint et le sujet est tabou, pourtant les allusions sont fréquentes.
Le sorcier à La Réunion peut avoir différents noms, Sigidèr, Trétèr, Mazigador, Sorcié, Gratèr ti boi, devinèr.
Quelquun qui est envoûté est aranzé, amaré, on a fait un travail sur lui.
On peut opérer une sorte de classification des sorciers de lIle, le sorcier malbar, le sorcier malgache, ombiasy, le sorcier komor et le sorcier " blanc ", cette dernière dénomination nayant rien à voir avec la couleur de lofficiant. Une sorte de hiérarchie dans la peur et le respect quinspire le sorcier semble être faite par rapport à la puissance dont il fait preuve, les plus puissants et les plus redoutés sont les sorciers malgaches et komor, vient ensuite le sorcier malbar certains prêtres malbars sont également devinèr et enfin le sorcier " blanc ".
Les sorciers malbars agissent essentiellement sur lesprit, alors que la sorcellerie comorienne est surtout centrée sur le corps, de plus celle-ci est la seule confrérie qui comptent des femmes sorcières. Les sorcières comoriennes utilisent le bois pour lire lavenir et la technique des bains avec massage à base de diverses pommades végétales, la sexualité est également très utilisée de façon orale. Les sorciers comoriens ont la réputation de pouvoir tuer à distance, ce qui accentue la crainte quils procurent.
Les malades psychiques consultent en premier lieu le sorcier, bon nombre de cas de personnes hospitalisées en psychiatrie ont dabord vu un sorcier et sa thérapeutique nayant pas abouti, ils sont hospitalisés. Dautres fois, dans les cas de maladie somatique, cest après la consultation de tous les spécialistes possibles de la profession médicale qui na pas apporté de réponse ou de guérison, que le malade ou sa famille se dirige vers le sorcier, estimant que la maladie vient alors dun sort ou dun esprit.
La manipulation des morts et des âmes
La sorcellerie peut également être pratiquée par manipulation de certains morts très réputés dans lIle. Ainsi, les tombes de Sitarane dont une partie de lhistoire est retracée plus haut et de La Buse ancien pirate sont très souvent visitées la nuit et au matin, on peut y trouver des restes de bougies fondues, des cigarettes, des bouteilles de rhum, ou du sang provenant de sacrifices.
On raconte quaprès son installation à Grands-Bois en 1993, une médium a pu voir Sitarane qui lui a demandé de libérer sa tombe de tous les maléfices qui lempêchaient de passer dans lau-delà en lui expliquant les rites à effectuer. Cette femme nétait pas réunionnaise et ne connaissait pas lhistoire de Sitarane, elle a détruit les maléfices et fait savoir que les services sur cette tombe étaient désormais sans effet. Un culte à Sitarane est effectivement pratiqué, la presse lors du procès de " laffaire des buveurs de sang de Saint-Pierre " en 1910 a beaucoup contribué à faire de ce personnage un être maléfique puisquelle le présentait comme un " monstre sauvage ". Pour certains, Sitarane représente un saint, pour dautres il personnifie le mal avec lequel on pratique la sorcellerie pour se venger, et pour dautres enfin, il représente la révolte de laliéné dans lequel ils se reconnaissent. Son culte est donc très ambigu.
La tombe de La Buse connaît elle aussi des manipulations. La Buse, Olivier Levasseur, forban du début du XVIIIème siècle, a été condamné à la peine de mort pour ne sêtre pas repenti, il a été pendu puis son corps a été exposé aux intempéries. La croix qui lui est attribuée à Saint-Paul est régulièrement lobjet de manipulations et de cérémonies, malgré quon ne sache pas sil a vraiment été enterré à cet endroit. Jules Bénard dans son ouvrage consacré à la vie de Sitarane, raconte comment au début du XXème siècle, Calendrin connu sous le nom de Saint-Ange Gardien avait voulu, sans succès, exhumer le crâne de La Buse au cimetière de Saint-Paul pour augmenter la puissance de ses sorts.
On raconte que des politiciens utilisent la sorcellerie lors des élections, Jules Bénard précise dailleurs que depuis que la médium a détruit les maléfices de la tombe de Sitarane :
" Cest curieusement à partir de cette date que nombre délus ou de chefs dentreprise locaux ont commencé à connaître leurs premiers déboires avec la justice. "
De plus, le 4 mai 2001, le Journal de lIle de La Réunion publie un article sur la découverte au cimetière de Bras-Panon dune photo de lancien maire de la commune transpercée de deux grandes aiguilles en forme de croix sur une tombe. Cette découverte a lieu presque deux mois après les élections municipales.
Quelques pratiques courantes
Certaines pratiques sont couramment observées, elles peuvent être classées selon certains dans la sorcellerie ou le guérissage.
Une personne malade peut préparer une tisane, après sêtre lavée avec cette préparation, elle met les plantes de la décoction dans une bouteille et va la cacher sous une roche ; cette personne est alors guérie quand une autre trouve la bouteille et la débouche. Jacques Bersez , dans son ouvrage sur les remèdes et pratiques à La Réunion raconte comment après avoir touché une de ces bouteilles par curiosité, il a dû pour rejoindre ses amis se laver avec du gros sel pour être purifié.
Parfois encore, quand les médecins ne parviennent pas à guérir une personne, celle-ci peut aller voir un sorcier qui lui prépare une tisane, après le bain, le sorcier réunit dans un sachet la décoction accompagnée dautres produits quil place à une croisée de routes, dans le temps, il les déposait dans des tentes en osier ou dans des vans, aujourdhui, il sagit de sachets de supermarchés. La personne qui marche sur ce sachet récupère la maladie et celle qui a pris le bain est guérie.
Ces sachets à la croisée peuvent parfois également être un sacrifice pour mettre un sort sur quelquun. Lorsque les gens passent et voient ces sachets, ils ne savent pas ce quils contiennent, ni sil sagit dun sort ou dune maladie, le fait est que le plus souvent, ils les évitent en faisant un écart avec leur voiture. Il est impressionnant de voir un car scolaire rempli denfants sécarter sur la route pour éviter ce sachet. Ce genre de sachet est régulièrement déposé à une croisée, on le découvre au milieu du chemin au lever du jour. Avec le temps et les intempéries, il se perce, souvent, on peut voir des petites pièces de monnaie incrustées dans le sol, il est bien connu quil ne faut pas les ramasser.
Une personne qui touche à quoique ce soit qui vient de ce sachet risque dêtre malade. Une anecdote peut être intéressante à ce sujet, un vacancier trouvant quun sachet sur la route " faisait sale " a décider de le ramasser après avoir été prévenu plusieurs fois quil ne fallait pas y toucher. Les personnes présentes le voient faire et lui disent de reposer ce sachet où il était, commence alors une aspersion de gros sel sur cet homme, tout le monde panique, après cette " purification ", il peut finalement pénétré dans la maison. Tout semble réglé puisquil a été " lavé ", pourtant le lendemain, il est malade, manque de sévanouir, vomit jusquà labsorption dune tisane. On peut se demander si ce malaise vient du fait quil a touché le sachet ou de la panique et langoisse qui lont gagné par la suite, puisquil avait été " passé au gros sel " comme lusage le veut. La question restera entière.
La Réunion connaît donc des pratiques et croyances culturelles propres, qui montrent un aspect des effets de la multiculturalité et qui participent avec dautres facteurs à façonner lidentité réunionnaise. Cest face à cette identité que se trouve linstitution judiciaire, il paraît important de tenir compte de ces aspects culturels pour comprendre le justiciable et ses raisons et rendre une Justice " juste ".
CHAPITRE II
LA JUSTICE FACE A DES PRATIQUES ET CROYANCES
Les différentes pratiques décrites et analyses au chapitre précédent peuvent être sources des conflits. Généralement, ces conflits sont réglés au sein des communautés qui les ont vus naître. Mais, il arrive aussi quils soient portés devant les tribunaux étatiques. A partir dune étude des cas concrets observés sur le terrain, nous allons montrer les limites de la Justice étatique face et au regard de ces réalités qui débordent les frontières institutionnelles et la logique cartésienne du juge métropolitain et/ou occidentalisé.
Section 1.: Analyse des cas
Les faits se produisent dans la nuit du 22 au 23 janvier 2001. Onze personnes sont placées en garde à vue, et neuf mises en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion et avec usage dune arme, et pour omission volontaire de porter secours. Une est placée en détention préventive.
Les faits tirés des auditions sont les suivants : A. âgé de 33 ans est trouvé mort par les gendarmes le matin du 23 janvier, il est allongé sur le sol du salon pieds et mains liés dans le dos, les gendarmes ayant été appelés par la famille de A après la constatation de sa mort.
Une des surs du défunt a décidé de prévenir les gendarmes, pensant que A ne pouvait plus être sauvé, dans la panique, elle na pas téléphoné à un médecin. Avant larrivée des gendarmes, elle a persuadé les autres personnes présentes de mentir et tous se sont mis daccord sur une version des faits. A. a battu G. (sa sur) lui disant quelle avait le démon, ses frères, surs et beaux-frères sont arrivés et ont attrapé A. pour le calmer, ils lont attaché et battu, il est mort.
Les PV des gendarmes sur les lieux disent que A " A été pris dune violente crise de démence obligeant la famille à le ligoter et le frapper. " Les gendarmes constatent la présence de différents objets : carrés de camphre, une bouteille contenant un liquide non identifié, feuilles et branches de Piodène, tous les miroirs et les fenêtres sont recouverts dun produit semblant être de la cendre, traces de brûlures sur les portes, les volets se recouverts de suie, feuilles séchées aux ouvertures
Pendant les auditions lors de la garde à vue, les différentes versions ne correspondent pas vraiment entre elles. Les gendarmes auditionnent les personnes de nombreuses fois.
On constate quau moment de ces auditions, certains gendarmes posent des questions aux prévenus concernant des pratiques liées à la religion par rapport aux différents éléments qui ont été observés à larrivée sur les lieux. Lors des premières auditions, les différents interrogés répondent quils ne connaissent pas la signification de larbre dont les branches ont été coupées, quils ne savent pas ce que signifie leau safranée dans la religion tamoule, quils ne croient pas aux démons dans la famille. Ils disent que A. était parfois violent à cause de lalcool mais quen général, il cassait tout dans la maison et ne sen prenait pas aux personnes lautopsie révélera que A. navait pas dalcool dans le sang .
Parmi les interrogés, certains disent dès la première audition quils voulaient " faire une affaire tamoule " à A pour chasser le mauvais esprit qui se trouvait en lui.
La famille a peut-être décidé de mentir pour ne pas aborder laspect de cérémonie dexorcisme. Peur de ne pas être compris, de ne pas être crus ? Peut-être ne voulaient-ils pas en parler à des étrangers à la famille ?
Aux vues des différents interrogatoires, les faits semblent être les suivants : la famille sest réunie chez la mère, ce qui était prévu depuis plusieurs jours, pour exorciser la maison possédée par les satans.
M.-C. explique que V., une des surs de A., a le don depuis que son père défunt lui a transmis par rêve et que A. pratiquait la religion tamoule, il avait " un arbre de croyances " dans la cour, mais ne faisait pas le cavadee, ni la marche sur le feu.
Depuis une semaine, V. aurait transmis le don à A. et M.-C., son frère et sa sur.
Ils se sont donc réunis chez la mère. Après la bénédiction de la maison par V. et le repas, les filles dune des surs ont eu un comportement bizarre, elles " avaient le satan en elles ", V. les a exorciser avec imposition des mains et prières. Plus tard, A. dit que G. est possédée, il veut lexorciser en la battant à coups de branches de piodène, il devient comme fou, il est possédé, le visage gonflé, les yeux exorbités, il crie quil doit tuer quelquun pour chasser les démons de la maison.
Toutes les personnes présentes sauf la mère, une sur et G. lattrapent, certains le tiennent, dautres frappent avec des branches de piodène ; ils lattachent et le laissent hurler. Plus tard, une sur vient le voir, il est mort. Ils le laissent attaché et appellent la gendarmerie.
Remarquons que les auditions diffèrent sur le fait quils étaient tous là pour exorciser la maison, sur qui a frappé, qui a tenu, sur le déroulement des faits, le temps des coups, lheure darrivée de chacun à la maison de la mère. Certains parlent du don de A., dautres non. Certains reconnaissent le don de V. qui est la seule à être gardée en détention préventive et qui a semble-t-il mené le déroulement de la cérémonie. En ce qui concerne le don de M.-C., celle-ci dit ne pas en avoir.
Il est précisé à la fin de chaque audition que celle-ci a été faite en français, langue que le prévenu reconnaît comprendre. En lisant ces auditions, on saperçoit rapidement quels sont les policiers créoles et lesquels sont zoreys. On voit que les personnes interrogées sexprimaient en créole, les policiers créoles traduisent en français, les policiers zoreys traduisent en mot à mot et il peut y avoir des contresens, décelables à la lecture. Il aurait fallu une transcription en créole dabord, puis une traduction en français pour éviter ces contresens.
On remarque également que certains officiers de police judiciaire posent des questions concernant la religion, les pratiques religieuses du défunt ou des membres de la famille, dautres nabordent pas du tout la question, malgré tous les indices laissés dans la maison qui pourraient faire penser à une cérémonie.
Toutes les personnes interrogées disent quelles ne voulaient pas tuer A., quelles nont pas frapper fort, quil na pas pu mourir des coups, que le démon est parti et a emmené A. avec lui. Elles disent quelles voulaient juste aider A.
Des expertises sont demandées auprès de psychiatres et psychologues pour enquête de personnalité, les questions posées à lexpert sont :
- Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?
- Le sujet est-il curable ou réadaptable ?
- Le sujet est-il atteint au moment des faits dun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement, aboli ou entravé le contrôle de ses actes ?
Le juge dinstruction est changé après la mutation du premier, un nouveau reprend laffaire, celui-ci demande également une expertise pour chaque personne mise en examen à un psychologue avec lequel il a lhabitude de travailler. La mission de cet expert étant de :
Dans lordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention pour le placement en détention provisoire, il est précisé quil sagissait dun exorcisme
" Attendu que le risque de réitération existe dans la mesure où ces coups ont été portés dans le cadre dun exorcisme. "
Tous les auditionnés sont placés sous contrôle judiciaire, excepté V., la sur de A., qui est placée en détention provisoire, là il est dit
" Sagissant de violences volontaires commises par plusieurs personnes de la même famille sur un des frères soi-disant pour lexorciser [ ] quil y a lieu déviter le renouvellement des faits, les pratiques dexorcisme étant pratiquées notamment par lintéressé qui dirigeait les opérations. "
V. reconnaît avoir pratiqué la séance de désenvoûtement selon les rites pratiqués par la famille L.
Le juge des libertés parle de procédure dexorcisme pour certaines personnes mais pas dans tous les dossiers de cette affaire. Pourquoi ?
Ici, il est intéressant de remarquer que la personne qui a dirigé la séance dexorcisme dit avoir eu son don par un rêve, mais il ny a pas eu véritable initiation, il peut parfois y avoir des dérives dans les croyances. Un don de guérisseuse ou dexorciste se paye, on ne sinstitue pas guérisseuse, il faut quil y ait transmission.
Souvent, les guérisseurs souffrent énormément, pendant des années, avant de savoir quils ont le don.
1.2. AFFAIRE R.
Au milieu des années 1990, une femme est emmenée chez une guérisseuse, après une séance dexorcisme, elle meurt. Les personnes présentes, le père (72 ans), le mari, des surs, la guérisseuse sont inculpées devant la Cour dAssises. La guérisseuse est condamnée à 3 ans prison dont 18 mois fermes ; le père à 18 mois de prison ferme, le mari également.
Lhistoire se présente ainsi : un père partage ses biens entre ses enfants, le partage de la terre se passe mal. Un des fils est mécontent, il se bat avec son beau-frère qui gagne la bagarre. Linsatisfait part en menaçant lautre de le faire payer. Le temps passe, les deux familles ne se fréquentent plus.
Au bout dun certain temps, le comportement de la sur du mécontent, que nous appellerons A., change de comportement, elle est prostrée puis agitée, elle fait des chutes, des crises dépilepsie, perd connaissance, la nuit elle a des visions denfants et de gens qui lappellent, la journée, elle entend des bruits que personne dautre nentend. Un jour, elle manque détrangler son fils de quatre ans. Toute la famille se relaie pour la veiller la nuit.
Le médecin de famille est dabord consulté, il napporte aucune réponse et la situation saggrave. La famille consulte alors le prêtre malbar la famille est malbare qui évoque une possession accidentelle. Des âmes errantes sont abritées par des arbres ou des lieux où serait passée la femme possédée ; le mari coupe le manguier de la cour. Les choses ne sarrangent pas, on fait alors appel à un devinèr qui évoque la malveillance, on recherche un objet maléfique, le prêtre purifie la maison et le terrain, rien ne change. Le prêtre donne à la femme une protection quelle doit porter en permanence autour du cou, là encore en vain.
On se souvient alors des paroles du frère : " Tu paieras ! ", et pense à une attaque sorcière. Il faut donc faire appel à une personne qui pourra tirer le sort. La famille sest rapprochée dans les différentes démarches déjà effectuées, la solidarité familiale est très forte, pour aller voir une guérisseuse, il faut laval du père, celui-ci ne sy oppose pas.
Après avoir confirmé le diagnostic dattaque sorcière par différents signes, la guérisseuse, madame R. commence le travail. Elle utilise des baguettes de rotin pour frapper lesprit, la famille tient la femme, avec ces baguettes, seul lesprit est frappé, à force de coups il doit quitter le corps quil possède, la femme possédée, elle, ne ressent pas les coups.
Après une première séance, la femme passe une nuit tranquille, le lendemain, on lemmène chez la guérisseuse, là, un dialogue sinstalle entre madame R. et lesprit, il reposait au cimetière quand quelquun est venu le réveiller, madame R. en déduit quil sagit de lâme dun pendu. On parle alors à la guérisseuse des soupçons de sorcellerie qui pèsent sur le frère mécontent du partage de la terre, à ce moment, lesprit crie " Cest payé, tout sest compris ! " - la voix qui parle nest pas celle de madame D. " Cest trop tard. Cest trop tard. Arrêtes ! ". La guérisseuse pense avoir gagné et fait partir lesprit, pour vérifier, elle teste lesprit les esprits sont réputés menteurs avec des objets dont le sens ne peut pas échapper à la patiente, si lesprit nest pas parti, il devrait réagir. Madame R. décide de faire une pause et de reprendre la séance plus tard à une heure plus favorable. Ils reprennent donc plus tard, là lesprit se manifeste dès les premiers encens brûlés, on maintient la possédée, la guérisseuse la frappe avec des baguettes de rotin. Au bout de 2h30 de ce traitement, la séance est interrompue pour faire une pause, madame D. est calme, allongée, elle semble dormir. Au retour des officiants, elle est morte.
On remarque donc quà partir du moment où le mal ne cède pas aux remèdes et aux objets profanes, la famille se tourne vers la tradition. Dabord du côté communautaire, puis sans doute du fait de la créolisation de la famille, on va consulté en dehors de la communauté et on fait appel à une guérisseuse qui a une pratique malgache cette femme a des origines indiennes, malgaches et créoles, elle respecte les tabous alimentaires de ses différents ancêtres . La consultation de la guérisseuse se fait sur décision familiale avec autorisation du père. Tout, pendant les séances, se déroule daprès des codes culturels que chacun des participants reconnaît : les objets utilisés, les réactions, tout relève de codes culturels.
Pour madame R., la possédée. na pas pu mourir sous les coups de rotin puisque seul lesprit souffrait de ces coups ; elle pense que madame D. est morte parce quil navait pas été fait ce quil fallait quand il en était encore temps :
" Quand quelquun fait une méchanceté, quil cherche le mal, il donne toujours un délai, quinze jours un mois, où la personne envoûtée a le temps de faire ce quil y a à faire pour conjurer le sort ou réparer ce qui lui est demandé. Pendant ce temps, lesprit ne quitte pas le malade. Passé le délai, il va rester et lenvoûté va mourir. "
En aucun cas, la guérisseuse ne sestime responsable de la mort de madame D. et la famille ne laccuse pas non plus. Pour tous, la cause de la mort est évidente, ils comprennent maintenant le sens des paroles " il est trop tard ", en fait le délai était déjà passé quand la famille a consulté madame R., celle-ci ne pouvait plus rien faire.
Madame R. pense que cest le frère de madame D. qui est à lorigine du sort, il aurait envoyé lesprit sur le mari avec qui il sétait battu mais celui-ci était protégé par " son tempérament fort " et lesprit sen est pris à la femme réputée plus faible dans la famille. Le motif de cette attaque sorcière serait la jalousie à la suite du partage des terres.
Pour Jacques Brandibas, la rencontre de la possédée, la guérisseuse et la famille permet un équilibre, la patiente pouvant exprimer ses émotions et le groupe se trouve plus solidaire grâce à la capacité de liaison de la guérisseuse.
" Dans ce registre, au delà de laveuglement dont chacun a pu faire preuve et qui a été condamné par la Loi, la mort de la victime ne signifie-t-elle pas le caractère définitif de la décomposition du groupe familial ? "
Effectivement, le groupe familial était déjà déchiré par le partage de la terre qui avait causé la rupture, la mort de madame D. aboutit à la rupture définitive.
Cet accord sur létiologie sorcière permet tout de même la solidarité dans la famille qui a participé aux différents recours pour aider madame D., et entre la famille et la guérisseuse, sunissant par les codes culturels ; cette solidarité reste intacte malgré la mort de madame D. et le fait que la justice soit saisie.
1.3. La position du juge
Dans le cas de laffaire R., lintervention de la justice se fait après que le médecin refuse de signer le permis dinhumer. La justice est saisie apparemment par le frère supposé jaloux . Lautopsie révèle une mort par asphyxie, la langue de madame D. sest retournée pendant une crise dépilepsie. Après les interrogatoires des proches, les gendarmes établissent que la mort est survenue au cours dune séance de guérissage. Le juge dinstruction met en examen tous ceux qui étaient présents et met en détention le père, le mari et la guérisseuse.
Le chef daccusation est délicat a déterminer, la femme nest pas morte sous les coups, mais une demi-heure après la fin des coups de baguettes de rotin, elle est morte asphyxiée. Les participants sont alors accusés de transport de cadavre puisque le médecin quils avaient appelé leur a conseillé de ramener le corps à leur domicile, et de non assistance à personne en danger.
Le juge apparaît là pour rétablir lordre après la mort de la victime. Linstitution et ses représentants sont là pour veiller au respect des lois qui permettent le maintien de lordre social. Mais, dans cette affaire, il a été délicat de déterminer quelle loi avait été violée. Les qualifications peuvent apparaître comme des solutions de substitution parce quil faut bien qualifier pour poursuivre et juger. Le juge essaye de faire correspondre la qualification à lexpression de la loi.
Cependant, dans la société réunionnaise, les croyances et les pratiques qui y sont liées permettent cet équilibre de lordre social, elles régulent la vie et lordre. La non observance de certains rites peuvent même bouleverser léquilibre en provoquant une fragilité. Les guérisseurs comme madame R. par exemple, participent à la régulation sociale, ils sont comme des représentants de la société face aux bèbètes.
Le juge demande une expertise psychologique, lexpert lui rend un texte qui désigne laccusé en termes médico-psychologiques, la notion dinvisible disparaît alors, le juge est sans doute plus à laise avec des descriptions scientifiques telles que légocentricité, limmaturité, limpulsivité, lanti-sociabilité, la névrose, ces termes parlent plus aux représentants de linstitution judiciaire. Lexorcisme ou des pratiques de guérissage ou de sorcellerie ne cadrent pas avec lesprit cartésien qui caractérise linstitution. Noublions pas quà La Réunion, les juges sont en général métropolitains, souvent lors dun procès dAssises il y a trois juges métropolitains, lavocat général, lui aussi métropolitain, un accusé très souvent créole, son avocat également, les experts sont souvent métropolitains eux aussi, les jurés sont majoritairement créoles.
Les juges naiment sans doute pas trop aborder les choses sous langle de linvisible car ils sen font une représentation un peu sauvage, et ont peur que cela influence le jugement du jury qui est composé de créoles. De plus, la justice " doit être rendue " et les invisibles ne peuvent pas être jugés, il faut un responsable du désordre. Cette notion de responsabilité est très importante pour la justice républicaine, comment faire quand on reconnaît laction de linvisible, de la sorcellerie, la personne possédée est envahie par un esprit, elle agit sous linfluence de celui-ci, elle ne peut pas être regardée comme responsable. Dans les règles que suit la justice, la personne est responsable de ses actes sauf si elle est folle, dans les cas de procès où interviennent linvisible, il est plus facile pour un juge de reconnaître lirresponsabilité dun homme pour folie que pour possession
En quelque sorte, la justice ne tient pas compte de la culture, les juges oublient le contexte culturel dans lequel ils exercent, pourtant, les individus agissent et réagissent en tant que membres de leur culture et non en tant que citoyens de la République. Cest la culture ou son absence qui fait réagir lhomme dune façon ou dune autre.
Peut-être la justice ne prend-elle pas assez en compte la force du groupe, de lenvironnement, car à La Réunion, les gens vivent avec le regard des autres, la crainte aussi de lautre, de lenvironnement. Le pendant de la culpabilité dans cette société nest pas la responsabilité mais la honte.
Il convient de préciser quil est exceptionnel que soit jugé un guérisseur, madame R. est une exception, les rites culturels permettent de maintenir lordre et évitent normalement que les situations deviennent dramatiques, mais comme à tout principe, il y a des exceptions, madame R. en est une. Les cas qui passent devant la justice sont souvent liées à lescroquerie ou au charlatanisme. Mais on rencontre également des cas de dérives, où pour des raisons invoquées de guérissage il y a violences sexuelles, daprès monsieur J. interrogé le 21 avril 2001, souvent ce nest pas la victime qui est consciente de cette dérive mais quelquun de son entourage. La justice intervient alors comme sanctionnatrice de la violence sexuelle, par cette action, elle permet de poser des repères à la société qui sait que le phénomène culturel ne doit pas servir de prétexte à des comportements anti-sociaux.
Laffaire L.Q. dexorcisme pratiqué par toute une famille est une sorte de dérive qui peut arriver quand il y a acculturation. Il reste des bribes de culture qui sont utilisées, mais quand il y a perte de culture, les rites et les gestes ne sont pas correctement exécutés, les rituels sont comme déconnectés de ce qui les fonde, on peut ainsi aboutir à des catastrophes, comme cette sur de A. qui semble sêtre improvisée guérisseuse et a dirigé la séance à laquelle toute la famille a participé. Un guérisseur paie un prix pour son don, prix qui passe entre autre par linitiation, bien souvent par une maladie, une souffrance, il y a transmission.
La perte des repères culturels dans des pratiques peut aboutir à une sorte de " sauvagerie " que la culture en régulant lordre social permet de contenir.
Le juge est ici positionné comme le représentant de lordre social, mais cet ordre est maintenu par dautres règles que celles que connaît le juge, on arrive donc à une sorte de superposition des moyens de régulation de lordre dans ce genre de cas. Or, il conviendrait darriver à une complémentarité pour éviter une incompréhension de part et dautre.
Section 2 : Pour une gestion plurale des conflits
Cette section se propose de montrer que la logique institutionnelle du droit étatique rencontre des limites et ne suffit pas pour permettre un bon fonctionnement de la justice et du droit à La Réunion, il convient alors de tenir compte du pluralisme juridique et de la pratique des acteurs pour aboutir à une meilleure régulation sociale. La prise en compte du pluralisme passera par le biais de la négociation.
2.1. Une complémentarité nécessaire entre la logique institutionnelle et la pratique des acteurs
La logique institutionnelle repose sur le droit positif, elle est fondée sur une idée dun fonctionnement du droit unilatéral, cependant, on observe un pluralisme culturel et juridique qui encore actuellement nest pas pris en compte à La Réunion. On assiste donc à une sorte de superposition de modes de régulation de lordre qui aboutit à une Justice comprise au sens de Justice étatique, institution judiciaire, et un mode régulation de lordre social, auquel, on la vu plus haut, participent la pratique des rites, la "pratique de sa culture".
En se référant uniquement aux institutions et aux règles du droit positifs pour réguler lordre social, on saperçoit quil ny a pas cohésion sociale derrière cette conception de la justice mais uniformisation et volonté dhomogénéisation qui espère effacer les différences. Le résultat de cette dénégation de laltérité entraîne le mécontentement des justiciables qui ne se reconnaissent pas dans linstitution et considère la Justice " injuste ". On veut imposer luniversalisme des règles judiciaires républicaines à un département qui se particularise par rapport à cette logique républicaine par le fonctionnement de sa société et son histoire. Comme le dit Etienne Le Roy,
" On transfert "clefs en main" des modèles institutionnels dont la logique est celle de luniversalisme des Droits occidentaux. "
Or le pluralisme ne peut se confondre avec cette vision unitariste de la justice daprès laquelle le droit est " essentiellement celui de lEtat moderne, tout comme le règlement des conflits est devenu un monopole des institutions étatiques. ", car il existe des modes non juridictionnels de résolution des conflits ou du moins de régulation de lordre social.
Pour obtenir un fonctionnement performant permettant la régulation de lordre social, il convient de trouver un moyen de faire correspondre la logique institutionnelle avec les besoins de ses utilisateurs que sont, dans ce cadre précis, les justiciables réunionnais. Il ne faut donc pas seulement tenir compte des textes, mais également comme le souligne Michel Alliot de " ce quen font les acteurs. ".
On le voit actuellement, le fonctionnement unique du droit unilatéral pose problème, le justiciable nest pas satisfait, il exprime son mécontentement par le passage à lacte, la violence. Sil y a violence, comme cest le cas sur lIle où la violence est très prégnante il suffit pour le constater douvrir le journal chaque jour cette violence est un signe que la justice est mal rendue .
Comme le propose Etienne Le Roy dans la recherche de " règles du jeu performantes ", il est nécessaire douvrir la logique institutionnelle à la fonctionnalité et interrompre lopposition de ces deux logiques.
" Ces formules de régulation, combinant universalité et particularités, auront pour caractéristiques dêtre générales et personnelles, contextuelles et séquentielles. Elles sapprocheront de ce quon appelle en anthropologie du Droit des "modèles de conduite et de comportements" que nous savons, par ailleurs, être à la base de la coutume. "
Il paraît en effet important de tenir compte des " particularités " réunionnaises, comme lunivers du visible et de linvisible de lIle, le mode de pensée et les croyances des Réunionnais, pour une meilleure régulation de lordre social. Cette prise en compte du pluralisme pourrait aider à aboutir à une harmonie dans les relations quentretiennent les Réunionnais avec la métropole et ses institutions. Comme le souligne Jean-Claude Bonnan, la violence ne disparaîtra jamais complètement
" Une société sans violence nest guère envisageable mais (elle) peut être circonscrite. "
mais la quête dune harmonie nest peut-être pas utopique.
Cette recherche dharmonie pourrait devenir un nouvel universalisme qui tiendrait compte de la richesse que peuvent apporter les différences. La double exigence de la démarche de lInstitut Interculturel de Montréal pourrait fonder cette recherche,
" le diatopisme dune part, comme partage de la culture de chaque autre avec lequel nous entrons en communication et le dialogisme qui est le dépassement des singularités pour un partage dexpériences qui soit commun à lensemble de ceux qui se veulent en dialogue. "
Pour aboutir à une complémentarité des modes de régulation de lordre social, il convient donc de quitter le champ unitariste de la justice étatique pour une prise en compte du pluralisme juridique par le biais de la négociation, la médiation, la conciliation, loralité de la procédure.
2.2. Vers une conciliation des besoins sociaux et de la logique institutionnelle par le biais de la négociation
La justice étatique reste dans le cadre légal, elle ne peut fixer que des repères. Il arrive que des conflits de voisinage soient confiés à certaines personnes de la société civile plutôt quà linstitution judiciaire, il y a alors une sorte de concurrence entre la justice étatique et la justice " informelle ", le dialogue entre les deux par le biais de la négociation dans le cadre de nouveaux forums placés sous la responsabilité de figures dautorité peut permettre leur complémentarité, et éventuellement aux Réunionnais de se reconnaître et davoir confiance en la Justice. Ce dialogue doit permettre à linstitution et la société de se comprendre en tenant compte de laltérité culturelle, nous parlerons de dialogue de cultures.
La notion de " droit des repères "
Le rôle du droit nest pas nécessairement dimposer, de sanctionner ou de diriger de façon unilatérale, il doit fixer des limites, des repères pour participer à le protection de la société.
Au sein du LAJP, Etienne Le Roy et Camille Kuyu ont travaillé sur cette notion de " droit des repères ", cest une notion encore floue qui doit être approfondie pour pouvoir être utilisée dans le cadre de situations de cultures, telles que celle qui nous intéresse à La Réunion.
En effet, le droit et linstitution judiciaire ne doivent pas être seulement répressifs et interdire, ils doivent donner des limites qui permettent la reproduction de la société. Il existe des situations qui relèvent de linformel mais qui participent de la société que linstitution ne peut pas interdire car elle interromprait ainsi la reproduction de la société.
La construction des maisons sans permis de construire est assez répandue sur lIle, pendant plusieurs mois, des hommes travaillent sur cette construction, une famille sy installe et la maison nest pas démolie, pourtant il ny avait pas de permis. Comme le soulignait monsieur J., ce phénomène relève dune participation commune qui fait avancer la société, le fait que finalement lélectricité est installé montre que labsence de permis de construire nest pas un problème considérable. Linstitution judiciaire ne peut pas ignorer cette pratique et pourtant les poursuites sont rares, il y a donc une sorte dentente tacite et linstitution ne réprime pas.
Lexpérience de lintermédiation culturelle
Lexpérience du tribunal pour enfants de Paris avec lintermédiation culturelle est un très bon exemple de ce qui peut se faire et de louverture possible de linstitution aux besoins des justiciables. On sest posé la question de savoir " Quen est-il de la différence culturelle pour ceux qui comparaissent devant le juge des enfants ? "
Lintérêt de cette intermédiation culturelle est de permettre au juge de mieux orienter son action par rapport aux données culturelles qui lui sont apportées par lintermédiateur culturel mandaté par le juge. Cette démarche favorise lintégration à la société française, elle permet également de concevoir le droit autrement que comme un système ordonné, imposé et clos.
Daprès Camille Kuyu, les intermédiateurs ont une fonction de " double traduction culturelle " :
" expliquer aux magistrats et aux éducateurs les cadres référenciels dans lesquels sinscrivent les pratiques sociales des mineurs et des familles dans le contexte de limmigration et, dautre part, traduire le rappel de la loi française dans des contextes culturels marqués par la prévalence de la pensée coutumière et communautariste. "
Dans son article, lauteur montre que la justice reste dans le cadre légal, certains aspects qui participent au règlement du conflit sont traités à part, en dehors du cadre institutionnel, sous les conseils des intermédiateurs. Ainsi, une jeune fille se fera désenvoûter pour permettre le rétablissement des liens familiaux et reviendra ensuite voir le juge des enfants pour régler le problème de sa garde. Ce désenvoûtement " symbolique pour les uns et réel pour les autres " est un préalable nécessaire au travail du juge qui naurait pas pu répondre à ce besoin des justiciables concernés. Ainsi, le juge na plus quà soccuper des aspects purement judiciaires de laffaire.
Dans leur ouvrage Lenfant sorcier africain entre ses deux juges, Martine de Maximy, Thierry Baranger et Hubert de Maximy permettent de comprendre ce quapporte cette intermédiation culturelle. Ainsi, ils proposent de " retravailler la nature même du droit ", de " retravailler la fonction de juger et la mission du juge " et enfin de " retravailler léthique du juge "
Cette expérience réalisée au Tribunal pour enfants de Paris est un bon exemple de ce qui peut être entrepris au niveau de la justice et la culture. Cette expérience pourrait sappliquer à La Réunion car elle permettrait détablir un dialogue entre linstitution et les justiciables On sait notamment que dans lexpérience parisienne il y a la possibilité dutiliser la langue maternelle dans lintermédiation, ce qui est fondamental par rapport à lidentité culturelle de la personne, ce point paraît intéressant à appliquer au cadre réunionnais car comme nous lavons vu, le problème de la langue se pose parfois. Maitre Rémi Boniface, avocat du barreau de Saint-Denis, se pose dailleurs la question de la nécessité dimposer lusage dans le prétoire dun langue unique.
Le dialogue interculturel est à envisager à La Réunion pour permettre de sortir dune certaine rigidité dont fait preuve linstitution, mais aussi ses représentants car un juge a affirmé lors de son interview quil était dans un département français et rend la justice comme dans nimporte quel département de la métropole, quil ne voit quelle différence il faudrait faire. Il ne tient nullement compte de la culture et des particularités réunionnaises et se contente de laide occasionnelle de son greffier pour éviter les contresens dans la communication.
De nouveaux forums de négociation sous la responsabilité de figures dautorité
Les trois attributs principaux de lautorité sont la légitimité, la compétence et la capacité à sécuriser les acteurs sociaux, une personne regroupant ces trois attributs serait une figure dautorité.
Dans sa thèse de Doctorat en Droit, Camille Kuyu définit la figure dautorité en se fondant sur les écrits de P. Bourdieu sur la légitimité de la personne basée sur une " reconnaissance institutionnalisée " ou non, dans le cadre de cette " reconnaissance non institutionnalisée " cest-à-dire ne comprenant pas de rites dinstitution, la légitimité est fondée sur les " compétences " de la personne ; ainsi que les écrits dEtienne Le Roy qui parle de personnes occupant une " position structurelle charnière dans la société "
Camille Kuyu démontre que le musicien zaïrois répond à ces deux conditions essentielles de " compétence musicale " et de " position charnière dans la société ", ce qui fait de lui une figure dautorité car il occupe une position intermédiaire entre " tradition " et " modernité " et entre les représentants du pouvoir politique et la masse populaire.
A La Réunion, certaines personnes sont des figures dautorité reconnues par la population mais pas forcément par linstitution, mais il existe également des espaces de parole, de négociation.
Ainsi, la kour servait de lieu de " palabre ", la cour est un espace caché, protégé où se négociaient les relations familiales et de voisinages et où certains conflits pouvaient être réglés par la parole. Aujourdhui le développement de lurbanisation, la construction des immeubles et léclatement des familles rend cette pratique désuète. Pourtant, dans le quartier du Chaudron, il semble que les habitants se soient solidarisés lors des émeutes de 1990 au niveau de lespace commun aux immeubles qui a pu remplacer la cour à ce moment-là, même si la violence na pas été évitée.
Des lieux de parole peuvent être mis en place par certains médias, par exemple, de nombreux réunionnais écoutent et téléphonent pour passer à lantenne de Radio Free-Dom, là, les gens parlent des sujets qui les marquent dans lactualité ou par rapport à des événements sociaux. Ils ont la parole, peuvent dire ce quils veulent, le plus souvent en créole, ils vont à une cabine téléphonique et la radio les rappelle, certains peuvent rester des heures en ligne puisquil y a dialogue avec dautres auditeurs. Dautres radios se rendant compte de limpact dun tel concept consacrent aussi des émissions à la parole des auditeurs, mais aucune ne le fait comme Radio Free-Dom.
Auparavant, il existait une Télé Free-Dom, cétait une télévision pirate dont les émetteurs ont été saisis par la justice, ce qui a provoqué, sans être certainement le seul déclencheur, les émeutes de février 1990. Cette violence soudaine a montré quon avait retiré quelque chose dimportant aux gens en supprimant cette télévision qui était la seule à pratiquer une réelle interactivité avec les téléspectateurs, cette saisie vécue comme une injustice à provoquer le passage à lacte.
Comme nous lavons vu plus haut, la pratique des rites et croyances participe à la régulation de lordre social, dans cette pratique, il y a souvent la rencontre des pratiquants au temple, à la mosquée ou à léglise. Ces lieux de culte, sont également des lieux de parole qui permettent aux présents de mettre à plat certains problèmes, den parler avec lofficiant, cela permet parfois de rétablir lordre menacé.
Au niveau des lieux de négociation reconnus par linstitution judiciaire, depuis peu, les maisons de justice se multiplient, elles permettent une proximité avec les justiciables. Les gens viennent consulter, prendre conseil, on y règle les problèmes de voisinage sans passer par les tribunaux.
On rencontre plusieurs figures dautorité sur lIle, chaque communauté religieuse ou "ethnique" se reconnaît dans une personne qui réunit les attributs de lautorité dune façon ou dune autre. LImam est une figure dautorité pour les musulmans, le prêtre pour les catholique, certains se tournent vers un sportif ou encore un chanteur.
Lexemple du prêtre malbar est caractéristique. En effet, il réunit les attributs de lautorité, sa légitimité vient de sa formation qui la conduit à devenir prêtre, il est reconnue par la communauté de son temple, il est respecté et écouté. Ses compétences sont reconnues et il a la capacité de sécuriser les gens qui viennent le consulter. De plus, le prêtre malbar occupe une " position charnière dans la société " puisquon vient le consulter pour décider par exemple de la date dun mariage, pour bénir la maison dans laquelle la famille va sinstaller, dans un cas de maladie étrange, mais aussi dans des cas de problèmes familiaux ou de voisinage. La sociabilité contemporaine malbar tourne autour de lui. Cependant, il nest une figure dautorité que pour la communauté tamoule, les Kafs, les Yabs, les Groblans, les Zarabs et les Chinois ne se tournent pas vers lui, ne se reconnaissent pas en lui.
Il est arrivé quun prêtre catholique soit reconnu figure dautorité par des personnes quelle que soit leur communauté dappartenance, il est vrai quexcepté les musulmans, pratiquement tous les Réunionnais sont catholiques. Les Hindouistes pratiquent la religion tamoule et la catholique, ils peuvent écouter le prêtre malbar et le prêtre catholique. Le Père Dijoux, décédé en 1988, était de ces figures dautorité, écouté et respecté par tous. Cétait un prêtre exorciste qui a consacrait sa vie aux autres, il recevait les gens, les écoutait, les soignait.
Certains chanteurs de Maloya, tels que Granmoun Lélé ou Firmin Viry, qui sont des Vieux, peuvent être des figures dautorité également du fait du respect quils inspirent. En cas de problèmes, certains vont les voir pour parler, pour écouter leurs conseils.
On trouve également des figures dautorité parmi les écrivains, les poètes qui militent pour la culture et la langue créole. Lassociation Ankraké, à Saint-Pierre, en réunit quelques-uns uns qui ont un projet dintermédiation auprès du tribunal de Saint-Pierre. Ce projet est en cours délaboration, il sagit daccompagner les justiciables, dêtre présent avec le justiciable face à linstitution.
Il convient de réfléchir à de nouveaux forums de négociation reconnus par linstitution et placés sous la responsabilité des figures dautorité locales. Ces forums permettraient un dialogue entre linstitution et les justiciables. Linstitution pourrait y apprendre à connaître les acteurs sociaux qui comparaissent devant elle, et les justiciables pourraient y reprendre confiance en la Justice.
Après lanalyse de deux cas différents dexorcisme passés devant linstitution, la position du juge dans la confrontation à la culture a pu être abordée. Nous avons pu observer que sa position reste assez rigide du fait de la logique cartésienne et unitaire qui lanime.
Pour permettre une gestion plurale des conflits, il convient de reconnaître la complémentarité des pluralismes judiciaire et culturel et cette complémentarité ne pourra être appréciée que par le biais de la négociation qui pourrait avoir lieu dans de nouveaux forums de rencontre.
CONCLUSION
Il existe à La Réunion un pluralisme de fait mais qui nest pas institutionellement reconnu. On se trouve alors confronté à une sorte de mode de régulation de lordre social parallèle au mode de régulation étatique quest linstitution. Limportant pour aboutir à lharmonie est daller vers une complémentarité et de reconnaître le pluralisme judiciaire, cest-à-dire la coexistence de plusieurs modes de règlement des conflits.
Aujourdhui, lEtat doit tenir compte, dans sa façon de dire et de rendre le droit, de lunivers, du mode de pensée, des croyances et de tout ce qui compose la réalité réunionnaise. Le mélange est une des caractéristiques de la société à La Réunion, ainsi comme le dit Jean Tounkara, " il faut trouver le moyen quau métissage biologique corresponde un métissage juridique ".
Si lEtat doit intervenir dans la quête pour la reconnaissance de la complémentarité entre la logique institutionnelle et la pratique des acteurs, ce ne devra être quen fixant des repères et en acceptant le pluralisme.
Cette rencontre de linstitution et de la culture peut se faire par le biais de la négociation, du dialogue. Pour cela, le manque constitutionnel de souplesse de linstitution judiciaire doit être comblé. Daprès Maître Rémi Boniface,
" à force de manier les outils rigides que constituent les lois, le mode même de fonctionnement du juge tend à la rigidité. ",
cest justement sur cette rigidité quil faut travailler, louverture doit être le but recherché.
Le problème qui se pose à La Réunion, en ce qui concerne la représentation quont les justiciables de linstitution, est à la fois conceptuel et historique. La pensée réunionnaise et la pensée métropolitaine conçoivent différemment le droit et la justice, et lhistoire judiciaire réunionnaise a influencé la conception des justiciables de manière péjorative pour aboutir à une perte de confiance en linstitution.
Linstitution judiciaire est en pleine crise en métropole comme le soulignaient R. Boure et P. Mignard dans les années 1970 dans leur ouvrage La crise de linstitution judiciaire, la justice des mineurs à Paris essaye de sortir de cette crise avec lintermédiation culturelle ; la crise touche également La Réunion et une ouverture avec la prise en compte de la culture réunionnaise et du contexte particulier de lIle pourrait permettre de sortir de cette crise.
Comme le dit Augusti Nicolau Coll,
" Si le dialogue a lieu, on assistera bien sûr à un enrichissement mutuel entre les différentes cultures communautaires qui les transformera toutes, sans pour autant être en mesure de prévoir quels chemins ces transformations prendront. Cest dans cette orientation de dialogue que se situe le défi du pluralisme culturel et non à travers lintégration dans un cadre légal et rationnel. "
Le plus important est le lien social, lévolution que devra suivre linstitution judiciaire devra sintéresser avant tout au maintien du lien social, la solution nest donc pas dans la répression aveugle. " Louverture desprit " de linstitution passera alors par la prise en compte du pluralisme qui caractérise la société réunionnaise.
Le dialogue qui peut se faire entre linstitution judiciaire et la pratique des acteurs est nécessaire, mais il serait bon quil sétende également à un dialogue intercommunautaire réel, car lavenir de La Réunion nest pas dans le clivage des communautés culturelles et sociales mais dans une rencontre qui, pour le moment est ébauchée mais pas encore vécue pleinement dans le bien-être.
Nous reprendrons ici limage du prisme que Christoph Eberhard a utilisé pour son étude sur le Droit et lexcision, car létude des relations quentretiennent linstitution judiciaire et les croyances et pratiques réunionnaises nous a servi de prisme, en nous permettant daborder le fonctionnement de la justice et de la représentation que peuvent en avoir les Réunionnais. Cette étude permet également de toucher au problème délicat des relations entre la métropole et les Domiens qui passe notamment par la relation des usagers aux institutions.
Le but recherché dune ouverture de linstitution aux réalités du contexte dans lequel elle dit le droit doit aller vers une quête de lharmonie.
Cette harmonie entre linstitution judiciaire et les justiciables ne semble pas utopique, léquilibre permet de pallier le désordre et aboutit à la régulation sociale. Il est important pour la paix sociale que les justiciables réunionnais se sentent en confiance avec les institutions et se les approprient, pour participer à cela, linstitution doit souvrir aux réalités des acteurs. Ce premier pas auprès de linstitution judiciaire pourrait se propager aux autres institutions et représentations de lEtat à La Réunion et permettre une meilleure prise en compte de la citoyenneté par les Réunionnais.
ANNEXES
CHANSON DU GROUPE OUSANOUSAVA
LA LOI
Zordi mi vivdanmin péi, pareylé pli fasil si ou lé bandi
Lé ga y kas, y vol, y détrui personn y trouv pa ryin po di ! !
E si ou rod po défend a ou
E si ou rod po protèz outvi
Saspé la loi y sa aplik a ou
Saspé sé ou sora pini
Néna dé foi ou la dmandé si la loi y plan pa !
Koméla pi bezoin ou lé in boug y ravaz po tomb dann malizé,
Bitsi in movèz kompani
Minm si ou lé trankil outkaz, y pé trouvinn po ni ravaz out famy
E si ou rod po défend a ou
E si ou rod po protèz out vi
Saspé la loi y sa aplik a ou
Saspé sé ou sora pini
Néna dé foi ou la dmandé si la loi y plan pa !
Lé vré dé foi la loi y gain-ÿ kol dé troi, y di a ou inkièt pi sa okip zot ka
Mé souvan lo zozo lé tro gro, la zistis y gain-ÿ pa jij a li tout suit
Y roport, y amiz, y ral dérièr
Ou byin y larg a li
Tout fason po pa fé la zol
Li pey son kosyon sé ryin po li !
Néna dé foi ou la dmandé si la loi y plan pa !
Néna boug la loi la fini bloké : Bokassa, Papon, Klaus Barbie, Pinochet
Krim zot la fé y gain-ÿ pi kalkilé, do moun par paké zot la fé tié, tortiré
Soman y di a ou zot jijman lé en atent
Zot lé tro malad, tro vié !
Po sertin y trouv sirkonstans aténuant,
Y di a ou kan té ti zot té fé pitié ! ! !
Néna dé foi ou la dmandé si la loi y plan pa !
Je vis dans un pays où aujourdhui cest plus facile quand tu es un bandit
Il y en a qui cassent, volent, détruisent personne ne leur dit rien ! !
Et si tu cherches à te défendre
Et si tu cherches à protéger ta vie
Il est possible que la loi sapplique à toi
Il est possible que ce soit toi qui sera puni
Il y a des fois tu demandes si la loi ne plane pas !
Maintenant, ce nest plus la peine que tu sois quelquun qui ravage pour tomber dans les ennuis,
Tomber sur une mauvaise compagnie
Même quand tu es tranquille chez toi, il peut y avoir quelquun pour faire du mal à ta famille
Et si tu cherches à te défendre
Et si tu cherches à protéger ta vie
Il est possible que la loi sapplique à toi
Il est possible que ce soit toi qui sera puni
Il y a des fois tu demandes si la loi ne plane pas !
Cest vrai que parfois la loi arrive à en attraper quelques uns, elle te dit de ne plus tinquiéter elle va soccuper de leur cas
Mais souvent, le bonhomme est trop gros, la justice ne peut pas le juger tout de suite
Elle reporte, elle repousse toujours
Ou encore, elle le laisse tranquille
De toutes façons, il ne peut pas aller en prison
Il paye sa caution, ce nest rien pour lui !
Il y a des fois tu demandes si la loi ne plane pas !
Il y a des gens que la loi a attrapés : Bokassa, Papon, Klaus Barbie, pinochet
Les crimes quils ont commis ne peuvent plus être calculés, des gens par paquets ils ont fait tuer, torturer
Pourtant, on te dit que leur jugement est en attente
Ils sont trop malades, trop vieux !
Pour certains, on trouve des circonstances atténuantes
On te dit que quand ils étaient petits, ils faisaient pitié !
Il y a des fois tu demandes si la loi ne plane pas !
Ordonnance du 15 octobre 1960, édictée par Michel Debré, abrogée le 10 octobre 1972
Ministères dEtat
Ordonnance n°60-1101 du 15 octobre 1960 relative au rappel doffice par le ministre dont ils dépendent des fonctionnaires de lEtat en service dans les départements doutre-mer et dont le comportement est de nature à troubler lordre public.
Le Président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre, du ministre dEtat, du ministre délégué auprès du ministre de lIntérieur.
Vu la loi n°60-101 du 4 février 1960 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de larticle 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de lordre, à la sauvegarde de lEtat, à la pacification et à ladministration de lAlgérie ;
Le conseil dEtat entendu ;
Le conseil des ministres entendu,
Ordonne :
Art.1er Les fonctionnaires de lEtat et des établissements publics de lEtat en service dans les départements doutre-mer dont le comportement est de nature à troubler lordre public peuvent être sur la proposition du préfet et sans autre formalité, rappelés doffice en métropole par le ministre dont ils dépendent, pour recevoir une nouvelle affectation.
Cette décision de rappel est indépendante des procédures disciplinaires dont les fonctionnaires peuvent faire lobjet. Elle est notifiée par lintermédiaire du préfet, qui peut prendre toute mesure nécessaire à son exécution.
Art. 2. Le Premier ministre, le ministre dEtat, le ministre délégué auprès du Premier ministre et le ministre de lintérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de lexécution de la prochaine ordonnance, qui sera publiée au Journal Officiel de la République française.
Fait à Paris, le 15 octobre 1960
Par le Président de la République C. DE GAULLE
Le Premier ministre,
MICHEL DEBRE
Le ministre dEtat,
ROBERT LECOURT
Le ministre délégué auprès su Premier ministre,
PIERRE GUILLAUMAT
Le ministre de lintérieur
PIERRE CHATENET
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