UNIVERSITÉ DE PARIS I - PANTHÉON SORBONNE
UFR 07 : ÉTUDES INTERNATIONALES ET EUROPÉENNES
Introduction
PREMIERE PARTIE : Les Facteurs Exogènes d'un sur-moi
masculin
CHAPITRE 1 : Le patriarcat comme système d'organisation familiale
et sociale
Section 1 - L'économie comme facteur d'émergence du
patriarcat.
Section 2 : Le patriarcat comme système d'organisation familiale
et sociale.
Section 3 - Le patriarcat comme système de pouvoir
autoritaire.
CHAPITRE 2 : L'histoire comme facteur de maintien
Section 1 - La pensée religieuse ou le maintien de
l'orthodoxie.
Section 2 - La cristallisation des structures sociales
Section 3 - Le rôle de l'Etat
SECONDE PARTIE : Les effets endogènes du système
patriarcal
CHAPITRE 1 : La construction de l'identité masculine
Section 1 : Les poids de la société et du système
politique
Section 2 - Le rejet de la " faiblesse " ou la trahison du
moi :
Section 3 - L'émergence de l'homme narcissique
CHAPITRE 2 : La construction de l'identité féminine
Section 1 - Le moi féminin traditionnel, ou la pensée
du masculin chez le féminin
Section 2 - Le moi féminin indépendant ou la recherche
d'une autonomie
Section 3 - L'autodéfense inconsciente
CONCLUSION
Le statut de la femme en Algérie est un sujet qui m'intéressait
d'aborder et de mieux comprendre depuis fort longtemps déjà,
et ce, pour plusieurs raisons : Algérienne et femme ayant vécu
en Algérie, et en France, avec une formation scolaire francophone
dans un pays arabophone, j'ai eu, par ce biais, la possibilité
d'acquérir une double culture qui me permet aujourd'hui (du moins,
je l'espère) d'avoir un regard plus critique sur la place et le rôle
réservés par la société à la femme
Algérienne.
En effet, au cours de mon " vécu " algérien, dans
ma vie quotidienne, familiale et sociale, il m'est arrivé de côtoyer
des personnes de différents milieux, d'assister à des discussions,
lors de réunions familiales, de mariages, de fêtes etc..., et
de cela, j'en retiens aujourd'hui un point essentiel : La place et le rôle
de la femme n'ont jamais été abordés sérieusement,
et surtout n'ont jamais été remis en cause.
Tout se passe dans les esprits des uns et des autres, comme si le rôle
de l'homme, et la place de la femme était une situation allant de
soi, une situation normale.
En partant d'un certain nombre de constats et de paradoxes, j'en suis venu
à me poser un certain nombre de questions auxquelles je tenterais
de répondre dans ce travail.
Le premier constat que l'on tire de l'observation de la société
algérienne, est que celle-ci est basée sur des rapports
hiérarchiques où le groupe domine l'individu, où
l'âgé domine le jeune, l'homme la femme. De cela, il en
résulte un statut inférieur de la femme qui l' exclue de la
vie publique, et exacerbe un certain comportement phallocratique, voire
misogynique, de la part de l'homme1.
Paradoxalement, la femme est omniprésente dans le discours masculin,
de même qu'elle est le pilier central de la famille avec une mère
ayant une autorité incontestée sur le foyer2.
Pourquoi donc cette infériorisation de la femme, son exclusion et
son omniprésence, sa " faiblesse sociale " et son pouvoir
familial ?
Cette situation est-elle due au système patriarcal qui domine la
majorité des sociétés humaines ? Est-elle due à
la religion musulmane qui se veut être, selon les religieux une
codification de l'organisation sociale et politique3 ? Ou est-elle
la conséquence d'un rapport de pouvoir où la peur d'être
dominé conduit à la domination de l'autre, dans un schéma
de pensée qui se construit par opposition-exclusion, et non par
négociation-intégration ?.
1 - Les témoignages recueillis par Fadéla M''rabet dans " La femme algérienne, suivi de Les algérienne ", Paris, Maspero, 1983, 299p., sont à ce sujet assez éloquents. Nous enverrons quelques uns dans les développements suivants.
Le rapport de la fédération internationales des ligues des droits de l'homme (F.I.D.H.) dans " la situation de la femme en Algérie "in " Algérie, le livre noir ", Paris, la Découverte, 1997, 254p., P. 98 à 110 , dénonce également les comportement masculin envers les femmes sur les lieux de travail, p.103.
2 - Abdelwahab Bouhdiba, dans " La sexualité en Islam ", Paris, P.U.F., 1975 (1ère éd.), 1982 (2ème éd.), 320 p., parle d'un véritable royaume des mères P. 261.
3 - En effet, la conception traditionnelle, chez les autorités
religieuses musulmanes est, que celui-ci est " Din wa dawla, Dins wa
dunya " - religion et Etat, religion et vie - c'est-à-dire
organisation politique et sociale. Voire Nouredine Saadi " La femme
et la loi en Algérie ", Casablanca, le Fennec (collection Femmes
Maghreb - UNU / WIDER),k 1991, 180 p., P. 24.
On peut également se demander quelles peuvent être les
conséquences psychologiques des rapports de l'homme avec la femme,
de la femme avec l'homme et de la femme avec la femme, dans la mesure où
nous sommes en présence d'un système de hiérarchie-domination
qui s'acquiert à l'enfance4 pour transformer une relation
innée d'intégration5 (entre la mère, le père
et les enfants) en une relation acquise d'exclusion6, qui perdure
à l'âge adulte et se reproduit par l'éducation.
Pour finir, il serait bon de se demander si un tel système est sans
conséquences " pathologiques ", et si tel est le cas, quelles
peuvent alors être les solutions que l'on peut apporter afin
d'éviter, d'enrayer lesdites pathologies.
Pour répondre à toutes ces questions, le travail effectué
s'est basé sur des ouvrages généraux concernant la femme
en pays musulmans pour tenter d'appréhender la conception qu'ont d'elles
les hommes arabo-musulmans, ensuite sur des ouvrages plus spécifiques
à la femme Algérienne afin de mieux comprendre sa situation,
et son environnement, ainsi que sur des travaux d'enquêtes concernant
le travail de la femme et sa condition dans le Constantinois ; les
témoignages écrits, tirés d'ouvrages de femmes
algériennes, ou verbaux recueillis après un court séjour
à Marseille m'ont également aidé à élaborer
ce travail, sans oublier l'apport de ma propre expérience familiale,
ainsi que celui d'ouvrages de psychologie et de psychanalyse.
En effet, il me semblait utile de consulter ces ouvrages afin de tenter de
mieux comprendre dans la mesure du possible, puisque ces matières
ne sont pas de ma compétence, les rapports homme-femme sous l'angle
psycho-psychanalitique.
Le sujet traité sera ainsi découpé en deux grandes parties.
L'une destinée à comprendre les causes d'un moi masculin
survalorisé, à travers l'analyse du système patriarcal,
et l'autre destinée à saisir les effets de ce système
patriarcal tant sur la pensée masculine que féminine.
4 - Notamment par l'éducation différenciée
des jeunes enfants, filles et garçons, comme en témoigne le
Docteur Mohamed Sijelmassi dans " Enfants du Maghreb entre hier et
aujourd'hui " et Mathéa Gaudry dans " La société
féminine au Djebel Amour et au Ksel ", (étudede sociologie
rurale nord-africaine), Alger, société algérienne
d'impressions diverses, 1961, ........p., P. 125 à 221.
5 - En effet, selon Françoise Couchard dans " Le
fantasme de la séduction dansla culture musulmane - mythes et
représentations sociales - ", Paris, PUF, 1994, 305 p., et le
Docteur M. Sijelmassi, op. cit., l'enfant, qui né, reste
psychologiquement rattaché à sa mère. De la naissance,
jusqu'à l'âge de 3 - 4 ans, l'enfant ne se différencie
pas de sa mère, il n'y a donc pas, à ce stade de son existence,
ce sentiment de hiérarchie ou de domination.
6 - Dans la mesure ou l'exclusion n'est pas
" naturelle " mais est le résultat de l'environnement social
et éducatif.
En Algérie, la pensée masculine est une pensée relativement
" dominatrice " basée sur le principe que l'homme est
l'élément supérieur de la société et la
femme l'élément inférieur.
Cette pensée est issue du système patriarcal qui régit
la société algérienne.
En effet, le patriarcat est un système d'organisation familiale et
sociale fondé sur la prépondérance de la descendance
des mâles et le pouvoir exclusif du père1.
La naissance de ce système remonte à une époque relativement indéterminée2, malgré cela, nous pourrons tenter d'étudier le processus de son émergence et son influence sur l'organisation de la famille et des rapports sociaux - Chapitre I - ainsi que les raisons de son maintien à travers le rôle d'une " certaine forme " d'histoire
- Chapitre II -.
1 - Définition donnée par le dictionnaire Larousse
Elle correspond, certes, au système patriarcale
méditerranéen, mais en Afrique, on peut également observer
un autre type de patriarcat dans lequel le pouvoir repose sur le frère
du père, l'oncle, lorsque ce dernier meurt.
2 -Dahbia Abrous, " L'honneur face au travail des femmes
en Algérie ", Paris, l'Harmattan, 1989, 312 p., P. 17.
Le patriarcat, qui régit encore aujourd'hui un grand nombre de
sociétés, est un système qui n'a pas toujours
existé.
Sa naissance remonte à une époque difficilement déterminable,
mais le facteur économique ne semble pas étranger à
son émergence - Section 1 - né à une époque
très ancienne, il a fini par structurer la famille et la
société - Section 2 - et par devenir un système de pouvoir
autoritaire - Section 3 -.
Section 1 - L'économie
comme facteur d'émergence du patriarcat.
Comme nous l'avons dit plus haut, le patriarcat n'a pas toujours existé. Il semble bien que le facteur économique ait joué un rôle déterminant dans son émergence. Ainsi, nous serions passé, selon certains auteurs, de la matrilinéarité à la patrilinéarité - Paragraphe A - puis de la patrilinéarité au patriarcat - Paragraphe B -
en fonction de l'évolution du système économique.
§ A - De la matrilinéarité à la
patrilinéarité :
En partant de l'observation des sociétés humaines, le premier
constat que l'on peut faire est que la majorité de ces
sociétés sont basées sur un système de division
sexuelle de l'espace et des rôles, plus ou moins accentué, plus
ou moins rigoureux, mais toujours présent, sinon dans les faits, du
moins dans les esprits3.
Cette division des rôles et de l'espace " a abouti à
produire entre les sexes un rapport social hiérarchisé de
domination / subordination "17:244 qui, parce qu'il est social,
n'est donc pas une donnée naturelle que la différence biologique
aurait pu expliquer.
Dès lors, l'un des éléments qui peut expliquer
l'émergence du patriarcat est sans doute l'élément
économique (dans la mesure où " les étapes
charnières de ce processus complexes (...) demeurent pour une large
part inconnues "4bis. C'est ainsi que, d'après
certaines recherches ethnologiques les sociétés de cueillettes
et de chasses reposaient sur un système matrilinéaire où
" la femme semblait avoir échappé au statut de
dominé qui est le sien dans les sociétés
civilisées "5.
3 - Ainsi, en Inde, aux Etats-Unis, ou en Israël, les intégristes religieux tiennent un discours relativement proche de celui des islamistes algériens à propos du rôle et de la place de la femme dans leur société.
En Inde " Crémations rituelles des veuves, avortements sélectifs, suicides sous contraintes : La femme Hindoue paie parfois de sa vie la soumission à " l'harmonie cosmique " écrit ainsi Catherine Weinberger-Thomas, Professeur de hindi à l'INALCO dans le nouvel observateur du 5 au 11 avril 1990 " Dieu est-il misogyne ? ", p. 7 ; alors qu'en Israël les ultra orthodoxes tentent d'interdire la mixité sur les plages et considèrent qu'entrer en conversation avec une femme abouti à une fornication
- Elizabeth Schemla, " Le Nouvel Observateur ", op. cit. - cité par Nouredine Saadi dans " La femme et la loi en Algérie ",
op. cit., p. 38, notes 8 à 10.
4 - Dahbia Abrous, op. cit. p. 16.
4 bis - Idèm p. 17.
5 - Ibid p. 17.
La question que l'on peut alors se poser est de savoir à quel moment et pourquoi,
il y a eu domination d'un sexe sur l'autre ?.
D'après Mr. le Professeur Piault (Professeur d'anthropologie du pouvoir à Paris 1)
il n'y a pas de domination, de pouvoir, d'un groupe sur l'autre, d'une classe
sur l'autre, de l'homme sur la femme sans qu'il ait enjeux, et l'enjeux pour
l'homme, serait la transmission de sa richesse, de son patrimoine à
sa descendance, d'où la nécessité de
" contrôler " et de gérer la famille.
Cette nécessité de " contrôler " intervient
au moment où l'on passe d'une société de cueillette
et de chasse, d'une économie de survie, à une économie
marchande d'accumulation des richesses.
Dès lors, la matrilinéarité, que l'on pourrait analyser
comme la conséquence de la maternité, en raison du
" mystère de la conception " qui engendre le rattachement
de l'enfant à sa mère par le pouvoir de vie qu'elle détient
et dont est exclu l'homme par ignorance de son rôle joué dans
le processus de la naissance6, se transforma en système
patrilinéaire lorsque deux éléments, au moins,
convergèrent : La prise de conscience du rôle joué par
le père dans la conception de l'enfant, et la transformation progressive
de l'économie de survie en une économie marchande,
nécessitant la connaissance de sa descendance pour l'homme afin de
permettre la transmission des richesses accumulées dont lui seul s'en
est trouvé, à un moment ou à un autre, chargé.
Cependant, le passage de la matrilinéarité à la
patrilinéarité est loin de s'être produit de façon
aussi automatique. Ainsi, selon Ernest Borneman " le passage de
ce que l'on a appelé le matriarcat au patriarcat et plus
particulièrement du clan matrilinéaire à la famille
patrilinéaire se fit par un processus extrêmement long et
extrêmement complexe au cours duquel certains vestiges du matriarcat
se maintinrent obstinément. Tandis que dans la nouvelle conception
du mariage, la femme passait dans le clan du mari, celui-ci (le mari) demeurait
souvent dans le clan maternel. Mieux encore, même les enfants appartenaient
au clan de leur mère. En conséquence, bien que nés dans
le clan de leur père comme le voulait le nouveau système de
descendance, ils allaient souvent vivre auprès de leur oncle, frère
de leur mère. Tout au long de la période transitoire, la
composition de la famille fût extrêmement curieuse : Elle était
constituée d'hommes et de femmes mais sans leurs enfants puisque ceux-ci
appartenaient à leur oncle maternelle, et comportait en revanche des
neveux et des nièces puisque ceux-ci étaient dans le même
rapport avec le père de famille que ses propres enfants avec le
frère de sa femme "7.
6 - Ibid p. 17.
7 - Ibid p. 20.
Il est également un fait intéressant à noter : Jamais,
semble-t-il, le système matrilinéaire n'a engendré le
matriarcat, c'est-à-dire le pouvoir exclusif des femmes sur les hommes
à l'inverse du patrilinéarisme qui s'est transformé
en patriarcat.
En effet, et toujours selon E. Borneman, qui se fonde sur les clans Grecs
et Romains du début du néolithique, qu'il appelle clans
matristiques, ceux-ci, dit-il " (...) se distinguaient
précisément par le fait que les mères n'utilisaient
pas le pouvoir latent dont elles disposaient pour établir une domination
sur leurs maris, leurs frères ou leurs fils, c'est précisément
en cela que ce système se différencie du patriarcat lequel
constitue, au contraire, un authentique système de
domination "8.
L'idée d'un âge d'or du matriarcat avancée par Morgan
et Engels9 serait donc quelque peu trop hative, ou tout au
moins trop générale. Quelque soit la complexité du processus
de passage de la matrilinéarité à la
patrilinéarité, le constat que l'on peut faire est que celui-ci
a abouti au patriarcat.
§ B- De la patrilinéarité au patriarcat :
La patrilinéarité, comme la matrilinéarité ne
suppose pas le pouvoir d'un groupe sur l'autre mais uniquement le rattachement
d'une descendance à l'un ou l'autre des parents ou groupe familial.
Le patriarcat, lui, suppose, comme nous l'avons déjà dit, le
pouvoir du père, du patriarche sur la famille, et par extension sur
la femme. C'est un système d'organisation sociale et familiale qui
s'est développé tout autour du bassin méditerranéen,
en particulier en Grèce et à Rome, pour s'imposer comme
modèle dominant à l'échelle mondiale, après le
long processus lui ayant donné vie. C'est pourquoi E. Borneman écrit
que " (s) ë ils (les éléments de ce processus)
revêtent une importance particulière en Grèce et à
Rome, c'est qu'ils ont modelé la pensée est le comportement
des peuples prédateurs européens qui (...) ont conquis,
colonisés et exploités la quasi-totalité du monde non
européen "10
Le patriarcat se trouve donc fortement implanté autour de la
Méditerranée et met en place un système d'organisation
basé sur la séparation sexuelle des tâches et de l'espace
; système qui va aboutir à l'exclusion de la femme de la
sphère publique au profit du seul espace domestique et la
prépondérance toujours plus grande de l'homme dans les
activités économiques tels que l'élevage, l'agriculture
et l'artisanat.
8 - Ibid p. 18.
9 - Ibid p. 17.
10 - Ibid p. 18.
L'accumulation des richesses et les enjeux qui en résultent, c'est
à dire leur transmission à sa descendance, ont favorisé
la préférence faite aux garçons dans la mesure où,
dans un système patrilinéaire, le fils est rattaché
à son père, alors que la fille est destinée à
quitter son clan pour entrer dans celui de son époux.
Le patrimoine doit donc demeurer au sein du lignage, particulièrement le patrimoine foncier, la terre, qui, dans le milieu rural Algérien, symbolise la lignée d'un homme. D'où également le mariage polygénique destiné à agrandir la famille et à assurer une descendance mâle . L'exemple de ce vieillard Algérien qui épouse successivement plusieurs femmes afin d'avoir un fils (les autres étant morts) et se retrouve avec un jeune garçon de 13 ans alors que sa fille a"née est âgée de 65 ans11, témoigne de l'attachement du père aux naissances mâles, car les fils seront ceux qui reprendront la terre.
Terre et enfants mâles sont ainsi intimement liés et sont les
garants de la survie du lignage, d'où également la pratique
du mariage endogame destinée à éviter la dispersion
et le morcellement de la terre.
Les alliances matrimoniales deviennent alors un enjeux considérable
pour préserver la pérennité du lignage et éviter
les erreurs de stratégie foncière. De là, le choix du
mari fait exclusivement par le père, ou même
l'exhérédation des filles de l'héritage en région
berbère ; système coutumier qui survécut à
l'arrivée de l'islam, lequel imposait un tiers d'héritage pour
les filles, et qui ne fut supprimé qu'en 1984 avec l'adoption du nouveau
code de la famille.
A ce sujet, Khalida Messaoudi, professeur de mathématique, parlementaire
Algérienne et militante pour les droits de la femme, écrivait
ainsi que " (...) l'islam, chez nous, a été obligé
de s'incliner devant le droit coutumier (...). Dans le droit coutumier Kabyle,
les femmes n'ont aucune part d'héritage. Quand cela a-t-il changé?
En 1984, avec ce code de la famille voté par le parlement (...) il
a permis en Kabylie de modifier un tout petit peu les successions en faveur
des femmes "12.
Le système patriarcal que l'on observe en Algérie est un système qui a été accentué par l'islam sans en être la conséquence. Germaine Tillon faisait d'ailleurs remarquer qu " (...) au Maghreb, les faits de civilisations les plus notoirement islamiques se (trouvaient) implantés mille ans avant la prédication du Coran "13.
Cependant , l'introduction de l'islam a amené avec elle une série
de traditions et de coutumes issues de la société bédouine
d'Arabie où le processus patriarcal suivi, semble-t-il, le processus
de mercantilisation de la société.
11 - Danièle Jemma Gouzon, " L'Algérie à
la croisée des temps ", Paris, Errance, 1989, 135 P., p.20.
12 - Khalida Messaoudi, Elizabeth Schemla, " Une
Algérienne débout ", Paris, j'ai lu, 1995, 183 P., p.
41.
13 - Germain Tillon, " Le Harem et les cousins ",
p. 104, cité par Souad Khodja in " A comme Algérienne ",
Alger, E.N.A.L. (Entreprise Nationale du Livre), 1991, 274 p., P. 31.
En effet, la société bédouine pré-islamique était une société basée sur l'élevage, l'agriculture et le commerce.
L'organisation sociale était celle des clans et des tribus (le clan
étant rattaché à une tribu par le lien de parenté)
de force et de richesse inégales. La vendetta, le " Tha'r "
permettait à un groupe affaibli par la disparition de l'un des siens,
d'affaiblir l'autre groupe par la vengeance contre l'un quelconque des membres
du groupe meurtrier ou de réclamer deux femmes afin de renforcer,
par la naissance d'enfants, le groupe ainsi affaibli14.
La situation de la femme était importante et celle-ci jouissait,
selon Engels " d'une situation libre et fort
considérée "15 dans la mesure où
c'est par elle que se renforce le groupe, le clan et la tribu.
A cette époque, la religion tenait peu de place chez les nomades et
n'était pas un élément coercitif pour les femmes.
D'ailleurs, les trois éléments religieux importants étaient
des Déesses et non des Dieux : Uzza à Qorays, Allat à
Taïl et Manat à Yatrib.
Peu à peu, une économie mercantile se développa et,
parallèlement au troc , des transactions en monnaies, avec le dinars
(or) et le dirham (argent), s'installaient. Les liens de sang commençaient
à se dissoudre au profit de la communauté d'intérêt.
Pendant la période de la Djahilia (ignorance) le processus d'accumulation
financière conduisit à la prééminence de l'homme
et à l'exclusion de la femme de la propriété. C'est
une période où sa situation est contradictoire. J. Henminger,
dans " La société bédouine ancienne " souligne
cela : " ... Autorité paternelle très forte, jusqu'au
droit de vie et de mort sur les enfants, et autorité faible. Des moeurs
rigides et des moeurs relâchées ; descendance patrilinéaire
et matrilinéaire ; résidence patriarcale et matriarcale. Situation
très basse de la femme qui n'aurait été qu'une chose
vendue à son insu et même transmise en héritage, et situation
élevée de la femme jusqu'au droit de propriété
de la tente et au droit de répudier son
mari "16.
Ces contradictions résultaient du développement rapide, que connu la péninsule arabique au VI ème siècle ap. J.C., confronté à une économie qui l'était moins dans certaines zones, et à une très forte immigration vers les centres sédentarisés.
La pratique constante du rapt, au début consécutive à
la pratique d'El-Wad (inhumation des nouveau-né filles en période
de disette), aboutissant à un déficit en femme et donc à
la nécessité de s'en procurer pour perpétuer la descendance,
devint par la suite un procédé commercial : Les femmes
enlevées, et en surplus dans le groupe, étaient employées
comme esclaves ou prostituées travaillant au profit de leur ma"tre.
14 - Yasmina Nawal " Les femmes dans l'islam ", Paris,
la brèche, 1980, 140 p., P..13.
15 - Idèm 16 - Ibid p. 15.
Les femmes se trouvèrent alors dans une situation de dépendance vis-à-vis des hommes de leur propre groupe, seuls capables de les protéger face aux rapts des autres hommes.
Esclavage, prostitution et protection masculine eurent pour effet d'exclure
définitivement la femme du domaine économique, tandis que les
valeurs de la société tournaient autour de la guerre, du rapt
et du monopole du commerce par les hommes.
L'avènement de l'islam ne modifiera que très sommairement les
bases de cette organisation sociale et familiale, tout en jouant un rôle
de sacralisation de ce système qui s'introduira au Maghreb pour s'y
fixer définitivement et mettre en place un système d'organisation
sociale fondé sur la séparation des tâches et de l'espace.
Section 2 : Le patriarcat comme système d'organisation familiale
et sociale.
L'émergence du patriarcat aboutit à une certaine forme d'organisation de la famille basée sur la prépondérance du père et de ses fils sur le reste des femmes du groupe, mais ce système traditionnel17 - Paragraphe A - se transforme18 aujourd'hui, peu à peu ,sous l'influence des nouvelles nécessités économiques et de la modernité - Paragraphe B -.
§ A - La famille patriarcale traditionnelle :
La famille patriarcale traditionnelle est une famille de type communautaire,
dans la mesure où tous les enfants, quelques soient leurs âges,
ou leurs capacités financières, demeurent avec le père.
La cohabitation avec le patriarche se fait même au delà du mariage puisque les fils intègrent leurs épouses au clan, à la famille.
Seules les filles ont vocation à quitter le clan familial au moment
de leur mariage.
Celui-ci est, comme nous l'avons dit, classiquement endogame : En effet, afin de préserver le patrimoine foncier et l'héritage, les unions se font généralement entre cousins paternels. La cousine paternelle épousant le fils du frère de son père.
Cette union préférentielle est également une illustration du fort sentiment de fraternité qui se trouve, ainsi, confirmé et renforcé, et permet également de " rester entre soi ".
Parfois, le groupe se trouve dans la nécessité de contracter
une alliance " politique " avec un autre groupe afin de renforcer
son " pouvoir ", dans ce cas là, l'union se fera par
l'échange de femme.
17 - BEHNAM Djamchid, "L'impact de la modernité
sur la famille musulmane ", in " Familles musulmanes et
modernité,le défit des traditions. " , deBEHNAM Djamchid
et BOURAOUI Soukira, Paris, Publisud,1986,275 p., P. 33 à 65.
18 - Idèm p. 59.
Khalida Messaoudi décrit ainsi le mariage de sa mère :
" (...) on ne se mariait qu'entre cousin, pour préserver
le clan. Un proverbe dit : " Si tu veux que l'objet soit solide,
pétris-le dans ta propre glaise . Ou alors, plus rarement , on
s'alliait à un autre clan de pouvoir égal (...). Ma mère
a ainsi épousé, sans le conna"tre, un de ses cousins (...)
qui l'a prise parmi plusieurs cousines, sans savoir laquelle lui était
destinée "19.
La polygynie permet, quand à elle, de contracter des alliances avec
plusieurs clans à la fois afin d'accro"tre sa descendance.
Dans ce système d'alliance, le choix du clan passe donc, pour le
père, par la nécessité de choisir lui-même le
futur époux.
La fille n'a, par conséquent, pas la capacité de décider du moment de son mariage, ni de qui sera son époux.
En fonction des nécessités du groupe, elle pourra donc être " promise " bien avant sa puberté (parfois même bien avant sa naissance), à tel ou tel autre clan, mai déjà l'alliance sera en elle-même conclue, la consommation de l'union n'intervenant alors qu'au moment de la puberté, laquelle peut se produire très tôt, dès le début de l'adolescence.
Il s'agit là de la pratique de ce qu'on appelle les mariages
précoces qui sont, dans la pensée traditionnelle, totalement
normaux, d'autant plus que le concept d'adolescence n'existe pas dans cette
pensée.
En effet, dans le système classique, une personne passe immédiatement du statut d'enfant à celui d'adulte sans passer par la phase de l'adolescence20.
Ainsi, un garçon devient un homme dès qu'il subit la circoncision, alors que la fille devient une femme dès qu'elle a ses premières règles21.
Dès lors, ce qui parait être un mariage d'enfant ou d'adolescent
n'est autre que l'union de deux adultes pour la pensée
traditionnelle.
Dans ce système communautaire, les liens de solidarités familiales jouent un rôle très important. Les frères, quelque soit leur revenu, se soutiennent mutuellement, bien que l'a"né ait un statut privilégié : En effet, il est le substitut du père et comme tel, aussi craint et respecter que lui par l'ensemble du groupe.
Les soeurs apprennent ainsi à lui obéir et à voire en
lui l'image et l'autorité du père. Les liens qui les unissent
sont, par la même, moins fraternels qu'avec les autres frères.
19 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit. p.p. 43 - 44.
20 - .BEHNAM Djamchid , Op-cit P. 52.
21 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit. p.p. 48 - 49.
§ B - La famille neo-patriarcale :
Les modifications sociales et économiques, ainsi que les modernisations ont transformé la famille communautaire traditionnelle, tant en zone rurale qu'en zone urbaine : En zone rurale, l'éxode vers les centres urbains, ou le départ de l'un ou de plusieurs des membres de la famille vers la ville, déstructure peu à peu la famille, alors qu'en zone urbaine, celle-ci tend à devenir nucléaire sans être totalement de type occidental.
Plusieurs types de modèles de familles peuvent alors appara"tre et
coexister en ville.
Parmi ces modèles, nous pouvons cité celui de la famille nucléaire indépendante, c'est-à-dire conjugale.
Dans ce modèle, l'homme, qui appartient généralement à la classe des cadres supérieurs exerce une profession libérale et a une totale liberté de choix de son conjoint.
De plus, le couple vit sur un pied d'égalité avec un mode de vie proche du modèle occidental.
Cependant, ce type de modèle reste,en Algérie, peu
répandu.
A côté de ce modèle, on trouve également celui de la famille nucléaire dépendante : ici, le choix de l'épouse se fait par l'intervention du groupe de parenté.
La famille est financièrement indépendante, mais l'homme conserve
sa supériorité sur la femme, et la pratique religieuse reste
importante.
Les autres modèles que l'on trouve également en Algérie sont, d'une part, celui de la famille nucléaire avec addition, c'est à dire composée d'un noyau principal auquel s'ajoute les parents ou les frères et soeurs. (La survie du groupe est alors assuré par la famille nucléaire bien que les parents recueillis puissent également fournir une aide financière), et d'autre part, par la famille étendue qui regroupe plusieurs familles nucléaires ayant un ascendant commun -plusieurs générations, deux ou trois, peuvent ainsi cohabiter ensemble -
Ce type de famille reste très hiérarchique avec une
supériorité parentale sur les enfants, celle des personnes
âgées sur les plus jeunes et celle des hommes sur les femmes.
Le père, dans ce modèle, reste omniprésent et puissant, tandis que la mère se charge de tous les travaux domestiques.
L'espace se divise ainsi en deux : Un espace féminin et un espace
masculin.
Ce sont ces derniers modèles qui restent majoritaires en Algérie,
en zone urbaine.
En zone rurale, la société se divise en deux catégories,
l'une regroupant les individus possédant des terres - majoritaires-
et l'autre, les individus ne possédant pas de patrimoine foncier (ils
sont généralement mains d'oeuvre journalière, ou petits
commerçants).
La famille, quand à elle, est de type étendue.
Les groupements de parentés restent soumis à des coutumes et à un certain nombre d'obligations et de responsabilités sociales.
Le mariage se fait, lui, au sein du groupement .
A travers, ces différents modèles, on constate bien que le
modèle traditionnel ancien n'existe plus vraiment, mais n'a pas, non
plus, disparu.
Le Modèle familial de type occidental existe en ville mais reste très minoritaire. Dans la majorité des cas, ce qui prédomine, c'est donc un certain type de famille nucléaire encore attaché aux autres membres de la famille.
C'est au niveau des zones rurales que le modèle patriarcal traditionnel
reste le plus marqué
Le système patriarcal qui est ainsi né, il y a fort longtemps, et qui a ainsi structuré la famille, a fini par devenir un système autoritaire.
En effet, d'autorité et de pouvoir que suppose le patriarcat, on passera
très vite à l'autoritarisme comme rapport de pouvoir
régissant les relations hommes-femmes.
Section 3 - Le patriarcat comme système de pouvoir
autoritaire.
Le patriarcat va, d'une façon ou d'une autre, finir par modeler la
pensée et le comportement de l'homme, seul détenteur de
l'autorité et du pouvoir. Ce qui aboutira à la mise en place
de jeux de pouvoir - Paragraphe A - destinés à maintenir la
domination d'un groupe sur l'autre, alors que l'obéissance va devenir
l'outil du contrôle du groupe dominant sur le groupe dominé
-Paragraphe B -.
§ A - Les stratégies de dominations, ou les jeux de pouvoir :
En partant de l'idée que celui qui détient le pouvoir cherchera
à le garder, et que celui qui ne l'a pas cherchera à
l'acquérir, on verra comment l'homme a développé les
outils de maintien de son pouvoir, ou de partage de pouvoir de l'autre sexe.
Suivant l'analyse de Michaël Korda qui, dans " Le pouvoir ! comment y accéder, comment l'utiliser " écrit qu' " il y a une quantité totale constante (de pouvoir) dans une situation donnée, à un moment donné ; et que ce que vous détenez et à déduire de la part de l'autre. Vous gagnez ce que l'autre perd et votre échec équivaut à sa victoire "22, on peut supposer que la première stratégie de pouvoir consiste pour un groupe - ici l'homme - à affaiblir, l'autre groupe- la femme - pour maintenir sa puissance dans un schéma de pensée excluant la négociation perçue comme marque de l'échec, dans la mesure où elle peut aboutir à des concessions, lesquelles seraient la marque de son affaiblissement au profit de l'autre groupe.
Dès lors, l'affaiblissement de celui-ci se fera au travers d'un certain
nombre de jeux de pouvoir qui vont s'éxercer sous deux formes : Physique
et psychologique, subtil et grossier, s'imbriquant les uns aux autres pour
donner différentes formes de comportement23.
22 - Cité par Claude Steiner in " L'autre face du
pouvoir ", Paris, Desclée de Brouwer, 1995, 270 p., P. 50.
23 - C. Steiner, op. cit. p..... Les développement suivant
se fondent, en grande partie, sur cet ouvrage.
Parmi les jeux de pouvoir grossier-physique, nous aurons ainsi le meurtre, le viol, l'emprisonnement, les coups etc...
.Dans les relations homme-femme, cela se traduira par les brutalités
physiques de l'époux sur sa femme dans le cas où celle-ci aura
" désobéi ", ou par la mise en pratique de la règle
de l'honneur qui poussera le frère, le père ou le mari à
mutiler ou à tuer la femme qui aura fauté en bafouant
l'autorité masculine, par son attitude " déshonorante ",
et que l'homme récupérera en marquant son empreinte sur le
corps de cette dernière.
A côté de ces jeux de pouvoir, nous avons également les jeux de pouvoir subtil-physique qui consistent à dominer par la taille, à se tenir prêt du corps de l'autre, à envahir son espace personnel, à précéder la femme en marchand, à se tenir dans un endroit stratégique.
Ce sont là, des attitudes généralement observées
chez l'homme envers la femme, et qui se retrouvent en Algérie, dans
l'architecture même des maisons traditionnelles : Ainsi, en région
arabophone, les lieux des hommes sont séparés des lieux des
femmes, alors qu'en région berbérophone, la pièce la
plus sombre située en retrait par rapport à la pièce
d'entrée, est celle destinée à la femme. Elle est
également appelée mûr de la honte ou mûr du
tombeau.
Lorsque la femme sort de son milieu dit naturel - la maison - pour entrer dans celui de l'homme, et ainsi envahir son espace personnel, celui-ci développe, par réaction, un jeu de contre-pouvoir destiné à neutraliser le pouvoir éventuel né de cet envahissement.
La sortie de la femme sera alors conditionnée24 : Elle devra sortir par besoin, non par divertissement et avec l'autorisation de son époux.
Dehors, elle sera tenue d'être entièrement voilée, de
baisser son regard, de ne pas être parfumée, de ne pas marcher
au milieu des hommes, et le faire avec politesse, pudeur et silence.
A côté de ces jeux de pouvoir physique-subtils ou grossiers,
on aura des jeux de pouvoir psychologiques, subtils ou grossiers.
Les jeux de pouvoir psychologique-grossiers se basent sur le ton ou le regard
menaçant, les insultes, le fait de faire semblant de ne pas voir l'autre,
alors que les jeux de pouvoir psychologique-subtils seront basés sur
les commérages, les redéfinitions destinées à
se placer, devant une demande ou une critique, sur un autre registre, de
manière à placer le demandeur dans une position de défense
l'obligeant à ne plus " parler " de sa demande.
24 - Ghassan Ascha, " Du statut inférieur de la
femme en islam ", Paris, l'Harmattan, 1987, 238 p., P..132 à
135.
Les revendications des femmes Algériennes sont ainsi, par cette stratégie, souvent " détournées " : La demande pour plus de droits et d'égalité devient une tentative de subversion de la culture et des traditions Algériennes, voire même une attitude
anti-nationaliste. Le colonel Yahiaoui, en 1978, a ainsi proclamé
lors du IV ème Congrès de l'Union Nationale des Femmes
Algériennes que " les préoccupations de la femme
contemporaine qui s'expriment à travers les revendications de la
liberté, de l'égalité des salaires et dans le travail,
ainsi que dans les discussions en commun des problèmes tel que le
divorce, le mariage ou la participation à l'action politique (...)
découlent en réalité d'attitudes bourgeoises
dénouées de toute dimension sociale et procède de
l'individualisme et de l'égoïsme "25.
Une réponse peut être donnée à chaque jeu de pouvoir
: Par l'antithèse qui est une tactique permettant de neutraliser le
jeu de pouvoir de l'autre, et qui placera les antagonistes dans une situation
neutre ; par l'escalade qui permet un surenchérissement devant le
jeu de pouvoir déployé, et qui permet de replacer l'autre dans
son propre pouvoir, ou par la coopération qui permet de se placer
dans un contexte de négociation.
Ces trois réponses aux jeux de pouvoir sont difficilement utilisables
par la femme, mais non par l'homme, dans la mesure où celui-ci utilise
également la redéfinition et la logique - qui est une méthode
d'organisation des arguments non nécessairement logiques, mais qui
y ressemblent, pour faire accepter son point de vue - ainsi que les menaces,
l'agressivité et la violence physique comme moyen d'intimidation
déclenchant le sentiment de culpabilité chaque fois que les
tentatives de remises en cause du pouvoir de l'autre sont mises en oeuvre.
Le sentiment de culpabilité est également la conséquence
de l'obéissance acquise dès l'enfance et qui est employée
comme moyen de contrôle sur l'autre.
§ B - Le contrôle sur l'autre par l'obéissance :
Les jeux de pouvoir sont les outils de la domination sur l'autre, mais leur
efficacité ne peut être absolue sans l'obéissance qui
permet le contrôle.
En effet, " l'oppression s'appuie souvent sur les lois et les traditions, (et) le désir de changer ces situations implique une volonté de
non-obéissance "26.
25 - Cité par Attilio Gaudio et Renée Pelletier
in " Femme, l'islam, ou le sexe interdit ", Paris, Denoël
/ Gonthier, 1980, 191 p., P. 91.
26 - C. Steiner, op. cit. P. 50.
Mais cette volonté de non obéissance ne va pas sans conséquences puisque dès son enfance, l'individu a appris à obéir, et à considérer l'obéissance comme une vertu.
Pour Eric Berne, auteur de " Des scénarios et des
hommes " et fondateur de l'A.T. (l'analyse transactionnelle),
il y a chez l'individu trois états du moi : Le parent, l'adulte et
l'enfant, qui engendrent trois possibilités de comportement :
Le parent est celui qui dit aux individus ce qui est juste, ce qui est faux,
ce qu'il faut faire. Il peut être nourricier, protecteur, critique,
désagréable, ou vouloir contrôler les autres.
L'adulte est celui qui agit et pense rationnellement, sans émotion.
L'enfant est celui qui est spontané, irrationnel et
émotionnel27.
Dans chaque individu se trouve ces trois états du moi, dont le plus actif est " l'adulte flic ", l'ennemi qui nous rappelle à l'ordre chaque fois que l'on désobéit.
Il est le père de notre culpabilité qui, parce qu'elle est
plus ou moins forte, plus ou moins lourde, nous fait renoncer à l'enfant
spontané, irrationnel et émotionnel qui sommeille en nous et
qui nous aurait permis de désobéir.
L'ennemi sommeille dans chaque individu, mais " tout le monde ne perçoit pas de la même façon ce que dit réellement l'ennemi.
Pour certains, les paroles sont claires (...).
D'autres rencontrent l'ennemi sous forme d'une sensation d'inquiétude, d'une peur de mourir qui les appelle à se soumettre, à renoncer au pouvoir, à faire le mort.
Dans tous ces cas (...), l'ennemi sape notre capacité de résistance et nous fait obéir aux excès de l'autorité des autres (...).
Pour triompher de lui, nous devons reconna"tre que c'est un élément
arbitraire qui nous a été transmis par les autres "28.
Désobéir, c'est donc en partie se libérer mais
également " mourir " et bien peu de personnes sont prêtes
à franchir ce cap douloureux qui laisse des cicatrices souvent
indélébiles.
Les femmes Algériennes qui ont " désobéi "pour
devenir " libres " ne sont-elles pas, par cet acte, et bien souvent,
mortes aux yeux de leur famille, et n'ont-elles pas dû, elles-mêmes,
tuer leur ennemi, c'est-à-dire une partie d' elles-mêmes ?.
Cette opération de libération-mort devient encore plus difficile
lorsque l'ennemi emprunte, non pas le visage de l'adulte, mais celui de Dieu,
car s'il est difficile de tuer l'adulte, il est encore plus difficile de
" tuer " Dieu.
En effet, les Algériennes qui ont acquis une autonomie d'action et
de décisions, en dépit des obstacles sociaux, seraient, dans
leur grande majorité, des personnes qui ont rationalisé leur
relation à Dieu.
27 - Idem P. 51.
28 - Ibid P. 57.
Elles seraient ainsi, dans la situation de l'enfant qui, pour construire
son identité, puis son autonomie personnelle, commence par s'identifier
à ses parents pour finir par les juger pour s'en détacher.
Les femmes " intégristes " qui demeurent dans la sphère
du traditionnel dans son aspect le plus conformiste et le plus orthodoxe
seraient, elles, peut-être celles qui sont dans l'incapacité
de tuer leur ennemi et de rationaliser leur relation à Dieu.
L'obéissance, inculquée dès l'enfance par les parents,
les institutions publiques et religieuses, est élevée au rang
de vertu première pour la femme, vertu qui sera rattachée à
sa qualité de croyante.
Son obéissance, pour être totale, devra passer par son
obéissance à l'homme pour atteindre Dieu. C'est ainsi que selon
un hadith, le prophète aurait dit " (...) je
proclame que la femme ne saurait accomplir son devoir à
l'égard de Dieu avant d'accomplir celui dû à son
mari "29, ou alors " la femme qui
décède et dont le mari est satisfait va au
paradis "30 .
Le Coran lui même, dans la Sourate IV - Verset 34 - "Les
femmes " affirme que " Les vertueuses sont
obéissantes ".
L'apprentissage de l'obéissance s'accompagne également de menaces
destinées à éviter les attitudes
" anti-obéissance ". La femme sera ainsi menacée
d'une double sanction : la perte de sa qualité de croyante et la perte
de son époux - qui pourra la préférer à une autre
femme plus docile et obéissante -.
L'obéissance finit par nous forger. Dès lors " nous
ne remettons pas en question les choses désagréables que nous
imposent ceux qui ont le pouvoir. Nous ne demandons pas de preuve quant à
la nécessité des choses que nous supportons. Lorsque nous voyons
les autres se conformer et donner leur accord, nous supposons que nos objections
n'ont aucun fondement. Nous oublions nos sentiments et nos craintes. Nous
croyons aux mensonges. Nous désapprouvons ceux qui protestent (...).
En cas de doute, nous doutons de nous-mêmes. S'il y a quelque chose
que nous ne comprenons pas, nous supposons que nous sommes stupides (...).
Nous ne voulons pas risquer de perdre ce que nous avons en décha"nant
la colère de ceux qui ont le pouvoir (...) "31
.
Cependant, ce système de contrôle sur l'autre par l'obéissance, ne peut se maintenir que s'il repose sur la stratégie de pouvoir la plus subtile : La croyance inculquée à l'autre que l'on détient effectivement le contrôle, que l'on est le garant de l'ordre.
La croyance que l'on a le " contrôle ", que l'on est
" ma"tre de soi et de l'autre " est si profondément
enracinée dans les esprits qu'elle aboutit à une gêne
lorsqu'on a la sensation de le perdre.
29 - G. Ascha op. cit. P. 37.
30 - Idem P. 37
31 - C. Steiner, op. cit. P. 47.
Clauder Steiner, dans " L'autre face du pouvoir " relate l'expérience17:2417:2432 qu'il a mené, et qui démontre bien cela : Il va proposer à sa compagne l'inversement des rôles : elle jouera celui de l'homme , et lui, celui de la femme, le temps d'un d"ner au restaurant.
Clauder Steiner, écrit : " (...) notre interversion des rôles
devait être totale (...) ".
Ainsi, c'est la femme qui fixera le rendez-vous, et " passera prendre " l'homme pour se rendre au restaurant.
C'est elle qui, après lui avoir demandé son avis sur le choix du restaurant finira par imposer le sien. C'est elle, également, qui influera sur le choix du menu et des boissons.
La soirée se terminera chez la femme qui, encore une fois, prendra
ici, l'initiative sexuelle.
Cette situation fera na"tre chez l'homme un certain nombre de sentiments : " je commençais par ne plus savoir où j'en étais, écrit C. Steiner, (...) elle semblait prendre énormément de plaisir à cette situation artificielle alors que je ressentais de plus en plus de gêne (...).
Je broyais du noir en arrivant chez elle ".
L'initiative sexuelle prise par la femme finira même par provoquer
l'incapacité de l'homme à avoir des rapports avec elle.
Cette expérience montre combien la sensation de perte du contrôle
peut être vécue douloureusement et peut, dans une certaine mesure,
expliquer le refus de l'homme d'accepter l'émancipation de la femme
perçue comme allant avec son émancipation sexuelle.
C'est ainsi que bien souvent, en Algérie, on entend ce genre de propos
: " Il est normal que les femmes qui se promènent dans
la rue, le dos nu, les jupes courtes et maquillées se fassent agresser
par les hommes, car se sont elles qui les provoquent " ou alors
" Toute femme qui dispose librement de son corps en le
parant, le fait délibérément pour provoquer
l'homme et lorsqu'elle se fait agresser, elle n'obtient que ce qu'elle
cherche "33.
Cette attitude agressive peut, sans doute être analysée comme
une réaction à la sensation de perte de contrôle que
ressent l'homme face aux femmes qui, d'une part, pénètrent
dans leur espace, et d'autre part, le fait en étant ma"tresses de
leur propre corps.
Comme nous venons de le voir, le patriarcat est devenu un système
de pouvoir autoritaire régissant les rapports homme-femme.
La raison de son maintien, en des formes à peu près similaires
de celles qui ont prévalu au moment de son émergence, peut
s'expliquer par le facteur historique, ou plutôt, par une certaine
forme de " l'histoire ".
C'est ce que nous tenterons de voir dans le second chapitre.
32 - Idem P. 183 à 188
33 - Cité par Souad Khodja in " Les algériennes
du quotidien ", Alger, E.N.A.L., 1985, 135 p., P. P. 114 -
115.
Une certaine forme d'histoire et de conception de l'évolution, dans la pensée arabo-musulmane va favoriser le maintien du patriarcat et de ses structures sociale et familiale - Section 1 - alors que la colonisation, perçue comme une agression avant tout chrétienne, va, elle, avoir pour effet de cristalliser ces mêmes structures
- section 2 - tandis que l'état Algérien, par sa politique
éducatrice, va, par la suite, lui aussi jouer un rôle dans le
maintien de ce système patriarcal.
Section 1 - La pensée religieuse ou le maintien
de l'orthodoxie.
La pensée religieuse musulmane est une pensée qui, dans une
large mesure, sacralise le passé considéré comme parfait
- Paragraphe A - et voit dans l'avenir un élément inconnu
considéré, lui, comme imparfait - Paragraphe B -.
§ A - La sacralisation du passé :
L'avènement de l'islam, dans la péninsule arabique, a permis
l'émergence d'une civilisation musulmane qui, jusqu'aux environs du
X ème siècle sera intellectuellement florissante.
La conquête arabe, résultat d'une foi et d'un enthousiasme
religieux, permit la création d'un empire plus vaste que celui de
Rome.
La rapidité par laquelle s'est produite cette conquête fit
même dire à quelques historiens qu'il s'agissait là d'un
véritable " miracle arabe ", mais le plus surprenant, c'est
que cette conquête ne se traduisit pas, contrairement aux invasions
barbares, par l'anéantissement des civilisations conquises.
Bien au contraire, " l'islam commença (...) son règne
en créant dans les territoires occupés une atmosphère
de relative liberté (...) les musulmans prônaient le primat
de l'échange sur la fermeture. Ils favorisaient la libre circulation
des idées et des marchandises (...). Le monde musulman pratiquait
sans honte l'ouverture aux cultures étrangères (...).
Ils assimilaient les éléments étrangers et continuaient
la quête de connaissance des Anciens (...), le brassage ne leur donnait
nullement l'impression de perdre ou d'affaiblir leur " identité
" musulmane "34.
C'est ainsi, par exemple, qu'à Bagdad, vers l'an mille, circulait
le catalogue du libraire Al-Nadim (mort en 995). Ce catalogue, en dix volumes,
énumérait les manuscrits scientifiques et philosophiques, et
comprenait des papyrus pharaoniques, et des textes chinois anciens, alors
qu'Avicenne composait ses traites, Biruni achevait son ouvrage sur l'Inde,
et Al-Hazen découvrait les lois de la vision35.
34 - Fereydoun Hoveida, " L'islam bloqué ",
( lieu et date d'édition non précisés) Morinoor, 249
p., P. 41.
35 - Idèm P. 42.
La liberté intellectuelle dont jouissait les philosophes, les
poètes, les scientifiques commença peu à peu à
décliner lorsque deux éléments se rencontrèrent
pour s'allier :Le politique et le religieux conservateur.
En effet, le politique, face aux critiques internes et aux rivalités de souverains musulmans, va utiliser le religieux conservateur afin de neutraliser la contestation interne et se poser comme le véritable musulman face au souverain rival ; alors que le religieux utilisera le politique afin de neutraliser tout intellectuel ou toute personne qui s'élèvera contre l'interprétation rigide du Coran et le monopole d'interprétation des théologiens.
Fereydoun Hoveida, dans " L'islam bloqué " écrit
que " le fait le plus frappant et le plus déterminant (ayant
provoqué l'immobilisme de la pensée arabe) (...) consista dans
une alliance objective entre le pouvoir et les théologiens, pour enfermer
la société dans les structures rigides reposant sur les
interprétations les plus strictes et les plus étroites de la
religion "36.
Cette alliance entre le pouvoir et le religieux est parfaitement décrite
dans le film de Youcef Chahine " le Destin " qui montre comment
l'autorité politique - le Calife d'Andalousie - va utiliser, pour
faire face à ses ennemis, l'autorité religieuse - un chef religieux
conservateur mais puissant (par sa capacité à mobiliser ses
adeptes et la foule) - et provoquer, par la même, la disgrâce
et l'autodafé des oeuvres d'Averroès qui s'élevait contre
les interprétations rigides du Coran et prônait la
nécessité de " rationaliser " sa lecture.
L'orthodoxie religieuse qui se développa à cette époque,
pour triompher aux alentours du XI ème et XII ème siècle,
est basée sur une pensée essentiellement tournée vers
le passé.
En effet, selon la thèse des théologiens orthodoxes, puisque
le Coran inclut toute la vérité, les innovations, ou les
interprétations novatrices du Coran, ne peuvent que conduire à
l'erreur, d'autant plus que le prophète, et tous ceux qui ont vécu
la révélation sont désormais morts et donc, les risques
d'une interprétation fausse sont encore plus grands.
36 - Ibid P. 15.
Dès lors, le passé, ayant pour point de départ la
révélation, est le moment de la perfection ; plus on
s'éloigne de ce point d'origine, plus on s'éloigne alors de
la perfection pour s'approcher de l'imperfection.
Ce raisonnement, faisant du passé le lien de la perfection, aboutit à une méthode d'apprentissage du Coran excluant l'analyse au profit de la mémorisation et de la récitation.
F. Hoveida nous donne, sur ce point, l'exemple d'un jeune étudiant
rencontré en 1971 qui apprenait les vers d'un poème sans pouvoir
expliquer le sens et s'en excusait, par ces mots : " on nous note
seulement sur l'exactitude de la récitation "37.
Le taqlid, c'est-à-dire l'imitation, tout comme la mémorisation,
devient également un principe d'apprentissage.
Par le taqlid, on cherchera ainsi à imiter ceux qui représentent la perfection,
c'est-à-dire, le prophète, ses compagnons et tous ceux qui
détiennent une part de perfection.
Ce système d'éducation favorisera la pensée formaliste et littéraliste.
Le lieu de cette éducation sera la médersa, école
créée au XI ème siècle par le vizir Nizamol-Molk,
destinée à l'enseignement de la religion et la formation des
Oulémas.
Au Maghreb, l'émergence de la dynastie Almoravide, avec à sa
tête le sultan Youssouf, puis sa disparition au profit de la dynastie
des Almohade, implanta la doctrine intégriste d'Ibn-Tumart qui s'empara
du pouvoir et imposa la stricte observation de la Shari'à.
Ibn-Tumart, théologien orthodoxe, se proclamait " Mahdi ",
envoyé de Dieu annoncé par la tradition pour rétablir
le règne et la justice du " vrai " islam. Il interdisait
notamment l'écoute de la musique, la consommation de boisson
alcoolisée et la sortie sans voile des femmes.
Les idées développées par l'orthodoxie du XI ème et XII ème siècle se retrouvent aujourd'hui aussi vivaces qu'autrefois.
C'est ainsi que les intégristes Algériens se proclament de
la doctrine d'Ibn-Tumart, de l'imam Ghazali, et pour les plus récents,
de Mawdudi, de Saïd Qotb ou de Assan Al-Banna38.
La thèse selon laquelle le passé serait parfait et l'avenir
imparfait a pour conséquence également de créer un
" rejet " de cet avenir-inconnu porteur de nouveau.
37 - Ibid P. 49 .
38 - Voir à ce sujet, le livre de Severine Labat " Les
islamistes algériens, entre les urnes et le maquis ", Paris,
Seui, 1995, celui de Amin Touati, " Algérie, les islamites à
l'assaut du pouvoir ", Paris, l'Harmattan, 1995, ou celui de Abderahim
Lamchichi, " L'islamisme en Algérie ", Paris, l'Harmattan,
1992.
§ B - La peur de l'avenir-inconnu :
L'esprit de superstition répandu chez les tribus bédouines,
et la croyance du déclin inéluctable, qu'illustre cette phrase
de Scipion l'Africain confiant à Polybe, devant Carthage en flamme
: " quel instant glorieux ! Mais j'éprouve le sombre
pressentiment qu'un sort aussi funeste accablera un jour mon pays (...) (car
cela est arrivé) aux empires assyrien, mède et perse, pourtant
les plus puissants de leur temps "39, se retrouve chez les grands
califes ou dirigeants musulmans au moment même où l'empire
était dans sa période la plus faste.
C'est ainsi que le calife Muawiya, fondateur de la dynastie Omeyyade, confiait
à l'un de ses parents que " le déclin de l'empire
musulman (avait) déjà commencé "40.
Les califes, Omeyyade ou Abasside, se servaient, quant à eux, de
l'astrologie pour déterminer la date de la chute de leur empire ou
le temps de règne de l'islam.
Les dirigeants arabes, en dépit des victoires, étaient convaincus
de la précarité de leur fortune. " Le mythe de la
décadence inéluctable s'appuyait alors sur une conviction courante
selon laquelle le présent était nécessairement
inférieur au passé "41.
La conséquence de cette " état d'esprit " que l'on
retrouve dans le fameux " maktoub ", et qui explique que bien souvent
on attribue ses bonheurs mais aussi et surtout ses malheurs au maktoub,
(c'est-à-dire au destin qui serait déjà écrit)
fait que les sociétés arabo-musulmanes sont essentiellement
tournées vers le passé et refusent le " nouveau ",
source de désordre dans la mesure où il peut aboutir à
la remise en cause de ce qui a été acquis par le passé.
Un penseur, au X ème siècle, affirmait, par exemple, que si
les découvertes du chercheur étaient le résultat de
l'acquis des recherches des prédécesseurs, auxquelles on ajoutait
du nouveau, comme le soulignait un scientifique, cela aboutirait à
l'annulation complète des résultats que l'on croyait acquis,
de sorte que le désordre finirait par s'installer dans le monde.
Le rejet de l'avenir, et par la même, du nouveau, peut également
s'analyser comme la peur de perdre son " identité ".
39 - F. Hoveida, op. cit. P. 43.
40 - Idèm P. 44.
41 - Ibid P. 45.
En effet, le passé représente le moment où l'identité
arabo-musulmane est la plus parfaite, s'éloigner de ce passé
parfait et regarder vers l'avenir-inconnu pourrait représenter une
opération dangereuse puisqu'on risque de perdre la
" perfection " de son identité, d'autant plus qu'aujourd'hui,
le " nouveau " est un élément étranger, puisque
sécrété par une société non-musulmane
-La société occidentale chrétienne- considérée
comme inférieure à la société musulmane42,
qui, elle a reçu l'ultime révélation de Dieu, et dont
le prophète est le " sceau " de tous les prophètes.
D'ailleurs, dès le début du Djihad, le monde fut divisé
en " Dar el harb " et " Dar el islam " (maison / demeure
de la guerre - de l'islam), ce qui représentait une division religieuse
des territoires : Territoires musulmans où les non-musulmans devaient
payer un impôt spécial afin de bénéficier de la
protection des autorités musulmanes (système introduit par
Khalid Ibn El-Walid lors de la capitulation de Damas), et territoires
non-musulmans.
Cette description de l'histoire arabo-musulmane, somme toute sommaire, est utile pour comprendre, en partie, le maintien des structures sociales et mentales de l'Algérie, dans la mesure où l'histoire de ce pays s'inscrit aussi dans l'histoire
arabo-musulmane.
Regarder ainsi vers le passé et voir dans l'avenir un élément
nouveau-inconnu explique peut-être cette impression d'un monde
arabo-musulman " figé " que la colonisation ne fit
qu'accentuer.
Section 2 - La cristallisation des structures sociales :
La colonisation Française en Algérie va être ressentie
comme une agression avant tout chrétienne à l'encontre d'une
population musulmane qui n'avait pas encore, à l'époque, de
conscience à proprement parler, nationale.
La réaction à cette agression, et la résistance à
l'ennemi passera par un refus de toute assimilation qui se traduira par un
défensif repli sur soi - Paragraphe A - et par le rejet du modèle
occidental au lendemain de l'indépendance - Paragraphe B -.
§ A - La colonisation Française : Une invasion
chrétienne
Le musulman, fort de la certitude que sa religion est la
vraie religion, a toujours plus ou moins considéré
les non-musulmans, dont les chrétiens, comme
" inférieur " à lui.
42 - C'est ainsi que le F.I.S (Front Islamique du Salut) critiquait les algériens et les algériennes qui " (...) ont tourné le dos à leur patrimoine culturel : à l'islam, à sa brillante civilisation et à son système social d'une supériorité remarquable sur tout autre système connu " in " L'islam et les droits de la femme " El-Mounquid, N° 25, 27 et 28, cité par M. Al-Ahnaf, B. Botiveau,
F. Frégosi in " L'Algérie par ses
islamistes ", Paris, Khartala, 1991, repris par F.I.D.H, op. cit. P.110.
Cette idée était à l'époque de la grandeur de
l'empire musulman, renforcée par l'image d'un occident obscurantiste,
plongé dans le Moyen-Age, et ayant subi de nombreuses défaites
militaires face aux conquérants arabes43.
En Algérie, cet esprit de supériorité reste encore
présent comme peut l'illustrer ce petit exemple tiré d'une
conversation rapportée par une amie : Celle-ci connaissait, à
Marseille, une vieille dame qui se dévouait, depuis de nombreuses
années, pour les défavorisés. Un jour, un jeune
Algérien qui la connaissait également et admirait son travail,
lança en arabe cette phrase, traduite à peu près en
ces termes : " ah ! Vraiment, pourquoi, la pauvre ! Elle ne mérite
vraiement pas d'aller en enfer ".
Pour l'Algérien, comme pour le musulman, il va de soit que le
chrétien, en dépit de ces bonnes actions, et en dépit
qu'il soit croyant, ne peut le surpasser et " entrer avant lui au
Paradis ".
Déjà, aux tous premiers temps de la colonisation, le Français était qualifié de " pourceau " et sa victoire sur le musulman ressentie comme une humiliation ainsi dépeinte par le chant du poète :
" (...)
Je préfère quitter le pays
que d'être humilié par les pourceaux "44.
La colonisation, au début, perçue comme impossible, engendra un fort sentiment de rencoeur et de colère dirigé contre les chefs locaux accusés d'avoir laissé le chrétien s'emparer d'une terre musulmane lorsque la victoire pris corps :
" Infortunés quarante saints ! Où étiez-vous quand tu brûlais,
ô Bou Zidi "45, clamait ainsi un poète Kabyle aux quarante Walis chargés de protéger la Mosquée de Bou-Zidi, incendiée le 24 mai 1857.
De même que ce reproche face à des paroles sans fondement :
" (...)
Pourquoi nous disais-tu :
Le chrétien ne gravira pas la montagne
puisqu'en définitive,
il l'a vaincu jusqu'à Aït-Yenni ? "46.
La colonisation Française, en plus d'être une victoire chrétienne sur le musulman, va introduire avec elle le " nouveau ", puisqu'elle va bouleverser les moeurs, les coutumes et les habitudes ancestrales :
" (Une civilisation mécréante et
impie) s'imposait à la civilisation sacrée
de l'islam et s'opposait ainsi aux lois divines. Un monde nouveau
surgissait de cette révolution, mais au fond des coeurs, on gardait
la nostalgie de l'ancien ordre social "47.
43 - F. Hoveida, op. cit. P......
44 - Cité par Albert Memmi in " La poésie
algérienne de 1830 à nos jours " (approche socio-historique),
Paris, Mouton et Co, 1963, 91 p., P. 31.
45 - Idèm P. 17.
46 - Ibid P. 17.
47 - Ibid P. 34.
La colonisation est donc l'introduction, en Terre d'islam, Terre de vertus, d'éléments étrangers à la religion, apportant avec eux leurs vices et leurs défauts.
C'est ainsi que le poète de cette époque écrit que :
" ce qui était respecté s'en est allé, et ce qui honni est exalté :
C'est la première des infortunes que nous avons dû subir (...)
Les gens de la distinction ont laissé faire, et forcé d'acquiescer (...)
Les gens méprisés voient leur parole écoutée ; (...) "48.
Le poète continu sur le même ton :
" Nous avons dû sacrifier ces articles de notre foi, tandis que ces adorateurs des idoles jouissent de toute latitude (...)
(...) Ainsi, je pleure mon pays qui a été conquis par la force
et dans lequel règne l'oppression et l'immoralité "49.
Dès lors, la colonisation Française est ressentie comme une souillure qui empli l'Algérien de douleur et de rage.
Le Français sera alors toujours considéré comme l'autre Etranger Ennemi, et tous ceux qui pactisent avec lui seront eux-même des étrangers ennemis.
C'est pourquoi les Kabyles qui s'enroleront dans l'armée Française seront considérés comme ayant renoncé à tant leur foi,qu' à leur terre :
" Voici que les Kabyles adjurent, écrit un poète, et redeviennent " Roumains " (Roumi)... "50.
" Roumi " venant de Romain et désignant, dans
le langage populaire Algérien, le Français.
Les thèmes des chants et des poésies de cette époque étaient profondément sentis et vécus par les gens du peuple.
Ils reprenaient et peignaient leur sentiment face à cette
intrusion-invasion.
Au cours des années vingt, un nationaliste Algérien va appara"tre, mené par de jeunes avocats, instituteurs ou médecins de culture Française imprégnés de l'idée des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Au même moment, le mouvement de la Nahda, c'est-à-dire du renouveau
oriental, né, au début du XIX ème siècle,
principalement en Egypte, et ayant pour ambition de moderniser la langue
arabe, d'aboutir à des réformes dans la jurisprudence et la
pensée religieuse (figée comme nous l'avons vu depuis le XII
ème siècle), va peu à peu pénétrer au
Maghreb et donc en Algérie.
L'islam et l'arabisme trouveront alors un nouveau souffle avec le mouvement
des Oulémas qui vont, grâce aux médersas,
rééduquer la conscience politico-religieuse.
48 - Ibid P. 34.
49 - Ibid P. 35.
50 - Ibid P. 37.
L'opposition à la France se fera alors, par l'adoption d'un programme ayant pour objectif de démontrer que toute tentative d'assimilation serait vouée à l'échec.
Ainsi, les Oulémas, avec leur chef, le cheikh Ben-Badis, écrivaient-ils :
" Souviens-toi et n'oublie pas que l'Algérie
ne sera heureuse que si tu agis dans le domaine de sa
religion, de sa langue, de son nationalisme (...) prenez
pour devise, dans votre vie et dans vos actes, ces paroles : L'islam est
ma religion, l'arabe est ma langue, l'Algérie est ma patrie "51.
Les chants et les poésies de cette période, qui reflètent encore un fois la société et les sentiments populaires, seront éminemment nationalistes.
Elles annoncent l'espoir et l'émancipation, et glorifient les
ancêtres et le passé prestigieux des arabes et des Algériens
(avec un retour aux guerriers berbères, tels que Jugurtha ou la Kahina,
pris comme des exemples de combattants ayant fait face à l'envahisseur
avec courage, bravoure et honneur même si cet envahisseur était
le conquérant arabe).
Les années vingt seront donc celles de la naissance du sentiment national qui n'existait vraisemblablement pas au moment de la colonisation, dans la mesure où l'idée même d'état, ou de frontières n'existait pas dans l'esprit du musulman.
Ce qui avait fait dire, d'ailleurs, à Ferhat Abbas qu'il " (...) ne mourrai pas pour la patrie Algérienne, parce que cette patrie n'existait pas "52
Ce que réfutera durement Ben-Badis pour qui l'Algérien a toujours
eu conscience d'avoir ses traditions, sa langue, sa religion.
En effet, avec le mouvement des Oulémas, le nationalisme et la patrie sont inséparables de la religion et de l'arabisme
C'est pouquoi, pour Ben-Badis , celui ou celle qui acquerrait la
citoyenneté Française renoncerait, par la même, à
son statut personnel et donc à sa religion52bis.
Durant cette période coloniale, la résistance à l'envahisseur se fera par le refus à toute assimilation ; qui se traduira par la défense des structures sociales à travers la conservation des règles traditionnelles régissant la famille.
Par la suite, au lendemain de l'indépendance, la politique de
développement du pays prendra pour référence le socialisme,
au niveau économique, et l'arabisme au niveau social, tandis que le
rejet du modèle occidental sera plus accentué.
§ B - Le rejet du modèle occidental :
Dès l'indépendance, la politique de développement du pays suivit le modèle socialo-communiste, alors même qu'officiellement l'Algérie, faisait partie des pays non-alignés.
Ce choix reflétait l'idéologie égalitaire et le rejet
du modèle occidental capitaliste considéré comme
impérialiste, et induisait, au niveau social, l'adoption de mesures
destinées à réaliser cet idéal
égalitaire.
51 - Ibid P. 42.
52 - Ibid P. 48.
52 bis - Ben-Badis menaçait également d'apostasie
celui qui épouserait une chrétienne ou une juive alors même
que cela est permis par les 4 écoles juridiques - F.I.D.H op. cit.
P. 99 -.
La libération de la femme, qui avait participé à la lutte de libération nationale, était alors perçue comme nécessaire à la mise en place du socialisme.
C'est ainsi que le Président Ben-Bella déclarera que
" la libération de la femme n'est pas un aspect secondaire
qui se surajoute à nos autres objectifs, elle est un problème
dont la solution est un préalable à toute espèce de
socialisme "53.
La libération de la femme, donc, bien que nécessaire n'est cependant pas considérée comme " une nécessité autonome ", mais comme une nécessité pour la mise en place du socialisme.
En effet, l'objectif de la guerre de libération était d'accéder à l'indépendance et de retrouver les anciennes structures sociales, non de les détruire54.
Durant cette période, la participation des femmes au maquis ne se
produisit que lorsque les hommes eurent absolument besoin
d'elles54bis, et lorsque celles-ci se trouvèrent, par la force
des choses, en contacte avec eux, elles furent considérées
comme des soeurs. Dès lors, elles étaient
" interdites ".
En Algérie, l'accès à la modernité passait par
l'industrialisation du pays, contrairement à la Tunisie qui, avec
le Président Bourguiba, considérait que celle-ci passait par
la voie de l'émancipation de la femme et une évolution des
mentalités traditionnelles55.
En même temps que l'Algérie se lançait sur la voie de cette modernité, elle cherchait également à retrouver une identité inconsciemment perçue comme complexe.
El-Hachemi Tidjani, décrivait ainsi la personnalité algérienne :
" (...) Nous sommes (...) arabes et arabisés, mais en
même temps, on nous qualifie de musulmans, d'Africains, et de peuple
de Bandung. Et si nous sommes orientaux de par l'origine, la religion, la
langue , la culture et l'histoire, nous sommes également occidentaux
par la géographie, l'économie et
l'histoire(...) "56, mais pour Mr. Tidjani, la composante
essentielle de la personnalité algérienne vient de sa confession
musulmane.
Dès lors, pour se construire une identité proprement
algérienne, le gouvernement mettra en place une réforme du
système scolaire, par l'arabisation, destinée à renouer
avec ses racines arabe et musulmane.
La construction de l'identité algérienne reposera ainsi sur
trois moyens : La référence à l'islam, à l'arabisme
et au patriotisme. Ces trois éléments seront indissociables
les uns des autres57.
53 - Cité par Fadéla M'rabet op. cit. P. 12.
54 - Juliette Minces, " La femme voilée, ou l'islam
au féminin ", Paris, Calman-Levy, 1990, 235 p., P. 172.
54 bis - Idèm P. 174.
55 - Vois à ce sujet le mémoire de Insaf Ben Aoun,
" La place de la femme dans les discours Bourguibien ", D.E.A.
" détudes africaines ", option droit (sous la direction
de Mr. le Professeur Bontems), 1993 - 1994. Egalement le livre de Aziza Darghout
Médimegh " Droits et vécu de la femme en Tunisie "
Lyon, L'hermès Edilis, 1992, 206 p., P. P. 47 - 48.
56 - F. M'rabet, op. cit., P. 107.
57 - Nous verrons cela dans la section 3 Paragraphe A.
L'Algérie indépendante aura ainsi deux objectifs relativement
contradictoires lorsqu'il s'agira du statut de la femme : L'idéologie
socialiste prônée réclamait l'égalité de
tous les citoyens - Cela se manifestera dans l'élaboration de la
constitution et des autres textes législatifs (à l'exception
du code de la famille non encore adopté et qui le sera en 1984) -
alors que la référence à l'islam, à l'arabité
et aux traditions avaient pour conséquence de replacer la femme dans
sa situation traditionnelle.
Ainsi, et alors que le gouvernement va regarder vers l'Union Soviétique
afin d'élaborer son programme d'industrialisation, et vers l'Orient
afin d'élaborer celui de l'enseignement, les femmes, elles, (ou
du moins celles qui pensent à l'émancipation et à
" leur modernité ") vont regarder vers cet Occident
rejeté, notamment vers cet ancien colonisateur qu'est la France, pour
trouver leur modèle de libération58.
La femme " moderne " sera celle qui empruntera dans sa façon de se comporter, de parler, de s'habiller, le modèle de l'Occidentale.
Ce qu'on lui reprochera de façon plus ou moins virulente, plus ou moins violente, parce qu'on considérera cette attitude comme une marque de dépersonnalisation, une acculturation. Le journal El-Moudjahid, en février-mars 1967, publia dans ses colonnes un article reprochant aux femmes leur " occidentalisation " :
" Je ne vois pas de quelle manière ces filles en minijupes peuvent faire apport de quoi que ce soit à notre pays (...).
Notre socialisme repose sur les piliers de l'islam et non sur l'émancipation de la femme avec son maquillage, coiffure, parures, d'où découlent les passions décha"nées et leurs effets nuisibles à l'humanité (...).
Si la femme algérienne se permet actuellement la minijupe, c'est parce
qu'il n'y a plus d'honneur et de respect dans notre pays. Les femmes ont
mal compris l'émancipation, ce n'est pas en faisant la miniature (sic)
et la coiffure que le pays évoluera (...) "59.
Cette critique émise par un homme se retrouve également chez la femme pour qui se conformer aux règles traditionnelles est la meilleur garantie pour une femme d'avoir une vie heureuse, harmonieuse et paisible :
" Il faut (...), écrit Zhor Ounissi dans un quotidien algérien,
le 11 octobre 1963, vous soumettre aux règles familiales et sociales
(...) vous faites votre bonheur, celui de vos parents (...) soyez
évoluées dans le bon sens "60.
L'Etat Algérien en tant que législateur va également
jouer un rôle très important dans la cristallisation des structures
sociales et familiales, et donc dans le maintien du système patriarcal
ancien.
58 - F. M'rabet, op. cit., P. 66.
59 - Idèm P. 109.
60 - Ibid P. 16.
Section 3 - Le rôle de l'Etat :
L'Etat Algérien va dès l'indépendance mettre en place
un système d'enseignement privilégiant l'arabe et la culture
musulmane, à travers l'arabisation du système scolaire - Paragraphe
A - puis, dans le même temps, il s'attellera à l'adoption d'un
code de la famille qui finira par être voté en 1984 - Paragraphe
B -
§ A - L'arabisation :
Le système scolaire n'étant jamais un système totalement neutre entre les mains de L'Etat, celui-ci va, à travers l'enseignement, chercher à atteindre deux objectifs :
L'un économique et l'autre idéologique.
Economiquement, l'école va ainsi être chargée de
préparer les jeunes générations à accéder
au marché de l'emploi, alors qu'idéologiquement, elle aura
pour fonction de maintenir ou de créer un consensus social61.
Pour l'Etat Algérien, ce consensus social, sera celui issu de l'idée qu'il représente effectivement toute la nation algérienne.
L'institution scolaire va être pour l'Etat le tremplin par lequel se
réalisera son projet de société. Cela se fera tout d'abord
par l'adoption de programmes d'enseignements destinés à le
concrétiser effectivement.
L'Etat Algérien, afin de permettre à l'école de réaliser son premier objectif
- économique - va mettre en place un programme relativement neutre idéologiquement, dans les matières scientifiques.
Le contenu des programmes restera alors proche du type d'enseignement que l'on trouve dans les pays développés, contrairement à d'autres disciplines, telles que littéraire, historique ou philosophique, qui seront, elles, beaucoup plus encadrées idéologiquement.
Le but étant pour l'Etat, de gagner les diverses catégories
sociales au projet de société dominant, et d'appara"tre comme
le défenseur de la société contre ce qui est appelé
" la colonisation culturelle ".
Hassan Remouan, dans " Conscience nationale, identité culturelle et rationalité
dans le fonctionnement idéologique de l'école " écrit
ainsi que " c'est d'abord, dans ce dernier cadre de défense
des aspirations nationales qu' interviennent, dans les programmes scolaires,
les préoccupations ëd'identité
culturelle' "62.
61 - Hassam Remouan " Conscience nationale, identité
culturelle et rationalité dans le fonctionnement idéologique
de l'école " (quelques réflexion à propos du monde
arabe) in Laboratoire de recherche sur les systèmes de formation (LARESF),
" Ecole et idéologie ", Table ronde du 14 mai 1986, .75
p., P. 5 à 16.
62 - Idèm P. 7.
Les programmes officiels d'éducation vont alors être
réalisés dans le but de faire na"tre une conscience nationale
faisant référence à trois éléments :
L'islamisme, l'arabisme et un nationalisme propre.
L'islamisme appara"tra à travers un enseignement religieux dont l'apprentissage se fera par la récitation du Coran. Ce qui influera d'une manière certaine sur l'enseignement des disciplines littéraires et "(...) jaillira bien entendu sur l'élaboration des programmes et des livres scolaires "63.
Les matières religieuses, présentes dans l'enseignement fondamental et secondaire,
vont peu à peu pénétrer l'enseignement supérieur,
et, au début des années 80, une université islamique
sera inaugurée à Constantine.
L'arabisme, quand à lui, se fera à travers la mise en place d'un enseignement entièrement arabisé (dans les disciplines non scientifiques) où seul prévaudra l'arabe littéraire, au détriment de l'arabe dialectal et des autres langues berbère et française.
Sur ce point, H. Remouan écrit encore qu' " en Algérie (...) la politique d'arabisation, commencée à l'indépendance (en 1962) et accélérée à partir des années 70, est en train de bouleverser l'échiquier linguistique, et ceci, en usant d'un instrument privilégié : L'école "64.
La langue arabe classique va être considérée comme un
moyen d'unification du monde arabe, et comme un moyen de renaissance future.
Dès lors, les étudiants vont, très tôt, y porter
un grand intérêt.
Le troisième élément sera la référence à un nationalisme propre qui se fera, lui, à travers un enseignement civique et politique glorifiant le patriotisme local par le biais de la matière de " l'Histoire ".
Le programme scolaire concernant l'histoire va être axé sur
tout ce qui pourra illustrer l'existence d'une entité nationale
algérienne, tout en mettant à l'ordre du jour un enseignement
de plus en plus centré sur l'histoire contemporaine et la guerre de
libération nationale.
Le programme scolaire algérien cherche ainsi à mettre en valeur une identité nationale fondée sur l'islamisme, l'arabité et un nationalisme qui lui est propre.
Dans le même temps, il rejette tout ce qui peut lui être contraire, tant la culture, le modèle et la langue française que la ou les cultures, modèles et langues locales.
Le discours colonial méprisant et dévalorisant, sera remplacé
par un contre-discours " trop flatteur pour
nous-mêmes, et narcissique au point de nous rendre, à notre
tour, méprisant vis-à-vis de
l'autre(...) "65.
Cette politique d'arabisation entamée dans les années 70 se
poursuit encore à travers un programme généralisant
l'arabe à tous les domaines, tandis que l'anglais se met, peu-à-peu,
à remplacer le français dans l'enseignement des langues
étrangères et ceci en dépit de la préférence
des parents pour le français (68,7% déclarent en effet,
préférer cette langue d'après un récent sondage
réalisé par le centre national d'analyse pour la plalification).
63 - Ibid P. 9.
64 - Ibid P. 10.
65 - Ibid P. 14.
Dans le même temps, une importante conférence nationale sur la réforme du système éducatif va s'ouvrir au courant des mois de juin et juillet 199866.
L'Etat Algérien, va également, et cela dès
l'indépendance, s'atteler à la mise en place de règles
destinées à régir l'institution familiale à travers
l'adoption d'un code de la famille qui, finalement, ne verra le jour qu'en
1984, après de nombreuses années de débats ayant
apposés modernistes et conservateurs.
§ B - Le code de la famille de 1984 :
Le code algérien de la famille a été adopté le
9 juin 1984 après de nombreuses années ayant opposées
modernistes et traditionalistes 66bis.
La longueur caractérisant l'adoption de ce code - 32 ans après l'indépendance - témoigne de cette lutte et du choix final par le gouvernement pour un modèle de société conforme, en grande partie, à la Shari'a islamique 67, ce qui a fait dire
à K. Messaoudi, qu'elle, qui cherchait les islamistes dans la rue, se trompait de lieu :
" Ils étaient, écrit-elle, dans le pouvoir
législatif " 68.
Au lendemain de l'indépendance, la question qui se posa fut celle de la " décolonisation du droit de la famille " 69.
En effet, en 1959 le colonisateur français, qui avait jusque là respecté le statut personnel du musulman 70, mit en place une réforme de l'organisation et des effets du mariage combinant droit islamique, coutume et code civil français par une ordonnance du 4 février 1959 71, laquelle posait l'exigence du consentement des conjoints pour le mariage, le divorce judiciaire, ainsi qu'un âge minimum pour le mariage 72.
Cette législation fut maintenu par la loi du 31 décembre 1972 73, restée en vigueur jusqu'en 1973 date à laquelle fut adoptée la loi du 5 juillet 1973 abrogeant, à partir du
5 juillet 1975, toute la législation antérieure à
l'indépendance 74.
66 - Article de F. C. " Les parents favorables au
français à l'école " in " La Provence "
du 20 juin 1998, P. 25. Selon certaines personnes, l'un des points de cette
réforme serait de rendre l'école non obligatoire. Si ce point
s'avérait exacte, cela risquera d'avoir de grave conséquence
sur la scolarisation des jeunes filles.
66bis - F.I.D.H,, op. cit., P. 100.
67 - En effet, certains articles du code s'inspirent d'une
législation occidentale, notamment par la fixation d'un âge
minimum pour le mariage, ou l'instauration d'un divorce judiciaire.
68 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit., P. 101.
69 - N. Saadi, op. cit., P. 44.
70 - Par un décret du 31 décembre du 1859, puis
celui du 17 avril 1889, les algériens musulmans conservèrent
leur statut personnel et ne furent pas soumis au code civil français.
N. Saadi, op. cit., P. 43.
71 - F.I.D.H., op. cit., P. 99.
72 - Idèm P. 99.
73 - Ibid P. 99.
74 - N. Saadi, op. cit., P. 46.
A partir de 1975, une situation juridique nouvelle apparut en raison de l'absence
d'adoption d'un code de la famille : Ainsi, le droit de la famille fut soumis
à la Shari'a et au Fiqh et son contenu laissé à
l'appréciation souveraine des juges, conformément au code civil
qui indiquait qu' " en l'absence d'une disposition légale, le
juge se prononce sur les principes du droit musulman et, à défaut,
sur les coutumes " 75.
Afin d'élaborer le futur code de la famille, une première commission, réunissant des Oulémas, proposa, en 1963, d'élargir la polygynie à six femmes 76.
Le projet fut abondonné devant les réactions hostiles de la
presse et du gouvernement tandis qu'en 1964, l'association El-Qyam (les valeurs)
- et le Cheikh Soltani qui s'opposa avec vigueur à la politique
féminine du gouvernement 77 - organisa le 5 janvier, un meeting
au cours duquel elle réclama un statut islamique pour la femme
78.
A l'occasion du 8 mars 1965, des centaines de femmes manifestèrent à leur tour pour réclamer un code fondé sur l'égalité des sexes 79, mais à la fin de l'année, un avant-projet de code, qualifié de " réactionnaire au possible " 80 déclencha une vive réaction de la part des étudiantes et des ouvrières du textile.
Le gouvernement retira le projet en dépit du faible nombre des opposantes
- moins de 4% des femmes étaient, à cette époque, actives
81 -.
En octobre 1970, une nouvelle commission réunissant cette fois
Oulémas, représentantes de l'Union Nationale des Femmes
Algériennes (U.N.F.A), hauts fonctionnaires et juristes, est mise
sur pied 82, mais les désaccords, portant sur la dot, la polygynie
et la tutelle matrimoniale, font avorter le nouveau projet, tandis
qu' " à la même période une très
large confrontation publique mobilisa l'opinion autour d'un projet de
société intitulé la Charte Nationale. Une campagne dans
les médias, dans les assemblées populaires, orchestra la
revendication d'application de la Shari'a à tous les niveaux de la
vie juridique. L'impact et la reprise de ce mot d'ordre, sa prégnance
sur une large partie de l'opinion, mirent à jour l'existence d'un
fort courant islamiste " 83.
En 1980, une directive ministérielle vint interdire aux femmes de quitter le territoire national si elles n'étaient pas accompagnées d'un tuteur masculin, ceci, en dépit même de la Constitution Algérienne qui proclamait l'égalité des sexes et la liberté de circulation.
Devant les protestations publiques à l'aéroport de certaines
enseignantes se rendant en France, et les manifestations qui s'en suivirent,
la directive fut annulée 84.
75 - Idem P. 46.
76 - Ibid P. P. 44 - 45. L'explication donnée était d'aider les veuves de chouhada (combattants morts durant la guerre
d'indépendance), de manière à ce qu'il n'y en ait aucunes dans le besoin.
77 - F.I.D.H., op. cit., P. 100.
78 - N. Saadi, op. cit., P. ,45.
79 - Idem P. 45.
80 - Propos tenus par un membre de la commission, cité par F. M'rabet in " Les algériennes ", Paris, Maspero, 1969, P. 239.
(L'ancienne édition donc, et non celle de 1983).
81 - F.I.D.H., op. cit., P.100.
82 - N. Saadi, op. cit., P. 46.
83 - Idèm P. 46.
84 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit., P. P. 90 -91.
Le projet d'un code de la famille ne fut, lui, relancé qu'après
la mort du Président Boumedienne, sous la présidence de Chadli,
placé à la tête de l'Etat par la tendance islamo-baasiste,
jusque là minoritaire, du régime 85.
Ce projet est déposé sous forme de projet de loi auprès de l'Assemblée le 28 septembre 1981 86, et, en raison de son contenu, en octobre de la même année,cent femmes manifestèrent contre son adoption .
Le 16 novembre, plus de cinq cent se réunirent devant l'Assemblée
organisée en séance plénière. Des moudjahidates
(anciennes combattantes) se joignirent au enseignantes et étudiantes
et organisèrent une pétition dans laquelle elles
dénoncèrent le projet de loi et énoncèrent leurs
revendications en six points :
Une majorité légale au même âge que l'homme,
Le droit inconditionnel au travail,
Une partage égale du patrimoine commun,
L'égalité devant le mariage et le divorce,
Une protection efficace des enfants abondonnés
L'abolition de la polygynie 87.
Le président Chadli finit par retirer le projet et, les femmes décidèrent alors de rédiger un manifeste des droits de la femme devant recueillir un million de signatures 88. Cependant, dès décembre 1983 des arrestations de militantes eurent lieu 89.
Le code fut alors adopté durant la période d'intense mobilisation
des femmes destinée à faire libérer les militantes
arrêtées 90.
Le code de la famille consacre, par son contenu, la prééminence de l'homme sur la femme, la polygynie, un quasi-droit de répudiation, l'inégalité sexuelle en matière de succession, la tutelle matrimoniale etc...91 et parce qu'il demeure la référence principale des tribunaux 92, il met en échec les autres textes législatifs accordant les droits égaux à l'homme et à la femme : Ainsi, par exemple, si la femme a le droit de travailler et de recevoir une rémunération égale à celle de l'homme 93, Elle ne peut, en fait, exercer d'emploi sans l'accord de son époux, dans la mesure ou elle lui doit obéissance
- Art. 39 du code de la famille -.
85 - Idem P. 89.
86 - N. Saadi, op. cit., P. 47.
87 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit., P. 91 à 93.
88 - Idem P. 96.
89 - N. Saadi, op. cit., P. 47.
90 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit., P. 96.
91 - N. Saadi, op. cit., P. 47.
92 - F.I.D.H, op. cit., P. 102.
93 - N. Saadi, op. cit., P. 31.
Concernant les conventions internationales relatives aux droits de l'homme et à l'égalité des sexes, l'Algérie a , très tôt , adhéré et ratifié à celles qui ne l'engageaient pas directement à mettre en place une législation non discriminatoire, et s'est toujours refusée à adhérer, ratifier ou publier au Journal Officiel, celles qui l'engageaient directement.
Ainsi, le législateur algérien admet le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droit civils et politiques (tous deux de 1966, entrés en vigueur le 3 mars 1976) ou la Déclaration Universel des Droits de l'Homme 94, mais l'Algérie, après avoir longtemps refusé toute adhésion à la Déclaration sur l'élimination de toute discrimination à l'égard des femmes de novembre 1967, et surtout à la Convention sur l'élimination de toute forme de discriminations à l'égard des femmes du 18 décembre 1979, a fini par la ratifier en 1995 sans toutefois la publier au Journal Officiel de la République et sans renoncer aux réserves formulées à l'encontre des articles 2, 9, 15, 16, 29, et 43 95.
Ce qui vide la Convention de tout effet concret même si elle devait
par la suite être publiée au Journal Officiel 96.
Depuis son adoption en 1984, le code de la famille, surnommé " code
de l'infamie " 97 par ceux qui s'y opposent et réclament
son abrogation, n'a pas fait l'unanimité au sein des islamistes
eux-mêmes qui le considèrent comme non conforme à la
Shari'a.
Aujourd'hui encore toute tentative d'amendement des articles contestés
reste sans effet dans la mesure ou le gouvernement remet continuellement
l'examen des propositions à la prochaine Assemblée Nationale
99.
Le clivage entre modernistes et traditionalistes, entre démocrates
et islamistes s'expriment toujours à travers la lutte contre ce code
de la famille 100 qui, d'une part reflète et renforce les
structures traditionnelles de la société, et d'autre part,
appara"t, aux yeux d'une partie de la population algérienne (certe
minoritaire) comme contraire à ces idéaux de modernité,
d'égalité et de droits universels de l'homme 101.
94 - Idem P. P. 33 - 34.
95 - F.I.D.H., op. cit., P. P. 101 -102.
96 - Voir annexe P.... sur les réserves formulées.
97 - F.I.D.H., op. cit., P. 107.
98 - N. Saadi, op. cit., P. P. 47 - 48.
99 - F.I.D.H., op. cit., P. 105.
100 - Voir annexe P.... sur les différentes positions des mouvements politiques en Algérie.
101 - F.I.D.H., op. cit., P. 108.
Le rejet du modèle occidental, mais aussi et surtout le refus de voir évoluer la tradition conduit à l'exclusion de tout élément qui lui est étranger et à une référence constante au passé révolu.
Cette opération, que Maxime Rodinson qualifie de réactionnaire en écrivant que " vouloir réduire les revendications de la conscience actuelle aux exigences d'une époque révolue est une opération, au sens stricte du mot, réactionnaire "102 abouti à faire de la tradition, une tradition qui ne vit plus qu'en se définissant " contre "103.
Elle aboutit également à maintenir le système patriarcal qui, tout au long des siècles, a façonné l'homme et ses rapports avec la femme.
Système qui va également avoir des effets sur la construction, tant de l'identité masculine que féminine.
C'est ce que nous allons voir dans la seconde partie de ce
travail.
102 -
103 - Jacques Berque affirmait en effet qu ". (...) une tradition qui prétendrait se clore aux influences de la mondanité, se cantonner dans une spécificité de plus en plus insulaire, n'est pas une tradition vivante (...). Elle s'exprime en terme non pas d'affirmation ou de création, mais de réponse et de ressenti. Elle se définit contre. Elle n'est plus : elle réagit.
Quand on ne se définit que contre l'autre, cela veut
dire qu'on hésite à exister ", interview au journal de
Beyrout, " L'Orient " (11 novembre 1964) cité dans Revue
de Presse N° 89, cité par F. M'rabet, op. cit., P. 116.
Le système patriarcal, comme nous l'avons dit, va avoir des effets
sur la construction de l'identité masculine et féminine.
Construction qui mettra en relief la conception qu'a l'homme de la femme,
et l'influence de cette conception sur la femme elle-même.
Cette seconde partie traitera ainsi, dans deux chapitres différents,
de la construction de l'identité masculine, et de celle
féminine.
L'un des effets du système patriarcal est la création d'une identité masculine fondée sur la virilité et la domination - Section 1 - ce qui aura pour conséquence le rejet de tous sentiments qualifiés et considérés comme faibles car attribués, par opposition, à la femme - Section 2 -
Le résultat final de cette identité fondée sur la domination
et le rejet des sentiments dit faibles sera l'émergence d'un homme
" narcissique " excluant la femme - Section 3 -.
Section 1 - La domination, marque de la virilité masculine :
L'algérien né, grandi et construit son identité d'homme
par référence à la virilité comprise, dans la
société, comme la capacité de se montrer fort, courageux,
mais aussi et surtout comme la capacité de contrôler et de dominer
la femme1.
La société, la famille, le groupe donc, ne se contente pas des aspects physiques de la masculinité.
Le poids de la société - Paragraphe A - qui réclame
de l'homme d'avoir un certain nombre de qualités et de comportements,
pour le qualifié d'homme, joue un rôle certain dans le maintien
des rapports homme-femme, tandis que le poids du système politique
algérien - Paragraphe B - par son aspect autoritaire, renforce la
" domination " masculine sur la femme.
§ A - Le poids de la société :
La société algérienne, comme toute société patriarcale traditionnelle, est une société où le groupe domine l'individu.
Celui-ci, pour ne pas être marginalisé, doit donc agir selon
les règles communes qui mettent en place un certain nombre de normes
comportementales touchant aussi bien les femmes que les hommes.
Dès lors, pour être qualifié de femme ou d'homme, il est nécessaire de remplir un certain nombre de conditions.
L'homme, pour être un " radjel " c'est-à-dire
un " véritable homme ", devra ainsi avoir
du " nif ", c'est-à-dire de l'honneur, ce
qui suppose, chez lui, la capacité de faire face à toutes actions
portant atteinte à la famille ou à son statut d'homme.
1 - Monique Gadant, " Parcours d'une intellectuelle en Algérie, Nationalisme et anti-colonialisme dans les sciences sociales ", Paris,
l'Harmattan, (coll. Histoire et perspectives
méditerranéennes), 1995, 170 p., P. 75.
Il en sera ainsi de " l'insoumission de la femme "
qui pourra se traduire par son refus d'obéir aux règles familiales
et/ou sociales et dont la perte de la virginité est l'illustration
la plus totale2.
En effet, la perte de la virginité signifie la violation de la règle
de non mixité, de la règle divine de non relation sexuelle
hors mariage, mais aussi et surtout, du principe d'obéissance et de
soumission de la femme, puisque celle-ci est allée outre l'autorité
de la société, de la famille et du père.
L'insoumission de la femme, synonyme de non domination de l'homme,
nécessitera alors, de sa part, une réaction destinée
à prouver qu'il a effectivement du
" nif ", et qu'il est donc un homme qui domine et
n'accepte aucune forme d'insoumission : Il sera ainsi tenu de venger son
honneur, et celui de sa famille en sanctionnant la femme. Et face à
une atteinte aussi directe et aussi grave à son honneur et son
autorité d'homme, cette sanction pourra être la mort de
l'autre.
En effet, le sang est bien souvent le prix de l'honneur bafoué - Les
exemples de jeunes filles tuées par leur père, leur frère
ou leur époux, parce qu'elles n'étaient plus vierges restent
encore nombreux et la législation pénale algérienne
considère ces crimes " d'honneur " comme des
circonstances atténuantes -.
L'homme y a recours bien souvent, d'une part, parce que la société
elle-même lui réclame ce châtiment comme preuve de sa
qualité de " mâle " fort et intransigeant
face à une femme faible, mais insoumise, et d'autre part, parce qu'en
tant qu'individu ayant appris à se considérer comme le dominant,
l'acte d'insoumission remet directement en cause cette hiérarchie.
La réprobation silencieuse de la société3 qui menace chaque individu pousse l'homme et la femme à agir en conformité avec les règles sociales.
L'oeil social conduit également l'homme à considérer la femme comme un élément dangereux pour la société toute entière et pour lui-même :
En effet, la société, à travers le discours religieux, développe une image négative de la femme qui est alors conçue comme un être faible, imparfait, et perturbateur pour l'ordre social.
Abbas Mahmoud El-Akkad écrivait ainsi en 1969 que " chaque
trait du caractère moral de la femme est symbolisé par l'histoire
de cet arbre (le pommier du paradis) (...) le faible, pour les interdits
résume les caractéristiques de la femme "4.
2 - F. M'rabet dans ses deux livres relate qu'un homme de 45
ans environ tua, à coup de hache sa soeur (du même âge
que lui) parce qu'il la soupçonnait d'avoir bafoué l'honneur
de la famille, op. cit., P. 104. Attillio Gaudio et Renée Pelletier
(op. cit.) rapportent, eux aussi, l'exemple d'une jeune épouse
renvoyée par son époux parce qu'elle n'était plus vierge
et que son père tua, avec sa mère, accusée d'être
responsable de ce déshonneur. Par la suite l'autopsie du corps
révéla que la jeune était vierge, mais l'homme
bénéficia des circonstances atténuantes lors de son
procès.
3 - Jacques Austry, " L'islam face au développement
économique ", T. III, Paris, les éditions Ouvrières,
1961, 138 p., P. 31.
4 - Cité par Ghassan Ascha op. cit., p. 25.
Le discours érotique5, développé par les auteurs du XI ème et XII ème siècles, décrit également la femme comme un être dominé par sa nature animale, et par le désir qui la conduit, (pour être assouvie) à bafouer toutes les règles sociales et morales.
L'homme doit donc préserver la société des influences néfastes de la femme en la contrôlant et en la dominant.
Le femme est également d'autant plus dangereuse que c'est à travers son comportement à elle, que l'homme sera jugé :
Monique Gadant, auteur de " Parcours d'une intellectuelle en
Algérie " et épouse d'un algérien,
témoigne de sa propre expérience : " Dans ma situation
d'épouse, écrit-elle, (...) tout ce que je vais faire ou ne
pas faire, dire, écrire peut se retourner contre moi, mais pire encore,
tout ce que je vais faire, dire, écrire sera imputé à
mon mari, un homme étant vulnérable par sa femme plus que par
tout autre membre de la famille (soeur peut-être excepté) car
tout homme qui se respecte doit dominer, contrôler sa femme
(...) "6.
Le contrôle et la domination de la femme sont donc, pour l'homme,
nécessaire pour asseoir son identité masculine qu'il doit prouver,
et dont il fait très tôt, l'apprentissage.
Juliette Minces dans " La femme voilée, l'islam au féminin " écrit que " le gamin de 10 ans fait couramment des commentaires obscènes ou élogieux à une femme qui passe. Il sait ce qu'il dit et - sa supériorité de mâle - le lui permet "7.
Pour J. Minces, c'est donc la supériorité que ressent le jeune
garçon qui lui donne, pour lui, le droit d'être obscène
ou élogieux ; mais ne peut-on pas considérer qu'il s'agit là,
d'un mimétisme comportemental par lequel le garçon construit,
peu à peu, son identité masculine, par référence
au père et aux autres hommes qu'il côtoie.
En effet, les jeunes hommes qu'il voit souvent dans la rue, ne sont-ils pas pour lui des modèles à suivre, car comment pourrait-il savoir " ce qu'il dit ", dans une société où parler de l'autre sexe, en terme de sexualité, est un sujet tabou8.
L'enfant qui évolue dans la rue, en bande, avec d'autres garçons
ayant plus ou moins le même âge que lui, ne fait qu'observer
et écouter le discours développé par les groupes des
jeunes adultes. Dès lors, faire comme eux, et parler comme eux, c'est
être comme eux : Des adultes, des hommes.
5 - Voir le livre de Fatma Ait-Sabbagh, " La femme dans l'inconscient musulman ", Paris, Albin Michel, 1986, 223 p., qui nous
donne un aperçu du fantasme masculin à travers
la littérature courtoise, érotique et religieuse concernant
la femme.
6 - M. Gadant, op. cit. P. 75.
7 - Juliette Minces, " La femme voilée, l'islam
au féminin " , Paris, Calman-Levy, 1990, 235 p., P. 60.
8 - M. Gadant rapporte, par exemple, ses difficultés à aborder le sujet des relations hommes-femmes avec des hommes, même
militants : " La famille, les relations entre les sexes étaient censées relever d'une innéité qui était propre à la société algérienne.
Le livre d'Engels, l'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, n'était pas connu, et lorsque je l'évoquais, on
n'entendait pas poursuivre(...) " " <Les relations
entres les sexes dans la famille, le partage des taches domestiques, même
dans un couple militant, étaient des sujets tabous. Parler du
deuxième sexe était risqué (...) ", op. cit., P.
35.
La société, pour considérer qu'un homme est un homme, lui réclame donc d'agir envers la femme en tant que ma"tre ; mais en même temps, avec la création de l'Etat moderne en Algérie, depuis l'indépendance, l'homme dominant devient, par le système politique, lui-même dominé.
Ce qui, probablement , ne va pas sans conséquence sur les relations
homme-femme.
§ B - Le poids du système politique :
L'homme, au sein de la société algérienne domine donc
la femme ; mais au dessus de cet homme, au dessus de la société
toute entière, se trouve l'Etat et son système politique.
Dès la mise en place de la politique de l'Etat, des voix se sont
élevées contre l'option socialiste du gouvernement.
Les uns critiquaient ce choix en raison de son centralisme, les autres, notamment
des théologiens, en raison de son égalitarisme ayant abouti
à la dissolution des moeurs et des valeurs sociales.
EN 1974, le cheikh Abdelhatif Soltani, l'un des principaux leaders de la mouvance fondamentaliste (qui se faisait de plus en plus entendre depuis les années soixante) dénoncera, dans " Le mazdaqisme socialiste est la source du socialisme " la politique du Président Boumedienne, la comparant à la doctrine de Mazdaq, chef dans la perse du V ème av. J.C. d'une secte réputée communiste et libertine.
Il écrit ainsi que " (les) mêmes effets néfastes qu'avait produit la secte de Mazdaq dans la société perse (...) le socialisme et le communisme les produisent dans les pays qui en sont affligés : l'injustice et la débauche sous toutes leurs formes y sont monnaie courante. (...) Les enfants trouvés y sont légions, résultat de cette promiscuité entre les sexes instaurée sous couvert de progressisme (...).
La femme sort dans les rues, avec les parures dont on l'a doté pour
rencontrer qui bon lui semble, converser avec qui elle veut (...). Or, c'est
là que se cachent le mal et la corruption de la société.
(...) Honneur, esprit de chevalerie chasteté, pudeur, tout cela s'en
est allé (...) "9.
Malgré ces critiques qui se sont élevées, le régime algérien est resté fidèle à sa politique socialiste, mais, dès le début, toute opposition interne fut interdite10.
Le régime algérien que l'on peut définir comme une dictature
paradoxale - dictature parce qu'il y a autoritarisme, confiscation de tous
les pouvoirs par les dirigeants et contrôle de la population, et paradoxale
parce que le discours officiel se veut être progressiste, (surtout
au niveau de la scène internationale) avec une certaine discrétion
politique des chefs de l'armée - fait de l'Etat un élément
omniprésent et puissant11.
L'individualisme, qui a du mal à émerger dans une
société communautaire, dispara"t presque totalement, au niveau
économique, au seul profit de l'Etat12.
9 - Cité par François Burgat in " L'islamisme au Maghreb ", Paris, Khartala, 1988, Payot et Rivages 1995, P. P. 146 -147.
10 - Pour de plus amples informations sur le régime algérien, se rapporter à l'ouvrage collectif de Reporters sans Frontières, " le
drame Algérien, un peuple en otage ", Paris, la Découverte, 1994.
11 - Idem.
12 - Idem. En effet, le centralisme politique et économique, avec l'instauration de monopoles à tous les niveaux de l'activité
économique, a eu pour effet de freiner le développement de l'investissement privé qui, dans beaucoup de cas, ne pouvait se
produire sans le versement de " pot de vin ", d'ou
également la généralisation de la corruption.
L'homme, dominant, chargé, selon les traditions et le Coran, de subvenir
aux besoins de sa famille, de sa femme, se retrouve dominé face à
un Etat centralisateur devant lequel toute initiative individuelle se trouvera
bloquée par les monopoles d'Etat13.
L'homme sera ainsi impuissant économiquement, alors que la
société lui réclame la puissance - De plus, le régime
algérien " confisque la parole " à l'homme, puisque
toute opposition interne est sanctionnée - L'homme doit ainsi garder
le silence alors que la société lui réclame de parler,
d'ordonner.
L'Etat est également celui qui gère la société,
ces besoins, édicte des règles, annonce ce qui est permis et
ce qui ne l'est pas, " raisonne " pour le bien de tous, alors que la
société réclame de l'homme que ce soit lui qui gère,
lui qui raisonne.
L'homme, face à l'Etat, perd ses pouvoirs d'homme14 ; dès
lors, celui-ci cherchera à les retrouver là où ils n'ont
jamais disparu : Au sein de la famille - Un proverbe algérien dit
d'ailleurs que " tout homme est roi dans sa demeure " - alors,
peut-être n'est-il pas faux de penser que l'homme cherche, chez lui,
non seulement à conserver son pouvoir, mais aussi à le renforcer
par réaction au pouvoir de l'Etat.
L'adoption du code de la famille de 1984, issu d'un long débat entre " modernistes " et " conservateurs " commencé dès les années soixante, peut se lire comme la victoire des conservateurs, et l'application pure et simple de la loi islamique, et/ou, comme la volonté des dirigeants de redonner, de façon claire, le pouvoir à l'homme dans la sphère privée.
Une manière de dire : Certes, l'Etat est puissant, mais c'est l'homme
qui domine, puisque c'est lui le ma"tre, le chef de la famille, cellule de
base de la société.
La nécessité de dominer pour être " virile "
conduit l'homme à rejeter la " faiblesse " par le rejet
des sentiments attribués à la femme, mais, parce que ce rejet
est une " trahison du moi ", il se les réapproprie à
travers le fantasme.
Section 2 - Le rejet de la " faiblesse " ou la trahison du moi
:
L'amour, le désir, la souffrance, la tristesse sont parmi les sentiments que l'on attribue à la femme et que l'homme rejette parce qu'ils illustrent la faiblesse.
Ils sont, pour lui, des sentiments négatifs.
13 - Voir en annexe un exemple de la difficulté d'investir
sans corrompre, P.....
14 - K. Mesaoudi, dans " Une algérienne debout ",
rapporte cette phrase d'un homme : " Heureusement qu'il y a les femmes
dans ce pays. Elles osent faire ce que les hommes ne font pas ". (A
propos de la manifestation du 23 décembre 1991 contre le projet du
code de la famille), op. cit., P. 93.
§ A - L'amputation des sentiments négatifs :
Les sentiments amoureux, la souffrance, comme le désir ont, très tôt, été considérés comme des sentiments " féminins " qu'il faut contrôler et dominer pour conserver le pouvoir.
Arno Gruen, dans son livre " La trahison du moi " écrit
que " le développement humain peut emprunter deux voies :
Celle de l'amour et du pouvoir. La vraie voie du pouvoir, qui se trouve au
centre de la plupart des cultures, conduit à un moi qui reflète
l'idéologie de la domination. Ce moi fragmenté et
divisé rejette la souffrance et l'impuissance comme des signes de
faiblesse et préconise le pouvoir et le contrôle des autres
comme moyens de les combattre. "15.
Les sentiments sont pour l'homme, d'autant plus des signes de faiblesse qu'ils sont attribués exclusivement à la femme. Or, la femme est, par nature, faible, imparfaite et impure.
La littérature orthodoxe la décrit comme un être soumis au désir, à la déraison et au désordre.
La littérature érotique la décrit, elle, comme un être égoïste, rusé, destructeur, soumis à sa nature (animale)16.
L'homme, au contraire, incarne la raison et l'ordre. Il est intelligent,
soumis à Dieu et à la culture, c'est-à-dire aux règles
sociales, mais pour demeurer ma"tre de lui-même et de l'autre, il lui
faut rejeter la faiblesse des sentiments.
Fatima Mernissi, dans " L'amour dans les pays musulmans " nous rapporte les propos qu'elle a recueilli auprès d'un homme d'affaire Maghrébin : " Les sentiments, dit-il, (...) sont des balivernes inutiles, des gamineries dégradantes "17.
L'homme parce qu'il a " établi sa personnalité sur
l'image de la force, de l'esprit de décision, du pouvoir, du courage,
de la connaissance et du contrôle de soi " (...)18
considère que les sentiments sont
" dégradants " et l'amour ainsi que le
désir, sont " bannis " parce qu'ils remettent
en cause le contrôle de soi et de l'autre.
En effet, l'amour renverse le schéma traditionnel du dominant et du dominé, gomme les frontières sexuelles et abouti à l'harmonie de deux êtres : Ainsi, l'homme, le dominant devient dominé.
Il est l'esclave face à la femme dominante.
15 - Arno Gruen, " La trahison du moi ", Paris, Robert
Laffont, 1991, 240 p., P. 23.
16 - Fatma Aït-Sabbagh donne l'exemple de cet auteur musulman - le Cheikh Mohammed Nafzaoui, auteur de " La prairie parfumée
ou s'ébattent les plaisirs " - qui écrit qu " (...) elles (les femmes) n'hésitent guère, dans leur quête (de plaisire) insensé, à
détruire tout ce qui est sacré, à souiller
les turbans (signe de la foi islamique) et vont parfois aussi loin que le
meurtre ".
17 - Fatima Mernissi, " L'Amour dans les pays
musulmans ", Casablanca, editions Maghrébines, 1986, 174 p.,
P. 16.
18 - Arno Gruen, op. cit., P. 106.
Ibn Hazim, auteur d'un " Traité de l'amour ", poète, mais aussi savant, grammairien, philosophe et docteur en sciences religieuse, leader du mouvement Zahirite opposé à la rigidité de l'école Malekite, décrit ainsi, l'homme amoureux :
" Il contemple l'aimée, la suit comme son ombre, l'écoute sans sourcillé, l'approuve dans tout ce qu'elle dit. Il est impatient de la retrouver, et torturé de la quitter ",
" Quand je me lève (écrit-il) pour te quitter, ma
démarche n'est autre que celle d'un captif, mais quand je me rends
vers toi, je ma hâte vers toi, comme la lune quand elle franchit (les
étapes) du ciel " (...)19.
D'autres auteurs arabo-musulmans définissent l'amour comme un sentiment permettant la fusion des âmes, ou comme un souffle magique :
Ali, fils d'El-Heitem, de la secte imamite, et théologien chiite,
écrit que " (...) l'amour est le fruit de la conformité
des espèces et l'indice de la fusion de deux âmes, il émane
de la beauté divine, du principe pur et subtil de la substance. Son
étendu est sans limite, son accroissement, une cause de perdition
pour le cops "20, alors que Abou Mali, de la secte Kharidjites,
écrit que " (...) l'amour est un souffle magique (...)
il n'existe que par l'union de deux âmes et le mélange de deux
formes (...) il règne sur toute chose, soumet les intelligences et
domptes les volontés "21.
L'amour fini par gommer la différence sexuelle, par bannir les frontières ou, tout au moins, les rendre mobiles : Haçan Basri, parlant de Rabia El-Adaoui (dans "Le mémorial des saints ") écrit :
" Je restais une nuit et un jour auprès de Rabia, discutant
avec tant d'ardeur sur la vie spirituelle et les mystères de la
vérité que nous ne savions plus, moi, si j'étais un
homme et elle, si elle était une femme "22.
Parce que l'amour remet en cause l'ordre de domination, parce qu'il gomme
les différences et permet la " fusion de deux
âmes ", parce qu'il remet l'homme dans sa sphère
humaine et le soumet au désir, à la déraison au
désordre et à la nature, il doit être, comme nous l'avons
déjà dit, banni et rejeté.
Le poète Ibn El Wardi, dans son poème " Lamia ", exprime cette méfiance envers l'amour et son rejet :
" Des chansons, il faut te méfier ! Et les poèmes d'amour, il te faut les fuir !
Ne dure que des choses sérieuses et rompre avec ceux qui ont la plaisanterie facile !
Belles femmes il faut quitter : point de fête à leur faire
Tel est le chemin de la gloire, de la puissance, de l'honneur
(...) "23.
19 - F. Mernissi, op. cit., P. 28.
20 - Malek Chebel, " Encyclopédie de l'Amour en
Islam ", Paris, Payot et Rivages, 1995, 708 p., P. 63.
21 - Idem p. 63.
22 - F. Mernissi, op. cit., P. 111.
23 - Abdelwahab Bouhdiba, " La sexualité en
Islam ", Paris, PUF, 1975 (1ère éd.), 1982 (2ème
éd.), 320 p., P. 145.
Pour conserver la gloire, la puissance et l'honneur, donc pour conserver le pouvoir, l'homme doit rejeter une partie de lui-même, une partie de son humanité. Il trahit son moi profond pour conserver le " moi social ".
Ce qui a fait dire à Arno Gruen que " (...) les hommes,
bien plus que les femmes opprimées, sont frustrés de leur
humanité "24.
Cette amputation d'une partie de ses sentiments, cette frustration de son humanité, conduit l'homme à se réapproprier ce que la société lui réclame d'étouffer à travers le fantasme qu'illustrent la poésie ou le chant populaire.
§ B - La réappropriation par le fantasme :
L'amour dénigré et rejeté, la femme dénigrée
et rejetée, l'amour de la femme dénigré et rejeté
vont être repris par l'homme à travers les fantasmes qu' illustrent
les chants ou la poésie amoureuse.
La musique, les chants andalous, les poésies amoureuses expriment également la frustration ressentie : Ils donnent l'image d'une femme désirée mais perdue, par le départ, l'éloignement où la mort de l'aimée.
L'amour est ainsi impossible à réaliser, de même que
l'union physique avec la femme (symbole de la frustration sexuelle).
L'amoureux face à son amour impossible, va s'en remettre à une autre personne pour trouver une solution. Il va demander l'aide du Cadi, qui symbolise la morale, mais celui-ci n'aura d'autres mots que de plaindre l'amoureux, symbole du soupçon pesant sur le sentiment amoureux :
" Auprès du Cadi de l'amour, je suis allé pleurer (...)
Il a répondu
Pour sûr, l'esclave de l'amour est bien à
plaindre "25.
Puis le poète va chanter son amour pour la femme, décrire ses
sentiments et l'être aimée, mais la femme ne sera jamais
décrite en tant que personne, que femme, mais comme un animal gracieux,
généralement une gazelle, ou comme un élément
de la nature, tel que la lune ou le soleil. C'est un astre brillant,
éclatant, à la longue chevelure noire et à la peau blanche.
24 - Arno Gruen, op. cit., P. 24.
25 - Rachida Titah, ëLa galerie des absentes, la femme
dans l'imaginaire masculin ", Saint-Etienne, l'Aube, 1996, 194 p., P.
23
Le poète algérien Mohamed Ben Sahla, auteur de
" Une gazelle que j'ai vu aujourd'hui " écrivait
ainsi :
" Une gazelle que j'ai vu aujourd'hui
m'a mis au supplice, ô vous qui m'écoutez ;
(...)
un vrai brasier s'est allumé dans mes entrailles à sa vue
(...)
une fois la voir et contempler ses yeux,
(...)
elle m'a ravi l'esprit et abandonné,
(...)
je suis perdu et tout le monde conna"t mon secret
(...)
le démon qui m'habite n'en veut aucune autre
(...)
ces cheveux, c'est la soi et l'or, et noirs comme les ténèbres
(...)
et des yeux au charme divin
(...)
sa petite bouche, c'est du corail rouge ou de l'or qui s'ouvrirait sur les perles précieuses
(...)
quand au visage
(...)
que de beauté, que d'éclat (...)26.
La femme est décrite comme une être parfait, mais impossible
à atteindre.
Rachida Titah dans " La galerie des absentes "
écrit que l' " on serait tenté de dire qu'il ne
s'agit que d'un mythe auquel se raccroche désespérément,
indéfiniment, le désir absolue de l'homme, sans jamais le
saisir "27.
26 - Idem P. 26 à 28.
27 - Ibid P. 28.
Lorsque l'amour devient réel, il est dramatique.
Le poète Ben Guitour rapporte, au XIX ème siècle, l'histoire de Saïd, l'époux inconsolable de sa femme, Hiziyya, une belle bédouine, morte en 1895 selon la
légende :
" Consolez-moi mes amis : j'ai perdu la reine des belles, elle repose sous les pierres du tombeau (...) mon coeur est parti avec la svelte Hiziyya ! (...) C'est dans cette nuit qu'elle paya sa dette (à la mort) (...).
Elle se serrait contre ma poitrine et rendit l'âme sur mon sein. Mes
yeux inondèrent mes joues de leurs larmes et je pensais devenir fou
(...) "28.
La femme dans l'imaginaire masculin ne ressemble pas à la femme
réelle qui l'entoure.
Les femmes, dans la société algérienne, sont, physiquement,
diverses les unes des autres, mais il n'y a qu'une femme idéale
physiquement, : celle décrite par les chants et les poèmes.
Malgré toute la hardiesse du chant amoureux qui décrit l'amour
fou de l'homme pour une femme, ce qui induit des relations entre eux, ce
chant reste abstrait, irréel. Il est le chant du rêve, de
l'imaginaire, jamais chant de la réalité.
La société a toujours toléré ces poèmes pour leur rôle de maintien de l'équilibre social.
En effet, le poète fait oublier le présent insatisfaisant et, par le rêve et le fantasme, fait entrer l'homme dans un monde plus agréable.
Cependant, dès que le poète quitte le chemin de l'imaginaire
pour emprunter ceux de la réalité, la société
réagit et rejette le poète.
C'est ainsi que le poète Boumedienne Ben Sahla a été
banni de Tlemcen pour avoir décrie, dans " Lumière
de mes yeux " ses relations avec " trente beautés
Tlemceniennes "29.
28 -Ibid P. 28.
29 - Ibid P. 35.
La poésie et le chant amoureux, déjà suspects aux yeux des religieux pour leur " légéreté ", sont encore plus attaqués lorsqu'ils décrivent des situations, en principe, tabous, telles que les rencontres amoureuses secrètes.
Le poète Ben Msaïb, dans " Qu'a donc ma bien aimée " décrit ces situations de rencontres en principe impossible (car claustration et surveillance des femmes)
Il écrit ainsi :
" Qu'a donc ma bien aimée
(...)
elle était avec moi hier
(...)
toute les nuits dans mes bras
(...)
après l'absence mon amie est revenue
(...)
j'ai reçu mon amie cette nuit,
elle est venue, et repartie
nul ne s'en est aperçu (...)30.
Avec la musique Raï, la femme, l'amour et le désir, quittent le domaine de l'abstrait pour le concret.
La femme est au centre de cette musique et du chant. Tout tourne autour d'elle.Et
contrairement à la poésie ou aux chants andalous traditionnels
qui emploient un langage imagé, celui du Raï est clair, sans
ambiguïté.
Les paroles, issues de l'arabe dialectal, sont simples à comprendre pour une masse de jeune algérien.
Grâce au Raï, " les frustrations de toutes sortes (...) vont trouver un exutoire dans des chansons au langage expressif et revendicateur, aux rythmes agressifs"31 :
" Je te désire, je meurs d'amour pour toi
tu es la lumière et la prunelle de mes yeux
je ne désire que toi,
Dieu m'est témoin, je n'aime que toi
(...)
je sais qu'elle m'aime (le chanteur)
je sais qu'il m'aime (la chanteuse)
je ne délaisserais pas ma bien aimée
je ne délaisserais pas mon bien aimé "32.
30 - Ibid P. P. 38 - 39.
31 - Ibid P. 126.
32 - Chebba Fadéla et chef Sahraoui, cités par
R. Titah, op. cit.,P. 125.
Les poèmes, les chants, traditionnels ou plus modernes tel que le
Raï, expriment ainsi l'angoisse de l'homme face à l'amour, mais
aussi et surtout, illustrent leur besoin, leur quête de cet amour et
du désir, que la société leur impose de dénigrer
pour conserver leur statut d'homme, supérieur et dominant.
Ce sentiment de domination, et de supériorité est conçu
comme naturel et de " nature " divine. Cette croyance
est si profondément encrée dans la pensée masculine
que l'on pourrait presque dire qu'elle a créé un homme
" narcissique " dont " l'amour de soi
va jusqu'au mépris de l'autre ".
Section 3 - L'émergence de l'homme narcissique :
La valorisation constante de l'homme et l'infériorisation constante
de la femme33 aboutit à l'émergence de l'homme
" narcissique " qui, par " amour " pour lui-même
en vient à rejeter l'autre - Paragraphe A - alors que, dans le même
temps, il reste attaché, sinon rattaché à sa mère
- Paragraphe B - .
§ A - Le rejet de l'autre, de la femme :
Selon Louis Corman, auteur de " Amour et Narcissisme ", le narcissisme a pour conséquence un amour exclusif de soi, ce qui aboutit à une survalorisation du moi qui s'exprime par un sentiment exagéré de la valeur de son intelligence, de ses aptitudes etc... et une tendance à dévaloriser autrui.
Il écrit ainsi que " l'amour exclusif propre personne,
aboutit à une survalorisation du moi (...) le sujet se donne une valeur
supérieure à sa valeur réelle, et (...) il attend des
autres, amour et admiration (...). La survalorisation,
continue-t-il, s'exprime par un sentiment exagéré
de la valeur de l'intelligence et des aptitudes, un orgueil extrême
et, corrélativement, une tendance à dévaloriser autrui
par apport à soi-même "34.
Les psychanalystes voient dans le narcissisme un sentiment naturel et nécessaire qui anime chaque individu au début de leur vie. Il ne devient pathologique que lorsqu'il est " secondaire ".
En effet, pour les psychanalystes, lorsque l'enfant né, il est animé d'un instinct, appelé instinct d'expansion qui lui permet de se projeter dans le monde. Cet instinct d'expansion, est le sentiment amoureux, qu'a le jeune enfant de lui-même, et celui de sa propre puissance issue de la naissance.
On est ici dans la phase du narcissisme primaire qui, en principe, doit
dispara"tre lorsque l'enfant se heurte à des frustrations qui lui
font découvrir la réalité.
33 - Voir, ici, le livre de Ghassan Ascha " Du statut inférieur de la femme en islam " qui nous donne quelques exemples de discours
tenus par des hommes - religieux et parfois même scientifique - sur les femmes. Nous en auront quelques aperçus dans ce
paragraphe.
34 - Louis Corman, " Amour et Narcissisme, de l'Amour de soi à l'Amour d'Autrui ", Paris, Jacques Grancher, 1993, 239 p.,
P. P. 40 -41.
En Algérie, l'enfant subit ce processus, mais l'obstacle des frustrations qui doit le ramener à la réalité, est " faible ".
En effet, l'enfant, précisément le garçon, vit dans une société qui valorise le fils dès sa naissance, et par l'éducation (souvent non contraignante pour lui)35 sa " supériorité " et " l'amour de soi " se maintiennent et se renforcent même.
L'enfant / le garçon grandit donc avec son narcissisme primaire et celui-ci, pourrait-on dire, ne dispara"t pas.
Mais, comme l'amour de l'autre peut aller jusqu'au mépris de soi,
l'amour de soi peut également aller jusqu'au mépris de l'autre.
Ce mépris de l'autre, qui est chez l'arabo-musulman et l'algérien,
la femme, s'expriment à travers la littérature théologique
et érotique, ainsi que dans le discours de la plupart des hommes ayant
une influence certaine sur les masses populaires, tels que les théologiens,
les professeurs et ma"tres d'école.
Les théologiens, qui s'appuient sur une interprétation
littérale du texte coranique, ainsi que sur les
" hadiths " du prophète, développent
un discours phallocratique et largement misogynique, décrivant la
femme comme un être " négatif "
n'étant " positif " que s'il est soumis
et obéissant à l'homme.
C'est ainsi qu'El-Boukhari rapporte, dans son
" Sahih " (tome 1 P.78) que le prophète aurait
dit que " les femmes ont moins de raison et de foi (...) le manque
de raison se traduit, en ce que le témoignage de deux femmes vaut
le témoignage d'un seul homme, et que le manque de foi se traduit
en ce que la femme, pendant ses règles, ne prie et ne jeûne
pas "36.
Le discours des compagnons du prophète sont eux aussi largement
" anti-féminins" :
Selon Omar Al-Khattab, l'homme doit avoir des " positions opposées à celles des femmes ", il y a dit-il " de la baraka (du salut) dans de telles oppositions "37.
Ali Ibn Abou Talib, cousin du prophète, (4ème Calife), affirme,
lui, que " la femme toute entière est un mal ; et ce qu'il
y a de pire, c'est que c'est un mal nécessaire ! "38.
35 - Mathéa Gaudry, qui a vécu quelques temps, au sein d'une communauté du Djebel Amour et du Ksel décrit dans " La Société
féminine au Djebel Amour et Ksel ", (étude
de sociologie rurale nord-africaine), Alger, Société
Algérienne d'Impression Diverses 1961, 528 p., l'éducation
du jeune garçon et le qualifie de véritable petit tyran.
36 - Ghassan Ascha, op. cit., P. 28.
37 - Idem P. 38.
Il ordonne ainsi aux hommes :
" Hommes, n'obéissez jamais en aucune manière à vos femmes. Ne les laissez jamais aviser en aucune manière touchant même à la vie quotidienne. Les
laisse-t-on en effet aviser en quoi que ce soi et les voilà à
détruire les biens et à désobéir aux volontés
du possesseur de ces biens. Nous les voyons sans religion quand elles sont
livrées à elles-mêmes : Sans pitié, ni vertu,
dès qu'il s'agit de leur désirs charnels. Il est facile de
jouir d'elles, mais grande est l'inquiétude qu'elles donnent. Les
plus vertueuses d'entre elles sont encore libertines, mais les plus
corrompues ne sont que catins ! (...) Elles ont trois qualité propres
aux mécréants : Elles se plaignent d'être opprimées,
alors même que ce sont elles qui oppriment, elles font des serments
alors qu'elles mentent, elles font mine de refuser de céder aux
sollicitations des hommes alors que ce sont elles qui y aspirent le plus
ardemment. Implorons l'aide de Dieu pour sortir victorieux de leurs
maléfices. Et gardons-nous, en tout cas, de leurs
bénéfices "39.
Pour l'imam Al-Chafi", théologien, juriste et fondateur de l'école
chafi"te " trois choses vous insultent si vous les honorez et,
si vous les insultez vous honorent :La femme, le serviteur et le
nabatéen "40.
Les " scientifiques " eux-mêmes considèrent que la femme est intellectuellement et physiquement un être faible :
" En moyenne, écrit Sulaiman Ghawji en 1975,
le cerveau de l'homme dépasse, en volume celui de la femme de 100g.
(...) En outre, le cerveau de la femme comporte moins de circonvolutions
et est moins organisé que celui de l'homme "41.
Les vertus de la femme ne sont, pour l'homme, que la soumission et l'obéissance, tandis que son rôle ne peut-être que celui d'épouse et de mère.
Lorsque la femme réussit à accéder à un poste en principe réservé à un homme, on considère que cela est du au fait qu'elle a des hormones mâles en plus grande quantité que chez une autre femme. Ce qui la conduit à se rebeller contre sa nature et à pouvoir ainsi participer aux tâches difficiles avec les hommes.
On serait donc en présence ici, non pas d'une femme, mais d'une
femme-homme.
39 - Ibid P. 39.
40 - Ibid P. 40.
41 - Ibid P. 48.
En Algérie, le même discours est tenu par les théologiens algériens, et reprid par l'homme " de la rue ".
Ainsi, le président de l'association Al-Qiyam (les valeurs),El-Hachemi
Tidjani écrivit en 1964 : " (...) Il va de soi que la nature
même de la femme la rend inégale à l'homme (...). Si
la femme était l'égale de l'homme (...) il y aurait longtemps
qu'elle (...) aurait réalisé cette égalité (...)
il existe entre elle et l'homme des différences naturelles qui font
qu'elle se trouve dans un état d'infériorité. Ce sont
(...) ces différences naturelles qui font qu'il y a des différences
mentales (...). Il n'est pas donné à la femme, au point de
vue mental pur, d'être à même de donner la leçon
à l'homme. Au point de vue des structures physiques et biologiques
du cerveau, l'homme a une formation supérieure "42.
Cet vision d'El-Hachemi Tidjani exprime l'opinion de la majorité des algériens.
Ce discours, qui date de 1964, reste encore d'actualité, et les opinions
recueillies par Fadéla M'rabet, dans " La femme
algérienne, suivie des algériennes "
également43.
C'est ainsi que l'on considère que " l'homme est beaucoup plus fort que la femme ", qu'elle est un " sexe faible ", de sorte qu'elle ne peut exercer tous les métiers " à cause de sa nature ", et parce que " son système nerveux n'est pas aussi sensible que celui de l'homme ".
" Les femmes, affirme un jeune homme de 17 ans, ne sont faites
que pour laver, essuyer le parterre " ou " pour s'occuper
du foyer qui lui est réservé " (jeune adolescent
de 15 ans) alors qu'un autre jeune de 18 ans énonce que
" la femme (...) ne doit apprendre que les choses utiles : faire
de la bonne soupe, savoir coudre et faire de belles robes, s'occuper de son
ménage ".
De même affirme un autre jeune homme de 17 ans " qu'une
femme savante est plus perfide qu'une simple femme, c'est-à-dire qu'elle
n'a ni foi ni parole ; c'est une menteuse, une infidèle, une tricheuse,
une vaniteuse, une orgueilleuse (...) ".
Ces propos recueillis par F. M'rabet, en 1964, sont, comme nous l'avons dit,
encore d'actualité comme le confirme deux enquêtes
réalisées par Hélène Vandevelde Daillière,
publié en 1980 sous le titre " Femmes algériennes
à travers la condition féminine dans le Constantinois depuis
l'indépendance "44 et par Dahbia Abrous, publié
en 1989 sous le titre " L'honneur face au travail des femmes en
Algérie "45. Les témoignages recueillis 10 ans,
puis 20 ans après ceux de F.M'rabet expriment la même conception
qu'a l'homme de la femme.
42 - F. M'rabet, op. cit., P. P. 17 -18.
43 - Idem P. 19 à 21.
44 - Alger, Office des publications universitaires, 1980, 496
p.
45 - Paris, l'Harmattan, 1989, 312 p..
Ce rejet de l'autre et la certitude de sa propre supériorité,
conduit l'homme à ne voir dans la femme qu'une fonction, une
" chose " chargée de reproduire l'espèce
humaine et de le satisfaire.
§ B - La chosification de la femme :
La " chosification " de la femme va commencer par le discours théologique :
A travers sa sexualité, la femme va devenir un objet sexuel masquant sa dimension de croyante.
L'imam El-Ghazali va ainsi écrire que la femme " (...)
doit être propre et prête à satisfaire les besoins sexuels
de son mari, à tout moment "46 alors que la
" jouissance qui est la raison d'être du mariage est
réservée exclusivement à l'homme "47.
La capacité d'enfanter de la femme ne sera également que le réceptacle de la volonté divine, et c'est l'homme qui " enfantera " la femme, puisque c'est elle qui est issue de lui (d'Adam).
La femme sera même une récompense offerte au croyant :
" L'amour des biens convoités et enjolivés aux hommes
tels sont les femmes, les enfants,
les lourds amoncellements d'or, d'argent,
les chevaux racés, le bétail, les terres cultivées "
48.
La femme ne sera pour l'homme qu'un corps destinée à le satisfaire
et à reproduire l'espèce : " La femme a pour fonction
la reproduction de musulman. Si elle renonce à ce rôle, elle
subvertit l'ordre de Dieu et tarit la source de l'islam " affirmait
ainsi Ali Belhadj en 198949.
Au niveau social, en Algérie, on pourrait dire que la femme est un être qui ne s'appartient pas avec un corps qui ne lui appartient pas.
En effet, la femme algérienne évolue dans un monde où
les décisions la concernant ne sont pas prises par elles, mais par
ses parents, son époux ou l'un quelconque des hommes de la famille
lorsqu'elle n'a ni père, ni frère, ni
époux50.
46 - G. Ascha, op. cit., P. 41.
47 - Idem P. 52.
48 - Sourate XVI " Les abeilles " Verset 72, cité
par Fatam Aït-Sabbag, op. cit., P. 140.
49 - N. Saadi, op. cit., P. 17.
50 - Les témoignages recueillis par F. M'rabet illustrent cela. De plus, le code la famille, en instituant la tutelle matrimoniale, ne fait
que confirmer, au niveau juridique, ce qui se pratique au niveau
social.
La femme, élevée dans le principe d'une obéissance totale au père, à la famille et à la société, se trouve bien souvent dans l'incapacité de faire valoir ses propres choix.
Une jeune fille témoigne de cette situation : " Je connais
une fille (...) qui avait envie de continuer ses études, mais ses
parents s'y sont opposée ; ils l'ont retiré de l'école.
Que faire d'autre ? La fille a obéi, sans trop
comprendre "51, deux autres jeunes filles de 17 et 18 ans relatent
les propos tenus par leur père : " Cela vous suffit (B.E.P.C),
car après tout, vous n'êtes que des femmes, vous n'avez pas
besoin d'études, ni de travail. Seul l'homme est fait pour cela. Quand
à la jeune fille, son but est de rester à la maison et de se
marier avec celui qui frappera à la porte, qui plaira à nous,
et non à vous (...) "52.
Pour l'algérien, la femme est difficilement autre chose que ce que la société lui " apprend " ce qu'elle est : Une mère, une épouse, une fille, une soeur soumise qu'il ne perçoit que comme " une chose ".
La dot, réclamée lors du mariage, confirme cette vision qu'il a. Pour lui, elle n'exprime qu'un achat :
C'est ainsi qu'un jeune lycéen d'Alger énonce :
" La somme versée au père de la fille représente pour moi deux choses :
1°) - La fille est une sorte de marchandise ;
2°) - La fille ressemble aussi à une vache qu'on achète au marché ;
cela signifie pour moi qu'elle n'a pas les mêmes droits que
l'homme "53.
Un autre jeune homme de Tlemcen :
" La dot fait de la femme une marchandise, une monnaie
d'échange "54.
Quelque soit la signification historique et juridique de la dot, celle-ci
est perçue comme le moyen d'acheter une femme et parce que c'est un
" achat ", l'homme ne verra dans son épouse
qu'une fonction, et rarement une personne, un individu.
La femme absente des décisions la concernant directement (dans la
majorité des cas) n'est pas plus libre de son corps. Celui-ci,
destiné à la reproduction, appartient à la famille qui,
par le biais du père, des frères, des oncles, de la mère
et des tantes, veillera sur lui ; sur la virginité de la jeune fille.
En effet, la virginité de la jeune fille est, dit-on, " son bien le plus précieux " qu'elle doit conserver intacte jusqu'au mariage.
Il reflète également l'honneur de la famille, parce que ce sont les pères et surtout les frères ainés qui sont chargés de veiller à la bonne conduite morale de la fille.
Si celle-ci perd sa virginité, c'est toute la famille qui est atteinte
car l'acte " immoral " retombera sur l'ensemble de
la comunauté familiale incapable de l'avoir
" tenu " 55.
51 - In " La femme algérienne.... " op. cit.,
P. 53.
52 - Idem P. 145.
53 - Ibid P. 38.
54 - Ibid P. 38.
55 - En Algérie, on entend souvent cette phrase : " Ma'ya refch yched bentou ", qui, littéralement, signifie " il ne sait pas tenir sa
fille ", reproche que l'on fait au père devant la conduite d'une fille jugée non conforme aux règles de bonnes conduite qu'on
attend d'elle.
C'est pourquoi une femme seule, sans homme pour la contrôler, la surveiller, sera toujours soupçonnée d'être de " moeurs légères " :
" Ici, témoigne Nora, sociologue et mère
célibataire ; une femme seule est obligatoirement une pute. Je
ne peux rien faire seule, même pas aller au cinéma (...) le
qu'on dira-t-on est redoutable (...)56.
La virginité est si importante pour la réputation de la jeune fille, de sa famille, et de son " avenir ", que lorsqu'elle la perd, c'est pour elle, une véritable " catastrophe ".
Une jeune fille, dans le film " Larrmes de sang ", d'Anne-Marie Autissier et Ali Akifa, témoigne de l'importance de la virginité et des " manoeuvres " employées pour la retrouver :
" Les certificats de virginité, c'est quelque chose, mais il
n'y a pas que ça : l'hymen, c'est quelque chose de tellement important
pour toute la société, c'est un tel investissement que quand
les filles le perdent, elles font des choses épouvantables pour le
récupérer. Tout le monde connait à Alger ou à
Oran, des sages-femmes et des médecins qui font la chirurgie des hymens
(...), une fille qui l'a perdu se refait une virginité pour pouvoir
se vendre. Ce sont les filles riches qui font ça, celles qui ont les
moyens, car les autres, les pauvres, elles feraient un infanticide. Il y
a aussi les filles qui sont vièrges et qui sont enceintes. Ca, c'est
fréquent en Algérie et parmis les filles émigrées.
Là aussi, il y a les césariennes qu'on fait à quatre
mois de grossesse. Pour ne pas déflorer la fille, on ne la fait pas
accoucher, on ne la fait avorter, parce que ça déflore, mais
on lui fait une césarienne au ras du pubis. Mais là, c'est
très cher, et ça se pratique à l'étranger "57.
Comme l'écrit le docteur Cauchois, ancien praticien dans un hopital
de Kabylie, à Tisareuf, " la guerre de libération
nationale a (certe) libéré la pays, (...) (mais) la femme reste
encore colonisée et son corps lui échappe,
dépersonnalisé, rendu anonyme, sans propriétaire, le
bénéfice de sa production est approprié par le groupe,
et non exclusivement par le mari (...). Ainsi, le respect social n'est pas
pour l'être mais pour la fonction, et la production (...), alors que
l'homme est respecté pour ce qu'il possède et non pour ce qu'il
fait, la femme est respectée pour ce qu'elle fait et fabrique.
56 - Cité par Attilio Gaudio et Renée Pelletier,
op. cit., P. 93.
57 - Idem P. 97.
Comme la valeur produite par son corps lui échappe, son corps lui-même lui échappe (...), la femme est considérée comme un corps fabriquant sa propre volonté, se pliant à sa production (...), pillule du diable et stérilet bouchon, la décision échappe à la femme, car son corps, poche à bébé, ne lui appartient pas.
La femme doit continuer à produire, à faire le ménage,
la cuisine, les travaux des champs, faire des enfants pour qu'on ait des
enfants. Faire et avoir ne sont pas pour la même personne (...). Ces
corps productifs sont rassemblés en un gigantesque corps siamois
socialisé ; les propriétaires en sont dépossédés,
irresponsabilisés. Mais le corps improductif (stérile) est
rejeté sur le propriétaire, culpabilisé et exclu du
groupe. Cela est particulièrement sensible dans le désir des
jeunes filles de se marier (...). A qui appartient le corps de la femme ?
Il appartient aux enfants, au mari, à la belle mère, à
la famillle, à l'Etat (...)58.
Le corps de la femme appartient donc à tout le monde, sauf à
elle-même.
La " chosification " de la femme, conséquence de son infériorisation, ne fait que renforcer une misogynie latente, exprimée ou non.
Mais, paradoxalement, l'homme tout en rejetant la femme, reste si attaché
(et même " rattaché ") à sa
mère, que l'on pourrait dire que le cordon ombilical n'a jamais
été réellement coupé entre eux.
§ B - La paradoxe de la mère :
Très peu d'épouses algériennes ne se sont jamais plaintes, ne serait-ce qu'une fois, du lien qui unit le fils à sa mère.
En effet, celui-ci entretien avec elle des liens très étroits
d'affections, de complicités et de soumission, qui à faire
dire, à A. Bouhdiba dans " La sexualité en
islam " que nous étions en présence d'un
véritable royaume des mères59.
Dans les sociétés arabo-musulmanes, le statut de mère, et de mère d'enfants mâles, est les seul qui soit réellement valorisé.
La femme, avec la maternité, accèdera donc au rang de mère
et entretiendra avec son fils des liens encore plus privilégiés
que ceux qui uniront ce même fils avec son père.
Le premier lien qui unit la mère et le fils se tisse avant même la naissance de l'enfant, lorsque celui-ci, à travers sa vie intra-utérine, sera lié, biologiquement et psychologiquement avec elle60.
Puis, face à l'angoisse de la naissance que ressent le nouveau-né
en raison de son expulsion du corps de sa mère, un fort besoin
d'attachement renforcera les liens mère-enfant, en même temps
que l'enfant ressentira la peur de perdre l'amour de sa mère, dans
la mesure où il a déjà connu un premier
" rejet "61.
58 - Publication de ParisVIII, décembre 1979, cité
par A. Gaudio et R. Pelletier, op. cit., P. 106.
59 - Op. cit., P. 261, voir le développement de ce point,
de la page 259 à la page 279, dont nous aurons ici un apperçu.
60 - Françoise Couchard, " Le fantasme de la
séduction dans la culture musulmane ", op. cit., P. 23.
61 - Idem P. 23.
De son coté, la mère, dans un milieu qui rejette l'affectif
est devant un époux (parfois même la famille) souvent
indiférent, son besoin d'amour se repportera sur ses enfants62,
en particulier sur ses fils, et se transformera, au fil du temp, en
véritable sentiment possessif.
Durant sa jeunesse, l'autoritarisme paternel, sa froide distance, pousseront
le fils vers sa mère, havre de paix et d'amour.
En effet, pour le père, le dialogue ne s'établit ni avec la femme, ni avec l'enfant, mais avec l'adulte mâle, et le fils n'est qu'un adulte en devenir.
Les relations entre le père et le fils sont donc beaucoups plus distante que les relations qui unissent la mère et son fils.
Pour lui, le père n'est d'ailleurs que l'expression de la puissance, de la domination qui l'écrase tout autant que sa mère62 bis.
Et le fils, qui sera chargé par le père de
" chaperonner "sa mère, pour ne pas dire de
la surveiller, deviendra son complice : que ce soit pour sortir, ou pour
s'informer, la mère fera appel à lui et celui-ci répondra
à sa demande.
Cette situation, que l'on peut qualifier de jeux de pouvoir, permet à
la mère " d'utiliser " son fils comme instrument
contre le père, la famille et la société, et le fils
" d'utiliser " sa mère contre le pouvoir de
son père.
Ce double jeux de pouvoir pousse, selon Arno Gruen, le fils à s'attacher encore plus à sa mère, à la servir et à l'asservir : " Le désir de la mère d'utiliser son enfant
écrit-il, pousse celui-ci à s'accrocher à elle, à
l'apaiser, à la servir ou l'asservir "63.
La mère et le fils se trouvent dans une situation de dépendance
l'un vis-à-vis de l'autre : Le pouvoir de la mère ne pouvant
exister sans le fils, et le " pouvoir " du fils sur
son père ne pouvant avoir d'effet sans la complicité silencieuse
de la mère.
Cependant, le fils va être, à un moment donné de son
évolution, récupéré par le père et le
monde des adultes masculins : En général, c'est le moment de
la circoncision qui va marquer ce passage63bis.
Le fils va être, une seconde fois, expulsé de la sphère
maternelle, et son entrée dans le monde des hommes lui imposera de
taire ses angoisses.
Dès ce moment là, le fils, jusque là complice de sa mère, va être reprid et formé par le père et le monde masculin dont il devra adopter le comportement, s'il veut éviter la marginalisation, mais comme sa mère a été pour lui un refuge, un allié, il ne quittera pas vraiment son monde et naviguera sans cesse entre elle et son père :
Tantôt il sera le complice de l'un, tantôt de l'autre, en fonction
de ses propres objectifs, mais il gardera toujours au fond de lui une
préférence pour sa mère.
62 - A. Bouhdiba, op. cit., P. 262.
62bis - Idem P. 267 à 269.
63 - Op. cit., P. 118.
63bis - A. Bouhdiba, op. cit., P. 272
Celle-ci retrouvera le lien privilégié qui l'unissait à
son fils au moment du " mariage " : En effet, c'est
vers elle que se tournera ce dernier lorsqu'il désirera se marier.
C'est elle qui sera chargée de trouver une " bonne
épouse ", ou même qui décidera qu'il est
désormais temp pour son fils de se marier.
Son rôle dans l'émergence de l'autonomie de son fils par apport
à son père - (Le fils, une fois marié sera, en effet,
considéré comme chef d'un foyer) - renforcera son emprise sur
lui et sur la nouvelle celleule familiale : La mère veillera, avec
force et autorité, sur la bru, l'éducation des enfants
et ne tolèrera pas le moindre " écart de
conduite " de la part de la belle-fille , la moindre remise
en cause de sa propre autorité, par peur de la voir disparaitre, alors
qu'elle a eu tant de mal à la récupérer.
Le lien , qui uni le fils à sa mère, s'il s'est relaché
- sans jamais se rompre - à un moment de leur histoire commune, a
donc fini par mettre ce dernier dans une situation de dépendance
l'empêchant d'être pleinement autonome au sein de son couple.
Nombres de jeunes algériennes ont ressenti ce poids de la mère et la sensation de ne pas être ma"tresse de leur foyer.
Nombreuses sont celles qui considèrent que leur époux vivent
dans l'ombre de leur mère et sont incapables de prendre une seule
décision sans en référer au préalable à
leur mère.
Cette situation est d'autant plus mal ressentie et acceptée que les jeunes filles aspirent à une réelle vie de couple, indépendante de la famille communautaire.
Aujourd'hui, nombre d'entre elles conditionnent le mariage à l'obtention
d'une maison ou d'un appartement indépendant de la grande famille,
mais en raison de la crise du logement, beaucoup finissent par acceter de
vivre au sein de la belle famille.
L'absence d'autonomie du fils par apport à sa mère, son
incapacité à se détâcher d'elle, et l'effort qu'il
doit déployer pour aboutir à ce résultat sont décrits
à travers l'un des héros des mille et une nuits : Jawdar.
Le héros Jawdar apparait dans l'histoire " le pécheur, ou le sac enchanté " de la
473 ème nuit du conte des mille et une nuits.
Jawdar est un pêcheur qui, guidé par un magicien maghrébin, part à la recherche d'un trésor enfouit dans les tréfonds de la terre.
Le magicien Abdessamad explique au pêcheur, les étapes à
franchir : Six portes devront être ouvertes , à chaque fois,
un coup mortel atteindra Jawdar qui rena"tra à nouveau, puis
" arrivé à la septième et dernière
porte, ajoute le maghrébin, tu devras frapper. Ta mère sortira
et te dira : " Bienvenue à toi mon fils, viens me saluer "
mais tu lui diras alors : " reste éloignée et ôte
tes vetements ", elle te dira : " Mon fils, je suis ta mère,
j'ai sur toi les droits que donne l'allaitement et l'éducation. Comment
veux-tu que je t'expose ma nudité ". Tu répondra :
" Enlève tous tes vêtements, si non je te tue " (...).
Elle cherchera encore à biaiser, à implorer ; mais point de
pitié. (...) Menace la de mort jusqu'à ce qu'elle ait
ôté tous ses vêtements et apparaisse nue. Alors, tu auras
déchiffré les symboles, annulé les blocages et mis ta
personne en sécurité "64.
64 - Les 1001 nuits, T II, P. 923, cité par A. Bouhdiba,
op. cit., P. 275.
Le magicien prévient Jawdar qu'il ne s'agit pas réellement
de sa mère, mais d'une ombre sans âme. Malgré cela, Jawdar
fut incapable de la dénuder entièrement qu'elle lui
répétait que ce qu'il lui demandait de faire était
H'arâm (péché).
Jawdar rongé par la culpabilité, échoua, mais réitéra sa tentative et la seconde fois, il réussit à dénuder sa mère, qui s'évapora.
Jawdar pu alors s'emparer du trésor qui lui permis de faire face aux
besoins matériels de sa " vraie " mère.
Cette histoire de Jawdar nous montre combien il est difficile pour un homme
de voir dans la mère une femme à part entière, et combien
il est difficile pour lui de s'en détacher, puisque pour arriver à
cela, il doit justement détruire, tuer en lui, son image .
L'autonomie, par apport à la mère, ne peut se gagner que si
le fils rompt le cordon ombilical qui le lie à elle, mais pour
réussir, il doit la tuer symboliquement et parvenir à voir
en elle une femme, de manière à voir dans sa propre épouse,
l'image de la femme et non celle de la mère.
En effet, selon C.G. Jung " le premier réceptacle de l'image
de l'âme pour l'homme est pratiquement toujours la mère ; plus
tard, les réceptacles qui apporteront à l'homme un reflet vivant
de l' anima seront les femmes qui font vibrer les sentiments de l'homme,
que ce soit d'ailleurs, indifféremment dans un sens négatif
ou positif. (...) Il s'ensuit que l'anima en jachère sous forme de
l'image de la mère va être projeter en bloc sur la femme, ce
qui va avoir pour conséquence, que l'homme, dès qu'il contracte
le mariage, devient enfantin, sentimental, dépendant et servile ou
dans le cas contraire, rebelle, tyrannique, susceptible, perpétuellement
préoccupé du prestige de sa prétendue
supériorité virile "65.
Le mariage constitue donc pour l'homme une recherche de substitut à
la mère, recherche inévitablement vouée à
l'échec puisqu'en définitive, nulle femme ne peut être
aussi parfaite qu'elle : Sa soupe ne sera jamais " aussi bonne
que celle de maman ", ses gâteaux ne seront jamais
" aussi savoureux que ce que prépare maman ",
et son épouse ne sera jamais " une aussi bonne
mère " comme l'a été sa maman.
Pour pouvoir être " libre ", l'homme doit se
défaire de l'image de sa mère, afin " d'annuler
les blocages " être " en
sécurité ", et voir dans son épouse, une
partenaire avec qui il construit sa vie, et non comme une mère de
remplacement ; mais si Oedipe a involontairement tué son père,
Jawdar, lui, doit faire un effort sur lui-même pour franchir les
barrières de sa culpabilité qui l'empêche de
" tuer " volontairement sa mère, pour en
être enfin " délivré ".
65 - C.G. Jung, " Dialectique du moi et de
l'inconscient ", P. 190 - 192 -193, cité par A. Bouhdiba, op.
cit., P. 272.
Et comme pour la fille qui doit tuer son ennemi - qui lui a appris à
obéir sans protester - pour se libérer de son père,
et des règles sociales, le fils doit tuer sa mère pour se
libérer de son image .
Cet acte de volonté, pour l'un, comme pour l'autre, nécessite
le meurtre de sa culpabilité et d'une partie de soi.
Tout comme pour les jeunes filles, très peu de fils seront capables
de franchir ce cap, et resteront soumis à leur mère, au grand
désespoir des épouses qui n'auront alors d'autres choix que
de se soumettre à la belle-mère pour éviter la colère
ou les reproches du fils, ou de tenter d'en faire une alliée de poids,
car " entrer en guerre " avec la belle-mère
est une opération dangereuse dont c'est généralement
cette dernière qui en sort victorieuse.
La domination masculine et son corollaire l'infériorisation de la
femme a fini par façonner la pensée des uns et des autres.
En effet, le moi féminin, comme le moi masculin, se construit toujours par référence à l'homme. Nous dirions presque qu'il s'agit d'une intégration de la pensée masculine dans celle de la femme qui continue à agir ou à réagir par apport à l'homme.
C'est cette " intégration " du masculin chez
le féminin que nous étudierons dans ce deuxième chapitre
à travers la construction de l'identité féminine.
L'identité féminine, ou le moi féminin, a intégré le système de valeurs inculqué par la société, de tel sorte qu'aujourd'hui encore, la femme pense et agit par apport à ses valeurs.
Le schéma de pensée traditionnelle perdure donc - Section 1 - et a beaucoup de mal à être abondonné.
En effet, la femme tente, peu à peu, de trouver une identité
féminine " indépendante ", autonome
par apport au modèle traditionnel - Section 2 -, ce qui provoque,
dans le même temps, une réaction inconsciente d'autodéfense
de la part des femmes elles-mêmes, par peur de voir leur
" statut " remis en cause par celles qui, aujourd'hui, protestent
- Section 3 -.
Section 1 - Le moi féminin traditionnel, ou la pensée du masculin
chez le féminin :
Le statut de la femme, en Algérie, est aujourd'hui fortement contesté par un certain nombre de personnes - hommes et femmes - qui restent cependant largement minoritaires66.
En effet, et bien que souffrant de leur statut, comme le démontre
de nombreux témoignages de femmes67, celles-ci restent
attachées aux coutumes qui participent à la maintenir dans
son rôle traditionnel - Paragraphe A - qui sera par la suite,
inculqué aux enfants à travers l'éducation dont la femme
est le principal vecteur - Paragraphe B -.
§ A - Le rôle traditionnel de la femme :
Dans le système patriarcal, les fonctions de l'homme et de la femme
sont déjà déterminées par avance.
Le pakistanais Abdul A'la Al Mawdudi (mort en 1979) écrivait ainsi, que la femme " selon la nature et la vérité (était) la ma"tresse de maison, l'épouse, la mère ".
" Pour l'islam, écrivit-il encore, masculinité et féminité sont deux parties indispensables à l'humanité, dont l'importance est égale pour la vie en société (...) chacune remplit ses fonctions dans sa propre sphère ... Et comme la puissance de l'homme et sa réussite est de demeurer homme et d'accomplir les devoirs masculins ; de même la puissance de la femme et sa réussite est de demeurer femme et d'accomplir ses devoirs féminins (...) "69.
Le rôle traditionnel de l'homme, et celui de la femme est donc, pour
l'un, l'entretien du foyer, et pour l'autre, la reproduction de l'espèce
par la maternité, qui ne peut avoir lieu qu'au sein du mariage.
66 - Les débats et les oppositions au code de la famille,
témoignent, comme nous l'avons vu, de cette situation.
67 - Notamment ceux recueillis par F. M'rabet, D. Abrous et H. Vandevelde Daillière. Ainsi, déclarait une vieille femme de
90 ans : " Je n'ai rien goutté ; je suis venue comme ça dans les ténèbres et je vais partir dans les ténèbres. Je regrette de
ne pas être jeune afin de pouvoir aller à l'école et ensuite vivre comme j'aurais aimé. J'aurais choisi mon mari et fait ma vie
selon moi ".
69 - Cité par G. Ascha, op. cit., P...
En raison même des structures sociales et de la législation
algérienne, le célibat des femmes, ou l'absence de maternité,
surtout d'enfants mâles, est une situation très mal
vécue.
En effet, le système patriarcal, ainsi que la structure de la famille,
qui restent communautaire, forment un obstacle au célibat de la femme
tenue de rester sous " l'autorité " de son
père, au sein de sa famille, tant qu'elle n'est pas mariée,
et ce, même si elle est totalement capable de subvenir à ses
propres besoins70.
Une femme vivant seule, et célibataire, aura très souvent mauvaise
réputation. Dès lors, son souhait de fonder un foyer sera difficile
à réaliser, dans la mesure où le mariage reste une affaire
de famille, concernant souvent la mère ; laquelle choisira la future
épouse en fonction de la réputation de la jeune femme et de
sa famille.
Souad Khodja, dans " Les algériennes du
quotidien ", écrit ainsi que " ... la femme
qui veut fonder un foyer doit se départir d'une partie de sa personne
; celle qui lutte pour le maintien de son intégrité psychique
verra très limitée ses chances de créer un
foyer "71.
Au niveau théologique, le célibat est également
condamné lorsqu'il est volontaire, parce; d'une part, il remet en
cause la volonté divine et des hadiths du prophète conseillant
aux membres de la communauté musulmane de se marier, et de marier
les célibataires, et , d'autre part, parce qu'il risque de mener à
accomplir ce qui est illicite en matière de sexualité et
illégitime en matière de procréation.
La polygynie ainsi que la répudiation sont également deux éléments qui menacent la femme qui ne peut engendrer (ou qui n'engendre que des filles).
C'est pourquoi celle-ci va refuser de contrôler sa maternité
afin d'avoir le plus grand nombre d'enfants possible, de préférence
des garçons, perçus comme la seule façon d'éloigner
lesdits risques72.
Un magistrat, au tribunal d'Alger, décrivait ainsi cette situation
: " De nombreux chefs de famille abandonnent au froid, à
la faim, à la maladie leurs enfants et leur femme, pour vivre souvent
ailleurs avec une nouvelle épouse, qui est souvent, elle aussi, une
victime en puissance "72bis.
70 - Une femme qui vivrait seule, sans " soutien " masculin, serait immédiatement soupçonnée d'être de moeurs légère
comme l'illustre le témoignage de Nora recueilli par A. Gaudio et R. Pelletier, op. cit.
A Ouargla, en juin 1990, la maison d'une veuve fut incendiée causant la mort de son enfant. Une affaire similaire se
produisit en septembre 1990 : des millier de personnes se réunirent pour exiger l'expulsion d'une veuve accusée d'avoir un
mauvais comportement. Faits cités par N. Saadi, op.
cit., P. P. 79 - 80, note 54.
71 - Op. cit., P. 111.
72 - J. Minces, op. cit. P. 27. " On continue de considérer, écrit J. Minces, qu'un nombre important de fils est un élément de
prestige et constitue une assurance pour l'avenir ".
72bis -Tribunal d'Alger, séance du 21 septembre 1966,
cité par F. M'rabet, op. cit., P. 186.
L'écrivain Rachid Boudjedra, dans "La répudiation ", décrit, lui aussi, cette situation dont a été victime sa mère :
" Solitude ma mère ! A l'ombre du coeur refroidit par
l'Annonciation radicale, elle continuait à s'occuper de nous(...),
les sillons que creusaient les larmes devenaient plus profonds. Abasourdis,
nous assistons à une atteinte définitive. En fait, nous ne
comprenions rien. Ma mère ne savait ni lire, ni écrire, elle
avait l'impression de quelque chose qui faisait éclater le cadre de
son propre malheur pour éclabousser toutes les autres femmes,
répudiées en acte ou en puissance, éternelles
renvoyées faisant la navette entre un époux capricieux et un
père hostile qui voyait sa quiétude ébranlée
et ne savait que faire d'un objet encombrant "73.
La femme, en tant qu'épouse, doit aussi être conforme à l'image traditionnelle que la société attend d'elle.
Selon le docteur Adel El-Awwa, ex. doyen de la faculté des lettres
à l'université de Damas, l'épouse doit obéissance
à son époux, elle ne doit pas non plus quitter le domicile
sans son accord, ni se refuser à lui. Elle doit, de plus, se joindre
à lui dans ses prières, recevoir ses parents et ne pas
l'empêcher de puiser dans sa fortune personnelle ; alors que pour W.S.
Ghanji, la femme doit être au service de son époux, elle doit
tout faire pour lui plaire, tant au niveau physique que culinaire.
Cette image de l'épouse est reprise par les théologiens algériens et par les femmes elles-mêmes comme le modèle idéal de la parfaite épouse.
Ainsi, Zhor Ounissi, dans un quotidien algérien, recommande-t-elle
au jeunes filles d'être discrètes dans tous les domaines car,
dit-elle " (...) les hommes préfèrent se marier
avec une fille qui vous parait insignifiante, mais qui ne fait pas trop de
bruit autour d'elle (...), ils choisissent (de préférence)
la fille effacée et pas très instruite (...)74.
Zhor Ounissi dépeint ensuite les qualités et les vertus de
la femme arabe : " (...) nous ne trouvons pas en dehors de la
femme arabe, une femme qui vive exclusivement pour l'homme. Elle accepte
d'être malheureuse pour qu'il soit heureux, elle se fatigue pour lui
permettre le repos, elle perd sa santé pour qu'il sauvegarde la sienne
: S'il tombe malade, elle sacrifie nourriture et sommeil afin de le soigner
; s'il éprouve des embarras financiers, elle vend ses bijoux et ses
effets pour lui venir en aide ; s'il se laisse aller à des fautes,
ou à des actes égoïstes, elle fait preuve, à son
égard, de mansuétude, de bonté et ferme les yeux (...),
s'il manifeste un penchant pour une autre qu'elle, elle lui demeure fidèle
et n'abandonne pas ses enfants pour partir avec un amant comme le ferait
une occidentale "75.
73 - Cité par A. Bouhdiba, op. cit., P. 270.
74 - Cité par F. M'rabet, op. cit., P. 16.
75 - In " El Djeich ", septembre 1965, cité
par M. Gadant, op. cit., P. 84.
L'abnégation de soi et la soumission sont ainsi conçues comme
les qualités que doit avoir la femme arabe et algérienne.
Ce rôle de la femme, conçu comme celui d'épouse et de
mère va être inculqué à la jeune fille à
travers son éducation. Une éducation qui va également
poser les premières bases de la différence sexuelle, et de
la différence de statut entre le garçon et la fille.
§ B - La reproduction du modèle traditionnel à travers
l'éducation :
La mère est, au sein de la famille, un élément déterminant dans la construction de l'identité future des ses enfants, garçon comme fille.
Par son éducation, elle va façonner l'un et l'autre à
l'image de ce que la société attend de ses
membres75bis.
La société, la famille, le père et par prolongement la mère, attend, dès la grossesse de la femme, la naissance d'un fils qui viendra prouver la virilité de l'homme et le " bon choix " de l'épouse.
La naissance d'un garçon, fierté de toute la famille, sera
marquée par une grande fête qui pourra durer plusieurs jours
: souvent, un mouton sera égorgé et les membres de la famille,
ainsi que les amis, viendront féliciter le père et la
mère.
Tout un cérémonial destiné à célébrer sa naissance et à le protéger des forces occultes sera organisé les jours suivants.
Le docteur Mohamed Sijelmassi, dans " Enfants du Maghreb, entre hier et aujourd'hui ", témoigne de cela:
" puis écrit-il, vint le septième jour, le baptême.
Aux aurores, respectant en cela la sunna, en présence de tous les
mâles de la famille, un mouton, dont une touffe de poils était
colorée par le henné et les cornes ornées de bracelets,
fut inondé et une poignée de sel jetée pour neutraliser
les jnouns (démons). Le parent le plus vénéré
de ma famille a récité la Fatiha (1er verset du Coran), au
moment où le boucher faisait gicler le sang et dans un flot de
prières, mon nom fut prononcé pour la première
fois... "76.
La naissance d'un fils est donc accueillie avec joie et fierté, à la différence de la naissance d'une fille qui sera, elle, accueillie de façon beaucoup plus modeste, parfois même, elle sera considérée comme une " calamité " .
La mère, quant à elle, sera félicité, non pour
la naissance de la fille, mais pour le futur gendre qu'elle ramènera
par le mariage : " M'brouk lil n'sib " c'est-à-dire
" félicitations pour le gendre ", entend-on
souvent.
75bis - Margaret Mead, dans " Moeurs et Sexualité
en Océanie ", écrit que " toutes discussions sur
la conditions de la femme, sur le tempérament des femmes, sur la
soumission et l'émancipation des femmes, font perdre de vue ce fait
fondamentale que la distinction des deux sexes est conçue selon une
trame culturelle servant de base aux rapports humains, et que le petit
garçon qui grandit et modelé tout aussi inexorablement que
la petite fille selon un moule particulier et bien défini ".
Cité par Ghita El-Khayat-Bennai, in " Le monde arabe au
féminin ", .Paris,L'Harmattan,1985,325p.,P.68.
76 - Mohammed Sijelmassi, " Enfant du Maghreb, entre hier
et aujourd'hui ", Maroc,SODEM,1984,138p.,P.59.
Le fils débutera sa vie dans le milieu exclusivement féminin.
Sa mère sera pour lui l'unique référent et durant la
période de la petite enfance (qui va de la naissance à l'âge
de 2 ou 3 ans), il s'identifiera à elle77. Puis jusqu'à
l'âge de 5 ans environ, il va commencé à acquérir
une certaine autonomie par apport à l'autre, c'est-à-dire à
prendre conscience de sa propre individualité, mais, en raison de
son incapacité à avoir un jugement développé,
le rôle des parents sera important: C'est eux, qui, en posant les
interdits, vont fixer les frontières du bien et du mal, de ce qui
est permis et de ce qui ne l'est pas.
Or, l'enfant, parce qu'il est le garçon, sera traité avec beaucoup
de largesse par sa mère, surtout si celle-ci a déjà
d'autres enfants et des filles.
Le fils, sera autorisé à avoir un certain comportement qui
sera interdit à la soeur : La colère, les sautes d'humeurs,
la possessivité lui seront autorisées.
Le comportement individualiste et égoïste qui se développe à la naissance, à travers la possession des " tétés ", et qui se maintient ensuite à travers les jeux, sera toléré par la mère comme le signe de sa masculinité.
Et lorsque la mère tente de fixer les limites à la
" Tyrannie " du jeune garçon, elle se heurte,
bien souvent, à la famille qui, par le biais de la belle-mère,
reste présente dans l'éducation de l'enfant, ou même
au père qui ne conçoit aucune autre autorité que la
sienne sur son fils.
Celui-ci, grâce à sa mère, fera l'apprentissage de l'obéissance et du respect dus au père, aux personnes âgées, ainsi qu'aux règles sociales.
Par contre, l'apprentissage du respect de l'autre sexe semble totalement
absent et cette lacune, bien loin d'être comblée par l'entourage,
ne fera que s'accentuer par le modèle offert au regard de l'enfant.
Celui-ci sera, par la suite, " repris " par le père et le milieu masculin .
La circoncision marque ce passage du milieu féminin au milieu masculin et la rupture des liens entre le fils et la mère que le père tentera de reconstituer à son profit. Dès ce moment, le père se chargera d'inculquer à l'enfant les valeurs de la société et de le modeler à sa propre image.
Mohamed Dib, dans l'une de ses oeuvres, dépeint cette situation :
" Ma mère, écrit-il, n'était jamais triste
(...), elle n'était pas gaie non plus. Elle ne craignait rien autant
(...) que de para"tre gaie, et passait son temps à se contenir, à
prévenir par un léger sourire le trouble que son humeur pouvait
répandre dans son entourage. Sans se contraindre, elle ne
réussissait qu'à mieux échapper à ses proches,
à ses enfants. Mon père veillait sciemment, lui, à ce
qu'aucune intimité ne se créa entre nous. Et sa seule vue nous
ôtait l'envie. C'était peut-être un homme bon...mais enfant,
je n'avais ni la force, ni l'intrépidité qu'il fallait pour
fendre la dure écorce sous laquelle son affection pour nous se cachait
; nulle marque d'encouragement ne m'aidait dans la recherche de ce coeur,
que j'aurais aimé trouver moins haut. Rejetant chaque élan
(...) vers lui, il me visait moi (...)dont il voulait faire sa réplique
corps et esprit (...) "78.
77 - M. Sijelmassi, op. cit., P.51
78 - Cité par M. Sijelmassi, op. cit., P. 59.
Le fils, éduqué par la mère dans le sens du respect du père, de la famille et de la société, reprit par le père pour faire de lui " un homme ", finira par s'identifier à lui après s'être identifié à la mère. En effet, l'enfant, dans la recherche de son identité, va développer un idéal du moi qui sera un idéal du père à travers un processus d'identification lent ou rapide : Par le processus lent, l'enfant va suivre les traces de son père pour " devenir comme lui ", et le par processus rapide, il va se conduire comme le père pour être le père79.
Cela le conduira à agir, à parler comme le fait le père
et à apprendre, ainsi, à devenir l'homme tel que définit
par le groupe.
La mère, le père, la famille, fières d'avoir un fils,
vont donc l'éduquer d'une façon plus souple que la fille. Celle-ci,
en effet, conna"tra une éducation plus rigoureuse destinée
à la préparer à devenir épouse et mère.
Comme nous l'avons déjà dit, la naissance d'une fille est souvent mal accueillie par la famille, surtout si elle est la première enfant du couple.
Durant sa jeunesse, elle va apprendre à intégrer les règles
sociales concernant la femme et la féminité, et à ne
se concevoir que comme future épouse et mère. Très
tôt, la mère va d'ailleurs commencer à préparer
le trousseau de sa faille qui y participera avec ferveur lorsqu'elle sera
dans la capacité de préparer seule ses draps, ses broderies,
ses robes etc...80.
La littérature et le chant populaire participeront également
à former la jeune fille, tant au niveau religieux que social.
Les connaissances religieuses et les invocations pieuses vont ainsi se transmettre par la poésie chantée - le hawzi - et par la poésie récitée - la bouqala - :
" J'ai humblement imploré mon Dieu
pour qu'il exauce trois voeux,
le pèlerinage aux lieux saints, la prière
et l'accès au paradis
(...)
je salue les marabouts
et les hommes de Dieu
je salut l'élu (...)81.
Le chant traditionnel, chanté lors de fêtes, ou de réunions familialles décrit, lui aussi, l'attente du groupe pour le mariage:
" (...)
Prévenez son cousin paternel
qu'il se hâte et se présente tôt,
qu'il offre 100 sur 100 pièces d'or,
(...)
et la servante qui élèvera les enfants "82.
79 - Louis Corman, op. cit., P. 59.
80 - Ghita El Khayat-Bennai, écrit qu ' " à travers tous le processus inconscient d'identification, c'est tout ce qu'est
profondément la mère que la petite fille
intériorise ", op. cit., P. 68.
81 - R. Titah, op. cit., P. 52.
82 - Idem P. 55.
Les contes féminins racontent souvent, eux aussi, les aventures de
jeunes filles, belles, séduisantes et pures qui finissent par
épouser le prince charmant et donner naissance à un beau
garçon.
Dans l'éducation de la jeune fille, l'accent et surtout mis sur la
préservation de la virginité, la nécessité
d'être soumise, obéissante et silencieuse pour avoir un
mari82bis.
Khalida Massaoudi, dans " Une algérienne débout ", décrit ainsi l'éducation de la jeune fille :
" (...) il y avait des rites auxquels je me prêtais
sans savoir vraiment de quoi il retournait. Je me souviens de celui qu'on
pratiquait quand les femmes confectionnaient un burnous (...). C'était
un garçon qui faisait passer le fil pour tisser la trame, et chaque
fois que le fil se tendait, je devais l'enjamber et prononcer en même
temps une formule : " toi, tu es un fil, et moi, je suis un mur "
(...). En fait, jusqu'à la puberté, on insinue ; mais ce n'est
que lors des premières règles qu'on te met en garde contre
la grossesse illicite et la séduction (...) et on te fait la liste
de toutes les interdictions qui vont désormais peser sur toi. J'ai
trouvé ça injuste, et je l'ai dit : " Comment, vous m'avez
annoncé que je deviens une femme, donc grande et responsable, et je
n'ai plus le droit de quoi que ce soit ? " Un conseil des femmes de
la famille s'est réuni : Elles m'ont expliqué que Satan peut
jouer de mauvais tours... "83.
La jeune fille, comme le fils, va être éduquée dans le
principe du respect et de l'obéissance totale au père, mais
contrairement à son frère qui finira par quitter le monde
féminin, elle, elle demeurera dans ce monde où, quotidiennement,
elle secondera la mère, tant pour les travaux ménagers que
pour l'éducation des jeunes enfants.
En raison du faible développement des loisirs et du principe de
claustration des filles, ces dernières auront peu d'occasions de sortir
à l'extérieur, mis à part l'école, qui est souvent,
pour elles, le premier lieu où se côtoient garçons et
filles.
La maison et les réunions familiales sont donc principalement le lieu
où se forment le comportement et la pensée de la jeune fille.
D'où également, cette difficulté qu'à la femme
de trouver en elle un moi
" indépendant ", autonome par apport à
la société, à la famille et à l'homme.
82bis - Juliette Minces écrit ainsi que " Celle-ci (la tradition) exige que la fillette soit soumise, discrète, active, modeste, ne
hausse jamais le ton, n'ai aucune curiosité vis-à-vis de l'extérieur (...) elle lui enseigne que l'objectif de sa vie doit être le
mariage puis la procréation (...) ", op. cit.,
P. 50.
83 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit., P. 49.
Section 2 - Le moi féminin indépendant ou la recherche d'une
autonomie :
La conjoncture de plusieurs facteurs a favorisé une certaine prise de conscience, par la femme, de sa propre valeur en tant que personne, bien que cette prise de conscience reste encore relative, en raison du maintien des structures sociales traditionnelles.
La femme, autrefois destinée à n'être qu'une épouse
et une mère, commence aujourd'hui à pénétrer
l'espace qui lui était jusque là interdit, l'espace masculin,
à revendiquer un droit qui n'appartenait qu'à l'homme, la parole-
Paragraphe A - ce qui en même temps, constitue des premières
brèches dans un système patriarcal traditionnel que l'homme
tente de préserver - Paragraphe B -
§ A - L'émergence de la femme dans l'espace masculin :
La société traditionnelle repose sur le principe de claustration des femmes dont le lieu " naturel " est la maison, espace fermé et sacré parce qu'il est aussi le lieu de la " horma ", c'est-à-dire de la notion d'honneur au féminin, le miroir de l'honneur masculin, le " nif ".
Un proverbe ancien affirme ainsi que la femme ne peut sortir de chez elle
que deux fois dans sa vie : Lorsqu'elle quitte la maison de son père
pour se rendre chez son époux, et lorsqu'elle quitte la maison de
son époux pour aller dans sa tombe.
En milieu rural, la claustration physique, comme telle, n'existe pas. La femme circule librement au sein du village, bien que certains espaces lui soient réservés, en raison du fait que chaque membre de ce village ne se considèrent pas comme des étrangers, les uns vis-à-vis des autres.
Khalida Messaoudi décrit cela :
" Dans nos villages de montagne, ces femmes travaillent (...)
si elles ont des bijoux à la cheville, ce n'est pas pour faire jolie,
mais pour protéger du regard des hommes cette partie nue de leur corps.
Si elles ne portent pas le voile, c'est que dans le village - comme partout
dans l'Algérie rurale - la notion d'extériorité n'existe
pas. On est entre soi, on est dans le dedans. Ce dedans lui même est
séparé en deux, il y a un partage tacite, une division sexuelle
de l'espace : Certains chemins sont réservés aux femmes, et
aucun homme n'a le droit d'y circuler lorsqu'elles y passent (...). Et quand
un étranger arrive, il est immédiatement pris en charge par
les hommes "84.
84 - K. Messaoudi, E. Schemla, op. cit. P. P. 46 - 47.
Au niveau théologique, la sortie de la femme hors de son foyer ne
peut être qu'exceptionnelle.
L'imam Al-Ghazali, théologien surnommé l'argumenteur de l'islam
énonce ainsi qu' " il faut que la femme reste au foyer
et s'occupe de son filage (...) qu'elle communique peu avec ses voisins et
ne les visites que par obligation (...) (et si son époux l'autorise
à sortir) elle doit s'habiller de vieux vêtements et prendre
les sentiers et les endroits les plus déserts, éviter les souks,
prendre garde à ce qu'un étranger entende sa voix ni qu'il
la reconnaisse, ne pas s'adresser à un ami de son époux même
par besoin (...) son seul souci doit être sa vertu, son foyer ainsi
que la prière et le jeûne... "85.
Traditionnellement, en Algérie, les sorties des femmes sont relativement rares : Les fêtes religieuses, les mariages, la visite des morts et le bain (le hammam) sont souvent les seules occasions de sortie.
Puis, avec l'instauration du système scolaire obligatoire pour les
garçons comme pour les filles, celles-ci ont commencé, peu
à peu, à pénétrer la sphère masculine,
ne serait-ce qu'en traversant " la rue " pour aller
de chez elle à l'école où elles sont entrées
en contacte avec d'autres garçons que ceux de la famille - les
frères ou les cousins-.
Pour certains auteurs, la scolarisation des filles est inutiles, voire même dangereuse:
Al-Tirmzi (Alim (savant) et auteur d'un ouvrage en matière de hadiths) écrivait ainsi, que :
" ... Si celles-ci (les femmes) ma"trisent l'écriture,
elles en feront un usage nocif. C'est alors que les corrupteurs porteront
atteinte aux femmes plus rapidement et plus gravement que quand elles
étaient analphabètes ..., grâce à l'écriture,
la femme est devenue plus rusée et plus rapide dans la réalisation
de ses visées perfides ... "86.
En Algérie, la scolarisation des jeunes filles importante dans le
primaire, devient plus difficile pour elles lorsqu'elles atteignent l'âge
de la puberté87, surtout en milieu rural où les parents
considèrent que cette " sortie " risque, d'une
part, de porter préjudice à leur honneur et d'autre part, est
inutile pour elles dans la mesure où elles sont destinées à
se marier.
En milieu urbain, par contre, et en dépit des mêmes
préjugés, les jeunes filles continuent aujourd'hui leur
scolarité plus longtemps, sans que cela atteignent le même niveau
que celui des garçons.
85 - G. Ascha, op. cit., P......
86 - Idem P. 148.
87 - Les récits recueillis par F. M'rabet illustrent
cette pratique et sont confirmés par les statistiques.....
En effet, si en zone urbaine, le taux de scolarisation des filles est plus
important qu'en zone rurale, celui-ci décro"t avec l'avancement dans
le cycle scolaire, dans la mesure où bien souvent, celle qui en situation
d'échec, restera à la maison et ne sera pas reprise par le
système de formation.
Quand au travail de la femme, celui-ci marque encore plus son entrée dans la sphère masculine, puisque, grâce à lui, elle va bénéficier d'un salaire et pouvoir entretenir sa famille, chose jusque là exclusivement réservée à l'homme.
Cependant, l'importance du travail doit être relativisée, dans
la mesure où il témoigne beaucoup plus de la dissolution des
liens de solidarité familiale que d'une réelle volonté
de s'assumer économiquement.
En effet, dans la majorité des cas, le travail est le résultat de problèmes économiques et les femmes, souvent ouvrières, peu qualifiées et sous payées, ne le considèrent pas comme un moyen d'émancipation.
Bien au contraire, elles regrettent de ne pouvoir rester chez elles, à s'occuper de leur foyer et de leurs enfants88.
Par contre, le travail, pour les jeunes filles ayant atteint un niveau
d'études élevés, leur parait être, soit la suite
logique à leurs études, soit le moyen d'être
économiquement indépendantes, et beaucoup d'entre elles,
désirent travailler par goût du travail.
Celui-ci, de nature beaucoup plus
" intellectuel " est donc moins lourd à assumer
que le travail manuel des ouvrières, femmes de ménages ou autres.
Il est donc perçu comme plus gratifiant : C'est ainsi qu'une jeune
femme de 27 ans, mariée et mère d'un enfant, professeur dans
l'enseignement secondaire témoigne " mon travail me procure
des compensations et me permet d'assurer des responsabilités qui affirment
ma personnalité "89.
A côté de la scolarité et du travail qui, dans une certaine
mesure, basculent les règles traditionnelles de la claustration et
de la non rencontre des deux sexes, on trouve également
" la prise de parole " des femmes, soit dans la
sphère privée, soit dans la sphère publique, bien que
cela soit encore limité.
La femme dans le système classique des relations familiales et sociales, ne " parle " pas.
Elle est celle qui écoute et reste silencieuse, accepte les décisions prises pour elle, puisque, dans la " pensée traditionnelle ", la femme n'a pas la même capacité de raisonnement que l'homme. Elle est perçue comme un enfant dénoué de la possibilité d'avoir un jugement rationnel.
Monique Gardant, rapporte d'ailleurs que, lorsqu'elle était en pleine
discussion avec de jeunes algériens militants politiques, sa parole
n'était écoutée que par courtoisie due à une
étrangère . Mais, dit-elle; " (...) mes propos n'ont
aucune légitimité et sont traités comme des propos enfantins
(...) "90.
88 - Les témoignages réunis par D. Abrous dans " l'honneur face au travail des femmes en Algérie " illustre cela. Ainsi par
exemple, écrit une jeune ouvrière du textile ( 54 ans, 3 enfants) : " Je travaille depuis la mort de mon mari, il y a de cela
21 ans (...) " ou " Je travaille depuis 1966. Auparavant j'avais ma maison, mes enfants, j'étais heureuse (...) ", (femme de
ménage 40 ans, 4 enfants), ou encore " ce qui m'a
poussé à travailler ? Ce sont les misères de ce monde.
Si j'avais pu me suffir à moi-même, je ne serais pas sortie
travailler (...) ", (ouvrière 38 ans , mère de 4 enfants),
op. cit., P.89.
89 - Ibid P. 100. D'autres témoignages illustrent cette différence de conception qu'ont les femmes du travail, selon qu'elles
soient ouvrières ou étudiantes, enseignantes
etc....
90 - M. Gadant, op. cit., P. 79.
Avec l'accès à l'éducation, et surtout par la poursuite
de hautes études, la femme, autrefois silencieuse, ose ou tente de
prendre la parole pour affirmer une point de vue et défendre ses
positions. Le voile devient même, pour un certain nombre de jeunes
filles, le moyen de s'affirmer au sein de la société91.
En effet, le port du voile qui est perçu pour les théologiens
comme la marque de l'appartenance à la communauté islamique,
et donc à l'adhésion totale aux règles religieuses (et
par la même aux principes d'obéissance et de soumission de la
femme)91bis , devient pour celles qui le portent le moyen de montrer
leur foi et de prouver leur vertu religieuse ; ce qui leur permet de
" parler " sans que cela soit perçu comme
une menace de remise en cause de l'ordre traditionnel, puisqu'elles font
la preuve de leur adhésion à cet ordre social, contrairement
à la femme " sans voile " qui, parce qu'elle
parle, sera accusée de vouloir imiter l'occidentale.
Scolarité, travail et " prise de parole "
même relatifs n'en demeurent pas moins des éléments
conçus comme menaçant les structures sociales traditionnelles,
ce qui entra"ne une certaine réaction destinée à neutraliser
cette " menace ".
§ B - La neutralisation défensive :
La scolarité des jeunes filles, perçue comme dangereuse par
les théologiens, parce qu'elle donne accès au dehors et parce
qu'elle permet à la femme de " faire un meilleur usage
de ses ruses "92 est aujourd'hui acceptée par les
oulémas (docteur de la loi), non parce qu'ils la conçoivent
comme une nécessité, mais parce qu'il s'agit pour eux de
l'acceptation du fait accomplit : Ayant donc fini par l'admettre, leur
désir est alors de la limiter à des domaines qui sont de la
" nature " féminine.
Ainsi, Ahmad Mohamed Jamal, professeur de culture islamique en Arabie Saoudite en 1974, écrivait :
" L'islam n'interdit pas la scolarisation de la femme (...), elle
(la femme) ne doit pas apprendre ce qui dépasse les besoins ménagers
(...) "93.
Concernant le travail, la majorité des auteurs musulmans contemporains soulignent que le travail de la femme et de l'homme est un droit, mais comme pour la scolarisation, ils considèrent que seules quelques tâches sont possibles pour la femme en raison de sa nature.
Mohamed Qotb parle de l'alphabétisation des filles, c'est-à-dire
l'enseignement, ou du métier d'infirmière pour soigner les
femmes. Le docteur Zaidan Abdul-Baki, sociologue et expert au centre
d'études féminines et du développement au Caire,
énumère les travaux possibles pour la femme : Ceux incompatibles
avec la foi, ceux qui ne conviennent pas à la nature féminine,
ceux ne lui conviennent pas physiquement, ceux qui vont à l'encontre
des us et coutumes, ceux qui nécessitent de monter à cheval
ou à bicyclette94.
91 - Quelques émissions de télévision, relatives à la femme en Algérie, diffusées sur les cha"nes ARTE ou TEVA, ont montré
des jeunes filles en hidjab affirmant que celui-ci leur a permis de poursuivre leurs études , de sortir dans la rue ou de
militer au sein de partis politiques sans que cela n'engendre
le désaccord du père ou des frères.
91bis - J. Minces, écrit en effet, que " (...) le
voile (...) est la marque de la conception que les hommes se font des femmes
(...) et par voie de conséquence, de ce qu'elles ont
intériorisé ", op. cit., P. 92.
92 - G. Ascha, op. cit., P.148...
93 - Idem P. 149. 94 - Idem P..16
En Algérie, le système de formation professionnelle reprend
cette idée qu'il y aurait ainsi des métiers pour les hommes
et d'autres pour les femmes : dans les centres de formations professionnelles
féminines, les spécialisations se répartissent entre
la couture, la broderie, la coiffure et l'esthétique, le secrétariat
ou la dactylographie95.
Au niveau social, les hommes considèrent toujours le travail des femmes
comme un élément pouvant mettre en péril l'honneur de
la famille - La religion, la morale, les traditions, l'infériorité
de la femme et ses tâches au foyer sont des éléments
avancés pour expliquer le refus de voir la femme travailler96
- Lorsque celle-ci se trouve dans l'obligation matérielle de le faire,
le travail doit alors s'effectuer en milieu féminin et non loin de
l'époux. Il doit concerner l'enseignement, le milieu hospitalier en
tant qu'infirmière, en milieu social et doit être effectué
en respectant la morale islamique.
Si le travail de la femme est " admis ", il est donc fortement soumis à des conditions, parce qu'il entra"ne la circulation de la femme en dehors de son foyer .
Il s'accompagne également d'une surveillance accrue sur celle-ci,
ou sur la nécessité pour elle de mettre le voile afin d'être
protéger du " regard de l'autre ".
Ainsi, par exemple, une femme de 38 ans, mariée et mère de quatre enfants, explique :
" Mon seul trajet, est celui qui me mène au travail ; malgré cela, mon mari est jaloux, il n'a pas confiance en moi. Où que j'ailles, il n'est pas tranquille, jusqu'au jour où nous avons eu le transport : il me prend le matin devant la porte et me dépose le soir devant la porte (...)97;ou alors cet autre exemple donné par une jeune de 25 ans, divorcée sans enfant (femme de ménage) :
" (...) Je sorts d'ici à 2 heures et demie, mon père
compte une heure de bus et si je ne rentre pas à 3 heures et demie,
il renverse sur moi le monde (...) lorsque je veux acheter quelque chose,
je préviens mon père (...) (Il) est très sévère,
les vieux qui viennent de la campagne, tu sais comment qu'ils sont ; avec
eux on ne peut pas bouger "98.
Parfois, l'intériorisation de tous les interdits par la femme, aboutit à l'autocensure. Dans ce cas là, toute forme d'invention devient inutile car l'inhibition se fait d'elle-même :
" lorsque je veux sortir, écrit une jeune ouvrière
de 30 ans, célibataire, je peux sortir, mais je n'arrives pas à
sortir. Ce que je préfère, c'est aller du travail à
la maison et de la maison au travail (...) et puis, tu sais, sortir, ça
ne mène à rien de bien "99.
Le caractère potentiellement subversif du salaire qui découle
de la possibilité d'indépendance économique et de la
" prise de parole " qu'il peut permettre, est
" neutralisé " par la famille, l'époux
ou le père à travers " le
silence ".
95 - Souad Khodja, " A comme Algériennes ",
Alger, ENAL, 1991, 274 p., P. 99.
96 - Voir ici, le travail de recherche effectué par H. Vandevelde Daillière " Femmes Algériennes à travers la conditions féminine
dans le constantinois depuis l'indépendance ",
Alger, Office des Publications Universitaires, 1980, 496 p., P......
97 - Cité par D. Abrous, op. cit., P. 100.
98 - Idem P. 112.
99 - Ibid P.112.
En effet, à partir de l'enquête réalisée par D.
Abrous, dans " L'honneur face au travail des femmes en
Algérie ", nous pouvons dire que dans la quasi-majorité
des cas, la femme qui travail, soit remet son salaire à sa famille
sans que celle-ci le réclame, soit le garde pour elle mais la
stratégie déployée pour neutraliser ce salaire consiste
à le passer sous silence, à faire comme si la femme ne participait
pas à l'entretien de la famille ou du foyer.
Section 3 - L'autodéfense inconsciente :
A travers les enquêtes menées par D. Abrous et H.
Vandevelde-Dailliere, ainsi que les différents témoignages
réunis par F. M'rabet, il appara"t que les femmes sont pleinement
conscientes de leur " statut ", mais le subissent
sans vraiment tenter de le modifier, et se
" désolidarisent " avec celles qui militent
pour un changement.
Nous tenterons de saisir les raisons de cette absence de solidarité entre les femmes
- Paragraphe A - et d'expliquer pourquoi, parfois celles qui réclament
le changement, finissent par " céder " aux
traditions - Paragraphe B -.
§ A - L'absence100 de solidarité femme-femme :
La femme algérienne évolue dans un monde qui la modèle
dès sa naissance. Son éducation, comme nous l'avons vu, la
prépare très tôt à devenir une future épouse
et mère.
L'enseignement lui-même, au lieu d'être un enseignement qui
mène à l'ouverture d'esprit par l'apprentissage de la critique,
devient le reflet du dogme et de l'orthodoxie religieuse, dans la mesure
où, dans les filières, notamment littéraires, à
majorité féminine, les auteurs étudiés -
écrivains, théologiens- restent traditionalistes.
Les valeurs islamiques sont rehaussées sans que soient étudiés
les auteurs musulmans réformateurs (si ce n'est pour être
critiqués) et sans jamais oser l'autocritique textuelle ou
idéologique.
Bien souvent donc, le système éducatif ne fait que renforcer la pensée traditionaliste, de tel sorte qu'aujourd'hui, la femme algérienne parait plus conservatrice que celle des années 60 et 70.
Mais l'un des éléments les plus importants dans cette absence
de " solidarité " semble être la
difficulté de communication et de rencontre en dehors des rencontres
classiques - Hammam - fêtes familiales et religieuses.
En effet, les sorties des jeunes filles sont, comme nous l'avons vu, souvent " surveillées " pour éviter le " qu'on dira-t-on ", le " qlem E'nass " (littéralement les mots des gens).
Les réunions à caractères militantes sont donc bien souvent difficiles sans l'appui de la famille elle-même.
Dès lors, entre la femme " militante " ou
" occidentalisée " et la femme au
" foyer " ou
" traditionaliste ", le dialogue devient incertain,
de sorte que la traditionnelle aura du mal à comprendre l'autre et
à voir en elle autre chose qu'une menace pour les coutumes et
l'identité algérienne.
100- Par absence de solidarité femme-femme, il faut entendre ici,
une absence de solidarité face aux revendications d'émancipation.
En effet, dans tous les autres domaines, bien au contraire, les femmes, face
aux hommes, se " tiennent les coudes ". Ainsi par exemple, écrit
K. Messaoudi, dans " Une Algérienne debout " : " (...)
Nos vieilles avaient toujours ou une poule pour le mariage. Si
l'épousée n'était plus vierge, elles tuaient l'animal,
répandaient son sang sur les draps, et elles exhibaient triomphalement
(...) " op. cit., P. P. 47 - 48
Au sein du foyer, la télévision algérienne, par l'absence
de programme concernant l'émancipation de la femme, renforce les
structures traditionnelles, alors que la radio elle-même diffuse des
programmes, telle que l'émission " El-Baït Essaïd
(la maison du bonheur) " destinés à expliquer
à la femme algérienne comment devenir une bonne
ménagère101.
Au niveau de la presse féminine, celle-ci est quasiment inexistante,
et le journal de l'Union Nationale des Femmes Algériennes
" El-Djazaïria " (L'algérienne) a
été arabisé en 1984, ce qui a pour conséquence
de réduire l'information puisque peu de femmes algériennes
ma"trisent l'arabe littéraire102.
La pensée moderniste a donc ainsi bien du mal à
pénétrer la pensée féminine qui reste majoritairement
soumise à la pensée masculine.
La femme, éduquée par sa famille, sa mère, formée par un système scolaire qui exclu l'analyse et la critique, privée de communication avec d'autres femmes qui pourraient avoir une autre vision de la société, et " encadrée " par un discours officiel qui ne fait que confirmer son éducation, a bien du mal à concevoir l'existence d'un autre mode de vie que le sien.
D'ailleurs, le mariage, la maternité ayant été les buts suprêmes qu'elle a appris à vouloir atteindre et qui définissent son identité en tant que femme, lui paraissent être réellement et effectivement les situations les plus logiques pour une femme.
Dès lors, toutes celles qui emploient un autre langage que celui qu'elle
a entendu depuis son enfance, lui paraissent être dans l'erreur, et
plus encore, remettent en question toute cette éducation qui a fini
par former son identité : Et par réaction, par autodéfense
contre cette identité qui est ainsi attaquée, elle va rejeter
ce discours qu'elle ne comprend pas.
Parfois les femmes " modernistes " elles-mêmes,
en dépit de leur rejet des traditions, finissent par y
" revenir ".
§ B - Le retour aux traditions :
La société algérienne étant encore une
société communautaire où le groupe et le regard de l'autre
sont importants, tout individu qui a un comportement et un discours hors-norme,
est immédiatement mis en dehors de cette société.
La femme moderniste est, à cet égard, un individu hors-norme
puisqu'elle emploie un langage et une manière de vivre qui n'est pas
celle du groupe.
Dès lors, son " anormalité " ne peut
être acceptée et devient d'autant plus difficile à assumer
que la famille, bien souvent, la rejette elle-même.
101 - S. Khodja, " A comme Algérienne " op. cit., P.27.
102 - Idem P.26-27.
L'histoire de Nora, témoigne de cette difficulté, pour une
femme de vivre en dehors des règles sociales : Nora, jeune mère
célibataire a ainsi dû se prêter à un faux
mariage afin de faire accepter son enfant, et de " sauver
les apparences "103.
Vivre seule, être célibataire, refuser d'avoir un enfant sont
autant de comportements que ne comprend pas la société
traditionnelle, et qu'elle conçoit comme subversifs.
La femme qui vit seule, est célibataire, ou refuse d'avoir un enfant,
ressent bien souvent sur elle le regard lourd et accusateur de la famille
en particulier et de la société en générale,
et comme dans tout endroit où elle pourrait se rendre, on réagit
de la même façon, si non encore plus durement envers une
étrangère, la " fuite " est impossible.
La femme finit donc, bien souvent, par céder : Elle accepte le mariage
alors qu'elle le refusait pour prouver qu'elle n'a pas
" fauté ", ou pour faire plaisir à
sa mère, à sa famille104.
En effet, en Algérie, la femme célibataire, qui refuse
volontairement le mariage sera souvent soupçonnée d'avoir
" fait une bêtise ", c'est-à-dire d'avoir
eu des relations hors mariage et ce seul soupçon sera comme une marque
que portera la jeune femme qui, inévitablement fera d'elle une fille
de mauvaise réputation et sans soutien familial, la résistance
à l'ordre social est alors très difficile.
De célibataire, à épouse, elle finira également
par céder à la maternité.
Dans " l'ordre normal des choses ", une épouse
se doit d'avoir un enfant dès la première année de mariage,
tant pour prouver sa fécondité, et la virilité de son
époux105, que pour consolider son mariage, comme le lui
répète souvent sa mère. Mais si l'enfant tarde à
venir, on la soupçonnera d'être stérile, et, à
moins que l'époux ne soit d'accord pour avoir un enfant beaucoup plus
tard, la belle-famille pèsera de tout son poids pour qu'il épouse
une autre femme ou divorce de celle qui ne peut engendrer.
Une fois mère, la femme reproduira alors, inconsciemment, la même
méthode d'éducation que celles de ses parents, dans la mesure
où la belle-famille, surtout la belle-mère, la laissera mener
seule l'éducation de l'enfant, sans intervenir. Chose relativement
rare, surtout si l'enfant est un garçon, et très difficile
si le couple cohabite avec le reste de la famille.
103 - A. Gaudio et R. Pelletier, op. cit., P. 93.
104 - K. Messaoudi répondait ainsi à la remarque de E. Schemla concernant son mariage et le fait qu'elle ait fini par suivre la
tradition : " Je la suis sans la suivre (...) , Je me marie certes, mais avec un homme qui (...) n'appartient au clan (...).
D'autre part, nous nous marions laïquement, à la mairie. Pour faire plaisir à mon père, j'ai cependant consentie à la
cérémonie religieuse (...) où officie
l'oncle maternel ". op. cit., P. 106.
105 - Mouloud Feraoun, dans le revue littéraire " Soleil " ( N° 06, du 15 juin 1951, P. 36 à 58) a décrit l'attente de la
grossesse par les époux : " Leur rêve fut d'avoir beaucoup d'enfants , surtout des garçons. lorsqu'au début de leur mariage
quelqu'un souhaitait à l'un ou à l'autre les 7 garçons, le souhait était accueillis avec un sourire épanoui (...). Ils
commencèrent à s'inquiéter dès la fin de la 1ère année (...). Il fallut s'entourer de précautions : se faire pardonner par ses
proches (...), rendre visite aux morts (...). Pendant tout le mois, Slimane faisait sa prière, Chabha se purifiait soir et matin
(...). Le matin du 29ème jour, la jeune femme sentait immanquablement une coulée tiède entre ses cuisses (...). Elle (...)
relevait sa gandoura pour contempler sa honte (...). Slimane devinait tout de suite. Il se levait sans un mot, puis s'en allait
au café ". Cité par A. Bouhdiba, op. cit.,
P. 265.
C'est ainsi, qu'à un moment donné, les règles sociales vont rattraper la femme " hors-norme ", et celle-ci, une fois épouse et mère, va acquérir ce seul statut que la société accorde à la femme.
Elle sera alors tenue de se conformer à son rôle et la moindre
" déviance " sera perçue comme la
volonté de ne pas assumer ce rôle.
Comme pour la célibataire, le soutien de l'époux sera
nécessaire à la femme pour
" affronter " la règle sociale : Pour continuer
à travailler, à militer, à
" parler "106, si non, la femme devra soit se soumettre,
soit prendre le risque d'être exclue et rejetée.
106 - K. Messaoudi, afffirme ainsi que sans le soutien de sa
famille, de ses frères et de son époux, son combat militant
aurait été plus difficile.
L'évolution du statut de la femme, en Algérie, semble, en raison
de la pesanteur sociale et du poids de la religion, difficile à se
réaliser.
En effet, comme nous l'avons vu dans ces développements, la religion,
telle qu'interprétée par les autorités religieuses,
ainsi que le discours développé, apparaissent comme de réels
obstacles à toute tentative d'émancipation de la femme.
L'une des possibilités de voir ce statut évoluer vers une plus
grande égalité, serait, sans doute, d'accepter d'avoir un regard
plus critique sur le contenu du Coran et considérer que la majorité
de ses versets ne sont qu'une description et une codification des coutumes
de la société arabe bédouine du 7 ème
siècle.
La réouverture de la porte de l'Ijtihad semble, donc, nécessaire,
tant pour une modification du statut de la femme que pour l'ensemble des
sociétés arabo-musulmanes qui se caractérisent par un
retard aussi bien technologique que scientifique1.
Fereydoun Hoveida2 se demande même si la place faite à
la femme dans les sociétés arabo-musulmanes n'est pas une des
raisons de leur retard et remarque que peu de chercheurs se sont penchés
sur cette question.
A la fin du 19 ème siècle, des auteurs musulmans se sont intéressés au statut de la femme et aux moyens de parvenir à sa modification3 :
Ainsi, pour El-Afghani, à l'origine de la doctrine Salafiya (qui préconise le retour au modèle des Aslaf, c'est-à-dire des ancêtres), la condition de la femme a été dégradée par une fausse interprétation doctrinale de l'islam et par la " pollution coloniale "4.
Pour lui, il faut donc revenir aux sources émancipatrices du Coran.
D'autres auteurs, plus " féministes ", tels que Rachid
Réda ou Qasim Amin 5, prônent la réouverture des
portes de l'Ijtihad afin d'adapter la Shari'a à la modernité
et aux droits de l'homme6.
Ces auteurs restent cependant attachés à une conception
théologique de la législation, contrairement à d'autres
auteurs plus laïcistes tels que Ali Abderezzak7 ou Tahar
Haddad8 qui s'inspirent des notions de droits de l'homme, de personne
humaine et de sujet de droit pour réclamer une législation
laïque et égalitaire entre l'homme et la femme.
1 - Voir le livre de Fereydoun Hoveida, " L'Islam bloqué ", op. cit. Cet ouvrage nous explique, en effet, comment la rigueur
religieuse a eu pour conséquence de bloquer la recherche scientifique, littéraire ou philosophique. F.Hoveida considère ainsi
que le monde arabo-musulman a cessé de produire pour se contenter d'importer la technologie venue d'ailleur.
2 - Idem.
3 - N. Saadi, op. cit., P. 24 à 26.
4 - Idem P. 24.
5 - Auteur de " Tahrir al-mar'a " paru en 1899. Il provoqua une grande polémique en Egypte et constitua la référence des
mouvements féministes. Cité par N. Saad, P. 25.
6 - Ibid P. 25.
7 - Auteur de " L'islam et les bases du pouvoir ", 1925. Cité N. Saadi, ibid P 25.
8 - Auteur de " Notre femme dans la religion et la
société ", 1930. Cité par N.Saadi, ibid P. 25.
Ces discours visant à une modification du statut de la femme restent,
d'une part minoritaires et d'autre part sans réel effet sur l'opinion
sociale beaucoup plus imprégnée du discours fondamentaliste
ou intégriste qui considère que " toute ouverture
d'un débat sur le statut de la femme est en soi illégitime
dès lors que la place de la femme dans la cité islamique est
codifiée, dogmatisée par le Coran et la loi divine ; il estime
donc éxogène, occidentale et culturellement agressif, voire
apostasique tout mouvement de contestation de la tradition "9
.
Si donc l'ouverture des portes de l'Ijtihad semble nécessaire, et en même temps, fort peu probable en raison d'une opinion majoritaire largement conservatrice, on peut peut-être considérer qu'une modification du statut de la femme ne pourra se produire que sous l'effet d'éléments indépendants de la volonté humaine :
Dans ce cas là, la crise économique, qui destructure la famille
patriarcale traditionnelle, peut être l'un de ces
éléments.
En effet, par la dislocation de la famille communautaire en cercles familiaux plus restreints, on peut supposer que cela conduira à l'émergence de l'individualité, et, peu à peu, à une place plus importante du couple au sein duquel se feront face l'homme et la femme.
Peut-être alors, le " dialogue " entre eux, et " l'écoute " de l'autre s'établira, permettant ainsi la reconnaissance de la femme en tant qu'individu, que personne.
Cela reste bien entendu de l'ordre de l'hypothétique, mais le changement
de regard que porte l'homme, la société et la femme elle-même
sur la femme sont nécessaires, tant, parce que, comme l'écrit
Hicham Djaït, " (...) l'évolution interne de la
société arabe y incite fortement et que (...) toute une conception
nouvelle de la femme et de sa place dans le monde en fait un impératif
moral10 ", que parce qu'un tel système ne va pas sans
conséquences psychologiques ou même cliniques.
En effet, au niveau psychologique, la méconnaissance de l'autre sexe,
le défaut de dialogue, engendrent la méfiance
mutuelle11, une réelle frustration sexuelle12 qui se
manifeste par un comportement violent par le regard ou les mots, et, une
homosexualité13, qui bien que tabou, n'en est pas moins
réelle.
9 - Ibid P. 24.
10 - Ibid P. 26.
11 - Voir ici les témoignages recueillis par F. M'rabet,
op. cit., P. 71 à 72.
12 - Juliette Minces, op. cit., P. P. 61 - 62.
13 - L'homosexualité est souvent, en effet, la
conséquence de l'impossibilité de rencontre entre homme et
femme. " Le cousinage, la prostitution, les intrigues amoureuses de
toutes sortes ne pouvaient, en effet, suffir à l'expression et la
réalisation des désirs qui se tournaient tout
" naturellement "vers l'homosexualité " écrit
ainsi A. Bouhdiba, " D'où cette constatation que les relations
homosexuelles se sont développées dans les sociétés
arabo-musulmanes favorisées finalement par les faits, et ce, au
détriment des relations inter-sexuelles. (...) L'homosexualité
si violemment condamnée par l'islam (est) une pratique fort courante
tant en milieu féminin que masculin (...) ", op. cit., P. 245.
Au niveau clinique, les violences conjugales14, les mariages
imposés, les doubles journées de travail pour les femmes,
engendrent des comportement suicidaires, aboutissent à des névroses,
ou des états psychotiques, que le Docteur Boucebci dénonçait
dans " Psychiatrie, société et
développement "15.
Les pouvoirs politiques et la société dans son ensemble doivent donc prendre conscience de la nécessité d'établir le dialogue et l'écoute mutuelle " (...) si nous voulons que la jeunesse algérienne ne soit pas névrosée " comme l'écrivait déjà
F. M'rabet en 196916.
Bien sûr, cela nécessite une réelle volonté de
changement de la part des autorités, or, rien n'est moins certain
que cela.
La réforme du système éducatif nous renseignera sans
doute sur les choix des dirigeants quand au modèle de société
qu'ils entendent défendre, car c'est, en définitive, en agissant
sur l'enfance d'aujourd'hui que l'on construit l'adulte de demain.
14 - F.I.D.H.,op. cit., P.P. 103 - 104.
15 - Alger, SNED, 1979, cité par S. Khodja, dans " A
comme Algérienne ", op. cit., P. P. 118 - 119.