UNIVERSITE PARIS I (PANTHEON-SORBONNE)

Laboratoire d’Anthropologie juridique de PARIS I

(LAJP)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’INSTITUTION JUDICIAIRE FACE A LA REPRESENTATION DE LA JUSTICE ET DU MONDE REEL A LA REUNION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémoire de DEA d’Etudes Africaines

(Option Anthropologie juridique et politique)

présenté par

Manuela LESAGE (lineninia@yahoo.fr)

Sous la direction du Professeur

Camille Mwissa KUYU

Année universitaire :

2000-2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les mémoires et thèses. Ces opinions sont considérées comme propres à leurs auteurs. "

 

 

 

 

 

 

 

DEDICACE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que tous ceux qui nous ont aidé dans la conception et la réalisation de cette étude, ainsi qui nous ont soutenue trouvent ici l’expression de notre profonde reconnaissance :

SOMMAIRE

 

Section 1. — L’organisation du système judiciaire·························································9

Section 2. — Application d’une logique········································································13

Section 1. — Ce que Justice veut dire·············································································21

Section 2. — Les représentations réunionnaises de la Justice ·······································26

 

Conclusion ···················································································································77

 

TABLE DES MATIERES

 

 

 

 

Introduction·································································································································1

 

Première partie : Les logiques judiciaires dans un département atypique : La Réunion ········· 8

Chapitre I. — La logique institutionnelle et la justice à La Réunion ··········································9

1.1. L’organisation judiciaire coloniale de 1848 à 1946·························9

Chapitre II. — De la justice comme institution à la justice comme fonction et valeur ·············21

Section 1. Ce que Justice veut dire ··································································21

Section 2. Les représentations réunionnaises de la Justice ·········································26

2.1. Une vision héritée de l’histoire de l’Ile··········································27

2.2. Un sentiment d’injustice ······························································34

 

 

 

 

 

Seconde partie : La Justice face aux pratiques et croyances ················································· 38

Chapitre I.- Des pratiques et croyances réunionnaises·····························································39

Section 1. Des pratiques rituelles·····························································································39

      1. Des rites de purification·································································40

      2. Des rites de passage····································································· 40

      3. Des rites de conjuration et de guérison ······································· 42

      4. Des rites funéraires···································································· 45

Chapitre II. La Justice face à des pratiques et croyances · ······················································60

Section 1. Analyse des cas··············································································· 60

1.1. Affaire L.Q. ·············································································· 60

1.2. Affaire R. ·······················································································64

1.3. La position du juge · ······································································66

Section 2. Pour une gestion plurale des conflits················································69

Conclusion································································································································77

Annexes·····································································································································79

Bibliographie·····························································································································94

 

INTERVIEWS

 

 

 

 

 

 

Les personnes interrogées se sont présentées comme suit :

 

 

 

30 mars 2001 : Jacques Brandibas, Psychologue, consultation de psychothérapie transculturelle, expert près la Cour, Sainte-Clotilde.

17 avril 2001 : M. Pison, juge d’instruction au Palais de Justice de Champ Fleuri, Saint-Denis.

18 avril 2001 : Frédéric Dennemont, Réunionnais, 30 ans, fonctionnaire territorial, Saint-Paul.

19 avril 2001 : Cécile Fontaine, 36 ans, agricultrice, veuve, deux enfants, Saint-Benoît.

20 avril 2001 : M. Louaseil, psycho-sociologue, astrologue, Saint-André

21 avril 2001 : Ankatassany Rico, serviteur de Dieu, Tamoul, Petit Bernica.

21 avril 2001 : Jocelyn Flahaud., infirmier psychiatrique ayant travaillé plusieurs années au service psychiatrique de la prison, Saint-Paul.

21 avril 2001 : Jacqueline Carpin, 40 ans, origine tamoule infirmière en pédopsychiatrie, Saint-Paul.

INTRODUCTION

 

Le lieu de la question

Située dans l’Océan Indien, au Sud-Ouest de Madagascar, La Réunion est un département français d’Outre-mer qui compte plus de 706 000 habitants pour une superficie de 2 500 km2. C’est une île volcanique dont l’un de ses deux volcans est toujours en activité.

Un rapide aperçu de l’histoire de l’Ile paraît nécessaire, il permettra une meilleure compréhension de la mise en place de la société réunionnaise, et notamment de la composition particulière de sa population ; les raisons et les conditions d’arrivée sur l’Ile des ancêtres des réunionnais — exil, choix, esclavage, engagisme, etc… - ont été déterminantes, elles exercent encore une forte prégnance dans les relations entre Réunionnais, mais aussi entre les Réunionnais et la métropole, les rapports affectifs à la République et notamment à ses institutions, dont la machine judiciaire, en sont bien évidemment touchés.

La Réunion a ceci de particulier qu’elle était vierge de la présence de l’homme avant l’arrivée " des premiers Français ". Jean Poirier dit d’ailleurs qu’il s’agit d’une " société "unique" au monde " car elle bénéficie

Les premiers navigateurs à l’avoir inscrite sur leurs cartes sous le nom de Dina Morgabin furent les Arabes au XIVème siècle ; les Portugais la rebaptisèrent ensuite Santa Apolonia, mais ne s’y arrêtèrent pas non plus ; en 1505, Don Pedro de Mascarenhas lui donna son nom.

En 1638, la France en prit possession mais sans penser en faire une colonie, il fallut une insurrection à Madagascar, "possession" française à l’époque, en 1642, pour que des hommes y soient envoyés, dans l’espoir qu’ils n’en reviendraient pas d’ailleurs. Ce sont eux qu’on appelle " les premiers français ", des marins révoltés contre les chefs du Fort-Dauphin, exilés sur une île inhabitée. Quand, quelques années plus tard, on vint s’inquiéter de leur sort, ils étaient en bonne santé et avaient profité de cette île au climat plus clément que celui de Madagascar.

La colonisation commença en 1665, les premiers habitants furent d’origine les plus diverses, venant de plusieurs pays d’Europe, les femmes étant surtout d’origine indienne ou malgache, à cette population de volontaires vint s’ajouter d’anciens forbans amnistiés.

Dès 1674, le gouverneur de la Haye interdit les mariages entre Blancs et Noirs, " c’est une confusion à éviter ", et un acte de 1679 mentionne la première vente d’esclaves à Bourbon. La France alla " sauver des âmes " ou " arracher des malheureux à la misère " à partir de comptoirs arabes ou portugais de Mozambique, de Kilwa ou de Madagascar, s’ajoutèrent des Indiens et des Chinois, ainsi que des esclaves de Guinée achetés par un navire venant d’Europe. Ce crime contre l’humanité qu’est l’esclavage dura jusqu’en 1848, avec, entre temps, une abolition avortée en 1795 ; le 20 décembre 1848, 62000 esclaves devinrent " égaux " des 35000 libres de l’Ile de la Réunion. Après bien des changements, ce nom lui est resté jusqu’à aujourd’hui.

Commence alors la période de l’engagisme jusqu’en 1882, des Indiens, puis des Africains — surtout des Malgaches, Comoriens, Mozambicains, Somalis, Yéménites — venaient, pour une période déterminée par un contrat d’engagement, travailler sur l’Ile, les conditions de travail étant souvent comparables à l’esclavage. Certains sont ceux qui restèrent après la fin de leur contrat.

A la fin du XIXème siècle, des Chinois et des Indiens musulmans arrivèrent en tant que travailleurs engagés, mais surtout en tant qu’artisans et petits commerçants.

Avec la départementalisation, l’ouverture des réseaux d’aviation et le très rapide développement économique, sanitaire et social de l’Ile, des métropolitains — appelés Zoreys —, viennent s’installer, certains sont de passage, dans le cadre d’un poste dans la fonction publique par exemple, d’autres restent.

Il ne faut pas négliger l’immigration actuelle de populations de l’Océan Indien, Mahorais et Comoriens, qui intègrent la société réunionnaise dans un contexte plus ou moins difficile d’accueil par la population.

C’est ce mélange de personnes, d’histoires - individuelles et collectives - et de cultures qui a façonné la société réunionnaise d’aujourd’hui.

En tant que résidents d’un département français, les Réunionnais sont français, cependant, la revendication identitaire est forte sur l’Ile, et la langue créole en est un facteur important.

La population réunionnaise est composée de Kafs — descendants des Africains —, de Malbars — Indiens hindouistes venus de la côte de Coromandel —, de Zarabs — Indiens musulmans —, de Chinois, de Groblans — " grandes familles " de l’Ile —, de Yabs — ou Petits Blancs, Blancs des Hauts, issus de la prolétarisation d’une partie de la population blanche dès le XVIIIème siècle —, de Malgaches, de Zoreys, de Mahorais, de Komors, et bien d’autres " arrivants " encore.

Cette société est qualifiée de " multiethnique " par Yu-Sion Live, " hétéroculturelle " avec " dysculturation " par Jean Poirier, " pluriethnique " marquée par des " réalités multiculturelles " par Bernard Champion.

La compréhension de cette société ne peut se faire que par le biais de la connaissance de son histoire.

Avec la départementalisation, la société de plantation devient une " société pseudo-industrielle " dont les repères sont bouleversés, les solidarités qui pouvaient exister se dispersent ; la métropole devient le modèle de référence. En réponse, l’affirmation identitaire se fait entendre.

La mobilité, avec les nombreux partants — il y a aujourd’hui plus de 750000 Réunionnais en métropole — et tous les nouveaux arrivants, a, elle aussi, modifié le paysage social de l’Ile. Les Métropolitains, appelés Zoreys, sont de plus en plus nombreux, ils ne sont plus seulement cadres de la fonction publique, ils sont maintenant dans les professions libérales, dans les services, dans l’artisanat "local", on en trouve dans toutes les couches sociales. Il y a également de nouveaux arrivants des Comores et de Mayotte, qui intègrent la société réunionnaise, malgré le racisme dont ils sont souvent victimes.

La revendication identitaire se fait très forte, en effet, on est face à une " pluralité des appartenances sociales " et, comme le rappelle Etienne LE ROY concernant ce type de pluralité, une concurrence entre ces différentes appartenances est inéluctable, un choix s’opère.

On trouve d’une part la citoyenneté française, d’autre part l’identité résidentielle, réunionnaise, laquelle est opposée aux " cultures plurielles " où chacun va vers les sources et ressources de "sa culture d’origine" malgache, africaine, indienne, par exemple.

On note qu’il n’y a pas d’appartenance simple pour le Réunionnais, il ne faut d’ailleurs pas oublier l’intégration à l’Europe, ainsi qu’à l’Indocéanie, un autre ensemble original. On peut comprendre ainsi la complexité des sentiments identitaires à La Réunion.

Il est, important de reconnaître ces appartenances multiples, car comme le rappelle Amin Maalouf,

L’affirmation de l’identité réunionnaise apparaît comme une forme de résistance à l’incorporation française, une demande de reconnaissance.

Après 1959, avec l’émergence du PCR, on parle de culture et de langue réunionnaise dans la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme, comme résistance à l’assimilation. Dans les années 1960, le Père Gilbert Aubry parle de " peuple réunionnais " en souhaitant une unification des Réunionnais, " Nous l’est blanc, nous l’est noir, nous l’est tout’ couleur mais dans nout’ cœur c’est le même sang y coule. ", il affiche là l’identité réunionnaise.

Pour Jean Defos du Rau, le " peuple réunionnais " est une création de l’esprit,

Pour l’auteur, les Réunionnais ne sont pas un " peuple colonisé " mais " des citoyens brimés ".

Le débat est ouvert sur la différence d’une identité réunionnaise ou une identité créole ; certains se disent Créoles, d’autres se disent Réunionnais. Il y aurait apparemment une connotation de couleur de peau dans cette distinction, mais on dit pourtant bien "un Créole blanc". Certains disent que le terme "créoles" est utilisé pour désigner tous les Domiens, ou qu’il sert à différencier les Réunionnais des Antillais et Guyanais. D’autres pensent que "créolité" sert à désigner tous les Réunionnais alors que "réunionité" désignerait les Réunionnais mais en prenant en compte les différences de "communautés" à l’intérieur de la communauté réunionnaise.

Le combat pour la langue créole est important dans la reconnaissance de l’identité réunionnaise.

Certains se battent pour l’écriture du créole, d’autres s’insurgent contre cette voie, estimant que le créole est une langue parlée.

Une des grandes victoires des combattants pour la reconnaissance de la langue et la culture créole est le CAPES de créole qui vient d’être mis en place, mais cette formation est très controversée et n’emporte pas l’unanimité auprès de l’opinion

Mais, tout de même, quel pas en avant considérable pour le créole, quand on entend de nombreuses personnes raconter qu’il était interdit de parler créole à l’école "sous Debré" sous prétexte que parler créole empêchait les enfants de progresser ; aujourd’hui, il y a des cours en créole.

Amin Maalouf rappelle

Se penser "créole" permet au Réunionnais de relier ses différentes composantes, son insularité, son " ethnicité plurielle " et sa nationalité française.

Le problème

La Réunion, département français depuis 1946, fait partie intégrante de la République, et les réunionnais, après s’être longtemps sentis des " français entièrement à part " comme d’autres populations des anciennes colonies devenues départements d’Outre-mer, sont aujourd’hui des " français à part entière ". Les relations à la métropole et aux institutions républicaines ont évoluées au fur et à mesure de l’histoire commune de l’Ile et la France, nous nous sommes particulièrement intéressée aux rapports que vit le Réunionnais avec l’institution judiciaire républicaine. Parfois les logiques républicaines qui se veulent universelles sur le territoire français, confrontées à la réalité d’une culture particulière dans un contexte qui se veut national mais qui a une histoire et un vécu propre différent de celui de la métropole, peuvent soulever des incohérences. Le pluralisme, " l’hétéroculture ", comme la nomme Jean Poirier et Sudel Fuma, de La Réunion, ainsi que son histoire, engendrent des représentations de la justice particulière à l’Ile et la gestion qui peut être apportée au règlement des conflits n’est pas toujours celle qu’on s’attendrait à trouver dans un département français.

Une affaire d’exorcisme passée devant la Cour d’Assises et qui a eu des conséquences particulières nous a longtemps questionnée quant à la pratique de la justice sur l’Ile et sa représentation par les Réunionnais ; préparant un DEA Etudes Africaines option Anthropologie Juridique et Politique, ce questionnement nous a paru digne de réflexion, une affaire, comme celle-ci permettant d’aborder un dialogue de cultures.

L’intérêt de la recherche

Toute société est régie par des règles et encadrée par des institutions, celles-ci sont le résultat d’une longue élaboration que l’histoire et l’évolution de cette société ont façonnée. La Réunion est un département français, elle a indéniablement une histoire commune avec la métropole pourtant, la société réunionnaise n’est pas la société française mais les institutions sur l’Ile sont les mêmes qu’en métropole, l’institution judiciaire notamment, avec l’application de ses textes.

Il est intéressant de s’arrêter un moment sur cette institution et le regard que peuvent porter les Réunionnais sur elle ; cette étude permet d’aborder le dialogue de cultures qui peut se poser en France entre la métropole et les DOM. La prise en compte de la culture spécifique à La Réunion dans son intégration à la société française paraît nécessaire, et les problèmes d’incompréhension que peuvent ressentir certains justiciables vis-à-vis de l’institution judiciaire peuvent parfois être liés à la négation des spécificités de cette culture.

On s’aperçoit qu’il y a parfois superposition de modes de régulation de l’ordre social et une sorte de compétition entre la régulation exercée par l’institution et la régulation relevant de modes fondés sur le fonctionnement et la tradition de la société elle-même. Réfléchir à un dialogue interculturel permettrait d’aboutir à une complémentarité au lieu d’une opposition et ainsi à une relation plus harmonieuse entre la société et l’institution.

Division du travail

Dans la première partie de ce travail seront abordées les logiques judiciaires dans ce département atypique qu’est La Réunion, avec l’étude de la logique institutionnelle et l’application de cette logique à La Réunion, puis une recherche de " ce que justice veut dire " et les représentations que peut en avoir la population. La seconde partie étudiera la justice face aux pratiques et croyances, avec un aperçu de certaines pratiques rituelles et d’autres magico-religieuses et une analyse de deux cas qui permettent de montrer les limites que peut rencontrer la Justice étatique face aux réalités réunionnaises.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE :

Les logiques judiciaires dans un département atypique : La Réunion

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I

LA LOGIQUE INSTITUTIONNELLE ET LA JUSTICE A LA REUNION

 

La justice française relève d’une logique institutionnelle puisque la formule choisie par l’organisation du judiciaire est unitaire, elle induit la généralisation au niveau de tout le territoire, métropole et outre-mer, et les dispositifs sont réglés de façon uniforme.

L’organisation de ce système est donc à étudier avant de voir l’application de cette logique à la réalité réunionnaise.

 

Section 1 — L’organisation du système judiciaire

Le système judiciaire suit les mêmes règles d’organisation et de fonctionnement à La Réunion qu’en métropole, on a affaire à une " régulation juridique dans sa version légale et étatiste " fondée sur des normes générales et impersonnelles. Cependant tel n’a pas toujours été le cas, depuis 1946, La Réunion n’est plus une colonie et son organisation judiciaire ont changé du fait de ce changement de statut.

L’étude de l’ensemble du système judiciaire n’est pas nécessaire ici, l’intérêt sera porté particulièrement sur la justice pénale pour permettre de centrer la démonstration, de plus cette organisation ne sera étudiée qu’à partir de 1848, année de l’abolition de l’esclavage et de l’égalité pour tous.

 

1.1. L’organisation judiciaire coloniale de 1848 à 1946

Le système de la justice pénale en 1848 est hérité d’une ordonnance du Roi de 1828 organisant l’administration judiciaire et destinée à rétablir le Code pénal et le Code d’instruction criminelle. Les deux Codes sont donc appliqués avec des adaptations aux conditions locales ; cependant, les juridictions n’ont ni les mêmes compétences, ni la même composition que celles de la Métropole.

Le gouverneur colonial et le Conseil privé — qui sera remplacé plus tard par le Conseil général — ont de grands pouvoirs en matière judiciaire, et la magistrature a un recrutement, un statut, et un traitement différent de la Métropole.

Il y a deux Cours d’assises, une à Saint-Paul — transférée à Saint-Pierre en 1862 — et l’autre à Saint-Denis, l’ordonnance du Roi du 30 septembre 1827 règle leur fonctionnement et leur composition qui est un compromis entre une cour formée de magistrats et un jury traditionnel puisqu’elles sont formées de trois conseillers à la Cour Royale et de quatre assesseurs ; la règle de la majorité est appliquée, il faut quatre voix sur sept pour obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le choix des assesseurs se fait par tirage au sort une semaine avant l’ouverture de chaque session d’assises parmi un collège de trente membres de l’arrondissement concerné. La liste des membres du collège est proposée par le Procureur général au Conseil privé qui arrête la liste que le Gouverneur propose au Roi, cette liste est renouvelée tous les trois ans.

Ce système d’assessorat empêche la condamnation des possédants. Dans l’idée d’améliorer la justice criminelle, la loi du 4 mars 1831 crée un collège d’assesseurs fonctionnaires pour connaître des crimes de traite des Noirs ; la loi du 18 juillet 1845 modifie la composition des Cours d’assises pour les crimes commis sur des personnes non libres ou commis par les maîtres sur les esclaves, dans ces cas, elles sont composées de quatre magistrats et trois assesseurs avec toujours l’application de la règle de la majorité.

Le 9 août 1847, une loi est votée sur proposition de M. Guizot, Ministre de la Marine et des Colonies par intérim, qui dénonce " des faits déplorables ", d’étranges acquittements, " véritables scandales moraux dont le renouvellement serait aussi périlleux que douloureux. ". Cette loi prévoit une Cour criminelle composée de six magistrats pour connaître des crimes des individus libres envers les esclaves et ceux des esclaves envers les libres

La Cour devient ainsi exclusivement judiciaire, pour assurer son bon fonctionnement, on porte le nombre des conseillers à la Cour Royale à huit et le Ministre recommande de faire appel à des "hommes de couleur" pour établir les listes des assesseurs des Cours d’assises ordinaires. Cependant, cette réforme oublie de prendre en compte les immigrants qui sont libres, on observe là une lacune du droit, une sorte de vide juridique.

Le 4 mai 1848, Victor Schoelcher donne l’ordre de supprimer les Cours criminelles spéciales crées par cette loi dès que le décret sur l’abolition de l’esclavage serait exécutoire, cependant, il n’adapte pas cette loi au nouveau statut des travailleurs et

Leur impunité est garantie puisque les modalités de nominations des assesseurs redeviennent celles de l’ordonnance de 1827.

Malgré la connaissance des défauts de l’assessorat, ce régime est maintenu.

Les peines appliquées dans la Colonie sont différentes de celles appliquées en Métropole car ce sont celles du Code pénal colonial contenant des dispositions sur les esclaves — tombées en désuétude après l’émancipation —, de plus, le Code pénal avait été modifié sous la Monarchie de Juillet et sous le Second Empire dans un sens plus libéral mais ces modifications n’ont pas été appliquées aux Colonies.

En 1861, Napoléon III ouvre le recours en cassation à tous les condamnés criminels et aux condamnés correctionnels ayant fait appel, ce qui avait été refusé avant pour la Colonie à cause des lenteurs des communications avec la Métropole et l’éloignement de l’Ile, seul le Ministère public pouvait " dans l’intérêt de la loi " pourvoir en cassation. Cette ouverture de la cassation ne plaît pas aux autorités conservatrices locales, elle leur est imposée ; mais elle permet le respect de la procédure au niveau de l’instruction des affaires et du déroulement des séances notamment puisque la Cour de cassation contrôle le travail des juridictions des 1er et 2e degré.

 

 

 

1.2. L’organisation judiciaire depuis la départementalisation

La Réunion devenue département français, on lui applique la même organisation judiciaire qu’en métropole.

La Cour d’Appel siège à Saint-Denis, son Premier Président est assisté de deux Présidents de Chambre et de six Conseillers qui président et composent les six Chambres — civile, correctionnelle, sociale, d’accusation et la Cour régionale des pensions militaires -.

Un Procureur général, un Avocat général et un Substitut général tiennent le Ministère Public près la Cour d’Appel.

La Cour d’Appel de Saint-Denis connaît en tant que juridiction de 2e degré des procès qui ont lieu devant ces différents tribunaux, elle comprend deux ressorts, Saint-Denis et Saint-Pierre.

Le Ministère Public près les TGI est tenu par un Procureur de la République assisté d’un Premier substitut et de quatre substituts.

Celui des tribunaux d’instance est tenu par un substitut du Procureur de la République ou un officier du Ministère public, commissaire de police ; les tribunaux d’instance statuent au civil sur les litiges dont le montant n’excède pas trente mille francs et au pénal sur les faits de nature contraventionnelle, ces tribunaux statuent à juge unique.

La Cour d’Assises du département statue à Saint-Denis sur les affaires criminelles à des dates fixées par le Premier Président qui désigne également pour chaque session le magistrat qui présidera et ses assesseurs choisis dans les deux juridictions de Saint-Denis et Saint-Pierre. Le Ministère Public est désigné par le Procureur Général.

Les magistrats sont nommés par décret du Président de la République, ceux du siège le sont après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Il existe une hiérarchie judiciaire, les Présidents de Chambre de la Cour d’appel, du TGI de Saint-Denis, l’Avocat général et le Procureur de la République de Saint-Denis sont au sommet de celle-ci ; le Premier Président de la Cour d’appel et le Procureur général sont en dehors de cette hiérarchie.

Chaque juridiction comporte un greffe sous l’autorité d’un greffier en chef qui est chargé de l’administration et la gestion de la juridiction.

On compte à La Réunion deux Barreaux, celui de Saint-Denis et celui de Saint-Pierre, chacun sous l’autorité d’un bâtonnier.

La Compagnie des huissiers est chargée de l’exécution des décisions judiciaires.

La Cour de cassation siège à Paris, le pourvoi en cassation est ouvert à tous les justiciables dans la mesure où elle juge si les juridictions des 1er et 2e degré ont fait une exacte application du Droit.

Les Codes appliqués ont les mêmes qu’en métropole, le Code pénal, civil, d’instruction criminelle, etc…

Toutes les conventions internationales signées par la France et rendues applicables dans les DOM s’appliquent, ainsi que les conventions européennes et les lois et décrets en vigueur en métropole — exceptés ceux dont la date de mise en application pour les DOM a été différée -.

Les arrêtés préfectoraux du Préfet, du Commissaire de la République de l’Ile et les arrêtés municipaux pris par les maires de l’Ile sont également sources de Droit.

La logique institutionnelle républicaine française est donc appliquée à La Réunion au niveau de l’organisation judiciaire après la fin de la période coloniale. Le fonctionnement de ce système judiciaire relève lui aussi de cette logique et il est intéressant de voir l’application de cette logique dans le contexte réunionnais.

 

Section 2. — Application d’une logique

La logique institutionnelle s’applique, ceci vient du caractère unitaire et uniformiste de la République, mais le contexte réunionnais est différent de celui de la métropole, la question qui se pose est celle de savoir si on peut uniformiser un système métropolitain aux DOM, et particulièrement à La Réunion, en appliquant les mêmes règles de fonctionnement sur le fondement que ces terres font partie du territoire national, sans tenir compte de leurs particularités sociales notamment.

Il est intéressant de voir comment les représentants de l’institution judiciaire à La Réunion voyaient leur rôle et leur conception de la justice dès l’abolition de l’esclavage, et comment sont appliquées les procédures aujourd’hui.

 

 

2.1. La conception de la justice après l’abolition de l’esclavage

Les représentants de l’institution judiciaire à La Réunion au XIXème siècle ont une conception de la justice qui ne ressemble guère à l’idéal du " juste ". En effet, la justice coloniale est partiale, et l’idée principale qui anime les magistrats et assesseurs à cette époque est surtout une idée utilitaire de la justice, certains Procureurs généraux dénonceront d’ailleurs cette " justice utilitaire ".

En 1849, le Procureur général Massot souligne les dangers d’une telle conception de la justice :

Cette " conception utilitaire de la justice " fut cependant vigoureusement soutenue par le successeur de Massot, Justin Béret, pour qui

Le rôle de la justice pour certains est donc de défendre la société coloniale, même si le Code pénal après l’abolition de l’esclavage ne fait pas de différences entre les hommes, ce sont " des êtres abstraits, doués de raison ". La société de plantation n’est pas de cet avis et les juges et assesseurs qui sont des notables entendent protéger leurs intérêts, l’idée de justice passant après.

Des discriminations ont donc cours sur l’Ile, les Blancs sont rarement condamnés et s’ils le sont c’est pour des peines légères, les immigrés engagés et les nouveaux affranchis sont les plus sévèrement punis.

Les procédures ne sont pas forcément respectées, les conditions de choix des assesseurs et le fait que les juges, le Procureur général et son Premier substitut soient métropolitains — par l’introduction de ces métropolitains, le pouvoir central a voulu rendre la justice moins dépendante des notables locaux — épousant des créoles issues de familles de notables, tout cela fait que la justice est aux mains des notables et ce sont leurs intérêts qu’ils protègent, la partialité est donc totale.

La Cour d’assises n’a pas à motiver ses décisions qui sont fondées sur " l’intime conviction " de ses membres, ceci est un nouvel élément jouant contre toute une partie de la population pour en favoriser une autre partie, puisque d’après Jean-Claude Laval

Précisons que les assesseurs n’étaient pas seuls responsables de cet usage de la justice, le juge d’instruction participait aussi de ce processus, ainsi que la Chambre de mise en accusation composée des Conseillers de la Cour Impériale, il suffit de consulter les archives pour se rendre compte des manipulations de procédures qui étaient exercées.

Des différences sont remarquables également en ce qui concerne les peines de prison selon la couleur de peau des personnes concernées, Jean-Claude Laval note une très faible proportion de Blancs dans les prisons, " particularité locale, héritée de la période de l’esclavage. ", de plus,

En effet, on sait que les Blancs sortent de prison grâce à ces certificats de maladie, mais certains peuvent sortir " sur ordre de Monsieur le Procureur général ", on remarquera que ces derniers étaient des " habitants " ou des propriétaires.

Durant les années 1848-1870, en ce qui concerne la peine capitale,

Plus tard, au début du XXème siècle, cet usage semble persister puisque lors de l’affaire " des buveurs de sang de Saint-Pierre " en 1910, d’après certains témoignages seul Sitarane aurait été exécuté, le chef de la bande, Saint-Ange Gardien, et Emmanuel Fontaine auraient été épargnés, le premier ayant été exilé après avoir bénéficié d’une grâce, le second ayant été emprisonné. Sitarane, de son vrai nom Simincoundza Simicourba, était un engagé mozambicain et les deux autres des créoles blancs dont l’un d’une grande famille, on remarque donc que celui qui fut exécuté était l’engagé noir, l’immigré, les deux autres ayant été épargnés du fait de leurs relations dans la bourgeoisie locale — Saint-Ange était un sorcier réputé et les planteurs avaient souvent recours à lui -. Après la campagne médiatique autour de cette affaire qui présentait Sitarane comme un monstre sanguinaire, le fait qu’il soit africain ayant beaucoup joué dans l’expression des fantasmes racistes que pouvaient avoir les Réunionnais de cette époque. Après son exécution, la légende de Sitarane s’est propagée dans l’Ile, son culte était né, encore aujourd’hui, beaucoup vont sur sa tombe pour y pratiquer des sacrifices, y demander vengeance contre une autre personne.

La justice a, là, était plus sévère avec un engagé qu’avec les autres de la bande qui étaient nés à La Réunion, plus sévère avec le Noir qu’avec les Blancs de la bande dont le chef, Saint-Ange.

De nombreuses irrégularités de procédure pratiquées par les magistrats sont courantes à cette époque, la société injuste de l’Ile est pleine de préjugés que les magistrats partagent ; Jean-Claude Laval précise que :

D’après le Procureur général Béret, le rôle de la justice était utilitaire, elle devait protéger et défendre la société coloniale, " elle devait assurer son fonctionnement même. ", ainsi, un élément essentiel de cette société qu’était la propriété devait être protégé plus particulièrement, c’est d’ailleurs dans ce cadre seulement qu’on pouvait voir des peines sévères contre des Blancs. En effet, le fait de détourner un engagé devenait un délit grave et était fortement sanctionné, non pas par rapport à l’engagé lui-même, ce n’est pas la personne de l’engagé qui est prise en compte mais le tort causé à son engagiste.

La remarque est simple à faire que l’égalité proclamée par les principes de la République peut être parfois une formule creuse, et qu’à La Réunion, même après l’émancipation, les Noirs n’étaient pas les égaux des Blancs, malgré le fait qu’ils pouvaient voter et étaient des citoyens aux yeux de la loi.

Heureusement, les choses évoluent, sans doute, un jour, cette égalité sera entendue par tout le monde et respectée. Mais aujourd’hui comment sont appliquées les procédures à La Réunion ?

 

2.2. La procédure d’instruction criminelle aujourd’hui

La procédure d’instruction criminelle nous intéressera particulièrement ici car c’est celle qui intervient avant le procès, nous prendrons le cas d’une affaire de " violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion et avec usage d’une arme ", dans le cadre d’une mort à la suite d’un exorcisme. En effet, une affaire de ce type permet d’étudier le cas d’une pratique à La Réunion qui n’est pas répertoriée dans les Codes juridiques appliqués par les juristes formés en métropole.

Enonçons rapidement les faits, un homme, que nous nommerons A., meurt après avoir été battu par plusieurs membres de sa famille, une de ses sœurs appelle la gendarmerie qui trouve l’homme attachés dans la maison. Sont retrouvés sur les lieux divers signes permettant de conclure à des pratiques magico-religieuses.

Onze personnes sont placées en garde à vue, dont deux sont libérées le soir même, et une est placée en détention préventive.

Au cours des différents interrogatoires, les personnes présentes expliquent que A. était possédé par Satan et qu’elles avaient tenté, sous les consignes d’une des sœurs qui disait avoir le don, de l’exorciser en le flagellant toute la nuit à coups de branches et rameaux de bois de piodène, arbre servant d’expiatoire chez les Tamouls. Elles n’ont pas voulu le tuer, " Ce n’est pas les blessures que nous lui avons faites qui l’ont tué, nous avons seulement essayé de chasser le mauvais esprit. "

Les gendarmes interrogent plusieurs fois chaque personne, le fait qu’il y ait plusieurs participants et qu’ils se soient mis d’accord pour mentir au début ne facilitent pas les choses, mais après plusieurs interrogatoires, les versions se recoupent entre elles.

Bien sûr, une autopsie est pratiquée qui déterminera de quoi est mort exactement A., cette autopsie révèle que la victime n’avait pas d’alcool dans le sang, qu’elle a probablement eu une crise d’épilepsie aux vues des morsures sur la langue et qu’elle a eu un arrêt cardiaque.

Le juge d’instruction demande, comme la loi le prévoit pour toutes les affaires criminelles, une expertise psychiatrique concernant les mises en examen et une expertise psychologique. Le juge fait souvent appel au même expert. Lors de son expertise le psychologue rapporte les faits en expliquant les détails de la séance d’exorcisme qui a eu lieu, il explique que la victime était un Malbar et que lui et sa famille sont de religion catholique et tamoule en même temps, l’expert parle du culte que pratiquait la victime.

Le juge d’instruction que nous avons rencontré, le juge P., explique que les gens parlent plus de leurs pratiques religieuses et de " sorcellerie " à l’expert qu’au juge.

La loi donne au juge obligation de faire lire l’expertise à la personne concernée.

Quand l’expert aborde l’idée de la sorcellerie, le juge P. en tient compte dans le sens où

et estime que parfois ça peut peut-être expliquer le passage à l’acte.

Mais, la justice doit être la même partout en France et il n’est pas question d’adapter les textes aux réalités locales, on applique partout les mêmes Codes.

Il y a pourtant eu des cas à La Réunion où on a fait appel, dans le cadre d’affaires criminelles, à des personnes qui avait un contact direct avec le monde de l’invisible. Par exemple, pendant la période où " la bande des buveurs de sang de Saint-Pierre " terrorisait tout le Sud, le capitaine de gendarmerie chargé de l’enquête avait été, sur proposition du premier adjoint à la mairie de Saint-Louis, consulté une voyante pour avancer dans son enquête.

Cette voyante avait pu lui décrire le sorcier qui dirigeait la bande, Saint-Ange, et le lieu où se cachait la bande, avec de nombreux détails. Le gendarme ayant peur du ridicule vis à vis de sa hiérarchie, en parle comme d’indices fournis par un informateur anonyme, mais n’est pas pris au sérieux, mais quand la bande est arrêtée, tout correspond à la description de la voyante.

Il existe également un personnage dont le nom revient souvent à l’esprit de nos interlocuteurs, il s’agit du Docteur Kalen, d’après certains, pendant les années quatre vingt, la justice faisait appel au Docteur Kalen, qui avait le don de communiquer avec les morts, pour élucider certaines affaires. Le Docteur demandait à la victime qui était responsable de sa mort et après enquête, l’auteur du crime s’avérait être celui qu’avait désigné le Docteur Kalen. Ce personnage serait mort ou aurait quitté l’Ile depuis au moins une quinzaine d’années, cependant, nous n’avons pu vérifier nulle part l’existence de cette personne, mais elle est présente à l’esprit des Réunionnais.

Un aspect important de l’institution de la justice à La Réunion doit être précisé, il faut noter que les juges sont métropolitains en règle générale — en ce moment, il n’y a qu’un seul juge réunionnais à Saint-Denis, c’est une juge pour enfants — ils sont formés en métropole, et bien souvent ne sont que de passage sur l’Ile. Le juge P. le fait d’ailleurs remarqué, cet aspect des choses peut aussi faire que les gens n’abordent pas facilement certains aspects de leur culture qui peuvent pourtant être déterminants dans leurs actions, par exemple, tout ce qui concerne les rites et pratiques locales.

Le problème de la langue peut intervenir également, certains préconisent d’ailleurs qu’il y ait des interprètes pendant les audiences, mais sur ce point, le juge P. n’est pas d’accord, pour lui, le fait que les auxiliaires de justice soient créoles est suffisant.

Pour ce juge, avoir de vrais interprètes serait beaucoup " trop fastidieux ", ce serait impossible et n’aurait aucun sens pour lui puisque La Réunion est un département français.

 

 

Ce chapitre a permis de voir la logique institutionnelle appliquée sur l’Ile du fait de l’appartenance de celle-ci au territoire et à l’Etat français. La départementalisation, qui a permis à La Réunion de faire partie intégrante de la République française en tant que département, a eu des apports positifs, mais aussi des " effets pervers ". La logique judiciaire a été particulièrement développée, avec tout d’abord une définition des termes et des différentes perceptions possibles de la justice, puis le caractère de logique institutionnelle du judiciaire en France avec l’application de cette logique à La Réunion. La logique judiciaire est un exemple de ce que le caractère unitaire et institutionnel de la République développe à La Réunion. Ce caractère unitaire a pu aboutir à des dérives, nous l’avons vu avec le détournement de la fonction de la Justice par les notables locaux qui l’ont manipulé dans leurs intérêts. Aujourd’hui, les données du problème ont changé, les procédures sont appliquées conformément aux textes mais le juge garde une vision unitariste de l’institution. Le problème vient alors de ce que la spécificité du contexte n’est pas prise en compte, on aboutit alors à une sorte de rigidité. Pour comprendre comment est rendue la justice et la représentation qu’on peut en avoir, il convient de voir maintenant " ce que justice veut dire ".

 

 

 

 

 

CHAPITRE II :

DE LA JUSTICE COMME INSTITUTION A LA JUSTICE COMME FONCTION ET VALEUR

 

 

 

Section 1.— Ce que Justice veut dire

    1. Une fonction, une valeur

Il existe différentes manières d’entendre le mot " Justice ", la justice peut être entendue comme une fonction mais également comme l’expression d’une valeur.

 

La justice comme fonction

Le mot " justice " est le terme par lequel les justiciables en général désignent l’appareil judiciaire, le rôle des institutions judiciaires, la " justice " devient donc un terme générique pour désigner en fait une fonction, celle qui est la gardienne de la " méta-raison de l’Etat ", symbole de l’ordre imposé, celle qui fait respecter le droit, celle qui réprime.

Quand la Justice est fonction, elle entraîne une certaine représentation aux yeux du justiciable qui est souvent celle de l’Etat tout-puissant mais elle peut apparaître également comme la main qui rétablit l’ordre.

On se rend compte que peu s’intéressent au Droit, excepté le jour où, d’une façon ou d’une autre, les gens ont " affaire à la justice ", ce qui est dommage d’après Emile Poulat

L’auteur parle ici du rôle du droit dans la société, il dit plus loin qu’ " avec le droit, on rencontre l’Etat ", car c’est par le droit et la loi que l’Etat est soumis, que l’exercice de sa puissance est modéré.

Mohamed Camara, interlocuteur d’Etienne Le Roy lors de l’élaboration de sa recherche sur la complémentarité des logiques institutionnelle et fonctionnelle, explique à propos de la justice qu’elle

La justice a donc également comme fonction la recherche du " juste ", la valeur, l’idéal du juste.

Malgré l’idéal que peut représenter la justice, celle-ci est parfois détournée de sa fonction du " juste " par les hommes, ainsi, au XIXème siècle, à La Réunion, la justice a surtout une fonction utilitaire, elle est utilisée par ses représentants pour protéger et défendre la société coloniale et ses intérêts économiques et financiers, ainsi que la mainmise des notables sur le pouvoir dans cette société de plantation.

La Justice comme valeur

La justice est donc la fonction de rechercher le " juste ", mais " Justice " peut également être entendue comme valeur.

A la prononciation de ce mot en tant que valeur on ressent une sorte de respect, un recueillement, un idéal, un absolu. On entend " Justice pour tous ", " égalité devant la justice ", on voit la déesse Thémis fière ; justice devient alors un grand mot, chargé de sens, de beauté parfois. C’est vers cet absolu que l’on souhaite aller pour une société en marche.

La société évolue, elle est composée d’appartenances multiples, pour permettre que la société assume cette diversité, le droit et la justice doivent évoluer. Etienne Le Roy explique que

La justice et le droit, en tant que règles qui régissent celle-ci, doivent donc évoluer en s’adaptant aux valeurs de la société. Maître Rémi Boniface, avocat réunionnais, estime ainsi

La Justice est une valeur mais elle est exercée par des hommes, la vision individuelle ou collective du " juste " peut différer d’une personne ou d’un groupe à l’autre et la façon d’exercer cette justice dépend de cette conception.

Christoph Eberhard cite Jacques Commaille pour qui

Christoph Eberhard se rapporte ici à l’excision et le Droit en France où deux ordres sociaux se confrontent, or chacun de ces deux ordres a sa propre légitimité et est doté " d’un propre ordre symbolique et d’un sens propre du "juste". ", la justice française apparaît alors comme le symbole d’une domination car elle impose sa légitimité à un autre ordre social en se fondant sur le fait que les personnes concernées par l’excision se trouvent sur le territoire français, l’autorité juridique s’impose exerçant là une violence légitimée. Cette idée de domination, de violence peut parfois apparaître également à La Réunion, ce que nous verrons plus tard dans les représentations qu’ont les Réunionnais de la justice.

Quelques chercheurs, notamment ceux du Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris (LAJP), associés à certains magistrats et travailleurs sociaux réfléchissent en ce moment pour tenter d’établir une justice dans l’idée de l’esprit public " par le bas " partagée par les différents groupes résidant sur le territoire, on parle de dialogue interculturel.

Bien sûr, la Justice est un absolu recherché mais, comme il a été souligné plus haut, l’exercice de la justice est fait par des hommes qui sont entre autres déterminés par leur culture, leur histoire personnelle, familiale et collective, ces différentes personnes amènent différents regards portés sur le Droit.

 

 

 

 

1.2. Visions du monde et visions du droit et de la Justice : la théorie des archétypes

En 1980, le LAJP organise un colloque " Sacralité, Pouvoir et Droit en Afrique ", lors de ce colloque, on rappelait le caractère ethnocentrique de la problématique traditionnelle des rapports entre sacralité, pouvoir et droit en Afrique, problématique purement occidentale ; cet ethnocentrisme permettait

Les recherches sur ce thème amorcées en 1978 s’arrêtent du fait de la non publication de ce colloque, mais Michel Alliot apporte sa réflexion sur les archétypes qui, une fois les fondements posés, évolue au cours des années.

L’étude ces archétypes permet de mieux comprendre le problème qui peut se poser à La Réunion autour de la question de la justice.

Michel Alliot, pour qui la compréhension de la forme et du sens des institutions juridiques d’une société passe par le rapport à l’univers visible et invisible de cette société, a mis en place une distinction basée sur trois grands archétypes juridiques.

Dans un premier temps, Michel Alliot distingue trois types de modèles sociétaux, celles où toute division sociale est ignorée et où le chef n’a pas de pouvoir de coercition — exemple des sociétés amérindiennes -, celles qui acceptent la division sociale mais la contrôle par une logique plurale — exemple des sociétés animistes africaines -, et celles qui ont une logique unitaire telles que l’Etat occidental.

Cette première approche de la question ne sera pas suffisante et Michel Alliot l’enrichira, notamment en ce qui concerne la distinction entre logique plurale et logique unitaire qui constituera la base de la réflexion de bon nombre de chercheurs.

Il propose ensuite de distinguer trois types d’ordres juridique selon la nécessité d’où provient le Droit, qu’il s’agisse de " maintenir la création, la circulation ou la soumission ". Etienne Le Roy fait reposer ce schéma sur un déroulement historique, " des sociétés archaïques (primat de la création) jusqu’aux sociétés modernes (primat de la soumission). "

Plus tard, Michel Alliot explique que ce qui sépare les sociétés c’est le mode de pensée et d’organisation, chaque société distinguant trois modes de pensée que cite Etienne Le Roy, " une pensée officielle, une pensée " affective " fondée sur le sentiment plus secret qui attache ses membres à la société et enfin une vision de la réalité " qui contredit la pensée officielle. Michel Alliot précise que l’attention se porte sur l’écart entre chacun de ces trois modes de pensée et d’organisation et le mode lui correspondant dans d’autres sociétés.

Pour expliquer les différences entre ces mode de pensée et d’organisation, Michel Alliot a recours aux visions du monde des sociétés, aux cosmologies, aux idées sur la construction du monde qui leur sont propres, pour lui

Les archétypes sont donc ces visions et les comportements qui y sont associés, la logique de l’identification dans la pensée confucéenne, la logique de la différenciation dans les sociétés animistes africaines et la logique de soumission dans l’Islam et l’Occident chrétien sont trois exemples de ces archétypes.

Comme l’explique Etienne Le Roy, les sociétés monothéistes judéo-chrétiennes pensent que le principe de cohérence est dans l’affirmation de l’unité, pour atteindre cette unité, on cherche une uniformité de statuts et de conditions puis on réprime tout ce qui fonde les différences par l’exclusion des contraires. Christoph Eberhard parle d’ailleurs en ces termes de la conception occidentale des " droits de l’homme ",

Etienne Le Roy explique que les sociétés confucéennes pensent que " le monde repose sur la complémentarité de deux éléments, le Ying et le Yang, comme le li (rites) et la fa (loi) ", la société est régulée par l’autodiscipline.

Il parle également d’un " monde plural-trinitaire " pour les sociétés " animistes " où les religions et croyances ne reposent pas sur la révélation mais plus sur la manipulation des énergies.

Il semble, d’après l’évolution des travaux en anthropologie du droit, que les trois archétypes de Michel Alliot correspondent à trois ordres sociétaux, l’ordre accepté, l’ordre négocié et l’ordre imposé.

Voici donc posés les archétypes juridiques qui permettent de comprendre la forme et le sens des institutions juridiques d’une société, reste à voir maintenant si La Réunion entre dans la définition de l’un de ses trois grands archétypes.

Section 2. Les représentations réunionnaises de la Justice

Pour comprendre les représentations que peuvent avoir les justiciables réunionnais de la Justice, il convient de se rapporter à leur conception du monde et à l’histoire de l’Ile.

La Réunion est une société à part entière même si cette société est considérée comme partie intégrante de la société française, qui est, rappelons le, une société occidentale.

L’archétype des institutions juridiques et judiciaires à La Réunion, département français est donc celui de la soumission et de l’ordre imposé. Pourtant, les archétypes sont fonction de la société où on observe les institutions, on peut donc se poser la question de savoir si cette logique d’ordre imposé correspond bien à la société réunionnaise.

Au cours de son projet de recherche-action dans le cadre du Tribunal pour Enfants de Paris, le LAJP a rappelé le fonctionnement très " néo-colonial " de la justice française marqué par l’idée qu’elle est aux ordres de l’Etat et dont la légitimité tient " à la capacité à incarner une conception de l’ordre social (en métropole) et de la civilisation européenne (outre-mer). "

L’archétype de l’ordre imposé est caractérisé par la valorisation de l’uniformité, la société y abandonne sa responsabilité à l’Etat, instance extérieure et supérieure et les contraires sont exclus.

Sans doute correspond-il bien à la société métropolitaine française, mais est-il adapté aux sociétés domiennes et plus particulièrement à la société réunionnaise ?

La population réunionnaise est un amalgame de toutes sortes de visions différentes du visible et de l’invisible. On trouve des Chinois, des Kafs, des Malbars, des Zarabs, des Créoles blancs, Groblans et Yabs, des Malgaches, des Comoriens, Mahorais ou des Africains du Continent, et des Zoreys. La Réunion cosmopolite compte donc sur son sol comme des micro-sociétés relevant de diverses pensées, on y trouve la pensée confucéenne, la pensée animiste et la pensée occidentale, des logiques d’identification, de différenciation, et de soumission et donc différentes conceptions de l’ordre. De plus, parfois certaines personnes vivent entre deux voire trois de ces logiques du fait du métissage biologique et social.

Au niveau institutionnel, la logique appliquée est celle d’une société uniforme, l’ordre est imposé, on a donc pensé les institutions de La Réunion d’après le paradigme de l’archétype de la soumission qui correspond à la société occidentale. Mais peut-on affirmer que la société réunionnaise est une société occidentale ?

Peut-être faudrait-il changer de paradigme et passer, comme le propose Christoph Eberhard à propos d’une recherche interculturelle sur les Droits de l’Homme,

Ou peut-être faudrait-il chercher une autre solution, mais il semble bien que cette question du rapport à la Justice et ses institutions puisse poser problème à La Réunion, une démarche interculturelle semble intéressante de ce point de vue.

Après ces questionnements à propos des conceptions de la justice à La Réunion, il est important de voir maintenant les représentations réunionnaises de la Justice.

 

2.1. Une vision héritée de l’histoire judiciaire de l’île

Il est délicat de donner une opinion globale pour la population car la société réunionnaise n’est pas uniformisée, il existe donc différentes représentations de la justice. Un sentiment d’injustice est ressenti par une bonne partie de la population, ce sentiment n’est pas basé sur un fantasme, il est légitimé par ce que les gens observent et ont observé durant l’histoire de l’Ile. Nous aborderons ici essentiellement certains aspects de l’histoire judiciaire réunionnaise à partir de 1848, car c’est à partir de cette date qu’est née la société libre réunionnaise.

Ainsi, à l’évocation de la question de la représentation de la justice, certaines affirmations retentissent telles que " Zistis Groblan ! ", " Zitis Zorey ! ", ou encore " Zistis makro ! ".

 

 

" Zistis Groblan ! " " Zistis Zorey ! "

Cette représentation de " Zistis Groblan " montre que la justice et le pouvoir sont intimement liés, on comprend alors le terme groblan non pas dans son sens strict qui désignerait le descendant de propriétaire mais dans le sens extensif de pouvoir, les Groblan représentant dans la société de plantation le pouvoir. Dans ces désignations de Groblan ou Zorey s’exprime l’idée que la justice privilégie les riches et les Blancs et par extension les métropolitains.

En observant les pratiques judiciaires après l’abolition, on s’aperçoit que les discriminations ont été couramment pratiquées dans l’exercice de la justice criminelle. Le Code pénal français ne prévoit aucune distinction entre les personnes comme le faisait le droit romain en considérant l’esclave comme une chose ou encore comme en Inde, où les peines variaient selon la position de la caste d’appartenance de l’auteur et de la victime. Bien sûr, le Code français protège la propriété mais, inspiré du principe révolutionnaire de l’égalité civile, il considère que tous les hommes ont les mêmes droits. Pour l’appliquer dans la Société coloniale, il a fallu y adjoindre des dispositions particulières concernant les esclaves, de plus l’assessorat, comme nous l’avons vu plus haut, a permis un contrôle de la justice par les puissants, même après 1848, où officiellement les discriminations n’étaient plus admises.

Dans son étude, La justice à La Réunion de 1848 à 1870, Jean-Claude Laval montre bien avec quelle partialité la justice coloniale était rendue, mais il exprime aussi son effarement de voir un

L’auteur exprime sa stupéfaction de voir au fur et à mesure de ses recherches que la justice ait pu être

En 1849, le Procureur général Massot fait d’ailleurs remarquer que

L’assessorat, du fait des conditions de recrutement des assesseurs notamment, permettait que les notables soient prémunis contre une quelconque répression de la part de l’institution judiciaire. Cette réalité n’était d’ailleurs pas ignorée par les autorités métropolitaines puisqu’en 1854 et 1855 le Ministre de la Marine et des Colonies recevait des comptes rendus d’assises dont voici quelques extraits

Les magistrats étaient métropolitains pour éviter la dépendance de la justice par rapport aux notables locaux, la règle était que les magistrats n’avaient pas le droit d’épouser des créoles pour préserver leur indépendance, mais cet interdit est transgressé et les magistrats épousent des femmes issues de famille de notables. Ainsi, les grandes familles déjà puissantes économiquement bénéficiaient alors de la puissance publique et de l’honorabilité, la répression contre les notables était bien impossible, la parenté liant souvent les accusés et les représentants de la justice. Ces liens familiaux empêchaient de façon quasi systématique l’action de la justice répressive dans des circonstances où celles-ci était requise.

L’affaire Sitarane dont nous avons parlé plus haut, est un exemple de cette zistis groblan, en effet, Saint-Ange a bénéficié de l’amnistie présidentielle, il a été appuyé pour ça par des notables influents de l’Ile qui profitaient de ses services de tisaneur et même de sorcier. Le fait d’avoir des relations avec des grandes familles lui a sauvé la vie en permettant qu’il ne soit pas exécuté. De plus, le fait que Sitarane ait " payé " pour les crimes commis par toute la bande, qu’il ait finalement été le bouc émissaire, la population de l’époque a dû ressentir l’injustice qui avait été commise et c’est peut-être pour exorciser cette injustice qu’elle a diabolisé le personnage de Sitarane, qu’elle a ressenti une nécessité de lui donner un pouvoir pour oublier l’inadmissible.

Aujourd’hui, il est fréquent d’entendre que la justice c’est bon pour les riches ou pour les Zoreys

Beaucoup de Réunionnais ne croient pas en la justice, ils ne s’approprient pas la loi, la violence très présente à La Réunion trouve peut-être un de ses fondements dans cette non appropriation,

Le sentiment d’injustice est indéniablement à rattacher à l’histoire de La Réunion, il existe des histoires d’injustice, même très lointaines dans le temps, qui se transmettent de génération en génération dans des familles et qui alimentent ce sentiment. Madame C., lors de son interview, parle de son grand-père né du viol de son arrière-grand-mère malbarèse par son " maître " - elle précise d’ailleurs qu’on dit aussi bien esclave qu’engagé car les conditions de vie étaient semblables à l’esclavage — ce viol n’a jamais été puni, cette violente injustice s’est transmise à travers les générations et trois générations plus tard, la famille connaît un rejet du Blanc très fort, étendu au rejet du Zorey. Madame C., qui est plus claire de peau que ses cousins, se trouve alors exclue par une partie de la communauté familiale ; elle ne côtoie que ceux de sa génération et pense qu’il faut de nombreuses générations pour qu’une injustice comme celle-ci puisse être pardonnée.

L’effet de ces injustices passées est que

L’injustice touche pratiquement les entrailles mêmes de la population, une explication peut venir de l’histoire de l’Ile, le fait que beaucoup sont arrivés sur l’Ile sur la demande ou pour le besoin d’une petite partie de la population et dans l’intérêt de ces propriétaires qui dominaient a sans doute favorisé à déterminer la représentation qu’ont les Réunionnais de l’institution judiciaire et de la justice elle-même qu’ils ressentent comme une émanation dominante. De plus, il y a tout un contexte qui fait que la notion de ce qui est juste et égal n’avait pas cours à La Réunion même après la proclamation de l’égalité pour tous, cette situation s’est poursuivie après la départementalisation également avec le fait que les textes n’étaient pas appliqués entièrement, l’égalité n’était pas totale avec la métropole. Aujourd’hui encore, le RMI n’est toujours pas aligné sur celui de la métropole, ce qui devrait changer au 1er janvier 2002. Tous ces éléments fondent le sentiment d’injustice et renforcent la méfiance contre la métropole et ce qui la représente comme par exemple l’institution judiciaire.

La justice est donc vue comme bonne seulement pour les riches ou les zoreys, mais une autre représentation existe, on qualifie la justice de zistis makro.

 

" Zistis makro ! "

Lorsque la question de la perception que les Réunionnais ont de la justice est abordée, souvent, l’une des premières exclamations est " Zistis makro ! " ; quelle est la signification de ce cri ? Pourquoi cette vision ?

" Zistis makro " veut dire que la justice est vendue, mais c’est bien plus que ça, car makro est une insulte en créole qui a une forte signification péjorative intraduisible par un seul mot. Cette désignation de la justice est apparue sur tout ce qui pouvait servir de support à la revendication et l’expression de la colère de 1993 à 1995, les murs, les routes, les panneaux, etc… Lors de nos interviews du mois d’avril 2001, les personnes consultées réitéraient ce cri, rappelant ce slogan qui a marqué les Réunionnais lors de l’affaire Dumez mais qui a également rappelé d’autres épisodes de l’histoire judiciaire de l’Ile.

En 1993, commence l’affaire de l’endiguement de la Rivière des Galets, à la suite d’une fraude dans une procédure d’appel d’offre pour des travaux qui auraient permis d’endiguer la Rivière des Galets dont la crue fait des dégâts matériels et humains considérables en période cyclonique. L’idée de la réalisation de ces travaux a été abordée depuis plus d’un siècle.

Il s’est avéré que des personnes de la société qui a obtenu le marché en 1993 ont ouvert les plis des entreprises concurrentes avant la date légale pour modifier son offre en la revoyant à la baisse et obtenir le marché.

Dans cette affaire, il y a donc trois personnes poursuivies pour avoir fraudé l’appel d’offre, mais ces trois personnes avouent la participation du maire de la ville du Port, Pierre Vergès, et son secrétaire général adjoint, Alain Payet, et impliquent deux autres personnes.

A la suite de ces accusations, Alain Payet est conduit au commissariat pour être entendu comme témoin, mais se retrouve en détention préventive pendant deux mois. Pierre Vergès, lui, prend le maquis ; après avoir dit qu’il se tenait à la disposition du juge d’instruction pour être entendu, il est prévenu un soir qu’il doit être arrêté le lendemain matin en conduisant ses enfants à l’école devant des journalistes, constatant que les choses n’allaient peut-être pas se passer " dans les règles " et connaissant les conditions d’arrestation de Alain Payet, il s’est caché. Sa cavale dure deux ans et demi, pendant tout ce temps, il affirme qu’il se rendra devant le juge dès que le mandat d’arrêt inutile lancé contre lui sera levé.

Le 4 août 1995, la sentence est rendu par le tribunal correctionnel de Saint-Pierre, Alain Payet et Pierre Vergès sont condamnés à l’emprisonnement, une amende et interdiction des droits civils, civiques et de famille. Appel est interjeté.

Dans cette affaire, il est reproché aux différents magistrats par les avocats des parties et par une bonne partie de la population de ne pas avoir instruit et juger à décharge et de ne pas avoir respecté les droits de la défense. Beaucoup sont persuadés que ce procès n’était qu’une affaire politique visant à se débarrasser des communistes — Alain Payet et Pierre Vergès, le fils de Paul Vergès, sont, tous deux, membres influents du PCR —.

En effet, l’instruction apparaît incontestablement à charge, aucune preuve n’étayant les accusations des trois " fraudeurs ", le juge n’a pas jugé utile d’écouter les témoins de Alain Payet et Pierre Vergès qui affirmaient que les deux hommes ne pouvaient pas être là où on dit qu’ils étaient au moment des faits. Plus le temps passait, plus les accusations des trois hommes se contredisaient elles mêmes et entre elles, alors que les témoins très nombreux des deux personnes de la mairie du Port se rejoignaient indubitablement.

Une plainte pour faux a même été déposée par les avocats contre le Juge d’instruction qui aurait modifier la date de son ordonnance de renvoi après avoir notifié un mandat d’arrêt alors qu’il n’était pas compétent.

Après cette instruction à charge — son secret ayant été d’ailleurs levé à plusieurs reprises puisque les journaux diffusaient des informations de cette instruction quotidiennement, par exemple, publication d’une déposition d’un des accusateurs le lendemain matin de cet interrogatoire — et le parti pris de la presse, un contre-procès est organisé. Il a lieu à la mairie de Saint-Pierre, organisé par le PCR qui ne sait plus comment faire pour que soient entendus les témoins à décharge et apportées les preuves de l’innocence de Pierre Vergès et Alain Payet, cinq jours avant la date du procès officiel du Tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Avec ce contre-procès, on expose au public les éléments qui n’ont pas été abordés lors de l’instruction. Un film est projeté expliquant l’endiguement de la Rivière des Galets, Maître Rémi Boniface explique la procédure de l’appel d’offre, Maître Jacques Vergès conduit le contre-interrogatoire — bien sûr, certains des concernés ont absents —, le public, dans la salle et dans le gymnase où a été installé un grand écran, entend enfin, les témoins de la défense, la plaidoirie est faite par Maître Vergès. Ensuite a lieu une conférence de presse puis le délibéré qui aboutit à la relaxe de Alain Payet et Pierre Vergès.

Quelques jours après, le procès commence au Tribunal correctionnel, des policiers en armes empêchent le public d’entrer, seuls les journalistes et des policiers en civil sont admis dans la salle d’audience — Pierre Vergès ne s’est toujours pas présenté et il est attendu de pieds fermes —. Un des accusateurs n’est pas présent, le juge d’instruction retourné en métropole, depuis le début de la procédure, ne s’est pas déplacé alors qu’il est cité à témoigner par la défense, un autre accusateur malade est excusé, Alain Payet malade n’est pas excusé par le juge malgré les attestations de son état de santé de deux médecins.

Le procès est souvent interrompu par les cris de la foule qui veut pénétrer dans la salle et qui en est empêchée par les policiers qui finissent par lancer des grenades fumigènes ; ce procès n’est ni contradictoire, ni public.

La sentence est rendue, les deux communistes sont condamnés à des peines très lourdes, bien plus lourdes que celles des autres condamnés, leurs témoins n’ont pas été écoutés. Une personne est condamnée à trois mois de prison avec sursis pour avoir chanté un maloya devant le Tribunal dans lequel la police empêchait le public d’entrer, exprimant par ce chant son mécontentement du déroulement de l’affaire.

" Zistis makro ! ", l’institution a agit au mépris de la justice, les droits de la défense n’ont pas été respectés, ce procès a été ressenti comme une chasse aux sorcières, il a souvent été comparé à l’affaire Dreyfus et au combat d’Emile Zola pour faire entendre la vérité.

Cette cavale de Pierre Vergès rappelle celle de son père, Paul Vergès, qui en 1964 dura vingt-huit mois, pour échapper à une inculpation qu’il estime infondée de délit de presse par l’intermédiaire de Témoignages dont il est le directeur de la publication. En 1966, il est amnistié par une loi d’amnistie du Parlement. Pendant cette période, Paul Vergès avait joué à cache-cache avec le Préfet et la police, continuant ses activités dans la clandestinité, participant à des meetings, sans jamais être arrêté, soutenu et aidé par ses camarades du PCR, tout comme cela a été le cas pour Pierre Vergès en 1993.

 

 

2.2. Un sentiment d’injustice

Une justice venue de l’extérieur

La représentation qu’ont les Réunionnais de la justice vient de l’histoire de l’Ile, mais elle est aussi liée au fait qu’il s’agit d’une justice importée, elle n’est donc pas forcément en phase avec la société réunionnaise. Il s’agit donc d’une justice transcendante et non immanente, c’est-à-dire que son principe ne réside pas dans la société où elle est rendue, elle est universelle et vient d’un niveau supérieur, les justiciables réunionnais ont du mal à s’identifier à cette justice et son institution.

L’institution est celle de la métropole puisque La Réunion est un département français, elle est comme posée sur le contexte, par cette sorte de plaquage sur une société autre que celle qui l’a fondée, l’institution reste étrangère malgré le fait qu’elle se situe en France. Cette extranéité est révélée également par le fait que ce sont des gens de l’extérieur qui rendent la justice sur l’Ile. En principe, ceci ne devrait pas poser de problème puisque la justice doit être impartiale, pourtant, on peut se demander pourquoi il y a si peu de juges créoles à La Réunion — seulement un aujourd’hui à Saint-Denis — . Au début des années 1990, le juge Akhoun, juge créole, démissionne de son poste pour reprendre son métier d’avocat, il n’a jamais donné de raison officielle à cette démission, monsieur J., lors de son interview, nous avance l’hypothèse que M. Akhoun était peut-être plus à l’aise dans son rôle de défenseur que dans celui de juge ; il serait bon d’interroger l’intéressé pour connaître ses raisons.

L’extranéité se ressent également par rapport au fait que la justice est rendue en français alors que la langue véhiculaire est le créole, malgré le fait que pratiquement tout le monde comprend le français aujourd’hui, tout le monde ne le parle pas. Le problème que pose la langue dans la justice à La Réunion n’est pas une question de traduction, le juge P. interviewé le 17 avril 2001 a bien montré que les greffiers étant créoles permettent d’éviter des contresens au niveau de la compréhension de la parole de chacun. Le problème est surtout celui d’une incompréhension affective, cette différence de langue peut empêcher de comprendre les raisons de l’autre, il s’agit donc plus d’un problème relationnel que d’un problème de dialogue pur.

Le juge P. estime que la justice doit être rendue en français car La Réunion fait partie du territoire français et rappelle qu’on ne peut pas rendre la justice dans chaque " patois " du lieu où on se trouve en parlant des différentes régions de France métropolitaine.

Jacques Brandibas, expert près de la Cour, interrogé le 30 mars 2001, raconte qu’on peut parfois se trouver face à des situations absurdes du fait de la langue

L’association Ankraké de Saint-Pierre a le projet de mettre en place un système de médiation par des créoles auprès du tribunal de Saint-Pierre pour participer aux différentes étapes des procédures judiciaires et accompagné le justiciable, ceci dans le but de participer à " l’inter-compréhension ".

La justice n’est pas toujours en phase avec la société réunionnaise, une sorte d’équilibre se met alors en place de part et d’autre, des choses sont communément admises de façon plus ou moins tacite et quand un juge veut agir, son intervention est alors très mal tolérée et " ça pète ". La violence est sous-jacente, elle peut se réveiller et exploser à tout moment. Souvent, la manifestation de cette violence n’a rien à voir avec l’étincelle qui l’a provoqué, le passage à l’acte est comme une libération de ce que les gens n’ont pas digéré. Tout se passe en vase clos sur l’Ile, si une personne est touchée par une injustice, on observe comme une sorte de contagion, une solidarité se met en place et le passage à l’acte se produit. Jean-François Sam-Long compare la société réunionnaise au volcan, le Piton de la Fournaise est toujours en activité et ses irruptions sont phénoménales notamment par de l’effet qu’elles produisent sur les Réunionnais, les gens se déplacent en masse pour voir quand " Lo volkan la pété ".

Un exemple de cette satisfaction partielle de part et d’autre, d’équilibre qui s’installe est donné par monsieur J. lors de son interview avec les nombreuses maisons construites sans permis et qui ne sont jamais démolies, d’usage fréquent sur l’Ile.

Pour monsieur J., les institutions sont parties prenantes dans cet arrangement, tout le monde participe pour que le sentiment d’injustice ne prenne pas le pas sur la satisfaction.

Le sentiment d’injustice n’est pas seulement ressenti par rapport à l’institution elle-même, mais se vit au quotidien.

 

L’injustice au quotidien

Le sentiment d’injustice par rapport aux Zoreys et au pouvoir ne touche pas seulement l’institution judiciaire, on observe régulièrement un basculement vers l’idée de " Zistis Zorey ".

Ainsi, madame C. rappelle comment des incidents de la vie quotidienne prennent des proportions extrêmes parce qu’ils sont rattachés à cette idée de " Zistis zorey ", une agression peut devenir un phénomène zorey/kréol parce qu’elle implique un Zorey et un Créole. Un usager mécontent agresse un agent de la fonction publique, l’agressé demande réparation devant la justice, on peut imaginer que si les deux parties avaient été créoles ou zoreys, les choses se seraient passées de la même façon. Or, ici, il y a un usager créole et un fonctionnaire zorey, le Créole condamné à payer une indemnité estime être victime d’une injustice et crie " Zistis zorey ! ", " Zistis makro ! " - cette dernière expression s’est étendue et ne touche plus seulement le contexte politique —. Madame C. montre là que le sentiment d’injustice légitimé par l’histoire peut dériver et devenir dangereux pour la paix sociale.

Un exemple de la légitimation de ce sentiment que le Zorey passera toujours avant le Créole, comme une sorte de domination du métropolitain est apporté par monsieur J. qui raconte un cas de violence à l’hôpital.

Un jeune homme blessé aux yeux par une bombe lacrymogène — monsieur J. le décrit de type cafre rasta — attend aux urgences depuis plusieurs heures quand arrive un Métropolitain avec un enfant dans les bras. L’infirmière accueille ce nouvel arrivant et s’en occupe tout de suite. Le jeune homme se lève et casse tout ce qui lui passe sous la main, le vigile n’intervient pas et le laisse faire. Face à l’injustice qu’a subi ce jeune homme, une sorte de solidarité s’est créée de la part du vigile qui est cafre lui aussi et qui a été témoin de l’attitude de l’infirmière, dans ce contexte particulier, le vigile oublie pourquoi il est là, il oublie son travail qui est de maintenir l’ordre dans l’hôpital, il vit l’injustice. Plus tard, l’infirmière, zorey elle aussi, reconnaîtra qu’elle n’aurait pas dû faire passer l’enfant qui était moins gravement blessé que le jeune homme.

Dans les années 1960, une ordonnance est prise, elle permet la mutation immédiate de fonctionnaires en métropole quand ils expriment leur mécontentement par rapport aux décisions et à l’attitude du pouvoir central en place. Le motif officiel de ces mutations est le maintien de l’ordre public, pourtant les Réunionnais l’ont vécu comme une violation de leur droit à la liberté d’expression, comme une injustice. Des personnes ayant refusé de partir dans ces conditions ont perdu leur emploi et l’injustice n’en a été que ressentie que plus fortement. Aujourd’hui encore, trente ans après l’abrogation de ce texte, les souvenirs sont marqués par cette injustice imposée aux Réunionnais — ainsi qu’aux autres DOM d’ailleurs, certains affirment que cette mesure était en fait pour casser les mouvements autonomistes et indépendantistes — par le pouvoir étatique.

Ces exemples montrent bien que le sentiment d’injustice est prégnant à La Réunion et conduit à une sorte de frustration de la population qui ne trouve à s’exprimer parfois que par le passage à l’acte, la violence.

L’image du juge en est touchée également, le juge n’est pas personnifié, il représente trop de choses, il est vu comme l’autre, celui qui n’est pas moi, on en revient là à la théorie de l’englobement du contraire de Louis Dumont qui peut aboutir au racisme. La loi et ses représentants sont donc pris au sens péjoratif, elle va séparer plutôt que rassembler.

 

 

 

 

Ce chapitre a permis de comprendre comment était perçue la justice par les Réunionnais et pourquoi un sentiment d’injustice très fort est ressenti.

Il convient maintenant d’observer les pratiques et croyances réunionnaises qui font partie de la vie et de la culture de cette société et qui est bien différente de la culture occidentale qui a fondé les institutions établies à La Réunion. Sera ensuite abordé le positionnement de la Justice par rapport à cette culture, ce qui permettra de constater qu’il existe dans cette société un pluralisme de fait qui doit être reconnu par l’institution pour rendre une justice " meilleure " par un métissage institutionnel et une gestion plurale des conflits.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SECONDE PARTIE :

La Justice face aux pratiques et croyances

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I

DES PRATIQUES ET CROYANCES REUNIONNAISES

 

 

La Réunion connaît des pratiques et croyances diverses, certains rites sont pratiqués selon la "communauté" à laquelle on appartient, tels que certains rites de passage et de protection. Mais on assiste également à des pratiques connues quelque soit la communauté d’appartenance au sein de la société réunionnaise, comme par exemple, la religion populaire qui regroupe de nombreux cultes, ou encore certaines manipulations des âmes et autres pratiques qu’on pourrait qualifier de sorcellerie.

Toutes les pratiques ne seront pas abordées ici et celles qui le seront ne feront pas l’objet d’une étude approfondie, des études très complètes ont été faites sur ce sujet par des spécialistes de ces questions. Ce chapitre se propose simplement de montrer la prégnance de la pensée magico-religieuse à La Réunion.

 

Section 1. Des pratiques rituelles

Seuls certains rites de purification et d’autres de passage seront abordés ici, ainsi que des rites funéraires, rites de séparation. En ce qui concerne les rites de purification, la communauté des Indiens hindouistes sera plus particulièrement observée. Il faut préciser également que le fait d’employer le mot "sacrifice" ne veut pas seulement dire sacrifice sanglant, mais également sacrifice de soi, don . Les Indiens hindous se sont regroupés à La Réunion, autour d’une solidarité ethnique, ne reproduisant pas le système des castes connu en Inde, et pratiquent le culte des divinités végétariennes ainsi que des divinités sanglantes.

 

 

 

 

    1. Des rites de purification

Le corps peut parfois être impur entraînant l’impureté de l’esprit, par exemple pendant la période de menstruation de la femme, dont l’impureté peut se transmettre aux autres membres de la famille. L’accouchement plonge également la mère et l’enfant dans l’impureté pendant seize jours après la naissance — période qui peut être de onze jours selon les familles — on pratique donc un rite de purification après cette période. L’accouchée et le nouveau né prennent un bain purificateur, le bain en grand. Ce bain pris dans un lieu clos est préparé avec des plantes en nombre impair ayant des vertus médicinales et magico-religieuses infusées au feu de bois — les trois bois choisis pour le feu sont spécifiques — . Avant le bain purificateur, la jeune mère, assistée de deux autres femmes boit trois gorgées de l’infusion. Après le bain, ont lieu des rituels domestiques liés à la naissance.

Un autre bain aura lieu au quarantième jour après la naissance permettant à la femme et l’enfant d’avoir accès au temple et de remercier la divinité.

Le bain est pratiqué à l’occasion des différents rites par aspersion avant chaque rite sacrificiel à la maison, dans une rivière ou la mer avant des rites thérapeutiques et funéraires.

 

1.2 Des rites de passage

D’autres rites encore souvent pratiqués sont appelés rites de passage, tels que le rite de la poule noire, le rite de la tonsure, le rite du mariage par exemple.

Le rite de la poule noire

Il se pratique le seizième jour après la naissance et régulièrement par la suite, si l’engagement envers la déesse n’est pas respecté, cela peut entraîner une malédiction sur la famille. La déesse de la maternité est invoquée sous son double aspect, Pétiaye et Kartéri, l’officiant fait diverses offrandes apportées par les parents à la déesse, notamment un nécessaire de couture ; il lui sacrifie une poule noire en lui présentant la première ponte de la poule — le nombre d’œufs présenté doit être impair —. Cette cérémonie se déroule en deux temps, le premier étant à l’aube du seizième jour, la seconde partie du rituel se déroule avant midi ou en début d’après-midi, selon les heures fastes du calendrier astrologique.

Quand ce rite est prévu et annoncé pendant la grossesse, il permet d’annihiler le pouvoir de l’avatar Kartéri de la déesse — qui devient meurtrière en détruisant le fœtus ou plus tard l’enfant —, la poule représente le corps du sacrifiant dans le sacrifice de soi. Précisons que le déesse Pétiaye est la seule à bénéficier du sacrifice d’un animal femelle.

Selon Yolande Govindama, la mère offre l’utérus de la poule à la déesse pour montrer qu’elle lui sacrifie sa fertilité, acceptant par là de reconnaître " le pouvoir divin comme le seul qui donne la vie et la reprend ".

Le rite de la tonsure

Ce rite est appelé à La Réunion, tir’ sové z’enfan, il est célébré quand l’enfant a un an et un jour, un deuil pouvant le différer, cet âge correspond à l’acquisition par l’enfant de la marche — à La Réunion, les enfants marchent à neuf mois, au plus tard à un an —.

Le rite est accompli dans le temple où les ancêtres de la famille avaient l’habitude de procéder à la même cérémonie. Ce rite sert à ce que

Les cheveux du bébé n’ont pas été coupés avant cette cérémonie depuis la naissance, là encore revient l’idée que la divinité doit être servie en priorité.

Le paiement des honoraires de l’officiant est effectué par le père à la fin de la cérémonie.

D’après Yolande Govindama, parmi les 81% des hindous pratiquants à La réunion, 40% ne procèdent à la tonsure que si les cheveux de l’enfant sont emmêlés — sové mayé —. La déesse la plus souvent choisie pour ce rite se nomme Souplémaniel ou Mourouga, mais certains choisissent Vishnu, et parfois une divinité populaire telle que la déesse Kàli, Mariamman, ou le dieu Minispren.

La tonsure symbolise à la fois un rite de séparation de l’enfant d’avec la mère et un rite de passage, il symbolise également un rite d’affiliation symbolique au père ancêtre car il rappelle le sacrifice de soi qu’a accompli, à l’origine, le père fondateur Pràjàpati. Là, c’est l’enfant qui pratique le don ou le sacrifice de soi en offrant ses cheveux.

Le rite du mariage

Bon nombre de Tamouls, étant également catholiques, se marient à l’église et ne pratiquent plus le mariage traditionnel tamoul. Cependant, la date du mariage à l’église est toujours choisie par rapport au calendrier astrologique et à la date de naissance des futurs époux.

Pour ceux qui pratiquent le mariage traditionnel tamoul, dont Yolande Govindama a fait une description détaillée dans sa thèse ainsi que dans un film, ce rite a

Le rite du mariage est un rite de passage car par cette cérémonie, le frère de la mariée ainsi que sa famille confient la femme au mari. Le rappel de l’interdit de l’inceste fraternel est fait par l’accueil du mari dans sa belle-famille par le frère aîné de la mariée qui lui lave les pieds. La belle-famille fait le don de sa fille au marié et renonce à tout amour passionnel et tutelle sur elle. Une série de nouages de nœuds au poignets des époux exprime la relation nouvelle d’attachement entre eux.

Le dieu de l’amour, Kàma, est invoqué. L’attachement du cordon aux poignets des époux concrétise la nécessité de maîtriser le kàma, c’est-à-dire, le désir, la jouissance charnelle qui pourraient empêcher la réalisation de leur devoir d’engendrer. Par ces nœuds s’exprime également le symbole que les deux époux sont désormais complémentaires ne formant qu’une seule personne.

L’homme attache au cou de sa femme le tàli — un collier en fils de coton safrané où est suspendu un pendentif en or — qui ne sera désormais vu que par le mari et rompu seulement à la mort de celui-ci par un rite spécifique.

Le rite se termine par le détachement des cordons liés aux poignets des mariés et par le partage d’une nourriture sanctifiée dont les époux se nourrissent mutuellement.

On procède à un autre rite pour protéger le couple du mauvais œil, l’union est bénie par les parents et les divinités du temple sont remerciées.

1.3. Des rites de conjuration et de guérison

Il existe certaines situations où la transmission des pratiques rituelles a fait défaut, certains rites de conjuration sont alors nécessaires, tel que le marlé, ou des rites thérapeutiques permettant de rétablir la notion de don dans le sacrifice de soi, tels que le rite du cheveu maillé. Il existe des rites thérapeutiques chez les adultes où le corps est sacrifié dans la réalité, notamment le rite de la marche sur le feu ou celui du transperçage du corps par des vels

.

Le rituel du marlé

Le marlé en créole désigne, chez les Indiens hindous, le cordon ombilical enroulé autour du cou du nouveau né, on appelle en créole ce rituel tir marlé (enlève le cordon).

L’enfant qui naît avec le cordon ombilical autour du cou est soustrait au regard de l’oncle maternel jusqu’au rite du marlé qui a lieu au seizième jour après l’accouchement.

L’enfant né avec le cordon autour du cou est considéré comme le double de l’oncle maternel au lieu de celui du père, il se trouve en quelque sorte " désaffilié ".

Le rite qui est alors pratiqué vise à simuler une seconde naissance sous de bons auspices pour conjurer le destin de l’enfant.

Après le rite et le bain purificateur du bébé, le père jette dans l’eau courante le collier de fleurs (le marlé) et les vêtements que l’enfant portait avant le bain, le père présente ensuite le bébé au soleil et à l’oncle maternel qui le voit de face pour la première fois, il salue l’enfant, l’embrasse et lui remet un cadeau. L’enfant est " réaffilié ".

Le rite du cheveu maillé

Ce rite spécifique au cas où l’enfant a les cheveux emmêlés se différencie du rite de la tonsure seulement par la démarche des parents. Les cheveux emmêlés de l’enfant représentent des nœuds non propices, ce phénomène est très redouté par la plupart des parents tamouls à La Réunion. Dans ce rite, les parents ne font pas don des cheveux à une divinité mais attendent que l’ancêtre les réclame par l’intermédiaire d’une divinité. En effet, les nœuds des cheveux du bébé représentent une manipulation de la divinité adorée de l’ancêtre, un officiant est consulté pour déterminer s’il s’agit bien de l’intervention d’une divinité oubliée et la désigner si c’est bien le cas. La désignation se fait à l’aide du calendrier astrologique ou de la technique divinatoire selon l’officiant consulté.

Par l’offrande que l’enfant fait de ses cheveux, l’enfant obtient alors la protection de la divinité et celle de son ancêtre. A partir de ce moment, la famille perpétuera le culte de cette divinité, un culte oublié ou renié revient donc dans les pratiques familiales.

Ce rite est un rite thérapeutique, il permet de replacer le père exclu par le kàma non maîtrisé de la mère, il réintroduit l’idée de la dette à l’ancêtre, du sacrifice de soi et de la fonction active du père. Comme nous le verrons plus loin, ce rite n’est pas pratiqué exclusivement par les Tamouls.

La marche sur le feu

A La Réunion, les pénitents qui se soumettent à la marche sur le feu sont des hommes. Avant cette marche, les pénitents sont en période de carême, de purification, de méditation et d’humilité durant dix huit jours, pendant lesquels, ils doivent se détacher progressivement du monde matériel et profane pour entrer en communication avec la divinité. La cérémonie se déroule une fois par an, les pénitents qui vont marcher ont fait un vœu qui doit rester secret, le rite implique donc l’attente d’un résultat tangible, la réalisation du vœu. La finalité du rite consiste en ce que le pénitent traverse le brasier sans garder aucune trace de brûlure et sans s’immoler.

Le rite commence à cinq heures, heure où les pénitents préparent le brasier avec un bois spécifique, ils partent ensuite en procession et reviennent au temple pour dix-sept heures pour éviter dix-huit heure qui est une heure néfaste. Selon le vœu qu’ils ont fait, les pénitents traversent une à trois fois le brasier, après chaque traversée, ils plongent leurs pieds dans une fosse remplie de lait. La marche se fait au rythme des tambours. Après la marche, on sacrifie un cabri et le groupe partage un dernier repas collectif, l’espace du feu sacrificiel est fermé huit jours après la marche sur le feu par un rite de remerciement.

Le cavadee

Ce rite se déroule également une fois par an, il s’agit là encore d’un rite dont on attend un résultat concret. Les pénitents se transpercent le corps de vel, javelots de différentes tailles, ceux-ci sont investis du pouvoir magique de détruire le mal et les mauvais désirs.

Là encore,

La personne se fait transpercer, certaines parties du corps différentes selon le sexe, par des vel de petite ou moyenne taille fabriqués en or ou en argent, il peut y en avoir entre cent et mille.

Le pénitent est reclus pendant dix jours après avoir vécu une période de purification de huit jours, cependant les pénitents peuvent dormir chez eux mais seuls, et ils peuvent continuer à travailler à condition de respecter les prescriptions du carême.

La fin du rite, qui doit être fait aux heures fastes, est marquée par le retour de la divinité et de son vel dans le temple par deux pénitents ayant reçu un sacrement spécial, les autres pénitents les suivent formant ainsi une procession jusqu’au temple à laquelle viennent s’ajouter les personnes qui le désirent. Un rite de protection est pratiqué à l’entrée du temple, ensuite chaque pénitent entre dans le temple, certains à genoux, et se fait retirer les vel du corps. Le rite se termine par une prière commune.

Les rites pratiqués à La Réunion ne sont pas les mêmes que ceux que pratiquent les Hindous en Inde, les swâmis arrivant d’Inde ne reconnaissent pas les pratiques de La Réunion comme des pratiques hindouistes pures. Prosper Eve cite le swâmi du temple de Saint-Paul :

Les rites hindous ont évolué, du fait du métissage de la culture réunionnaise, mais on peut également en observer certains qui sont pratiqués tels qu’ils l’étaient il y a plusieurs générations en Inde. On s’interroge sur l’origine de certains rites à La Réunion, car quand ils rappellent un mythe, certains éléments peuvent provenir d’un autre mythe en même temps.

1.4. Des rites funéraires

A la Réunion, les morts " font partie de la vie ", il existe une grande crainte des âmes des morts, surtout de celles de personnes qui ont connu une " mauvaise mort " - accident, suicide, mort violente —. De nombreux rites, et notamment des rites funéraires, sont pratiqués pour permettre une bonne relation entre les vivants et les morts, et ce, quelque soit la communauté d’appartenance.

Les rites funéraires chinois bouddhistes

Malgré la conversion au catholicisme d’une bonne partie de la population chinoise, le culte des ancêtres est toujours respecté. Les sacrements catholiques sont parfois demandés par la famille et peuvent être considérés par certains comme un viol de la conscience du défunt.

Les familles métissées montrent un plus grand abandon des rites funéraires, du service des morts.

A la mort d’un des époux, le rite de séparation par le symbole du peigne cassé est toujours pratiqué, de même que le rite de séparation du défunt d’avec ses biens consistant à lui mettre une pièce de monnaie sur la langue avant la fermeture du cercueil.

Au cimetière des offrandes sont faites au défunt pour qu’il ne parte pas démuni dans le monde des morts et un prêtre officiant apaise l’âme du mort en bénissant la fosse et son cercueil.

A la sortie du cimetière, on rachète les péchés du défunt en offrant une pièce de monnaie en son nom à chaque assistant de la cérémonie. Un grand repas est ensuite servi à tous.

Le troisième jour après l’inhumation, le fils aîné prépare les mets préférés du défunt et va les déposer sur sa tombe avec d’autres offrandes rituelles.

Le mort intègre la catégorie des défunts par son inscription au temple par les officiants.

La vénération des morts peut se faire deux fois par jour à l’autel familial, ou être bimensuelle et se dérouler au temple.

A La Réunion, les Chinois christianisés demandent souvent des messes à l’église catholique pour accélérer la réincarnation de l’âme. Certaines cérémonies à la pagode permettent de savoir ce dont le défunt a besoin dans l’au-delà. Deux fêtes des morts sont célébrées par an, en février et en septembre, on y sacrifie une poule blanche, on prépare un repas qu’on offre sur la tombe, et un repas en commun met fin à la cérémonie.

La célébration de ces différentes cérémonies permettent de garantir la solidarité du groupe et de satisfaire les besoins des défunts. Ces rites sont encore présents à La Réunion, mais les jeunes semblent les abandonner de plus en plus.

Les rites funéraires malgaches

Certaines familles ayant des ancêtres malgaches continuent de pratiquer les rites qui leur ont été transmis par les générations précédentes. Quand, toutefois, ces rites ne sont plus respectés, on retrouve l’ascendance malgache dans les attitudes devant la vie et la mort.

Les rites de séparation qui témoignent de la peur des vivants de mécontenter les morts sont importants. Là encore, les sacrements de l’église catholique sont complémentaires des rites familiaux.

Trois cérémonies principales sont pratiquées par les familles ayant des ascendances malgaches. La cérémonie qui a lieu juste avant et après le dernier soupir du mourant est nommée à La Réunion Itanda Haroumbela, après le départ du prêtre un sacrifice de volaille noire ou d’un bœuf, selon les moyens de la famille, est fait. Les larmes pouvant retarder l’entrée de l’âme du défunt dans l’autre monde, on ne pleure pas. Une veillée est organisée lors de laquelle, la famille à l’intérieur prie et prépare le mort et les invités à l’extérieur jouent aux cartes ou aux dominos et racontent des histoires, ceci pour que le passage du défunt dans l’autre monde ne lui paraisse pas désagréable et pour ne pas lui manquer de respect.

L’heure de l’enterrement est fixé par un ombiasy. Des précautions sont prises pour que l’âme du défunt n’exerce pas une action maléfique sur les vivants.

La Cérémonie appelée Velasa se déroule après une période de marge qui peut être différente selon les familles, allant de huit jours à quarante jours ou encore neuf mois. Un bœuf est sacrifié, on sert un repas au défunt puis on prend un grand repas avec tous les invités. Cette cérémonie ne se pratique pas entre minuit et quatre heures, heures néfastes. Cette cérémonie sert à se protéger de certains morts et à s’attirer la bienveillance des autres, elle peut donc être renouvelée plusieurs fois si la situation familiale de la famille le permet, à chaque jour anniversaire de la mort de l’ancêtre et obligatoirement le 1er ou 2 novembre selon la pleine lune. Après des circonstances spéciales comme un accident, un rêve, elle pourra être célébrer également.

Une autre cérémonie est pratiquée par certaines familles, comme le rappelle Prosper Eve, il s’agit du Nacoualé qui a lieu dix huit mois après l’inhumation, ce rite permet de mettre un terme au deuil. Il s’agit d’une grande fête, le cycle habituel se déroule, messe, visite au cimetière, achat de denrées, préparation du repas, offrandes de nourriture au défunt, prières et invocation. Une salle verte est préparée où sont réunis les invités pendant que le défunt consomme ses offrandes dans la maison, quand on a constaté qu’il a bien mangé son repas, le deuil est terminé, la danse peut commencer. Le Kabar (danse) s’ouvre on ne danse que du Maloya. Certains entrent en transe et peuvent communiquer avec l’au-delà.

Il semble que les rites malgaches et africains se soient interpénétrés à La Réunion, car les rites ne sont pas les mêmes qu’à Madagascar, de plus la christianisation a également modifié la conception de la mort.

Ces cérémonies sont souvent appelées Sèrvis malgas ou Sèrvis kabaré, mais certaines familles les désignent aussi par l’expression utilisée par les Indiens hindouistes, Samblani.

Des règles élémentaires sont à respecter, un carême est suivi par les organisateurs avant la cérémonie, Monsieur et Madame Baba, qui organisent une à deux fois par an des Sèrvis kabaré dans le sud de l’Ile, expliquent que quand les esprits se sont restaurés, la fête peut commencer,

La fête dure toute la nuit. Ces cérémonies permettent également aux participants de se rappeler leurs racines malgaches, comme le dit Madame Baba

Les rites funéraires malbars

Les rites funéraires des Indiens hindouistes à La Réunion comprennent des rites de séparation et des rites de levée des interdictions des règles de deuil.

Une cérémonie est organisée avant le départ du cercueil de la maison, même quand les funérailles se déroulent à l’église catholique, cette cérémonie marque la séparation entre les vivants et les morts.

Divers rites sont pratiqués au cimetière pour bénir la fosse et empêcher l’âme du défunt de revenir chez elle. Dès le lendemain de l’enterrement, des cérémonies sont célébrées où on montre au défunt qu’on lui pardonne ses mauvaises actions passées, ces rites permettent que son âme se réincarne le plus rapidement possible.

Une période d’interdit est respectée, au huitième jour a lieu le Alpou, cérémonie qui accentue la séparation.

Pendant un an et un jour, la famille ne peut plus offrir de Samblani, service des morts, et des interdits sont à respecter. Après cette période, on célèbre le tevson, qui lève le deuil, les prières ont suivies d’un samblani végétarien et le lendemain d’un autre mais composé de viande cette fois.

Chaque année, après trois jours de carême, un samblani a lieu pour nourrir les âmes des défunts qui peuvent encore errer et pour permettre aux vivants de rester unis et éviter une rupture après la perte d’un maillon de la famille. On sert les plats favoris de chaque ancêtre.

De plus, un jour par an on pratique un jeûne complet, amarvasso-viroudom, pour porter un témoignage de respect et de reconnaissance envers les défunts.

Il est vrai que certains ont abandonné leurs pratiques, mais d’autres ont adapté le message chrétien à leurs rites et croyances et ne les ont pas laissés se déculturer, les apports chrétiens sont considérés comme complémentaires pour être agréables aux ancêtres.

Etant donné l’importance de ces différents rites funéraires, on peut comprendre que quand un Réunionnais est hospitalisé en fin de vie, la famille préfère le faire sortir pour lui permettre de mourir chez lui pouvoir pratiquer les rites de séparation correctement.

 

 

Section 2. Des pratiques magico-religieuses

Des rites et croyances sont communs aux Réunionnais quelque soit leur communauté d’appartenance, il y a tout d’abord, ce que Prosper Eve a appelé la religion populaire, mais aussi certains rites de protection, ou encore la sorcellerie.

 

 

 

2.1. La religion populaire

Le mélange des cultures a permis l’élaboration de formes de syncrétisme qui relèvent de l’identité collective des Réunionnais. Se fera ici la découverte non seulement de création de saints — Ti’bon dié la kour — et la relation qui peut être entretenue avec certains morts.

Les ti’bon dié

Par ces cultes, dont seulement quelques uns seront cités ici, les Réunionnais montrent leur besoin d’intercesseurs, de médiateurs entre eux et le divin. La création d’oratoires au bord de la route et parfois dans les églises est une réponse à un besoin collectif d’être entendu par Dieu. On pratique le culte à des saints d’importation, tels que Saint-Expédit, par exemple, ou à des saints de fabrication locale, tels que le culte au Père Raimbault ou au Frère Scubilion par exemple. Ces Ti’bon dié servent à aider dans la maladie, à assister dans la peur de la mort.

Certains cultes à la Vierge sont très prégnants sur l’Ile, notamment, le culte à la Vierge Noire à la Rivière-des-Pluies. L’implantation de cette vierge aurait eu lieu au milieu du XIXème siècle, certains disent qu’elle était destinée à amener le peuple noir à la religion catholique, mais une légende raconte comment un jeune esclave enfui très pieux a été sauvé des chasseurs de Marrons par sa prière à une petite vierge d’ébène, un bougainvilliers l’ayant protégé. C’est à cet emplacement qu’on a installé la statue de la Vierge Noire.

La Vierge Noire peut tout, les pèlerins viennent chaque jour la vénérer, et certains jours de l’année font affluence, les 1er et 2 janvier, 15 août et 19 septembre, ces jours-là, des milliers de personnes viennent la prier. Elle garantit l’emploi, protège la famille, elle est la mère protectrice, elle a aussi un pouvoir thérapeutique. L’eau du ruisseau qui coule sous la paroi rocheuse sous la Vierge est considérée comme bénie, les pèlerins s’y lavent certaines parties du corps, certains en rapportent chez eux pour les jours de maladie.

Le culte de Notre-Dame de la Salette à Saint-Leu est également très pratiqué, une chapelle s’élève derrière l’église paroissiale pour montrer la reconnaissance de la population envers cette Vierge qui les a sauvé du choléra en 1859 ; ce sanctuaire est lui aussi un lieu de pèlerinage très fréquenté. Notre-Dame de la Salette est considéré par les Tamouls de l’Ile comme Marliemin, la Mère, le 19 septembre voit donc des pèlerins venir de toute l’Ile. Notre-Dame de la Salette est la mère guérisseuse.

On célèbre également Notre-Dame de la Délivrance le 24 septembre qui est mère guérisseuse et délivre de toutes les souffrances.

De nombreuses messes du Saint-Esprit sont célébrées pour apporter la lumière sur un situation, retrouver du travail, réconcilier une famille, le Saint-Esprit est protecteur et guérisseur, pour certains, il est le justicier, son culte peut dériver en demande de vengeance, des messes sont parfois demandées sur conseil d’un sorcier. Cet aspect du culte du Saint-Esprit montre que dans la mentalité populaire, religion catholique et sorcellerie vont parfois de pair.

Le culte de Saint-Expédit connaît lui aussi ce passage vers la sorcellerie, ses chapelles fleurissent tout le long de la route, il a même parfois des autels dans les églises, tels que celui dans l’église de Notre-Dame de la Délivrance où les fidèles vont prier l’un et l’autre, Philippe Reignier, dans sa thèse d’anthropologie religieuse Saint-Expédit à La Réunion, monographies, dénombre 340 oratoires dédiés à ce saint. Les hypothèses sur son origine se multiplient, mais il semble que ce culte se soit implanté à La réunion au début du XXème siècle. L’Eglise a tenté de marquer un recul par rapport à ce culte mais n’a pas pu aller à l’encontre de la mentalité populaire. Saint-Expédit est celui qui expédie les affaires courantes, il assure la guérison des malades, il est le protecteur, on lui construit parfois des petites chapelles dans la cour pour protéger la maison ; mais il est également le Saint Vengeur. Il est assimilé par les Malbars à Kàli, la nuit suprême qui dévore tout ce qui existe, au pouvoir de destruction sans limite, elle est aussi la félicité suprême qui soutient tous les vivants et les morts, Saint-Expédit ayant tous les attributs de Kàli est donc ambivalent ; il est parfois assimilé à Mardévirin qui fait régner le calme et la justice mais " qui résout les problèmes par le sang ".

Les intercesseurs

Appelés par Prosper Eve des " médiateurs ", ces personnages permettent à ceux qui leur vouent un culte d’intercéder en leur faveur auprès de Dieu, la plupart sont des religieux de l’Ile. On trouve le culte du Père Léopold, du Père Boiteau, du Père Raimbault, du Père Martin, du Père Lafosse, ainsi que celui du Frère Scubilion. Ces Pères, vivants, étaient des conseillers écoutés, à leur mort, ils deviennent des intercesseurs auprès de Dieu.

Le Père Raimbault arrive à La Réunion en 1935, il est réputé pour sa bienveillance, sa générosité envers les plus humbles et les lépreux et sa connaissance des thérapies par les plantes, il meurt en 1949 ayant négligé sa santé pour s’occuper de ses malades. Il est vénéré en tant que guérisseur, les fleurs cueillies sur sa tombe ont le pouvoir de guérir.

Le Frère Scubilion arrive en 1833 sur l’Ile, il est enseignant, il crée des classes du soir pour les esclaves, il était appelé de son vivant " le saint ", à sa mort en 1867, une grande procession de fidèles l’accompagne au cimetière. Il est invoqué en vue d’une guérison.

Un culte est pratiqué en l’honneur du Père Lafosse, ce prêtre a été mal apprécié de son vivant, il a pris une part importante aux journées révolutionnaires et a défendu les esclaves, il passe pour avoir été abolitionniste. Il arrive sur l’Ile en 1775, en 1790, l’abbé est élu maire de Saint-Louis, après 1798, il est exilé de la Colonie après avoir participé à une insurrection dans le Sud, il semble qu’il y revienne en 1802, et meurt en 1821 assassiné par un propriétaire. Son mausolée se trouve au cimetière du Gol à Saint-Louis. Le Père Lafosse est le seul intercesseur à qui l’on offre des croix. Le culte est professé par les couches moyennes et défavorisées de la population, il était " le prêtre des pauvres ", seuls les Comoriens et les Indiens musulmans n’y adhèrent pas. Le Père Lafosse est le confident de toutes les causes. Un tisaneur est venu s’installer dans le cimetière et contribue à l’entretien des tombes, il dit tenir ses dons du Père Lafosse qui lui aurait béni les doigts et " donner pour mission de prier et de guérir ceux qui viendraient à lui ", cet homme s’est installé un cabinet de consultation dans le cimetière. La présence de ce tisaneur contribue à rendre le culte du Père Lafosse controversé alors qu’il était déjà très ambigu du fait de la personnalité du prêtre.

Le culte aux âmes du Purgatoire

Après l’abolition de l’esclavage, l’Eglise développe le culte aux âmes du Purgatoire et propose des messes pour les défunts. Un système de quête est mis en place le jour de la fête des Morts pour financer ces messes, certains n’ayant pas les moyens de faire dire une messe pour leurs morts. Des associations des âmes du Purgatoire sont créées dans différentes paroisses, pour en faire partie, il faut verser une cotisation, ainsi les associés ont droit à leur mort à deux messes pour le repos de leur âme. Une Archiconfrérie est également créée à la fin du XIXème siècle.

En priant pour ces âmes, le vivant s’attire leur intercession pour l’avenir, une fois arrivées au Ciel, elles peuvent intercéder auprès de Dieu pour ceux qui ont prié pour elles, qui les ont délivrées du Purgatoire ; ce culte n’est donc pas totalement désintéressé. Prosper Eve précise qu’en 1985,

Les âmes du Purgatoire sont invoquées pour résoudre des conflits, des problèmes, parfois pour une guérison, et la tendance est parfois de " confondre âme abandonnée et tombe abandonnée ".

 

2.2. Quelques rites de protection

Les âmes errantes

La croyance au Ciel, au Purgatoire et à l’Enfer, n’empêche pas de penser que les esprits des morts peuvent influer sur les vivants de façon bénéfique ou néfaste, cette conception de l’âme commune à la population vient sans doute du métissage des cultures, l’Eglise n’ayant pas pu dans ses conversions empêcher les gens de conserver leurs croyances. Toute une catégorie d’âmes, celles des suicidés, des accidentés ou de ceux ayant connu une mort violente, ne vont pas au Ciel, au Purgatoire ou en Enfer, de plus, certaines peuvent s’évader de l’Enfer et se réfugier sur terre dans des arbres spécifiques ; ces âmes sont appelées âmes errantes ou bèbètes. Ces mauvaises âmes peuvent envoûter les vivants et les rendre malades. Certains gestes, connus de la plupart des Réunionnais, permettent de se protéger de ces âmes : on jette une pierre, on les insulte très vulgairement, on fait le signe de croix, on se déshabille et remet ses vêtements à l’envers, pour les empêcher d’entrer dans la maison, on place au-dessus du linteau de chaque entrée des feuilles de manguier — ceci est surtout pratiqué par les familles d’origine indienne et a une double signification : la protection de la maison et la bienvenue aux invités —.

Ces mauvais esprits peuplent l’espace, ils agissent surtout à des heures spécifiques, midi, dix huit heures, minuit et toute la nuit, et à certaines périodes de l’année, la veille de la Toussaint et pendant la période de l’Avent. Les sorciers qui manipulent les âmes des morts suspendent d’ailleurs leurs activités pendant ces périodes. Il faut également éviter de circuler la nuit pour ne pas déranger ces âmes.

De plus, le soir, ces âmes se rendent à l’église pour prier. Ainsi, les églises ne sont pas fréquentées par les vivants dès la tombée de la nuit.

On raconte que les pirates qui cachaient leur trésor du XVIIème au XIXème siècle sur l’Ile tuaient un jeune matelot pour que son âme garde le trésor d’éventuels voleurs, cette croyance a conduit certains chasseurs de trésors à kidnapper des enfants pour les offrir à l’âme du gardien en sacrifice.

Ces peurs des âmes errantes qui agissent surtout la nuit est peut-être inconsciemment à l’origine de la peur que ressentent certains Réunionnais, et surtout les femmes, de la nuit ; en effet, certaines femmes refusent de conduire la nuit ou de rester seule dans une maison la nuit.

Les veillées

A la mort d’une personne, on organise une veillée, comme il a été vu plus haut, les rites de ces veillées sont spécifiques à chaque communauté, cependant, cette veillée est commune à toute la population. Elle dure toute la nuit.

Certains racontent que si l’on n’a pas quitté la veillée avant minuit, il faut rester jusqu’au matin, l’âme du défunt pouvant suivre celui qui part après minuit — d’autres disent qu’il ne faut pas partir entre 23h30 et 1h du matin —.

Certains ne s’y présentent qu’en ayant dans sa poche du gros sel et des morceaux de charbon afin de se protéger des mauvaises âmes, quand ils rentrent chez eux, ils doivent jeter derrière eux sans se retourner ces protections au moment de passer le seuil de leur porte.

Certains placent au travers de leur porte un balai avant de partir qu’ils devront franchir pour rentrer, ainsi si une âme les a suivis, elle ne pourra pas entrer dans la maison.

Souvent, les femmes prient à l’intérieur de la maison où a lieu la veillée et les hommes jouent aux cartes ou aux dominos, vers minuit, ils rejoignent les femmes.

Des rites permettent de protéger les enfants de l’âme du défunt jusqu’à la mise en bière, ainsi dans certaines familles, on place un collier blanc autour du cou des enfants, des chats et des chiens de la maison pour éviter que l’âme ne les possède.

Des précautions peuvent être prises pendant le passage d’un convoi funèbre, les enfants ne doivent pas le regarder pour éviter que l’âme se réfugie en eux, de plus il faut éviter de voir le convoi par l’intermédiaire d’un miroir ou d’un reflet quelconque.

Les cheveux maillés

Comme il est précisé plus haut, ce rite est pratiqué par les Tamouls, mais, on remarque une adhérence de toute la population réunionnaise, quelque soit la communauté d’appartenance de la famille.

D’après Gérard Mouls, cette pratique a surtout cours dans les milieux populaires et pauvres de l’Ile et nécessite l’intervention d’un sorcier malbar, cependant, il semble que parfois ce rite soit pratiqué ailleurs que chez un sorcier, et notamment à l’autel d’une Vierge.

La famille qui constate le maillage des cheveux de son enfant va consulter un devineur qui détermine s’il s’agit d’un maillage malgache ou malbar pour savoir devant quel sorcier il faut se présenter pour le démaillage.

L’emmêlement des cheveux de l’enfant est interprété comme une attaque d’un esprit malfaisant, les parents ne touchent donc pas aux touffes de cheveux emmêlées de leurs enfants jusqu’à la cérémonie qui permettra de les tondre selon des rites particuliers.

Les Créoles blancs catholiques font parfois procéder à la tonte par des Sœurs à l’autel de la Vierge Noire.

Cette cérémonie doit toujours se dérouler près d’une source ou d’un point d’eau, car les cheveux y sont jetés et l’eau courante est purificatrice.

 

2.3. La sorcellerie

Le phénomène sorcier

La sorcellerie à La Réunion est utilisée dans un but thérapeutique et comme maintien d’équilibre pour la société, mais elle peut être également utilisée à des fins de vengeance et pour faire le mal.

Le terme de " sorcier " sera utilisé au sens générique désignant toute personne qui effectue des pratiques magiques ou surnaturelles pour influencer les phénomènes naturels. Dans cette conception générale, le sorcier possède un don qu’il a appris à maîtriser au cours d’une initiation qui est souvent une maladie, il peut aussi bien tir’ lo sor’ et retirer un sort, être un devinèr et prédire l’avenir, être un tisanèr ou simple et préparer des thérapeutiques à base de plantes, il peut guérir des maladies physiques, ali y tir’ lo mal, ou psychique, ali y tir’ l’espri, certains sont spécialisés dans une activité, d’autres en font plusieurs. Quoiqu’il fasse, c’est un être de pouvoir, il est craint et le sujet est tabou, pourtant les allusions sont fréquentes.

Le sorcier à La Réunion peut avoir différents noms, Sigidèr, Trétèr, Mazigador, Sorcié, Gratèr ti boi, devinèr.

Quelqu’un qui est envoûté est aranzé, amaré, on a fait un travail sur lui.

On peut opérer une sorte de classification des sorciers de l’Ile, le sorcier malbar, le sorcier malgache, ombiasy, le sorcier komor et le sorcier " blanc ", cette dernière dénomination n’ayant rien à voir avec la couleur de l’officiant. Une sorte de hiérarchie dans la peur et le respect qu’inspire le sorcier semble être faite par rapport à la puissance dont il fait preuve, les plus puissants et les plus redoutés sont les sorciers malgaches et komor, vient ensuite le sorcier malbar — certains prêtres malbars sont également devinèr — et enfin le sorcier " blanc ".

Les sorciers malbars agissent essentiellement sur l’esprit, alors que la sorcellerie comorienne est surtout centrée sur le corps, de plus celle-ci est la seule confrérie qui comptent des femmes sorcières. Les sorcières comoriennes utilisent le bois pour lire l’avenir et la technique des bains avec massage à base de diverses pommades végétales, la sexualité est également très utilisée de façon orale. Les sorciers comoriens ont la réputation de pouvoir tuer à distance, ce qui accentue la crainte qu’ils procurent.

Les malades psychiques consultent en premier lieu le sorcier, bon nombre de cas de personnes hospitalisées en psychiatrie ont d’abord vu un sorcier et sa thérapeutique n’ayant pas abouti, ils sont hospitalisés. D’autres fois, dans les cas de maladie somatique, c’est après la consultation de tous les spécialistes possibles de la profession médicale qui n’a pas apporté de réponse ou de guérison, que le malade ou sa famille se dirige vers le sorcier, estimant que la maladie vient alors d’un sort ou d’un esprit.

La manipulation des morts et des âmes

La sorcellerie peut également être pratiquée par manipulation de certains morts très réputés dans l’Ile. Ainsi, les tombes de Sitarane — dont une partie de l’histoire est retracée plus haut — et de La Buse — ancien pirate — sont très souvent visitées la nuit et au matin, on peut y trouver des restes de bougies fondues, des cigarettes, des bouteilles de rhum, ou du sang provenant de sacrifices.

On raconte qu’après son installation à Grands-Bois en 1993, une médium a pu voir Sitarane qui lui a demandé de libérer sa tombe de tous les maléfices qui l’empêchaient de passer dans l’au-delà en lui expliquant les rites à effectuer. Cette femme n’était pas réunionnaise et ne connaissait pas l’histoire de Sitarane, elle a détruit les maléfices et fait savoir que les services sur cette tombe étaient désormais sans effet. Un culte à Sitarane est effectivement pratiqué, la presse lors du procès de " l’affaire des buveurs de sang de Saint-Pierre " en 1910 a beaucoup contribué à faire de ce personnage un être maléfique puisqu’elle le présentait comme un " monstre sauvage ". Pour certains, Sitarane représente un saint, pour d’autres il personnifie le mal avec lequel on pratique la sorcellerie pour se venger, et pour d’autres enfin, il représente la révolte de l’aliéné dans lequel ils se reconnaissent. Son culte est donc très ambigu.

La tombe de La Buse connaît elle aussi des manipulations. La Buse, Olivier Levasseur, forban du début du XVIIIème siècle, a été condamné à la peine de mort pour ne s’être pas repenti, il a été pendu puis son corps a été exposé aux intempéries. La croix qui lui est attribuée à Saint-Paul est régulièrement l’objet de manipulations et de cérémonies, malgré qu’on ne sache pas s’il a vraiment été enterré à cet endroit. Jules Bénard dans son ouvrage consacré à la vie de Sitarane, raconte comment au début du XXème siècle, Calendrin — connu sous le nom de Saint-Ange Gardien — avait voulu, sans succès, exhumer le crâne de La Buse au cimetière de Saint-Paul pour augmenter la puissance de ses sorts.

On raconte que des politiciens utilisent la sorcellerie lors des élections, Jules Bénard précise d’ailleurs que depuis que la médium a détruit les maléfices de la tombe de Sitarane :

De plus, le 4 mai 2001, le Journal de l’Ile de La Réunion publie un article sur la découverte au cimetière de Bras-Panon d’une photo de l’ancien maire de la commune transpercée de deux grandes aiguilles en forme de croix sur une tombe. Cette découverte a lieu presque deux mois après les élections municipales.

Quelques pratiques courantes

Certaines pratiques sont couramment observées, elles peuvent être classées selon certains dans la sorcellerie ou le guérissage.

Une personne malade peut préparer une tisane, après s’être lavée avec cette préparation, elle met les plantes de la décoction dans une bouteille et va la cacher sous une roche ; cette personne est alors guérie quand une autre trouve la bouteille et la débouche. Jacques Bersez , dans son ouvrage sur les remèdes et pratiques à La Réunion raconte comment après avoir touché une de ces bouteilles par curiosité, il a dû pour rejoindre ses amis se laver avec du gros sel pour être purifié.

Parfois encore, quand les médecins ne parviennent pas à guérir une personne, celle-ci peut aller voir un sorcier qui lui prépare une tisane, après le bain, le sorcier réunit dans un sachet la décoction accompagnée d’autres produits qu’il place à une croisée de routes, dans le temps, il les déposait dans des tentes en osier ou dans des vans, aujourd’hui, il s’agit de sachets de supermarchés. La personne qui marche sur ce sachet récupère la maladie et celle qui a pris le bain est guérie.

Ces sachets à la croisée peuvent parfois également être un sacrifice pour mettre un sort sur quelqu’un. Lorsque les gens passent et voient ces sachets, ils ne savent pas ce qu’ils contiennent, ni s’il s’agit d’un sort ou d’une maladie, le fait est que le plus souvent, ils les évitent en faisant un écart avec leur voiture. Il est impressionnant de voir un car scolaire rempli d’enfants s’écarter sur la route pour éviter ce sachet. Ce genre de sachet est régulièrement déposé à une croisée, on le découvre au milieu du chemin au lever du jour. Avec le temps et les intempéries, il se perce, souvent, on peut voir des petites pièces de monnaie incrustées dans le sol, il est bien connu qu’il ne faut pas les ramasser.

Une personne qui touche à quoique ce soit qui vient de ce sachet risque d’être malade. Une anecdote peut être intéressante à ce sujet, un vacancier trouvant qu’un sachet sur la route " faisait sale " a décider de le ramasser après avoir été prévenu plusieurs fois qu’il ne fallait pas y toucher. Les personnes présentes le voient faire et lui disent de reposer ce sachet où il était, commence alors une aspersion de gros sel sur cet homme, tout le monde panique, après cette " purification ", il peut finalement pénétré dans la maison. Tout semble réglé puisqu’il a été " lavé ", pourtant le lendemain, il est malade, manque de s’évanouir, vomit jusqu’à l’absorption d’une tisane. On peut se demander si ce malaise vient du fait qu’il a touché le sachet ou de la panique et l’angoisse qui l’ont gagné par la suite, puisqu’il avait été " passé au gros sel " comme l’usage le veut. La question restera entière.

La Réunion connaît donc des pratiques et croyances culturelles propres, qui montrent un aspect des effets de la multiculturalité et qui participent avec d’autres facteurs à façonner l’identité réunionnaise. C’est face à cette identité que se trouve l’institution judiciaire, il paraît important de tenir compte de ces aspects culturels pour comprendre le justiciable et ses raisons et rendre une Justice " juste ".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II

LA JUSTICE FACE A DES PRATIQUES ET CROYANCES

 

 

Les différentes pratiques décrites et analyses au chapitre précédent peuvent être sources des conflits. Généralement, ces conflits sont réglés au sein des communautés qui les ont vus naître. Mais, il arrive aussi qu’ils soient portés devant les tribunaux étatiques. A partir d’une étude des cas concrets observés sur le terrain, nous allons montrer les limites de la Justice étatique face et au regard de ces réalités qui débordent les frontières institutionnelles et la logique cartésienne du juge métropolitain et/ou occidentalisé.

 

Section 1.: Analyse des cas

    1. Affaire L.Q.

Les faits se produisent dans la nuit du 22 au 23 janvier 2001. Onze personnes sont placées en garde à vue, et neuf mises en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion et avec usage d’une arme, et pour omission volontaire de porter secours. Une est placée en détention préventive.

Les faits tirés des auditions sont les suivants : A. âgé de 33 ans est trouvé mort par les gendarmes le matin du 23 janvier, il est allongé sur le sol du salon pieds et mains liés dans le dos, les gendarmes ayant été appelés par la famille de A après la constatation de sa mort.

Une des sœurs du défunt a décidé de prévenir les gendarmes, pensant que A ne pouvait plus être sauvé, dans la panique, elle n’a pas téléphoné à un médecin. Avant l’arrivée des gendarmes, elle a persuadé les autres personnes présentes de mentir et tous se sont mis d’accord sur une version des faits. A. a battu G. (sa sœur) lui disant qu’elle avait le démon, ses frères, sœurs et beaux-frères sont arrivés et ont attrapé A. pour le calmer, ils l’ont attaché et battu, il est mort.

Les PV des gendarmes sur les lieux disent que A " A été pris d’une violente crise de démence obligeant la famille à le ligoter et le frapper. " Les gendarmes constatent la présence de différents objets : carrés de camphre, une bouteille contenant un liquide non identifié, feuilles et branches de Piodène, tous les miroirs et les fenêtres sont recouverts d’un produit semblant être de la cendre, traces de brûlures sur les portes, les volets se recouverts de suie, feuilles séchées aux ouvertures

Pendant les auditions lors de la garde à vue, les différentes versions ne correspondent pas vraiment entre elles. Les gendarmes auditionnent les personnes de nombreuses fois.

On constate qu’au moment de ces auditions, certains gendarmes posent des questions aux prévenus concernant des pratiques liées à la religion par rapport aux différents éléments qui ont été observés à l’arrivée sur les lieux. Lors des premières auditions, les différents interrogés répondent qu’ils ne connaissent pas la signification de l’arbre dont les branches ont été coupées, qu’ils ne savent pas ce que signifie l’eau safranée dans la religion tamoule, qu’ils ne croient pas aux démons dans la famille. Ils disent que A. était parfois violent à cause de l’alcool mais qu’en général, il cassait tout dans la maison et ne s’en prenait pas aux personnes — l’autopsie révélera que A. n’avait pas d’alcool dans le sang —.

Parmi les interrogés, certains disent dès la première audition qu’ils voulaient " faire une affaire tamoule " à A pour chasser le mauvais esprit qui se trouvait en lui.

La famille a peut-être décidé de mentir pour ne pas aborder l’aspect de cérémonie d’exorcisme. Peur de ne pas être compris, de ne pas être crus ? Peut-être ne voulaient-ils pas en parler à des étrangers à la famille ?

Aux vues des différents interrogatoires, les faits semblent être les suivants : la famille s’est réunie chez la mère, ce qui était prévu depuis plusieurs jours, pour exorciser la maison possédée par les satans.

M.-C. explique que V., une des sœurs de A., a le don depuis que son père défunt lui a transmis par rêve et que A. pratiquait la religion tamoule, il avait " un arbre de croyances " dans la cour, mais ne faisait pas le cavadee, ni la marche sur le feu.

Depuis une semaine, V. aurait transmis le don à A. et M.-C., son frère et sa sœur.

Ils se sont donc réunis chez la mère. Après la bénédiction de la maison par V. et le repas, les filles d’une des sœurs ont eu un comportement bizarre, elles " avaient le satan en elles ", V. les a exorciser avec imposition des mains et prières. Plus tard, A. dit que G. est possédée, il veut l’exorciser en la battant à coups de branches de piodène, il devient comme fou, il est possédé, le visage gonflé, les yeux exorbités, il crie qu’il doit tuer quelqu’un pour chasser les démons de la maison.

Toutes les personnes présentes sauf la mère, une sœur et G. l’attrapent, certains le tiennent, d’autres frappent avec des branches de piodène ; ils l’attachent et le laissent hurler. Plus tard, une sœur vient le voir, il est mort. Ils le laissent attaché et appellent la gendarmerie.

Remarquons que les auditions diffèrent sur le fait qu’ils étaient tous là pour exorciser la maison, sur qui a frappé, qui a tenu, sur le déroulement des faits, le temps des coups, l’heure d’arrivée de chacun à la maison de la mère. Certains parlent du don de A., d’autres non. Certains reconnaissent le don de V. qui est la seule à être gardée en détention préventive et qui a semble-t-il mené le déroulement de la cérémonie. En ce qui concerne le don de M.-C., celle-ci dit ne pas en avoir.

Il est précisé à la fin de chaque audition que celle-ci a été faite en français, langue que le prévenu reconnaît comprendre. En lisant ces auditions, on s’aperçoit rapidement quels sont les policiers créoles et lesquels sont zoreys. On voit que les personnes interrogées s’exprimaient en créole, les policiers créoles traduisent en français, les policiers zoreys traduisent en mot à mot et il peut y avoir des contresens, décelables à la lecture. Il aurait fallu une transcription en créole d’abord, puis une traduction en français pour éviter ces contresens.

On remarque également que certains officiers de police judiciaire posent des questions concernant la religion, les pratiques religieuses du défunt ou des membres de la famille, d’autres n’abordent pas du tout la question, malgré tous les indices laissés dans la maison qui pourraient faire penser à une cérémonie.

Toutes les personnes interrogées disent qu’elles ne voulaient pas tuer A., qu’elles n’ont pas frapper fort, qu’il n’a pas pu mourir des coups, que le démon est parti et a emmené A. avec lui. Elles disent qu’elles voulaient juste aider A.

Des expertises sont demandées auprès de psychiatres et psychologues pour enquête de personnalité, les questions posées à l’expert sont :

- Le sujet est-il curable ou réadaptable ?

Le juge d’instruction est changé après la mutation du premier, un nouveau reprend l’affaire, celui-ci demande également une expertise pour chaque personne mise en examen à un psychologue avec lequel il a l’habitude de travailler. La mission de cet expert étant de :

Dans l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention pour le placement en détention provisoire, il est précisé qu’il s’agissait d’un exorcisme

Tous les auditionnés sont placés sous contrôle judiciaire, excepté V., la sœur de A., qui est placée en détention provisoire, là il est dit

V. reconnaît avoir pratiqué la séance de désenvoûtement selon les rites pratiqués par la famille L.

Le juge des libertés parle de procédure d’exorcisme pour certaines personnes mais pas dans tous les dossiers de cette affaire. Pourquoi ?

Ici, il est intéressant de remarquer que la personne qui a dirigé la séance d’exorcisme dit avoir eu son don par un rêve, mais il n’y a pas eu véritable initiation, il peut parfois y avoir des dérives dans les croyances. Un don de guérisseuse ou d’exorciste se paye, on ne s’institue pas guérisseuse, il faut qu’il y ait transmission.

Souvent, les guérisseurs souffrent énormément, pendant des années, avant de savoir qu’ils ont le don.

 

1.2. AFFAIRE R.

Au milieu des années 1990, une femme est emmenée chez une guérisseuse, après une séance d’exorcisme, elle meurt. Les personnes présentes, le père (72 ans), le mari, des sœurs, la guérisseuse sont inculpées devant la Cour d’Assises. La guérisseuse est condamnée à 3 ans prison dont 18 mois fermes ; le père à 18 mois de prison ferme, le mari également.

L’histoire se présente ainsi : un père partage ses biens entre ses enfants, le partage de la terre se passe mal. Un des fils est mécontent, il se bat avec son beau-frère qui gagne la bagarre. L’insatisfait part en menaçant l’autre de le faire payer. Le temps passe, les deux familles ne se fréquentent plus.

Au bout d’un certain temps, le comportement de la sœur du mécontent, que nous appellerons A., change de comportement, elle est prostrée puis agitée, elle fait des chutes, des crises d’épilepsie, perd connaissance, la nuit elle a des visions d’enfants et de gens qui l’appellent, la journée, elle entend des bruits que personne d’autre n’entend. Un jour, elle manque d’étrangler son fils de quatre ans. Toute la famille se relaie pour la veiller la nuit.

Le médecin de famille est d’abord consulté, il n’apporte aucune réponse et la situation s’aggrave. La famille consulte alors le prêtre malbar — la famille est malbare — qui évoque une possession accidentelle. Des âmes errantes sont abritées par des arbres ou des lieux où serait passée la femme possédée ; le mari coupe le manguier de la cour. Les choses ne s’arrangent pas, on fait alors appel à un devinèr qui évoque la malveillance, on recherche un objet maléfique, le prêtre purifie la maison et le terrain, rien ne change. Le prêtre donne à la femme une protection qu’elle doit porter en permanence autour du cou, là encore en vain.

On se souvient alors des paroles du frère : " Tu paieras ! ", et pense à une attaque sorcière. Il faut donc faire appel à une personne qui pourra tirer le sort. La famille s’est rapprochée dans les différentes démarches déjà effectuées, la solidarité familiale est très forte, pour aller voir une guérisseuse, il faut l’aval du père, celui-ci ne s’y oppose pas.

Après avoir confirmé le diagnostic d’attaque sorcière par différents signes, la guérisseuse, madame R. commence le travail. Elle utilise des baguettes de rotin pour frapper l’esprit, la famille tient la femme, avec ces baguettes, seul l’esprit est frappé, à force de coups il doit quitter le corps qu’il possède, la femme possédée, elle, ne ressent pas les coups.

Après une première séance, la femme passe une nuit tranquille, le lendemain, on l’emmène chez la guérisseuse, là, un dialogue s’installe entre madame R. et l’esprit, il reposait au cimetière quand quelqu’un est venu le réveiller, madame R. en déduit qu’il s’agit de l’âme d’un pendu. On parle alors à la guérisseuse des soupçons de sorcellerie qui pèsent sur le frère mécontent du partage de la terre, à ce moment, l’esprit crie " C’est payé, tout s’est compris ! " - la voix qui parle n’est pas celle de madame D. — " C’est trop tard. C’est trop tard. Arrêtes ! ". La guérisseuse pense avoir gagné et fait partir l’esprit, pour vérifier, elle teste l’esprit — les esprits sont réputés menteurs — avec des objets dont le sens ne peut pas échapper à la patiente, si l’esprit n’est pas parti, il devrait réagir. Madame R. décide de faire une pause et de reprendre la séance plus tard à une heure plus favorable. Ils reprennent donc plus tard, là l’esprit se manifeste dès les premiers encens brûlés, on maintient la possédée, la guérisseuse la frappe avec des baguettes de rotin. Au bout de 2h30 de ce traitement, la séance est interrompue pour faire une pause, madame D. est calme, allongée, elle semble dormir. Au retour des officiants, elle est morte.

On remarque donc qu’à partir du moment où le mal ne cède pas aux remèdes et aux objets profanes, la famille se tourne vers la tradition. D’abord du côté communautaire, puis sans doute du fait de la créolisation de la famille, on va consulté en dehors de la communauté et on fait appel à une guérisseuse qui a une pratique malgache — cette femme a des origines indiennes, malgaches et créoles, elle respecte les tabous alimentaires de ses différents ancêtres —. La consultation de la guérisseuse se fait sur décision familiale avec autorisation du père. Tout, pendant les séances, se déroule d’après des codes culturels que chacun des participants reconnaît : les objets utilisés, les réactions, tout relève de codes culturels.

Pour madame R., la possédée. n’a pas pu mourir sous les coups de rotin puisque seul l’esprit souffrait de ces coups ; elle pense que madame D. est morte parce qu’il n’avait pas été fait ce qu’il fallait quand il en était encore temps :

En aucun cas, la guérisseuse ne s’estime responsable de la mort de madame D. et la famille ne l’accuse pas non plus. Pour tous, la cause de la mort est évidente, ils comprennent maintenant le sens des paroles " il est trop tard ", en fait le délai était déjà passé quand la famille a consulté madame R., celle-ci ne pouvait plus rien faire.

Madame R. pense que c’est le frère de madame D. qui est à l’origine du sort, il aurait envoyé l’esprit sur le mari avec qui il s’était battu mais celui-ci était protégé par " son tempérament fort " et l’esprit s’en est pris à la femme réputée plus faible dans la famille. Le motif de cette attaque sorcière serait la jalousie à la suite du partage des terres.

Pour Jacques Brandibas, la rencontre de la possédée, la guérisseuse et la famille permet un équilibre, la patiente pouvant exprimer ses émotions et le groupe se trouve plus solidaire grâce à la capacité de liaison de la guérisseuse.

Effectivement, le groupe familial était déjà déchiré par le partage de la terre qui avait causé la rupture, la mort de madame D. aboutit à la rupture définitive.

Cet accord sur l’étiologie sorcière permet tout de même la solidarité dans la famille qui a participé aux différents recours pour aider madame D., et entre la famille et la guérisseuse, s’unissant par les codes culturels ; cette solidarité reste intacte malgré la mort de madame D. et le fait que la justice soit saisie.

 

1.3. La position du juge

Dans le cas de l’affaire R., l’intervention de la justice se fait après que le médecin refuse de signer le permis d’inhumer. La justice est saisie — apparemment par le frère supposé jaloux — . L’autopsie révèle une mort par asphyxie, la langue de madame D. s’est retournée pendant une crise d’épilepsie. Après les interrogatoires des proches, les gendarmes établissent que la mort est survenue au cours d’une séance de guérissage. Le juge d’instruction met en examen tous ceux qui étaient présents et met en détention le père, le mari et la guérisseuse.

Le chef d’accusation est délicat a déterminer, la femme n’est pas morte sous les coups, mais une demi-heure après la fin des coups de baguettes de rotin, elle est morte asphyxiée. Les participants sont alors accusés de transport de cadavre puisque le médecin qu’ils avaient appelé leur a conseillé de ramener le corps à leur domicile, et de non assistance à personne en danger.

Le juge apparaît là pour rétablir l’ordre après la mort de la victime. L’institution et ses représentants sont là pour veiller au respect des lois qui permettent le maintien de l’ordre social. Mais, dans cette affaire, il a été délicat de déterminer quelle loi avait été violée. Les qualifications peuvent apparaître comme des solutions de substitution parce qu’il faut bien qualifier pour poursuivre et juger. Le juge essaye de faire correspondre la qualification à l’expression de la loi.

Cependant, dans la société réunionnaise, les croyances et les pratiques qui y sont liées permettent cet équilibre de l’ordre social, elles régulent la vie et l’ordre. La non observance de certains rites peuvent même bouleverser l’équilibre en provoquant une fragilité. Les guérisseurs comme madame R. par exemple, participent à la régulation sociale, ils sont comme des représentants de la société face aux bèbètes.

Le juge demande une expertise psychologique, l’expert lui rend un texte qui désigne l’accusé en termes médico-psychologiques, la notion d’invisible disparaît alors, le juge est sans doute plus à l’aise avec des descriptions scientifiques telles que l’égocentricité, l’immaturité, l’impulsivité, l’anti-sociabilité, la névrose, ces termes parlent plus aux représentants de l’institution judiciaire. L’exorcisme ou des pratiques de guérissage ou de sorcellerie ne cadrent pas avec l’esprit cartésien qui caractérise l’institution. N’oublions pas qu’à La Réunion, les juges sont en général métropolitains, souvent lors d’un procès d’Assises il y a trois juges métropolitains, l’avocat général, lui aussi métropolitain, un accusé très souvent créole, son avocat également, les experts sont souvent métropolitains eux aussi, les jurés sont majoritairement créoles.

Les juges n’aiment sans doute pas trop aborder les choses sous l’angle de l’invisible car ils s’en font une représentation un peu sauvage, et ont peur que cela influence le jugement du jury qui est composé de créoles. De plus, la justice " doit être rendue " et les invisibles ne peuvent pas être jugés, il faut un responsable du désordre. Cette notion de responsabilité est très importante pour la justice républicaine, comment faire quand on reconnaît l’action de l’invisible, de la sorcellerie, la personne possédée est envahie par un esprit, elle agit sous l’influence de celui-ci, elle ne peut pas être regardée comme responsable. Dans les règles que suit la justice, la personne est responsable de ses actes sauf si elle est folle, dans les cas de procès où interviennent l’invisible, il est plus facile pour un juge de reconnaître l’irresponsabilité d’un homme pour folie que pour possession

En quelque sorte, la justice ne tient pas compte de la culture, les juges oublient le contexte culturel dans lequel ils exercent, pourtant, les individus agissent et réagissent en tant que membres de leur culture et non en tant que citoyens de la République. C’est la culture ou son absence qui fait réagir l’homme d’une façon ou d’une autre.

Peut-être la justice ne prend-elle pas assez en compte la force du groupe, de l’environnement, car à La Réunion, les gens vivent avec le regard des autres, la crainte aussi de l’autre, de l’environnement. Le pendant de la culpabilité dans cette société n’est pas la responsabilité mais la honte.

Il convient de préciser qu’il est exceptionnel que soit jugé un guérisseur, madame R. est une exception, les rites culturels permettent de maintenir l’ordre et évitent normalement que les situations deviennent dramatiques, mais comme à tout principe, il y a des exceptions, madame R. en est une. Les cas qui passent devant la justice sont souvent liées à l’escroquerie ou au charlatanisme. Mais on rencontre également des cas de dérives, où pour des raisons invoquées de guérissage il y a violences sexuelles, d’après monsieur J. interrogé le 21 avril 2001, souvent ce n’est pas la victime qui est consciente de cette dérive mais quelqu’un de son entourage. La justice intervient alors comme sanctionnatrice de la violence sexuelle, par cette action, elle permet de poser des repères à la société qui sait que le phénomène culturel ne doit pas servir de prétexte à des comportements anti-sociaux.

L’affaire L.Q. d’exorcisme pratiqué par toute une famille est une sorte de dérive qui peut arriver quand il y a acculturation. Il reste des bribes de culture qui sont utilisées, mais quand il y a perte de culture, les rites et les gestes ne sont pas correctement exécutés, les rituels sont comme déconnectés de ce qui les fonde, on peut ainsi aboutir à des catastrophes, comme cette sœur de A. qui semble s’être improvisée guérisseuse et a dirigé la séance à laquelle toute la famille a participé. Un guérisseur paie un prix pour son don, prix qui passe entre autre par l’initiation, bien souvent par une maladie, une souffrance, il y a transmission.

La perte des repères culturels dans des pratiques peut aboutir à une sorte de " sauvagerie " que la culture en régulant l’ordre social permet de contenir.

Le juge est ici positionné comme le représentant de l’ordre social, mais cet ordre est maintenu par d’autres règles que celles que connaît le juge, on arrive donc à une sorte de superposition des moyens de régulation de l’ordre dans ce genre de cas. Or, il conviendrait d’arriver à une complémentarité pour éviter une incompréhension de part et d’autre.

 

 

Section 2 : Pour une gestion plurale des conflits

Cette section se propose de montrer que la logique institutionnelle du droit étatique rencontre des limites et ne suffit pas pour permettre un bon fonctionnement de la justice et du droit à La Réunion, il convient alors de tenir compte du pluralisme juridique et de la pratique des acteurs pour aboutir à une meilleure régulation sociale. La prise en compte du pluralisme passera par le biais de la négociation.

2.1. Une complémentarité nécessaire entre la logique institutionnelle et la pratique des acteurs

La logique institutionnelle repose sur le droit positif, elle est fondée sur une idée d’un fonctionnement du droit unilatéral, cependant, on observe un pluralisme culturel et juridique qui encore actuellement n’est pas pris en compte à La Réunion. On assiste donc à une sorte de superposition de modes de régulation de l’ordre qui aboutit à une Justice comprise au sens de Justice étatique, institution judiciaire, et un mode régulation de l’ordre social, auquel, on l’a vu plus haut, participent la pratique des rites, la "pratique de sa culture".

En se référant uniquement aux institutions et aux règles du droit positifs pour réguler l’ordre social, on s’aperçoit qu’il n’y a pas cohésion sociale derrière cette conception de la justice mais uniformisation et volonté d’homogénéisation qui espère effacer les différences. Le résultat de cette dénégation de l’altérité entraîne le mécontentement des justiciables qui ne se reconnaissent pas dans l’institution et considère la Justice " injuste ". On veut imposer l’universalisme des règles judiciaires républicaines à un département qui se particularise par rapport à cette logique républicaine par le fonctionnement de sa société et son histoire. Comme le dit Etienne Le Roy,

Or le pluralisme ne peut se confondre avec cette vision unitariste de la justice d’après laquelle le droit est " essentiellement celui de l’Etat moderne, tout comme le règlement des conflits est devenu un monopole des institutions étatiques. ", car il existe des modes non juridictionnels de résolution des conflits ou du moins de régulation de l’ordre social.

Pour obtenir un fonctionnement performant permettant la régulation de l’ordre social, il convient de trouver un moyen de faire correspondre la logique institutionnelle avec les besoins de ses utilisateurs que sont, dans ce cadre précis, les justiciables réunionnais. Il ne faut donc pas seulement tenir compte des textes, mais également comme le souligne Michel Alliot de " ce qu’en font les acteurs. ".

On le voit actuellement, le fonctionnement unique du droit unilatéral pose problème, le justiciable n’est pas satisfait, il exprime son mécontentement par le passage à l’acte, la violence. S’il y a violence, comme c’est le cas sur l’Ile où la violence est très prégnante — il suffit pour le constater d’ouvrir le journal chaque jour — cette violence est un signe que la justice est mal rendue —.

Comme le propose Etienne Le Roy dans la recherche de " règles du jeu performantes ", il est nécessaire d’ouvrir la logique institutionnelle à la fonctionnalité et interrompre l’opposition de ces deux logiques.

Il paraît en effet important de tenir compte des " particularités " réunionnaises, comme l’univers du visible et de l’invisible de l’Ile, le mode de pensée et les croyances des Réunionnais, pour une meilleure régulation de l’ordre social. Cette prise en compte du pluralisme pourrait aider à aboutir à une harmonie dans les relations qu’entretiennent les Réunionnais avec la métropole et ses institutions. Comme le souligne Jean-Claude Bonnan, la violence ne disparaîtra jamais complètement

mais la quête d’une harmonie n’est peut-être pas utopique.

Cette recherche d’harmonie pourrait devenir un nouvel universalisme qui tiendrait compte de la richesse que peuvent apporter les différences. La double exigence de la démarche de l’Institut Interculturel de Montréal pourrait fonder cette recherche,

Pour aboutir à une complémentarité des modes de régulation de l’ordre social, il convient donc de quitter le champ unitariste de la justice étatique pour une prise en compte du pluralisme juridique par le biais de la négociation, la médiation, la conciliation, l’oralité de la procédure.

 

2.2. Vers une conciliation des besoins sociaux et de la logique institutionnelle par le biais de la négociation

La justice étatique reste dans le cadre légal, elle ne peut fixer que des repères. Il arrive que des conflits de voisinage soient confiés à certaines personnes de la société civile plutôt qu’à l’institution judiciaire, il y a alors une sorte de concurrence entre la justice étatique et la justice " informelle ", le dialogue entre les deux par le biais de la négociation dans le cadre de nouveaux forums placés sous la responsabilité de figures d’autorité peut permettre leur complémentarité, et éventuellement aux Réunionnais de se reconnaître et d’avoir confiance en la Justice. Ce dialogue doit permettre à l’institution et la société de se comprendre en tenant compte de l’altérité culturelle, nous parlerons de dialogue de cultures.

La notion de " droit des repères "

Le rôle du droit n’est pas nécessairement d’imposer, de sanctionner ou de diriger de façon unilatérale, il doit fixer des limites, des repères pour participer à le protection de la société.

Au sein du LAJP, Etienne Le Roy et Camille Kuyu ont travaillé sur cette notion de " droit des repères ", c’est une notion encore floue qui doit être approfondie pour pouvoir être utilisée dans le cadre de situations de cultures, telles que celle qui nous intéresse à La Réunion.

En effet, le droit et l’institution judiciaire ne doivent pas être seulement répressifs et interdire, ils doivent donner des limites qui permettent la reproduction de la société. Il existe des situations qui relèvent de l’informel mais qui participent de la société que l’institution ne peut pas interdire car elle interromprait ainsi la reproduction de la société.

La construction des maisons sans permis de construire est assez répandue sur l’Ile, pendant plusieurs mois, des hommes travaillent sur cette construction, une famille s’y installe et la maison n’est pas démolie, pourtant il n’y avait pas de permis. Comme le soulignait monsieur J., ce phénomène relève d’une participation commune qui fait avancer la société, le fait que finalement l’électricité est installé montre que l’absence de permis de construire n’est pas un problème considérable. L’institution judiciaire ne peut pas ignorer cette pratique et pourtant les poursuites sont rares, il y a donc une sorte d’entente tacite et l’institution ne réprime pas.

L’expérience de l’intermédiation culturelle

L’expérience du tribunal pour enfants de Paris avec l’intermédiation culturelle est un très bon exemple de ce qui peut se faire et de l’ouverture possible de l’institution aux besoins des justiciables. On s’est posé la question de savoir " Qu’en est-il de la différence culturelle pour ceux qui comparaissent devant le juge des enfants ? "

L’intérêt de cette intermédiation culturelle est de permettre au juge de mieux orienter son action par rapport aux données culturelles qui lui sont apportées par l’intermédiateur culturel mandaté par le juge. Cette démarche favorise l’intégration à la société française, elle permet également de concevoir le droit autrement que comme un système ordonné, imposé et clos.

D’après Camille Kuyu, les intermédiateurs ont une fonction de " double traduction culturelle " :

Dans son article, l’auteur montre que la justice reste dans le cadre légal, certains aspects qui participent au règlement du conflit sont traités à part, en dehors du cadre institutionnel, sous les conseils des intermédiateurs. Ainsi, une jeune fille se fera désenvoûter pour permettre le rétablissement des liens familiaux et reviendra ensuite voir le juge des enfants pour régler le problème de sa garde. Ce désenvoûtement " symbolique pour les uns et réel pour les autres " est un préalable nécessaire au travail du juge qui n’aurait pas pu répondre à ce besoin des justiciables concernés. Ainsi, le juge n’a plus qu’à s’occuper des aspects purement judiciaires de l’affaire.

Dans leur ouvrage L’enfant sorcier africain entre ses deux juges, Martine de Maximy, Thierry Baranger et Hubert de Maximy permettent de comprendre ce qu’apporte cette intermédiation culturelle. Ainsi, ils proposent de " retravailler la nature même du droit ", de " retravailler la fonction de juger et la mission du juge " et enfin de " retravailler l’éthique du juge "

Cette expérience réalisée au Tribunal pour enfants de Paris est un bon exemple de ce qui peut être entrepris au niveau de la justice et la culture. Cette expérience pourrait s’appliquer à La Réunion car elle permettrait d’établir un dialogue entre l’institution et les justiciables On sait notamment que dans l’expérience parisienne il y a la possibilité d’utiliser la langue maternelle dans l’intermédiation, ce qui est fondamental par rapport à l’identité culturelle de la personne, ce point paraît intéressant à appliquer au cadre réunionnais car comme nous l’avons vu, le problème de la langue se pose parfois. Maitre Rémi Boniface, avocat du barreau de Saint-Denis, se pose d’ailleurs la question de la nécessité d’imposer l’usage dans le prétoire d’un langue unique.

Le dialogue interculturel est à envisager à La Réunion pour permettre de sortir d’une certaine rigidité dont fait preuve l’institution, mais aussi ses représentants car un juge a affirmé lors de son interview qu’il était dans un département français et rend la justice comme dans n’importe quel département de la métropole, qu’il ne voit quelle différence il faudrait faire. Il ne tient nullement compte de la culture et des particularités réunionnaises et se contente de l’aide occasionnelle de son greffier pour éviter les contresens dans la communication.

De nouveaux forums de négociation sous la responsabilité de figures d’autorité

Les trois attributs principaux de l’autorité sont la légitimité, la compétence et la capacité à sécuriser les acteurs sociaux, une personne regroupant ces trois attributs serait une figure d’autorité.

Dans sa thèse de Doctorat en Droit, Camille Kuyu définit la figure d’autorité en se fondant sur les écrits de P. Bourdieu sur la légitimité de la personne basée sur une " reconnaissance institutionnalisée " ou non, dans le cadre de cette " reconnaissance non institutionnalisée " c’est-à-dire ne comprenant pas de rites d’institution, la légitimité est fondée sur les " compétences " de la personne ; ainsi que les écrits d’Etienne Le Roy qui parle de personnes occupant une " position structurelle charnière dans la société "

Camille Kuyu démontre que le musicien zaïrois répond à ces deux conditions essentielles de " compétence musicale " et de " position charnière dans la société ", ce qui fait de lui une figure d’autorité car il occupe une position intermédiaire entre " tradition " et " modernité " et entre les représentants du pouvoir politique et la masse populaire.

A La Réunion, certaines personnes sont des figures d’autorité reconnues par la population mais pas forcément par l’institution, mais il existe également des espaces de parole, de négociation.

Ainsi, la kour servait de lieu de " palabre ", la cour est un espace caché, protégé où se négociaient les relations familiales et de voisinages et où certains conflits pouvaient être réglés par la parole. Aujourd’hui le développement de l’urbanisation, la construction des immeubles et l’éclatement des familles rend cette pratique désuète. Pourtant, dans le quartier du Chaudron, il semble que les habitants se soient solidarisés lors des émeutes de 1990 au niveau de l’espace commun aux immeubles qui a pu remplacer la cour à ce moment-là, même si la violence n’a pas été évitée.

Des lieux de parole peuvent être mis en place par certains médias, par exemple, de nombreux réunionnais écoutent et téléphonent pour passer à l’antenne de Radio Free-Dom, là, les gens parlent des sujets qui les marquent dans l’actualité ou par rapport à des événements sociaux. Ils ont la parole, peuvent dire ce qu’ils veulent, le plus souvent en créole, ils vont à une cabine téléphonique et la radio les rappelle, certains peuvent rester des heures en ligne puisqu’il y a dialogue avec d’autres auditeurs. D’autres radios se rendant compte de l’impact d’un tel concept consacrent aussi des émissions à la parole des auditeurs, mais aucune ne le fait comme Radio Free-Dom.

Auparavant, il existait une Télé Free-Dom, c’était une télévision pirate dont les émetteurs ont été saisis par la justice, ce qui a provoqué, sans être certainement le seul déclencheur, les émeutes de février 1990. Cette violence soudaine a montré qu’on avait retiré quelque chose d’important aux gens en supprimant cette télévision qui était la seule à pratiquer une réelle interactivité avec les téléspectateurs, cette saisie vécue comme une injustice à provoquer le passage à l’acte.

Comme nous l’avons vu plus haut, la pratique des rites et croyances participe à la régulation de l’ordre social, dans cette pratique, il y a souvent la rencontre des pratiquants au temple, à la mosquée ou à l’église. Ces lieux de culte, sont également des lieux de parole qui permettent aux présents de mettre à plat certains problèmes, d’en parler avec l’officiant, cela permet parfois de rétablir l’ordre menacé.

Au niveau des lieux de négociation reconnus par l’institution judiciaire, depuis peu, les maisons de justice se multiplient, elles permettent une proximité avec les justiciables. Les gens viennent consulter, prendre conseil, on y règle les problèmes de voisinage sans passer par les tribunaux.

On rencontre plusieurs figures d’autorité sur l’Ile, chaque communauté religieuse ou "ethnique" se reconnaît dans une personne qui réunit les attributs de l’autorité d’une façon ou d’une autre. L’Imam est une figure d’autorité pour les musulmans, le prêtre pour les catholique, certains se tournent vers un sportif ou encore un chanteur.

L’exemple du prêtre malbar est caractéristique. En effet, il réunit les attributs de l’autorité, sa légitimité vient de sa formation qui l’a conduit à devenir prêtre, il est reconnue par la communauté de son temple, il est respecté et écouté. Ses compétences sont reconnues et il a la capacité de sécuriser les gens qui viennent le consulter. De plus, le prêtre malbar occupe une " position charnière dans la société " puisqu’on vient le consulter pour décider par exemple de la date d’un mariage, pour bénir la maison dans laquelle la famille va s’installer, dans un cas de maladie étrange, mais aussi dans des cas de problèmes familiaux ou de voisinage. La sociabilité contemporaine malbar tourne autour de lui. Cependant, il n’est une figure d’autorité que pour la communauté tamoule, les Kafs, les Yabs, les Groblans, les Zarabs et les Chinois ne se tournent pas vers lui, ne se reconnaissent pas en lui.

Il est arrivé qu’un prêtre catholique soit reconnu figure d’autorité par des personnes quelle que soit leur communauté d’appartenance, il est vrai qu’excepté les musulmans, pratiquement tous les Réunionnais sont catholiques. Les Hindouistes pratiquent la religion tamoule et la catholique, ils peuvent écouter le prêtre malbar et le prêtre catholique. Le Père Dijoux, décédé en 1988, était de ces figures d’autorité, écouté et respecté par tous. C’était un prêtre exorciste qui a consacrait sa vie aux autres, il recevait les gens, les écoutait, les soignait.

Certains chanteurs de Maloya, tels que Granmoun Lélé ou Firmin Viry, qui sont des Vieux, peuvent être des figures d’autorité également du fait du respect qu’ils inspirent. En cas de problèmes, certains vont les voir pour parler, pour écouter leurs conseils.

On trouve également des figures d’autorité parmi les écrivains, les poètes qui militent pour la culture et la langue créole. L’association Ankraké, à Saint-Pierre, en réunit quelques-uns uns qui ont un projet d’intermédiation auprès du tribunal de Saint-Pierre. Ce projet est en cours d’élaboration, il s’agit d’accompagner les justiciables, d’être présent avec le justiciable face à l’institution.

Il convient de réfléchir à de nouveaux forums de négociation reconnus par l’institution et placés sous la responsabilité des figures d’autorité locales. Ces forums permettraient un dialogue entre l’institution et les justiciables. L’institution pourrait y apprendre à connaître les acteurs sociaux qui comparaissent devant elle, et les justiciables pourraient y reprendre confiance en la Justice.

 

 

 

Après l’analyse de deux cas différents d’exorcisme passés devant l’institution, la position du juge dans la confrontation à la culture a pu être abordée. Nous avons pu observer que sa position reste assez rigide du fait de la logique cartésienne et unitaire qui l’anime.

Pour permettre une gestion plurale des conflits, il convient de reconnaître la complémentarité des pluralismes judiciaire et culturel et cette complémentarité ne pourra être appréciée que par le biais de la négociation qui pourrait avoir lieu dans de nouveaux forums de rencontre.

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Il existe à La Réunion un pluralisme de fait mais qui n’est pas institutionellement reconnu. On se trouve alors confronté à une sorte de mode de régulation de l’ordre social parallèle au mode de régulation étatique qu’est l’institution. L’important pour aboutir à l’harmonie est d’aller vers une complémentarité et de reconnaître le pluralisme judiciaire, c’est-à-dire la coexistence de plusieurs modes de règlement des conflits.

Aujourd’hui, l’Etat doit tenir compte, dans sa façon de dire et de rendre le droit, de l’univers, du mode de pensée, des croyances et de tout ce qui compose la réalité réunionnaise. Le mélange est une des caractéristiques de la société à La Réunion, ainsi comme le dit Jean Tounkara, " il faut trouver le moyen qu’au métissage biologique corresponde un métissage juridique ".

Si l’Etat doit intervenir dans la quête pour la reconnaissance de la complémentarité entre la logique institutionnelle et la pratique des acteurs, ce ne devra être qu’en fixant des repères et en acceptant le pluralisme.

Cette rencontre de l’institution et de la culture peut se faire par le biais de la négociation, du dialogue. Pour cela, le manque constitutionnel de souplesse de l’institution judiciaire doit être comblé. D’après Maître Rémi Boniface,

c’est justement sur cette rigidité qu’il faut travailler, l’ouverture doit être le but recherché.

Le problème qui se pose à La Réunion, en ce qui concerne la représentation qu’ont les justiciables de l’institution, est à la fois conceptuel et historique. La pensée réunionnaise et la pensée métropolitaine conçoivent différemment le droit et la justice, et l’histoire judiciaire réunionnaise a influencé la conception des justiciables de manière péjorative pour aboutir à une perte de confiance en l’institution.

L’institution judiciaire est en pleine crise en métropole comme le soulignaient R. Boure et P. Mignard dans les années 1970 dans leur ouvrage La crise de l’institution judiciaire, la justice des mineurs à Paris essaye de sortir de cette crise avec l’intermédiation culturelle ; la crise touche également La Réunion et une ouverture avec la prise en compte de la culture réunionnaise et du contexte particulier de l’Ile pourrait permettre de sortir de cette crise.

Comme le dit Augusti Nicolau Coll,

Le plus important est le lien social, l’évolution que devra suivre l’institution judiciaire devra s’intéresser avant tout au maintien du lien social, la solution n’est donc pas dans la répression aveugle. " L’ouverture d’esprit " de l’institution passera alors par la prise en compte du pluralisme qui caractérise la société réunionnaise.

Le dialogue qui peut se faire entre l’institution judiciaire et la pratique des acteurs est nécessaire, mais il serait bon qu’il s’étende également à un dialogue intercommunautaire réel, car l’avenir de La Réunion n’est pas dans le clivage des communautés culturelles et sociales mais dans une rencontre qui, pour le moment est ébauchée mais pas encore vécue pleinement dans le bien-être.

Nous reprendrons ici l’image du prisme que Christoph Eberhard a utilisé pour son étude sur le Droit et l’excision, car l’étude des relations qu’entretiennent l’institution judiciaire et les croyances et pratiques réunionnaises nous a servi de prisme, en nous permettant d’aborder le fonctionnement de la justice et de la représentation que peuvent en avoir les Réunionnais. Cette étude permet également de toucher au problème délicat des relations entre la métropole et les Domiens qui passe notamment par la relation des usagers aux institutions.

Le but recherché d’une ouverture de l’institution aux réalités du contexte dans lequel elle dit le droit doit aller vers une quête de l’harmonie.

Cette harmonie entre l’institution judiciaire et les justiciables ne semble pas utopique, l’équilibre permet de pallier le désordre et aboutit à la régulation sociale. Il est important pour la paix sociale que les justiciables réunionnais se sentent en confiance avec les institutions et se les approprient, pour participer à cela, l’institution doit s’ouvrir aux réalités des acteurs. Ce premier pas auprès de l’institution judiciaire pourrait se propager aux autres institutions et représentations de l’Etat à La Réunion et permettre une meilleure prise en compte de la citoyenneté par les Réunionnais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHANSON DU GROUPE OUSANOUSAVA

 

Ordonnance du 15 octobre 1960, édictée par Michel Debré, abrogée le 10 octobre 1972

 

 

 

Ministères d’Etat

 

Ordonnance n°60-1101 du 15 octobre 1960 relative au rappel d’office par le ministre dont ils dépendent des fonctionnaires de l’Etat en service dans les départements d’outre-mer et dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public.

 

Le Président de la République,

Sur le rapport du Premier ministre, du ministre d’Etat, du ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur.

Vu la loi n°60-101 du 4 février 1960 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de l’article 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de l’ordre, à la sauvegarde de l’Etat, à la pacification et à l’administration de l’Algérie ;

Le conseil d’Etat entendu ;

Le conseil des ministres entendu,

Ordonne :

Art.1er — Les fonctionnaires de l’Etat et des établissements publics de l’Etat en service dans les départements d’outre-mer dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public peuvent être sur la proposition du préfet et sans autre formalité, rappelés d’office en métropole par le ministre dont ils dépendent, pour recevoir une nouvelle affectation.

Cette décision de rappel est indépendante des procédures disciplinaires dont les fonctionnaires peuvent faire l’objet. Elle est notifiée par l’intermédiaire du préfet, qui peut prendre toute mesure nécessaire à son exécution.

Art. 2. — Le Premier ministre, le ministre d’Etat, le ministre délégué auprès du Premier ministre et le ministre de l’intérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution de la prochaine ordonnance, qui sera publiée au Journal Officiel de la République française.

Fait à Paris, le 15 octobre 1960

Par le Président de la République C. DE GAULLE

Le Premier ministre,

MICHEL DEBRE

Le ministre d’Etat,

ROBERT LECOURT

Le ministre délégué auprès su Premier ministre,

PIERRE GUILLAUMAT

Le ministre de l’intérieur

PIERRE CHATENET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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