à la mémoire de Johan Pauwels.
Ne meurent que ceux quon oublie
VILLES AFRICAINES ET PLURALISME JURIDIQUE
(paru dans Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law,42 (1998), 245-274.)
par
Jacques Vanderlinden
Professeur aux Universités de Bruxelles, Moncton et Paris XII
Lorsquen novembre 1962, Johan Pauwels vînt me trouver pour me demander de lui suggérer un sujet de thèse, je venais douvrir mes enseignements de droit coutumier à luniversité Lovanium par une conférence publique intitulée "Lheure du droit africain". Jy soulignais lintérêt du droit urbain, pont entre le passé et lavenir.Je venais aussi dy donner une consultation à lambassade de Belgique au sujet du paiement dune importante somme dargent en francs belges à la famille dun officier parachutiste congolais mort accidentellement en cours de formation en Belgique. Et javais fait admettre par lambassade la primauté de la coutume urbaine de Kinshasa favorisant la femme et les enfants de la victime sur je ne sais plus quelle coutume pré-coloniale faisant des frères du défunt ses seuls héritiers. Dès ce moment javais noué avec la ville africaine et le pluralisme juridique un lien que je revivifie aujourdhui.
Ma réponse à Johan fut immédiate : il devait consacrer sa thèse à la coutume urbaine de Kinshasa. Je passe sur les péripéties de lexhumation des dossiers -- nous nous sentiers les héritiers de Carter et Carnavon découvrant le tombeau de Toutânkhamon --, sur le trésor transporté à Lovanium et sur le patient travail de Johan au cours des mois et des années qui suivirent. Rechtskeuze en wording van een eenvormige stadsgewoonte in de inlandse rechtsbanken van Léopolville (Kinshasa), 1926-1940 devait en sortir cinq ans plus tard et je regretterai toujours que les convictions personnelles profondes de son auteur, convictions que non seulement je respecte mais encore jadmire, aient privé cet ouvrage du public quil méritait. Je regrette également que le hasard qui gouverne la mode en matière scientifique nait en outre pas permis dinscrire cette thèse dans une perspective pluraliste qui nous était, à lun comme à lautre encore inconnue. Mais quimporte. Me revoilà, au seuil de la retraite, au point de départ de ma carrière et face à mes souvenirs. Mais face aussi, jen suis convaincu, aujourdhui comme il y a trente-cinq ans, à lun des lieux privilégiés de la formation des droits africains de demain et du pluralisme juridique en action.
Un mot au sujet de ce dernier est dailleurs de mise pour éviter les confusions. Comme le montre par ailleurs ce volume, lhypothèse pluraliste est tout dabord vigoureusement combattue par certains, ensuite protéiforme dans la mesure où ses adeptes ne sentendent pas sur son contenu, enfin souvent confondue avec des phénomènes évidents de la vie juridique qui résultent de lapplication de termes identiques à des réalités différentes en raison de limprécision propre à notre langage propre. Lintitulé qui préside à ce volume se garde dailleurs bien dy faire référence, si ce nest indirectement en parlant de champs normatifs, vocabulaire emprunté à lun des pionniers en la matière et repris par nombre dauteurs depuis lors.
Jai rencontré le pluralisme juridique sans lavoir voulu en 1970 à loccasion dun colloque international organisé par le Centre dhistoire du droit et danthropologie juridique de lInstitut de Sociologie de lUniversité libre de Bruxelles. À ce moment, la démarche du promoteur de lentreprise, J. Gilissen, était plus intuitive quarticulée. À lissue du colloque, il me confia le soin den élaborer la synthèse et cest en compagnie de lOrdinamento giuridico de Santi Romano que je partis à la découverte de la notion et préparai cette synthèse. Conforté par laccueil favorable fait à la définition que jen proposais, je ny pensai plus jusquà ce que deux invitations à Leiden, puis à Aix-en-Provence mencouragent, en deux temps, à remettre ce que je tenais pour acquis radicalement en question. Aussi mapparaît-il indispensable de régler le problème des champs normatifs et, partant, du pluralisme, avant daborder les villes africaines.
I. À PROPOS DES CHAMPS NORMATIFS
En guise de hors doeuvre, disposons immédiatement des simples confusions de langage et particulièrement de celle que contribuent à entretenir les textes dAdelman et, de manière plus ou moins claire selon les endroits, celui de ??? (je nai aucune indication quant à lauteur du texte relatif à lîle Maurice).
Dans le langage des constitutionalistes, comme Adelman et ??? en particulier, le glissement est constant entre pluralisme juridique et pluralisme politique (celui-ci se refétant dans un pluralisme constitutionnel), ces deux derniers mots constituant le plus souvent la manifestation par excellence de lidéal démocratique; celui-ci, à son tour, sinscrit le plus souvent jusquà présent dans ce quAdelman appelle la perspective constitutionnelle libérale. Malgré ladhésion que lon peut éventuellement apporter à certaines de ses thèses, elles ne présentent que peu de rapports dune part avec le pluralisme juridique, dautre part avec les villes africaines. En outre, au-delà de cette différence de prémisses, dans le cas de lAfrique du Sud, comme dans celui de Maurice, je plaiderais pour une référence à la pluralité plutôt quau pluralisme et je parlerais de systèmes politiques ou constitutionnels pluraux (ou non) plutôt que pluralistes. Ceci peut sembler une simple querelle de mots, mais les ambigüités que véhiculent constamment limprécision et la confusion des termes me paraît hautement préjudiciable à tout dialogue fructueux.
Ceci dit, dans sa réaction au texte dAdelman, De Boeck sinscrit, sans ambigüité encore que sans sy référer explicitement, dans une perspective pluraliste qui dépasse effectivement la dualité simpliste (et fort peu pluraliste) au niveau des producteurs du droit entre État et société civile, ou encore entre droit officiel et non officiel, voire droit et non droit. Lorsquil écrit que "limplosion de lÉtat conduit à la création dun nouveau modèle dynamique dinteraction, dont les contours sont jusquà présent seulement vaguement définis, entre espaces et groupes socio-politques et culturels, multiples et dialectiquement interdépendants, unis les uns aux autres en des hiérarchies en constant mouvement et définies par les stratégies personnelles des acteurs sociaux au niveau local et global", il décrit, à ladjectif près, le contexte de pluralisme juridique tel que je lenvisage.
Particulièrement intéressante dans cette perspective est sa référence aux stratégies personnelles des acteurs. Elle rejoint directement linsistence que je mets sur le marchandage de droit et de for ouvert aux sujets de droitS, donc lindétermination des solutions, qui est lune des caractéristiques essentielles, selon moi, du pluralisme juridique. Ma seule hésitation à la lecture de la phrase de De Boeck est sa référence aux "espaces [dautres diraient aux champs] socio-politiques et culturels" dans la mesure où je me demande si celle-ci est encore nécessaire dès lors que laccent est mis sur lindividu et les groupes dans lesquels il inscrit son action deviennent le référent premier de lanalyse. Je préférerais léliminer dans la mesure où elle risque de maintenir chez certains une ambigüité quant à labandon de la référence à lÉtat laquelle est étroitement liée à un champ daction, en loccurrence le territoire. Cest pourquoi sans nier lexistence de champs daction, je préfère les ramener à une dimension purement géographique dans laquelle se meuvent des réseaux sociaux, de même que je favorise la référence à des réseaux semi-autonomes, et surtout autonomes, comme je le montrerai dans un instant.
Tout aussi intéressante est la référence de De Boeck à lexistence de circuits -- je dirais les réseaux cette fois encore -- qui, précisément, se meuvent en dehors du champ des territoires nationaux, celui propre aux droits étatiques et traditionnellement considéré comme étant celui du pluralisme. Il vise en loccurrence ceux, internationaux, de léconomie informelle qui échappent au contrîole de lÉtat africain. De ce point de vue dailleurs, il rejoint Adelman, lorsque celui-ci dénonce dautres réseaux, ceux du libéralisme constitutionnel soutenu par les organisations financières et monétaires internationales. Enfin, ni lun ni lautre nont rien inventé dans la mesure où depuis plus dun siècle dautres réseaux extérieurs au continent joue un rôle capital dans les orientations de celui-ci -- en ce compris au niveau du pluralisme juridique; je veux parler de celui des différentes confessions religieuses européennes et de lislam. Chaïbou en témoigne lorsquil met en avant les tensions entre courants modernistes et intégristes, ces derniers faisant partie dun mouvement à léchelle mondiale, dont on ne peut dire quil soit particulier à lespace géographique nigérien.
Mais je mengage progressivement sur le fond en oubliant que mon point de départ était simplement de clarifier un point de langage et déliminer de mon propos les références au pluralisme constitutionnel. Je poursuis donc dans la ligne des clarifications pour aborder le sens à conférer au mot coutume.
Lorsquun État africain comme le Niger -- et il nest pas le seul -- reconnaît, même sous conditions, la coutume comme source de droit positif -- le seul que lÉtat connaisse --, il incorpore le peuple -- il serait plus exact de dire les peuples -- vivant dans ses limites géographiques parmi les producteurs de droit. Ceci peut sembler une évidence et le temps est définitivement dépassé où un comparatiste de la réputation de René David se risquait à écrire que lÉthiopie, pendant des siècles, navait pas connu de droit, mais seulement "des coutumes". Cette observation serait sans doute inutile si, dans sa glose du texte de Chaïbou, Otto ne semblait vouloir persister dans cette voie lorsquil écrit que "la vie coutumière fournit abondance de normes qui peuvent être cueillies par le législateur ou le juge de manière à en faire dériver une règle juridique". Et il enchaîne : "Mais, même si 100% dune communauté suit des normes coutumières plutôt que des normes prescrites par le droit, ceci ne nous oblige pas à changer létiquette de `coutume en `droit" Le lieu nest pas dengager ici une polémique sur ce point. Je souhaiterais seulement préciser quà mes yeux -- et jen suis convaincu aux yeux des juges qui composent le siège des juridictions nigériennes en cause comme aux yeux de Chaïbou (tant quà gloser sur ses propos, glosons!) -- la coutume, dont il est question dans le texte de ce dernier, est une source de droit au sens plein et entier du terme au même titre que la loi, la jurisprudence, la doctrine ou la révélation. Le seul fait de la reconnaissance par la Cour dÉtat de son pouvoir de contrôle sur cette coutume linscrit dans le champ juridique; sil en était autrement, elle lui échapperait Tout le reste est littérature.
Abordons maintenant le fond du problème : la multiplicité des champs normatifs et son corollaire (à moins que se manifeste un ordonnancement qui les transcende), le pluralisme juridique.
En guise dintroduction, je souhaiterais lexemple, sommairement évoqué, de la veuve du lieutenant parachutiste. Celle-ci se trouvait dans une situation où deux ordres juridiques distincts étaient susceptibles de la régir : dune part sa coutume dorigine, qui était également celle de son mari défunt et dautre part celle que depuis des années les tribunaux de la ville de Léopoldville avaient contribué à cerner en tant que sappliquant à cette classe se situant à larticulation de deux mondes, les évolués. Se conformer à sa coutume dorigine aurait eu pour effet labandon de lindemnité de décès à la famille de son mari et aussi sa réintégration plus ou moins poussée dans celle-ci, sa belle-famille et ses beaux-frères (ou lun dentre eux) assumant désormais à son égard et à celui de ses enfants les responsabilités de leur parent défunt.Telle était, en tout cas leur perception, de la solution à donner au problème et elle était parfaitement conforme à leur coutume, dont je rappelle quelle était aussi celle dorigine de la veuve. Celle-ci, qui avait une profession -- si mes souvenirs sont bons, elle était infirmière--, leur opposait sur ce point -- et pas nécessairement sur dautres -- la manière dont elle avait vécu depuis son mariage (la coutume nest-elle pas, avant toutes choses, comportement), le mode de vie quelle avait partagé avec son défunt mari et de nombreux autres couples résidant, comme eux, en milieu urbain. À ce titre et, jinsiste sur ce point, dans ce cas particulier de conflit entre sa coutume dorigine et ce quelle estimait être devenu sa "nouvelle" coutume, elle estimait, sans pour autant vouloir rompre totalement avec la première, devoir faire prévaloir la seconde. Confrontée à deux ordres juridiques ayant vocation à gouverner son comportement, donc sujet de droitS, elle devait effectuer un choix et elle lavait fait. Cest là un parfait exemple de pluralisme comme je lentends, cest-à-dire dune situation dans laquelle un individu, se trouve au carrefour de plusieurs ordres juridiques et oriente par son choix la solution à donner à un conflit éventuel tant du point de vue du for compétent que du droit applicable.
De cette notion, il découle que le sujet de droitS, au contraire de son homonyme, le sujet de droit, est lun des participants actifs à la définition du contenu de sa vie juridique. Comprenons-nous bien. Je ne dis pas quil est seul à déterminer lorientation de celle-ci. Le poids des réseaux normatifs multiples qui lenserrent est à lévidence fondamental, puisque cest dans le contexte de lun dentre eux que le sujet de droitS choisit dinscrire son action. Et je postule non seulement quils sont de nature juridique (car autrement nous naurions aucune raison de parler de pluralisme juridique), mais encore autonomes (car autrement il ny aurait pas pluralisme, mais monisme). Mon sujet de droitS nest donc pas un animal asocial, libre de déterminer son comportement à sa guise. Quel que soit le choix quil fasse, il risque dentrer en conflit avec lun, voire plusieurs, des réseaux dont il aura refusé de reconnaître le prescrit. Tel sera certainement le cas de la veuve de lofficier parachutiste dont les relations avec sa belle-famille étaient jusque là sans nuages. Ce conflit pourra fort bien conduire cette dernière à lui refuser le bénéfice dun droit prévu dans sa coutume dorigine et dont la veuve se prévaudrait ultérieurement. Indéniablement. Mais cest là le revers de la médaille dans une situation de pluralisme.
Ceci dit, comment cette perception du pluralisme se positionne-t-elle face à certaines des conceptions de Greenhouse, Roberts et Woodman ?
Greenhouse dabord.
II. À PROPOS DES VILLES AFRICAINES
Les textes de Chaïbou, Hesseling, Ladley, Otto, Rodriguez-Torres et Salamone, sans oublier celui de Johan, présentent un large éventail denseignements quant aux droits susceptibles dexister dans les villes africaines et, éventuellement aux situations de pluralisme juridique susceptibles de sy présenter. Je souhaiterais en mettre en particulière évidence ???.
DROIT OU NON DROIT RODRIGUEZ
QUEL DROIT ? QUELS PRODUCTEURS DE DROIT ?
CRÉÉ À LA BASE OU AU SOMMET
UNIFORME OU MULTIFORME
GÉNÉRALISÉ OU OCCASIONNEL
le dernier = dans un contexte pluraliste ou non doù la transition vers II.
1. De la diversité des droits urbains africains et du danger de supposer quà des situations comparables, voire identiques correspondent des solutions identiques, même lorsquil sagit dinfluences exogènes réputées "modernisatrices". Cest donc à juste titre que les organisateurs de cette rencontre en avaient caractérisé lobjet comme étant pluriel. Approfondissant leur propos, on constate que cette diversité tient à toutes espèces de facteurs, dont certains échappent parfois à notre légitime désir de comprendre et, partant, dexpliquer.
Lorsque Johan Pauwels aborde la coutume urbaine de Léopoldville en 1962, il se trouve devant un objet quil na aucune peine à qualifier duniforme. Il se trouve en effet devant les résultats dun effort concerté, vieux de 35 ans, de ladministration belge et des juges du Centre extra-coutumier afin daboutir à cette coutume, commune dans lécrasante majorité des matières de droit privé, à tous les habitants de la capitale. Mais il est également vrai que ne sest pas créé un véritable statut de "bourgeois", au sens médiéval dhabitant de la ville, distinct de celui des habitants des campagnes et comparable, par exemple, à celui que conférait éventuellement limmatriculation. Il en résulte que, malgré luniformité de la grande majorité des solutions retenues et peut-être davantage que ne le mettait en évidence Johan, des situations caractérisées par un conflit de droits entre coutumes continuent à être portées devant les tribunaux.
Ainsi de lespèce qu examine Chaïbou. Elle concerne une garde denfants et une tutelle et la Cour dÉtat du Niger nhésite pas à y faire intervenir la notion de coutume urbaine, alors que Johan fait précisément observer quà Kinshasa semblable question serait réglée par les coutumes dorigine des parties sans quil soit fait appel à la coutume uniforme de Kinshasa, coutume urbaine sil en fût! Certains pourraient être enclins à dire que la différence entre les deux attitudes est peut-être, tout simplement, une question découlement du temps et dévolution corrélative et inéluctable dans un schéma de progrès linéaire constant des moeurs vers la "modernité". Cela me paraît un peu simple, voire simpliste. En effet, si nous nous plaçons du point de vue de la modernisation et du dévelioppement urbain, jai le sentiment quentre la ville nigérienne des années 80 et le Kinshasa des années 60 il y a peut-être moins de différences quon pourrait être tenté de la croire. Au moment où Johan écrit, la capitale du Congo doit compter un demi-million dhabitants et les influences "modernisatices" qui sy font sentir depuis des décennies à travers la politique judiciaire de ladministration sont considérables. La pression en direction du "changement" doit donc y être aussi forte, voire plus forte, que dans le Niger contemporain. Et cependant, la notion passe-partout -- utilisée par la Cour dÉtat et a priori séduisante aux yeux des fonctionnaires belges -- de "lintérêt de lenfant" napparaît pas à Kinshasa, sans que je puisse immédiatement en discerner la raison. Serait-ce parce quen droit belge, à lépoque, cet intérêt nétait pas encore devenu le principe directeur en la matière, alors quil lest devenu en droit français des années 80 ? Cest possible, encore que je répugne à accepter trop facilement pareille explication dont la première caractéristique est son exogénéité.
2. De lintérêt de la jurisprudence comme source de droit et donc du juge comme producteur de droit dans lAfrique contemporaine. La place nest pas ici de débattre des mérites respectifs des systèmes juridiques à dominante législative ou à dominante jurisprudentielle. Mais de mettre en lumière la souplesse et la malléabilité du processus jurisprudentiel dans les situations de transformation culturelle, économique et sociale qui sont celles des villes africaines. La Belgique, pays de système législatif, lavait compris dans les villes de sa colonie; le législateur nigérien la compris aujourdhui alors que ses homologues de tant de pays voisins se sont abandonnés à lillusion que la loi pouvait transformer la société au départ des recettes de lingégnérie juridique. Hesseling, relayant Le Roy, en fournit un exemple particulièrement éloquent emprunté à lun des États de lAfrique de louest qui sest le plus volontiers abandonné à cette fièvre modernidastrice.Sans doute le texte de Chaïbou peut-il donner à penser que ce nest que contre son gré, en raison des "contradictions entre le courant réformiste qui prône un droit unifié dinspiration occidentale et le courant islamiste qui réclame lapplication stricte du droit musulman" que le législateur nigérien a renoncé à codifier son droit de la famille. Mais cette "immobilité" forcée permet précisément une responsabilisation du pouvoir judiciaire nigérien qui rejoint son voisin du Burkina Faso, lequel fait appel depuis longtemps déjà, à la notion de coutume évoluée, mais ne lui laisse guère de place depuis la promulgation de son code de la famille. Personnellement mon siège est fait et depuis longtemps. Je reprends à mon compte, en le généralisant, le dictum de Chaïbou selon lequel "seule la jurisprudence reste un instrument susceptible dexercer une action souhaitable sur ladaptation de la norme [juridique] aux réalités [africaines] actuelles".
3. Sur le rôle croissant des concepts flous dans des situations que certains nhésiteront pas à appeler post-modernes dans la mesure où lincertitude les gouverne davantage que les certitudes. En cela "lévolution générale du pays" à laquelle se réfère le juge nigérien ne se distingue guère dautres formulations appliquées en dautres lieux; je pense, en particulier, aux "principes directeurs dune société juste et démocratique" auxquels se réfère la Charte canadienne des droits et libertés. Et il est clair le double risque, que souligne Chaïbou, dinsécurité juridique et de dénaturation de la coutume est partagé de ce côté de lAtlantique, si ce nest que la common law lato sensu, cest-à-dire en tant que système juridique, se sent menacée plutôt que la coutume. Mais celle-ci nest-elle pas, à son tour, comme pendant toute la période coloniale, constamment sous la menace de lordre public, notion tout aussi floue que les précédentes.
Chaïbou voit dans la rigueur de la motivation des jugements le plus sûr garde-fou contre déventuelles dérives résultant du champ ouvert aux juges par les concepts flous. Je puis en convenir, mais cette rigueur ne dépend-t-elle pas à son tour de la formation des producteurs de droit, donc des magistrats. Et celle-ci nest-elle, tous comptes faits, pas lessentiel. Lorsque Johan Pauwels ma suivi dans lensemble des enseignements de droit dit coutumier à Kinshasa, il était encore possible despérer sensibiliser les jeunes juristes congolais aux aspects positifs des droits précoloniaux. La fusion des enseignements de droit dit écrit et de droit dit coutumier par matières dabord, la progressive disparition de la dimension coutumière ensuite ont eu pour effet que souvent, aujourdhui, seul le texte des codes ou des lois est encore enseigné et que la dimension authentiquement africaine du droit a complètement disparu des cycles de formation. La néo-colonisation des esprits a réussi là où le colonisateur avait laissé subsister un espace, dénaturé peut-être, mais un espace quand même à lauthenticité africaine.
Ceci dit la sensibilisation à la dimension authentiquement africaine des droits du continent, comme au rôle quy jouent des droits exogènes plus ou moins assimilés, ne suffit sans doute pas, à elle seule, à assurer la sécurité juridique ou encore cette "efficacité", cette "compétence" ou labsence de corruption auxquelles se réfère Otto. La tâche est infiniment plus vaste et tient au climat économique, politique et social qui prévaut actuellement en de nombreux points du continent. Le producteur de droit, quil sagisse du chef, du juge, du sachant, du peuple ou du dieu, nopère pas dans un vide total. Produire le droit est, sauf pour le dieu, entreprise humaine et à ce titre souvent plus faillible quon ne le souhaiterait. Peut-être dailleurs dans ce contexte faudrait-il, de temps à autre, penser de temps à autre à revenir à la base du processus de production du droit, au peuple et à la coutume
4.
À cheval sur ville et campagne la veuve du parachutiste + Hesseling, dans son analyse de lapplication du droit foncier urbain à Ziguinchor,
Mais, si la ville est "lun des lieux privilégiés de la formation des droits africains de demain et du pluralisme juridique en action", comme je lécrivais ci-dessus, elle est loin den être le seul. Les textes dUwazie devrait suffire à nus en convaincre. Mais il en est dautres exemples (Jahrbuch)
CONCLUSION