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Introduction
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Histoire de lÕAcadie : avant
la Dportation
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La
colonisation
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Le contexte
politique
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5
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Histoire de lÕAcadie : la
Dportation
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6
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LÕexplosion
dmographique
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9
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Le refus de
prter serment
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9
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LÕexil dÕun
peuple
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9
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Les difficults particulires
lÕhistoire acadienne
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11
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Le contexte
juridique
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12
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Histoire de lÕAcadie : le
contexte post-retour
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18
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LÕAcadie,
conquise ou colonise?
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18
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Les
premires lgislatures
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19
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La
marginalisation sociale
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22
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Plagie-la-Charrette : le rcit dÕun peuple en exil
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25
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Rsum du
rcit
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26
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Le droit
dans Plagie-la-Charrette
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32
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Existe-t-il une culture
juridique acadienne?
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37
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Du
pluralisme lÕintgration sociale?
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37
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LÕhistorique
de la qute dÕidentit
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38
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La
traduction et lÕintgration
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42
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La common
law et lÕAcadie
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45
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La judiciarisation des
revendications acadiennes
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48
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Conclusion
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50
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Bibliographie
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Les dfinitions de lÕAcadie sont multiples. Ė lÕorigine, cÕest une colonie franaise du Nouveau-Monde. Suite la conqute des territoires franais par lÕAngleterre, il y a presque 300 ans, ainsi que lÕexil que le peuple acadien subira par la suite, on ne peut plus parler de lÕAcadie comme voquant ce mme territoire, devenu les provinces canadiennes actuelles du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-cosse.
Pour certains, surtout les descendants des Acadiens disperss, lÕAcadie existe toujours, mais nÕest pas un lieu du tout. Or, pour ceux qui ont chapp la dispersion et pour ceux qui sont revenus en terre anciennement acadienne aprs une priode dÕexil, lÕAcadie, cÕest aujourdÕhui le nom donn une rgion situe lÕintrieur des provinces majoritairement anglophones de la cte Atlantique du Canada, o y habite une population francophone.
Dans
lÕAcadie contemporaine, la population francophone jouit de droits linguistiques
accords par le gouvernement canadien ; aussi le gouvernement du
Nouveau-Brunswick a-t-il finit par crer la premire province officiellement
bilingue, en reconnaissance de sa population acadienne comportant le tiers de
la population totale. Ces provinces de
common law comportent une minorit significative de francophones, et ce depuis
des sicles. Depuis moins dÕune gnration, une Facult de droit
acadienne existe et fournit la population acadienne des praticiens de langue
franaise qui oeuvrent dans la common law.
Le
thme de ce travail peut se rsumer par la question suivante : y a-t-il une
culture juridique proprement acadienne? La
raison pour laquelle cette question semble importante est que si on voit la
pratique de la common law en franais comme vidente et naturelle, du moins au
Nouveau-Brunswick et ailleurs o elle est vcue ainsi de faon quotidienne, il
est certain que cela nÕest pas toujours le cas pour ceux qui regardent de
lÕextrieur. Il doit y avoir quelque chose de particulier cette
culture qui lui a permis de vivre dans une socit o le systme juridique
parat a priori lÕexclure. Cette
ide est-elle juste?
Les
caractristiques du peuple acadien sont telles quÕune approche purement
historique est extrmement difficile, comme on le verra plus loin. Bien que nous allons dbuter notre tude par un
regard historique sur lÕAcadie, cette approche ne suffit pas pour aborder la
recherche dÕune culture juridique acadienne. Nous
privilgierons donc une approche multidisciplinaire.
Suite la brve histoire de lÕAcadie que nous entreprendrons, nous
allons explorer un roman acadien pour dceler des aspects de la vie juridique
dÕun peuple qui, pour longtemps, a vcu en marge de la socit civile
anglophone, mme si elle occupait le mme territoire politique. Quoique ce ne soit pas un texte historique, lÕattrait
dÕune telle approche cÕest justement quÕelle peut nous informer autrement : Ē
Alors que le droit attribue des rles strotyps auxquels correspondent des
statuts (droits et devoirs) prcis, la fiction littraire cultive lÕambigut
de ses cratures et joue de lÕambivalence des situations quÕelle cre. Č [1]
Comme on le verra, lÕambivalence caractrise prcisment la culture juridique
acadienne.
Le
terme Ē culture juridique Č quÕon utilisera, comme
lÕAcadie elle-mme, semble avoir de multiples acceptions. Puisque nous adoptons une perspective
multidisciplinaire, nous allons
essayer dÕen garder une dfinition large. tant
donn lÕapproche partiellement historique que nous adoptons, on prfre la
dfinition suivante : Ē...the
idea of legal culture describes a real historical phenomenon, occurring
differently in every legal system: the term can refer either to the tools or
the results of a process from which a well-defined social class emerges. Č[2]
Bien que la notion de culture juridique puisse tre problmatique (par exemple,
en comportant excessivement de significations : Ē Among legal historians,
Ē legal culture Č has become a veritable rag-bag of constructs, appropriating
any number of elements: legal literature, customary law, ideologies, rhetoric
in the courtroom, perspectives Š worldviews Š mentalits, and much more. Č[3]),
nous croyons que la dfinition quÕon a choisit suffira pour contribuer une
meilleure connaissance de la culture juridique acadienne.
CÕest
en 1604 que les touts premiers colons franais sont arrivs sur le territoire
quÕon nommerait plus tard Ē Acadie Č. La
vritable colonisation du territoire, par contre, celle qui va durer, se fait
vers le milieu du 17e sicle. Une
vingtaine de familles franaises sont venues sÕinstaller, et cÕest elles qui
formeront le fondement du peuple acadien, bien que dÕautres familles viendront
se joindre elles plus tard. Aprs
cette premire vague de colons franais, par contre, la France applique les
freins, comme lÕexplique lÕhistorien acadien Jean Daigle : Ē partir
de 1666, tout apport migratoire est srieusement limit par lÕapplication de la
politique coloniale franaise qui affirme quÕil Ē ne serait pas de la
prudence de dpeupler son royaume pour peupler le Canada Č Č[4].
Ces
premiers Acadiens taient principalement originaires de Charentes et Poitou,
avec certaines familles venant dÕailleurs en France. Leur
nombre tait restreint, surtout en comparaison avec le nombre dÕimmigrants
anglais en Nouvelle-Angleterre[5],
et la colonie tait donc dÕimportance ngligeable pour les pouvoirs impriaux
si souvent en conflit sur son territoire. En
effet, les changements frquents quant ces territoires ont certes compliqu
les choses au niveau juridique, comme on le verra bientt.
Comme on lÕa dj indiqu, cette poque, les conflits entre
lÕAngleterre et la France sont rguliers, et lÕAcadie change souvent de matre,
sans toutefois que cela affecte encore vraiment la vie quotidienne de la
population. En effet, ni la France, ni lÕAngleterre ne sÕoccupaient
trop de lÕAcadie. CÕest peut-tre
ce qui a contribu la vision dÕun peuple vivant innocemment, sans avoir se
proccuper de politique, de guerres, et autres inconvnients : Ē The idea
of a paradis terrestre dates back many millenia in European thinking, and it
revealed itself in the writings of several French visitors to Acadia as early
as the 1600s. Č[6]
En effet, cette vision paradisiaque de lÕAcadie reviendra plus tard dans lÕide
du paradis perdu, un thme rcurrent dans les narrations sur lÕAcadie.
Avec
le Trait dÕUtrecht de 1713, la France cde le territoire acadien
lÕAngleterre, et les 1700 habitants francophones deviennent sujets du roi. Ce nÕtait pas la premire fois, et malgr ce
changement, la priode entre 1713 et 1755 fut relativement stable pour les
Acadiens, qui avaient dvelopp la technique de lÕaboiteau pour drainer les
marais et taient donc tributaires de bonnes terres agricoles. On fera rfrence cette poque de stabilit sous le
rgime anglais comme tant un Ē åge dÕor Č.[7]
On ne manquait manifestement pas la gouvernance franaise!
En effet, les changements frquents du pouvoir imprial, de la France
lÕAngleterre, ont contribu faire en sorte que les Acadiens ne se fiaient pas
particulirement la France pour assurer leur protection. En effet, une certaine mfiance gnrale lÕgard de
toute administration sÕest installe en raction ce pouvoir changeant. Les Acadiens ont appris que se compromettre un
pouvoir pouvait mener des consquences ngatives plus tard. De son ct, aussi, la France nÕavait que peu
dÕintrt lÕgard de lÕAcadie suite la signature du Trait dÕUtrecht. LÕhistorien des Maritimes, A.J.B.
Johnston, cite lÕattitude franaise suivant la cession du territoire aux
Anglais ; en fait, cette perte : Ē ...
reinforced among the French a lack of interest in and a malaise about the lost
colonies. Č[8]
LÕAcadie tait laisse ses propres moyens, bien quÕune prsence franaise
allait demeurer pour un certain temps.
De la 1713 jusquÕ lÕexpulsion des Acadiens, lÕAngleterre avait toujours
refus dÕy accorder une assemble lgislative sur le territoire. Cela aurait voulu dire quÕune majorit francophone et
catholique aurait p gouverner le territoire, en quelque sorte, puisque le
nombre dÕAcadiens tait beaucoup plus lev que le nombre dÕAnglais. En effet, Ē La Nouvelle-cosse, ou plutt
lÕAcadie, comme elle sÕappelle quand elle est conquise en 1710, vit pendant
trente-neuf ans sous un gouvernement militaire, jusquÕen 1749, date laquelle
Cornwallis devient le premier gouverneur civil de la Nouvelle-cosse ; ce nÕest
toutefois quÕen 1758 que lÕassemble lgislative de la province se runit. Č[9]
Ce nÕest donc quÕaprs le dpart des francophones que lÕide dÕun gouvernement
dmocratique semble sans danger pour les Anglais.
Mais
la stabilit laquelle on a fait allusion de durerait pas :
lÕadministration militaire se fait de plus en plus ferme, et on exige des
Acadiens quÕils rendent leurs armes, de peur que leur neutralit traditionnelle
en temps de conflit ne puisse se soutenir. En
1754, la suite du dclenchement dÕune nouvelle guerre intercoloniale aux
tats-Unis actuels, 1800 soldats venus de la Nouvelle-Angleterre ont pris
contrle des forts franais qui restaient encore en Acadie. On offrira le retour des armes aux Acadiens seulement
condition quÕils prtent serment dÕallgeance la Couronne britannique. Cette offre a t refuse plusieurs reprises, et on
aura recours la solution de la dportation.
Carte de lÕAcadie avant la Dportation (1754)
Comme on lÕa dit plus haut, la colonie acadienne tait relativement
petite. Or, la croissance dmographique qui a eu lieu en
Acadie au 18e sicle fut spectaculaire. En effet,
passant dÕune population de 1 700 habitants une population de plus de 13 000
entre 1713 et 1755, la croissance dmographique sÕexplique par un taux de
natalit lev plutt que par une migration de provenance Franaise. Cette augmentation importante de la population
catholique et francophone nÕaurait pu faire autrement que dÕinquiter les
gouverneurs anglais.
Pendant la priode entre 1713 et 1755, les Acadiens avaient pu viter de
se soumettre la volont de la Couronne qui voulait quÕils lui prtent un
serment dÕallgeance, en jurant ne pas prendre les armes contre elle dans un
ventuel conflit mettant en cause soit les Franais, soit les Amrindiens. Les Acadiens avaient dj consenti rendre leurs
armes aux Anglais, sans toutefois se compromettre jurer cette allgeance,
tant donn leur expriences antrieures et leur fidlit lÕglise. Ce sont les refus rpts des Acadiens qui ont t
cits comme prtexte lorsque le Conseil de la Nouvelle-cosse a autoris lÕordre
de dportation de ces Acadiens quÕon appellait jusque l Ē French
Neutrals Č[10].
Ē Messieurs,
JÕai reu de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions du
roi. CÕest par ses ordres
que vous tes assembls pour entendre la rsolution finale de Sa Majest
concernant les habitants franais de cette province de la Nouvelle-cosse qui,
durant un demi-sicle, ont reu plus dÕindulgences que tout autres sujets
britanniques du Dominion de sa Majest. De quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez.
Le devoir qui mÕincombe, quoique ncessaire, est trs dsagrable ma
nature et mon caractre, de mme quÕil doit vous tre pnible vous qui avez
la mme nature.
Mais ce nÕest pas moi de critiquer les ordres que je reois, mais de
mÕy conformer. Je vous communiquer
donc, sans hsitation, les ordres et instructions de Sa Majest, savoir que
toutes...
Vos terres, vos maisons, votre btail et vos troupeaux de toutes sortes
sont confisqus au profit de la couronne, avec tout vos autres effets, except
votre argent et vos mobiliers, et que vous-mmes vous devez tre transports
hors de cette province.
Les ordres premptoires de Sa Majest sont que tous les habitants de ces
districts soient dports, et selon la bont de Sa Majest vous permettant la
libert dÕapporter tout argent et choses personnelles que vous pourrez
transporter sans incommoder les navires sur lequels vous serez dports. Je ferais lÕimpossible pour assurer la scurit de
vos biens et pour vous protger contre tout acte de brutalit durant leur
transport et que des familles entires soient transportes ensemble sur le mme
vaisseau. Je suis assur que
malgr votre grand malaise durant cet avnement, nous souhaitons que la partie
du monde o vous serez, vous demeurez des sujets fidles Sa Majest tout en
tant un peuple heureux et paisible.
Je me dois de vous aviser que le plaisir de Sa Majest dsire vous
garder en scurit sous lÕinspection et la direction des troupes de soldats que
jÕai lÕhonneur de commander. Č[11]
Les Acadiens seront envoys dans les colonies britanniques du Sud, soit
en Nouvelle-Angleterre, au Maryland, en Pennsylvanie, en Caroline du Sud, en
Gorgie ; un certain nombre seront aussi envoys en Angleterre o ils seront considrs
prisonniers, pour gnralement tre ensuite renvoys en France. DÕautres seront envoys directement en France. On a vit dÕenvoyer les Acadiens en Nouvelle-France,
soit au Qubec actuel, afin de ne pas contribuer au renforcement de cette
population dont on se mfiait encore. Cela
dit, une partie de la population acadienne sÕest rfugie en Nouvelle-France ou
dans les bois dÕAcadie.
On
nÕa que peu dÕinformation sur la situation dans laquelle se trouvaient les
Acadiens en exil. Nous savons que,
bien que lÕordonnance de Dportation annonait quÕon tenterait de transporter
les familles entires, les familles furent spares, assurant ainsi une
dispersion efficace.[12] Les
soldats anglais ont aussi brl les habitations et autres signes de prsence
acadienne, pour sÕassurer que les Acadiens ne tenteraient pas de revenir.[13]
En
plus, lÕaccueil que leur rserveraient les populations des colonies amricaines
qui allaient absorber ces dports allait tre hostile, ces derniers nÕayant
pas t annoncs au pralable et tant gnralement dmunis. Cela explique comment Ē ...les
diffrentes phases de la Dportation ne sont que le prlude dÕinterminables
errances. Č[14],
puisque les Acadiens nÕallaient plus jamais avoir de patrie, si la volont impriale
avait raison.
On a parl plus haut des difficults dÕutiliser une approche purement
historique pour ce qui est du peuple acadien. CÕest
quÕon manque de documentation historique nous permettant dÕtudier les recours
juridiques disponibles aux Acadiens et lÕutilisation que ceux-ci auraient faite
du systme juridique. En effet, les
connaissances historiques purement acadiennes se transmettaient plutt de faon
orale, entre les membres dÕune famille, puisque Ē Acadie did
not have a high literacy rate to begin with, so there are none of the kinds of
sources (newspapers, pamphlets, and diaries) one finds for the contemporary
Anglo-American colonies. Č[15]. Les sources crites se limitent dÕoccasionnelles
ptitions aux autorits locales, et aux registres paroissiaux qui nous
informent sur les baptmes, mariages, funrailles.
Ė
partir du 19e sicle, les choses taient un peu plus faciles grce
lÕducation qui devenait de plus en plus accessible. Et
pourtant :
Ē Rares sont en effet les pices de correspondance, les extraits de
carnets personnels dÕavocats ou de justiciables (...) Seuls les journaux dvoilent quelque peu lÕunivers juridique acadien. Or, ceux-ci nÕaccordent pas une grande place aux questions
juridiques. De plus, le discours
qui y est articul est surtout le fait de lÕlite; il ne permet pas
ncessairement de prendre le pouls des diverses couches de la socit. Č[16]
On verra plus tard que la voix
acadienne dans lÕunivers juridique tatique prendra longtemps se faire
entendre.
Ė premire vue, il est extrmement difficile de
dceler un contexte juridique clair pour les Acadiens. Leur
condition de francophones, lÕintrieur dÕune administration anglaise, fait
tout pour croire quÕils sont lÕextrieur de tout systme juridique pouvant
avoir t en place lÕpoque. Voici
ce quÕen dit lÕhistorien Jean Daigle :
Ē La vie des Acadiens est domine par les rseaux de parent qui
englobent toutes les activits des individus. CÕest au sein des familles que se rglent la plupart des litiges. Le prtre ou le patriarche tranchent les problmes
internes comme les limites de terrain, le vol de btail et les accusations
dÕassaut.
Le
faible nombre de litiges soumis la cour de justice anglaise souligne la
faible pntration de la culture juridique britannique parmi la population
acadienne. Les rares causes
soumises la General Court dnotent
lÕincapacit dÕun petit nombre dÕindividus trouver protection et soutien au
sein dÕun rseau familial.
(...)
LÕimpossibilit
pour la justice anglaise de pntrer les rseaux de parent afin dÕintgrer les
Acadiens aux institutions britanniques constitue donc le point faible de
lÕadministration dÕAnnapolis Royal. En difiant une pratique judiciaire parallle, les Acadiens
sÕaffranchissent de lÕadministration anglaise. Č[17]
Les
Acadiens ne connaissaient pas non plus lÕide dÕun code civil, qui mme en
France en tait encore un sicle de sa codification lorsque les Acadiens sont
devenus sujets britanniques, suite la conqute. Le
droit franais, lÕpoque o il se serait appliqu aux Acadiens, aurait donc
plutt t Ē ...un droit form dÕdits royaux, de principes tirs
certes du droit romain, mais aussi de la jurisprudence. Č[18]
.
Cela dit, mme durant cette priode franaise, lÕaccs la justice
tait plutt difficile. En
effet, et cela nous raffirme lÕautonomie relative de lÕAcadie dÕauprs la
France, Jacques Vanderlinden en son rle dÕhistorien du droit nous informe quÕ
Ē il est exceptionnel que le Conseil [Conseil souverain de la
Nouvelle-France] soit saisi dÕune question intressant lÕAcadie.(...) De
toute vidence les affaires acadiennes ne sont pas le premier souci des
autorits de la Nouvelle-France. Č[19]
DÕautant plus que le territoire acadien tait assez loign du lieu o sigeait
ce Conseil.
Il
est donc vraisemblable que la vie juridique acadienne sÕorganisait selon
certaines coutumes juridiques dÕorigines franaises. Mme
la rception du droit anglais, ds 1719, ne semble pas leur avoir t de
consquence importante puisque la vie continuait comme avant. De toute faon, la nature du droit franais quÕils
auraient pu connatre nÕtait pas si fondamentalement diffrente de celle de la
common law : Ē En ce sens, le passage dÕun systme de droit civil celui
de la common law pouvait ne pas crer trop de difficults... Č[20],
puisquÕil nÕtait pas encore question de Ē code Č par opposition
Ē jurisprudence Č.
Cette situation, soit le fait de vivre un peu en marge du systme juridique,
semble faire lÕaffaire de tout le monde. Le
gouvernement militaire mis en place en Acadie aprs la conqute anglaise ne
tenait pas tellement imposer les rgles de common law au peuple francophone,
non pas cause quÕelles ne sÕappliquaient pas, mais plutt parce quÕon faisait
du mieux quÕon pouvait pour administrer cette petite colonie :
Ē Les officiers commandant les troupes, puis les gouverneurs militaires
de lÕAcadie anglaise, quÕils soient ou non assists par leur conseil,
sÕefforcent, jusquÕen 1749, de rgler les litiges entre Acadiens ; ils sont
clairement plus enclins les encourager la composition quÕ rendre la
justice selon le droit ; quÕil est vrai quÕils connaissent fort mal. Č[21]
On
ne peut affirmer que lÕaccs la justice Ē tatique Č a t aussi
naturelle pour les Acadiens que pour les anglais. Du
ct institutionnel, les juristes et les juges ont t exclusivement
anglophones, et ce jusquÕau moins le milieu du 19e sicle, o on a
commenc voir un petit nombre de juristes francophones. Il parat vident que dÕautres formes de juridicit
existaient pour les Acadiens, afin de rpondre leurs besoins.
(Source :
Couturier, Jacques Paul, Ē Quelques
lments de la culture juridique acadienne la fin du 19e
sicle Č, 28 Revue de lÕUniversit de Moncton 81.)
Le pluralisme juridique
Le
pluralisme juridique sert dÕoutil important pour comprendre la complexit que reprsente le groupe
ethnique acadien. Il nÕy a pas
quÕun aspect au Ē juridique Č, videmment ; comme nous le savons, nous pouvons distinguer le phnomne
juridique, plusieurs niveaux dans une situation ou personne donne. Nous dgageons ainsi une perspective non pas la
recherche dÕun droit strictement tatique ou son quivalent, mais plutt la
recherche du Droit qui Ē nÕest li par nature ni lÕexistence dÕun tat,
ni la formulation de rgles, ni la reconnaissance de sa rationalit. Č[22]
On sait que la communaut acadienne utilisait ses rgles coutumires,
vraisemblablement adaptes par eux aux nouvelles situations trouves dans le
Nouveau-Monde, notamment en ce qui a trait leur travail agriculturel :
Ē La rcupration de terres sur la mer selon la technique de lÕaboiteau et
la rpartition des terres qui en rsultait entre les habitants, membres ou non
de la mme famille, supposait lÕtablissement progressif de rgles coutumires
dont on trouve des traces jusqÕau XIXe sicle... Č[23]
Il reste encore beaucoup de travail historique faire avant de pouvoir en
savoir plus sur ces rgles coutumires. tant
donn lÕanalphabtisme du peuple acadien lÕpoque, ce sera plutt du ct de
lÕglise quÕon pourra trouver dÕautres renseignements quant la rgulation de
la vie acadienne.
En effet, lÕglise catholique romaine a jou un rle important en ce qui
a trait la rgulation de la socit acadienne. Mme
si dÕun ct, le contrle de lÕglise devait normalement se borner aux
questions morales et spirituelles, on ne peut nier que dans plusieurs cas, le
prtre local exerait vritablement une fonction juridique. Or, ce nÕtait pas toujours une bonne chose, comme le
souligne Vanderlinden : Ē Un premier problme est celui de la nature
exacte des rapports entre ses ouailles et un clerg souvent peru comme
Ē tranger Č par les communauts locales et manquant parfois de minimum
de psychologie dans lÕexercice de son ministre Č[24].
Le clerg possdait effectivement un pouvoir trs important ; en effet,
les enjeux sont dÕautant plus grands lors de Ē litiges Č, o le
prtre sÕoccupe de rgler les conflits : Ē Le rsultat de pareille
Ē procdure Č est que lÕune des parties prfre tre dpouille,
juste ou mauvais titre, de ses biens plutt que de risquer son salut ternel en
tant priv de sacrements! Č[25] On est l en prsence dÕune vritable
culture juridique chrtienne, comme elle est dcrite dans le Dictionnaire
encyclopdique de thorie et de sociologie du droit : Ē ...soucieuse de conduire vers une plus grande perfection,
elle formule des exigences de vie qui doivent en permettre lÕaccs. Rgles de vie sociale, de morale individuelle,
familiale, collective qui, sans toujours prendre la forme de prescriptions
lgales, sont aux lisires du droit. Č[26]
La famille jouait aussi un rle important dans la rgulation de la socit acadienne. Chaque famille reprsentait un noyau de rglement des conflits qui surgissaient lÕinterne, un rseau de protection pour chacun de ses membres, et plus profondment encore, un code de conduite, voire un rle socital. Mme de nos jours, la famille et la gnalogie exercent un pouvoir important, comme lÕillustre Caroline-Isabelle Caron qui affirme que : Ē Ce livre (au sens propre et figur) du savoir familial prsente un vocabulaire de lÕidentit qui permet aux membres du groupe de sÕy reconnatre et de poursuivre les rgles de vie qui perptuent le continuum du pass jusquÕau futur. En somme, ces topoi sont des exemplars familiaux. Č[27]
De
plus, du ct juridique, la gnalogie permet de se connatre en ce qui a trait
la filiation, et assurait lÕpoque que les interdits de mariage soient toujours
respects. Du ct identitaire, lÕeffet de cette gnalogie est
encore plus important.
Antonine Maillet, auteure du roman quÕon tudiera plus loin, exprime pour sa
part : Ē JÕaime remonter la gnalogie pour me donner des assises, des
attaches. LÕAcadienne qui se donne le titre de Ē Antonine
Lonie Thadde Olivier Charles Charles Jacques-Antoine Č,
cÕest parce quÕelle a besoin dÕtre quelque part.
LÕAcadien nÕa pas de pays, alors il a une gnalogie. Il
nÕa pas de pre, alors il a une histoire. Č[28]
Cette histoire comporte un lment rgulateur en soi.
Jacques Vanderlinden a cherch dfricher lÕhistoire du droit de
lÕAcadie dÕavant la Dportation, partir de la priode franaise, jusquÕ la
rception officielle de la common law qui selon lui sÕest effectue plusieurs
annes aprs la conqute de 1710. Il
explique ainsi les diffrents ordres juridiques qui pouvaient exister en mme
temps pour lÕAcadien durant la priode franaise et aprs la conqute :
Ē En matire matrimoniale, ces systmes sont deux pendant la
priode franaise : ce sont celui de lÕglise et celui de la jurisprudence des
parlements de France contre lÕglise; il ne faut en effet pas perdre de vue
quÕen matire matrimoniale la Ē coutume Č de Paris est silencieuse,
et pour cause. Dans toutes les autres
matires sÕaffrontent, pendant la mme priode, la Ē coutume Č de
Paris, la Ē coutume Č amene par chaque Acadien de son
Ē pays Č dÕorigine et une ventuelle Ē vraie Č coutume
acadienne. Aux deux systmes
sÕaffrontant en matire matrimoniale et aux trois sÕaffrontant dans le reste du
droit priv vient sÕajouter, partir de 1713, la common law importe par le colonisateur anglais et qui, bien quÕelle ne soit pas
suppose sÕappliquer en matire de droit priv, pourrait nanmoins lÕtre en
vertu de circonstances particulires. Č[29]
Lorsque Vanderlinden affirme que la common law nÕtait pas
Ē suppose sÕappliquer en matire de droit priv Č, il renforce la
croyance que lÕAcadie tait conquise plutt que colonise par les Anglais, et que
le droit quÕutilisait les Acadiens en tait un qui leur tait propre. On verra plus loin lÕeffet de la distinction entre un
peuple conquis et un peuple colonis.
Comme on le verra dans notre analyse de Plagie-la-Charrette, on
passera dÕune situation o il y avait apparamment du droit partout, du
Ē magasinage de for Č pour utiliser lÕexpression de Vanderlinden,
un contexte dÕexil o le choix de Ē for Č est si maigre quÕon prendra
les formalits qui sÕoffriront au gr du hasard afin de conserver la cohsion
sociale. Cette capacit dÕadaptation, dÕun Ē trop de
droit Č un Ē manque de droit Č, a-t-elle marqu la culture
juridique acadienne? On pose encore une fois ici la question savoir si
Ē lÕoriginalit et la personnalit de ce droit acadien soit prcisment
constitus par ce pluralisme juridique et par lÕattitude souple consistant
tirer parti de tous les systmes disponibles sans en privilgier jamais
aucun Č[30]?
Le statut de lÕAcadie franaise aprs que lÕAngleterre prend
officiellement le pouvoir en 1713 est dj ambigu.
Est-ce une colonie, ou un peuple conquis? Comme on lÕa vu, lÕAngleterre nÕa pas
colonis lÕAcadie ; cependant, les relations entre lÕAcadie et dÕautres
colonies anglaises, notamment la Nouvelle-Angleterre, sont frquentes et
Anglais et Acadiens coexistent en tant que voisins.
LÕAcadie semble manifestement conquise, du point de vue anglais. Il en dcoule quÕun respect des institutions
acadiennes existantes sÕimpose, comme lÕont argument des juristes acadiens :
Ē ...cette rgle du droit constitutionnel anglais, qui
tablit une distinction fondamentale entre le territoire conquis et le
territoire colonis, est fonde sur un simple principe de justice naturelle, un
droit inconnu venant soudainement troubler les institutions civiles Š
particulirement sÕil est crit dans une langue diffrente Š tant susceptible
de crer de graves injustices. Č[31]
On
peut se demander si ce statut a toutefois jamais t respect. En effet, ces juristes ont tent dÕexpliquer le
contexte juridique de lÕpoque en se fondant sur cette rgle constitutionnelle. Comme on lÕa vu, un des facteurs importants menant
la Dportation des Acadiens a t leur refus de prter serment dÕallgeance
la Couronne britannique. Or,
ces juristes ont affirm que lÕobligation de prter serment tait en fait
illgale, puisque Ē sÕil y a ncessit dÕimposer un serment gnral, cÕest
quÕon les considre encore comme des sujets franais.
LÕordonnance de dportation du 28 juillet 1755 est donc elle-mme irrgulire. Č[32] Peut-tre en raison de lÕabsence
dÕinstitutions civiles acadiennes videntes, lÕAngleterre a plutt opt de
traiter lÕAcadie comme une terre colonise, qui a toujours t la sienne.
La cration de lÕAssemble lgislative de la Nouvelle-cosse eut lieu en
1758. En effet, la population anglaise de cette rgion en
avait fait la demande auprs de la Couronne maintes reprises avant cette
date, mais la forte proportion dÕhabitants francophones et catholiques qui y
vivait lÕpoque inquitait celle-ci. On a
donc attendu aprs lÕexpulsion de cette population avant dÕaccorder une
lgislature.
Mme si les Acadiens avaient pu conserver leurs droits coutumiers aprs
lÕoccupation anglaise, cette situation a chang ds lÕordre dÕexpulsion :
Ē Du point de vue des droits particuliers de la population
acadienne, il nÕy a pas beaucoup de difficult valuer la situation en
Nouvelle-cosse lors de la cration de la premire Assemble lgislative. Les Acadiens et les Acadiennes ont t dports, et
ceux et celles qui se sont rfugis dans la province actuelle du
Nouveau-Brunswick sÕy trouvent illgalement ; ensuite, lÕAssemble adopte, ds
les premiers jours, des lois crant pour les catholiques des incapacits trs
importantes. Č[33]
Effectivement,
la nouvelle Assemble lgislative de la Nouvelle-cosse sÕempressa dÕadopter
des lois qui assureraient la protection de la domination anglaise sur le
territoire. Voici certains exemples extrmes de lgislation
adopte lÕpoque :
- La loi
suivante, adopte en 1758, prescrit que les terres ayant appartenu des
Acadiens soient dvolues des colons anglais : An Act for confirming titles
to lands and quieting possessions (1758, 32 Geo II, ch. II)
- Voici
un extrait dÕune loi de 1758, intitule An Act for the establishment of
religious public worship in this province and for suppressing popery
(1758, 32 Geo II, ch. V), prohibant le
travail de prtres de religion catholique :
III. And be it further enacted, that every popish person, exercising any ecclesiastical jurisdiction, and every popish priest or person exercising the function of a popish priest, shall depart out of this province on or before the twenty-fifth day of March, 1759. And if any such person or persons shall be found in this province after the said day, he or they shall, upon conviction, be adjudged to suffer perpetual imprisonment ; and if such person or persons so imprisoned shall escape out of prison, he or they shall be deemed and adjudged to be guilty of felony without benefit of clergy.
- Cette
loi de 1759 tablit la prohibition pour tout catholique de possder des terres
: An Act for the quieting of possessions to the protestant grantees of the
lands formerly occupied by the French inhabitants (1759, 33 Geo II,
ch. III)
- Cette
loi de 1766 impose des amendes aux catholiques qui tabliraient une
cole : An Act concerning schools and schoolmasters (1766,
6 Geo III, ch. VII)
Certaines des lois quÕon vient dÕnumrer furent abolies en 1783, aprs
le retour dÕun nombre important dÕAcadiens, en vertu de la loi suivante : An
Act for the relieving of his MajestyÕs subjects, professing the Popish religion
from certain penalties and disabilities imposed upon them by two acts of the
general assembly of this province, made in the thirty second year of His
MajestyÕs reign. (1783,
23 Geo III, ch. IX).
LÕinterdiction pour tout catholique dÕtablir une cole fut leve en 1786.
Toutefois, le Test Act de 1673 demeurait en vigueur. Cette loi obligeait ceux qui souhaitaient accder
des postes publics de prter un serment affirmant la religion protestante. Philippe Doucet nous explique : Ē Il existe
plusieurs formules de ce sement du Test, mais le fond
est peu prs le mme. Un de
ces textes concerne lÕEucharistie. Un
autre serment dnonce lÕautorit spirituelle du pape tandis quÕun troisime
reconnat le monarque britannique comme seul chef de lÕglise. Č[34]
Mme lorsquÕil y avait volont dÕintgrer des Acadiens dans une fonction
publique par le gouverneur, Ē ...son
attention est attire par Londres sur le fait que cette dsignation nÕest
possible quÕ la condition que les intresss se soumettent aux prescriptions
des Test Acts et donc affirment sous serment tre de foi
protestante, ce qui nÕest videmment pas le cas. Č[35]
La province du Nouveau-Brunswick fut pour sa part cre en 1784. CÕest ici que se sont installs la majorit des
Acadiens revenus aprs la Dportation. Or,
la province avait dÕabord t cre pour plaire aux dizaines de milliers de
Loyalistes britanniques qui rclamaient un gouvernement eux, afin de crer
une socit leur image. Leur
souhait fut exauc, ce qui ne rendait pas plus facile lÕaccs aux rles
politiques pour les Acadiens.
De plus, les circonstances politiques au retour des Acadiens en
lÕancienne Acadie furent marques par lÕarrive de milliers de Loyalistes
britanniques sur les terres qui leur avait jadis appartenu. Une autre Assemble lgislative est cre aprs le
dpart des Acadiens, cette fois en crant une toute nouvelle province pour ces
Loyalistes, en 1784. La possibilit
dÕun rle politique pour les Acadiens qui reviennent nÕen demeure pas moins
inexistante.
La citation suivante de Michel Alliot parat tout fait applicable en
un tel contexte :
Ē Il en va de mme de ceux qui naissent de la prcarit des
situations dans le monde juridique traditionnel. On sait que ce monde sÕarrte lÕhorizon, aux traces visibles, aux
souvenirs de la mmoire. Au-del de ce paysage limit, il nÕy a plus de droit ; lÕtranger
relve du monde ambigu du sacr. Et qui sort du paysage, perd tout droit : lÕabsent, son retour, ne
pourra revendiquer ni sa terre si elle a fait lÕobjet dÕun nouveau dfrichage,
ni sa femme remarie.
Le monde du Droit se dfait chaque instant, ou, pour ne pas subir lÕeffet
corrosif de lÕloignement ou du vieillissement, il doit chaque instant tre
restaur... Č[36]
Aprs la Dportation, et conscients de la ralit du retour progressif
de certains groupes dÕAcadiens, les Anglais capitulent un peu afin de conserver
le maximum de contrle : Ē ...ds
1764, les instructions au gouverneur Wilmot lui enjoignent de permettre aux
Acadiens et aux Acadiennes de sÕtablir par petits groupes ici et l dans la
province, pour quÕils soient mls au regroupements des colons anglais,
condition de prter le serment dÕallgeance. Č[37]. Ė partir de 1767, on a vu un retour substantiel de
personnes dportes, et la majorit prtaient effectivement le serment
dÕallgeance demand.
Bien quÕils aient eu la permission de se rinstaller en petits groupes
et quÕils avaient dsormais jur leur fidlit la Couronne britannique, on en
tait loin dÕatteindre lÕintgration sociale :
Ē No society awaited their return and re-entry; no fixed point was
going to present itself without Acadians creating or inventing one. They looked forward to a century of silence and the
prospects of employment by the British to work in the fields where they could
apply their expertise with the aboiteaux for Ē a small provisional
allowance Č (Wynn 47). Č[38]
CÕest effectivement dans le silence que les Acadiens sont revenus, et
dans lequel ils sont rests pour un sicle.
Ē Au dpart, dirons-nous, il y avait le silence. Un
silence intense divers degrs, et o se fonde, dans lÕincertitude, dans
lÕerrance, dans la difficult dÕtre, lÕexpression acadienne elle-mme. Č[39]
Effectivement, pendant presquÕun sicle, les incapacits juridiques, le manque
dÕducation, bref la marginalisation sociale qui affectaient les Acadiens ont
eu un effet important sur leur dveloppement.
Lorsque Ē ces personnes ne peuvent ni voter ni tre candidates une
lection, ni tenir une charge publique ni enseigner ; mme la possibilit de
devenir propritaires fonciers est discutable. Č[40]
, il est videmment difficile de sÕintgrer et de commencer se sentir comme
faisant partie du mme systme juridique, pour ne nommer quÕun exemple des
exclusions ressenties.
Le dbut du dveloppement et de lÕmancipation des Acadiens sÕest fait
par le biais de lÕaccs lÕducation. Ė
partir de 1830, une autre incapacit juridique est leve et ils peuvent
maintenant avoir leurs coles qui seront menes par des ordres religieux
catholiques, les seuls qui ont les ressources pour offrir cette ducation aux
francophones.
(Source : Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes,
Moncton, la page 250.)
Plagie-la-Charrette :
le rcit dÕun peuple en exil
La littrature acadienne a pris son ressort relativement rcemment,
partiellement en raison de ce silence qui a dur jusquÕ ce quÕon ait vu une
certaine modernisation de la socit acadienne.
Mme au 19e sicle, lorsquÕon commenait prendre conscience
de faon collective de lÕvnement de la Dportation et de ses consquences
brutales, ce sont des auteurs trangers qui en font le rcit pour le grand
public. Le plus illustre de ces auteurs fut srement
Henry-Wadsworth Longfellow, avec son pome fictif vangeline,
publi en 1847. LÕimage dÕune Acadie paradisiaque, et une hrone
soumise, Ē muette et rsigne Č[41],
et une image dÕun peuple naf, paisible et content[42],
fut renverse par les personnages plus rsistants, fiers et ralistes dÕauteurs
comme Antonine Maillet qui sont arrivs sur la scne plus dÕun sicle plus tard.
Contrairement lÕvangline de Longfellow, donc, Maillet nous montre de
faon plus raliste, bien quÕencore folklorique, lÕesprit du peuple acadien. De plus, sa faon dÕcrire se rapproche plus des
contes et de lÕoralit que celles dÕautres auteurs : Ē The case of
Antonine Maillet...offers a unique
and spectacular example of works in which the distance between orality and
literature, between bard and writer has been reduced to close to zero. Č [43]
Nous avons choisi ce roman en particulier puisquÕil fait bien la liaison entre le rcit de lÕexil et du retour en Acadie, et lÕattitude moderne venant du contexte dans lequel il a t publi. En effet, lors de sa sortie en 1979, on venait de crer la premire Facult de droit de common law en franais, les rformes politiques et sociales avaient eu lieu comme on le verra plus tard. Maillet garde toutefois la voix de ses anctres, semblant puiser dans une mmoire collective. En plus, cÕest le roman acadien ayant bnfici dÕun rayonnement international, puisquÕil a mrit le prix Goncourt en 1979.
Le roman Plagie-la-Charrette (ci-aprs Charrette),
raconte lÕpope du retour des Acadiens aprs leur exil. Le
long processus de la rentre en Acadie, quÕon ne peut presque plus qualifier
dÕerrance puisquÕil y a un objectif final on ne peut plus clair, ce voyage
prouvant, nous fait observer une transformation relle.
ĒLÕpope est lÕhistoire dÕun peuple dans la seconde prcise qui prcde
la naissance de ce peuple-l. Si vous regardez lÕIliade, cÕest le moment de la guerre entre Troie et
la Grce o allait se dcider qui allait devenir le peuple de lÕavenir. Et Õallait tre la Grce. Si vous regarder La Chanson de Roland, cÕest le moment de la guerre
entre la chrtiennet et lÕislam qui a dcid que lÕEurope allait se faire. Le retour de Plagie, cÕest le moment dcisif pendant
ces dix annes-l qui va dcider si lÕAcadie va survivre ou pas. Est-ce que le peuple acadien va revenir la source
pour quÕon parle encore dÕAcadie? CÕest la charrette qui va dcider. CÕest donc une pope, mais je lÕai faite lÕenvers
des autres, o vous avez le hros cheval; ici, lÕhrone est pied, cÕest
les autres qui sont cheval. Ė lÕenvers des autres, o vous avez la langue grandiose et officielle; ici
vous avez la langue de tous les jours, la langue du peuple. Č[44]
De Ē lambeaux de famille Č, rassembls dÕici et l en Gorgie et
tout au long du chemin de retour, les Acadiens redeviennent une collectivit
avec comme destin collectif de revoir leur territoire dÕorigine. Leur attachement ce territoire est profond, et
dpasse mme la force de lÕimmuable personnage de la Mort qui suivra le groupe
tout au long du roman.
Dbut du voyage
Plagie, dite Plagie-la-Charrette cause de son mode de transport bien
sr, a survcu lÕpreuve de la Dportation, mais pendant lÕadversit laquelle
elle avait eu faire face, elle a Ē jur aux aeux de ramener au moins un
berceau au pays. Č[45]
Les occupants du bateau dans le quel elle avait t expulse taient consacrs
au travail servile dans la colonie anglaise de la Gorgie, mais Plagie a
russi sÕamasser Ē une charrette et trois paires de boeufs de halage qui lui
avaient cot quinze ans de champs de coton, sous le poids du jour et sous la
botte dÕun planteur brutal qui fouettait avec le mme mpris ses esclaves
ngres et les pauvres blancs. Č[46]
Les difficults se succdent, mme avant le dbut du voyage de retour. Mais Plagie sÕtait prt serment elle-mme, ainsi
quÕ son peuple, et elle semble avoir trouv force dans sa promesse.
Plagie elle-mme est un symbole, de mme que sa charrette : Ē La
charrette qui lui donne son nom est le symbole central du roman, la mtaphore
de la rentre lente et boiteuse, mais enfin accomplie, des Acadiens chez eux. Č[47]
Elle nÕa jamais exist dans la forme quÕelle prend dans le roman, mais elle
reprsente tout un peuple, elle reprsente la mmoire collective qui le forme.
Aprs les boeufs attels et la charrette en mouvement travers les
tats amricains, on sÕest mis rencontrer dÕautres Acadiens, pour qui on
devait faire de la place.
Ceux-ci avaient tous en commun quÕils sÕtaient refuss lÕenracinement dans cette terre
trangre. Ayant t chasss de leur Ē paradis perdu Č,
leurs circonstances en contexte amricain ne pouvaient satisfaire leur soif
dÕautonomie. Ils connaissaient une nostalgie pour cette libert
quÕils avaient connus en tant que peuple neutre qui pouvait rester paisible
mme face aux conflits incessants entre la France et lÕAngleterre, qui Ē force
dÕtre ballotte dÕun matre lÕautre Č[48]
sÕtait mise se gouverner quasiment toute seule...
Le
voyage de Plagie et son peuple en devenir, un voyage qui durera en fin de
compte dix ans, leur fera traverser des lieux o se droulait une autre
preuve, celle dÕun autre peuple : la guerre dÕindpendance amricaine. On pourrait penser que les affinits entre ces
indpendantistes amricains et ces Acadiens blesss par la Couronne anglaise
seraient faciles trouver.
Toutefois, lÕAcadien garde ses distances, question de conserver une certaine
mesure dÕautonomie.
Or, dÕune certaine faon leurs destins sont entremls, comme le
dmontre le dialogue suivant :
Ē Š Racontez-nous lÕhistoire de nos aeux tant que vous voudrez, mais
mlez-y point les Amricains. Ceux-l sont point de nos oignons.
-- Point de nos oignons! Point de nos oignons! Mais cÕest leurs oignons,
ben au contraire, que je mangions lÕpoque, et cÕest leur terre que je
traversions pied derrire les boeufs. Č[49]
De
fait, il reste encore un nombre significatif de personnes de souche acadienne
aux tats-Unis, avant mme quÕon compte les Cajuns de la Louisiane. Ce nÕest pas surprenant, puisquÕ un moment donn,
lÕattrait dÕune nouvelle patrie semble tout fait irrsistible pour
certains : Ē Mais a nÕempchait pas les jeunes fringants ns en
cours dÕexil de rver la dfense de la patrie. (...) Justement, ils allaient mourir pour un pays, les
sans-patrie. La mort au moins leur donnerait une terre bien eux. Č[50]
En plus, ils avaient bien en commun un compte rgler avec la Couronne
britannique, ce qui ne pouvait que jouer un rle dans lÕattitude ambivalente
envers cette guerre dÕindpendance quÕils observaient comme trangers. Les diffrentes positions possibles cet gard sont
illustres dans la vignette suivante. Alors
que trois miliciens Marilandais demandent manger auprs des charrettes, un
Pacifique Bourgeois :
Ē...tira Plagie lÕcart
et la mit au fait de ses devoirs de mre, de chef, et de sujette dÕun pays qui
lÕavait accueillie et nourrie durant prs de vingt ans. Ces insurgs taient tratres leur patrie et leur roi.
-- Le roi? Quel roi?
-- Le roi George dÕAngleterre, tu le sais bien. Č[51]
Plagie rpond en se prononant sur ses valeurs acadiennes, et par
extension les valeurs acadiennes de tous puisquÕelle est la chef du
groupe : elle offre lÕhospitalit ces miliciens, prononant la phrase
rituelle Ē faites comme chez vous Č[52]. Elle fait ainsi dÕune pierre deux coups; elle fait
exemple de charit chrtienne, et nÕempche pas ceux qui pourront se venger
pour elle.
Ė lÕoppos, les Loyalistes amricains, fidles la Couronne
britannique, avaient peu de sympathie pour ces Acadiens. Comme
on le verra plus loin, cette antipathie se continuera aprs le retour en
Acadie, lorsque les deux groupes se retrouveront au Nouveau-Brunswick :
Ē Et cÕest comme a que les dports qui avaient dj pay dÕun
exil les brouilles de deux rois qui
nÕauraient su ni lÕun ni lÕautre trouver lÕAcadie sur la carte, se
voyaient aujourdÕhui maltraits au nom dÕune guerre laquelle ni eux ni leurs
pres nÕavaient particip.
Mais
allez expliquer a des Loyalistes amricains, eux-mmes en droute devant
lÕinsurrection triomphante! LÕesclave battu bat son chien ; et le loyaliste
vaincu rosse le dport. Č[53]
Alors
que Plagie et son peuple arrivait prs de GrandÕPre plusieurs annes aprs
leur dpart, finalement retourns sur leur territoire dÕorigine, celle-ci se
mit rencontrer des Acadiens qui sÕtaient cachs dans les bois afin
dÕchapper la Dportation. Un
certain Godin fit la remarque Plagie de faire attention aux Anglais, alors
quÕelle entreprendrait la dernire tape de son voyage, puisque ceux-ci
Ē avont point encore pardonn. Č[54]
Clairement, la surprise de Plagie en raction ces mots dnote son exprience
tout fait distincte de celle de Godin ; ce dernier, qui tait rest accroupi
dans les bois en attendant le Ē pardon Č qui lui permettrait de
revenir, savait quÕil allait falloir faire attention, que tout nÕtait pas du
tout gagn, que lÕours ne faisait encore que dormir.
Pour
Plagie, cÕtait bien elle quÕil revenait de pardonner : Ē Plus
rien que ces cent lieues et elle oublierait, et elle pardonnerait, et elle
rebtirait son logis incendi. Č[55]
Mais elle allait bien le faire, puisque cÕest de ce pardon que dpendrait son
vritable retour chez elle en terre acadienne, et la compltude qui viendra
avec : Ē Ils repartiront de rien, sÕil faut, mais ils repartiront chez
eux, et renoueront le pass lÕavenir. Č[56]
Ė lÕarrive GrandÕPre, lieu o ces Acadiens avaient entendu
lÕordonnance de Dportation, assembls dans lÕglise locale, brle en 1755 et
laisse dserte, Plagie la fixait des yeux, en Ē murmurant pour elle
seule des mots qui sÕinscrivaient mesure dans le ciel... (...)Personne nÕy ferait son nid, jamais...jamais... Č[57]
En fait, les Acadiens qui sont revenus aprs la Dportation ne reprendraient
pas leurs anciennes terres. Ces
dernires auront dj t donnes aux anglais et aux Loyalistes.
Le retour au paradis perdu fait bien ressortir lÕaspect
Ē perdu Č de lÕexpression pour Plagie. On
conservera toujours cette conception-l de GrandÕPre, ce qui renforcera encore
et toujours la mmoire de lÕvnement qui a caus la perte. Peut-tre est-ce la magnitude de cette perte qui renforce
la conception de lÕpoque pr-Dportation comme Ē ge dÕor Č?
Plagie
a pourtant russi ce quÕelle avait jur de faire, et prescrira la stratgie que
prendront les Acadiens avant de revenir raffirmer leur existence, un sicle
plus tard :
Ē En dix ans, elle avait rafl la terre dÕexil des tribus entires de
ses pays et payses et les avait ramenes leurs terres par la porte dÕen
arrire.
Surtout,
nÕveillez pas lÕours qui dort.
Rentrez
chacun votre chacunire sur la pointe des pieds et attendez le temps quÕil
faut. On a bien attendu en Gorgie, dans les
Caroline, en Marilande, et tout le long de la Nouvelle-Angleterre, attendu que
passe la premire charrette pour y accrocher la sienne. On pourra de mme attendre sur le marchepied de son logis que la porte
sÕouvre et que la maison se vide. Č[58]
Et
comme si elle parlait ceux qui resterons disperss, comme si elle faisait
allusion la possibilit que lÕAcadie comme lieu gographique nÕexisterait
peut-tre plus jamais, elle dclare : ĒCÕest les hommes qui faisont la
terre, et point la terre qui fait les hommes. L o
cÕest que je marcherons, nous autres, il faudra bien quÕils bailliont un nom
lÕendroit. Je lÕappellerons lÕAcadie. Par
rapport que jÕallons la rebtiÕ, tu vas oure, jÕallons la rebtiÕ grandeur
du pays. Č[59]
En lÕabsence dÕun territoire
gographique certain, et comme rsultat de longues annes dÕexil, comment
peut-on dfinir lÕAcadie? Dans lÕimagination, dans les souvenirs que Plagie a
enfoui dans son tablier? LÕAcadie, est-ce donc un lieu imaginaire? Pour
certains, il en est sr, cÕest bien le cas, mais il y a toujours derrire cette
imagination un Ē ...attachement
un territoire, pass, prospectif, plus ou moins solidement ancr dans sa
ralit, ou marqu par la ralit incertaine de lÕexil, mais auquel la relation
verbale confre une existence intense et souvent convulsive. Č[60] Voil ce que cre dÕabord Plagie,
cÕest--dire une communaut historique ; ceux qui sont parvenus revenir, sans
pour autant former encore une entit politique, auront pourtant t capables de
crer un peuple.
Les
ractions, expriences et attitudes dmontres par les personnages dans Plagie-la-Charrette
peuvent nous aider rpondre aux questions Ē pourquoi Č et
Ē comment Č en ce qui a trait leur coexistence future avec les
Anglais qui leur ont pourtant fait subir tant de difficults. Plagie-la-Charrette, cÕest
donc le rcit fondateur dÕun peuple. Cette
histoire peut nous aider comprendre la relation que pourra dvelopper le
peuple acadien envers le droit anglais.
Illustre par la lenteur de leur rentre au pays, de mme la lente
intgration des Acadiens la socit civile, par la Ēpointe des pieds Č,
plutt quÕune faiblesse, dmontre leur forte volont de rester sur leur
territoire dÕorigine. LÕesprit de
compromis y est n de ncessit. CÕest
donc aussi le rcit de stratgies de survivance, sans lesquelles Ē tre
Acadien Č ne voudrait rien dire. Ce
rcit fondateur dÕune communaut historique sert enfin annoncer une future
communaut politique.
La question de la lgitimit du pouvoir trouve aussi une place
importante dans le texte. En
effet, tout au long de cette oddyse acadienne, le questionnement de lÕautorit
est un thme constant. Que
ce soit face lÕobligation de faire serment dÕallgeance, la sympathie avec
les miliciens amricains, ou par rapport la complicit et lÕamiti avec
lÕesclave, le pouvoir quÕon respecte reste celui des valeurs proprement
acadiennes, telles que vhicules par Plagie. On
retrouve ce thme dans la Ē vraie Č histoire acadienne aussi, bien
sr, puisque leur refus de prter serment dÕallgeance la Couronne
britannique dmontre cette autonomie quant leur ide de ce quÕest un pouvoir
lgitime.
Comme on lÕa vu, toute lÕhistoire de lÕAcadie a contribu faire de ces
gens un peuple plutt mfiant envers lÕautorit :
ĒHaving
Ē paid the price of exile for a squabble between two kings, neither of who
could have found Acadie on the map Č, Acadians were forced to recognize an
arbitrariness of authority and to perceive their own farmlands as the prize in
a war fought, for the most part, elsewhere (Maillet, Plagie, 184-185). Č[61]
LÕAcadien se mfie par extension du droit. LorsquÕon
cite le refus de prter serment pour justifier la Dportation, Plagie
reconnat le subterfuge :
Ē Et sans souffler mot, la petite colonie dÕAtlantique laissait les
rois de France et dÕAngleterre se renvoyer des cartes revues et corriges
dÕAcadie et de Nova Scotia, pendant quÕelle continuait allgrement planter
ses choux. a ne devait pas durer,
cÕtait des choux gras. Et les soldats anglais qui rvaient dÕun coin de terre se mirent
lorgner ces champs-l. Č[62]
Le
titre de celui qui possde un pouvoir lgitime est habituellement accord
lÕglise. Celle-ci sÕoccupe des rituels de naissance, baptme,
mariage, et des funrailles. Mme
en exil, faute de prtres, on improvise en se servant dÕun moine ermite pour
rebnir tous ceux qÕon avait bnit du mieux quÕon le pouvait. Faute de droit, faute de patrie, on cherche
conserver le rituel pour sÕassurer de la bonne constitution des vnements
importants. La cohsion sociale en dpend-elle? ĒRituals, as
social action, not verbal expression, have no contraries and can produce
harmony of wills and actions without provoking recalcitrance. A person finding himself playing his appointed part
in li is already in harmony with others. Č[63]
Le personnage de Blonie le vieillard qui a comme rle principal de conter,
toujours conter, nous montre une autre utilit du rituel, cette fois le rituel
du conte lui-mme, pour cette cohsion sociale, comme lÕexplique Jane Slemon :
Ē Though the experience of exile itself cannot be valued as a
ritual, telling about the deportation (also named le Grand Drangement, the
Expulsion, the Incident, the Disaster, The Deportation, the Dispersion, the
Great Disruption, and the Massacre of the Innocents, among others) is valued as
ritual: listeners experience a ritual transition from innocence to wisdom, from
imagined expulsion to return and re-entry, every time they hear it. Č[64]
CÕest
une prescription du roman, constitutive du peuple, que Ē la narration fait
elle-mme histoire, qui sÕintgre lÕhistoire narre. Č[65]
Malgr cet esprit de compromis quÕon a cit comme caractristique de
lÕattitude acadienne envers la majorit anglophone, si Ē la littrature
exerce souvent ce rle critique par le biais du comique et de la drision, arme
favorite des faibles Č[66],
la phrase rpte : Ē ...et
merde au roi dÕAngleterre! Č illustre bien la subversion sous-jacente et
parallle tout compromis, la raction la ncessit mme dÕavoir
compromettre pour la survivance du peuple.
En
guise de second exemple de cette tendance subversive, on nÕa quÕ regarder
lÕaise avec laquelle les personnages doivent Ēsombrer Č dans une certaine
criminalit et lÕabsence de tout remords, tant donn leur opinion de
lÕautorit anglaise et ses rgles. On
pourrait croire que ce peuple ne voudrait pas dsobir ceux en position
dÕautorit, tant donn son respect de lÕhirarchie de lÕglise. On nÕhsite pourtant pas outrepasser les forces de
lÕordre par le biais de contes et ĒdÕlixir Č...
CÕest que leur survie dpend de cette subversion. CÕest
bien un acte juridique anglais qui leur a donn leur statut dÕexils
sans-patrie, aprs tout.
Ė
deux reprises, nos personnages acadiens auront faire face la prison. Par exemple, quand Pierre Pitre le Fou se dcida de
jouer son tour aux femmes de Baltimore en leur faisant croire quÕil changeait
leurs charpes de soie en charpes de mousseline, il sÕest fait emprisonner
la suite de la disparition des soies, dentelles et cachemires des femmes. Or, lÕintervention de lÕabb Robin passe tout ct
du systme : ĒCertains prtendent que tous les arguments servis au gouverneur,
lÕabb Robin ne les aurait pas trouvs chez les Pres de lÕglise ; voire
quÕune bonne dose de son argumentation aurait dgag une forte odeur dÕlixir
point inconnue des charrettes. Č[67]
De plus, leur arrive Charleston, en Caroline, ayant perdu de vue Catoune, une fille muette faisant partie du groupe dÕAcadiens, on lÕa finalement aperu dans le march dÕesclave, sur la tribune, faisant partie du dfil malheureux de cette marchandise humaine.
Lorsque
Plagie lÕaperut, elle se rua vers la tribune avec sa charrette et son
quipage, et se trouva rapidement en prison, qui Ē nÕen fit quÕune
bouche Č[68]. Or Catoune y tait aussi, ainsi quÕun esclave auquel
elle tait attache! Pour en finir, durant la nuit en prison, on en fit une
Ē nuit de carnaval Č[69],
le carnaval servant de lieu o les rgles sont sens dessus-dessous. Ce fut dÕautant plus efficace : Ē Les
gliers, mme arms dÕarquebuses et de mousquets, nÕtaient pas de taille
lutter contre le violon des Basques, lÕlixir de Clina et le conte fantastique
de Blonie Č[70].
Voit-on une attitude critique envers le droit lorsquÕon observe cette stratgie prfre des Acadiens quÕest celle de lÕensorcellement par le conte? Y voit-on aussi leur affinit future, loin dans lÕavenir certes, envers la tche de lÕavocat, qui joue avec finesse les fictions juridiques ? On y voit en tout cas lÕeffet rel des fictions, puisque ces contes et djouements affectent rellement et de faon significative la Ē vraie vie Č des personnages.
Les
effets juridiques de lÕexil sur le peuple acadien sont que celui-ci sort de
lÕexistence, dÕune certaine manire. Les
mariages ne sont pas tout fait des mariages sans les formalits du droit
matrimonial de lÕglise ; les enterrements sans sacrements reprsentent un
manque important. ĒMme les morts
avont pardu leur droit, mme les morts sont sans glise et sans pays. Č[71]
Comme si la mort de procurait aucun repos pour le peuple errant : Ē...le plus grand chtiment nÕest pas la mort, oh non!
Mais la mort sans repos, lÕternelle errance entre ciel et terre, la
perptuelle re-mort recommence. Č[72]
Les Acadiens sont illgaux en ancienne Acadie, et nÕont pas vraiment de statut
dans les terres qui les ont reu aprs la Dportation.
LÕincertitude
laquelle fait face le peuple acadien quant sa propre existence demeurera
avec elle longtemps aprs le retour en Acadie de Plagie et sa charrette. LÕpreuve et la cration du peuple Ē...sÕinscrit dans un processus vcu de longue dure, une
preuve toujours recommence, dont lÕissue nÕest jamais garantie. Č[73],
et est donc toujours refaire. Les
rituels du conte, lÕadhsion aux valeurs communes, la fidlit lÕglise sont
tous des lments qui contribuent raffermir lÕide que lÕAcadie existe
vraiment, et ce jusquÕ la modernisation du concept Ē Acadie Č
lui-mme, qui nÕaura lieu que dans les annes 1960. CÕest
vraiment, de faon parallle lÕexode de Mose et son peuple :
Ē...une histoire la fois
ancre dans la mmoire de ce qui fut et oriente par la promesse de ce qui
pourrait tre, et qui pourtant se rejoue chaque instant dans lÕincertitude de
lÕinterlocution.
Une telle histoire est littralement celle de lÕpreuve ou de la transformation
(du reste le mot hbreu signifie
Ē passage Č, Ē transformation Č) : elle est aussi distante
de la fatalit mcanique dÕune destine aveugle que du chaos dÕvnements
purement ponctuels ; elle suppose au contraire la reprise rflexive et
lÕaffectation volontaire de donnes dont la responsabilit et le sens chappent
cependant en partie leurs protagonistes. Č[74]
Si
la transformation de lÕAcadie aprs la Dportation fut une transformation de
morceaux de famille et lambeaux de parent en un peuple vritable, il est
certain que ce quÕon recre en revenant en Acadie est diffrent par rapport
ce qui tait avant lÕvnement : Ē...just
as water trickles back to the sea, altered from fresh to salt water along the
way, so people trickle back to their lands after the Expulsion, their
identities detached from the lands they knew, and their stories altered in the
process. Č[75]
De nouvelles caractristiques se sont dveloppes suite au traumatisme, et
cette spcificit dveloppe suite une histoire commune cre indniablement
un peuple.
Ayant
explor brivement la contribution de la littrature nos connaissances sur
lÕesprit acadien, retournons la Ē ralit Č pour voir ces ides
sous une autre lumire.
Les groupes ethniques tels celui que reprsente
lÕAcadie sont souvent dans la mme situation soit celle de nÕavoir territoire
propre, et dÕtre soumis la gouvernance de la majorit. Or ils se trouvent dÕautant plus leur propres faons
de sÕauto-rguler. Ė la base :
ĒLes moyens de coercition dans les communauts sont presque
exclusivement sociaux, moraux et idologiques, ce qui ne veut videmment pas
dire quÕils sont inefficaces, bien au contraire. Il y a, par exemple, la perte de prestige dans la communaut ;
lÕexpression publique de dsapprobation ; le dnigrement et les attaques la
rputation ; les accusations de dloyaut, de sÕtre vendu... Č[76]
Ė cela sÕajoute le pluralisme quÕon a dj vu dans une section prcdente. En Acadie, cette autonomie dans la rgulation sÕest
ventuellement transforme en une manifestation de volont nationaliste, bien
que celle-ci soit trs diffrente de celle qui se montre au Qubec.
Si
cette lÕaffirmation nationaliste peut sembler indiquer a priori que
ce qui est rclam, cÕest un tat, un gouvernement, une nation, pour lÕAcadie,
cÕest plutt la revendication dÕune intgration sociale accrue qui est
vhicule. Aprs le compromis du silence, on veut une
participation la socit civile au mme titre que la majorit :
Ē LÕaffirmation Ēnationale Č minoritaire, cÕest--dire celle du droit
lÕautonomie, ctoie souvent la revendication pour une intgration non
discriminante au sein de la ralit nationale majoritaire. Č[77]
Intgration, discriminante ou pas, signifie quÕĒ ...on accepte de jouer, ensemble, on convient de jouer ce jeu-l Č[78]. Le jeu a certes chang pour tous les joueurs, comme on le verra. Des origines, o on accepte la domination culturelle et mme la marginalisation sociale, pour au moins pouvoir vivre sur un territoire connu, on passe une raffirmation dÕun peuple qui a une voix quant aux choix des rgles du jeu.
Le
jeu a chang plus dÕune fois, par contre.
LÕidentit acadienne, et par extension le rapport au systme juridique, a
chang au fil des annes. En
effet, sÕĒ...il nÕexiste aucune libert extra-sociale, seulement
une longue entreprise de libration qui consiste tantt dans le fait dÕassumer
certains des contenus culturels hrits, tantt dans le rejet de ceux-ci Č[79],
on verra quÕil faut nanmoins partir dÕun point commun.
Comme on lÕa dj voqu, le peuple acadien nÕa jamais eu la tendance se tourner vers la France pour lÕaider en ce qui a trait sa qute pour une affirmation identitaire ; mme le rapport avec la Nouvelle-France (cÕest--dire le Qubec actuel) tait relativement faible, malgr la langue partage, tant donn les origines familiales et les contextes politiques compltement diffrentes. Bien que le Qubec ait pu dvelopper un rseau dÕinstitutions civiles relativement tt dans lÕhistoire, tel nÕtait pas le cas pour lÕAcadie.
En effet, ce rseau institutionnel a pris un sicle se dvelopper. Or pendant ce sicle de silence et dÕincapacits juridiques, cette marginalisation avait son utilit. En effet, si les pauses sont une Ē intervalle vide qui favorise le retour sur soi Č[80], il a aussi peut-tre permis lÕAcadie de rsister lÕassimilation dans la culture dominante. JusquÕ un certain point, la marginalisation sociale tait un choix :
Ē Leur attachement la terre, malgr les
meilleures conditions de vie quÕils pouvaient obtenir dans les centres urbains,
est rationnel du point de vue conomique : pour maximiser leur bien-tre,
les Acadiens qui dsirent le demeurer acceptent de payer les cots engendrs
par un mode de vie destin devenir de plus en plus marginal. (...)
Plusieurs quitteront mme la rgion pour sÕimmiscer dans des socits o ils
nÕont aucun espoir de prserver leur identit. Č[81]
Une
fois cette priode de repli sur soi passe, une nouvelle priode sÕamorce quÕon
peut qualifier de vritable renaissance acadienne.
Le
dveloppement, partir du milieu du 19e sicle, dÕune lite
acadienne, forme de gens duqus, du clerg, et dÕentrepreneurs, concide avec
le dveloppement des symboles nationaux adopts la premire convention
nationale acadienne, en 1881. CÕtait
le premier vritable projet collectif de lÕAcadie, rendu possible aprs le
dbut du dveloppement dÕune classe moyenne. Or,
autant cette voix sera nouvelle sur le plan politique, autant elle reprsentera
dÕabord le point de vue dÕune lite acadienne.
Parlant des nouveaux mdias, tel le quotidien Le Moniteur acadien en
1867, Grard Beaulieu nous rappelle ce qui suit, ce qui sÕapplique aussi la
convention nationale :
Ē Il ne faut pas oublier cependant quÕil
sÕagissait des intrts du groupe acadien tels que les concevaient les lites
de la priode, soit la prservation de la langue franaise, lÕducation, le
dveloppement agricole et la colonisation, en plus de la promotion individuelle
dÕAcadiens sur le plan politique, dans la magistrature et au sein du clerg. Č[82]
Celle-ci adoptera les symboles nationaux
et donc choisissait lÕimage de lÕAcadie quÕon utiliserait pour former ce peuple
nouvellement veill. Les membres de
cette lite taient ceux qui pouvaient le plus facilement avoir une voix, qui
avaient les rseaux dans lequels ils se faisaient entendre. Les premiers, donc, affirmer lÕidentit acadienne.
Le choix et lÕutilisation de symboles, partir de la fin du 19e
sicle, par les Acadiens ont servi solidifier ce nationalisme naissant. Cela semble permettre une reconnaissance de soi par
lÕAcadien, sans toujours avoir se remmorer tout les vnements tristes et
difficiles, peut-tre mme humiliants, du sicle dÕavant : ĒThus myths are
encoded in rituals, liturgies and symbols, and reference to a symbol can be
quite sufficient to recall the myth for members of the community without need
to return to the ritual. Č[83]
Cela tant dit, il fallait sÕassurer que cette identit collective soit
assez forte pour rsister aux alas que comporte la position du groupe
minoritaire : Ē ...afin
que le discours gagne la cohrence ncessaire pour entrer en concurrence avec
le discours traditionnel, il devait faire du signe Acadie son
centre. Č[84]
On a donc encourag la rfrence au pass commun, et la mention de lÕvnement
de la Dportation pour resserrer les liens entre les membres du groupe Acadien. Ē LÕAcadie tait lÕobjet dÕun culte national qui
prenait formes de culte aux anctres, plerinages sur les lieux historiques,
visites quasi officielles dans la diaspora acadienne, ftes nationales,
commmorations sacres, etc. Č[85]
Mais lÕarrive du 20e sicle apportait des bouleversements
importants dans la socit en gnral, et cette faon dÕassurer la survivance
de lÕidentit acadienne allait aussi devoir changer naturellement :
Ē De tels choix ne sont pas faits une fois pour toutes. Au contraire, ils sont effectus continuellement ;
ils sont tantt raffirms, tantt mis en question, dbattus, rejets et
remplacs par dÕautres. Il
sÕagit de processus en relation dynamique avec les circonstances changeantes. Č[86]
Comme partout ailleurs, les annes 1960 apportrent des changements dans
la voix acadienne. On acceptait
moins lÕimmuabilit des symboles acadiens, et la vision traditionnelle dÕune
Acadie unique. On commenait contester cette faon de reprsenter
lÕidentit acadienne, quÕon voyait comme rptant, voire perptuant la
domination anglophone : Ē The Acadians, seeing themselves as having been
displaced first into, then out of, Acadie, continually liberate themselves from
authority and domination by breaking down their own monolithic and traditional
forms. Č[87]
LÕlite acadienne rsisterait quand mme ces changements, comme le dmontre lÕexemple de la fermeture du dpartement de sociologie de lÕUniversit de Moncton :
Ē LÕamorce dÕun champ sociologique acadien fut toutefois interrompu
par la fermeture en 1969 du dpartement de sociologie de lÕUniversit de
Moncton. Cette fermeture tait
une raction des notables acadiens lÕmergence dÕun discours sociologique
critique sur leur socit, tout en tant un signe de la difficult quÕaura
lÕAcadie de se percevoir travers les outils de la modernit scientifique. Č[88]
Sur
le plan politique, le premier ministre du Nouveau-Brunswick dÕorigine
acadienne, Louis J. Robichaud, lu
en 1960, avait introduit une srie de projets de loi lÕAssemble lgislative
qui reprsentait une rforme vritablement rvolutionnaire des institutions
civiles au Nouveau-Brunswick. CÕest
comme si, avec ce premier leader acadien, venait tout dÕun coup lÕaccs la
socit civile :
Ē En Acadie, au Nouveau-Brunswick, un vaste programme de
ramnagement de lÕtat provincial aura lieu sous la direction du gouvernement
Robichaud (1960-1970) et aura pour consquence de substituer lÕtat lÕglise,
la bureaucratie aux clercs dans la gestion de la socit civile. Les institutions acadiennes (coles, collges,
hpitaux, gestion locale des populations) seront ainsi tatises, faisant
dornavant de lÕtat provincial le lieu principal de lÕaction de la communaut
(Thriault, 1984).
En 1971, le morcellement de la vieille Socit nationale des Acadiens en
diffrentes associations provinciales (la multiplication des Acadies) vient
symboliquement confirmer la fin de la grande Acadie. Č[89]
Malgr
les changements que cela a provoqu au sein des organismes acadiens
traditionnels, il reste que ce ramnagement a reprsent une tape cruciale de
lÕintgration acadienne.
La cration de la Ē confdration Č canadienne en 1867
concide avec le dbut de lÕveil acadien, lÕun nÕtant en rien la cause de
lÕautre. Le contexte politique acadien allait pourtant subir
des changements importants :
Ē ...rappelons comment la naissance de lÕidologie
nationale acadienne (1860-1880) sÕinscrit dans la foule de lÕintgration
conomique des communauts francophones des Maritimes un capitalisme
continental et la ralit politique nouvelle cre par la Confdration
canadienne (Mailhot, 1975)... Č[90]
En effet, si la majorit des Acadiens ont vot de manire
anti-fdraliste[91],
contrairement aux anglophones, un journal de lÕpoque annonce pourtant que
Ē ...dsormais, Acadiens et Qubecois font partie dÕun mme
ensemble politique Č[92].
Cette nouvelle ralit
politique comprend des dispositions constitutionnelles qui assurent une
certaine protection de droits linguistique, notamment pour apaiser le Qubec,
mais bnficiant finalement aux Acadiens. En
effet, lÕarticle 133 de lÕActe dÕAmrique du Nord britannique dispose de ce qui
suit :
Ē Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la
lgislature du Qubec, lÕusage de la langue franaise ou de la langue anglaise,
dans les dbats, sera facultatif; mais dans la rdaction des archives,
procs-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, lÕusage de ces deux
langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pice de procdure
par-devant les tribunaux ou manant des tribunaux du Canada qui seront tablis
sous lÕautorit de la prsente loi, et par-devant tous les tribunaux de Qubec,
il pourra tre fait galement usage, facult, de lÕune ou de lÕautre de ces
langues.
Les
lois du parlement du Canada et de la lgislature de Qubec devront tre
imprimes et publies dans ces deux langues. Č[93]
LÕimportance de ce nouveau contexte constitutionnel nÕest pas ngligeable, puisquÕil donne la langue franaise un statut politique sr et protg : Ē When language has social, cultural, and political attributes apart from the mere communication value, it can ease any scheme of domination. For example, to require a group that has for centuries used one script to use another in all official matters could mean the exclusion of its members from public service, even if the official language is intelligible to its members. Č[94] Ce sera donc le premier pas vers une plus grande intgration.
(Source : Jean Daigle (dir.), LÕAcadie
des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes, Moncton, la page 162)
Mme si Ē ...lÕquivalence
ne serait quÕun pis-aller, et pour les juristes, un Ē compromis Č. Č[95], la logique du compromis affecte dsormais la
population entire du Nouveau-Brunswick, les francophones comme les anglophones. LÕgalit des deux langues officielles entrane que
le texte franais est tout aussi valable que le texte anglais.
Or, la traduction enrichit aussi lÕensemble du systme
juridique, puisquÕelle Ē constitue un outil critique complmentaire aux
mthodes traditionnelles dÕinterprtation lgislative. Č[96]
Toutefois, on privilgiera ventuellement la mthode de la cordaction plutt
que la traduction partir dÕun texte original. Cette
mthode respectera davantage le Ē gnie Č de chaque langue, tout en
assurant lÕgalit relle des deux textes :
Ē En fait, lÕinstauration de la cordaction reposait sur une
volont de rparer les ingalits du pass. En effet, il sÕagissait davantage de respecter la culture juridique et
linguistique franaise du Canada que de pallier la mauvaise qualit des
versions traduites en franais. Dans la foule du respect des deux langues officielles au Canada, on a
dcid de changer les anciennes pratiques afin de donner au juriste francophone
un statut gal au juriste anglophone. Č[97]
La common law sÕest plus ou moins applique aux habitants acadiens depuis la conqute, malgr la rgle constitutionnelle anglaise mentionne plus haut concernant la diffrence entre colonisation et conqute. En effet, Ē aux termes de lÕarrt rendu en lÕoccurrence (lÕaffaire Calvin de 1608), lorsque le roi dÕAngleterre conquiert les possessions dÕun souverain paen, il substitue au droit local le droit anglais. Par contre, sÕil conquiert le royaume dÕun souverain chrtien, les habitants conservent leur droit jusquÕ ce que la Couronne anglaise dcide de le remplacer par un droit nouveau. Č[98] Malgr cela, pour plusieurs raisons, la common law sÕest applique aux Acadiens depuis 1719, ds lÕoctroi des premires commissions royales sur le territoire.[99]
Le seul fait dÕavoir composer avec lÕanglais comporte-il une forme de
domination? Parler lÕanglais, est-ce adopter la mentalit qui irait avec? Cela
nÕest certes plus le cas aujourdÕhui, mais une poque o la common law au
Canada ne se faisait pas aussi accueillante lÕgard du franais, ce pouvait
facilement avoir un effet. Comment
le peuple acadien a-t-il donc fait pour viter lÕassimilation ou la domination
complte au fil du temps, si elle a t oblig de composer avec le systme de
common law, tellement britannique? Pour rpondre cette question, on doit
dÕabord se demander, quÕest-ce que la common law? Roscoe Pound affirme que
cÕest dÕabord un tat dÕesprit, en les termes suivants :
Ē CÕest une attitude dÕesprit qui envisage les choses dÕune manire
concrte, non dans lÕabstrait ; qui a foi dans lÕexprience plus que dans les
abstractions. CÕest une attitude
dÕesprit qui prfre avancer prudemment, sur le fondement de lÕexprience, de
ce cas-ci ou de ce cas-l au cas suivant, comme la justice dans chaque cas
semble le requrir, au lieu de sÕefforcer de tout ramener de prtendus
universaux. (...) CÕest un tat dÕesprit fond sur la solide habitude
anglo-saxonne de manier les choses et de rgler les problmes comme ils se
prsentent, au lieu dÕanticiper sur leur solutions par des formules abstraites
universelles. Č[100]
Un
juriste de common law en franais, Donald Poirier, a relev les lments
suivants de la common law qui sÕaccordent avec les caractristiques du peuple
acadien : le raisonnement par induction, une conception parcellaire du
droit, lÕhabilet vivre dans lÕincertitude intellectuelle, la tendance
faire confiance lÕexprimentation, la mfiance lÕgard des administrateurs,
et le respect liberts individuelles.[101]
Reste
quÕun des facteurs qui appuient ces affinits est lÕducation
assimilatrice : Ē Il nÕest donc pas tonnant que les Acadiens et les
Franco-canadiens ne se sentent pas ncessairement dpayss par la common law,
surtout quÕils sont dj initis la mentalit anglo-saxonne dÕapprhender les
choses par lÕducation quÕils reoivent sur les bancs dÕcole. Č[102]
Un autre aspect de lÕalliance quÕil y existe entre la common law et le
peuple acadien est la conception du fait de faon narrative et image, ce qui
expliquerait pourquoi le Ē rsidu oral Č caractrisant la socit
acadienne est arriv se trouver une place dans un systme juridique domin
par une autre langue. De fait, on dit
de la common law quÕelle ne se fonde pas autant sur lÕabstrait et la logique
que les systmes base romano-germaniques, du moins sur la face des choses. Ceci caractrise aussi les socits de type oral. Comme le dit Ong : Ē...oral
cultures tend to use concepts in situational, operational frames of reference
that are minimally abstract in the sense that they remain close to the living
human lifeworld. Č[103]
On pourrait ainsi aller jusquÕ dire que la structure narrative fondamentale au
discours juridique depuis le dbut de la pratique de la common law en franais,
donc grce la traduction et lÕaccs gal aux institutions professionnelles
juridiques, est effectivement universelle.
Cette intgration dans le monde de la common law ne laisse toutefois pas cette dernire inaltre :
Ē Les Acadiens ne se sont toutefois pas contents dÕassimiler la
common law. Ils ont tent de la
modeler leur image et leur faon dÕaborder la ralit. Cette appropriation de la common law se manifeste
surtout dans trois domaines : lÕenseignement de la common law en franais, la
pratique du droit en franais et la lgislation sociale adopte par lÕAssemble
lgislative du Nouveau-Brunswick. Č[104]
En effet, la lente intgration des Acadiens dans la
socit, et leur intgration concomitante au systme juridique, veut dire des
changements au systme lui-mme. Un de
ces changements importants est celui de lÕintroduction de lÕobligation de
traduire les arrts et lois importantes au pays, et de faon moins tendue, au
Nouveau-Brunswick.
On verra un peu plus loin que le systme juridique est
effectivement devenu un outil important pour la communaut acadienne, en ce que
cette dernire a suivi la tendance moderne la judiciarisation de ses
revendications. Ce nÕest cependant arriv quÕaprs une longue priode
de relation incertaine avec le systme juridique.
QuÕest-ce
que cela signifie par rapport la culture juridique acadienne? CÕest que cette
culture se serait modifie pour prendre avantage de lÕaccs tout rcent au
systme juridique, accord par lÕinstitutionnalisation professionnelle qui a eu
lieu au cours du 20e sicle (mais surtout dans sa deuxime moiti). La citation de Roger Cotterrell suivante semble bien
rsumer cette dynamique :
Ē Legal culture controls the pace of production of demands brought
before the legal system for specifically legal solutions to problems or protection
of interests. And, by more obscure
and complex means, legal culture seems also to determine the legal systemÕs
responses, partly, it would seem, through the operation of internal legal
culture shaping legal structures and partly through ŌexternalÕ pressures,
reflecting social distributions of power and influence, which equally affect
the systemÕs responses. Č[105]
La judiciarisation des revendications acadiennes
Les dispositions insres dans la Charte canadienne des droits et
liberts, enchsse dans la constitution canadienne en 1982, pour protger les
minorits linguistiques, ainsi que les lois sur les langues officielles
fdrales et provinciales (dans le cas du Nouveau-Brunswick, notamment),
servent videmment dÕoutils de revendication pour les populations linguistiques
minoritaires au Canada. Ce
sont incontestablement les francophones hors-Qubec qui en ont le plus
bnfici durant lÕvolution de la jurisprudence de la Cour suprme du Canada
en ce qui a trait la question des droits linguistiques.
Face ce contexte post-Charte, il semble naturel que lÕducation
juridique spcifique aux droits linguistiques vienne voir le jour. En effet, la Facult de droit de lÕUniversit de
Moncton, cre en 1978, forme des avocats francophones dans un systme de
common law (celui du Nouveau-Brunswick).
LÕutilisation du droit pour lÕaction collective dans le cas des francophones
hors-Qubec est claire, comme en tmoigne la cration des associations de
juristes francophones au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-cosse, en Ontario, au
Manitoba, au Saskatchewan, en Alberta, et en Colombie-Britannique, ainsi que la
Confrence des juristes dÕexpression franaise de common law de lÕAssociation
du Barreau canadien.
Les diffrences entre les perspectives sociologiques et juridiques sont
intressantes ce niveau. En
effet, pour Joseph-Yvon Thriault, Ē quand les droits minoritaires
deviennent une politique (ce qui mon sens est largement devenu le cas au
cours des vingt dernires annes), elle dsubstantialise, dnationalise et
dpolitise la question minoritaire. Č[106]
Ė lÕoppos, pour Donald Poirier, la judiciarisation des droits linguistique
parat plutt ncessaire : Ē ...les
juristes acadiens se prsentent comme la nouvelle gnration capable
dÕarticuler ce passage de la socit traditionnelle la modernit au moyen du
droit, conformment aux autres socits modernes. Č[107]
LÕidologie juridique est donc trs diffrente de la perspective
sociologique au sujet de la judiciarisation. Le
professeur Waddams affirme la ncessit du rle politique de la Cour suprme du
Canada ainsi : Ē But, in Canada, unlike England and the United
States, the basic structure of the State is far from settled. Indeed, the future of Confederation is in doubt, and
insofar as the legal system can, as on occasion it must, deal with the problems
of intergovernmental relations, these are the concern of constitutional law. The Supreme Court of Canada is thus compelled to play
a political role. Č[108]
Les ractions une telle judiciarisation des revendications acadiennes
sont mixtes :Ē CÕest la rfrence une telle mmoire qui donnait une
substance la communaut dÕhistoire et qui tait lÕlment de motivation
prsidant leur lutte pour la survivance de leur culture.
La
judiciarisation de la question minoritaire fait passer la revendication
minoritaire du registre de lÕhistoire celle dÕayant droit.(...)
Ē LÕayant droit Č est porteur dÕune revendication froide, celle de la
logique du droit ; le Ē minoritaire culturel Č dÕune revendication
chaude... Č[109]
Or, la ralit semble vouloir que ce soit un dveloppement invitable, compte
tenu lÕuniversalit de ce phnomne.
Ē Ainsi, si lÕon examine en situation les usages du droit par des agents sociaux, cela doit permettre, ce qui
ne serait pas dans la sociologie du droit de Pierre Bourdieu, Ē de
restituer tous les agents, mme les plus domins, des capacits stratgiques,
y compris celles de jouer avec les rgles juridiques en fonction de leurs
propres enjeux. Č[110]
Le droit agit alors comme ressource aux groupes minoritaires, lorsque
dÕautres gendres de ressources peuvent manquer. Lorsque
lÕinstitutionnalisation professionnelle juridique est possible, cÕest l o
sÕouvre de toutes autres possibilits politiques pour le groupe en ce contexte
de judiciarisation.
Ē Ces professionnels sont susceptibles ainsi de devenir les
porte-parole dans lÕespace judiciaire utilis comme arne publique de
contestations et de revendications exprimes par des groupes sÕestimant exposs
des discriminations, victimes dÕingalits dans le cadre de relations
dÕexploitation ou de domination. Les professionnels du droit apparaissent alors comme des acteurs
sociaux investis ou qui sÕinvestissent dÕune mission particulire partir
dÕune mobilisation du droit permise par leur comptence et eur savoir-faire
spcifique, cette mission pouvant tre tout la fois de promotion dÕune cause
ou/et dÕopposition des orientations dfinies par lÕtat ou par un pouvoir
politique peru comme injuste. Č[111]
Conclusion
Nous avons tent de
dresser un portrait de la culture juridique acadienne et les changements que
cette dernire aurait subi au fil de son existence. Or quÕest-ce donc quÕune culture juridique acadienne? Si la
culture juridique reprsente la dfinition quÕon en donne dans lÕintroduction,
soit les outils ou les rsultats du processus par lequel une classe sociale
bien dfinie peut merger, on peut affirmer que la culture juridique acadienne
reprsente le processus historique dÕintgration sociale, qui a men une
relation au droit permettant lÕaccs des Acadiens sa culture interne.
LÕvolution de la
culture juridique partir des origines jusquÕ aujourdÕhui passe par plusieurs
tapes, de lÕautonomie et le pluralisme juridique, par lÕintgration sociale,
la traduction, et finalement la judiciarisation. La culture juridique externe, quant elle,
est pass dÕune mfiance lÕgard du systme anglophone, une vision du droit
comme ressource privilgie pour assurer le respect des droits minoritaires en
Acadie.
En effet, en tant que peuple francophone assujetti au pouvoir anglais,
le processus dÕintgration et de dveloppement dÕun statut dÕgalit en tant
que sujet juridique fut long, compliqu et essentiellement communicatif. On pourrait dire que la question de la lgitimit du
pouvoir tatique nÕa t rsolu quÕune fois plusieurs lments mis en place :
reprsentation politique, lgislation imposant une certaine justice sociale,
assurant ainsi un rapprochement des statuts socio-conomiques des deux groupes
linguistiques ; la reconnaissance relle lgislative de lÕgalit de statut de
la langue franaise et de la langue anglaise et la traduction subsquente de
documents juridiques (production de lexiques, traduction de lois, arrts,
rgles de procdure), entre autres facteurs.
videmment, un aspect important de ces dveloppements est la communication du
droit ceux qui il est impos.
On pourrait aussi dire que jusquÕ ce quÕil y ait eu
Ē institutionnalisation sociologique Č[112]
des lois ou du droit pour les Acadiens, ces derniers vivaient effectivement
ct du droit tatique, dans leurs communauts isoles principalement ordonnes
par dÕautres ordres normatifs, par exemple celui de lÕglise catholique romaine. Ė cette poque, lÕAcadie formait une communaut
traditionnelle, plutt quÕune communaut politique.
LÕapparition des Acadiens sur la scne politique a rendu possible une
plus grande intgration dans la socit, et par consquent leur a permis de
devenir sujets de droit tatique. La
cohsion sociale dÕune province bilingue comme le Nouveau-Brunswick est devenue
plus facile ds que les Acadiens se sont fait inclure au processus communicatif
dont rsulte la production de droit. Puisque
pour que la population francophone puisse se sentir comme faisant vritablement
partie de la socit, Ē lÕimportant (...)
cÕest dÕ Ē enchanter Č les lois, de mobiliser leur profit
lÕimaginaire fondateur et lÕaffect politique... Č[113],
il fallait que la common law se transforme pour prendre en compte la voix
acadienne.
Si, comme lÕaverti le sociologue Joseph-Yvon Thriault contre une
judiciarisation trop pousse de la question acadienne, Ē le droit ainsi
conu affirme le vrai ou le faux, le droit ou le non droit, il loigne les
partis en cause de tout esprit de dialogue, de mdiation, bref, de compromis
politiques Č[114],
on pourrait rpondre que la culture juridique acadienne peut toutefois assurer
en elle-mme une certaine mesure de compromis, de mdiation. Mais de toute faon, le temps des compromis et des
mdiations entre groupe minoritaire et groupe majoritaire est-il rvolu?
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[1] Ost,
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universitaires Saint-Louis, 2001, la page 7.
[2]
Pennisi, Carlo, ĒSociological Uses of the Concept of Legal Culture Č, in
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[3]
Hadden, Sally, ĒNew Directions in the Study of Legal Cultures Č, (2002) 33
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[4] Colbert Talon, 5 janvier 1666
(ANC), C11A, II : 199, cit dans Daigle, Jean, Ē LÕAcadie de 1604 1763,
synthse historique Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes,
Moncton, 1993, la page 9.
[5] Ē ...en 1670, environ 400 Acadiens font face plus
de 50 000 habitants du Massachusetts... Č, ibid., la page 9.
[6]
Johnston, A.J.B., Ē The Call of the Archetype and the Challenge
of Acadian History Č, (2004) 5 French Colonial History 63,
la page 65.
[7] Griffiths, Naomi, ŅThe Golden Age: Acadian Life, 1713-1748Ó, (1984) 17 Histoire sociale/Social History 21.
[8] Supra note
6, la page 71.
[9]
Vanderlinden, Jacques, Ē La rception des systmes juridiques europens au
Canada: Regards dÕun historien du droit sur ses origines Č, (1996) 1 Revue
de la common law en franais 1, la page 7.
[10]
Johnston, A.J.B., ĒBorderland Worries: Loyalty Oaths in Acadie/Nova
Scotia, 1654-1755 Č, (2003) 4 French Colonial History 31,
la page 32.
[11]
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/acadiens-deportation.htm
[12] Supra note 5, la page 39.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Supra note
6, la page 67.
[16] Couturier,
Jacques Paul, Ē Quelques
lments de la culture juridique acadienne la fin du 19e
sicle Č,
(1995) 28 Revue
de lÕUniversit de Moncton 81, la page 83.
[17] Supra note 5, la page 31.
[18]
Poirier, Donald, ĒLa common law en franais : outil dÕassimilation ou de prise
en charge? Č, (1996) 1 :2 Revue de la common law en franais 215,
la page 227.
[19]
Vanderlinden, Jacques, ĒĖ la rencontre de lÕhistoire du droit en Acadie avant
le Drangement : premires impressions dÕun nouveau-venu Č, (1995) 28:1 Revue
de lÕUniversit de Moncton 47, la page 48.
[20] Supra note
18.
[21] Supra note
9, la page 21.
[22]
Alliot, Michel, 2002 (1983), Ē Anthropologie et juristique. Sur les conditions de lÕlaboration dÕune science du
droit Č, in Alliot, Michel, 2003, Le droit et le service public au
miroir de lÕanthropologie.
Textes choisis et dits par Camille Kuyu, Paris, Karthala, la page 284.
[23] Supra note
9, la page 23.
[24] Supra note
19, la page 78.
[25] Supra note
19, la page 79.
[26] Dictionnaire encyclopdique de thorie et de sociologie du droit, sous la direction de Andr-Jean Arnaud, Librairie gnrale de jurisprudence du droit, Paris, 1993, la page 150.
[27]
Caron, Caroline-Isabelle, Ē La narration gnalogique en Amrique du Nord
francophone Č, (2002) 4 Ethnologies compares : Mmoires des lieux 1,
la page 2.
[28]
Jacquot, Martine L., Ē Je suis
la charnire: Entretien avec Antonine Maillet Č, (1988) 13 Studies in
Canadian Literature/tudes en littrature canadienne 2.
[29] Supra note
19, la page 63.
[30] Supra note
19, la page 64.
[31]
Bastarache, Michel et Andra Boudreau Ouellet, ĒDroits linguistiques et
culturels des Acadiens et des Acadiennes de 1713 nos jours Č, in Jean
Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes,
Chaire dÕtudes acadiennes, Universit de Moncton, 1993, la page 386.
[32] Ibid., la page 392.
[33] Ibid., la page 393.
[34] Doucet, Philippe, ŅLa politique et les AcadiensÓ, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Chaire dÕtudes acadiennes, Universit de Moncton, 1993, la page 307.
[35] Supra note
9, la page 18.
[36]
Alliot, Michel, Ē LÕacculturation juridique Č, dans Poirier, Jean
(dir.), Ethnologie gnrale, Encyclopdie de
la pliade, 1968, Gallimard, Bruges, la page 1192.
[37] Supra note
31, la page 394.
[38]
Slemon, Jane, Ē Liminal Space of the Aboiteaux: Pilgrimage in MailletÕs
Plagie Č, (2003) 26:4 Mosaic: a Journal for the Interdisciplinary
Study of Literature 17, la page 18.
[39]
Paratte, Henri-Dominique, Ē Du lieu de cration en Acadie: entre le
trop-plein et nulle part Č, (1993) 18 Studies in Canadian
Literature/tudes en littrature canadienne 2 , la page 56.
[40] Supra note
31, la page 398.
[41] Boudreau,
Raoul, et Marguerite Maillet, Ē Littrature
acadienne Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes, Moncton, la
page 713.
[42] Ē Alike were they free for Fear, that reigns with the tyrant, and envy, the vice of republics. Č, passage du pome vangeline de Longfellow, cit par Johnston, A.J.B., Ē The Call of the Archetype and the Challenge of Acadian History Č, (2004) 5 French Colonial History 63, la page 79.
[43]
Runte, H.R.,
Ē Romancing the Epic: Forward to the Past with Antonine Maillet Č,
(1992) 4 Romance Languages Annual, la page 145.
[44] Supra note
28, la page 10.
[45]
Maillet, Antonine, Plagie-la-Charrette, Montral,
Lemac, 1979, la page 15.
[46] Ibid.
[47]
Crecelius, Kathryn J., Ē LÕhistoire et
son double dans Plagie-la-Charrette Č, (1981) 6:2 Studies in Canadian
Literature/tudes en littrature canadienne 1, la page 1.
[48] Supra
note 45.
[49] Ibid., la page 207.
[50] Supra note
45, la page 208.
[51] Ibid., la page 209.
[52] Ibid., la page 210.
[53] Ibid., la page 262.
[54] Ibid., la page 329.
[55] Ibid., la page 331.
[56] Ibid., la page 338.
[57] Ibid., la page 339.
[58] Ibid., la page 341.
[59] Ibid., la page 342.
[60] Supra note
39, la page 57.
[61] Supra note
38, la page 26.
[62] Supra note 45, la page 16.
[63] Winn,
Peter A., Ē Legal Ritual Č, (1991) 2:2 Law and
Critique 207, la page 226.
[64] Supra note
38, la page 20.
[65] Ost, Franois, Raconter la loi : Aux sources de lÕimaginaire juridique, ditions Odile Jacob, Paris, 2004, la page 11
[66] Ibid la page 4.
[67] Supra note 45, la page 186.
[68] Ibid, la page 80.
[69] Ibid., la page 81.
[70] Ibid., la page 83.
[71] Ibid., la page 55.
[72] Ibid., la page 86.
[73] Ost,
Franois, Ē Le Sina ou la loi ngocie Č, in Franois Ost, Du
Sina au Champ-de-Mars.
LÕautre et le mme au fondement du droit, Bruxelles, Ed. Lessius, 1999, la page 29.
[74] Ibid., la page 30.
[75] Supra note
38, la page 18.
[76]
Raymond Breton, Ē La communaut ethnique, communaut politique Č,
(1983) 15 :2 Sociologie et socits, la page 35.
[77]
Thriault, Joseph-Yvon, ĒEntre la nation et lÕethnie : Sociologie, socit et
communaut minoritaires francophonesĒ, (1994) 26:1 Sociologie et socits 15,
la page 15.
[78] Supra note
65, la page 72.
[79] Ost, Franois et Michel van de Kerchove, De la pyramide au rseau? Pour une thorie dialectique du droit, Publications des Facults universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002, la page 519.
[80] Supra note
65, la page 72.
[81] Desjardins,
P.-M.,
M. Deslierres, et R.C.
LeBlanc, Ē Les Acadiens
et lÕconomique : de la colonisation 1960 Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes,
Moncton, la page 238.
[82] Beaulieu, Grard, Ē Les mdias en Acadie Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dÕtudes acadiennes, Moncton, la page 538.
[83]
Schpflin, George, Ē The Functions of Myth and a Taxonomy of Myths Č,
in Myths and Nationhood, Geoffrey Hosking et George Schpflin, (dir.), , Routledge, New York, 1997, la page 20.
[84]
Hautecoeur, J.-P.,
Ē Variations et invariance de lÕAcadie dans le
no-nationalisme acadien Č, (1971) 12 Recherches sociographiques 3,
la page 260.
[85] Ibid., la page 266.
[86] Supra note
76, la page 27.
[87] Supra note
38, la page 24.
[88] Supra note 77, la page 23.
[89] Ibid., la page 19.
[90] Supra note
77, la page 18.
[91] Thriault,
Lon, Ē LÕAcadie de 1763
1990, synthse historique Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes,
Centre dÕtudes acadiennes, Universit de Moncton, 1993, la page 60.
[92] Ibid.
[93] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.)
[94]
Ramaga, Philip Vuciri, Ē The Bases of Minority Identity Č, (1992)
14 :3 Human Rights Quarterly, la page 427.
[95] Gmar
, Jean-Claude, Ē Le plus et le moins-disant
culturel du texte juridique.
Langue, culture et quivalence Č, Meta, XLVII, 2, 2002,
163, la page 169.
[96] Lavoie, Judith, Ē Le discours
sur la traduction juridique au Canada Č, (2002) 2 Meta 198, la page 200.
[97] Ibid., la page 205.
[98] Supra note
19, la page 61.
[99] Supra note 31, la page 386.
[100]
Pound, Roscoe, Ē What is the Common Law? Č dans The Future of the
Common Law, Harvard Tercentenary Publications, 1937, 3 aux pp. 18-19, trad. Par A. Tunc et S. Tunc,
Le droit des tats-Unis dÕAmrique.
Sources et techniques, Paris, Dalloz, 1955, la page 88.
[101] Supra note 18, la page 229.
[102] Ibid., la page 244.
[103] Ong,
W.J., Orality
and Literacy: The Technologizing of the Word, London,
Routledge, 1993, la page 49.
[104] Supra note
18, la page 245.
[105]
Cotterrell, Roger, Ē The Concept of Legal Culture Č, in Comparing
Legal Cultures, David Nelken (dir.),
Dartmouth, Aldershot, 1997, la page 19.
[106]
Thriault, J.-Y.,
Ē LÕidentit et le droit du point de vue de la sociologie
politique Č, (2003) 5 Revue de la common law en franais 1,
la page 48.
[107] Supra note
18, la page 243.
[108]
Waddams, S.M., Introduction
to the Study of Law, 5e dition, Scarborough, Carswell, 1997,
la page 61.
[109] Supra note
106, la page 49.
[110]
Commaille, Jacques, ĒNouvelle conomie de la lgalit, nouvelles formes de
justice, nouveau rgime de connaissance.
LÕanthropologie du droit avait-elle raison?Ē, in La qute anthropologique du
droit, Christoph Eberhard et Genevive Vernicos (ds.), Les ditions Karthala, pp.
351-368, la page 354.
[111] Supra note
110, la page 367.
[112] Van Hoecke, Mark, Law as Communication, Hart Publishing, Oxford, 2002, la page 24.
[113] Supra note
65, la page 52.
[114] Supra note
106, la page 53.