AndrŽe Godbout

akgodbout@hotmail.com

 

 

 

 

 

LÕidentitŽ juridique acadienne : entre droit et culture

 

 

 

 

 

 

 

MŽmoire prŽsentŽ dans le cadre du Mastre en thŽorie du droit

AcadŽmie europŽenne de thŽorie du droit

2006-2007
Table des matires

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

2

 

 

 

Histoire de lÕAcadie : avant la DŽportation

                                                              

3

La colonisation

                                                              

5

Le contexte politique

                                                               

5

 

 

 

Histoire de lÕAcadie : la DŽportation

 

6

LÕexplosion dŽmographique

 

9

Le refus de prter serment

 

9

LÕexil dÕun peuple

 

9

Les difficultŽs particulires ˆ lÕhistoire acadienne

 

11

Le contexte juridique

 

12

 

 

 

Histoire de lÕAcadie : le contexte post-retour

 

18

LÕAcadie, conquise ou colonisŽe?

 

18

Les premires lŽgislatures

 

19

La marginalisation sociale

 

22

 

 

 

PŽlagie-la-Charrette : le rŽcit dÕun peuple en exil

 

25

RŽsumŽ du rŽcit

 

26

Le droit dans PŽlagie-la-Charrette

 

32

 

 

 

Existe-t-il une culture juridique acadienne?

 

37

Du pluralisme ˆ lÕintŽgration sociale?

 

37

LÕhistorique de la qute dÕidentitŽ

 

38

La traduction et lÕintŽgration

 

42

La common law et lÕAcadie

 

45

La judiciarisation des revendications acadiennes

 

48

 

 

 

Conclusion

 

50

 

 

 

Bibliographie

 

 


Introduction

 

 

            Les dŽfinitions de lÕAcadie sont multiples. Ė lÕorigine, cÕest une colonie franaise du Nouveau-Monde. Suite ˆ la conqute des territoires franais par lÕAngleterre, il y a presque 300 ans, ainsi que lÕexil que le peuple acadien subira par la suite, on ne peut plus parler de lÕAcadie comme Žvoquant ce mme territoire, devenu les provinces canadiennes actuelles du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-ƒcosse.

 

Pour certains, surtout les descendants des Acadiens dispersŽs, lÕAcadie existe toujours, mais nÕest pas un lieu du tout. Or, pour ceux qui ont ŽchappŽ ˆ la dispersion et pour ceux qui sont revenus en terre anciennement acadienne aprs une pŽriode dÕexil, lÕAcadie, cÕest aujourdÕhui le nom donnŽ ˆ une rŽgion situŽe ˆ lÕintŽrieur des provinces majoritairement anglophones de la c™te Atlantique du Canada, o y habite une population francophone.

 

            Dans lÕAcadie contemporaine, la population francophone jouit de droits linguistiques accordŽs par le gouvernement canadien ; aussi le gouvernement du Nouveau-Brunswick a-t-il finit par crŽer la premire province officiellement bilingue, en reconnaissance de sa population acadienne comportant le tiers de la population totale. Ces provinces de common law comportent une minoritŽ significative de francophones, et ce depuis des sicles. Depuis moins dÕune gŽnŽration, une FacultŽ de droit acadienne existe et fournit ˆ la population acadienne des praticiens de langue franaise qui oeuvrent dans la common law.

 

            Le thme de ce travail peut se rŽsumer par la question suivante : y a-t-il une culture juridique proprement acadienne? La raison pour laquelle cette question semble importante est que si on voit la pratique de la common law en franais comme Žvidente et naturelle, du moins au Nouveau-Brunswick et ailleurs o elle est vŽcue ainsi de faon quotidienne, il est certain que cela nÕest pas toujours le cas pour ceux qui regardent de lÕextŽrieur. Il doit y avoir quelque chose de particulier ˆ cette culture qui lui a permis de vivre dans une sociŽtŽ o le systme juridique para”t a priori lÕexclure. Cette idŽe est-elle juste?

 

            Les caractŽristiques du peuple acadien sont telles quÕune approche purement historique est extrmement difficile, comme on le verra plus loin. Bien que nous allons dŽbuter notre Žtude par un regard historique sur lÕAcadie, cette approche ne suffit pas pour aborder la recherche dÕune culture juridique acadienne. Nous privilŽgierons donc une approche multidisciplinaire.

 

Suite ˆ la brve histoire de lÕAcadie que nous entreprendrons, nous allons explorer un roman acadien pour dŽceler des aspects de la vie juridique dÕun peuple qui, pour longtemps, a vŽcu en marge de la sociŽtŽ civile anglophone, mme si elle occupait le mme territoire politique. Quoique ce ne soit pas un texte historique, lÕattrait dÕune telle approche cÕest justement quÕelle peut nous informer autrement : Ē Alors que le droit attribue des r™les stŽrŽotypŽs auxquels correspondent des statuts (droits et devoirs) prŽcis, la fiction littŽraire cultive lÕambigu•tŽ de ses crŽatures et joue de lÕambivalence des situations quÕelle crŽe. Č [1] Comme on le verra, lÕambivalence caractŽrise prŽcisŽment la culture juridique acadienne.

 

            Le terme Ē culture juridique Č quÕon utilisera, comme lÕAcadie elle-mme, semble avoir de multiples acceptions. Puisque nous adoptons une perspective multidisciplinaire, nous allons essayer dÕen garder une dŽfinition large. ƒtant donnŽ lÕapproche partiellement historique que nous adoptons, on prŽfre la dŽfinition suivante : Ē...the idea of legal culture describes a real historical phenomenon, occurring differently in every legal system: the term can refer either to the tools or the results of a process from which a well-defined social class emerges. Č[2] Bien que la notion de culture juridique puisse tre problŽmatique (par exemple, en comportant excessivement de significations : Ē Among legal historians, Ē legal culture Č has become a veritable rag-bag of constructs, appropriating any number of elements: legal literature, customary law, ideologies, rhetoric in the courtroom, perspectives Š worldviews Š mentalitŽs, and much more. Č[3]), nous croyons que la dŽfinition quÕon a choisit suffira pour contribuer ˆ une meilleure connaissance de la culture juridique acadienne.

 

 

Histoire de lÕAcadie : avant la DŽportation

 

La colonisation

 

            CÕest en 1604 que les touts premiers colons franais sont arrivŽs sur le territoire quÕon nommerait plus tard Ē Acadie Č. La vŽritable colonisation du territoire, par contre, celle qui va durer, se fait vers le milieu du 17e sicle. Une vingtaine de familles franaises sont venues sÕinstaller, et cÕest elles qui formeront le fondement du peuple acadien, bien que dÕautres familles viendront se joindre ˆ elles plus tard. Aprs cette premire vague de colons franais, par contre, la France applique les freins, comme lÕexplique lÕhistorien acadien Jean Daigle : Ē ˆ partir de 1666, tout apport migratoire est sŽrieusement limitŽ par lÕapplication de la politique coloniale franaise qui affirme quÕil Ē ne serait pas de la prudence de dŽpeupler son royaume pour peupler le Canada Č Č[4].

 

            Ces premiers Acadiens Žtaient principalement originaires de Charentes et Poitou, avec certaines familles venant dÕailleurs en France. Leur nombre Žtait restreint, surtout en comparaison avec le nombre dÕimmigrants anglais en Nouvelle-Angleterre[5], et la colonie Žtait donc dÕimportance nŽgligeable pour les pouvoirs impŽriaux si souvent en conflit sur son territoire. En effet, les changements frŽquents quant ˆ ces territoires ont certes compliquŽ les choses au niveau juridique, comme on le verra bient™t.

 

 

Le contexte politique

 

Comme on lÕa dŽjˆ indiquŽ, ˆ cette Žpoque, les conflits entre lÕAngleterre et la France sont rŽguliers, et lÕAcadie change souvent de ma”tre, sans toutefois que cela affecte encore vraiment la vie quotidienne de la population. En effet, ni la France, ni lÕAngleterre ne sÕoccupaient trop de lÕAcadie. CÕest peut-tre ce qui a contribuŽ ˆ la vision dÕun peuple vivant innocemment, sans avoir ˆ se prŽoccuper de politique, de guerres, et autres inconvŽnients : Ē The idea of a paradis terrestre dates back many millenia in European thinking, and it revealed itself in the writings of several French visitors to Acadia as early as the 1600s. Č[6] En effet, cette vision paradisiaque de lÕAcadie reviendra plus tard dans lÕidŽe du paradis perdu, un thme rŽcurrent dans les narrations sur lÕAcadie.

 

            Avec le TraitŽ dÕUtrecht de 1713, la France cde le territoire acadien ˆ lÕAngleterre, et les 1700 habitants francophones deviennent sujets du roi. Ce nՎtait pas la premire fois, et malgrŽ ce changement, la pŽriode entre 1713 et 1755 fut relativement stable pour les Acadiens, qui avaient dŽveloppŽ la technique de lÕaboiteau pour drainer les marais et Žtaient donc tributaires de bonnes terres agricoles. On fera rŽfŽrence ˆ cette Žpoque de stabilitŽ sous le rŽgime anglais comme Žtant un Ē åge dÕor Č.[7] On ne manquait manifestement pas la gouvernance franaise!

 

En effet, les changements frŽquents du pouvoir impŽrial, de la France ˆ lÕAngleterre, ont contribuŽ ˆ faire en sorte que les Acadiens ne se fiaient pas particulirement ˆ la France pour assurer leur protection. En effet, une certaine mŽfiance gŽnŽrale ˆ lՎgard de toute administration sÕest installŽe en rŽaction ˆ ce pouvoir changeant. Les Acadiens ont appris que se compromettre ˆ un pouvoir pouvait mener ˆ des consŽquences nŽgatives plus tard. De son c™tŽ, aussi, la France nÕavait que peu dÕintŽrt ˆ lՎgard de lÕAcadie suite ˆ la signature du TraitŽ dÕUtrecht. LÕhistorien des Maritimes, A.J.B. Johnston, cite lÕattitude franaise suivant la cession du territoire aux Anglais ; en fait, cette perte : Ē ... reinforced among the French a lack of interest in and a malaise about the lost colonies. Č[8] LÕAcadie Žtait laissŽe ˆ ses propres moyens, bien quÕune prŽsence franaise allait demeurer pour un certain temps.

 

De la 1713 jusquՈ lÕexpulsion des Acadiens, lÕAngleterre avait toujours refusŽ dÕy accorder une assemblŽe lŽgislative sur le territoire. Cela aurait voulu dire quÕune majoritŽ francophone et catholique aurait pž gouverner le territoire, en quelque sorte, puisque le nombre dÕAcadiens Žtait beaucoup plus ŽlevŽ que le nombre dÕAnglais. En effet, Ē La Nouvelle-ƒcosse, ou plut™t lÕAcadie, comme elle sÕappelle quand elle est conquise en 1710, vit pendant trente-neuf ans sous un gouvernement militaire, jusquÕen 1749, date ˆ laquelle Cornwallis devient le premier gouverneur civil de la Nouvelle-ƒcosse ; ce nÕest toutefois quÕen 1758 que lÕassemblŽe lŽgislative de la province se rŽunit. Č[9] Ce nÕest donc quÕaprs le dŽpart des francophones que lÕidŽe dÕun gouvernement dŽmocratique semble sans danger pour les Anglais.

 

            Mais la stabilitŽ ˆ laquelle on a fait allusion de durerait pas : lÕadministration militaire se fait de plus en plus ferme, et on exige des Acadiens quÕils rendent leurs armes, de peur que leur neutralitŽ traditionnelle en temps de conflit ne puisse se soutenir. En 1754, ˆ la suite du dŽclenchement dÕune nouvelle guerre intercoloniale aux ƒtats-Unis actuels, 1800 soldats venus de la Nouvelle-Angleterre ont pris contr™le des forts franais qui restaient encore en Acadie. On offrira le retour des armes aux Acadiens seulement ˆ condition quÕils prtent serment dÕallŽgeance ˆ la Couronne britannique. Cette offre a ŽtŽ refusŽe ˆ plusieurs reprises, et on aura recours ˆ la solution de la dŽportation.

 

 

Carte de lÕAcadie avant la DŽportation (1754)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Histoire de lÕAcadie : la DŽportation

 

LÕexplosion dŽmographique

 

Comme on lÕa dit plus haut, la colonie acadienne Žtait relativement petite. Or, la croissance dŽmographique qui a eu lieu en Acadie au 18e sicle fut spectaculaire. En effet, passant dÕune population de 1 700 habitants ˆ une population de plus de 13 000 entre 1713 et 1755, la croissance dŽmographique sÕexplique par un taux de natalitŽ ŽlevŽ plut™t que par une migration de provenance Franaise. Cette augmentation importante de la population catholique et francophone nÕaurait pu faire autrement que dÕinquiŽter les gouverneurs anglais.

 

Le refus de prter serment

 

Pendant la pŽriode entre 1713 et 1755, les Acadiens avaient pu Žviter de se soumettre ˆ la volontŽ de la Couronne qui voulait quÕils lui prtent un serment dÕallŽgeance, en jurant ne pas prendre les armes contre elle dans un Žventuel conflit mettant en cause soit les Franais, soit les AmŽrindiens. Les Acadiens avaient dŽjˆ consenti ˆ rendre leurs armes aux Anglais, sans toutefois se compromettre ˆ jurer cette allŽgeance, Žtant donnŽ leur expŽriences antŽrieures et leur fidŽlitŽ ˆ lՃglise. Ce sont les refus rŽpŽtŽs des Acadiens qui ont ŽtŽ citŽs comme prŽtexte lorsque le Conseil de la Nouvelle-ƒcosse a autorisŽ lÕordre de dŽportation de ces Acadiens quÕon appellait jusque lˆ Ē French Neutrals Č[10].                  

 

Texte de lÕordonnance de dŽportation

 

Ē Messieurs,

 

JÕai reu de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. CÕest par ses ordres que vous tes assemblŽs pour entendre la rŽsolution finale de Sa MajestŽ concernant les habitants franais de cette province de la Nouvelle-ƒcosse qui, durant un demi-sicle, ont reu plus dÕindulgences que tout autres sujets britanniques du Dominion de sa MajestŽ. De quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez.

 

Le devoir qui mÕincombe, quoique nŽcessaire, est trs dŽsagrŽable ˆ ma nature et ˆ mon caractre, de mme quÕil doit vous tre pŽnible ˆ vous qui avez la mme nature.

 

Mais ce nÕest pas ˆ moi de critiquer les ordres que je reois, mais de mÕy conformer. Je vous communiquer donc, sans hŽsitation, les ordres et instructions de Sa MajestŽ, ˆ savoir que toutes...

 

Vos terres, vos maisons, votre bŽtail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisquŽs au profit de la couronne, avec tout vos autres effets, exceptŽ votre argent et vos mobiliers, et que vous-mmes vous devez tre transportŽs hors de cette province.

 

Les ordres pŽremptoires de Sa MajestŽ sont que tous les habitants de ces districts soient dŽportŽs, et selon la bontŽ de Sa MajestŽ vous permettant la libertŽ dÕapporter tout argent et choses personnelles que vous pourrez transporter sans incommoder les navires sur lequels vous serez dŽportŽs. Je ferais lÕimpossible pour assurer la sŽcuritŽ de vos biens et pour vous protŽger contre tout acte de brutalitŽ durant leur transport et que des familles entires soient transportŽes ensemble sur le mme vaisseau. Je suis assurŽ que malgrŽ votre grand malaise durant cet avnement, nous souhaitons que la partie du monde o vous serez, vous demeurez des sujets fidles ˆ Sa MajestŽ tout en Žtant un peuple heureux et paisible.

 

Je me dois de vous aviser que le plaisir de Sa MajestŽ dŽsire vous garder en sŽcuritŽ sous lÕinspection et la direction des troupes de soldats que jÕai lÕhonneur de commander. Č[11]

 

 

Les Acadiens seront envoyŽs dans les colonies britanniques du Sud, soit en Nouvelle-Angleterre, au Maryland, en Pennsylvanie, en Caroline du Sud, en GŽorgie ; un certain nombre seront aussi envoyŽs en Angleterre o ils seront considŽrŽs prisonniers, pour gŽnŽralement tre ensuite renvoyŽs en France. DÕautres seront envoyŽs directement en France. On a ŽvitŽ dÕenvoyer les Acadiens en Nouvelle-France, soit au QuŽbec actuel, afin de ne pas contribuer au renforcement de cette population dont on se mŽfiait encore. Cela dit, une partie de la population acadienne sÕest rŽfugiŽe en Nouvelle-France ou dans les bois dÕAcadie.

 

 

LÕexil dÕun peuple

 

            On nÕa que peu dÕinformation sur la situation dans laquelle se trouvaient les Acadiens en exil. Nous savons que, bien que lÕordonnance de DŽportation annonait quÕon tenterait de transporter les familles entires, les familles furent sŽparŽes, assurant ainsi une dispersion efficace.[12] Les soldats anglais ont aussi bržlŽ les habitations et autres signes de prŽsence acadienne, pour sÕassurer que les Acadiens ne tenteraient pas de revenir.[13]

 

            En plus, lÕaccueil que leur rŽserveraient les populations des colonies amŽricaines qui allaient absorber ces dŽportŽs allait tre hostile, ces derniers nÕayant pas ŽtŽ annoncŽs au prŽalable et Žtant gŽnŽralement dŽmunis. Cela explique comment Ē ...les diffŽrentes phases de la DŽportation ne sont que le prŽlude ˆ dÕinterminables errances. Č[14], puisque les Acadiens nÕallaient plus jamais avoir de patrie, si la volontŽ impŽriale avait raison.

 

 

Les difficultŽs particulires ˆ lÕhistoire acadienne

 

On a parlŽ plus haut des difficultŽs dÕutiliser une approche purement historique pour ce qui est du peuple acadien. CÕest quÕon manque de documentation historique nous permettant dՎtudier les recours juridiques disponibles aux Acadiens et lÕutilisation que ceux-ci auraient faite du systme juridique. En effet, les connaissances historiques purement acadiennes se transmettaient plut™t de faon orale, entre les membres dÕune famille, puisque Ē  Acadie did not have a high literacy rate to begin with, so there are none of the kinds of sources (newspapers, pamphlets, and diaries) one finds for the contemporary Anglo-American colonies. Č[15]. Les sources Žcrites se limitent ˆ dÕoccasionnelles pŽtitions aux autoritŽs locales, et aux registres paroissiaux qui nous informent sur les baptmes, mariages, funŽrailles.

 

         Ė partir du 19e sicle, les choses Žtaient un peu plus faciles gr‰ce ˆ lՎducation qui devenait de plus en plus accessible. Et pourtant :

 

Ē Rares sont en effet les pices de correspondance, les extraits de carnets personnels dÕavocats ou de justiciables (...) Seuls les journaux dŽvoilent quelque peu lÕunivers juridique acadien. Or, ceux-ci nÕaccordent pas une grande place aux questions juridiques. De plus, le discours qui y est articulŽ est surtout le fait de lՎlite; il ne permet pas nŽcessairement de prendre le pouls des diverses couches de la sociŽtŽ. Č[16]

 

On verra plus tard que la voix acadienne dans lÕunivers juridique Žtatique prendra longtemps ˆ se faire entendre.

 

 

 

Le contexte juridique

 

Ė premire vue, il est extrmement difficile de dŽceler un contexte juridique clair pour les Acadiens. Leur condition de francophones, ˆ lÕintŽrieur dÕune administration anglaise, fait tout pour croire quÕils sont ˆ lÕextŽrieur de tout systme juridique pouvant avoir ŽtŽ en place ˆ lՎpoque. Voici ce quÕen dit lÕhistorien Jean Daigle :

          

Ē La vie des Acadiens est dominŽe par les rŽseaux de parentŽ qui englobent toutes les activitŽs des individus. CÕest au sein des familles que se rglent la plupart des litiges. Le prtre ou le patriarche tranchent les problmes internes comme les limites de terrain, le vol de bŽtail et les accusations dÕassaut.

           Le faible nombre de litiges soumis ˆ la cour de justice anglaise souligne la faible pŽnŽtration de la culture juridique britannique parmi la population acadienne. Les rares causes soumises ˆ la General Court dŽnotent lÕincapacitŽ dÕun petit nombre dÕindividus ˆ trouver protection et soutien au sein dÕun rŽseau familial.

           (...)

           LÕimpossibilitŽ pour la justice anglaise de pŽnŽtrer les rŽseaux de parentŽ afin dÕintŽgrer les Acadiens aux institutions britanniques constitue donc le point faible de lÕadministration dÕAnnapolis Royal. En Ždifiant une pratique judiciaire parallle, les Acadiens sÕaffranchissent de lÕadministration anglaise. Č[17]

 

            Les Acadiens ne connaissaient pas non plus lÕidŽe dÕun code civil, qui mme en France en Žtait encore ˆ un sicle de sa codification lorsque les Acadiens sont devenus sujets britanniques, suite ˆ la conqute. Le droit franais, ˆ lՎpoque o il se serait appliquŽ aux Acadiens, aurait donc plut™t ŽtŽ Ē ...un droit formŽ dՎdits royaux, de principes tirŽs certes du droit romain, mais aussi de la jurisprudence. Č[18] .

 

Cela dit, mme durant cette pŽriode franaise, lÕaccs ˆ la justice Žtait plut™t difficile. En effet, et cela nous rŽaffirme lÕautonomie relative de lÕAcadie dÕauprs la France, Jacques Vanderlinden en son r™le dÕhistorien du droit nous informe quÕ Ē il est exceptionnel que le Conseil [Conseil souverain de la Nouvelle-France] soit saisi dÕune question intŽressant lÕAcadie.(...) De toute Žvidence les affaires acadiennes ne sont pas le premier souci des autoritŽs de la Nouvelle-France. Č[19] DÕautant plus que le territoire acadien Žtait assez ŽloignŽ du lieu o siŽgeait ce Conseil.

 

            Il est donc vraisemblable que la vie juridique acadienne sÕorganisait selon certaines coutumes juridiques dÕorigines franaises. Mme la rŽception du droit anglais, ds 1719, ne semble pas leur avoir ŽtŽ de consŽquence importante puisque la vie continuait comme avant. De toute faon, la nature du droit franais quÕils auraient pu conna”tre nՎtait pas si fondamentalement diffŽrente de celle de la common law : Ē En ce sens, le passage dÕun systme de droit civil ˆ celui de la common law pouvait ne pas crŽer trop de difficultŽs... Č[20], puisquÕil nՎtait pas encore question de Ē code Č par opposition ˆ Ē jurisprudence Č.

 

Cette situation, soit le fait de vivre un peu en marge du systme juridique, semble faire lÕaffaire de tout le monde. Le gouvernement militaire mis en place en Acadie aprs la conqute anglaise ne tenait pas tellement ˆ imposer les rgles de common law au peuple francophone, non pas ˆ cause quÕelles ne sÕappliquaient pas, mais plut™t parce quÕon faisait du mieux quÕon pouvait pour administrer cette petite colonie :

 

Ē Les officiers commandant les troupes, puis les gouverneurs militaires de lÕAcadie anglaise, quÕils soient ou non assistŽs par leur conseil, sÕefforcent, jusquÕen 1749, de rŽgler les litiges entre Acadiens ; ils sont clairement plus enclins ˆ les encourager ˆ la composition quՈ rendre la justice selon le droit ; quÕil est vrai quÕils connaissent fort mal. Č[21] 

 

            On ne peut affirmer que lÕaccs ˆ la justice Ē Žtatique Č a ŽtŽ aussi naturelle pour les Acadiens que pour les anglais. Du c™tŽ institutionnel, les juristes et les juges ont ŽtŽ exclusivement anglophones, et ce jusquÕau moins le milieu du 19e sicle, o on a commencŽ ˆ voir un petit nombre de juristes francophones. Il para”t Žvident que dÕautres formes de juridicitŽ existaient pour les Acadiens, afin de rŽpondre ˆ leurs besoins.

 

 

 

 

 

 

 

 

(Source : Couturier, Jacques Paul, Ē Quelques ŽlŽments de la culture juridique acadienne ˆ la fin du 19e sicle Č, 28 Revue de lÕUniversitŽ de Moncton 81.)

           

Le pluralisme juridique

 

            Le pluralisme juridique sert dÕoutil important pour comprendre la complexitŽ que reprŽsente le groupe ethnique acadien. Il nÕy a pas quÕun aspect au Ē juridique Č, Žvidemment ;  comme nous le savons, nous pouvons distinguer le phŽnomne juridique, ˆ plusieurs niveaux dans une situation ou personne donnŽe. Nous dŽgageons ainsi une perspective non pas ˆ la recherche dÕun droit strictement Žtatique ou son Žquivalent, mais plut™t ˆ la recherche du Droit qui Ē nÕest liŽ par nature ni ˆ lÕexistence dÕun ƒtat, ni ˆ la formulation de rgles, ni ˆ la reconnaissance de sa rationalitŽ. Č[22]

 

On sait que la communautŽ acadienne utilisait ses rgles coutumires, vraisemblablement adaptŽes par eux aux nouvelles situations trouvŽes dans le Nouveau-Monde, notamment en ce qui a trait ˆ leur travail agriculturel : Ē La rŽcupŽration de terres sur la mer selon la technique de lÕaboiteau et la rŽpartition des terres qui en rŽsultait entre les habitants, membres ou non de la mme famille, supposait lՎtablissement progressif de rgles coutumires dont on trouve des traces jusqÕau XIXe sicle... Č[23] Il reste encore beaucoup de travail historique ˆ faire avant de pouvoir en savoir plus sur ces rgles coutumires. ƒtant donnŽ lÕanalphabŽtisme du peuple acadien ˆ lՎpoque, ce sera plut™t du c™tŽ de lՃglise quÕon pourra trouver dÕautres renseignements quant ˆ la rŽgulation de la vie acadienne.

 

En effet, lՃglise catholique romaine a jouŽ un r™le important en ce qui a trait ˆ la rŽgulation de la sociŽtŽ acadienne. Mme si dÕun c™tŽ, le contr™le de lՃglise devait normalement se borner aux questions morales et spirituelles, on ne peut nier que dans plusieurs cas, le prtre local exerait vŽritablement une fonction juridique. Or, ce nՎtait pas toujours une bonne chose, comme le souligne Vanderlinden : Ē Un premier problme est celui de la nature exacte des rapports entre ses ouailles et un clergŽ souvent peru comme Ē Žtranger Č par les communautŽs locales et manquant parfois de minimum de psychologie dans lÕexercice de son ministre Č[24].

 

Le clergŽ possŽdait effectivement un pouvoir trs important ; en effet, les enjeux sont dÕautant plus grands lors de Ē litiges Č, o le prtre sÕoccupe de rŽgler les conflits : Ē Le rŽsultat de pareille Ē procŽdure Č est que lÕune des parties prŽfre tre dŽpouillŽe, ˆ juste ou mauvais titre, de ses biens plut™t que de risquer son salut Žternel en Žtant privŽ de sacrements! Č[25]  On est lˆ en prŽsence dÕune vŽritable culture juridique chrŽtienne, comme elle est dŽcrite dans le Dictionnaire encyclopŽdique de thŽorie et de sociologie du droit : Ē ...soucieuse de conduire vers une plus grande perfection, elle formule des exigences de vie qui doivent en permettre lÕaccs. Rgles de vie sociale, de morale individuelle, familiale, collective qui, sans toujours prendre la forme de prescriptions lŽgales, sont aux lisires du droit. Č[26]

 

            La famille jouait aussi un r™le important dans la rŽgulation de la sociŽtŽ acadienne. Chaque famille reprŽsentait un noyau de rglement des conflits qui surgissaient ˆ lÕinterne, un rŽseau de protection pour chacun de ses membres, et plus profondŽment encore, un code de conduite, voire un r™le sociŽtal. Mme de nos jours, la famille et la gŽnŽalogie exercent un pouvoir important, comme lÕillustre Caroline-Isabelle Caron qui affirme que : Ē Ce livre (au sens propre et figurŽ) du savoir familial prŽsente un vocabulaire de lÕidentitŽ qui permet aux membres du groupe de sÕy reconna”tre et de poursuivre les rgles de vie qui perpŽtuent le continuum du passŽ jusquÕau futur. En somme, ces topoi sont des exemplars familiaux. Č[27]

 

            De plus, du c™tŽ juridique, la gŽnŽalogie permet de se conna”tre en ce qui a trait ˆ la filiation, et assurait ˆ lՎpoque que les interdits de mariage soient toujours respectŽs. Du c™tŽ identitaire, lÕeffet de cette gŽnŽalogie est encore plus important. Antonine Maillet, auteure du roman quÕon Žtudiera plus loin, exprime pour sa part : Ē JÕaime remonter la gŽnŽalogie pour me donner des assises, des attaches. LÕAcadienne qui se donne le titre de Ē Antonine ˆ LŽonie ˆ ThaddŽe ˆ Olivier ˆ Charles ˆ Charles ˆ Jacques-Antoine Č, cÕest parce quÕelle a besoin dՐtre quelque part. LÕAcadien nÕa pas de pays, alors il a une gŽnŽalogie. Il nÕa pas de pre, alors il a une histoire. Č[28] Cette histoire comporte un ŽlŽment rŽgulateur en soi.

 

Jacques Vanderlinden a cherchŽ ˆ dŽfricher lÕhistoire du droit de lÕAcadie dÕavant la DŽportation, ˆ partir de la pŽriode franaise, jusquՈ la rŽception officielle de la common law qui selon lui sÕest effectuŽe plusieurs annŽes aprs la conqute de 1710. Il explique ainsi les diffŽrents ordres juridiques qui pouvaient exister en mme temps pour lÕAcadien durant la pŽriode franaise et aprs la conqute :

 

Ē  En matire matrimoniale, ces systmes sont deux pendant la pŽriode franaise : ce sont celui de lՃglise et celui de la jurisprudence des parlements de France contre lՃglise; il ne faut en effet pas perdre de vue quÕen matire matrimoniale la Ē coutume Č de Paris est silencieuse, et pour cause. Dans toutes les autres matires sÕaffrontent, pendant la mme pŽriode, la Ē coutume Č de Paris, la Ē coutume Č amenŽe par chaque Acadien de son Ē pays Č dÕorigine et une Žventuelle Ē vraie Č coutume acadienne. Aux deux systmes sÕaffrontant en matire matrimoniale et aux trois sÕaffrontant dans le reste du droit privŽ vient sÕajouter, ˆ partir de 1713, la common law importŽe par le colonisateur anglais et qui, bien quÕelle ne soit pas supposŽe sÕappliquer en matire de droit privŽ, pourrait nŽanmoins lՐtre en vertu de circonstances particulires. Č[29]

 

Lorsque Vanderlinden affirme que la common law nՎtait pas Ē supposŽe sÕappliquer en matire de droit privŽ Č, il renforce la croyance que lÕAcadie Žtait conquise plut™t que colonisŽe par les Anglais, et que le droit quÕutilisait les Acadiens en Žtait un qui leur Žtait propre. On verra plus loin lÕeffet de la distinction entre un peuple conquis et un peuple colonisŽ.

 

Comme on le verra dans notre analyse de PŽlagie-la-Charrette, on passera dÕune situation o il y avait apparamment du droit partout, du Ē magasinage de for Č pour utiliser lÕexpression de Vanderlinden, ˆ un contexte dÕexil o le choix de Ē for Č est si maigre quÕon prendra les formalitŽs qui sÕoffriront au grŽ du hasard afin de conserver la cohŽsion sociale. Cette capacitŽ dÕadaptation, dÕun Ē trop de droit Č ˆ un Ē manque de droit Č, a-t-elle marquŽ la culture juridique acadienne? On pose encore une fois ici la question ˆ savoir si Ē  lÕoriginalitŽ et la personnalitŽ de ce droit acadien soit prŽcisŽment constituŽs par ce pluralisme juridique et par lÕattitude souple consistant ˆ tirer parti de tous les systmes disponibles sans en privilŽgier jamais aucun Č[30]?

 

 

 

Histoire de lÕAcadie : le contexte post-retour

 

LÕAcadie, conquise ou colonisŽe?

 

Le statut de lÕAcadie franaise aprs que lÕAngleterre prend officiellement le pouvoir en 1713 est dŽjˆ ambigu. Est-ce une colonie, ou un peuple conquis? Comme on lÕa vu, lÕAngleterre nÕa pas colonisŽ lÕAcadie ; cependant, les relations entre lÕAcadie et dÕautres colonies anglaises, notamment la Nouvelle-Angleterre, sont frŽquentes et Anglais et Acadiens coexistent en tant que voisins. LÕAcadie semble manifestement conquise, du point de vue anglais. Il en dŽcoule quÕun respect des institutions acadiennes existantes sÕimpose, comme lÕont argumentŽ des juristes acadiens :

Ē ...cette rgle du droit constitutionnel anglais, qui Žtablit une distinction fondamentale entre le territoire conquis et le territoire colonisŽ, est fondŽe sur un simple principe de justice naturelle, un droit inconnu venant soudainement troubler les institutions civiles Š particulirement sÕil est Žcrit dans une langue diffŽrente Š Žtant susceptible de crŽer de graves injustices. Č[31]

 

            On peut se demander si ce statut a toutefois jamais ŽtŽ respectŽ. En effet, ces juristes ont tentŽ dÕexpliquer le contexte juridique de lՎpoque en se fondant sur cette rgle constitutionnelle. Comme on lÕa vu, un des facteurs importants menant ˆ la DŽportation des Acadiens a ŽtŽ leur refus de prter serment dÕallŽgeance ˆ la Couronne britannique. Or, ces juristes ont affirmŽ que lÕobligation de prter serment Žtait en fait illŽgale, puisque Ē sÕil y a nŽcessitŽ dÕimposer un serment gŽnŽral, cÕest quÕon les considre encore comme des sujets franais. LÕordonnance de dŽportation du 28 juillet 1755 est donc elle-mme irrŽgulire. Č[32]  Peut-tre en raison de lÕabsence dÕinstitutions civiles acadiennes Žvidentes, lÕAngleterre a plut™t optŽ de traiter lÕAcadie comme une terre colonisŽe, qui a toujours ŽtŽ la sienne.

 

Les premires lŽgislatures

 

La crŽation de lÕAssemblŽe lŽgislative de la Nouvelle-ƒcosse eut lieu en 1758. En effet, la population anglaise de cette rŽgion en avait fait la demande auprs de la Couronne ˆ maintes reprises avant cette date, mais la forte proportion dÕhabitants francophones et catholiques qui y vivait ˆ lՎpoque inquiŽtait celle-ci. On a donc attendu aprs lÕexpulsion de cette population avant dÕaccorder une lŽgislature.

 

Mme si les Acadiens avaient pu conserver leurs droits coutumiers aprs lÕoccupation anglaise, cette situation a changŽ ds lÕordre dÕexpulsion :

 

Ē Du point de vue des droits particuliers de la population acadienne, il nÕy a pas beaucoup de difficultŽ ˆ Žvaluer la situation en Nouvelle-ƒcosse lors de la crŽation de la premire AssemblŽe lŽgislative. Les Acadiens et les Acadiennes ont ŽtŽ dŽportŽs, et ceux et celles qui se sont rŽfugiŽs dans la province actuelle du Nouveau-Brunswick sÕy trouvent illŽgalement ; ensuite, lÕAssemblŽe adopte, ds les premiers jours, des lois crŽant pour les catholiques des incapacitŽs trs importantes. Č[33]

 

            Effectivement, la nouvelle AssemblŽe lŽgislative de la Nouvelle-ƒcosse sÕempressa dÕadopter des lois qui assureraient la protection de la domination anglaise sur le territoire. Voici certains exemples extrmes de lŽgislation adoptŽe ˆ lՎpoque :

 

-       La loi suivante, adoptŽe en 1758, prescrit que les terres ayant appartenu ˆ des Acadiens soient dŽvolues ˆ des colons anglais : An Act for confirming titles to lands and quieting possessions (1758, 32 Geo II, ch. II)

 

-       Voici un extrait dÕune loi de 1758, intitulŽe An Act for the establishment of religious public worship in this province and for suppressing popery (1758, 32 Geo II, ch. V), prohibant le travail de prtres de religion catholique :

III. And be it further enacted, that every popish person, exercising any ecclesiastical jurisdiction, and every popish priest or person exercising the function of a popish priest, shall depart out of this province on or before the twenty-fifth day of March, 1759. And if any such person or persons shall be found in this province after the said day, he or they shall, upon conviction, be adjudged to suffer perpetual imprisonment ; and if such person or persons so imprisoned shall escape out of prison, he or they shall be deemed and adjudged to be guilty of felony without benefit of clergy.

 

-       Cette loi de 1759 Žtablit la prohibition pour tout catholique de possŽder des terres : An Act for the quieting of possessions to the protestant grantees of the lands formerly occupied by the French inhabitants (1759, 33 Geo II, ch. III)

 

-       Cette loi de 1766 impose des amendes aux catholiques qui Žtabliraient une Žcole : An Act concerning schools and schoolmasters (1766, 6 Geo III, ch. VII)

 

Certaines des lois quÕon vient dՎnumŽrer furent abolies en 1783, aprs le retour dÕun nombre important dÕAcadiens, en vertu de la loi suivante : An Act for the relieving of his MajestyÕs subjects, professing the Popish religion from certain penalties and disabilities imposed upon them by two acts of the general assembly of this province, made in the thirty second year of His MajestyÕs reign. (1783, 23 Geo III, ch. IX). LÕinterdiction pour tout catholique dՎtablir une Žcole fut levŽe en 1786.

 

Toutefois, le Test Act de 1673 demeurait en vigueur. Cette loi obligeait ceux qui souhaitaient accŽder ˆ des postes publics de prter un serment affirmant la religion protestante. Philippe Doucet nous explique : Ē Il existe plusieurs formules de ce sement du Test, mais le fond est ˆ peu prs le mme. Un de ces textes concerne lÕEucharistie. Un autre serment dŽnonce lÕautoritŽ spirituelle du pape tandis quÕun troisime reconna”t le monarque britannique comme seul chef de lՃglise. Č[34]

 

Mme lorsquÕil y avait volontŽ dÕintŽgrer des Acadiens dans une fonction publique par le gouverneur, Ē ...son attention est attirŽe par Londres sur le fait que cette dŽsignation nÕest possible quՈ la condition que les intŽressŽs se soumettent aux prescriptions des Test Acts et donc affirment sous serment tre de foi protestante, ce qui nÕest Žvidemment pas le cas. Č[35]                  

           

La province du Nouveau-Brunswick fut pour sa part crŽŽe en 1784. CÕest ici que se sont installŽs la majoritŽ des Acadiens revenus aprs la DŽportation. Or, la province avait dÕabord ŽtŽ crŽŽe pour plaire aux dizaines de milliers de Loyalistes britanniques qui rŽclamaient un gouvernement ˆ eux, afin de crŽer une sociŽtŽ ˆ leur image. Leur souhait fut exaucŽ, ce qui ne rendait pas plus facile lÕaccs aux r™les politiques pour les Acadiens.

 

De plus, les circonstances politiques au retour des Acadiens en lÕancienne Acadie furent marquŽes par lÕarrivŽe de milliers de Loyalistes britanniques sur les terres qui leur avait jadis appartenu. Une autre AssemblŽe lŽgislative est crŽŽe aprs le dŽpart des Acadiens, cette fois en crŽant une toute nouvelle province pour ces Loyalistes, en 1784. La possibilitŽ dÕun r™le politique pour les Acadiens qui reviennent nÕen demeure pas moins inexistante.

 

La citation suivante de Michel Alliot para”t tout ˆ fait applicable en un tel contexte :

 

Ē Il en va de mme de ceux qui naissent de la prŽcaritŽ des situations dans le monde juridique traditionnel. On sait que ce monde sÕarrte ˆ lÕhorizon, aux traces visibles, aux souvenirs de la mŽmoire. Au-delˆ de ce paysage limitŽ, il nÕy a plus de droit ; lՎtranger relve du monde ambigu du sacrŽ. Et qui sort du paysage, perd tout droit : lÕabsent, ˆ son retour, ne pourra revendiquer ni sa terre si elle a fait lÕobjet dÕun nouveau dŽfrichage, ni sa femme remariŽe. Le monde du Droit se dŽfait ˆ chaque instant, ou, pour ne pas subir lÕeffet corrosif de lՎloignement ou du vieillissement, il doit ˆ chaque instant tre restaurŽ... Č[36]

 

 

La marginalisation sociale

 

Aprs la DŽportation, et conscients de la rŽalitŽ du retour progressif de certains groupes dÕAcadiens, les Anglais capitulent un peu afin de conserver le maximum de contr™le : Ē ...ds 1764, les instructions au gouverneur Wilmot lui enjoignent de permettre aux Acadiens et aux Acadiennes de sՎtablir par petits groupes ici et lˆ dans la province, pour quÕils soient mlŽs au regroupements des colons anglais, ˆ condition de prter le serment dÕallŽgeance. Č[37]. Ė partir de 1767, on a vu un retour substantiel de personnes dŽportŽes, et la majoritŽ prtaient effectivement le serment dÕallŽgeance demandŽ.

Bien quÕils aient eu la permission de se rŽinstaller en petits groupes et quÕils avaient dŽsormais jurŽ leur fidŽlitŽ ˆ la Couronne britannique, on en Žtait loin dÕatteindre lÕintŽgration sociale :

Ē No society awaited their return and re-entry; no fixed point was going to present itself without Acadians creating or inventing one. They looked forward to a century of silence and the prospects of employment by the British to work in the fields where they could apply their expertise with the aboiteaux for Ē a small provisional allowance Č (Wynn 47). Č[38]

 

CÕest effectivement dans le silence que les Acadiens sont revenus, et dans lequel ils sont restŽs pour un sicle. Ē Au dŽpart, dirons-nous, il y avait le silence. Un silence intense ˆ divers degrŽs, et o se fonde, dans lÕincertitude, dans lÕerrance, dans la difficultŽ dՐtre, lÕexpression acadienne elle-mme. Č[39] Effectivement, pendant presquÕun sicle, les incapacitŽs juridiques, le manque dՎducation, bref la marginalisation sociale qui affectaient les Acadiens ont eu un effet important sur leur dŽveloppement. Lorsque Ē ces personnes ne peuvent ni voter ni tre candidates ˆ une Žlection, ni tenir une charge publique ni enseigner ; mme la possibilitŽ de devenir propriŽtaires fonciers est discutable. Č[40] , il est Žvidemment difficile de sÕintŽgrer et de commencer ˆ se sentir comme faisant partie du mme systme juridique, pour ne nommer quÕun exemple des exclusions ressenties.

 

Le dŽbut du dŽveloppement et de lՎmancipation des Acadiens sÕest fait par le biais de lÕaccs ˆ lՎducation. Ė partir de 1830, une autre incapacitŽ juridique est levŽe et ils peuvent maintenant avoir leurs Žcoles qui seront menŽes par des ordres religieux catholiques, les seuls qui ont les ressources pour offrir cette Žducation aux francophones.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Source : Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, ˆ la page 250.)

 

 

 

PŽlagie-la-Charrette : le rŽcit dÕun peuple en exil

 

La littŽrature acadienne a pris son ressort relativement rŽcemment, partiellement en raison de ce silence qui a durŽ jusquՈ ce quÕon ait vu une certaine modernisation de la sociŽtŽ acadienne. Mme au 19e sicle, lorsquÕon commenait ˆ prendre conscience de faon collective de lՎvnement de la DŽportation et de ses consŽquences brutales, ce sont des auteurs Žtrangers qui en font le rŽcit pour le grand public. Le plus illustre de ces auteurs fut sžrement Henry-Wadsworth Longfellow, avec son pome fictif ƒvangeline, publiŽ en 1847. LÕimage dÕune Acadie paradisiaque, et une hŽro•ne soumise, Ē muette et rŽsignŽe Č[41], et une image dÕun peuple na•f, paisible et contentŽ[42], fut renversŽe par les personnages plus rŽsistants, fiers et rŽalistes dÕauteurs comme Antonine Maillet qui sont arrivŽs sur la scne plus dÕun sicle plus tard.

 

Contrairement ˆ lՃvangŽline de Longfellow, donc, Maillet nous montre de faon plus rŽaliste, bien quÕencore folklorique, lÕesprit du peuple acadien. De plus, sa faon dՎcrire se rapproche plus des contes et de lÕoralitŽ que celles dÕautres auteurs : Ē The case of Antonine Maillet...offers a unique and spectacular example of works in which the distance between orality and literature, between bard and writer has been reduced to close to zero. Č [43]

 

            Nous avons choisi ce roman en particulier puisquÕil fait bien la liaison entre le rŽcit de lÕexil et du retour en Acadie, et lÕattitude moderne venant du contexte dans lequel il a ŽtŽ publiŽ. En effet, lors de sa sortie en 1979, on venait de crŽer la premire FacultŽ de droit de common law en franais, les rŽformes politiques et sociales avaient eu lieu comme on le verra plus tard. Maillet garde toutefois la voix de ses anctres, semblant puiser dans une mŽmoire collective. En plus, cÕest le roman acadien ayant bŽnŽficiŽ dÕun rayonnement international, puisquÕil a mŽritŽ le prix Goncourt en 1979.

 

RŽsumŽ du rŽcit

 

Le roman PŽlagie-la-Charrette (ci-aprs Charrette), raconte lՎpopŽe du retour des Acadiens aprs leur exil. Le long processus de la rentrŽe en Acadie, quÕon ne peut presque plus qualifier dÕerrance puisquÕil y a un objectif final on ne peut plus clair, ce voyage Žprouvant, nous fait observer une transformation rŽelle.

 

ĒLՎpopŽe est lÕhistoire dÕun peuple dans la seconde prŽcise qui prŽcde la naissance de ce peuple-lˆ. Si vous regardez lÕIliade, cÕest le moment de la guerre entre Troie et la Grce o allait se dŽcider qui allait devenir le peuple de lÕavenir. Et Õallait tre la Grce. Si vous regarder La Chanson de Roland, cÕest le moment de la guerre entre la chrŽtiennetŽ et lÕislam qui a dŽcidŽ que lÕEurope allait se faire. Le retour de PŽlagie, cÕest le moment dŽcisif pendant ces dix annŽes-lˆ qui va dŽcider si lÕAcadie va survivre ou pas. Est-ce que le peuple acadien va revenir ˆ la source pour quÕon parle encore dÕAcadie? CÕest la charrette qui va dŽcider. CÕest donc une ŽpopŽe, mais je lÕai faite ˆ lÕenvers des autres, o vous avez le hŽros ˆ cheval; ici, lÕhŽro•ne est ˆ pied, cÕest les autres qui sont ˆ cheval. Ė lÕenvers des autres, o vous avez la langue grandiose et officielle; ici vous avez la langue de tous les jours, la langue du peuple. Č[44]

 

 

De Ē lambeaux de famille Č, rassemblŽs dÕici et lˆ en GŽorgie et tout au long du chemin de retour, les Acadiens redeviennent une collectivitŽ avec comme destin collectif de revoir leur territoire dÕorigine. Leur attachement ˆ ce territoire est profond, et dŽpasse mme la force de lÕimmuable personnage de la Mort qui suivra le groupe tout au long du roman.

 

 

 

 

 

DŽbut du voyage

 

PŽlagie, dite PŽlagie-la-Charrette ˆ cause de son mode de transport bien sžr, a survŽcu lՎpreuve de la DŽportation, mais pendant lÕadversitŽ ˆ laquelle elle avait eu ˆ faire face, elle a Ē jurŽ aux a•eux de ramener au moins un berceau au pays. Č[45] Les occupants du bateau dans le quel elle avait ŽtŽ expulsŽe Žtaient consacrŽs au travail servile dans la colonie anglaise de la GŽorgie, mais PŽlagie a rŽussi ˆ sÕamasser Ē une charrette et trois paires de boeufs de halage qui lui avaient cožtŽ quinze ans de champs de coton, sous le poids du jour et sous la botte dÕun planteur brutal qui fouettait avec le mme mŽpris ses esclaves ngres et les pauvres blancs. Č[46] Les difficultŽs se succdent, mme avant le dŽbut du voyage de retour. Mais PŽlagie sՎtait prtŽ serment ˆ elle-mme, ainsi quՈ son peuple, et elle semble avoir trouvŽ force dans sa promesse.

 

PŽlagie elle-mme est un symbole, de mme que sa charrette : Ē La charrette qui lui donne son nom est le symbole central du roman, la mŽtaphore de la rentrŽe lente et boiteuse, mais enfin accomplie, des Acadiens chez eux. Č[47] Elle nÕa jamais existŽ dans la forme quÕelle prend dans le roman, mais elle reprŽsente tout un peuple, elle reprŽsente la mŽmoire collective qui le forme.

 

Aprs les boeufs attelŽs et la charrette en mouvement ˆ travers les Žtats amŽricains, on sÕest mis ˆ rencontrer dÕautres Acadiens, pour qui on devait faire de la place. Ceux-ci avaient tous en commun quÕils sՎtaient refusŽs ˆ  lÕenracinement dans cette terre Žtrangre. Ayant ŽtŽ chassŽs de leur Ē paradis perdu Č, leurs circonstances en contexte amŽricain ne pouvaient satisfaire leur soif dÕautonomie. Ils connaissaient une nostalgie pour cette libertŽ quÕils avaient connus en tant que peuple neutre qui pouvait rester paisible mme face aux conflits incessants entre la France et lÕAngleterre, qui Lj force dՐtre ballottŽe dÕun ma”tre ˆ lÕautre Č[48] sՎtait mise ˆ se gouverner quasiment toute seule...

 

            Le voyage de PŽlagie et son peuple en devenir, un voyage qui durera en fin de compte dix ans, leur fera traverser des lieux o se dŽroulait une autre Žpreuve, celle dÕun autre peuple : la guerre dÕindŽpendance amŽricaine. On pourrait penser que les affinitŽs entre ces indŽpendantistes amŽricains et ces Acadiens blessŽs par la Couronne anglaise seraient faciles ˆ trouver. Toutefois, lÕAcadien garde ses distances, question de conserver une certaine mesure dÕautonomie.

 

Or, dÕune certaine faon leurs destins sont entremlŽs, comme le dŽmontre le dialogue suivant :

 

Ē Š Racontez-nous lÕhistoire de nos a•eux tant que vous voudrez, mais mlez-y point les AmŽricains. Ceux-lˆ sont point de nos oignons.

-- Point de nos oignons! Point de nos oignons! Mais cÕest leurs oignons, ben au contraire, que je mangions ˆ lՎpoque, et cÕest leur terre que je traversions ˆ pied derrire les boeufs. Č[49]

 

            De fait, il reste encore un nombre significatif de personnes de souche acadienne aux ƒtats-Unis, avant mme quÕon compte les Cajuns de la Louisiane. Ce nÕest pas surprenant, puisquՈ un moment donnŽ, lÕattrait dÕune nouvelle patrie semble tout ˆ fait irrŽsistible pour certains : Ē Mais a nÕempchait pas les jeunes fringants nŽs en cours dÕexil de rver ˆ la dŽfense de la patrie. (...) Justement, ils allaient mourir pour un pays, les sans-patrie. La mort au moins leur donnerait une terre bien ˆ eux. Č[50]

 

En plus, ils avaient bien en commun un compte ˆ rŽgler avec la Couronne britannique, ce qui ne pouvait que jouer un r™le dans lÕattitude ambivalente envers cette guerre dÕindŽpendance quÕils observaient comme Žtrangers. Les diffŽrentes positions possibles ˆ cet Žgard sont illustrŽes dans la vignette suivante. Alors que trois miliciens Marilandais demandent ˆ manger auprs des charrettes, un Pacifique Bourgeois :

 

Ē...tira PŽlagie ˆ lՎcart et la mit au fait de ses devoirs de mre, de chef, et de sujette dÕun pays qui lÕavait accueillie et nourrie durant prs de vingt ans. Ces insurgŽs Žtaient tra”tres ˆ leur patrie et ˆ leur roi.

-- Le roi? Quel roi?

-- Le roi George dÕAngleterre, tu le sais bien. Č[51]

 

PŽlagie rŽpond en se prononant sur ses valeurs acadiennes, et par extension les valeurs acadiennes de tous puisquÕelle est la chef du groupe : elle offre lÕhospitalitŽ ˆ ces miliciens, prononant la phrase rituelle Ē faites comme chez vous Č[52]. Elle fait ainsi dÕune pierre deux coups; elle fait exemple de charitŽ chrŽtienne, et nÕempche pas ceux qui pourront se venger pour elle.

           

Ė lÕopposŽ, les Loyalistes amŽricains, fidles ˆ la Couronne britannique, avaient peu de sympathie pour ces Acadiens. Comme on le verra plus loin, cette antipathie se continuera aprs le retour en Acadie, lorsque les deux groupes se retrouveront au Nouveau-Brunswick :

 

Ē Et cÕest comme a que les dŽportŽs qui avaient dŽjˆ payŽ dÕun exil les brouilles de deux rois qui  nÕauraient su ni lÕun ni lÕautre trouver lÕAcadie sur la carte, se voyaient aujourdÕhui maltraitŽs au nom dÕune guerre ˆ laquelle ni eux ni leurs pres nÕavaient participŽ.

            Mais allez expliquer a ˆ des Loyalistes amŽricains, eux-mmes en dŽroute devant lÕinsurrection triomphante! LÕesclave battu bat son chien ; et le loyaliste vaincu rosse le dŽportŽ. Č[53] 

 

            Alors que PŽlagie et son peuple arrivait prs de GrandÕPrŽe plusieurs annŽes aprs leur dŽpart, finalement retournŽs sur leur territoire dÕorigine, celle-ci se mit ˆ rencontrer des Acadiens qui sՎtaient cachŽs dans les bois afin dՎchapper ˆ la DŽportation. Un certain Godin fit la remarque ˆ PŽlagie de faire attention aux Anglais, alors quÕelle entreprendrait la dernire Žtape de son voyage, puisque ceux-ci Ē avont point encore pardonnŽ. Č[54] Clairement, la surprise de PŽlagie en rŽaction ˆ ces mots dŽnote son expŽrience tout ˆ fait distincte de celle de Godin ; ce dernier, qui Žtait restŽ accroupi dans les bois en attendant le Ē pardon Č qui lui permettrait de revenir, savait quÕil allait falloir faire attention, que tout nՎtait pas du tout gagnŽ, que lÕours ne faisait encore que dormir.

 

            Pour PŽlagie, cՎtait bien ˆ elle quÕil revenait de pardonner : Ē Plus rien que ces cent lieues et elle oublierait, et elle pardonnerait, et elle reb‰tirait son logis incendiŽ. Č[55] Mais elle allait bien le faire, puisque cÕest de ce pardon que dŽpendrait son vŽritable retour chez elle en terre acadienne, et la complŽtude qui viendra avec : Ē Ils repartiront de rien, sÕil faut, mais ils repartiront chez eux, et renoueront le passŽ ˆ lÕavenir. Č[56]

 

Ė lÕarrivŽe ˆ GrandÕPrŽe, lieu o ces Acadiens avaient entendu lÕordonnance de DŽportation, assemblŽs dans lՎglise locale, bržlŽe en 1755 et laissŽe dŽserte, PŽlagie la fixait des yeux, en Ē murmurant pour elle seule des mots qui sÕinscrivaient ˆ mesure dans le ciel... (...)Personne nÕy ferait son nid, jamais...jamais... Č[57] En fait, les Acadiens qui sont revenus aprs la DŽportation ne reprendraient pas leurs anciennes terres. Ces dernires auront dŽjˆ ŽtŽ donnŽes aux anglais et aux Loyalistes.

 

Le retour au paradis perdu fait bien ressortir lÕaspect Ē perdu Č de lÕexpression pour PŽlagie. On conservera toujours cette conception-lˆ de GrandÕPrŽe, ce qui renforcera encore et toujours la mŽmoire de lՎvnement qui a causŽ la perte. Peut-tre est-ce la magnitude de cette perte qui renforce la conception de lՎpoque prŽ-DŽportation comme Ē ‰ge dÕor Č?

 

            PŽlagie a pourtant rŽussi ce quÕelle avait jurŽ de faire, et prescrira la stratŽgie que prendront les Acadiens avant de revenir rŽaffirmer leur existence, un sicle plus tard :

 

Ē En dix ans, elle avait raflŽ ˆ la terre dÕexil des tribus entires de ses pays et payses et les avait ramenŽes ˆ leurs terres par la porte dÕen arrire.

            Surtout, nՎveillez pas lÕours qui dort.

            Rentrez chacun ˆ votre chacunire sur la pointe des pieds et attendez le temps quÕil faut. On  a bien attendu en GŽorgie, dans les Caroline, en Marilande, et tout le long de la Nouvelle-Angleterre, attendu que passe la premire charrette pour y accrocher la sienne. On pourra de mme attendre sur le marchepied de son logis que la porte sÕouvre et que la maison se vide. Č[58]

 

            Et comme si elle parlait ˆ ceux qui resterons dispersŽs, comme si elle faisait allusion ˆ la possibilitŽ que lÕAcadie comme lieu gŽographique nÕexisterait peut-tre plus jamais, elle dŽclare : ĒCÕest les hommes qui faisont la terre, et point la terre qui fait les hommes. Lˆ o cÕest que je marcherons, nous autres, il faudra bien quÕils bailliont un nom ˆ lÕendroit. Je lÕappellerons lÕAcadie. Par rapport que jÕallons la reb‰tiÕ, tu vas oure, jÕallons la reb‰tiÕ ˆ grandeur du pays. Č[59]

 

En lÕabsence dÕun territoire gŽographique certain, et comme rŽsultat de longues annŽes dÕexil, comment peut-on dŽfinir lÕAcadie? Dans lÕimagination, dans les souvenirs que PŽlagie a enfoui dans son tablier? LÕAcadie, est-ce donc un lieu imaginaire? Pour certains, il en est sžr, cÕest bien le cas, mais il y a toujours derrire cette imagination un Ē ...attachement ˆ un territoire, passŽ, prospectif, plus ou moins solidement ancrŽ dans sa rŽalitŽ, ou marquŽ par la rŽalitŽ incertaine de lÕexil, mais auquel la relation verbale confre une existence intense et souvent convulsive. Č[60]  Voilˆ ce que crŽe dÕabord PŽlagie, cÕest-ˆ-dire une communautŽ historique ; ceux qui sont parvenus ˆ revenir, sans pour autant former encore une entitŽ politique, auront pourtant ŽtŽ capables de crŽer un peuple.

 

 

 

Le droit et PŽlagie-la-Charrette

 

Un rŽcit fondateur

 

            Les rŽactions, expŽriences et attitudes dŽmontrŽes par les personnages dans PŽlagie-la-Charrette peuvent nous aider ˆ rŽpondre aux questions Ē pourquoi Č et Ē comment Č en ce qui a trait ˆ leur coexistence future avec les Anglais qui leur ont pourtant fait subir tant de difficultŽs. PŽlagie-la-Charrette, cÕest donc le rŽcit fondateur dÕun peuple. Cette histoire peut nous aider ˆ comprendre la relation que pourra dŽvelopper le peuple acadien envers le droit anglais.

 

IllustrŽe par la lenteur de leur rentrŽe au pays, de mme la lente intŽgration des Acadiens ˆ la sociŽtŽ civile, par la Ēpointe des pieds Č, plut™t quÕune faiblesse, dŽmontre leur forte volontŽ de rester sur leur territoire dÕorigine. LÕesprit de compromis y est nŽ de nŽcessitŽ. CÕest donc aussi le rŽcit de stratŽgies de survivance, sans lesquelles Ē tre Acadien Č ne voudrait rien dire. Ce rŽcit fondateur dÕune communautŽ historique sert enfin ˆ annoncer une future communautŽ politique.

           

La question de la lŽgitimitŽ

 

La question de la lŽgitimitŽ du pouvoir trouve aussi une place importante dans le texte. En effet, tout au long de cette oddysŽe acadienne, le questionnement de lÕautoritŽ est un thme constant. Que ce soit face ˆ lÕobligation de faire serment dÕallŽgeance, la sympathie avec les miliciens amŽricains, ou par rapport ˆ la complicitŽ et lÕamitiŽ avec lÕesclave, le pouvoir quÕon respecte reste celui des valeurs proprement acadiennes, telles que vŽhiculŽes par PŽlagie. On retrouve ce thme dans la Ē vraie Č histoire acadienne aussi, bien sžr, puisque leur refus de prter serment dÕallŽgeance ˆ la Couronne britannique dŽmontre cette autonomie quant ˆ leur idŽe de ce quÕest un pouvoir lŽgitime.

 

Comme on lÕa vu, toute lÕhistoire de lÕAcadie a contribuŽ ˆ faire de ces gens un peuple plut™t mŽfiant envers lÕautoritŽ :

 

 ĒHaving Ē paid the price of exile for a squabble between two kings, neither of who could have found Acadie on the map Č, Acadians were forced to recognize an arbitrariness of authority and to perceive their own farmlands as the prize in a war fought, for the most part, elsewhere (Maillet, PŽlagie, 184-185). Č[61]

 

LÕAcadien se mŽfie par extension du droit. LorsquÕon cite le refus de prter serment pour justifier la DŽportation, PŽlagie reconna”t le subterfuge :

 

Ē Et sans souffler mot, la petite colonie dÕAtlantique laissait les rois de France et dÕAngleterre se renvoyer des cartes revues et corrigŽes dÕAcadie et de Nova Scotia, pendant quÕelle continuait allgrement ˆ planter ses choux. ‚a ne devait pas durer, cՎtait des choux gras. Et les soldats anglais qui rvaient dÕun coin de terre se mirent ˆ lorgner ces champs-lˆ. Č[62]

 

            Le titre de celui qui possde un pouvoir lŽgitime est habituellement accordŽ ˆ lՃglise. Celle-ci sÕoccupe des rituels de naissance, baptme, mariage, et des funŽrailles. Mme en exil, faute de prtres, on improvise en se servant dÕun moine ermite pour rebŽnir tous ceux qÕon avait bŽnit du mieux quÕon le pouvait. Faute de droit, faute de patrie, on cherche ˆ conserver le rituel pour sÕassurer de la bonne constitution des ŽvŽnements importants. La cohŽsion sociale en dŽpend-elle? ĒRituals, as social action, not verbal expression, have no contraries and can produce harmony of wills and actions without provoking recalcitrance. A person finding himself playing his appointed part in li is already in harmony with others. Č[63] Le personnage de BŽlonie le vieillard qui a comme r™le principal de conter, toujours conter, nous montre une autre utilitŽ du rituel, cette fois le rituel du conte lui-mme, pour cette cohŽsion sociale, comme lÕexplique Jane Slemon :

 

Ē Though the experience of exile itself cannot be valued as a ritual, telling about the deportation (also named le Grand DŽrangement, the Expulsion, the Incident, the Disaster, The Deportation, the Dispersion, the Great Disruption, and the Massacre of the Innocents, among others) is valued as ritual: listeners experience a ritual transition from innocence to wisdom, from imagined expulsion to return and re-entry, every time they hear it. Č[64]

 

CÕest une prescription du roman, constitutive du peuple, que Ē la narration fait elle-mme histoire, qui sÕintgre ˆ lÕhistoire narrŽe. Č[65]

 

La subversion et la criminalitŽ

 

MalgrŽ cet esprit de compromis quÕon a citŽ comme caractŽristique de lÕattitude acadienne envers la majoritŽ anglophone, si Ē la littŽrature exerce souvent ce r™le critique par le biais du comique et de la dŽrision, arme favorite des faibles Č[66], la phrase rŽpŽtŽe : Ē ...et merde au roi dÕAngleterre! Č illustre bien la subversion sous-jacente et parallle ˆ tout compromis, la rŽaction ˆ la nŽcessitŽ mme dÕavoir ˆ compromettre pour la survivance du peuple.

           

            En guise de second exemple de cette tendance subversive, on nÕa quՈ regarder lÕaise avec laquelle les personnages doivent Ēsombrer Č dans une certaine criminalitŽ et lÕabsence de tout remords, Žtant donnŽ leur opinion de lÕautoritŽ anglaise et ses rgles. On pourrait croire que ce peuple ne voudrait pas dŽsobŽir ˆ ceux en position dÕautoritŽ, Žtant donnŽ son respect de lÕhiŽrarchie de lՃglise. On nÕhŽsite pourtant pas ˆ outrepasser les forces de lÕordre par le biais de contes et ĒdՎlixir Č... CÕest que leur survie dŽpend de cette subversion. CÕest bien un acte juridique anglais qui leur a donnŽ leur statut dÕexilŽs sans-patrie, aprs tout.

 

            Ė deux reprises, nos personnages acadiens auront ˆ faire face ˆ la prison. Par exemple, quand Pierre ˆ Pitre le Fou se dŽcida de jouer son tour aux femmes de Baltimore en leur faisant croire quÕil changeait leurs Žcharpes de soie en Žcharpes de mousseline, il sÕest fait emprisonner ˆ la suite de la disparition des soies, dentelles et cachemires des femmes. Or, lÕintervention de lÕabbŽ Robin passe tout ˆ c™tŽ du systme : ĒCertains prŽtendent que tous les arguments servis au gouverneur, lÕabbŽ Robin ne les aurait pas trouvŽs chez les Pres de lՃglise ; voire quÕune bonne dose de son argumentation aurait dŽgagŽ une forte odeur dՎlixir point inconnue des charrettes. Č[67]

 

            De plus, ˆ leur arrivŽe ˆ Charleston, en Caroline, ayant perdu de vue Catoune, une fille muette faisant partie du groupe dÕAcadiens, on lÕa finalement aperu dans le marchŽ dÕesclave, sur la tribune, faisant partie du dŽfilŽ malheureux de cette marchandise humaine.

 

            Lorsque PŽlagie lÕaperut, elle se rua vers la tribune avec sa charrette et son Žquipage, et se trouva rapidement en prison, qui Ē nÕen fit quÕune bouchŽe Č[68]. Or Catoune y Žtait aussi, ainsi quÕun esclave auquel elle Žtait attachŽe! Pour en finir, durant la nuit en prison, on en fit une Ē nuit de carnaval Č[69], le carnaval servant de lieu o les rgles sont sens dessus-dessous. Ce fut dÕautant plus efficace : Ē  Les gŽ™liers, mme armŽs dÕarquebuses et de mousquets, nՎtaient pas de taille ˆ lutter contre le violon des Basques, lՎlixir de CŽlina et le conte fantastique de BŽlonie Č[70].

 

Voit-on une attitude critique envers le droit lorsquÕon observe cette stratŽgie prŽfŽrŽe des Acadiens quÕest celle de lÕensorcellement par le conte? Y voit-on aussi leur affinitŽ future, loin dans lÕavenir certes, envers la t‰che de lÕavocat, qui joue avec finesse les fictions juridiques ? On y voit en tout cas lÕeffet rŽel des fictions, puisque ces contes et dŽjouements affectent rŽellement et de faon significative la Ē vraie vie Č des personnages.

 

Les effets de lÕexil

 

            Les effets juridiques de lÕexil sur le peuple acadien sont que celui-ci sort de lÕexistence, dÕune certaine manire. Les mariages ne sont pas tout ˆ fait des mariages sans les formalitŽs du droit matrimonial de lՃglise ; les enterrements sans sacrements reprŽsentent un manque important. ĒMme les morts avont pardu leur droit, mme les morts sont sans ƒglise et sans pays. Č[71] Comme si la mort de procurait aucun repos pour le peuple errant : Ē...le plus grand ch‰timent nÕest pas la mort, oh non! Mais la mort sans repos, lՎternelle errance entre ciel et terre, la perpŽtuelle re-mort recommencŽe. Č[72] Les Acadiens sont illŽgaux en ancienne Acadie, et nÕont pas vraiment de statut dans les terres qui les ont reu aprs la DŽportation.

 

            LÕincertitude ˆ laquelle fait face le peuple acadien quant ˆ sa propre existence demeurera avec elle longtemps aprs le retour en Acadie de PŽlagie et sa charrette. LՎpreuve et la crŽation du peuple Ē...sÕinscrit dans un processus vŽcu de longue durŽe, une Žpreuve toujours recommencŽe, dont lÕissue nÕest jamais garantie. Č[73], et est donc toujours ˆ refaire. Les rituels du conte, lÕadhŽsion aux valeurs communes, la fidŽlitŽ ˆ lՃglise sont tous des ŽlŽments qui contribuent ˆ raffermir lÕidŽe que lÕAcadie existe vraiment, et ce jusquՈ la modernisation du concept Ē Acadie Č lui-mme, qui nÕaura lieu que dans les annŽes 1960. CÕest vraiment, de faon parallle ˆ lÕexode de Mo•se et son peuple :

 

Ē...une histoire ˆ la fois ancrŽe dans la mŽmoire de ce qui fut et orientŽe par la promesse de ce qui pourrait tre, et qui pourtant se rejoue ˆ chaque instant dans lÕincertitude de lÕinterlocution. Une telle histoire est littŽralement celle de lՎpreuve ou de la transformation (du reste le mot hŽbreu signifie Ē passage Č, Ē transformation Č) : elle est aussi distante de la fatalitŽ mŽcanique dÕune destinŽe aveugle que du chaos dՎvŽnements purement ponctuels ; elle suppose au contraire la reprise rŽflexive et lÕaffectation volontaire de donnŽes dont la responsabilitŽ et le sens Žchappent cependant en partie ˆ leurs protagonistes. Č[74]

 

            Si la transformation de lÕAcadie aprs la DŽportation fut une transformation de morceaux de famille et lambeaux de parentŽ en un peuple vŽritable, il est certain que ce quÕon recrŽe en revenant en Acadie est diffŽrent par rapport ˆ ce qui Žtait avant lՎvnement : Ē...just as water trickles back to the sea, altered from fresh to salt water along the way, so people trickle back to their lands after the Expulsion, their identities detached from the lands they knew, and their stories altered in the process. Č[75] De nouvelles caractŽristiques se sont dŽveloppŽes suite au traumatisme, et cette spŽcificitŽ dŽveloppŽe suite ˆ une histoire commune crŽe indŽniablement un peuple.

 

 

 

Existe-t-il une culture juridique acadienne?

 

            Ayant explorŽ brivement la contribution de la littŽrature ˆ nos connaissances sur lÕesprit acadien, retournons ˆ la Ē rŽalitŽ Č pour voir ces idŽes sous une autre lumire.

 

Du pluralisme ˆ lÕintŽgration sociale?

 

Les groupes ethniques tels celui que reprŽsente lÕAcadie sont souvent dans la mme situation soit celle de nÕavoir territoire propre, et dՐtre soumis ˆ la gouvernance de la majoritŽ. Or ils se trouvent dÕautant plus leur propres faons de sÕauto-rŽguler. Ė la base :

 

ĒLes moyens de coercition dans les communautŽs sont presque exclusivement sociaux, moraux et idŽologiques, ce qui ne veut Žvidemment pas dire quÕils sont inefficaces, bien au contraire. Il y a, par exemple, la perte de prestige dans la communautŽ ; lÕexpression publique de dŽsapprobation ; le dŽnigrement et les attaques ˆ la rŽputation ; les accusations de dŽloyautŽ, de sՐtre vendu... Č[76]

 

Ė cela sÕajoute le pluralisme quÕon a dŽjˆ vu dans une section prŽcŽdente. En Acadie, cette autonomie dans la rŽgulation sÕest Žventuellement transformŽe en une manifestation de volontŽ nationaliste, bien que celle-ci soit trs diffŽrente de celle qui se montre au QuŽbec.

 

            Si cette lÕaffirmation nationaliste peut sembler indiquer a priori que ce qui est rŽclamŽ, cÕest un ƒtat, un gouvernement, une nation, pour lÕAcadie, cÕest plut™t la revendication dÕune intŽgration sociale accrue qui est vŽhiculŽe. Aprs le compromis du silence, on veut une participation ˆ la sociŽtŽ civile au mme titre que la majoritŽ : Ē LÕaffirmation Ēnationale Č minoritaire, cÕest-ˆ-dire celle du droit ˆ lÕautonomie, c™toie souvent la revendication pour une intŽgration non discriminante au sein de la rŽalitŽ nationale majoritaire. Č[77]

 

IntŽgration, discriminante ou pas, signifie quÕĒ ...on accepte de jouer, ensemble, on convient de jouer ˆ ce jeu-lˆ Č[78]. Le jeu a certes changŽ pour tous les joueurs, comme on le verra. Des origines, o on accepte la domination culturelle et mme la marginalisation sociale, pour au moins pouvoir vivre sur un territoire connu, on passe ˆ une rŽaffirmation dÕun peuple qui a une voix quant aux choix des rgles du jeu.

 

 

LÕhistorique dÕune qute dÕidentitŽ

 

            Le jeu a changŽ plus dÕune fois, par contre. LÕidentitŽ acadienne, et par extension le rapport au systme juridique, a changŽ au fil des annŽes. En effet, sÕĒ...il nÕexiste aucune libertŽ extra-sociale, seulement une longue entreprise de libŽration qui consiste tant™t dans le fait dÕassumer certains des contenus culturels hŽritŽs, tant™t dans le rejet de ceux-ci Č[79], on verra quÕil faut nŽanmoins partir dÕun point commun.

 

Comme on lÕa dŽjˆ ŽvoquŽ, le peuple acadien nÕa jamais eu la tendance ˆ se tourner vers la France pour lÕaider en ce qui a trait ˆ sa qute pour une affirmation identitaire ; mme le rapport avec la Nouvelle-France (cÕest-ˆ-dire le QuŽbec actuel) Žtait relativement faible, malgrŽ la langue partagŽe, Žtant donnŽ les origines familiales et les contextes politiques compltement diffŽrentes. Bien que le QuŽbec ait pu dŽvelopper un rŽseau dÕinstitutions civiles relativement t™t dans lÕhistoire, tel nՎtait pas le cas pour lÕAcadie.

 

En effet, ce rŽseau institutionnel a pris un sicle ˆ se dŽvelopper. Or pendant ce sicle de silence et dÕincapacitŽs juridiques, cette marginalisation avait son utilitŽ. En effet, si les pauses sont une Ē intervalle vide qui favorise le retour sur soi Č[80], il a aussi peut-tre permis lÕAcadie de rŽsister lÕassimilation dans la culture dominante. JusquՈ un certain point, la marginalisation sociale Žtait un choix :

Ē Leur attachement ˆ la terre, malgrŽ les meilleures conditions de vie quÕils pouvaient obtenir dans les centres urbains, est rationnel du point de vue Žconomique : pour maximiser leur bien-tre, les Acadiens qui dŽsirent le demeurer acceptent de payer les cožts engendrŽs par un mode de vie destinŽ ˆ devenir de plus en plus marginal. (...) Plusieurs quitteront mme la rŽgion pour sÕimmiscer dans des sociŽtŽs o ils nÕont aucun espoir de prŽserver leur identitŽ. Č[81]

 

Une fois cette pŽriode de repli sur soi passŽe, une nouvelle pŽriode sÕamorce quÕon peut qualifier de vŽritable renaissance acadienne.

 

            Le dŽveloppement, ˆ partir du milieu du 19e sicle, dÕune Žlite acadienne, formŽe de gens ŽduquŽs, du clergŽ, et dÕentrepreneurs, co•ncide avec le dŽveloppement des symboles nationaux adoptŽs ˆ la premire convention nationale acadienne, en 1881. CՎtait le premier vŽritable projet collectif de lÕAcadie, rendu possible aprs le dŽbut du dŽveloppement dÕune classe moyenne. Or, autant cette voix sera nouvelle sur le plan politique, autant elle reprŽsentera dÕabord le point de vue dÕune Žlite acadienne. Parlant des nouveaux mŽdias, tel le quotidien Le Moniteur acadien en 1867, GŽrard Beaulieu nous rappelle ce qui suit, ce qui sÕapplique aussi ˆ la convention nationale :

Ē Il ne faut pas oublier cependant quÕil sÕagissait des intŽrts du groupe acadien tels que les concevaient les Žlites de la pŽriode, soit la prŽservation de la langue franaise, lՎducation, le dŽveloppement agricole et la colonisation, en plus de la promotion individuelle dÕAcadiens sur le plan politique, dans la magistrature et au sein du clergŽ. Č[82]

 

 Celle-ci adoptera les symboles nationaux et donc choisissait lÕimage de lÕAcadie quÕon utiliserait pour former ce peuple nouvellement ŽveillŽ. Les membres de cette Žlite Žtaient ceux qui pouvaient le plus facilement avoir une voix, qui avaient les rŽseaux dans lequels ils se faisaient entendre. Les premiers, donc, ˆ affirmer lÕidentitŽ acadienne.

 

Le choix et lÕutilisation de symboles, ˆ partir de la fin du 19e sicle, par les Acadiens ont servi ˆ solidifier ce nationalisme naissant. Cela semble permettre une reconnaissance de soi par lÕAcadien, sans toujours avoir ˆ se remŽmorer tout les Žvnements tristes et difficiles, peut-tre mme humiliants, du sicle dÕavant : ĒThus myths are encoded in rituals, liturgies and symbols, and reference to a symbol can be quite sufficient to recall the myth for members of the community without need to return to the ritual. Č[83]

 

Cela Žtant dit, il fallait sÕassurer que cette identitŽ collective soit assez forte pour rŽsister aux alŽas que comporte la position du groupe minoritaire : Ē ...afin que le discours gagne la cohŽrence nŽcessaire pour entrer en concurrence avec le discours traditionnel, il devait faire du signe Acadie son centre. Č[84] On a donc encouragŽ la rŽfŽrence au passŽ commun, et la mention de lՎvŽnement de la DŽportation pour resserrer les liens entre les membres du groupe Acadien. Ē LÕAcadie Žtait lÕobjet dÕun culte national qui prenait formes de culte aux anctres, pŽlerinages sur les lieux historiques, visites quasi officielles dans la diaspora acadienne, ftes nationales, commŽmorations sacrŽes, etc. Č[85]

 

Mais lÕarrivŽe du 20e sicle apportait des bouleversements importants dans la sociŽtŽ en gŽnŽral, et cette faon dÕassurer la survivance de lÕidentitŽ acadienne allait aussi devoir changer naturellement : Ē De tels choix ne sont pas faits une fois pour toutes. Au contraire, ils sont effectuŽs continuellement ; ils sont tant™t rŽaffirmŽs, tant™t mis en question, dŽbattus, rejetŽs et remplacŽs par dÕautres. Il sÕagit de processus en relation dynamique avec les circonstances changeantes. Č[86]

 

Comme partout ailleurs, les annŽes 1960 apportrent des changements dans la voix acadienne. On acceptait moins lÕimmuabilitŽ des symboles acadiens, et la vision traditionnelle dÕune Acadie unique. On commenait ˆ contester cette faon de reprŽsenter lÕidentitŽ acadienne, quÕon voyait comme rŽpŽtant, voire perpŽtuant la domination anglophone : Ē The Acadians, seeing themselves as having been displaced first into, then out of, Acadie, continually liberate themselves from authority and domination by breaking down their own monolithic and traditional forms. Č[87]

 

            LՎlite acadienne rŽsisterait quand mme ˆ ces changements, comme le dŽmontre lÕexemple de la fermeture du dŽpartement de sociologie de lÕUniversitŽ de Moncton :

 

Ē LÕamorce dÕun champ sociologique acadien fut toutefois interrompu par la fermeture en 1969 du dŽpartement de sociologie de lÕUniversitŽ de Moncton. Cette fermeture Žtait une rŽaction des notables acadiens ˆ lՎmergence dÕun discours sociologique critique sur leur sociŽtŽ, tout en Žtant un signe de la difficultŽ quÕaura lÕAcadie de se percevoir ˆ travers les outils de la modernitŽ scientifique. Č[88]

 

            Sur le plan politique, le premier ministre du Nouveau-Brunswick dÕorigine acadienne, Louis J. Robichaud, Žlu en 1960, avait introduit une sŽrie de projets de loi ˆ lÕAssemblŽe lŽgislative qui reprŽsentait une rŽforme vŽritablement rŽvolutionnaire des institutions civiles au Nouveau-Brunswick. CÕest comme si, avec ce premier leader acadien, venait tout dÕun coup lÕaccs ˆ la sociŽtŽ civile :

 

Ē En Acadie, au Nouveau-Brunswick, un vaste programme de rŽamŽnagement de lՃtat provincial aura lieu sous la direction du gouvernement Robichaud (1960-1970) et aura pour consŽquence de substituer lՃtat ˆ lՃglise, la bureaucratie aux clercs dans la gestion de la sociŽtŽ civile. Les institutions acadiennes (Žcoles, collges, h™pitaux, gestion locale des populations) seront ainsi ŽtatisŽes, faisant dorŽnavant de lՃtat provincial le lieu principal de lÕaction de la communautŽ (ThŽriault, 1984). En 1971, le morcellement de la vieille SociŽtŽ nationale des Acadiens en diffŽrentes associations provinciales (la multiplication des Acadies) vient symboliquement confirmer la fin de la grande Acadie. Č[89]

 

            MalgrŽ les changements que cela a provoquŽ au sein des organismes acadiens traditionnels, il reste que ce rŽamŽnagement a reprŽsentŽ une Žtape cruciale de lÕintŽgration acadienne.

           

           

La traduction et lÕintŽgration

 

La crŽation de la Ē confŽdŽration Č canadienne en 1867 co•ncide avec le dŽbut de lՎveil acadien, lÕun nՎtant en rien la cause de lÕautre. Le contexte politique acadien allait pourtant subir des changements importants :

Ē ...rappelons comment la naissance de lÕidŽologie nationale acadienne (1860-1880) sÕinscrit dans la foulŽe de lÕintŽgration Žconomique des communautŽs francophones des Maritimes ˆ un capitalisme continental et ˆ la rŽalitŽ politique nouvelle crŽŽe par la ConfŽdŽration canadienne (Mailhot, 1975)... Č[90]

 

En effet, si la majoritŽ des Acadiens ont votŽ de manire anti-fŽdŽraliste[91], contrairement aux anglophones, un journal de lՎpoque annonce pourtant que Ē ...dŽsormais, Acadiens et QuŽbecois font partie dÕun mme ensemble politique Č[92].

 

 Cette nouvelle rŽalitŽ politique comprend des dispositions constitutionnelles qui assurent une certaine protection de droits linguistique, notamment pour apaiser le QuŽbec, mais bŽnŽficiant finalement aux Acadiens. En effet, lÕarticle 133 de lÕActe dÕAmŽrique du Nord britannique dispose de ce qui suit :

 

Ē Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la lŽgislature du QuŽbec, lÕusage de la langue franaise ou de la langue anglaise, dans les dŽbats, sera facultatif; mais dans la rŽdaction des archives, procs-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, lÕusage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pice de procŽdure par-devant les tribunaux ou Žmanant des tribunaux du Canada qui seront Žtablis sous lÕautoritŽ de la prŽsente loi, et par-devant tous les tribunaux de QuŽbec, il pourra tre fait Žgalement usage, ˆ facultŽ, de lÕune ou de lÕautre de ces langues.

            Les lois du parlement du Canada et de la lŽgislature de QuŽbec devront tre imprimŽes et publiŽes dans ces deux langues. Č[93]

 

            LÕimportance de ce nouveau contexte constitutionnel nÕest pas nŽgligeable, puisquÕil donne ˆ la langue franaise un statut politique sžr et protŽgŽ : Ē When language has social, cultural, and political attributes apart from the mere communication value, it can ease any scheme of domination. For example, to require a group that has for centuries used one script to use another in all official matters could mean the exclusion of its members from public service, even if the official language is intelligible to its members. Č[94] Ce sera donc le premier pas vers une plus grande intŽgration.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(Source : Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, ˆ la page 162)

 

Mme si Ē ...lՎquivalence ne serait quÕun pis-aller, et pour les juristes, un Ē compromis Č. Č[95], la logique du compromis affecte dŽsormais la population entire du Nouveau-Brunswick, les francophones comme les anglophones. LՎgalitŽ des deux langues officielles entra”ne que le texte franais est tout aussi valable que le texte anglais.

 

Or, la traduction enrichit aussi lÕensemble du systme juridique, puisquÕelle Ē constitue un outil critique complŽmentaire aux mŽthodes traditionnelles dÕinterprŽtation lŽgislative. Č[96] Toutefois, on privilŽgiera Žventuellement la mŽthode de la corŽdaction plut™t que la traduction ˆ partir dÕun texte original. Cette mŽthode respectera davantage le Ē gŽnie Č de chaque langue, tout en assurant lՎgalitŽ rŽelle des deux textes :

 

Ē En fait, lÕinstauration de la corŽdaction reposait sur une volontŽ de rŽparer les inŽgalitŽs du passŽ. En effet, il sÕagissait davantage de respecter la culture juridique et linguistique franaise du Canada que de pallier la mauvaise qualitŽ des versions traduites en franais. Dans la foulŽe du respect des deux langues officielles au Canada, on a dŽcidŽ de changer les anciennes pratiques afin de donner au juriste francophone un statut Žgal au juriste anglophone. Č[97]

 

 

La common law et lÕAcadie

 

La common law sÕest plus ou moins appliquŽe aux habitants acadiens depuis la conqute, malgrŽ la rgle constitutionnelle anglaise mentionnŽe plus haut concernant la diffŽrence entre colonisation et conqute. En effet, Ē aux termes de lÕarrt rendu en lÕoccurrence (lÕaffaire Calvin de 1608), lorsque le roi dÕAngleterre conquiert les possessions dÕun souverain pa•en, il substitue au droit local le droit anglais. Par contre, sÕil conquiert le royaume dÕun souverain chrŽtien, les habitants conservent leur droit jusquՈ ce que la Couronne anglaise dŽcide de le remplacer par un droit nouveau. Č[98] MalgrŽ cela, pour plusieurs raisons, la common law sÕest appliquŽe aux Acadiens depuis 1719, ds lÕoctroi des premires commissions royales sur le territoire.[99]

 

Le seul fait dÕavoir ˆ composer avec lÕanglais comporte-il une forme de domination? Parler lÕanglais, est-ce adopter la mentalitŽ qui irait avec? Cela nÕest certes plus le cas aujourdÕhui, mais ˆ une Žpoque o la common law au Canada ne se faisait pas aussi accueillante ˆ lՎgard du franais, ce pouvait facilement avoir un effet. Comment le peuple acadien a-t-il donc fait pour Žviter lÕassimilation ou la domination complte au fil du temps, si elle a ŽtŽ obligŽ de composer avec le systme de common law, tellement britannique? Pour rŽpondre ˆ cette question, on doit dÕabord se demander, quÕest-ce que la common law? Roscoe Pound affirme que cÕest dÕabord un Žtat dÕesprit, en les termes suivants :       

 

Ē CÕest une attitude dÕesprit qui envisage les choses dÕune manire concrte, non dans lÕabstrait ; qui a foi dans lÕexpŽrience plus que dans les abstractions. CÕest une attitude dÕesprit qui prŽfre avancer prudemment, sur le fondement de lÕexpŽrience, de ce cas-ci ou de ce cas-lˆ au cas suivant, comme la justice dans chaque cas semble le requŽrir, au lieu de sÕefforcer de tout ramener ˆ de prŽtendus universaux. (...) CÕest un Žtat dÕesprit fondŽ sur la solide habitude anglo-saxonne de manier les choses et de rŽgler les problmes comme ils se prŽsentent, au lieu dÕanticiper sur leur solutions par des formules abstraites universelles. Č[100]

 

            Un juriste de common law en franais, Donald Poirier, a relevŽ les ŽlŽments suivants de la common law qui sÕaccordent avec les caractŽristiques du peuple acadien : le raisonnement par induction, une conception parcellaire du droit, lÕhabiletŽ ˆ vivre dans lÕincertitude intellectuelle, la tendance ˆ faire confiance ˆ lÕexpŽrimentation, la mŽfiance ˆ lՎgard des administrateurs, et le respect libertŽs individuelles.[101] 

 

            Reste quÕun des facteurs qui appuient ces affinitŽs est lՎducation assimilatrice : Ē Il nÕest donc pas Žtonnant que les Acadiens et les Franco-canadiens ne se sentent pas nŽcessairement dŽpaysŽs par la common law, surtout quÕils sont dŽjˆ initiŽs ˆ la mentalitŽ anglo-saxonne dÕapprŽhender les choses par lՎducation quÕils reoivent sur les bancs dՎcole. Č[102]

 

Un autre aspect de lÕalliance quÕil y existe entre la common law et le peuple acadien est la conception du fait de faon narrative et imagŽe, ce qui expliquerait pourquoi le Ē rŽsidu oral Č caractŽrisant la sociŽtŽ acadienne est arrivŽ ˆ se trouver une place dans un systme juridique dominŽ par une autre langue. De fait, on dit de la common law quÕelle ne se fonde pas autant sur lÕabstrait et la logique que les systmes ˆ base romano-germaniques, du moins sur la face des choses. Ceci caractŽrise aussi les sociŽtŽs de type oral. Comme le dit Ong : Ē...oral cultures tend to use concepts in situational, operational frames of reference that are minimally abstract in the sense that they remain close to the living human lifeworld. Č[103] On pourrait ainsi aller jusquՈ dire que la structure narrative fondamentale au discours juridique depuis le dŽbut de la pratique de la common law en franais, donc gr‰ce ˆ la traduction et ˆ lÕaccs Žgal aux institutions professionnelles juridiques, est effectivement universelle.

            Cette intŽgration dans le monde de la common law ne laisse toutefois pas cette dernire inaltŽrŽe :

Ē Les Acadiens ne se sont toutefois pas contentŽs dÕassimiler la common law. Ils ont tentŽ de la modeler ˆ leur image et ˆ leur faon dÕaborder la rŽalitŽ. Cette appropriation de la common law se manifeste surtout dans trois domaines : lÕenseignement de la common law en franais, la pratique du droit en franais et la lŽgislation sociale adoptŽe par lÕAssemblŽe lŽgislative du Nouveau-Brunswick. Č[104]

 

En effet, la lente intŽgration des Acadiens dans la sociŽtŽ, et leur intŽgration concomitante au systme juridique, veut dire des changements au systme lui-mme. Un de ces changements importants est celui de lÕintroduction de lÕobligation de traduire les arrts et lois importantes au pays, et de faon moins Žtendue, au Nouveau-Brunswick.

 

On verra un peu plus loin que le systme juridique est effectivement devenu un outil important pour la communautŽ acadienne, en ce que cette dernire a suivi la tendance moderne ˆ la judiciarisation de ses revendications. Ce nÕest cependant arrivŽ quÕaprs une longue pŽriode de relation incertaine avec le systme juridique.

 

            QuÕest-ce que cela signifie par rapport ˆ la culture juridique acadienne? CÕest que cette culture se serait modifiŽe pour prendre avantage de lÕaccs tout rŽcent au systme juridique, accordŽ par lÕinstitutionnalisation professionnelle qui a eu lieu au cours du 20e sicle (mais surtout dans sa deuxime moitiŽ). La citation de Roger Cotterrell suivante semble bien rŽsumer cette dynamique :

 

Ē Legal culture controls the pace of production of demands brought before the legal system for specifically legal solutions to problems or protection of interests. And, by more obscure and complex means, legal culture seems also to determine the legal systemÕs responses, partly, it would seem, through the operation of internal legal culture shaping legal structures and partly through ŌexternalÕ pressures, reflecting social distributions of power and influence, which equally affect the systemÕs responses. Č[105]

 

La judiciarisation des revendications acadiennes

 

Les dispositions insŽrŽes dans la Charte canadienne des droits et libertŽs, ench‰ssŽe dans la constitution canadienne en 1982, pour protŽger les minoritŽs linguistiques, ainsi que les lois sur les langues officielles fŽdŽrales et provinciales (dans le cas du Nouveau-Brunswick, notamment), servent Žvidemment dÕoutils de revendication pour les populations linguistiques minoritaires au Canada. Ce sont incontestablement les francophones hors-QuŽbec qui en ont le plus bŽnŽficiŽ durant lՎvolution de la jurisprudence de la Cour suprme du Canada en ce qui a trait ˆ la question des droits linguistiques.

 

Face ˆ ce contexte post-Charte, il semble naturel que lՎducation juridique spŽcifique aux droits linguistiques vienne ˆ voir le jour. En effet, la FacultŽ de droit de lÕUniversitŽ de Moncton, crŽŽe en 1978, forme des avocats francophones dans un systme de common law (celui du Nouveau-Brunswick). LÕutilisation du droit pour lÕaction collective dans le cas des francophones hors-QuŽbec est claire, comme en tŽmoigne la crŽation des associations de juristes francophones au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-ƒcosse, en Ontario, au Manitoba, au Saskatchewan, en Alberta, et en Colombie-Britannique, ainsi que la ConfŽrence des juristes dÕexpression franaise de common law de lÕAssociation du Barreau canadien.

 

Les diffŽrences entre les perspectives sociologiques et juridiques sont intŽressantes ˆ ce niveau. En effet, pour Joseph-Yvon ThŽriault, Ē quand les droits minoritaires deviennent une politique (ce qui ˆ mon sens est largement devenu le cas au cours des vingt dernires annŽes), elle dŽsubstantialise, dŽnationalise et dŽpolitise la question minoritaire. Č[106] Ė lÕopposŽ, pour Donald Poirier, la judiciarisation des droits linguistique para”t plut™t nŽcessaire : Ē ...les juristes acadiens se prŽsentent comme la nouvelle gŽnŽration capable dÕarticuler ce passage de la sociŽtŽ traditionnelle ˆ la modernitŽ au moyen du droit, conformŽment aux autres sociŽtŽs modernes. Č[107]

 

LÕidŽologie juridique est donc trs diffŽrente de la perspective sociologique au sujet de la judiciarisation. Le professeur Waddams affirme la nŽcessitŽ du r™le politique de la Cour suprme du Canada ainsi : Ē But, in Canada, unlike England and the United States, the basic structure of the State is far from settled. Indeed, the future of Confederation is in doubt, and insofar as the legal system can, as on occasion it must, deal with the problems of intergovernmental relations, these are the concern of constitutional law. The Supreme Court of Canada is thus compelled to play a political role. Č[108]

 

Les rŽactions ˆ une telle judiciarisation des revendications acadiennes sont mixtes :Ē CÕest la rŽfŽrence ˆ une telle mŽmoire qui donnait une substance ˆ la communautŽ dÕhistoire et qui Žtait lՎlŽment de motivation prŽsidant ˆ leur lutte pour la survivance de leur culture.

La judiciarisation de la question minoritaire fait passer la revendication minoritaire du registre de lÕhistoire ˆ celle dÕayant droit.(...) Ē LÕayant droit Č est porteur dÕune revendication froide, celle de la logique du droit ; le Ē minoritaire culturel Č dÕune revendication chaude... Č[109] Or, la rŽalitŽ semble vouloir que ce soit un dŽveloppement inŽvitable, compte tenu lÕuniversalitŽ de ce phŽnomne.

 

Le phŽnomne du cause-lawyering est aussi prŽsent dans ce mouvement vers la judiciarisation des questions acadiennes. Les bŽnŽfices sont tels que lÕexpliquent Jacques Commaille :

 

Ē Ainsi, si lÕon examine en situation les usages du droit par des agents sociaux, cela doit permettre, ce qui ne serait pas dans la sociologie du droit de Pierre Bourdieu, Ē de restituer ˆ tous les agents, mme les plus dominŽs, des capacitŽs stratŽgiques, y compris celles de jouer avec les rgles juridiques en fonction de leurs propres enjeux. Č[110]

 

Le droit agit alors comme ressource aux groupes minoritaires, lorsque dÕautres gendres de ressources peuvent manquer. Lorsque lÕinstitutionnalisation professionnelle juridique est possible, cÕest lˆ o sÕouvre de toutes autres possibilitŽs politiques pour le groupe en ce contexte de judiciarisation.

 

Ē Ces professionnels sont susceptibles ainsi de devenir les porte-parole dans lÕespace judiciaire utilisŽ comme arne publique de contestations et de revendications exprimŽes par des groupes sÕestimant exposŽs ˆ des discriminations, victimes dÕinŽgalitŽs dans le cadre de relations dÕexploitation ou de domination. Les professionnels du droit apparaissent alors comme des acteurs sociaux investis ou qui sÕinvestissent dÕune mission particulire ˆ partir dÕune mobilisation du droit permise par leur compŽtence et eur savoir-faire spŽcifique, cette mission pouvant tre tout ˆ la fois de promotion dÕune cause ou/et dÕopposition ˆ des orientations dŽfinies par lՃtat ou par un pouvoir politique peru comme injuste. Č[111]

 

 

 

 

Conclusion

 

Nous avons tentŽ de dresser un portrait de la culture juridique acadienne et les changements que cette dernire aurait subi au fil de son existence.  Or quÕest-ce donc quÕune culture juridique acadienne? Si la culture juridique reprŽsente la dŽfinition quÕon en donne dans lÕintroduction, soit les outils ou les rŽsultats du processus par lequel une classe sociale bien dŽfinie peut Žmerger, on peut affirmer que la culture juridique acadienne reprŽsente le processus historique dÕintŽgration sociale, qui a menŽ ˆ une relation au droit permettant lÕaccs des Acadiens ˆ sa culture interne.

 

LՎvolution de la culture juridique ˆ partir des origines jusquՈ aujourdÕhui passe par plusieurs Žtapes, de lÕautonomie et le pluralisme juridique, par lÕintŽgration sociale, la traduction, et finalement la judiciarisation. La culture juridique externe, quant ˆ elle, est passŽ dÕune mŽfiance ˆ lՎgard du systme anglophone, ˆ une vision du droit comme ressource privilŽgiŽe pour assurer le respect des droits minoritaires en Acadie.

 

En effet, en tant que peuple francophone assujetti au pouvoir anglais, le processus dÕintŽgration et de dŽveloppement dÕun statut dՎgalitŽ en tant que sujet juridique fut long, compliquŽ et essentiellement communicatif. On pourrait dire que la question de la lŽgitimitŽ du pouvoir Žtatique nÕa ŽtŽ rŽsolu quÕune fois plusieurs ŽlŽments mis en place : reprŽsentation politique, lŽgislation imposant une certaine justice sociale, assurant ainsi un rapprochement des statuts socio-Žconomiques des deux groupes linguistiques ; la reconnaissance rŽelle lŽgislative de lՎgalitŽ de statut de la langue franaise et de la langue anglaise et la traduction subsŽquente de documents juridiques (production de lexiques, traduction de lois, arrts, rgles de procŽdure), entre autres facteurs. ƒvidemment, un aspect important de ces dŽveloppements est la communication du droit ˆ ceux ˆ qui il est imposŽ.

 

On pourrait aussi dire que jusquՈ ce quÕil y ait eu Ē institutionnalisation sociologique Č[112] des lois ou du droit pour les Acadiens, ces derniers vivaient effectivement ˆ c™tŽ du droit Žtatique, dans leurs communautŽs isolŽes principalement ordonnŽes par dÕautres ordres normatifs, par exemple celui de lՃglise catholique romaine. Ė cette Žpoque, lÕAcadie formait une communautŽ traditionnelle, plut™t quÕune communautŽ politique.

 

LÕapparition des Acadiens sur la scne politique a rendu possible une plus grande intŽgration dans la sociŽtŽ, et par consŽquent leur a permis de devenir sujets de droit Žtatique. La cohŽsion sociale dÕune province bilingue comme le Nouveau-Brunswick est devenue plus facile ds que les Acadiens se sont fait inclure au processus communicatif dont rŽsulte la production de droit. Puisque pour que la population francophone puisse se sentir comme faisant vŽritablement partie de la sociŽtŽ, Ē lÕimportant (...) cÕest dÕ Ē enchanter Č les lois, de mobiliser ˆ leur profit lÕimaginaire fondateur et lÕaffect politique... Č[113], il fallait que la common law se transforme pour prendre en compte la voix acadienne.

 

Si, comme lÕaverti le sociologue Joseph-Yvon ThŽriault contre une judiciarisation trop poussŽe de la question acadienne, Ē le droit ainsi conu affirme le vrai ou le faux, le droit ou le non droit, il Žloigne les partis en cause de tout esprit de dialogue, de mŽdiation, bref, de compromis politiques Č[114], on pourrait rŽpondre que la culture juridique acadienne peut toutefois assurer en elle-mme une certaine mesure de compromis, de mŽdiation. Mais de toute faon, le temps des compromis et des mŽdiations entre groupe minoritaire et groupe majoritaire est-il rŽvolu?

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Ost, Franois et L. Van Eynde, Le droit au miroir de la littŽrature, in Lettres et lois, sous la direction de F. Ost et L. Van Eynde, Bruxelles, Publications des FacultŽs universitaires Saint-Louis, 2001, ˆ la page 7.

[2] Pennisi, Carlo, ĒSociological Uses of the Concept of Legal Culture Č, in David Nelken (dir.), Comparing Legal Cultures, Dartmouth, Aldershot, 1997, ˆ la page 105.

[3] Hadden, Sally, ĒNew Directions in the Study of Legal Cultures Č, (2002) 33 Cambrian Law Review 1, ˆ la page 7.

[4] Colbert ˆ Talon, 5 janvier 1666 (ANC), C11A, II : 199, citŽ dans Daigle, Jean, Ē LÕAcadie de 1604 ˆ 1763, synthse historique Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, 1993, ˆ la page 9.

[5] Ē ...en 1670, environ 400 Acadiens font face ˆ plus de 50 000 habitants du Massachusetts... Č, ibid., ˆ la page 9.

[6] Johnston, A.J.B., Ē The Call of the Archetype and the Challenge of Acadian History Č, (2004) 5 French Colonial History 63, ˆ la page 65.

[7] Griffiths, Naomi, ŅThe Golden Age: Acadian Life, 1713-1748Ó, (1984) 17 Histoire sociale/Social History 21.

[8] Supra note 6, ˆ la page 71.

[9] Vanderlinden, Jacques, Ē La rŽception des systmes juridiques europŽens au Canada: Regards dÕun historien du droit sur ses origines Č, (1996) 1 Revue de la common law en franais 1, ˆ la page 7.

[10] Johnston, A.J.B., ĒBorderland Worries: Loyalty Oaths in Acadie/Nova Scotia, 1654-1755 Č, (2003) 4 French Colonial History 31, ˆ la page 32.

[11] http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/acadiens-deportation.htm

[12] Supra note 5, ˆ la page 39.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] Supra note 6, ˆ la page 67.

[16] Couturier, Jacques Paul, Ē Quelques ŽlŽments de la culture juridique acadienne ˆ la fin du 19e sicle Č, (1995) 28 Revue de lÕUniversitŽ de Moncton 81, ˆ la page 83.

[17] Supra note 5, ˆ la page 31.

[18] Poirier, Donald, ĒLa common law en franais : outil dÕassimilation ou de prise en charge? Č, (1996) 1 :2 Revue de la common law en franais 215, ˆ la page 227.

[19] Vanderlinden, Jacques, ĒĖ la rencontre de lÕhistoire du droit en Acadie avant le DŽrangement : premires impressions dÕun nouveau-venu Č, (1995) 28:1 Revue de lÕUniversitŽ de Moncton 47, ˆ la page 48.

[20] Supra note 18.

[21] Supra note 9, ˆ la page 21.

[22] Alliot, Michel, 2002 (1983), Ē Anthropologie et juristique. Sur les conditions de lՎlaboration dÕune science du droit Č, in Alliot, Michel, 2003, Le droit et le service public au miroir de lÕanthropologie. Textes choisis et ŽditŽs par Camille Kuyu, Paris, Karthala, ˆ la page 284.

[23] Supra note 9, ˆ la page 23.

[24] Supra note 19, ˆ la page 78.

[25] Supra note 19, ˆ la page 79.

[26] Dictionnaire encyclopŽdique de thŽorie et de sociologie du droit, sous la direction de AndrŽ-Jean Arnaud, Librairie gŽnŽrale de jurisprudence du droit, Paris, 1993, ˆ la page 150.

[27] Caron, Caroline-Isabelle, Ē La narration gŽnŽalogique en AmŽrique du Nord francophone Č, (2002) 4 Ethnologies comparŽes : MŽmoires des lieux 1, ˆ la page 2.

[28] Jacquot, Martine L., Ē Je suis la charnire: Entretien avec Antonine Maillet Č, (1988) 13 Studies in Canadian Literature/ƒtudes en littŽrature canadienne 2.

[29] Supra note 19, ˆ la page 63.

[30] Supra note 19, ˆ la page 64.

[31] Bastarache, Michel et AndrŽa Boudreau Ouellet, ĒDroits linguistiques et culturels des Acadiens et des Acadiennes de 1713 ˆ nos jours Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Chaire dՎtudes acadiennes, UniversitŽ de Moncton, 1993, ˆ la page 386.

[32] Ibid., ˆ la page 392.

[33] Ibid., ˆ la page 393.

[34] Doucet, Philippe, ŅLa politique et les AcadiensÓ, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Chaire dՎtudes acadiennes, UniversitŽ de Moncton, 1993, ˆ la page 307.

[35] Supra note 9, ˆ la page 18.

[36] Alliot, Michel, Ē LÕacculturation juridique Č, dans Poirier, Jean (dir.), Ethnologie gŽnŽrale, EncyclopŽdie de la plŽiade, 1968, Gallimard, Bruges, ˆ la page 1192.

[37] Supra note 31, ˆ la page 394.

[38] Slemon, Jane, Ē Liminal Space of the Aboiteaux: Pilgrimage in MailletÕs PŽlagie Č, (2003) 26:4 Mosaic: a Journal for the Interdisciplinary Study of Literature 17, ˆ la page 18.

[39] Paratte, Henri-Dominique, Ē Du lieu de crŽation en Acadie: entre le trop-plein et nulle part Č, (1993) 18 Studies in Canadian Literature/ƒtudes en littŽrature canadienne 2 , ˆ la page 56.

[40] Supra note 31, ˆ la page 398.

[41] Boudreau, Raoul, et Marguerite Maillet, Ē LittŽrature acadienne Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, ˆ la page 713.

[42] Ē Alike were they free for Fear, that reigns with the tyrant, and envy, the vice of republics. Č, passage du pome ƒvangeline de Longfellow, citŽ par Johnston, A.J.B., Ē The Call of the Archetype and the Challenge of Acadian History Č, (2004) 5 French Colonial History 63, ˆ la page 79.

[43] Runte, H.R., Ē Romancing the Epic: Forward to the Past with Antonine Maillet Č, (1992) 4 Romance Languages Annual, ˆ la page 145.

[44] Supra note 28, ˆ la page 10.

[45] Maillet, Antonine, PŽlagie-la-Charrette, MontrŽal, LemŽac, 1979, ˆ la page 15.

[46] Ibid.

[47] Crecelius, Kathryn J., Ē LÕhistoire et son double dans PŽlagie-la-Charrette Č, (1981) 6:2 Studies in Canadian Literature/ƒtudes en littŽrature canadienne 1, ˆ la page 1.

[48] Supra note 45.

[49] Ibid., ˆ la page 207.

[50] Supra note 45, ˆ la page 208.

[51] Ibid., ˆ la page 209.

[52] Ibid., ˆ la page 210.

[53] Ibid., ˆ la page 262.

[54] Ibid., ˆ la page 329.

[55] Ibid., ˆ la page 331.

[56] Ibid., ˆ la page 338.

[57] Ibid., ˆ la page 339.

[58] Ibid., ˆ la page 341.

[59] Ibid., ˆ la page 342.

[60] Supra note 39, ˆ la page 57.

[61] Supra note 38, ˆ la page 26.

[62] Supra note 45, ˆ la page 16.

[63] Winn, Peter A., Ē Legal Ritual Č, (1991) 2:2 Law and Critique 207, ˆ la page 226.

[64] Supra note 38, ˆ la page 20.

[65] Ost, Franois, Raconter la loi : Aux sources de lÕimaginaire juridique, ƒditions Odile Jacob, Paris, 2004, ˆ la page 11

[66] Ibid ˆ la page 4.

[67] Supra note 45, ˆ la page 186.

[68] Ibid, ˆ la page 80.

[69] Ibid., ˆ la page 81.

[70] Ibid., ˆ la page 83.

[71] Ibid., ˆ la page 55.

[72] Ibid., ˆ la page 86.

[73] Ost, Franois, Ē Le Sina• ou la loi nŽgociŽe Č, in Franois Ost, Du Sina• au Champ-de-Mars. LÕautre et le mme au fondement du droit, Bruxelles, Ed. Lessius, 1999, ˆ la page 29.

[74] Ibid., ˆ la page 30.

[75] Supra note 38, ˆ la page 18.

[76] Raymond Breton, Ē La communautŽ ethnique, communautŽ politique Č, (1983) 15 :2 Sociologie et sociŽtŽs, ˆ la page 35.

[77] ThŽriault, Joseph-Yvon, ĒEntre la nation et lÕethnie : Sociologie, sociŽtŽ et communautŽ minoritaires francophonesĒ, (1994) 26:1 Sociologie et sociŽtŽs 15, ˆ la page 15.

[78] Supra note 65, ˆ la page 72.

[79] Ost, Franois et Michel van de Kerchove, De la pyramide au rŽseau? Pour une thŽorie dialectique du droit, Publications des FacultŽs universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002, ˆ la page 519.

[80] Supra note 65, ˆ la page 72.

[81] Desjardins, P.-M., M. Deslierres, et R.C. LeBlanc, Ē Les Acadiens et lՎconomique : de la colonisation ˆ 1960 Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, ˆ la page 238.

[82] Beaulieu, GŽrard, Ē Les mŽdias en Acadie Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, Moncton, ˆ la page 538.

[83] Schšpflin, George, Ē The Functions of Myth and a Taxonomy of Myths Č, in Myths and Nationhood, Geoffrey Hosking et George Schšpflin, (dir.), , Routledge, New York, 1997, ˆ la page 20.

[84] Hautecoeur, J.-P., Ē Variations et invariance de lÕAcadie dans le nŽo-nationalisme acadien Č, (1971) 12 Recherches sociographiques 3, ˆ la page 260.

[85] Ibid., ˆ la page 266.

[86] Supra note 76, ˆ la page 27.

[87] Supra note 38, ˆ la page 24.

[88] Supra note 77, ˆ la page 23.

[89] Ibid., ˆ la page 19.

[90] Supra note 77, ˆ la page 18.

[91] ThŽriault, LŽon, Ē LÕAcadie de 1763 ˆ 1990, synthse historique Č, in Jean Daigle (dir.), LÕAcadie des Maritimes, Centre dՎtudes acadiennes, UniversitŽ de Moncton, 1993, ˆ la page 60.

[92] Ibid.

[93] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.)

[94] Ramaga, Philip Vuciri, Ē The Bases of Minority Identity Č, (1992) 14 :3 Human Rights Quarterly, ˆ la page 427.

[95] GŽmar , Jean-Claude, Ē Le plus et le moins-disant culturel du texte juridique. Langue, culture et Žquivalence Č, Meta, XLVII, 2, 2002, 163, ˆ la page 169.

[96] Lavoie, Judith, Ē Le discours sur la traduction juridique au Canada Č, (2002) 2 Meta 198, ˆ la page 200.

[97] Ibid., ˆ la page 205.

[98] Supra note 19, ˆ la page 61.

[99] Supra note 31, ˆ la page 386.

[100] Pound, Roscoe, Ē What is the Common Law? Č dans The Future of the Common Law, Harvard Tercentenary Publications, 1937, 3 aux pp. 18-19, trad. Par A. Tunc et S. Tunc, Le droit des ƒtats-Unis dÕAmŽrique. Sources et techniques, Paris, Dalloz, 1955, ˆ la page 88.

[101] Supra note 18, ˆ la page 229.

[102] Ibid., ˆ la page 244.

[103] Ong, W.J., Orality and Literacy: The Technologizing of the Word, London, Routledge, 1993, ˆ la page 49.

[104] Supra note 18, ˆ la page 245.

[105] Cotterrell, Roger, Ē The Concept of Legal Culture Č, in Comparing Legal Cultures, David Nelken (dir.), Dartmouth, Aldershot, 1997, ˆ la page 19.

[106] ThŽriault, J.-Y., Ē LÕidentitŽ et le droit du point de vue de la sociologie politique Č, (2003) 5 Revue de la common law en franais 1, ˆ la page 48.

[107] Supra note 18, ˆ la page 243.

[108] Waddams, S.M., Introduction to the Study of Law, 5e Ždition, Scarborough, Carswell, 1997, ˆ la page 61.

[109] Supra note 106, ˆ la page 49.

[110] Commaille, Jacques, ĒNouvelle Žconomie de la lŽgalitŽ, nouvelles formes de justice, nouveau rŽgime de connaissance. LÕanthropologie du droit avait-elle raison?Ē, in La qute anthropologique du droit, Christoph Eberhard et Genevive Vernicos (Žds.), Les Žditions Karthala, pp. 351-368, ˆ la page 354.

[111] Supra note 110, ˆ la page 367.

[112] Van Hoecke, Mark, Law as Communication, Hart Publishing, Oxford, 2002, ˆ la page 24.

[113] Supra note 65, ˆ la page 52.

[114] Supra note 106, ˆ la page 53.