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groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

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Haoua LAMINE 12/1998


LA CONVENTION DE LOME

La Convention de Lomé, signée en 1975 entre quarante-six Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et neuf Etats de la Communauté européenne, est appelée à entrer, le 1er mars 2000, dans sa cinquième version. Absent des négociations en cours, le sort des ressortissants des pays tiers installés dans les Etats de l'Union fait l'objet d'une campagne qui a été lancée par les associations regroupées au sein de la coordination européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille.

Le 30 septembre 1998, à Bruxelles, se sont déroulées les cérémonies díouverture des négociations pour le renouvellement du partenariat qui lit les quinze pays de líUnion européenne (UE) et les soixante et onze pays díAfrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) (1).

Il síagit du futur accord de partenariat pour le développement appelé à remplacer la quatrième Convention de Lomé révisée, appelée Lomé IV, qui expire le 29 février 2000.

Aucune proposition díintervention en matière de politique díimmigration ne figure dans les projets díorientation pour ce futur accord de partenariat. Dans la dimension sociale de la nouvelle Convention de Lomé, líappui communautaire consiste uniquement à accroître líimpact de sa coopération sur la réduction de la pauvreté. Líaction de codéveloppement consisterait à renforcer les initiatives créatrices díemplois dans les pays ACP (pays díémigration). Bien que cette dimension économique soit tout à fait indispensable, il paraît inconcevable de ne pas prendre en compte la politique díimmigration et, partant, le ì sort juridique î des ressortissants des pays tiers installés à líintérieur des frontières des États de líUnion.

Díautant que cela níimpliquerait nullement líintroduction d'instruments juridiques novateurs, mais simplement l'application des engagements internationaux des États signataires de ladite Convention.

Cette garantie des droits des ressortissants des États ACP résidant dans les États de líUE nous semble être aujourd'hui une question primordiale. La véritable question est même celle de la liberté de circulation : peut-on envisager une coopération dans un contexte de fermeture des frontières ?

La Convention de Lomé est le plus vaste accord collectif de coopération conclu entre líUnion européenne et les pays díAfrique, des Caraïbes et du Pacifique. Si le groupe ACP lui-même nía été créé quíavec la première Convention de Lomé, en 1975, la coopération entre la Communauté européenne (devenue líUnion) et les pays avec lesquels elle entretient des relations particulières en Afrique subsaharienne, dans les Caraïbes et dans le Pacifique, remonte pour sa part à 1957, date de la signature du Traité sur la Communauté économique européenne.

Depuis cette date, la politique communautaire de coopération a connu plusieurs étapes.

Au cours de la période 1957-1974, líaide européenne s'est concentrée essentiellement sur líAfrique noire francophone. A partir du milieu des années soixante-dix, la notion de coopération s'est substituée à celle díaide. Líévolution de líenvironnement international impliquait, en effet, une réorganisation des relations : à la suite du premier choc pétrolier, en 1973, líEurope qui craignait de manquer de matières premières, souhaitait préserver ses marchés extérieurs privilégiés. La volonté de maintenir ses intérêts géostratégiques et un vif sentiment de responsabilité découlant du passé colonial ont motivé la recherche díun premier accord de partenariat entre la Communauté et les pays du Sud.

Un modèle unique de coopération internationale

Signée en 1975, la première Convention de Lomé a été ouverte aux pays africains membres du Commonwealth, à quelques États des Caraïbes et du Pacifique, ainsi quíà quelques pays díAfrique subsaharienne. Au total cinquante-cinq pays (quarante-six ACP et neuf de la Communauté européenne) se sont associés à cette première négociation de groupe à groupe. Depuis lors, les reconductions de la Convention de Lomé et la multiplication du nombre des signataires témoignent de la pérennité de son attrait. Lomé IV (1991-2000) se distingue de ses prédécesseurs par sa durée : dix ans au lieu de cinq.

La Convention de Lomé offre donc ñ contractuellement ñ aux États ACP et de líUE un partenariat depuis plus de vingt ans. Chacune des révisions de la Convention a été líoccasion de réaffirmer líobjectif de ce partenariat, à savoir une contribution au développement. En ce sens, elle représente un modèle unique de coopération internationale.

Lomé, qui a autrefois occupé une position de pointe dans les relations extérieures de la Communauté européenne, voit aujourd'hui, compte tenu du nouveau contexte géopolitique (élargissement des Etats membres de la Communauté européenne, chute du mur de Berlin), cette influence considérablement reculer. Líavenir de la Convention ne devrait cependant pas être compromis, les critères de la coopération qui figurent à líarticle 130 U du traité de Maastricht plaçant, en effet, les Etats ACP à un rang supérieur dans les priorités extérieures des Etats de líUnion.

La revalorisation des rapports avec les Etats ACP dépend donc, en grande partie, de la priorité qui sera accordée désormais à la politique de développement. Dans son rapport (2) du 4 mars 1998 relatif à la communication de la Commission sur les orientations en vue de la négociation de nouveaux accords de Lomé, Michel Rocard,député européen en charge de la coopération et du développement, a pris très nettement position en faveur de la pérennisation de la Convention de Lomé, avec une rénovation du partenariat ACP-UE. Ce rapport réitère et réaffirme líintérêt accordé au codéveloppement

La Convention de Lomé pose le principe díégalité de traitement entre les ressortissants des États ACP et les ressortissants des États membres de líUE. Enoncée à líarticle 5 de la Convention, cette règle stipule que ì […] Les parties contractantes réaffirment leurs obligations et leur engagement existant en droit international pour combattre, en vue de leur élimination, toutes formes de discrimination fondées sur líethnie, líorigine, la race, la nationalité, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou toute autre situation […]. Les membres de la Communauté et les États ACP continuent à veiller, dans le cadre des dispositions juridiques ou administratives quíils ont ou quíils auront adoptées, à ce que les travailleurs migrants, étudiants et autres ressortissants étrangers se trouvant légalement sur leur territoire, ne fassent líobjet díaucune discrimination sur la base de différences raciales, religieuses, culturelles ou sociales, notamment en ce qui concerne le logement, líéducation, la santé, les autres services sociaux et líemploi… î.

Les dispositions qui figurent dans cette Convention sont directement applicables, cíest-à-dire quíelles peuvent être invoquées en líétat par les particuliers, et qu'elles ne sont subordonnées à aucune mesure ultérieure díapplication susceptible de laisser aux États membres une marge de manoeuvre ou díappréciation. Leur mise en oeuvre devrait donc avoir pour effet que les ressortissants des Etats ACP résidant dans les Etats de l'Union se voient reconnaître : la

liberté díinstallation ; le droit à la protection sociale et aux autres droits sociaux (logement, éducation, etc...) sans condition de régularité de séjour ; líaccès sans condition au travail ; la possibilité, s'ils sont étudiants, de mener librement leurs études ; le droit au regroupement familial sans condition, à líinstar des communautaires ; la liberté de circulation. Cela signifie, bien évidemment aussi, la suppression des visas.

Sortir la Convention de la clandestinité

La réalité est cependant bien différente. Force est de constater, en effet, que la plupart des États de líUnion ne respectent pas les principes díégalité de traitement et vident de leur substance les droits quíils reconnaissent en parole sur la scène internationale, notamment par la mise en place de politiques restrictives à líimmigration et la multiplication de contrôles trop rigides.

Ces politiques, notamment pour ce qui concerne la délivrance des visas et la procédure de regroupement familial, ont pour effet de priver un grand nombre de personnes de leurs droits fondamentaux.

Aujourd'hui, à l'heure de la renégociation de la Convention, se pose avec acuité le problème de son application. Il semble primordial tout d'abord de sortir cet accord de la clandestinité, de le faire connaître à tous ceux qui sont soucieux de la protection des droits de líhomme (associations, organisations syndicales, ONG de développement), mais surtout de mettre en exergue le contenu de líarticle 5 et de líannexe VI de la Convention.

Bien que la Convention repose sur les échanges, líaide et le dialogue politique et la coopération, c'est líaspect commercial, devenu prépondérant au fil des années, qui est le mieux connu, au détriment des autres, notamment de celui qui concerne les droits de líhomme.

Une campagne a été lancée dans le cadre de la Coordination européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille (3). Regroupant des associations familiales, des associations díimmigrés et des organisations de solidarité et de défense des droits de líhomme, cette coordination a pour but díobtenir que soient prises, au niveau de líUnion européenne, des mesures propres à garantir le droit de vivre en famille aux étrangers résidant dans un des Etats de líUnion. Dans le cadre de la renégociation de la Convention de Lomé, toutes ces associations attirent líattention sur la nécessité de mettre sur pied un véritable système de partenariat. La Convention future devrait prévoir des instruments spécifiques permettant une réelle insertion des ressortissants des États ACP résidant régulièrement sur le territoire des États de líUE et réciproquement.

La protection des droits des ressortissants des États ACP résidant dans les États de líUnion devrait être examinée dans le contexte des normes internationales en matière de droit de líhomme acceptées par tous les États signataires de la Déclaration universelle des droits de líhomme adoptée par les Nations Unies, et en matière de droit sociaux tels qu'ils sont définis par líOrganisation internationale du travail.

Actuellement, les textes internationaux sont trop souvent contournés. Il apparaît donc nécessaire, pour rester fidèle à líesprit même des accords ACP-UE, que la renégociation conduise à la signature díun texte plus contraignant. Si Lomé IV constitue une amélioration par rapport à la Convention précédente sur les questions díimmigration, la mise en oeuvre de ses dispositions níen est pas garantie. Bien des progrès restent encore à accomplir, notamment en ce qui concerne líengagement des États de veiller à ce que les dispositions ratifiées soient effectivement appliquées dans leur pays.

Il est donc important díintégrer, dans la Convention de Lomé, des dispositions simples et explicites imposant clairement aux parties contractantes díune part de veiller au respect des droits fondamentaux et díassurer líexercice díun droit de libre circulation, díautre part de garantir líégalité de traitement à tous les ressortissants régulièrement établis dans líun des États signataires, ceci par une réelle politique díintégration au sein des différents pays díaccueil.

Les engagements pris par les États ne relèvent pas seulement díune capacité technique, mais díune réelle volonté politique.

1. Voir liste des pays ACP. La délégation de líAfrique du Sud participe désormais aux négociations en sa qualité de membre à part entière de la Convention de Lomé. Le Cuba qui sera le prochain Etat à rejoindre la liste, assiste à la séance en qualité díobservateur.

2. Rapport de la Commission (COM (97° 0537 - C4 - 0581/97). Commission du développement et de la coopération. Rapporteur : M. Michel Rocard. PE 224. 708/déf.