ACADEMIE EUROPEENNE
DE THEORIE DU DROIT
FACULTES UNIVERSITAIRES KATHOLIEIKE UNIVERSITEIT
SAINT-LOUIS- BRUXELLES BRUSSEL
MEMOIRE
POUR LOBTENTION DU DIPLOME DE MASTERE EN THEORIE DU DROIT
QUELLE VOIE AFRICAINE DE LUNION ?
Elaboré et présenté par :
NDONGO ABOUBAKRI SIDI
Encadré par :
LOUIS ASSIER-ANDRIEU
Directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre comparatif détude des politiques publiques, CNRS/université de Montpellier I.
Année académique 2000/2001
PLAN GENERAL
TITRE : QUELLLE VOIE AFRICAINE DE LUNION ?
PREMIERE PARTIE : AUX ORIGINES DE LUNITE AFRICAINE
CHAPITRE I : PASSE LOINTAIN DE LUNITE AFRICAINE
CHAPITRE III : LIDEOLOGIE PANAFRICAINE.
DEUXIEME PARTIE : DES ETATS-UNIS DAFRIQUE A LA NAISSANCE DE LOUA ET DE LUNION AFRICAINE
CHAPITRE I : LOUA ET LE DEFI DE LUNITE AFRICAINE
CHAPITRE I : DE LOUA A LUNION AFRICAINE
INTRODUCTION
Lunion africaine nest pas un concept nouveau. Elle ne date pas non plus de linvention de lorganisation de lunité africaine dont le trente septième sommet qui sest tenu le 9 juillet 2001 à Lusaka (Zambie) sera probablement le dernier.
Lunion africaine sinscrit dans la lointaine et vieille aspiration des peuples africains à sunir afin de rassembler la force de leurs énergies et organiser le rythme dune vie communautaire dans le respect mutuel ,la compréhension réciproque et pour lintérêt de chacun et de tous.
Si lidée dunité ou dunion européenne remonte au dix septième siècle, lidée dunité africaine aussi a eu ses précurseurs bien avant que Kwamé Nkrumah ne publie en 1963 Africa must unite; quelle ne trouve son expression juridique dans la charte dAddis-Abeba et se concrétise notamment sous la forme dune organisation régionale dénommée : lOrganisation de lunité africaine (OUA).
Créée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba (Ethiopie), lOUA, cédera la place à lUnion africaine! Certes lOUA a eu des pères fondateurs tels que Kwamé Nkrumah, Houphouët Boigny, Léopold Sédar Senghor, Nasser, Mohamed V, Sékou Touré, Ahmed Ben Bella, Patrice Lumumba etc. ; il faut reconnaître que quarante ans plus tard, lUnion africaine naît dun inspirateur unique: Le colonel Mouammar Kadhafi.
Comme le traité de la Communauté européenne du charbon et de lacier (CECA) peut-être considéré comme le point de départ de lEurope communautaire, car il résulta de lappel lancé en mai 1950 par le ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman, en faveur de la création dun organisme supranational afin de trouver un règlement au contentieux de la Sarre et voulait marquer la fin de lantagonisme franco-allemand ; les premiers contours de lUnion africaines ont été définis à Syrte en septembre 1999 sur linitiative de Kadhafi.
Approuvé à lunanimité par ses pairs africains, elle a été adoptée à Lomé, lors du trente sixième sommet de lOUA (12 juillet 2000) et proclamé à Syrte (du 1er au 2 mars 2001). Son traité est entré en vigueur le 26 mai 2001, après la ratification par les deux tiers des Etats membres de lOUA.
Il y a deux ans, le principe dunité ou dunion africaine nétait plus à lordre du jour à la rencontre aux sommets des chefs dEtats, et nous écrivions ceci : "lidée dunité africaine cherche encore désespérément une forme réelle adaptée à la dimension du continent. Une unité dans laquelle tous les peuples dAfrique se reconnaissent et sidentifient. Ces peuples unis par lhistoire, par la géographie, la culture et lethnie affirment tous les jours leur désir de vivre unis dans une Afrique qui ninventerait rien en empruntant le chemin de lunité.
Linterrogation légitime des peuples qui consiste à demander quelle forme dunité adopter et dans quelle voie sengager pour arriver à ses fins a eu des précurseurs dans lhistoire.
Outre les grands empires constitués du VIIIème au XVIIème siècle, les regroupements sous-régionaux tentés par le colonisateur-mais qui obéissaient en réalité à ses schémas et ses intérêts-, en passant par le souffle du mouvement panafricaniste né au début du siècle dernier; lorganisation de lunité africaine fut en réalité la "seule relique vivante de lidée dunité africaine".
Accusée souvent pour ses faiblesses, sommée dinefficacité et dinutilité ou glorifiée et exaltée pour son unicité et authenticité, lOrganisation panafricaine a toujours suscité des prises de positions passionnées. Organisation continentale dont le nom fait encore rêver des millions dafricains, lOUA eut le mérite essentiel dexister mais surtout de résister aux crises internes qui la minent, et aux conflits frontaliers et inter-ethniques alliés aux problèmes du sous-développement, de la mal-nutrition et du Sida qui assaillent lAfrique.
Même si lOUA en tant que telle na pas résolu nombre de conflits, ses sommets lont permis. Beaucoup de voix se sont élevées pour demander quelle était sa mission essentielle: réaliser à terme lunité africaine ou servir de cadre à lharmonisation des vues des gouvernements africains dans leur coopération bilatérale et multilatérales?
Dans lexpression "organisation de lunité africaine" le terme "africaine" se rapporte à "unité" et non pas à "lorganisation". Or si tel est le cas, souligne Edem Kodjo, lon doit se demander si lOUA est une organisation de lunité servant de moteur et de cadre à lunification du continent?
Pour dautres, si lorganisation panafricaine avait été créée pour réaliser lunité intégrative du continent, elle serait appelée: lOrganisation pour lunité africaine!
En tout état de cause, lorganisation créée par la charte dAddis-Abeba fut un compromis laborieux entre tenants de thèses supranationales et partisans de conceptions privilégiant les Etats. Ainsi, lOrganisation de lunité africaine sest pendant longtemps assignée comme mission prioritaire, la libération de lAfrique du joug colonial. Une victoire réelle dont elle se plaie dailleurs de rappeler chaque fois que loccasion lui est donnée de dresser son bilan.
Cet objectif étant atteint à lheure actuelle, nest-il pas grand temps de sattaquer aux problèmes importants de lheure, que sont la place de lAfrique dans le concert des nations, caractérisé aujourdhui par la mondialisation de léconomie et des échanges.
Pour quelle parle dune seule voix, lUnion africaine paraît nécessaire!
Mais, aujourdhui, plus quhier, dans la voie africaine de lunion, on est en droit de se demander quelle union Africaine réaliser:
Pour cela notre réflexion portera sur les origines du concept de lunité africaine ( première partie) en interrogeant la tradition culturelle africaine, les tentatives de regroupement régionaux observés à travers lhistoire des empires, le mouvement panafricain né au début du 20ème siècle qui a aboutit à la création de lorganisation de lunité africaine(OUA) et aujourdhui de lunion africaine(UA) en perspective du siècle commençant (deuxième partie)
PREMIERE PARTIE
AUX ORIGINES DE LUNITE AFRICAINE
"Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir dans la conscience le sentiment dune continuité historique, indispensable à la consolidation dun Etat multinational. (...) Il nest pas indifférent pour un peuple de se livrer à une telle investigation, à une pareille reconnaissance de soi; car, ce faisant, le peuple en question saperçoit de ce qui est solide et valable dans ses propres structures culturelles et sociales, dans sa pensée en général; il saperçoit aussi de ce quil y a de faible dans celles-ci et qui par conséquent na pas résisté au temps. Il découvre lampleur réel des emprunts, il peut maintenant se définir de façon positive à partir de critères indigènes non imaginés mais réels. Il a une nouvelle conscience de ses valeurs et peut définir maintenant sa mission culturelle, non passionnément, mais dune façon objective; car il voit mieux les valeurs culturelles quil est le plus apte, compte tenu de son état dévolution, à développer et à apporter aux autres peuples."
CHAPITRE I
PASSE LOINTAIN DE LUNITE AFRICAINE
Du point de vue sociologique, lentreprise politique dorganisation continentale est déterminée au moins par ce facteur déterminant des conditions naturelles.
Ainsi avant dentrer dans le vif du sujet, il nous a paru opportun de situer lAfrique dans le monde, par sa position géographique, mettant surtout laccent sur la diversité dans lunité, sur la relative homogénéité des conditions géographiques, sachant que :
"Plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les murs , les manières; doù il se forme un esprit général qui en résulte.
À mesure que, dans chaque nation, une de ces causes agit avec plus de force, les autres lui cèdent dautant. (...)"
SECTION 1 : LE MILIEU PHYSIQUE
En Afrique une homogénéité relative des conditions géographiques simpose dabord de façon évidente aux observateurs de lextérieur.
Avec ses 30 300 000 km2, trois fois plus vaste que lEurope, équivalent les trois quart de la superficie de lAsie, lAfrique bénéficie datouts inestimables que lon rencontre nulle part ailleurs sur aucun autre continent.
La forme de lAfrique est remarquable par rapport à celle de lAmérique du Nord, à celle de lEurope et à celle de lAsie qui sont mal délimitées du fait de la jonction de leur sommet avec les pôles.
LAfrique est au centre des cinq continents et par conséquent au centre de la planète. Baignée au nord par la Méditerranée, à lOuest par lOcéan atlantique, au sud et à lEst par lOcéan indien (canal du Mozambique, au nord-est) par la mer Rouge, elle est rattachée à lAsie par la péninsule du Sinaï et listhme de Suez devenu canal de Suez.
Mais ce qui la rend stable et cadrée, cest sa situation par rapport à léquateur, aux tropiques, aux latitudes. En effet elle est coupée en deux moitiés égales par léquateur, aspect que ne présente aucun autre continent. Même lAmérique du sud dont le sommet culmine autour du 10ème degrés de latitude nord et 50 degrés de latitude sud, ne se trouve pas dans la même situation déquilibre. Ainsi lancien secrétaire général de lOUA peut écrire:
"...Dans cet hémisphère austral, entre lAsie et lAmérique latine, lAfrique dans sa totalité, représente le continent central, contrôlant sur terre , sur mer, et dans les airs, les voies de communications entre la masse asiatique dune part, lEurope et lAmérique atlantique de lautre, deux masses démographiques et deux pôles industriels dimportance majeure sur la carte géo -économique mondiale.
Les stratèges qui élaborent pour le compte de leurs gouvernements les doctrines globales et leurs applications tactiques ont si bien compris cette importance géostratégique du continent africain quils lont purement et simplement intégré, non seulement dans leur New Strategic Map selon lexpression de M. Geoffrey Kemp, mais également dans leur éventuel plan de campagne militaire".
Lhomogénéité physique se retrouve sur le plan du relief, de lhydrographie et du climat où il jouit dune certaine stabilité et même dune relative homogénéité ainsi que lécrit le professeur Ki-Zerbo
:
" Ce qui frappe dans ce pays des Noirs, cest sa grande diversité, qui ne doit pas cependant nous masquer une profonde unité, en grande partie sur la relative homogénéité des conditions géographiques".
Sans doute, faute dune chaîne montagneuse comparable à la cordillère andine ou au complexe himalayen, lAfrique manque t-elle dun élément essentiel de contraste. De grand reliefs existent, mais ils sont morcelés. En dehors de lEthiopie, nulle part ne parvient à sesquisser cette répartition en altitude des hommes et des activités si bien réalisées dans lAmérique tropicale montagneuse avec la superposition des terres froides. Mais le continent tout entier, découpé comme à lemporte-pièce, est plus continental quaucun autre, plus étranger au monde océanique.
Le bloc forestier équatorial est lun des plus vastes du monde et le Congo ne le cède en puissance quà lAmazone. Les grands lacs africains nont pas déquivalent dans le reste de la zone tropicale et les aires dépandage intérieur à caractère de marécages permanents ou saisonniers en atteignent en Afrique un développement inégal.
De part et dautre de lEquateur, lAfrique noire étale dimmenses bandes zonales avec la même monotonie dans la diversité, la même violence. Monotonie du sol : le vieux continent du socle pré zambien gratino-gneissique est avec les boucliers du nord lun des premiers points du globe à sêtre consolidé.
La monotonie successive de la vaste forêt, de limmense savane, des steppes à mimosas (Sahel) et des paysages désertiques semblent être une réplique parfaite à cette monotonie du sol, contrastant avec la violence et la puissance de la vie et du climat chaud. La vie prolifère sous toutes ses formes : dans la savane par exemple, écrit Ki-Zerbo :
" La pluie sabat avec une fureur pathétique durant quelques mois dhivernage. Tout le reste de lannée, cest le règne de lalizé et de lharmattan, lesquels aspirent brutalement toute lhumidité et balayent toute trace de nuage : le ciel arbore alors tour à tour léclat torride du soleil-roi et la somptueuse livrée des astres nocturnes. Ces scénarios climatiques grandioses et impératifs nont pu que façonner petit à petit la mentalité des hommes. "
Mentalité forgée également par le caractère remarquablement massif et le relatif isolement du continent africain.
Un continent isolé :
A la différence de lEurope ( carrefour des hommes, des idées et des marchandises), soudée à lAsie et à lAfrique du nord, partie intégrante du monde méditerranéen, lAfrique au sud du Sahara a vécu dans lisolement. Isolement relatif, mais suffisant pour conférer à sa géographie des aspects de vase clos et de repli sur soi. Le fait capital réside ici dans la présence du Sahara. Il est de pires déserts au monde mais aucun aussi largement dilaté en latitude, ni surtout qui établisse comme lui une cloison continue dun bord océanique à lautre.
LAfrique noire est une terre ramassée sur elle-même un pays massif dont la longueur des côtes, en général rectilignes, est infime par rapport à la superficie. Peu de sites portuaires naturels; la barre sy oppose ainsi que les marais.
Ici les fleuves ne sont pas de grandes routes en marche. La disposition du relief fait que le Niger, le Sénégal, le Congo et bien dautres fleuves encore séloignent dabord de la mer et ny aboutissent enfin que par une succession de ruptures de pentes et descaliers formidables. La forêt et le désert filtrent les tentatives de pénétration ou les arrêtent.
Ces conditions géographiques, qui ont rendu difficiles les communications et différé les contacts avec le reste du monde habité, ont par contre, largement favorisé la circulation à lintérieur de lAfrique au Sud du Sahara : haut relief toujours facile à contourner, désert marginaux, savanes et forêts clairs éminemment perméables facilitant la pénétration et la traversée du seul du véritable obstacle, la forêt équatoriale, qui sarrête dailleurs aux grands lacs, en sorte quil est possible de la contourner par lest.
Cependant, sevrées des relations extérieures fructueuses qui eussent favorisé léclosion des techniques nécessaires à la maîtrise et à lorganisation de lespace, les sociétés africaines, repliées sur elles-même ont dû pour vivre et prospérer sadapter aux conditions locales faute de pouvoir les dompter, rythmer leurs activités sur le cycle immuable des phénomènes naturels qui les dominent.
Ainsi attachés à des techniques ancestrales à la merci des variations imprévisibles des précipitations ou des crues, de leur irrégularité dune année à lautre.
Lidentité des conditions naturelles a créé des équilibres identiques entre lhomme et la nature qui progressivement modelé une unité culturelle remarquable de la civilisation négro-africaine, tant il est vrai que les "peuples qui ont longtemps vécu dans leur berceau dorigine ont été façonnés dune manière durable par leur milieu".
SECTION II : LUNITE CULTURELLE DES PEUPLES DAFRIQUE
Il y a certes des "Afriques" qui, en réalité datent des années soixante. Mais, il y a surtout une civilisation africaine organique dont " la profonde unité culturelle est restée vivace le long des âges sous des apparences trompeuses dhétérogénéité".
Lorganisation de la société traditionnelle africaine est à ce point de vue significative et lune de ses réalisations les plus révélatrices est le sentiment quelle donnait et donne encore dans certaines proportions à ses membres et la pratique universelle de lhospitalité sur laquelle ils pouvaient et peuvent encore compter.
Car si lAfrique reste de nos jours une terre de valeurs respectables et enviables, cest quelle a su assurer la pérennité de son unité culturelle qui est le fondement de toutes les autres formes dunité vécues ou revendiquées ici et là dans lespoir de bâtir des puissances économiques politiques et financières.
Ainsi, les principes fondamentaux de la personne humaine, stipulés partout dans les chartes déclaratives de droit sobservent et se pratiquent à vue dil dans la vie de tous les jours des populations africaines mais à leur manière: Lhospitalité, la solidarité, la fraternité, laltruisme, la tolérance, etc. sont autant de valeurs vécues, intériorisées et toujours magnifiées dans une Afrique pourtant diverse et multiethnique mais dont lunicité est réelle.
Que peut-on retenir de cette Afrique, celle dhier, lAfrique des traditions pré coloniales ?
Dabord sa fidélité à ses valeurs qui sont nées dune expérience de vie et de recherches de plusieurs générations. Fidélité et ténacité malgré les crises et les bouleversements internes et externes. Comprendre cette constance, cest saisir quil faut cesser de voir ces valeurs qui sont encore vivantes pour plus de la moitié des populations actuelles en termes négatifs, en les qualifiant de " pratiques barbares" ou de comportements irrationnels.
Enfin, comme disait Montaigne, "chacun appelle barbarie ce qui nest pas de son usage".
Dans la société africaine traditionnelle, lindividu riche aussi bien que pauvre étaient entièrement en sécurité. Les fléaux de la nature apportaient de la famine pour tout le monde, pauvres ou riches. Personne ne vivait dans la privation, manquant de nourriture ou de dignité humaine, sous prétexte quil navait pas de richesses personnelles; chacun pouvait compter sur les biens que possédaient la communauté dont il était membre : "Ce que tu gagnes appartient au clan, ce nest pas à toi den disposer" dit le proverbe Lari.
Caractéristique à cet égard est la civilisation africaine où la qualité de vie ne dépend pas encore totalement de largent, mais de la qualité des rapports humains quotidien dans leur milieu de vie habituel.
Alors que dans dautres civilisations, largent est une valeur essentielle qui doit être respectée dans les rapports humains dune façon privilégiée (car en dehors de la famille les prestations de service sont données contre de largent), en Afrique largent a été inconnu jusquà une époque récente. Jusquà la première moitié du XXème siècle, les cauris (monnaie locale en petits coquillage) étaient utilisés en paiement. Les services entre personnes dune même origine, dun même quartier, dun même village nétaient jamais payés. La sagesse communautaire créée de tels liens et de telles habitudes quon est sûr que celui qui a reçu un service selon les besoins, rendra service à son tour selon les besoins.
Le salaire dun service rendu est une confiance dans la disponibilité de celui à qui été demandé le service. Léchange gratuit des services crée des liens familiaux à léchelle du quartier , du village ou de la ville... On devient ainsi frère de la grande famille africaine, frères de quartier, de village. Cette coutume qui a duré jusquà aujourdhui et qui, il est vrai commence à saffaiblir, avec les influences extérieures nest pas pratiquée avec les étrangers, qui nont pas partagés la vie communautaire du village. Avec ceux-ci, on peut passer des contrats, on discute les prix. Mais si ces étrangers sont devenus amis, on ne fait pas de prix, on se contente de dire quils seront payés après les récoltes par exemple, sans fixer de somme. On ne fait pas de contrat en famille. On nattend pas une promesse en famille. On se fait, jour après jour, une plus grande confiance sans attendre dautre récompense quune confiance toujours renouvelée, redonnée.
Cest que ; en Afrique, lindividu nest appréhendé quà lintérieur du groupe qui fonde sa réalité sociale. "La naissance à terme dun enfant, est un événement heureux non seulement pour les parents, mais pour le village, la tribu et, sur un plan plus vaste lhumanité tout entière."
Dans le système de vie communautaire tissé de multiples brassages, lindividu sidentifie autant au groupe familial, tribal ou ethnique auquel il appartient de par sa naissance, quaux classes dâges et leurs réseaux spécifiques ou aux circuits formés à travers des relations damitié dalliance ou de parenté à plaisanterie. Son statut se caractérise par les services rendus au groupe et qui contribuent à garder intactes la personnalité du dernier, sa dignité, sa respectabilité et par extension lhonneur de la famille dont il porte le nom, de la tribu ou de lethnie quil représente et dont il doit veiller à sauver partout la face.
Le fait que la société soit le lieu privilégié de laction et de la présence humaine, est une preuve quen Afrique les humains ne se confondent pas avec le monde.
La société est linstitution la plus chargée de sens, ce qui explique pourquoi le projet social officiel traditionnel met plus laccent sur le groupe, le collectif.
De là certains auteurs ou observateurs en ont conclu quen Afrique la personne nexiste pas parce quelle est "écrasée et effacée par le groupe".
À ceux-là, Nabé-Vincent Coulibaly répond : "Cela reviendrait au même de la part dun africain daffirmer que dans la société capitaliste industrialisée le groupe nexiste pas puisquon vise à garantir les droits et libertés de la personne y compris par la propriété privée, etc.
La personne existe, et elle est reconnue pour telle. Cest en tant que personne quon entre dans lhistoire et le panthéon dun village ou dune famille comme illustre. Dans la vie quotidienne, cest en tant que personne que les membres dun groupe portent la responsabilité de leurs actes, et cela à tous les niveaux. Cest en tant que personne quil faut "ajouter son grain de sel" à la tradition léguée par les ancêtres pour mériter la postérité.
Pour les traditions peule et bambara décrites par Hampâté Bâ, la notion de personne est au départ très complexe : deux termes servent à désigner la personne.
Pour les peuls, ce sont Neddo et neddaaku, pour les Bambara, ce sont Maa et Maaya. Le premier signifie "la personne" et le second : "les personnes de la personne". Et comme le dit lexpression bambara : "Les personnes de la personne sont multiples dans la personne."
On retrouve exactement la même notion chez les peuls. Cette notion implique donc une multiplicité intérieure, des plans dexistence concentriques ou superposés (physique, psychique et spirituels à différends niveaux), ainsi quune dynamique constante...
Mais pour la réalisation de la personne, en Afrique on dit quelle nest rien sans les autres, car, "En arrivant (naissance), elle vient dans leurs mains, et en partant (mort), elle sen va dans leurs mains.", proverbe bambara.
Ainsi, la société africaine a-t-elle fait le choix de lhumain qui entraîne celui du groupe, comme condition et garantie de sa réalisation et de sa plénitude ?
Les sociétés africaines ont donc une foi immense en lhumain, ce qui fait dire aux wolofs que "le remède de lhumain cest lhumain", mais elles suspectent quelque peu la personne dont les aspirations et ambitions ont tendance à renverser lidéologie et les traditions anciennes, ainsi que la prépondérance voulue par le groupe.
On doit alors souligner quil faut que laction de la personne aille dans le sens du renforcement du groupe, de la collectivité à laquelle elle appartient.
Il arrive quelle vise une réussite strictement personnelle, opposée aux intérêts des autres. Mais la différence résiderait ici dans le fait que chacun agit et vit en ayant en tête deux ordres de motivation :
- le sien propre et surtout ;
- celui du groupe social.
Dans lAfrique noire traditionnelle, le régime foncier est pratiquement partout le même. La terre était toujours reconnue comme une propriété de la communauté. Comme elle est héritée des ancêtres, chacun à lintérieur de la société avait le droit de lexploiter et il ny avait pas dautre droit que celui-là. Lidée ne serait venue à personne den revendiquer un autre!
En Afrique, les rites de linitiation ou du sacre des rois comportent partout lidée de la victoire sur la peur et sur la mort par la naissance à une vie nouvelle. Chez les Mossi, à la mort dun souverain, le héraut officiel clame : "le feu sest éteint". Or, dans dautres parties de lAfrique, notamment dans le Boganda, un feu sacré constitue le symbole même de lEtat, et dans les Royaumes Nkole (Grands Lacs) ainsi quau Darfour à lannonce de la mort du roi, le feu de la cour royale était éteint.
Certains rythmes de tam-tam sont identiquement les mêmes du pays dogon ( Mali ) au pays zoulou ( Afrique du sud ). Certaines pratiques sociales comme la gérontocratie, se rencontrent partout. Le vieillard était respecté pour son âge et les services quil rendu à la communauté. Le respect dont les jeunes lentouraient lui revenait de droit parce quil était plus âgés queux et quil avait servi la communauté plus longtemps. Dans lAfrique traditionnelle, le vieillard "pauvre" était entouré dautant de respect que le vieillard "riche".
Deux dictons de la sagesse populaire montrent pourquoi les africains cultivent et entretiennent encore le sentiment de vénération et daffection à légard des personnes âgées. Hampâté Bâ disait dans la phrase qui lui a rendu célèbre à lUNESCO quen Afrique, " un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle".
Et parce qu on sait que "le secret des vieux ne se paie pas avec de largent mais avec de bonnes manières " ( proverbe mandingue), on semploie comme on peut à réserver un traitement honorable à ses dépositaires de la connaissance et de la sagesse.
Voilà pourquoi, les personnes âgées sont mieux traitées en Afrique que partout ailleurs.
Ensuite vient le sentiment de solidarité qui anime la communauté des membres du même clan, lesquels se considèrent comme des "frères", étant constituées de "même sang", des "mêmes âmes", de "même corps", de "même taille", "de même poids", de "même couleur-papaye-mure ".
On les dit sortis de la même graine, chauffés, forgés, cuits et trempés dans le "même feu", coulés dans le "même moule" et le "même métal", dans la "même pierre", pétris dans la "même pâte", dépositaires exclusif du suc et sel de la "même terre".
Le "frère" sinstalle à la table de son "frère" sans autre forme de procès. Cest un privilège pour le second, un principe et un droit inaliénable pour le premier : pour tous les deux, un don béni des dieux et des ancêtres.
Au surplus, que lun deux vienne à être agressé, le "frère" du clan se doit de défendre son "alter ego" jusquau péril de sa vie, sans tenir compte de la nature du danger auquel il sexpose, sans se préoccuper des raisons qui sont à la base du trouble social : après tout, dit-on, cest un devoir sacré, un honneur et un privilège suprême que doffrir sa vie en sacrifice pour sauver et défendre la vie et le destin de son "frère".
Le devoir de solidarité est exclusif et ne sembrasse pas des exigences ou des calculs de ce qui pourrait ressembler à une sorte dopération de comptabilité commerciale.
En outre, de nombreux travaux ont montré la profonde parenté qui lie les langues dAfrique noire.
Une récente étude du journal lautre Afrique vient de publier que en dehors de celles du colonisateur, cinq grandes langues ont vaincu les frontières africaines, permettant une véritable intégration linguistique et culturelle en attendant plus.
- Larabe sous ses différentes formes est principalement parlé en Afrique du nord : Maroc, Algérien Tunisie, Libye, Egypte. Plus au sud, il touche une partie de lAfrique noire : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan
On estime à environ 180 million le nombre de personnes qui le parlent en Afrique.
- Le haoussa, langue du commerce par excellence est parlé par 60 millions de personnes dans les pays suivants : Niger, Nigeria, Bénin, mais aussi quelques localités au Cameroun, Soudan et Ghana, en raison de la forte présence de commerçants haoussas. Leur mobilité a suscité un fort métissage de la langue, par ses contacts avec, notamment le yorouba, larabe et langlais. Au Niger et Nigeria, le haoussa figure aujourdhui dans les constitutions parmi les langues nationales.
- Le swahili est parlé par 30 à 40 millions de personnes, réparties entre la Tanzanie, le Kenya, lOuganda, lest de la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, le Burundi, le nord de la Zambie, le Malawi, les Iles Comores, le Mozambique. Cest sans conteste la langue la plus diffusée dans cette partie de lAfrique. Elle a le statut de langue officiel en Tanzanie(avec langlais bien sûr ), et de langue nationale au Kenya.
- Le lingala, également appelé mangala, est une des multiples langues dAfrique centrale. Il partage avec les autres langues bantoues la même phonétique et, surtout, la même logique grammaticale et syntaxique. Il est massivement parlé en République démocratique du Congo (RDC) et en grande partie au Congo-Brazzaville. Il sétend aussi au Gabon et au Cameroun. On estime à environ 30 millions le nombre de locuteurs en RDC et 500 000 au Congo. Dans ces deux pays, il est probable que le déclin de linstitution scolaire (où lon enseigne en langue française) a favorisé lémancipation du lingala, qui a le statut de langue nationale.
- Classé dans le groupe ouest-atlantique de la famille Niger-Congo, le peul compte entre dix et seize millions le nombre de locuteurs. Il est parlé en grande partie dans un espace à dominante ouest-africaine : Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger, Guinée, Cameroun, Nigeria, Sierra Leone, Gambie, Guinée-Bissau, Burkina Faso, Togo, Bénin, République centrafricaine, Tchad, et dans quelques localités du Soudan. Cest une langue officielle dans six de ces pays.
Ces cinq langues, parlées par la moitié des peuples nunissent-elles pas lAfrique ?
Dans nations nègres et cultures, comme dans lunité cultuelle des peuples dAfrique noire, Cheikh Anta Diop apporte la preuve, à laide dexemples pris dans lorganisation sociale des Bantou du centre de lAfrique, les Towana du Bechuanaland en Afrique du sud et chez les Ashanti du Ghana en Afrique de louest que " le régime matriarcal est général en Afrique aussi bien dans lantiquité quà nos jours et que ce trait culturel ne résulte pas dune ignorance du rôle du père dans la conception de lenfant. "
Dans un autre domaine, et toujours pour marquer lunité foncière de la culture africaine, on peut faire observer avec Ibrahima Baba Kake que le statut de lesclave africain diffère de celui de lesclave européen ou musulman. Lesclave africain navait rien de commun avec lesclave européen ou musulman. En Afrique on admettait volontiers la captivité mais non lesclavage.
La mise en captivité était avec lamende, la sanction habituelle pour les crimes ne justifiant pas lexécution capitale. Certains captifs se livraient deux -même en gage avec leurs famille pour régler leur dette. Ces "gagés" pouvaient se racheter, eux et leurs proches, sous certaines conditions. On devenait également esclave pour certains délits antisociaux, tels ladultère et le vol. Les prisonniers de guerre, après des conquêtes militaires, devenaient également esclaves militaires.
Quant au traitement, le sort du captif en Afrique navait rien de commun avec celui de lesclave de traite. Le captif pouvait se marier, posséder des biens, avoir lui-même des serviteurs, et il nexistait aucune barrière lui interdisant dentrer en contact avec les hommes libres. Les mariages entre les enfants de captifs et ceux de leurs maîtres nétaient pas rares. Jusquà la venue des européens, les captifs étaient considérés comme des individus utiles et même précieux, dont la propriété entraînait des obligations spécifiques : la nourriture, lhabillement, labri et la protection. Cet extrait illustrera bien notre propos :
Laffranchissement du vieux captif
Vers le quatrième mois, Tierno Bokar en vint dans son enseignement, à traiter des qualités spirituelles propres aux différents prophètes mentionnés dans le coran, depuis les grands "Envoyés de Dieu" Adam, Abraham, Moïse et Jésus, en passant par tous les prophètes intermédiaires, pour finir par le prophète de lIslam.
Quand il en arriva à ce dernier, je fus particulièrement touché par ses qualités de générosité et de magnanimité, et particulièrement par deux de ses actions : le pardon quil accorda, lorsquil revint dans la ville de la Mecque, à tous ses anciens ennemis vaincus qui lavaient pourtant jadis si cruellement traité, lui et les siens; et, dautre part, laffranchissement de la totalité des "captifs" attachés à sa famille lorsque, en 633, il sentit venir la mort. Aucun deux, du vivant du prophète, navait accepté de le quitter; mais il voulait garantir leur avenir après son départ, et quitter ce bas monde les mains vides.
Désireux dimiter lattitude du prophète, je décidai daffranchir officiellement un homme que, de toute façon, je ne pouvais considérer comme un captif, et moins encore "mon" captif : je veux parler de Beydari Hampâté, élevé par mon père Hampâté comme un fils et désigné par lui sur son lit de mort comme gérant de ses biens et tuteur de ses enfants, et qui, depuis, avait toujours été pour moi le plus affectueux des grands frères, et pour toute ma famille un soutien fidèle. Certes, à lépoque et dans notre milieu, le terme de "captif" était plutôt devenu un terme dusage et ne recouvrait plus une réelle condition de servitude, mais cest tout de même un statut, et je souhaitais en libérer Beydari.
Je fis part de mon projet à Tierno Bokar.
"La libération ou le rachat des captifs est lun des actes qui furent le plus appréciés par Dieu et son prophète", me dit-il; et il attira mon attention sur le fait, dans un grand verset du Coran qui résume les fondements de la foi et du comportement conseillé aux hommes, cette libération est incluse dans les charités accomplies "pour lamour de Dieu" et citée avant même la prière, lacquittement de la dîme aumônière (zakkat), la droiture et la patience.
"Mais, ajouta-t-il, as tu de quoi doter Beydari ? On ne libère pas un captif en lui laissant les mains vides; ce serait le pousser vers la misère, qui est une autre forme de captivité grave. Je sais que Beydari a un métier, mais ceci nentre pas en ligne de compte.
- Mon cheval Thiadjel, qui a été premier prix classé aux courses de Tougan et de Ouahigouya et qui vaut en ce moment dix têtes de bétail, représente-t-il une dotation suffisante ? Si oui, je le léguerai à Beydari. Il pourra ainsi se constituer le début dun troupeau ce qui ne lempêchera nullement de rester dans la maison familiale et dy vivre comme auparavant, mais en homme libre.
- Là où une vache laitière suffit, dit Tierno, il est hors de doute que dix tête donneront dix fois satisfaction."
Le lendemain, il convoqua Beydari et, en ma présence, lui fit par de mon intention. Après un moment de stupéfaction, tout à coup le vieux captif fondit en larmes. Quand il put se reprendre, cest dune voix tremblotante, entrecoupée de plaintes, quil nous dit sa peine :
"Ô Tierno ! Le jour où mon père Hampâté ma arraché des mains du bourreau quétait le griot Amfarba, jai versé des larmes de joie. Avec mon père Hampâté, je nai jamais senti que jétais un captif. Jamais il ne ma frappé, jamais il ne ma fait manger des restes de repas, jamais, il ne ma tenu à lécart. Au contraire, il me faisait manger avec lui, et je dormais dans une pièce contiguë à la sienne. Il commandait mes vêtements dans la boutique même où le roi Aguibou Tall faisait faire les costumes de ses enfants, et mhabillait à leur image.
Mais aujourdhui, les larmes quAmadou Hampâté me verser sont le contraire de celle que ma fait verser son père il y a près de trente-neuf ans !
"Hampâté avait fait de moi son propre fils. Il ne sétait pas contenté de me placer à la tête des six captifs de sa maison, quil avait tous recueillis, il alla jusquà me léguer en mourant la gestion de tous ses biens et même la garde de ses deux fils, Hammadoun et Amadou, quil disait être mes petits frère.
"Quand Hammadoun est décédé dans la fleur de lâge, je nai plus eu de petit frère quAmadou ici présent. Je pensais que lui et moi serions unis pour la vie, car je ne connais aucun autre parent que lui. Et voilà quil décide de me rejeter ! Il dit quil veut me libérer, mais cela revient à me rayer de la maison de Hampâté où celui-ci mavait admis avec tant de cur et de charité. Comment pourrais-je ne pas pleurer à en épuiser toutes les marres, à en pleurer mon propre sang ! (...)"
Par ailleurs, personne nest dupe et chacun sait que dans les groupes hiérarchisés, le captif ou descendant népousera pas la fille de lhomme libre, il nen prétendra même pas! et que lhomme de caste prétendra toujours une fille de caste pour perpétuer sa fonction. Chacun se sent mieux à sa place peut-être.
Encore une fois lAfrique pré coloniale semble avoir fait le choix de modérer les contradictions plutôt que de les aiguiser et de les étaler sur la place publique au risque de donner raison ou tort à lune ou à lautre partie et de briser le consensus relatif qui maintient léquilibre social.
Pour les rois et les nobles, ils étaient le symbole de leur position, une nécessité de leur rang. Toute la vie des villes et des villages était caractérisée par cette protection quun homme puissant accordait à ses captifs; ce statut de protection était comparable pour une part à celui que le seigneur féodal européen dispensait jadis à ses serfs.
Les captifs occupaient parfois une position importante dans la société africaine, chez les Bambara par exemple. Dans le Kaarta et dans la région de Ségou, les hommes libres subissaient facilement la domination des captifs : dans la plupart des petits Etats de ces pays, lautorité se trouvait ordinairement entre les mains des Dion ( captif en bambara); les chefs confiaient à leurs prisonniers leurs trésors, leur famille, leurs affaires, la conduite de leurs troupes, et la foule des sujets nétait point choquée dobéir à de pareils ministres. Quand un souverain montait sur le trône du kaarta, le premier qui lacclamait était le chef des captifs; il étalait devant son souverain les trésors de la couronne.
Laction de ces facteurs naturels ( homogénéité relative des conditions géographiques, isolement relatif par rapport aux autres continents, et unité culturelle remarquable) particulièrement favorable au développement des aspirations des peuples africains vers lunité de leur continent se trouve confortée et fécondée par lexpérience historique de regroupements hégémoniques imposés à lAfrique par de puissantes dynasties.
CHAPITRE II :
LEXPERIENCE HISTORIQUE DES DYNASTIES
Lévocation de grands foyers de développement historique montre que par le passé, lAfrique na jamais souffert de carence politique. Tout au long de son histoire, elle a connue la formation de grands ensembles sous-régionaux, spécialement en Afrique de louest.
Du VIIIème au XVIIème siècle en Afrique se sont développés de grands empires et de puissants royaumes comme le Ghana, le Mali, le Sosso, le Songhaï ou le Congo ou les royaumes bantous.
En Afrique tropicale occidentale, les quatre grands empires de Ghana, Sosso, Mali et Songhaï, centrés entre le moyen Sénégal et les plateaux du Nigeria occupaient la majeure partie des territoires des Etats de la Communauté économique des Etats de lAfrique de louest (CEDEAO).
Léchelle géographique de ces unités politiques met en évidence le caractère artificiel, arbitraire et fantaisiste des frontières actuelles des Etats africains héritées de la colonisations. On devine le gâchis de communautés entières divisées par les frontières, qui se retrouvent dans plusieurs Etats, bravant sans mal les nouvelles barrières pour préserver le coron ombilical qui constitue leur lien naturel.
Les raisons expliquant le développement de ces grands ensembles se trouvent donc dans la géographie, léconomie et aussi le souci de sécurité. Cette zone où ont prospéré ces empires appartient tout entière à lAfrique tropicale moyenne, région réputée pour les meilleures territoires agricoles à céréales, qui comprend dans sa partie nord le pays de lélevage par excellence.
Des liaisons commerciales très intenses ont, au cours du moyen âge, mis en contact le Maghreb et les empires soudanais. Par des routes suivants les vallées, des anciens affluents septentrionaux du Niger, les Berbères du nord allaient visiter leurs congénères du sud qui possédaient dans ces vallées des établissements importants et même des villes. Sidjilmassa, au seuil du désert était lune des villes qui sillonnaient les caravanes. Elle constituait le point de départ des marchands. La pacotille apportée, au moyen âge, du Maroc à destination du Soudan comprenait le cuivre rouge, des vêtements de laine, des turbans, des colliers et des chapelets en verre, des parfums et des dattes.
A lépoque, lagriculture restait la base économique des Etats africains. Des souverains comme Ali Ber, lAskia Mohamed encouragèrent lagriculture; les paysans savaient pratiquer lirrigation, comme en témoignent maints vestiges de canaux construits à cet effet et trouvés le long du Niger. Au temps des Askia de Gao, lempire Songhaï bénéficiaient dune agriculture développée et dun élevage très riche, larmée Songhaï déploya contre larmée marocaine le stratagème qui consistait à se faire précéder dun important troupeau de bovidés. Soundjata aurait introduit au XIIIè siècle la culture du coton au Mali.
Les peuples de la savane constituaient une véritable civilisation des greniers dont les techniques (débrouillage sur brûlis, emploi de la houe adaptée à des sols légers et fragiles laraire nétait employée quen Ethiopie) furent rapidement au point. La recherche des aliments riches en protides (lait viande poisson) influença aussi les établissements humains : lélevage des bovins sur les hauts plateaux, la pêche dans les fleuves et les lacs. Ainsi les Sorkos, fondateurs de Gao, auraient été des pêcheurs.
Outre lor et les produits agricoles, les Etats africains possédaient dautres richesses contribuant également à leur épanouissement. Le cuivre et létain dabord firent la fortune de deux grandes régions métallurgiques : les pays du Niger inférieur et les plateaux du sud-est . Létain était connu au moins depuis le premier siècle de lère chrétienne dans lactuel Nigeria.
Lalliage de cet étain et du cuivre venu de Takkeda (sur les franges sahariennes) a permis aux artisans dIfe et du Bénin de fabriquer leurs fameux objets de bronze, selon la technique de la "cire perdue"; les moules dargile dans lesquels le métal était coulé, étaient façonnés à partir dun premier modèle de cire qui, ensuite, était fondu.
SECTION 1 : LEMPIRE DU GHANA
Ghana aurait signifié le pays des noirs. Ghana est dabord le non du roi, puis celui de lempire. La formation de lempire se situe au VIIIè siècle. Au début de ce siècle, la région allant de locéan atlantique au Niger était divisée en plusieurs royaumes aux peuples différents répartis entre le moyen Sénégal et la boucle du Niger, aux confins de la Mauritanie et du Mali actuel.
servira, au début à désigner, à désigner le pays des noirs en bloc. Il sétendait sur les rives du Bas-Sénégal. Vers le 9è siècle, il était commandé par une dynastie peul revenue du hodh en traversant le Tagant : ce sont les Dia Ogo.
- Le tekrour est un royaume dont le souverain est renommé pour son sens de la justice. Son pays est sûr, pacifique et tranquille. Son pays est sûr pacifique, pacifique et tranquille. Son commerce est très actif, consistant en importation de laine ou de coton pour les pauvres. Le premier roi de Tekrour à se convertir à lIslam, fut War Jabi Ndiaye, fils de Rabi. Il obligea ses sujets ses sujets à embrasser la même foi et notamment en 1040. Mais à partir de 980 déjà, les Dia Ogo du Tekrour avaient été renversés par la dynastie des manna, branche du clan Nyakaté des Dyara.
1. Le Royaume dAoudagost, du nom de sa capitale, occupait la Mauritanie actuelle. Une partie de ses habitants, les Berbères étaient de race blanche et commerçaient avec les caravaniers.
2. Le Royaume du Manding était peuplé de cultivateurs, les Malinké.
Le royaume Songhaï, peuplé de cultivateurs et pêcheurs, avait Koukiya pour capitale.
3. Le Royaume Mossi occupait lintérieur de Ouagadou, enfin était peuplé par les Sarakollé. Cétait le plus riche de tous grâce à lor tout proche. Ses rois ou Ghana ornaient leur tête de bijoux dor. Lun deux sappela Kaya Maghan, ce qui signifie roi de lor, la capitale de ce royaume était Koumbi Saleh.
Au VIIIè siècle, le riche roi des Ouagadou obligea les autre royaumes (sauf celui des Mossi) à lui obéir ou à être ses alliés. Le Ghana devenait ainsi un Empereur, car il avait sous son autorité plusieurs autres souverains; le grand terroirs formé par la réunion des petits royaumes a reçu le même nom que son empereur : le Ghana. Comme il avait réussi à fédérer tous les Etats, on dit que le peuple Sarakollé avait unifié la région.
Cest de 990 à 1076 que la civilisation ghanéenne brilla de tout son éclat. Le Ghana était à son apogée et se caractérisait par une organisation administrative, politique et militaire impressionnante.
A : Lorganisation politique et administrative de lempire.
Alors que lEurope, à la suite des invasions germaniques seffritait en une multitude de souverainetés et que sa civilisation sombrait dans lanarchie, on voit lempire noir sagrandir, lautorité simplanter et simposer partout, même aux Berbères et les plus turbulents du Sahel.
La prospérité et la sécurité du Ghana ont frappé les voyageurs arabes dont la plupart avaient pourtant visité les grandes cités du Maghreb et dEspagne.
Ladministration ghanéenne combinait plusieurs systèmes de gouvernement selon les sujets.
Lempire était divisé en provinces et royaumes, subdivisés en cantons et villages. Les royaumes tels que le Diara, le Sosso etc., étaient gouvernés par des rois vassaux qui payaient tribut et fournissaient leur contingents de guerriers aux rois; certaines provinces étaient régies directement par les gouverneurs de Tounkara. Cétait le cas dAoudaghost où résidait un gouverneur noir. Il faisait exécuter les ordres impériaux, levait les droits de douanes et assurait la police. Il rendait la justice au nom du Tounkara. Comme lui, il avait sa cour et ses audience, il était aidé dans chacune de ses fonctions par de nombreux auxiliaires.
Les gouverneurs et les rois vassaux étaient le plus souvent à la cour du Tounkara où ils jouaient le rôle de conseiller et de ministres. LEtat était dirigé par un premier ministre confident de lEmpereur. Dautres ministres soccupaient du trésor impérial, des étrangers blancs, du gouverneur de la capitale, des services dintendance, du palais de la justice, etc.
Le Tounkara choisissait ses hauts dignitaires soit parmi les esclaves et les étrangers musulmans, soit parmi les princes. A ses audiences assistaient tous les grands.
Les affaires importantes étaient débattues en grand conseil qui comprenait les hauts fonctionnaires de lEtat, les anciens respectés pour leur âge et leur expérience, les otages fils de rois vaincus. La cour impériale était le centre de la vie politique.
Cette organisation administrative et politique était doublée dune autre , militaire qui concernait la défense de lempire.
B : Lorganisation de la défense de lEmpire
Lempire en imposait par sa puissance armée. Certains peuples du nord, tels les Berbères turbulents ne pliaient que devant la force. Limmensité de lempire nécessitait une grande armée. Celle-ci comptait 200 000 guerriers, dont 40 000 archers.
Larmée ghanéenne regroupait des hommes appartenant à différents peuples. Elle comprenait la garde impériale, mais surtout des contingent fournis par les vassaux noirs et berbères. Les vassaux (dont les flèches étaient empoisonnées) et les lanciers en formaient lélite. Les cavaliers et les chameliers berbères jouaient un rôle non moins important. Lempereur était à la fois le chef de larmée, le chef des prêtres et de la justice.
Puissante et redoutable, cette armée ghanéenne devait malheureusement se heurter aux Almoravides, commandés par Abou Bakr, ceux-ci ont attaqué le Ghana et, au bout de dix ans de résistance, ils ont pris Koumbi en 1077 . Pourtant les Almoravides ont brusquement quitté ce pays pour aller combattre en Afrique du nord, où leur chef fut tué.
Le Ghana fut délivré. Il na cependant pas retrouvé sa puissance, car ses vassaux avaient profité de la victoire des Almoravides pour se séparer de lui . A nouveau le pays se trouvait divisé en royaumes dispersés. Au même moment, de longues périodes de sécheresse ont poussé beaucoup dhabitant à partir vers les pays du sud, plus humides et plus riches en or.
Ruinée, la ville de Koumbi ne fut bientôt plus quun village. La puissance de lempire du Ghana avait donc duré trois siècles, du 8ème au 11ème siècle.
Le second empire connu dans la région est Sosso.
SECTION : 2 LEMPIRE SOSSO
Lhistoire de cet empire est beaucoup plus courte. Sosso appartenait au Ghana au moment de son apogée; mais comme les autres royaumes, elle a profité de la ruine de Koumbi pour se gouverner elle-même vers 1100. Les rois, très hostiles à lIslam ont alors recommencé lunification de la région. Le plus connu Soumangourou Kanté réunit neuf royaumes dans son empire. Celui de Manding lui résista plus longtemps que les autres, mais sa capitale fut détruite et Soumangourou fit périr la famille royale de ce pays sauf un jeune infirme, Soundiata Keita. Vers 1230, lempire de Sosso était à son apogée.
En 1235, Soundiata Keita a vengé son pays. Il a surpris Soumangourou à la bataille de Kirina où lempereur de Sosso vaincu, disparu. Sosso fut détruit, son empire sécroula. Soundiata Keita va alors fonder lempire du Mali.
SECTION 3 : LEMPIRE DU MALI
Dans cette région avait grandi un modeste royaume : Le Manding ou Mali (Malinké) veut dire homme du Mali. Délivrés par léclatante victoire de Soundiata, les paisibles agriculteurs du pays Manding ou Mali sont devenus de redoutables guerriers et ont entrepris à leur tour, la conquête dun très vaste empire, plus étendu encore que celui de Ghana.
Parce que lEmpire de Ghana avait été ruiné par les conquêtes des nomades sahariens, le Mali qui est lun des plus grands Etats de lAfrique pré coloniale sest déplacé vers le sud à la hauteur du 12ème degré de latitude nord au lieu du 16ème pour le Ghana.
Du milieu du XIIème au XVème siècle, à cheval sur le Niger, le Mali sétendait au loin dans la boucle du Niger et englobait à louest les places aurifères du Bourre, du Galaro, jusquà la frontière de lactuelle République du Mali, ainsi que tout le pays entre lAtlantique vers la Gambie et la région de Gao comprise : "immense empire très puissant où régnait la paix", cet empire dit Joseph Ki-Zerbo, qui sétendait du Sénégal à Gao (2 000 Km) et du désert à la sylvestre tropicale (2 000 Km) fut sans doute le plus glorieux du moyen âge africain.
Cétait un empire bien organisé, divisé en trois secteurs découpés eux-même en cantons, puis e, villages. Des gouvernements noirs, répartis dans le pays, obligeaient chacun à obéir aux ordres de lempereur, maître de lensemble de son pays. La police et larmée veillaient, lordre et la justice régnaient. Les habitants du pays paraissaient riches et heureux.
Le professeur Ki-Zerbo atteste que lun des secrets de la réussite du Mali réside dans la mise au point dun système politique souple dans ce pays sans bureaucratie généralisée. Il sagissait dune sorte "dindirect rule" sur les provinces périphériques à laquelle sajoutaient la tolérance religieuse et le prosélytisme, exercé uniquement par linfiltration pacifique des marchands. De telle sorte que, pendant plus dun siècle, au cours de sa belle époque, le Mali a réalisé un modèle dintégration politique où des peuples aussi variés que les Touareg, les Wolof, les Malinké et Bambara, les Songhaï, les peul et Toucouleur, les Dialonké reconnaissent un seul souverain.
Dans cet espace, les hommes, les biens et les idées circulent librement. Il nest pas nécessaire de se déplacer en caravane, la sûreté est complète et générale dans tout le pays.
Cet empire bénéficia ainsi, sans aucun doute, de la construction politique la plus prestigieuse du moyen âge africain
Le Mali figure sous le nom de Melli sur lAtlas catalan offert à Charles V de France par le fameux cartographe majorquin Abraham Cresques.
Le même Atlas montre un prince assis sur un trône, tenant un sceptre dans une main, et dans lautre un lingot dor quil tend à un chamelier berbère. Sous cette image est portée linscription suivante : "Le Seigneur noir est appelé Musse Mally, seigneur des Noirs de Ginea (Guinée) . Le roi est le plus riche et le plus noble seigneur de toute cette région pour labondance de lor que lon retrouve sur cette terre. "
Ibn Khaldoun nous a donné sur le Mali et son Mansa (empereur) des détails précis. Le Tarikh-es-Sudan nous apprend que, prince pieux et équitable, Kankan Moussa na été égalé par aucun autre prince. Un autre informateur arabe Ibn Batouta, admire la bonne administration qui règne sur les terres de lempire malien.
Les fonctionnaires se révélaient probes et courtois, les mines dor du Bourre alimentaient en grande partie le trésor impérial, le commerce était actif, les routes sûres et les vols assez rares.
La monnaie en usage était le mikhtal dor, qui pesait 4.5g. Le sel de Teghazza, en barre ou en morceaux servait également de monnaie.
Delafosse, lun des meilleurs connaisseurs de lhistoire africaine, parlant du Mali, écrit : "La zone daction du Mansa est lun des phénomènes historiques les plus extraordinaires quil nous soit donné denregistrer". "Les pays du Mali connaissent une paix absolue quauraient pu lui envier la majeur partie des Etats européens contemporains".
Lempire du Mali dura jusquen 1645, mais dès le XVème siècle les premiers signes de la décadence étaient apparues. Lempire Songhaï déjà prenait de limportance.
Ainsi, à partir de 1400, le Mali ne peut résister aux nombreux ennemis qui lattaquent. Ce sont les Touareg du désert, les Toucouleurs de louest, les Mossi du sud, les Songhaï surtout qui reprennent Tombouctou et Djenné et qui préparent à leur tour un empire. Cest la période du déclin ou de la décadence du Mali; vers 1500, le Malin a perdu toutes ses conquêtes, il nest pas plus grand quau temps de Soundiata. Vers 1600, il nest plus quune province, Niani, son ancienne capitale nest plus quun petit village, car les belles constructions en banco nont pas résisté.
Cest en souvenir de ce très grand empire quune République africaine de la même région du Niger a pris de nos jours le nom de Mali.
SECTION 4 : LEMPIRE SONGHAI
Le quatrième grand empire du Niger fut lempire Songhaï. Le relais du Mali fut pris par lEmpire de Songhaï, aussi vaste que celui de Charlemagne; cest le plus grand quait connu lAfrique tropicale médiévale. Parlant de son souverain Koukia, le Tarikh et Fettah, un auteur musulman dit quil fut toujours victorieux et que " lui présent, aucune de ses armées ne fut mise en déroute, toujours vainqueur, jamais vaincu".
Tous les commentateurs modernes saccordent à faire de lui un grand roi, lun des plus prestigieux quait connu lAfrique noire. Il été non seulement un guerrier vainqueur, mais aussi un organisateur, un administrateur, tout comme Napoléon et un habile politique qui sut voir loin.
Il avait fort bien perçu les dangers qui menaçaient son pays et avait cherché à les éliminer ou à les diminuer : Les Touareg, les peuls, le Mali, lIslam. Lavenir devait lui donner raison.
Battant les Touareg, dans les campagnes miliaires il sut acquérir Tombouctou et toute la boucle du Niger. Vainqueur des Barida du Borgou, des peuls, des gour manches, des Dogon et autres, il étendit sa domination dans tout le cours moyen du Niger et, à sa mort en 1492, son empire allait de Denti à Mopti, éclipsant de loin le Mali moribond.
Pour administrer le pays, il plaça à la tête des diverses provinces des représentants sûrs, organisa la flottille Songhaï en un puissant moyen de liaison et de transport, dautant plus nécessaire que lEtat était axé sur le Niger. Il creusa des canaux dirrigation et de communication et sut maintenir dune poigne ferme les diverses régions de lempire. Ses successeurs annexèrent la majeure partie des Etats Haoussa à lest. Le Songhaï avait vers 1516, une étendue énorme.
Tout louest africain des savanes lui appartenait directement, ou indirectement par vassal interposé, des approches du Tchad au Sénégal. Seul le Bournou avait échappé de justesse à lemprise de Songhaï et il était obéi des salines de Teghaza en plein Sahara jusquaux abords de la forêt. Lorganisation politique de lempire était très remarquable et peut-être plus élaborée encore que celle du Mali. A la tête, il y avait lempereur qui, le jour de son intronisation, reçoit comme insignes, un sceau, une épée, et un Coran.
Lempire était divisé en provinces dirigées par des gouverneurs : hauts fonctionnaires dont certains avaient une compétence territoriale et dautres une compétence purement fonctionnelle. La religion fut encouragée. Toumbouctou, Djenné, Oualata devinrent les grands foyers intellectuels et religieux. Lépoque shonorait de grands noms tels que le dialecticien Gae Zagaria, les professeurs Ahmed et Mohamed Baghayogo. Luniversité de Tombouctou accueillaient alors des étudiants venus de tous les coins dAfrique soudanaise.
Malgré les guerres civiles et les autres luttes entre prétendants, le Songhaï se maintiendra jusquà la fin du XVIème siècle où il fut envahi par le Maroc.
A côté de lAfrique tropicale occidentale se sont développés parallèlement en Afrique centrale et australe des grands foyers.
Ainsi sur le bas Congo, les portugais ont découvert avec étonnement le royaume qui a donné son nom actuel au fleuve (1482) . Au nord du Congo existait un autre grand Etat, le Loango. Du Loango, qui sétendait du cap Lopez à lembouchure du Congo, dépendaient dautres Etats, le Kalongo et le Ngoyo, habités comme aujourdhui par des Fiotes et des Bavilis.
En Afrique centrale, au XVème siècle, comme le montre la tradition orale, il existait dans lOuganda de puissants royaumes de lâge de fer. Les traditions de Karanga disent que leur clan dirigeant, les Rosuris, sembarquèrent sous les ordres de leur Mûtoa (roi) dans une vaste empire de conquête impériales (1440), entreprise qui les conduisit jusquà locéan Indien et qui leur assura lhégémonie sur toutes les terres comprises entre la Rhodésie du sud ( Zimbabwe) et le Mozambique.
LAfrique orientale et australe révèle aux archéologues dinnombrables établissements miniers et métallurgiques : dans lancien royaume de Monomotapa, on extrayait le cuivre et létain à partir des galeries qui descendaient jusquà trente mètres de profondeurs : au IXème siècle, des mineurs du Katanga coulaient des lingots de cuivre en forme de croix de Saint-André. Une partie de tous ses métaux était exportée, une autre travaillée sur place : on a souvent considéré, ainsi que le rappelle Ibrahima Baba Kake, que la technique de la métallurgie avait gagné le nord du transvaal avec les migrations bantoues parvenues dès le VIIème siècle au Katanga et dès le IXème siècle sur le Zambèze.
En fait, les Bantous ont peut-être apporté la métallurgie du fer, mais ils ont trouvé dans ces régions des populations de mineurs et de forgerons dune race différente. La métallurgie du fer a peut-être été mise au point en Afrique, indépendamment de toute influence extérieure, dans la région du Nil supérieur autour du Méroé (que lon a qualifié de "Birmingham de lantiquité africaine") ou dans le Nigeria contemporain. Cette métallurgie, illustrée de la civilisation dite de Nok, ancêtre des bronziers du Bénin et des Haoussa de Kano qui rendaient un culte à la montagne de fer".
"Les Etats de lAfrique ancienne ont dû leur fortune non seulement à leur mines, mais aussi à leur métallurgie. Au total, si lon parle dune civilisation des greniers, il faudrait aussi mentionner une civilisation des forges.
Ainsi, à partir du moyen âge, lAfrique a vu le début de la période la plus brillante de son histoire. Les africains ont édifié des royaumes et des empires structurés, assurés léquilibre de la société le développement du commerce et des villes.
Les religions (islamique et animiste) se sont épanouies et ont permis des créations remarquables dans les arts, les lettres et la technique.
LAfrique souvre au monde (le monde méditerranéen musulman et européen), non comme un réservoir desclaves, mais comme un partenaire riche, puissant et instruit.
Cette période de grands empires est lune des pages les plus belles de lhistoire de lAfrique. Non seulement leur renommée sétendait au loin, auréolée de tous les prestiges des pays de lor, mais léconomie mondiale a largement vécu sur lapport soudanais de lindispensable métal jaune avant la découverte de lAmérique.
Au point de vue strictement africain, une civilisation islamo - nègre de valeur sest épanouie sur les rives du Niger dont le souvenir ne sest pas perdu.
Si nous avons tenu à présenter lorganisation politique et la structure de la société africaine pré coloniale, ce nest point pour embellir le passé africain des parures qui manquent au présent, mais de montrer quil avait su inventer des mécanismes que certains hommes politiques ont rejeté aujourdhui. Non seulement, leur existence est générale, mais en plus elle fait justice à nos coutumes trop facilement déformées dans un sens ou dans un autre. Un auteur montre combien ces coutumes étaient utiles. "Dans les sociétés africaines, les modalités de contrôle étaient rarement stipulées par écrit ou officialisées, mais elles nen étaient pas moins réelles. Elles existaient dans presque tous les systèmes politiques et il faut reconnaître quil étaient dune grande efficacité."
SETION 5 : LE POLITIQUE
LAfrique est certes entrée sur la scène mondiale par la politique. Elle fait tellement parler delle à cause de ses murs politiques nouvelles et globalement désastreuses, quon oublie quelle ait pu en connaître dautres moyens scrabbleuses et authentiques dans ce passé si lointain que nous venons de décrire.
Cest oublier que les chocs historiques reçus par le continent noir ont été dévastateurs à plus dun titre : Déportations en masse des esclaves (plus de 600 millions), conquêtes de toutes sortes, colonisations, suivies de régimes néo-coloniaux, bref, autant de fléaux et dévénements qui ont laissés des traces profondes.
Il y a quarante ans, en sortant de la colonisation directe, les dirigeants africains se sont jetés avec la passion et lempressement et du néophyte sur les modèles politiques occidentaux.
La centralisation jacobine du pouvoir, lautocratie sans borne qui caractérisent nombre de nos Etat-Nations, donnent à certains de nos dirigeants les mêmes allures que les tout-puissants gouverneurs des colonies. Personne ne semble avoir réfléchi sérieusement sur les structures politiques africaines pré coloniales dans lintention den tirer des leçons théoriques et pratiques pour ériger les nouveaux Etats.
Nous avons vu que lAfrique pré coloniale, malgré une diversité des situations, était parvenue dans différentes régions à des formes dorganisations de lautorité et du pouvoir politiques qui assuraient la stabilité des sociétés. A une variété des formes correspondaient un nombre important de mécanismes de contrôle et de limitation.
La collégialité était un principe auquel les société refusaient de renoncer. Pour prévenir ou limiter les abus dun pouvoir autocratique, il y avait en plus de la résistance armée, lexistence de puissantes sociétés secrètes, ou le recours à la royauté élective. Le nouveau roi était élu par un conseil des représentants des couches sociales parmi les candidats des lignées de la dynastie.
Dans dautres sociétés ce même conseil, un autre organisme ayant le même rôle, pouvait entamer une procédure déviction du souverain régnant par un autre plus compétent et plus respectueux des coutumes qui étaient les lois.
La légalité du pouvoir était fonction de son respect pour les coutumes et léquilibre entre les couches sociales quelle devait préserver. Pour défendre leur statut, cest-à-dire leur liberté à lintérieur dun système donné, les groupes nhésitaient pas à recourir à la révolte.
Doù cette remarque de Pathé Diagne : "Le droit à la rébellion est une constante de la pensée politique africaine. Labsolutisme ny a jamais été, pas plus quailleurs, une règle de gouvernement. Il reste simplement caractéristique des périodes de violence, de crise et de mutation brutale."
Certes dans lorganisation territoriale des sociétés, la diversité est de règle, parce que nous y retrouvons autant des communauté de petites dimensions tels le village, la Cité- Etat ou la chefferie, avec de grands ensembles fortement structurés comme les royaumes, les confédérations et les empires. Mais le lignage ou la famille étendue regroupant plusieurs générations de descendants dun même ancêtre constitue la cellule de base de la société dans plusieurs régions.
Quelque soit la dimension de lunité politique dans laquelle elle réside, cette famille garde son autonomie de production, de consommation, déchange de biens et dépouses.
Sa gestion relève entièrement de son chef qui est généralement lhomme le plus avancé en âge. Cette autonomie se retrouve aussi au niveau des communautés villageoises.
Enfin, certains royaumes vassaux dun empire peuvent également continuer à être régis par leurs souverains légitimes et les coutumes de leur pays.
Jusquà lapparition des théocraties musulmanes en Afrique de louest au XIXème siècle, la tolérance semble avoir été le premier principe de la diplomatie des conquérants dans cette région. Dans lempire du Mali (XI-XIV siècle) par exemple, les rois convertis à lIslam depuis lan 1050 environ, nont jamais imposé cette religion à leurs sujets. Les juges rendaient justice selon le Coran pour les musulmans, et selon les coutumes du pays pour les autres.
Il se dégage donc de tout cela que les tendances majeures des systèmes politiques traditionnels africains étaient orientées vers le respect des différences et de lautonomie. Ainsi, bien des sociétés vivaient sans institutions politiques permanentes, ny ayant recours quen cas de besoin.
Léquilibre social et politique était sans doute fragile, mais il nen existait pas moins. Le caractère rigide de certains statuts des personnes et des groupes favorisait sans doute le conservatisme. Cependant cela na pas empêché une dynamique de se faire. Ainsi, les peuples du Soudan-Nigérien (fleuve Niger) ont pu entre le VIIème et le XVIIème siècle passer du pouvoir monopolisé par un clan, au pouvoir exercé par des fonctionnaires de la cour nommés sur leur mérite quoiquil en fut leur origine sociale.
Les pouvoirs coloniaux européens et ceux issus de lindépendance, ont presque réussi à détruire ces dynamismes traditionnels sans en créer de nouveaux suffisamment significatifs.
Au moment où lEtat-nation est remis en cause en Occident qui nous en a fait hériter, il nest pas sans intérêt pour lAfrique actuelle de renouer de façon critique et créatrice avec son passé. Or, pour diverses raisons et parmi lesquelles laliénation et la domination culturelle nest pas la moindre, ce passé est méconnu et abusivement déclaré daucune utilité pour le présent africain, peu glorieux.
Mais les "souvenirs historiques alimentent lidée dunité africaine et laident à sorganiser. Lidentification de certains Etats africains aux anciens empires et royaumes et symptomatique de cette volonté de reconstituer lAfrique en totalisant les besoins et les efforts."
Lunité africaine trouve ainsi des jalons dans un passé très lointain. Ainsi, à la conférence au sommet dAddis-Abeba qui devait jeter en mai 1963 les bases de lOrganisation de lunité africaine (OUA), nombreux étaient les chefs dEtat qui exaltaient avec nostalgie le souvenir de cette brillante époque des empires africains :
Le roi du Burundi évoquait le rayonnement et la gloire des anciens empires du Ghana, du Mali et du "Kongo", et le président Modibo Keita(président de la République du Mali) parlait avec nostalgie de "Notre Afrique, berceau de lhumanité, où de glorieuses civilisations ont fleuri sur les rives de puissants fleuves", et lEmpereur dEthiopie Haïlé Sélassié de renchérir :
" Il y a quelques milliers dannées, des civilisations prospères ont existé sur ce continent. Celles-ci nétaient en rien inférieures à celles qui existaient alors dans dautres continents. Les africains étaient politiquement libres et économiquement indépendants. Ils avaient leurs propres structures sociales et leurs cultures étaient véritablement autochtones."
Cest parce que, comme lécrit Francis Wodié, lAfrique est saisie à travers lhistoire comme formant une unité socioculturelle profonde. Lexistence de grands empires comme le Ghana et le Mali exprime cette personnalité africaine profonde que les théoriciens et les adeptes du panafricanisme se proposent au XXème siècle de reconstruire dabord et de réhabiliter ensuite. Mais aujourdhui, lidéologie panafricaine est-elle au bout des ses objectifs ? Avant darriver au bilan, voyons ce quelle fut et ce qui reste delle.
CHAPITRE I I I
LIDEOLOGIE PANAFRICAINE
Au début du XIXème siècle, a vu le jour ailleurs et en Afrique un concept qui, avec le temps devait devenir le véhicule de la reconquête dune dignité perdue : le panafricanisme. Cest une idéologie qui vise à réaliser lunité de tout le continent africain afin de rendre à lhomme noir dignité, respect et considération. Philippe Decraene soutient en revanche, quil existe " plusieurs panafricanismes "
SECTION 1 : LE PANAFRICANISME, UNE IDEOLOGIE MULTIFORME
La littérature consacrée au panafricanisme est particulièrement abondante, cependant lidéologie en tant que telle reste peu étudiée. Incontestablement, le panafricanisme constitue une idée force par excellence. Elle recouvre des courants assez différents, selon les époques et selon les hommes. Pour cerner les caractéristiques essentielles de cette idéologie, nous examinerons dabord sa genèse, puis son orientation avant de venir à la signification de cette idéologie et son impacte réelle sur lhistoire contemporaine de lAfrique.
A : Genèse du panafricanisme
Si , historiquement, il est constant dattribuer la paternité du concept panafricain au Dr Nkrumah, il convient de souligner que ce dernier reconnaît dans son autobiographie avoir fortement été influencé par louvrage du jamaïcain Marcus Aurelius Garvey, philosophy and opinion. Cest pourquoi, on affirme couramment que le panafricanisme, comme dailleurs son expression littéraire, la négritude nest pas dorigine africaine.
Lidée aurait germé aux Etats-Unis avec William Edward Burghard Dubois, un intellectuel né en 1868 dans le Massachusetts aux Etats-Unis et Marcus Garvey, toujours fier de la peau noire et quelque visionnaire. Alors que lAfrique était dans la nuit coloniale, des noirs de la diaspora, descendants desclaves africains, ont songé à la fin du XIXème siècle à lavenir du continent dorigine de leurs ancêtres.
"Surgi des profondeurs des âmes meurtries des Noirs dorigine africaine installés dans les Antilles Anglaises et aux Etats-Unis dAmérique, le panafricanisme, né durant le dernier tiers du XIXème siècle, se donne pour ambition duvrer aux retrouvailles entre les Noirs arrachés de force à la Mère- Afrique et leurs frères du continent noir. Avec un double objectif : libération du monde noir de la domination et de lexploitation, régénération et renaissance des peuples noirs en Afrique et ailleurs. A ce titre, il saffirme comme une idéologie de combat dont les promoteurs et les militants les plus conséquents se sont révélés porteurs dun messianisme rédempteur, énergiquement combattu par les dominateurs des africains."
En 1900, Henri sylvester-William, avocat trinidadien , inscrit au barreau de Londres, convoqua à Westminster, dans la capitale britannique une conférence destinée à protester contre la spoliation des autochtones dAfrique australe et de la Gold Coast (actuel Ghana) de leurs terres ancestrales. Cest alors au cours de cette conférence que le mot "panafricanisme" fut mis pour la première fois à la mode.
De là, lidée serait répandue en Europe par lintermédiaire de congrès panafricains : Londres (1900), Paris (1919) etc. Cest en effet là, aux Etats-Unis dabord, dans les congrès panafricains ensuite que les africains, surtout anglophones, seraient entrés en contact avec lidée panafricaine : un certain nombre de nationalistes africains originaires des pays anglophones, firent leurs études aux Etats-Unis, en même temps que lexpérience de la discrimination raciale et entrèrent en contact avec les apôtres du panafricanisme. Ce fut le cas notamment de Nkrumah, Nmamdi Azikiwé, de Georges Padmore, pour ne citer que ceux-là.
Les africains francophones en revanche, auraient été amenés au panafricanisme par lintermédiaire des seuls congrès panafricains. Cest ainsi que W. E. B. Dubois, sollicita laide de Blaise Diagne, député du Sénégal pour obtenir de Georges Clemenceau (lequel ne se montra pas très favorable aux "agitations des nègres ", lorganisation du congrès panafricains de 1919 à Paris.
Alimenté à cette source , le panafricanisme ne fut guère quune manifestation de solidarité entre les africains et les noirs dispersés à travers le monde, notamment aux Etats-Unis et aux Antilles. Lidée dunité africaine était à cette époque diffuse et nétait invoquée que par le visionnaire, Marcus Garvey qui préconisait déjà la création dun empire noir, peut-être en souvenir de la période des empires précédents!
Cest après la seconde guerre mondiale quon assistera à une transformation de lidéologie panafricaine. A partir de ce moment, elle est élaborée par des africains et pour lAfrique. Ainsi, à la suite du 5ème congrès panafricain tenu à Manchester en 1945, lidéologie sera dominée par les nationalistes africains, notamment, Kwamé Nkrumah et son conseiller Georges Padmor, Jomo Kenyatta etc.
Ce fut lapogée de cette nouvelle dimension du panafricanisme. Cest à ce congrès que pour la première fois des voix sélèvent contre la répartition artificielle de lAfrique en " satellites " du monde occidental.
Les résolutions finales adoptées par ce congrès proclament que, la seule solution au problème colonial est lindépendance complète de pays africains.
Mais il faut dire que les dirigeants africains de lépoque navaient pas nous semble-t-il su mesurer limportance de lenjeu et le contexte daffrontement hégémonique et planétaire de lépoque marquées par la guerre froide EST-OUEST où les puissances occidentales navaient aucun intérêt à lâcher leurs colonies dans les mains de leurs adversaires ou les voir former une entité unie et puissante, capable de rivaliser avec elles. Que fallait-il faire? Pousser certains panafricanistes à affirmer leur nationalisme et leur préférence individuelle pour lindépendance de leur pays plutôt que pour de lunité du continent.
A partir de ce moment, cest le régionalisme qui saffirme sur le continentalisme. Ce qui nous amène à réfléchir sur lorientation du panafricanisme.
B : Orientation du panafricanisme
Le thème du nationalisme est finalement celui qui dominait dans les congrès panafricains. Il supposait dabord lautonomie puis lindépendance des pays qui étaient sous le joug colonial. Ainsi, dans le discours de certains dirigeants africains, le régionalisme prime sur le continentalisme. Car déjà se germait lidée dune fédération ouest-africaine. En 1959, au 5ème congrès panafricain tenu à Accra (actuel Ghana), il est surtout question de régionalisme. La conférence recommande de créer un national ouest africain dont le but serait de favoriser lunité des pays anglophones et francophones dAfrique occidentale.
Du côté des francophones, lidée dunité africaine à léchelle du continent est à peine envisagée. Il était surtout question de régionalisme. Ainsi, en 1945, Léopold Sédar Senghor pense surtout à transformer les fédérations dAfrique occidentale française (AOF.) et dAfrique équatoriale française, (AEF.) en grands ensembles politiques, dailleurs intégrés à une fédération de type colonial.
A partir de ce moment se développe le virus de la division. Pour exemple, les pays francophones. Ici, " le néocolonialisme, qui nest pas un euphémisme mais une stratégie moderne dexploitation globale de lespace africain, fera son entrée dans lespace conceptuel de la géopolitique mondiale. Les leaders africains sont acculés à choisir entre deux voies : la coopération avec la France, laquelle implique le maintient de leurs pays respectifs et distinctement amarrés à la zone franc ( ), et la fixation des barrières douanières entre eux, ou alors lasphyxie "
Cest seulement en 1950, dans une proposition de résolution présentée à lAssemblée consultative de lEurope que Léopold Sédar Senghor et Ousamane Socé Diop parlent de " lAfrique indépendante et unie ", bien que lidée dune fédération régionale groupant anglophones et francophones subsiste encore, certains dirigeants dont le chef de file était Senghor préféraient lintégration de lAfrique à lEurope, ce que Senghor appelait " lEurafrique ".
Le panafricanisme se voyait déjà dévoyé de sa trajectoire par les chefs dEtat néo- coloniaux qui revendiquaient lindépendance pour assouvir leur besoin de diriger. Une fois lindépendance obtenue, ces chefs dEtat africains, pour la plupart opposés à lidée dindépendance réelle, ont refusé de poursuivre le programme panafricain.
Pour ce qui est de lAfrique du nord, les nationalistes sont plus préoccupés de lunité maghrébine, en liaison avec lunité arabe que de lunité africaine. Dés 1946, Habib Bourguiba proposait à Ferhat Abbas la création dune instance nord-africaine.
Ce ne sera quavec les indépendances, qui débuterons en 1956 pour le Maroc et la Tunisie, en 1957 pour la Gold Coast (Ghana), que lidée dun panafricanisme à léchelle continental refait surface Et ce, sur le thème de lunité africaine relancé par Nkrumah, devenu entre-temps premier ministre du Ghana. Sous ses auspices se tient en avril 1958, la première conférence intergouvernementale des Etats indépendants dAfrique.
Ces Etats étaient peu nombreux à lépoque (Egypte, Ethiopie, Ghana, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie) de cette conférence au cours de laquelle Nkrumah exalta lidée dunité africaine en soulignant le caractère artificiel de la distinction entre lAfrique arabe (blanche) et lAfrique noire, lAfrique islamique et lAfrique non- islamique. Aujourdhui disait-il le Sahara est un pont qui les unit.
Le thème du continentalisme était ainsi relancé, il trouva un écho considérable au congrès du PRA à Cotonou en juillet 1958. Sous la pression des syndicats et des jeunes intellectuels, non seulement le mot dordre des indépendances immédiates des autres pays africains fut lancé, mais encore , on parla des Etats-Unis dAfrique.
En revanche, dans ce congrès aussi, on pensait plus au régionalisme quau continentalisme. Car ses Etats-Unis dAfrique ne concernent que les pays de tradition coloniale française. Ainsi, on pouvait discerner une certaine hostilité du président Senghor à légard du continentalisme, considéré par lui comme utopique.
Le leader ivoirien, Félix Houphouët Boigny, profitant de sa position influente auprès du Général De Gaules, dont il était le Ministre dEtat, défendait alors le droit de chaque territoire à se gouverner lui-même et à établir les rapports directs avec la France. La Cote dIvoire selon lui " ne devait pas être la vache à lait de lAfrique de louest francophone. "
De sa part le colonisateur voyait dun mauvais il les fédérations africaines, qui plus fortes que les Etats individuels pourraient lui échapper. Ainsi, en 1958, la France programma vite le démembrement des structures fédérales qui les unissaient à ses anciennes colonies dans le cadre de lAfrique occidentale française (AOF) et de lAfrique équatoriale française (AEF), pour donner naissance à des Etats sans infrastructures dynamiques
La grande Bretagne de son côté rejeta la possibilité dune union démocratique entre les trois territoires de lAfrique de lest, ou entre les pays membres de la fédérations des rhodésiens pour encourager la formation dune multitude dEtats " indépendants " dont léconomie est tournée vers lAfrique du sud.
La conférence des peuples (Accra décembre 1958) se situait en retrait par rapport à lidéal du continentalisme. Il y fut question de fédérations africaines (ouest, est, nord sud , centre), prélude à la constitution dune communauté africaine. A partir de ce mouvement, laccent fut mis sur le régionalisme, bien que le continentalisme ne fut pas totalement abandonné.
Lors de la conférence de Sanniquelie (Liberia) en juillet 1959, la déclaration commune adoptée par les présidents Sékou Touré, Tubman etc. est ainsi formulée : chaque Etat et chaque fédération membre de la communauté conservera sa propre identité nationale et sa propre culture constitutionnelle ; la communauté sera créée dans le but de promouvoir lunité des Etats indépendants dAfrique.
Une contradiction nette apparaît entre les vux du panafricanisme et le régionalisme qui se manifeste dans les actes des dirigeants africains.
En 1960, tandis que le Ghana proclamait le principe de lunité africaine comme un acte de foi, lobjectif cardinal de sa politique, les leaders nigérians rétorquaient que lidée de former une union des Etats africains est prématurée. Certains africains doutaient ainsi de la possibilité de réaliser une union politique des Etats africains. Pendant ce temps sesquissait un rapprochement entre les " modérés ", sur lesquelles nous reviendrons, qui doutaient de la vocation continentale du panafricanisme et du supranationalisme. Lidée de coopération entre Etats souverains gagnait du terrain. Toutefois, on parlait de coopération dans un cadre régional.
Se rapprochant de son rival, en loccurrence Houphouët Boigny, Senghor provoqua la réunion de Brazzaville (Congo) en décembre 1960. Elle réunit les représentants de onze Etats dAfrique et de Madagascar qui adoptèrent une charte de coopération africaine. Ceci exclue tout organisme à caractère supranational.
Cette tendance de lunion africaine et malgache (UAM) et, lorganisation africaine et malgache de coopération économique regroupaient la plupart des Etats africains francophones.
En revanche, la conférence de Monrovia (Liberia), mai 1961 - sur laquelle nous reviendrons également- souligne que lunité visée nétait pas lintégration politique des Etats africains, mais lunité des aspirations et des actions considérées au point de vue de lidentité, de la solidarité sociale et politique africaine. Cette prise de position conduisit la minorité des pays (Ghana, Guinée, Mali, RAU, Libye, Algérie, Maroc) à saffirmer un mois après la conférence de Brazzaville. Les représentants de ces Etats se réunissent à Casablanca (du 04 au 07 janvier 1961), adoptant la charte de Casablanca pour donner corps à lidée dune union politique continentale.
Mais la constitution du groupe de Monrovia mit en évidence la division de lAfrique en deux blocs antagonistes : le groupe des " modérés " et le groupe des " progressistes ".
Laffrontement des idéologies était évidemment préjudiciable à la nouvelle Afrique des Etats qui cherche à construire une unité politique fragile et à consolider son indépendance fraîchement acquise. Des efforts furent déployés par certains dirigeants africains pour combler au plus vite le fossé existant entre ces deux tendances. Le résultat fût la conférence dAddis-Abeba de 1963 où les conceptions panafricaines des dirigeants africains saffrontent.
Le président du Ghana Kwamé Nkrumah qui venait de publier son livre " Africa must unite ", défendait lidée des Etats-Unis dAfrique, tandis que les représentants du groupe de Monrovia, eux, parlaient de coopération.
On sait finalement que la charte dAddis-Abeba, consécutive à cette divergence de vues est plus proches des thèses du groupe de Monrovia que celles des panafricanistes radicaux. Le continentalisme triomphe, mais dans le cadre dune organisation destinée à favoriser la coopération entre Etats souverains.
Depuis la charte dAddis-Abeba de 1963, qui consacra la création de lOUA, les positions se sont modifiées.
Lévolution du panafricanisme montre que les thèmes du panafricanisme sentrecroisent et se chevauchent : Pour preuve, le nationalisme notamment est proclamé en même temps que le panafricanisme. A tel point quon peut se demander dans quelle mesure, lidée du panafricanisme pourrait-elle coexister avec celle du nationalisme ?
Et pour percer la signification de cette idéologie, cest-à-dire recenser les nombreuses divergences quelle fait apparaître, il faudrait peut-être parler didéologie au pluriel et aussi de fixer toujours le contexte pour comprendre les discours de certains dirigeants africains. Quand le président Senghor lançait à ses frères africains: " ce qui nous lie est au-delà de lhistoire ( ), cest une communauté culturelle que jappelle africanité ", il navait nullement lidée de réaliser les Etats-Unis dAfrique, mais de favoriser un rapprochement entre les chefs dEtat africains divisés sur lidée panafricaine et séparés en deux blocs farouchement opposés.
Comme le fédéralisme prôné par Nkrumah et ses partisans dune part, et la construction, la consolidation de lEtat-nation et sa coopération souveraine avec les autres Etats, dautre part constitue de nos jours même au sein de lunion européenne le centre du débat communautaire, on voit bien que les thèmes du panafricanisme des années soixante sont plus que jamais actuels et quil aurait peut-être fallu un peu de lucidité aux dirigeants africains pour rallier la cause de Nkrumah qui, lui, reste un visionnaire.
SECTION 2 : SIGNIFICATION DU PANAFRICANISME
Les divergences liées à lidéologie panafricaines concernent dabord la dimension spatiale, ou le cadre territorial. Le panafricanisme se réalisera- t- il à léchelle du continent africain ce qui correspond à la signification du terme ou bien par morceaux, à léchelle des régions ?
A supposer que ce problème soit résolu, quel sera la nature du panafricanisme ? Entraînera t- il un abandon total ou partiel des souverainetés, conquises ou restituées, ou bien concernera- t- il tous les aspects de la vie des sociétés africaines ou certaines dentre eux. Sera t- il global ou partiel ?
A : Le Continentalisme africain ou le rêve de Nkrumah des Etats-Unis dAfrique.
Le panafricanisme version Nkrumah signifie lunité globale ou politique du continent. Pour lui le but est de réaliser une unité qui englobe tous les aspects de la vie des sociétés africaines .Toujours frappé par les manières dagir similaires quil rencontre chez dautres africains, il dit : " quand je rencontre dautres africains, je suis toujours impressionné par ce que nous avons en commun. Ce nest pas seulement notre passé colonial, ou les buts que nous partageons. Cela va beaucoup plus profond. Le mieux est de dire que jai le sentiment de notre unité en tant quafricains. "
Les trois grands desseins de Nkrumah pour lAfrique post-colonial sont :
Etant entendu que le premier pas vers lintégration ne devait être que politique, Nkrumah espérait que par une sorte de logique descendante, la construction de lunité par le haut déclencherait lintégration sociale et économique. Il accordait ainsi un rôle clé aux institutions centrales qui devaient produire lunité des gouvernements. Il propose quatre grandes institutions, notamment un parlement à deux chambres :
quaucun continent na autant de ressources du sol et du sous sol et des potentialités que lensemble du continent africain. Mais la balkanisation empêche que ces ressources profitent aux peuples africains. Il cite lAmérique latine comme un anti-modèle et propose un marché commun africain et un développement autocentré.
Le projet du marché commun africain est certes ambitieux, mais il fallait le réaliser peut-être à lépoque avant la consolidation des " souverainetés ". Toujours est-il quil sest heurté à plus de réticences : à Bangui, en mars 1962, les chefs dEtat de lunion africaine et malgache adoptèrent une démarche prudente en décidant de faire procéder à " létude des phases successives dun marché commun africain ". Ainsi, lidée fut renvoyée aux calendes grecques. Elle sera, vingt ans plus tard à lorigine de lélaboration dun plan daction économique ( le plan daction de Lagos) qui sera encore relancé en 19991 pour cette fois la mise sur pieds " dune communauté économique africaine dont le fonctionnement est prévu pour le mois de mai en 2025.
Mais les propositions de Nkrumah se heurtent à beaucoup de réticences de la part de certains dirigeants africains qui reprochent au leader ghanaéen des velléités hégémoniques. Ainsi, la majorité des dirigeants africains préféreront lunité dans des secteurs limités, le souvent à léchelle sous-régionale. Ainsi, M. Philippe Yacé, président de lAssemblée Nationale ivoirienne, déclarait au lendemain de la conférence de Tananarive (septembre 1961) que la notion dunité africaine, qui contient des théories trop alléchantes de fait de plus en plus place à la notion dunion africaine et malgache, surtout axée sur le domaine économique et social.
Pour Sir Aboubacar Tawafa Baliwa, premier ministre du Nigeria, lunité africaine devait commencer par des mesures pratiques de coopération dans les domaines économiques, scientifiques et culturelles avant de sembarquer dans laffaire plus compliquée et plus difficile de lunion politique.
Pourtant Nkrumah, presque solitaire continue à lunité africaine. Mieux, il persiste et signe : " Je ne vois pas comment les Etats africains seraient en sécurité si leurs chefs dEtat, dont nous même navons pas la conviction profonde que le salut de lAfrique est dans lunité Car, lunion fait la force, et je le constate, les Etats doivent sunir ou alors se vendre aux impérialistes et aux colonialistes pour une assiette de soupe ou encore se désintégrer individuellement. "
En revanche, lAfrique des peuples semblait subir un désintéressement certain de la part des dirigeants africains. Sur le terrain continental, lindépendance se conquiert de jour en jour et lAfrique des Etats fortifie inexorablement ses positions. Le 13 décembre 1959, devant lAssemblée fédérale du Mali, le Général De Gaule avait admis lexistence et la nécessité de réalités nationales africaines. Il avait déclaré : " lessentiel, pour jouer un rôle international, cest dexister par soi-même, chez-soi. Il ny a pas de réalité internationale qui ne soit pas dabord une réalité nationale. Il faut quun pays qui veut jouer son rôle dans le monde prenne les voies et les moyens qui le permettent. Or, cela revient dabord à se construire en Etats. "
Le projet du Dr Nkrumah, pour la création immédiate et inconditionnelle des Etats-Unis dAfrique est vite qualifiée dutopique. Ce projet, observe Béchir Ben Yahmed pourrait sembler une utopie et pourtant : " en Afrique, les frontières sont arbitraires. Les Etats à peine constitués et si souvent minuscules quils ne sont pas viables, ne reposent au sud du Sahara, sur aucune base nationale. Or, si les Etats nont pas de base nationale, sils ne peuvent vivre et grandir, pourquoi, en effet ne pas les grouper en un seul ? Tel est le fondement rationnel de la thèse de Nkrumah. Elle est le contraire dune utopie. Ce qui est utopique, cest de continuer dans la construction dune Afrique mosaïque de pseudo- Etats. "
Mais le rêve auquel Nkrumah est intimement lié, tout comme laraignée a sa toile attachée se heurte aux réalités des régionalismes semées qui viennent infléchir les idéologies de certains dirigeants africains.. Il faut dire que les populations africaines ont subi des influences diverses pendant la période coloniale qui ont engendré des mentalités et des réflexes, voire des comportements plus ou moins différents. Ainsi lidéologie elle même continue de subir à plus dun titre le poids dun passé colonial : les populations africaines ont été coulées dans des moules différents : anglais, français, belges, portugais etc.
Quoiquon fasse donc, les dirigeants de tradition coloniale française, se sentent plus à laise entre eux, quen compagnie de leurs homologues anglophones et vice versa. Ainsi, à partir de solidarités géographiques, historiques, ethniques, idéologiques, politiques et culturelles les dirigeants africains anglophones ont lancé dès 1896 lidée dune union des territoires britanniques dAfrique occidental.
B : Le Régionalisme
La cinquième conférence panafricaine, organisée à Manchester reprit lidée dune fédération ouest-africaine et formula des critiques contre les divisions et " les frontières artificielles créées par les puissances impérialistes " en vue de faire obstacle à une union politique des peuples dAfrique occidentale.
Le régionalisme ouest-africain devait également être encouragé par le sixième congrès panafricain tenu en Gold Coast en 1953. La conférence recommande la création dun congrès des pays anglophones et francophones dAfrique occidentale.
De même, à la conférence des peuples africains de décembre 1958 à Accra, les participants recommandèrent le principe de lajustement des frontières, de la fusion ou de la fédération sur une base régionale (ouest, est, nord, sud , et centre). Et la conférence réunie à Monrovia en mai 1961, indiqua que lunité visée en ce moment nest pas lintégration politique des Etats africains souverains, mais des aspirations et des actions considérées au point de vue de lidentité et de la solidarité sociale et politique africaine " .Ainsi, le régionalisme se présente essentiellement comme une conception qui considère les regroupements régionaux comme des étapes nécessaires, préalables à la réalisation de lunité africaine au plan continental.
Les divergences politiques favorisent donc le régionalisme. Elles sont dailleurs venues renforcer les clivages précédents. Linfluence du passé colonial commun détermine pour la plupart les caractères du régionalisme. Entre pays francophones se développe une solidarité à base de tradition coloniale française qui se caractérise par la formation de lunion africaine et malgache(UAM), lunion africaine et malgache de coopération économique (UAMCE), le conseil de lentente.
En Afrique équatoriale, le leader de lOubangui-chari, Barthélemy Boganda préconisa en 1955 la réalisation de lunité politique de tous les pays de culture latine (Etats dAEF, Congo belge, Rwanda-Burundi, Angola). Abandonné puis repris en 1960, ce projet aboutit à la création de lorganisation des peuples dAfrique centrale.
En Afrique orientale, Jomo Kenyatta affirmait, à partir du modèle de la fédération du Kenya, du Tanganyika et de lOuganda, réalisée pendant la période coloniale ; vouloir voir dabord lAfrique orientale unie et fédérée, et sera ensuite le tour de toute lAfrique dêtre unifiée.
En Afrique occidentale, cette politique à base régionale a donné naissance à lunion Sahel-Bénin (conseil de lentente), à la fédération du Mali, à la Sénégambie.
Enfin, en Afrique dinfluence islamique les projets de fédération du Maghreb, dune réunion des Etats du Nil sinscrivent dans cette conception dunion organique régionale, concrétisée notamment par la création du comité permanent consultatif du Maghreb, puis de lunion du Maghreb arabe.
Parfois des considérations de solidarité à base raciale interviennent pour imposer des regroupement régionaux. Les Etats arabes sont ainsi conduits à attacher peut-être une plus grande importance à la grande nation arabe, comme nous lavons souligné plus haut. Tandis que Awolowo, le chef de lAction group, au Nigeria, parle dune communauté africaine noire, parce que selon lui, beaucoup de nord-africains appartiennent à un horizon politique pan arabe plus que africain.
Toutes ces divergences sont à lorigine de la détermination, de lévolution et de lorientation des groupements régionaux. La tendance révolutionnaire des dirigeants africains conduisit à la création du " groupe de Casablanca " en 1961.
Par réaction, la tendance dite des " modérés " constitue au groupe rival, le " groupe de Monrovia ".
Dans cette mesure, le régionalisme, en dépit des professions de foi de ses partisans, nentre-t-il pas en contradiction absolue avec le continentalisme ? Les regroupement régionaux, une fois constitués ne seraient-ils pas plutôt des obstacles à la réalisation du projet unitaire ?
Toujours est-il que la présence de ces différentes conceptions de lunité africaine prouve que les chefs dEtat africains nont pas été daccord sur la manière de conduire ou de réaliser lunité africaine. Leur divergence ne date donc pas daujourdhui. Peut-on dire quen définitive, le régionalisme a eu raison des partisans de lunité africaine réelle ? En tout état de cause, " lunité " des Etats a donné victoire aux partisans du courant modéré qui consacre la création de lOUA.
DEUXIEME PARTIE
DES ETATS-UNIS DAFRIQUE A LA NAISSANCE DE LOUA ET DE LUNION AFRICAINE
" Deux ans de joutes verbales avaient suffi pour inciter les deux clans rivaux de lAfrique à faire la paix : le groupe de Casablanca et le groupe de Monrovia. Lun rassemblant les partisans dune indépendance absolue ; et lautre ceux dune indépendance tempérée par des accords de coopération avec lancien colonisateur, sétaient lancés des anathèmes, depuis la création de leurs groupes respectifs. Dun côté Kwamé Nkrumah, (Ghana), Sékou Touré, (Guinée), Ahmed Ben Bella ( Algérie), Mohamed V (Maroc), Modibo Keita Mali ; de lautre, Félix Houphouët Boigny (Côte dIvoire), Léopold Sédar Senghor (Sénégal) , Habib Bourguiba (Tunisie), Haïlé Sélassié (Ethiopie), etc.
Cétait " la guerre " des chefs, des grands, ceux qui croyaient encore à ce quils disaient, dans leurs magnifiques envolées oratoires. Leurs passions antagonistes ont fini par se fondre en une seule : la volonté de construire lunité africaine. "
Ainsi, le vingt cinq mai 1963, après sept heures de discours- exutoires, lorganisation de lunité africaine est née. Signe de réconciliation et despoir de cette rencontre entre frères africains le président malien Modibo Keita, quasiment chassé de Dakar trois ans plutôt sest exclamé ce jour : " Tout arrive en Afrique, même Senghor donne la main à Modibo Keita. "
Pour éviter donc la division, fondée sur la divergence entre les approches politiques, la méfiance et léloignement progressif que cela peut entraîner, trente deux chefs dEtats africains se fondent à lidée de relancer lunité africaine par une autre voie : la création dune organisation à dimension régionale, lorganisation de lunité africaine. Charge maintenant à linstitution panafricaine de prendre le relais du combat dunité, inspiré depuis longtemps et mené par les dirigeants dailleurs et dAfrique de tous bords.
CHAPITRE I
LOUA ET LE DEFI DE LUNITE AFRICAINE
Une fois les indépendances acquises, les combats se dispersent, les volontés politiques changent et avec elles les objectifs premiers. Parmi les dirigeants africains, Nkrumah est pourrait-on dire le seul à défendre avec presque lénergie du désespoir lidée dune Afrique unie, avec un gouvernement continental.
Mais lorganisation de lunité africaine sera tout de même créée au nom du panafricanisme. La charte de lOUA entrée en vigueur le 25 mai 1963, " enfant et instrument de la décolonisation de lAfrique, apparut en même temps marquée par lhéritage colonial. "
Venons-en à létude proprement dite de la charte.
SEECTION I : PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LOUA.
En théorie, lunité africaine repose sue sept principes :
légalité souveraine de tous les Etats membres ; la non-ingérence ; le respect de la souveraineté et de lintégrité territoriale de chaque Etat ; le règlement pacifique des différends ; la condamnation sans réserve de lassassinat politique ainsi que des activités subversives exercées par des Etats voisins ou tous autres Etats, le dévouement sans réserve à la cause de lémancipation totale des territoires africains non encore indépendants ; laffirmation dune politique de non alignement à légard de tous les blocs.
Ces principes affirme-t-on permettent à chaque peuple de se développer, de créer les conditions favorables au maintien de la paix et de la sécurité. Pour que le risque de guerre et de misère soit moindre. Car, plus les Etats africains renforcent lunité et la solidarité entre eux, plus ils coordonnent et intensifient leur coopération et leurs efforts,, moins ils ont envie de se battre et plus ils offrent de meilleurs conditions dexistence à leurs peuples.
Cest dans cet esprit que la charte de lOUA a été signée à Addis-Abeba en Ethiopie, le 25 mai 1963, puis " dépoussiérée " en juillet 1979 à Monrovia, au Liberia. Or chacun sait que en dépit de quelques actions positives, lambition politique de lOUA a été un échec. Car depuis ladoption de la charte fondatrice de lorganisation panafricaine, on fait et agit comme si le bateau Afrique naviguait toujours dans le bon sens : " Tout le monde admettait quil y avait des valeurs communes de civilisation à promouvoir un destin commun à construire et des politiques communes à mettre en uvre en matière de diplomatie et de défense.
Le respect de la souveraineté et de lintégrité territorial de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante( article3,3), cest-à-dire le maintien des frontières tracées par les colonisateurs, alors quelles sont dénoncées comme artificielles, ne tenant pas compte de la répartition des ethnies ou même encourageant leurs divisions.
Mais, au-delà des principes, ce qui frappe immédiatement lesprit, à la lecture de la charte, cest si lon puis dire le manque du désir dunité véritable et mieux le souci de maintenir la stabilité, la sécurité et le statu quo entre Etats africains membres de lorganisation.
En effet dès le préambule, on peut lire :
Paragraphe 6 " convaincu que afin de mettre cette détermination, (celle de renforcer la compréhension et la coopération entre nos Etats, paragraphe 5), au service du progrès humain, il importe de créer les conditions de paix et de sécurité. "
Comme on le voit, pour les pères fondateurs de lOUA, la compréhension et la coopération entre Etats africains ne passent pas par la création des Etats-Unis dAfrique, mais par la création et le maintien " des conditions de paix et de sécurité ". Laccent est mis ici sur la paix et la sécurité des différents Etats dAfrique.
Le paragraphe 7 va plus loin en précisant quil ne sagit pas seulement dassurer la sécurité des Etats membres de lOUA, mais de " veiller sur lindépendance, la souveraineté, ainsi que lintégrité territoriale de chacun deux. Ce paragraphe stipule que les Etats membres sont fermement résolus à sauvegarder et à consolider une indépendance et une souveraineté durement conquises ( ) " . Sagissant des objectifs de lorganisation, la charte de lOUA est on ne peut plus explicite. Lorganisation panafricaine vise entre autres, à défendre la souveraineté, lintégrité territoriale et lindépendance de chacun des Etats membres( ), les Etats membres coordonnent et harmonisent leurs politiques générales, en particulier dans les domaines suivants :
Il nest donc pas question de rechercher lunité des Etats, encore moins de travailler à leur unification prochaine, mais uniquement de " coordonner et dharmoniser " leurs différences politiques. Donc, simple coopération et encore pas dans tous les domaines. Cette coopération ne concerne que des secteurs limités, puisque ces secteurs sont cités. Pour revenir aux principes, certains comme Edem Kodjo, ancien Secrétaire général de lOUA pensent que cest là où les fondateurs de lOUA révèlent la vraie nature quils entendent donner à lorganisation : la mise sur pied dune institution qui consacre le triomphe des nationalités et met une fois de plus un frein à toute initiative dunification du continent, en se réfugiant derrière un semblant dunité. Car au premier principe, il ressort la dénomination de lorganisation : Les hautes parties contractantes constituent par la présente charte, une organisation dénommée : organisation de lunité africaine. (article I)
Mais on verra que la charte dAddis-Abeba constitue un compromis favorable à la thèse de lAfrique des patries que celle fédéraliste prônée par le Docteur Nkrumah.
En effet, les Etats membres, pour atteindre les objectifs énoncés à larticle II affirment solennellement les principes que nous avons énoncé plus haut, et pour illustrer ou souligner limportance capitale attachée à ces principes, larticle 6 de la charte stipule : " Les Etats membres s engagent à respecter scrupuleusement les principes énoncés à larticle III. "
Les principes énoncés ci-dessus sont suffisamment clairs. Si les fondateurs de lOUA insistent sur légalité souveraine de tous les Etats membres grands ou petits, puissants ou faibles - , ce nest pas pour décourager toute de sujétion ou même de domination dun Etat africain par un autre Etat africain. Car à lépoque, on ne connaît pas de pays suffisamment équipés ou audacieux pour nourrir des visées expansionnistes à légard dun autre pays africain. Sils le font, cest surtout pour empêcher toute sorte dhégémonie dun Etat sur les autres au sein de lorganisation.
Beaucoup de dirigeants africains rejettent le fédéralisme par crainte des tentations à lhégémonie quil pourra susciter et des visées expansionnistes qui pourraient sen suivre. Tel est par exemple, le cas entre autres de Habib Bourguiba, qui déclare en 1963 : " lunité en dernière analyse, ne peut venir que du consentement des peuples consentement réel, profond et librement exprimé. Elle ne peut en aucun cas être imposé par les moyens de la crainte et de la subversion au service dune volonté dhégémonie. Le désir dhégémonie ou le complexe de supériorité, cest le ver dans le fruit, lorsquun partenaire veut dominer un autre dans un ensemble à plus ou moins brève échéance. "
Nous savons par ailleurs quà cette époque là, beaucoup de chefs dEtat africains accusent le dirigeant ghanéen, Kwamé Nkrumah de vouloir se servir de lidéal panafricain pour mettre sur pied des structures qui lui permettent de simposer à ses pairs africains et de faire aboutir ses visées expansionnistes. Le principe de non ingérence dans les affaires intérieures dun Etat membre de lOUA, donne à chaque Etat une autonomie, une liberté totale en matière de politique intérieure, en le mettant à labri de toute intervention et même des critiques, non seulement dun Etat africain vis à vis dun autre, mais également de lorganisation par rapport à chaque Etat membre.
Ce principe réduit lOUA à une impuissance certaine et à une incapacité regrettable devant certains drames, où son intervention rapide et énergique est souhaitée et nécessaire. Ainsi, devant le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994, les guerres civiles qui font ravage en Angola, en Somalie, au Liberia, dans les Congo, lOUA brille toujours par son absence de la scène africaine, où elle est censée jouer un rôle pivot. Citons un exemple pour mémoire, lancien secrétaire général de lorganisation panafricaine, Edem Kodjo, notamment sest vu obligé de sexpliquer pour cause " dingérence dans les affaires éthiopiennes, suite aux massacres de personnes civiles et militaires par le régime éthiopien du temps où il était secrétaire général de lOUA à Addis-Abeba, même, capitale qui abrite le siège de lOUA..
" Je nai pas fait de déclaration se justifie - til, jai tout juste ajouté mon grain de sel. Je me suis associé à lémotion générale, car jai été témoin des événements. Je nai pas du tout violé la charte. Les autres chefs dEtat ont eux réagi à légard de lEmpereur. Cela ne peut pas être considéré comme une ingérence mais comme une réaction sentimentale. "
Quant au principe 3, il rend pratiquement impossible le regroupement dEtats africains indépendants au sein de fédérations supra étatiques, puisquil garantit la souveraineté et lintégrité territoriale de chaque Etat membre de lOUA, sacralisant pour ainsi dire les frontières actuelles. Ainsi pensait-on mettre fin à toutes " les revendications de territoires, à toutes les visées expansionnistes et à toutes les tentatives dirrédentisme. "
Pour ce qui est du principe 5, il reflète aussi bien lanxiété des chefs dEtat au sujet de leur sécurité personnelle que de leur préoccupation concernant la stabilité de leurs régimes. Ainsi sexplique cette condamnation sans réserve de lassassinat politique ainsi que des activités subversives exercées par des chefs dEtat voisins ou autres.
Lors de la session ordinaire du sommet du Caire en juillet 1964, les chefs dEtat adoptèrent la résolution sur " lintangibilité des frontières africaines ", qui explique encore davantage le contenu et lesprit du principe 3 de la charte sur " le respect de la souveraineté et lintégrité territoriale de chaque Etat membre et de son droit inaliénable à une existence indépendante. "
Dans ses considérants , la conférence des chefs dEtat et de gouvernement juge entre autres, que les frontières des Etats africains au jour de leur indépendance constitue une réalité tangible, rappelle lobligation quont, tous les Etats membres de respecter scrupuleusement les principes énoncés au paragraphe 3 de larticle II de la charte, puis déclare solennellement que tous les Etats membres sengagent à respecter les frontières existantes au moment où ils ont accédé à lindépendance. Ainsi, se confirme ce que nous avons affirmé plus haut : désormais, toute unification politique des Etats africains violerai les principes de lOUA et se trouve donc condamnée davance par lorganisation- nous- y reviendrons.
SECTION II : LES OBJECTIFS DE LOUA
A : Les objectifs politiques
La victoire du courant modéré sur le courant progressiste na pas manqué dentraîner des conséquences au niveau des objectifs fondamentaux que poursuit lorganisation de lunité africaine. En effet, dès lors que lunité africaine envisagée est mise en uvre dans le cadre dune coopération entre Etats africains indépendants, il est normal que la première préoccupation de ces Etats soit la défense de leur souveraineté, lintégrité de leur territoire et leur indépendance. Cette préoccupation était dautant plus forte quà lépoque, cette souveraineté venait dêtre acquise. On devait faire tout pour la conserver et la consolider. Larticle 2 de la charte donne une dimension importante à cet objectif, en déclarant la lutte contre le colonialisme dans toutes ses formes et le dévouement sans réserve à la cause de lémancipation totale des territoires africains non encore indépendants. Lorganisation de lunité africaine sera donc une organisation inter-africaine, avec un objectif politique qui comporte une double dimension :
ces principes ont pour finalité de préserver la stabilité politique des Etats africains. Cela ne signifie pas cependant que lorganisation africaine serait une sorte de sainte alliance entre les régimes africains en place, la reconnaissance plus ou moins rapide des gouvernements africains issus des coups dEtat, par lorganisation et ses membres le montre. Souvent, six mois seulement suffisent pour apprécier leur " effectivité " et les reconnaître. Le problème devient beaucoup plus délicat si lobjectif de lutte contre le colonialisme sous toutes ses formes, et de la libération de lAfrique en général, et même de linfluence des blocs (article 3, alinéa 7) mettent en cause un Etat membre de lOUA dont lattitude enfreint les décisions de lorganisation. La lutte contre le colonialisme se heurte au principe de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats.
B : Les objectifs économiques, culturels et sociaux
Cette dimension économique et socioculturelle de lorganisation est affirmée par la charte elle- même dans son article 2, al b : " un des objectifs de lorganisation est de coordonner et dintensifier la coopération entre Etats africains ainsi que leurs efforts pour offrir de meilleures conditions dexistence aux peuples dAfrique. Ils harmonisent leurs politiques dans les domaines économiques, techniques et sociaux. Dans la
conception qui a prévalu à celle de lOUA, le développement et la coopération économique entre Etats africains ne doit pas conduire à lisolement du continent mais son ouverture sur le monde extérieur en vue de promouvoir une coopération à léchelle internationale juste et équitable.
Seulement, lAfrique doit dabord et avant tout coopérer avec elle-même : réunir ses potentialités économiques et ses marchés, exporter ses complémentarités en vue dun développement économique harmonieux de tout le continent.
Cest de cette idée que proviendra toutes les expériences dorganisation, dintégration économiques régionale de lAfrique ainsi que les théories relatives au développement autocentré et à lautonomie collective. Ces organisation qui ont connu une grande disparité dans leur réussite se présentent comme une sorte de dépassement des anciennes solidarités coloniales liant la métropole et ses colonies. Cest dans cette perspective également que lorganisation de lunité africaine lancera la coopération arabo- africaine ; quelle décidera en 1976 la création dune communauté économique de lAfrique, et, le plan daction de Lagos pour le développement de lAfrique sera élaboré.
Sur le plan social, lorganisation de lunité africaine accorde des aides financières à certains organismes africains ayant des missions socio-économiques : lassociation des universités africaines ou le conseil supérieur du sport. Lorganisation a adopté une charte culturelle. La charte fondatrice de lorganisation assigne ainsi à lorganisation des objectifs politiques, économiques et socioculturelles. Mais, comme nous venons de le voir, la dimension politique a, dans la pratique absorbé toutes les autres dimensions.
SECTION 3 : LES STRUCTURES DE LOUA
Les structures de lOUA déterminées par larticle 7 de la charte sont classiques et sinspirent de celles quon peut trouver dans dautres organisations internationales à vocation mondiale ou régionale.
Lorgane suprême de lorganisation est la conférence des chefs dEtat et de gouvernement (article 8). Ainsi que le nom lindique, cet organe est composé des chefs de lexécutif des différents Etats membres de lOUA , mais ils peuvent déléguer le pouvoir de les représenter à des personnalités dûment accréditées. En fait, de plus en plus les chefs de lexécutif se font représenter par des ministres (affaires étrangères), ce qui donne à la conférence une composition identique à celle du conseil des ministres.
La conférence se réunit au moins une fois par an, mais elle également se réunir en session extraordinaire si un Etat membre le demande et si les deux tiers des Etats y consentent.
Au second degrés, le conseil des ministres est le deuxième organe politique de lOUA. Comme la conférence, il est composé de membres de droit, puisquil comprend en principe les ministres des affaires étrangères. Cependant, chaque gouvernement peut librement désigner un autre ministre. Le conseil des ministres se réunit deux fois par an, en session ordinaire au siège de lorganisation ou en tout autre lieu désigné par le conseil. En outre, il peut se réunir en session extraordinaire dans les mêmes conditions que la conférence des chefs dEtat.
La conférence des chefs dEtat et de gouvernement et le conseil des ministres sont les deux organes à travers lesquels sexprime directement la souveraineté des Etats membres de lOUA : ce sont les organes de représentation des Etats. Mais il sagit de deux niveaux de représentation différents. La conférence est au niveau le plus élevé, alors que le conseil des ministres se situe à un stade inférieur. Il existe donc entre ces deux organes, une hiérarchie nettement affirmée.
Pourtant, à lexpérience, la conférence a sécrété un nouvel " organe " que ne le prévoit aucun texte de lOUA, cest le président en exercice. Il est désormais une composante organique de lorganisation panafricaine. Il sagit dun " organe " né " des nécessités fonctionnelles, peut-être. On a prétendu quil fallait à lorganisation continentale un représentant auréolé du prestige de chef dEtat pour lui servir de porte-parole dans les enceintes internationales ". Dans la conception inter étatique du régionalisme africain, le Secrétaire Général de lorganisation ne pouvait jouer ce rôle, quelle que fut sa personnalité, cest pourquoi, la fonction de " président en exercice " sest imposé de facto à la tête de lorganisation, et cela, depuis près de deux décennies.
Mais il faut souligner que dès sa création, cet " organe " na pas manqué daccroître le risque de politisation excessive de certains dossiers. Pour Edem Kodjo, ancien secrétaire général, " ce président de lOUA, qui sest érigé en institution cardinale de lorganisation " nest pas toutefois le président de lAfrique. "
Cette présidence en exercice, si elle ne sappuie pas sur le bâton de pèlerin des pères fondateurs du panafricanismes, force est de constater quelle contribue à fausser les mécanismes et les rouages premiers de lOUA, dont le système mis en place par la charte dAddis-Abeba sest trouvé sensiblement dénaturé.
Ce nest pas aussi un hasard que la charte mise à jour depuis le 26 mai dernier pour entre autre une définition claire de son rôle et de sa fonction par rapport aux autres organes.
SECTION 4 : LES COMPETENCES DE LOUA
Comme nous venons de le voir, lorganisation de lunité africaine est fondée sur le principe de la coopération. Souvent, la tendance, quand on étudie cette organisation est de laffubler dune mission qui ne lui était pas assignée, ou qui en tout état de cause ne relève pas de sa charte. Ce prisme dobservation déforme les perspectives danalyse et donne de lorganisation continentale limage de ce quelle nest peut-être pas. Le principe de coopération sétend quant à lui aux domaines les plus divers. Le domaine dintervention de lOUA, nest guère illimité. Lorganisation nest restreinte que par les fins indiquées à larticle 2 : renforcer lunité et la solidarité des Etats africains ; coordonner et intensifier la coopération, ; défendre la souveraineté des Etats membres. Mais sous réserve de respecter les objectifs, lOUA peut déployer son activité dans les secteurs les plus divers.
En fait comme le constatait Boutros Ghali quelques années après la création de lOUA : " les trois années qui viennent de sécouler apparaissent plutôt négatives pour lOUA dans le domaine de la coopération économique, sociale et culturelle. Et pourtant, cest le seul domaine qui compte pour lAfrique "
Dautre part, la question importante est de savoir si lOUA peut prendre des décisions, cest-à-dire des mesures de caractère obligatoire à légard des Etats membres. On pourrait le croire à la lecture de la charte. A propos de la conférence des chefs dEtat, larticle 10 parle de " décisions " prise à la majorité simple ou renforcée. Mais le terme utilisé ne doit pas faire illusion. Les principes sur lesquels lOUA est fondé excluent que lorganisation puisse imposer, surtout à la majorité de véritables décisions aux Etats membres, sauf pour ce qui concerne son organisation interne et son fonctionnement.
En outre, lorganisation panafricaine ne dispose daucun moyen de contrainte à légard des Etats récalcitrants. En réalité, lOUA ne formule que des recommandations, et des vux pieux. Elle utilise le langage de lespérance et non celui du commandement. Or si lorganisation panafricaine agit de cette manière face aux multiples problème qui assaillent le continent : conflits frontaliers, guerres civiles, coups dEtat, réfugiés, famines et sida, la violation des droits de lhomme et le refus de promouvoir le développement du continent, lorganisation serait-elle conforme à lidéal de vie unitaire et progressiste cher au panafricanisme ?
Cest peut-être en réponse à cette attente que lunion africaine prendra le relais de lorganisation de lunité africaine.
Sagissant de la conférence des chefs dEtat et de gouvernement, la charte de lOUA la considère comme un organe de discussion et détudes. Elle " étudie les questions dintérêt commun " On est tenté de demander dans quel but ?, la réponse serait sûrement " afin de coordonner et dharmoniser la politique générale de lorganisation. "
En définitive, lorganisation de lunité africaine apparaît comme une organisation internationale très classique qui préserve au maximum la souveraineté des Etats.
Dans ces conditions, il est inévitable que les clivages politiques apparaissent au sein de lorganisation même. Lunité nest guère réalisée que sur les problèmes de décolonisation, de lutte contre le colonialisme et sur les revendications relatives au développements des pays africains.
Des divergences étaient apparues entre lAfrique dite modérée et lAfrique dite révolutionnaire, elles ont été apaisées par le compromis qui a abouti à la création de lOUA, trente huit ans plus tard, à Syrte, la question des Etats-Unis dAfrique cher à Nkrumah fut relancé par le guide libyen Mouammar Kadhafi qui a réussi à forcer la main de ses pairs pour la création de lunion africaine. Il y a plus dun siècle en 1884 à Berlin, les puissances européennes sétaient partagées lAfrique en morceaux, taillés à leurs intérêts, aujourdhui, le continent veut-il prendre son destin en main en récrivant lhistoire et évitant les erreurs du passé ?
Avec lunion africaine, on peut encore rêver, mais pour autant faut-il encore tout copier sur des modèles qui ont certes réussi tant bien que mal mais qui ont leur réalité propre et dont ladaptation tous azimut peut se révéler dangereuse.
CHAPITRE II
DE LOUA A LUNION AFRICAINE
Des remarques récurrentes et constantes en termes dimmobilisme ont été émises à ladresse de lorganisation de lunité africaine. Elle en a pris acte, et passe le témoin, dans la réalisation des idéaux panafricains à lunion africaine qui est née en même temps que le siècle. En dépit dune " inefficacité " pour laquelle elle a souvent été vilipendée face à lénormité des difficultés qui minent lAfrique, lOUA aura eu le mérite de rechercher des solutions, et déviter beaucoup de conflits en favorisant le dialogue.
Souvent, de façon informelle bien sûr mais conformément à la tradition orale africaine dont la palabre contribue au dialogue et à la concertation secrète, évitant toujours de porter à la surface les conflits et mettre en face les protagonistes sur la place publique, lOUA a beaucoup réussi dans lorganisation des sommets annuels qui ont permis aux dirigeants africains de se rencontrer et se parler. Là aussi, cest la dimension culturelle qui lemporte. Là où lorganisation internationale échoue dans ses normes, ses formes et ses procédures, lorganisation panafricaine réussi à servir de cadre de dialogue, de compréhension mutuelle sur certains sujets non élucidés, et souvent de réconciliation. Il y va de la personnalité africaine. Deux proverbes africains illustrerons notre propos : " Il vaut mieux avaler une aiguille dans une case que dêtre contraint davaler un tronc darbre sur la place publique. " et, " si deux vieillards se battent, cest quils nont pas pris la peine de se parler ".
Cette forme de diplomatie, invisible aux caméras et aux écrans de télévisions, dont le but est de préserver lharmonie et de maintenir léquilibre du tissu social, donne des résultats tangibles et fausse souvent le calcul des experts et les prévisions dangereuses de certains observateurs internationaux qui prédisent des malheurs au continent.
Cest ainsi que cette fois encore contre toute attente, le traité de lunion africaine est adopté et marche très rapidement. Quelles sont ses principales innovations par rapport à lOUA ?
SECTION I LUNIONA FRICAINE OU LE COMMENCEMENT DE LA VRAIE HISTOIRE
LHistoire dira un jour son mot, lAfrique écrira sa propre
Patrice Lumumba.
Uns siècle après Berlin, cest peut-être loccasion pour lAfrique à travers lunion de faire lhistoire au lieu de la subir. Nous avons vu que les indépendances délivrés à tour de rôle aux Etats africains ont été sournoisement dévoyées ou simplement confisquées. Il fallait un sursaut, dautant plus que les populations africaines nont jamais été contre lunion. Dépasser la multiplication des micro-Etats voués à la lutte pour une survie précaire et à la mendicité chronique. Certains de ces Etats correspondent à la population dune ville provinciale ou dune grosse agglomération européenne, et disposent dun budget qui ne dépasse pas celui dun grand magasin ou dun grand hôtel américain.
Les pays africains dit le professeur Ki-Zerbo, nont pas pensé aux conditions fondamentales pour améliorer le quotidien de leurs populations désemparés. Dabord, si nous négocions à titre bilatéral avec les institutions et les pays de lextérieur, jamais nous naurons des conditions correctes. La négociation est un rapport de force. Aucun pays africain na la force nécessaire pour obtenir des termes satisfaisants parce que nous sommes trop faibles. Par exemple : " Il y a dix millions dhabitant au Burkina Faso mais pour le pouvoir dachat, ils ne représentent que 100 000 ou 150 000 Belges ou Français. Donc, ce nest pas avec cela quon peut changer la vie. Ce nest pas possible. Il faut dire la vérité aux gens et sentendre entre Africains pour essayer de faire quelque chose. Il nous faut de vraies conditionnalités structurelles comme lunité africaine.
S i la Banque mondiale nous dit : " Réalisez lunité africaine, sinon vous naurez pas laide ", japplaudirai à cette conditionnalité . Mais dire : " Payez vos dettes, sinon vous naurez pas dargent, faites un budget en équilibre "
LAfrique représente aujourdhui 22% des superficies émergées du globe. Elle compte plus de 800 millions dhabitants dont les trois quart ont moins de 25 ans. Pourtant, ce ne sont pas les ressources qui manquent. Le nouveau secrétaire général de lorganisation, Amara Essy , voit en lUnion africaine comme une chance ultime pour faire face à tous les défis de la mondialisation, un trait dunion entre un demi - milliard dêtres humains parmi les plus pauvres du monde (2% du produit intérieur brut de la planète, 3%des exportations mondiales) ; établis dans une des régions potentiellement les plus riches de notre planète. Ses ressources-sol et sous-sol- et ses richesses halieutiques sont incalculables : forêts et cultures (café, cacao, coton, fruits ), matières premières (or, diamants manganèse, bauxite, fer, métaux rares), énergies (hydrocarbures et hydroélectricité), poissons et crustacés Sur un tel espace, nous avons besoin pour vivre de normes et de repères ".
Les normes et les repères doivent partir des réalités, des intérêts et des valeurs de lAfrique : Dabord, voir qui nous sommes. Puis les intérêts et valeurs : cela, cest lidentité africaine qui doit servir de socle, à lédification dun programme ou dun projet de société.. Le projet de société, cest la raison de vivre. Dans la vie dune société, il y a la culture comme raison de vivre. Cest-à-dire, ce que nous avons reçu, notre patrimoine et ce que nous projetons de faire et dêtre !
Le professeur Ki-Zerbo dit que " si on enlève aux pauvres du Burkina, qui représentent 46 à 47% de la population, daprès les documents du ministère des finances et dont 27 à 28 % sont en dessous du seuil de pauvreté, la culture, que va-t-il leur rester ? Ils naurons pas la vie , ils naurons pas la raison de vivre.
Cet exemple est valable pour la plupart des pays dAfrique.
Or, il y a des moments où il faut faire un saut politique, comme la fait lEurope. Lunion africaine née en Syrte le 3 mars dernier en un.
Bien entendu ce nest pas le moment de leuphorie, car le processus ne fait que senclencher, mais lunion permettra à coup sûr aux pays africains de constituer un marché, de permettre la libre circulation des biens, des personnes et des idées, dagir de concert sur les plans politiques, économiques et militaires sur léchiquier mondial et de parler dune même voie.
SECTION II : INNOVATION DE LUNION AFRICAINE
Décidé en juin 2000 à Lomé, au Togo, le sommet extraordinaire de lorganisation de lunité africaine tenu à Syrte le 2 mars dernier aura tenu les engagements pris par les dirigeants africains, il y a un an.
Outre la conférence, le conseil exécutif et les comités techniques spécialisées qui existaient déjà dans lorganisation de lunité africaine mais sous une autre appellation, linnovation de lunion africaine aura surtout été :
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ANNEXES