UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON - SORBONNE
(UFR 07)
DIPLÔME D'ETUDES APPROFONDIES :
"ETUDES AFRICAINES"
(Option Anthropologie juridique et politique)
Directeur : M. Etienne Le Roy
La reconstruction urbaine à l'échelon communautaire en Afrique du Sud :
La médiation des civics dans un processus de développement négocié et intégré.
Mémoire présenté par Pascal MAIRE-AMIOT
Directeur de recherche : Professeur Etienne LE ROY
Laboratoire d'accueil :
Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris Année de soutenance : 1995
Je voudrais adresser mes remerciements à M. Antoine Bouillon pour m'avoir ouvert l'accès aux informations disponibles au sein de l'ONG qu'il anime - le CRIAA -, sans lesquelles ce travail n'aurait pu déboucher et pour l'aide précieuse qu'il m'a apportée dans la compréhension des enjeux urbains de la transition démocratique en Afrique du Sud.
Sommaire
Introduction (pages 3-8)
Titre 1 : L'émergence d'un mouvement social urbain ancré sur une réalité communautaire extrêmement fragmentée (pages 9-37)
Chapitre 1 : un pôle d'identification alternatif capable de négocier sa "problématique légitime" du développement (pages 9-26)
I/ Une réintégration de la culture politique des civics dans le processus de reconstruction étatique
II/ Une logique identitaire s'affirmant sur le terrain des négociations
Chapitre 2 : une nouvelle forme de représentation politique qui cherche à s'affirmer au sein d'une réalité sociale éclatée (pages 27-37)
I/ Une volontée affichée de demeurer des "chiens de garde" (watchdogs) de la communauté vis-à-vis des structures gouvernementales
II/ Une représentativité des associations civiques amoindrie par une société urbaine fragmentée
Titre 2 : Une maîtrise communautaire du développement urbain faisant de la participation populaire un nouveau référent de légitimité (pages 38-64)
Chapitre 1 : Une stratégie de reconstruction urbaine axée sur une approche holistique du développement (pages 39-55)
I/ Une participation des communautés aux projets de développement impliquant la maîtrise du processus
II/ Une démarche concertée, inclusive et intégrée contribuant à éradiquer la pauvreté urbaine
Chapitre 2 : Une logique sociale responsabilisante au coeur de la légitimité des civics à conduire le processus communautaire de développement (pages 56-64)
I/ Le trust de développement communautaire : un outil juridique assurant le contrôle du processus de développement par les communautés de base
II/ Une catégorie juridique "interculturelle" assurant le lien organique entre les civics et les communautés
Conclusion (pages 65-67)
INTRODUCTION
En Afrique du sud, le processus démocratique a d'autant plus de chance de déboucher qu'il se constitue autour d'une véritable négociation concernant les élites dans leur diversité statutaire (syndicats, partis politiques, églises) et l'ensemble de la population à travers la multitude d'organisations qui la structure. C'est ainsi que l'ouverture des négociations à partir de la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (CODESA) débouchait sur l'adoption d'une constitution intérimaire ouvrant la voie aux premières élections non raciales de l'histoire du pays.
En consacrant sans ambiguïté la victoire politique du Congrès national africain (African National Congress - ANC -), le raz-de-marée électoral du 27 avril 1994 a radicalement bouleversé la société sud-africaine. Un tel événement qui bénéficie toujours d'un retentissement considérable parce que vécu par la totalité de la société sud-africaine, accorde au processus de démocratisation un nouveau potentiel de légitimité. En cela il s'agit d'un événement ineffaçable. Incontestablement, ces élections ont été la manifestation d'une nation qui est en train de s'énoncer, de se désigner et de se pratiquer comme telle.
En fait la situation sud-africaine exprime particulièrement bien la construction de la transition démocratique dans la mesure où ce sont les sud-africains eux-mêmes qui cherchent à formuler l'énoncé d'une transformation collective de la société, en innovant sur le terrain de l'action politique et sociale. Dès lors, la compréhension du processus de démocratisation en Afrique du Sud exige de se demander si l'avenir de tout projet politique démocratique n'aurait pas trait à la formation d'un mouvement social susceptible de devenir le vecteur d'unification de la société dans son rapport conflictuel à l'Etat.
Le défi paradigmatique de la transition démocratique peut ainsi se poser à travers l'enjeu de la redéfinition des organisations à base résidentielle connues plus communément sous le vocable de civics, dans la mesure où le regard que l'on porte sur eux peut contribuer à dévoiler les mécanismes de la société sud-africaine, à la fois dans son fonctionnement réel et dans sa manière de se représenter sur le plan des valeurs et de l'idéologie. Les civics constituent un ensemble de structures associatives qui se sont révélées particulièrement actives dans les campagnes de désobéissance civile au cours des années quatre-vingts. Ce sont en fait des mouvements sociaux de masse à base résidentielle concentrant leurs revendications urbaines au sein des zones résidentielles réservées aux noirs par la planification urbaine raciale de l'ancien régime (townships, zones d'habitation informelles, camps de squatters, hostels).
Le fait d'isoler les civics en objet d'analyse n'a rien de fortuit car il convient d'avoir à l'esprit que c'est d'abord sur le terrain urbain que se joue l'enjeu du processus de démocratisation de la vie sociale et politique, ceci pour des raisons qui renvoient à la fois aux logiques de construction de l'Etat et d'accumulation du capital.
De même les difficultés inhérentes à la transition, qui résultent de la combinaison des trois grands défis que devra affronter l'Afrique du Sud dans les années 1990 - la démocratie, le développement et la croissance - se rencontrent avec le plus d'acuité dans les villes et particulièrement dans les plus importantes zones métropolitaines. Si l'on considère comme le fait Ann Berstein "que l'impératif principal peut être décrit comme la nécessité pour le premier gouvernement démocratique de concevoir et de mettre en oeuvre des politiques économiques et sociales raisonnables, capables de transmettre suffisamment d'espoir et de progrès matériel au plus grand nombre d'individus, de ménages et de communautés pour soutenir un système de gouvernement démocratique, et donner naissance à une stabilité et à un soutient populaire effectif", ce n'est que sur le terrain urbain que les résultats seront les plus immédiatement visibles.
Or depuis la normalisation assurée par FW De Klerk à partir de février 1990, les civics à l'instar d'une multitude d'organisations politiques, se sont engagés dans un processus de réorganisation et de redéfinition fondamentale en inscrivant leurs actions non plus exclusivement dans un cadre insurrectionnel mais également dans le cadre de la reconstruction de la société urbaine. En opérant ainsi une véritable mutation stratégique, les civics illustrent à leur niveau le phénomène de recomposition que connaissent toutes les organisations sociales sud-africaines pour tenir compte des bouleversements imposés d'abord par la normalisation puis par les débuts du processus de démocratisation. En fait toute la problématique de cette recomposition réside dans la capacité de l'Etat et de la société civile à harmoniser et à articuler leurs pratiques politiques différenciées.
Le rôle actif de la société civile dans la contestation de l'Apartheid a révélé la complexité des innovations sociales qui caractérisent les relations de l'Etat et de sa société. En étant exclue de toute participation politique, la société a appris à fonctionner en parallèle comme une force alternative d'organisation en marge de l'Etat, s'imposant comme une puissance sociale inexpugnable et faiblement institutionnalisée. L'action des civics au cours des années quatre-vingts est emblématique des initiatives sociales qui se sont multipliées sur plusieurs registres à la fois (notamment politique, communautaire et local) et qui ont couvert une multitude de formes d'activités et d'expressions sociales (incluant des formes aussi contradictoires que la violence, l'intimidation, le boycott, la grève et parfois même la négociation). Les civics ont ainsi démontré leur capacité à innover dans l'action sociale contre l'Etat à travers les multiples modes populaires d'action politique qu'ils ont développés dans l'optique de marginaliser l'Etat et de briser les fondements de sa légitimité. Aujourd'hui cependant, les civics semblent réorienter leurs interventions vers les problèmes propres du terrain sur lequel ils agissent, en l'occurrence le quartier. En agissant de la sorte, les organisations civiques tentent de réintégrer leur culture politique marquée jusqu'alors par la désobéissance civile, dans le processus de reconstruction étatique.
La question cruciale qui se pose aujourd'hui est de savoir si les nouvelles formes d'actions développées par les civics sont suffisamment structurées pour exprimer le défi paradigmatique de la transition démocratique. Autrement dit les méthodes et les mécanismes mis en place par les civics pour organiser le développement urbain doivent être évalués à l'aune de la réarticulation de la société à l'Etat. Les civics, en raison de leur dimension communautaire, participent à la gestion du développement urbain et ils s'avèrent être non seulement des partenaires privilégiés dans le processus de négociation mais également ils constituent de véritables médiateurs entre les demandes locales et les exigences nationales. C'est ainsi que l'on peut se poser une autre question, sous-jacente à la première, elle consiste à se demander comment les civics parviennent à s'imposer comme des interlocuteurs incontournables du processus de développement. En effet, il convient de garder à l'esprit que d'autres organisations ont entamé leur processus de recomposition et de redéfinition interne, et bien qu'elles représentent un large spectre de structures à la vocation, à la nature, à l'envergure et au statut fort différents (les syndicats ; les ONG de service - NGO's - ou les organisations communautaires - CBO-Community Based Organisations -, ce que les sud-africains désignent aussi par l'opposition service/membership organisation ; structure liée au gouvernement - national, régional ou local, l'Independant Development Trust par exemple -, aux milieux d'affaires - Urban Foundation -, ou aux milieux universitaires - Planact, Besg, CCLS -), elles sont toutes impliquées directement ou indirectement, dans la négociation de la reconstruction urbaine. Dès lors, il semble légitime de s'interroger sur les raisons qui ont concouru à positionner les civics à l'avant garde du projet urbain de la nouvelle Afrique du Sud.
Si au cours des années quatre-vingts, à travers les campagnes de désobéissance civile et les actions de masse, les civics ont constitué une ressource de contestation politique auprès de la communauté de base qu'ils représentaient -les townships-, ils ont pris conscience aujourd'hui de la nécessité de s'ériger en un mouvement social urbain afin de répondre aux exigences du défi démocratique. Moses Mayekiso, président actuel de la fédération nationale des civics (South African National Civic Organisation - SANCO -) exprime parfaitement cette idée lorsqu'il affirme que "To ensure the existence of a "democratic culture" in a post-apartheid South Africa many grassroots activists, trade union leaders and civic leaders want a new social movement to be created particularly to place the aspirations of remote, disadvantaged communities at the centre of the political debate". La difficulté consiste maintenant à examiner les modalités à travers lesquelles les associations civiques qui se sont constituées au fil des années contre l'Etat en démantelant le système de gouvernement local noir (les Black Local Authorities) et les instances administratives provinciales, tentent de générer des actions autonomes et cohérentes pour se constituer en mouvement social urbain. Autrement dit, si le passage d'une culture de contestation à une culture de participation est en train de s'opérer au niveau des civics, cette mutation est conditionnée par la redéfinition de leurs modalités d'action politique et sociale dans le cadre processuel de la reconstruction urbaine.
Certes, une logique sociale pensée en terme de développement implique que les civics s'engagent dans le processus de négociation et la négociation impose une logique, des compétences et des instruments de soutiens différents de ceux requis en situation insurrectionnelle. Cependant, une logique de compromis peut elle suffire à créer une dynamique permettant aux civics de s'institutionnaliser sur le champ politique ? Indubitablement, l'insertion des civics dans le processus des négociations leur octroie un nouveau potentiel de légitimité mais encore faut-il que ce potentiel se transforme en réelle légitimité. Or le fait de parvenir à un tel objectif suppose qu'au préalable les obstacles de la fragmentation et de la segmentation de la société sud-africaine soient surmontés. En effet, ce qui l'emporte aujourd'hui est l'hétérogénéité de la société : celle du corps social qui va de pair avec l'hétérogénéisation du territoire et des représentations symboliques. Par ailleurs, les civics doivent affronter en leur sein des zones de clivages et d'identifications multiples inhérentes à leur structure communautaire. Au sein des townships - lieu privilégié de la représentation communautaire des civics -, la réalité communautaire cherche à se prouver dans le mesure où d'autres logiques de représentation et d'identification viennent se greffer. Dès lors, il n'est pas inconcevable de se demander si les civics ne sont pas en mesure de transcender les obstacles qui parsèment la voie menant à l'érection d'un mouvement social institutionnalisé à l'échelon local, non seulement en se posant en interlocuteur privilégié du développement mais surtout en privilégiant une approche inclusive soucieuse de structurer dans sa globalité les enjeux urbains et les questions sous-jacentes à leur légitimité. En effet au regard du contexte de récession économique très marquée dans les grandes métropoles urbaines encore structurées actuellement par le critère de la race, un débat sur les valeurs a été ouvert par les communautés de base qui ont pressenti les dangers d'une situation explosive. Le problème demeurait de déterminer ces valeurs communes et ensuite de les faire accepter car, comme le souligne Etienne Le Roy "que gérer en commun quand les ressources se font rares, les inégalités toujours plus criantes et que "l'homme est un loup pour l'homme ?"
Dans le cadre de la reconstruction urbaine et celui de la redéfinition des civics, la réponse à cette question paraît émerger à travers la volonté des civics de maîtriser le processus de développement urbain en l'insérant dans un cadre communautaire. Cette approche holistique du développement semble en tous les cas ériger l'idée de la participation populaire en valeur commune et l'on peut se poser la question de savoir si la participation populaire ne serait pas un nouveau référent de légitimité pour les civics qui tentent de se constituer en un mouvement social urbain. On le voit, telle qu'elle est formulée, cette problématique illustre la complexité de la situation sud-africaine en général et celle des civics en particulier.
Cette présentation du problème exigerait pour être parfaitement traitée, d'abord d'entreprendre des enquêtes de terrain afin de pouvoir recueillir des bases de données pertinentes et éclairantes sur une situation locale extrêmement mouvante. Ensuite, bien que centrée sur une approche anthropologique du politique, cette problématique exigerait de combiner deux autres domaines d'étude de l'anthropologie : d'abord celui de l'anthropologie du droit qui pourrait se focaliser sur les modes pacifiés de résolution des conflits notamment à travers l'analyse de la justice informelle des "People's Courts"; ensuite celui de l'anthropologie en milieu urbain dont l'interrogation centrale porte sur "l'identité sociale" de la ville saisie comme le "produit du développement des rapports sociaux". Pour des raisons qui tiennent à la fois aux exigences d'un mémoire de DEA ainsi qu'aux difficultés qu'il y a de rassembler des informations actualisées sur le sujet, le champ de l'anthropologie politique se situe au coeur de la problématique énoncée. Cependant les exigences du questionnement scientifique impliquent l'ouverture de brèches dans ces autres disciplines afin de colmater certaines interrogations dont les réponses, que je présume identifiables, ne sont pas consultables dans les centres de recherche et les universités parisiennes.
Sur le plan de l'anthropologie politique, cette problématique valorise l'aspect politique d'un phénomène social. Les civics en tant que groupe social faisant partie des multiples composantes d'une société civile sud-africaine par nature plurielle, sont envisagés par référence à l'idée de leur représentativité et de leur légitimité au sein du processus de contre-totalisation (au sens de Jean-François Bayart) reposant sur la capacité des civics à unir leurs modes d'action populaire hétéroclites et ponctuels en un mouvement social apte à devenir le vecteur principal de la transformation de son rapport à l'Etat à travers leur stratégie de reconstruction urbaine. Cette mise en perspective qui cherche à appréhender la totalité de la société sud-africaine à partir de l'étude d'une unité sociale restreinte a pour seule ambition de constituer un travail d'apprentissage du raisonnement scientifique qui soit acceptable.
La première partie du mémoire est consacrée à l'étude des structures de compréhension à travers lesquelles les civics donnent forme à leur expérience, en soulignant leur nature, leur raison d'être et d'agir, leur positionnement sur le terrain politique, social et sur celui des négociations. La deuxième partie du travail insiste sur les mécanismes mis en place par les civics pour organiser le développement urbain, sur les actions développées sur le terrain par les civics, conçues avant tout pour asseoir leur légitimité et leur avenir sur la scène politique locale.
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Titre 1 : L'émergence d'un mouvement social urbain ancré sur une réalité communautaire extrêmement fragmentée.
Dans cette période de transition, les civics ont saisi l'opportunité de mobiliser leur potentiel de légitimité en faveur du processus de redistribution et de partage du pouvoir. Cette reconversion politique constitue un véritable défi pour les organisations communautaires de base - dont font partie les civics - dans la mesure où se pose le problème de la mutation d'une culture politique. En effet, pour des raisons plus que légitimes - opposition à l'apartheid, lutte contre la répression -, la communauté noire et ses alliés se sont forgé une culture de résistance et non pas de développement. La question se pose donc de savoir comment les civics analysent la situation politique et sociale dans une Afrique du Sud partiellement déracialisée mais confrontée à l'érection de nouvelles barrières sociales se substituant aux barrières raciales, contre une majorité noire complètement prolétarisée, voire paupérisée. Comment envisagent-ils leurs actions dans ce nouvel environnement à la fois propice à la négociation et à la violence ? Quels sont les modes de structuration que les civics vont adopter ou adapter dans le cadre de leur redéfinition ? De quelle façon se mobilise leur capacité organisationnelle ? Quelle stratégie de positionnement politique vont-ils adopter ? Autant de questions qui renvoient à l'émergence d'un mouvement social qui cherche à s'affirmer et à affirmer son identité dans une perspective de collaboration ou de participation aux négociations du développement urbain.
Chapitre 1 : un pôle d'identification alternatif capable de négocier sa "problématique légitime" du développement urbain.
L'enjeu fondamental, qui préside à la redéfinition des modes populaires d'action politique des organisations civiques, réside dans leur capacité à s'insérer dans le processus de négociation en interlocuteur privilégié. En effet, les civics redéfinissent et restructurent leurs options et leurs modalités d'action afin de se constituer en pôle d'identification alternatif, c'est-à-dire que leur engagement dans une logique de compromis doit être analysé en terme de stratégie. Dès lors, en se constituant en pôle d'identification alternatif, les civics ne cherchent aucunement à produire des actions qui véhiculent systématiquement une idée démocratique. On peut sans doute trouver un début d'explication à cette situation en analysant une culture politique en pleine mutation.
I/ Une réintégration de la culture politique des civics dans le processus de reconstruction étatique
Au regard de la nature, de la composition et du rôle des civics au cours des années quatre-vingts, rien n'aurait pu laisser présager un revirement dans la façon dont les civics se conçoivent aujourd'hui. De même que personne n'aurait pu envisager il y a encore dix ans, le démantèlement des structures de l'Apartheid. Néanmoins, si les fondations de l'ordre social sud-africain sont en train de changer de façon irréversible en avançant allègrement vers la démocratie, l'adaptation des associations communautaires dont l'existence n'avait d'autre fondement que celui de saper la légitimité de l'Etat blanc, au climat de réconciliation national ne peut pas être assimilée à l'adoption d'une nouvelle culture politique. En effet, l'analyse de la culture d'un mouvement social comme celui des civics n'est pas aisée à faire surtout si l'on part du principe qu'il s'agit d'un concept qu'il ne faut en aucun cas banaliser pour en faire une variable explicative parmi tant d'autres. Une certaine prudence s'impose donc, et c'est la raison pour laquelle une vue dynamique des relations sociales paraît plus adaptée à une vision morphologique.
Pour tenter de comprendre les structures de compréhension à travers lesquelles les civics conçoivent leurs actions, il est nécessaire de rappeler les origines de ces associations, leur mode de formation et les causes de leur création, depuis la période qui a suscité leur naissance jusqu'au début des années 1990. L'intérêt de cette démarche consiste à essayer d'identifier certaines inflexions ou orientations qui pourraient suggérer des formes de "praxis" c'est à dire des pratiques différenciées se manifestant dans une variété de situations où sont engagés les civics.
Au cours des années quatre-vingts, le succès de leurs campagnes et actions sur le terrain conçues pour délégitimer les structures du gouvernement local, reposait sur une mobilisation populaire massive. Néanmoins les actions de masse n'impliquent pas pour autant une adhésion massive aux structures des civics. Il semble en fait que ce soit l'incapacité des leaders de ces réseaux associatifs à élargir la base militante au sein des mouvements, qui les ait incités à définir des actions de contestation de masse qui ont à leur tour popularisé et crédibilisé les leaders des civics. Ainsi, si les civics apparaissent comme des mouvements faiblement structurés en terme d'adhésion, la qualité de leurs leaders a construit leur capacité organisationnelle sur le terrain de la mobilisation populaire. Mais surtout, c'est leur insertion dans des réseaux plus vastes qui leur a donné une cohésion et une structuration plus importante. Ainsi l'UDF (United Democratic Front) créée en août 1983 abrite en son sein plusieurs centaines d'organisations dont environ 80 associations civiques : parmi les plus notoires, on peut citer the Port Elisabeth Black Civic Organisation (PEBCO-Eastern Cape), the Cape Areas Housing Action Committee (CAHAC -Western Cape), the Soweto Civic Association et the Vaal Civic Association (PWV), the Border Civic Association, the Durban Housing Action Committee et the Joint Resident's Action Committee (Natal). Les civics se sont donc abrités derrière des organisations plus larges ayant une assise nationale afin de mieux organiser les actions de masse dans les townships et de lier les enjeux locaux aux stratégies nationales.
Il est possible de périodiciser l'action insurrectionnelle des civics en quatre temps. C'est entre 1979 et 1983 que sont apparues les premières associations civiques créées en réponse à l'augmentation du prix des loyers, au développement anarchique des townships et au renforcement des autorités gouvernementales à l'échelon local. Les civics ont limité leurs actions principalement à des campagnes de protestation relatives à l'augmentation des loyers, organisées ponctuellement et de façon intermittente. Ils ne se sont pas focalisés sur les moyens de défier efficacement les structures officielles des townships ("Community Councils") instaurées par le régime à la suite des émeutes de Soweto en 1976, afin de légitimer au sein des communautés opprimées le système de l'administration des zones résidentielles noires. Néanmoins les civics sont restés des "watchdogs" c'est-à-dire des chiens de garde contre les conseillers municipaux, en contestant leur légitimité à représenter la communauté et en offrant aux résidents un canal pour exprimer leur mécontentement.
Entre 1983 et mi 1985, il devient possible d'observer un changement à la fois du rôle et de l'importance des civics. En effet, les civics deviennent désormais des organisations incontournables dans de nombreux townships : leur rôle se politise davantage et leur importance croît parallèlement à l'effondrement de nombreux conseils municipaux délégitimés par les campagnes de désobéissance civile. "La lutte de libération" au sein des townships devient alors l'élément clé du combat national mené par l'opposition noire contre le système de ségrégation racial institutionnalisé. La meilleure représentation des civics au sein des instances de l'UDF à partir de 1985 reflète cette prise en compte de l'enjeu local qui devient un élément déterminant de la lutte contre l'apartheid.
De 1986 à 1989, les associations civiques entament une nouvelle phase marquée cette fois par une double orientation : les actions insurrectionnelles se maintiennent notamment à travers les appels au boycott des loyers qui n'expriment plus une simple revendication d'ordre pécuniaire comme ce fut le cas au début des années 1980 mais une contestation de l'Etat blanc dans ses instances politiques locales et nationales. Parallèlement à ces campagnes de désobéissance civile, la position de force acquise par les civics sur le terrain de la contestation de masse a contraint certaines structures étatiques et le milieu des affaires à entrer en négociation avec eux. Ainsi plusieurs municipalités blanches dont Port Alfred et East London ont proposé aux associations civiques locales de cogérer administrativement les townships. Cette proposition qui faisait l'objet d'un soutien actif de la part du monde des affaires fut certes sabotée par l'Etat central, mais il n'en demeure pas moins qu'elle accorde un véritable potentiel de légitimité aux organisations civiques.
Enfin de 1989 à 1992, les civics traversent une période charnière dans la mesure où ils se déplacent dans un nouvel espace politique dans lequel les règles de conduites sont ambiguës et conflictuelles. En effet, la normalisation politique proclamée en février 1990 a conduit à l'émergence d'une situation confuse provoquée par la restructuration des enjeux politiques et les mutations auxquelles sont contraintes toutes les organisations politiques et sociales. Tout en poursuivant leurs actions de délégitimation de l'Etat, les civics s'engagent dans une logique de négociation afin de participer au processus de reconstruction de la société et de l'Etat, qui commence à émerger à travers quelques ébauches et quelques projets non dépourvus d'ambiguïtés de la part du gouvernement de FW De Klerk. Le climat politique a néanmoins incontestablement changé et les civics semblent alors désireux de s'engager activement dans des discussions avec l'administration pour la reconstruction des structures sociales et des "local governement". C'est ainsi qu'en septembre 1990 un accord fut signé entre la Soweto People's Delegation, l'administration provinciale du Transvaal et une multitude de conseils municipaux (townships councils) de Soweto, qui subordonne la résolution des problèmes financiers de Soweto à une restructuration politique et financière globale. Cet accord stipulait d'autre part l'arrêt du boycott du paiement des loyers et des charges locatives et l'annulation des impayés. De même, en mars 1991, le civic d'Alexandra (Alexandra Civic Organisation-ACO) signe l'accord d'Alexandra avec l'administration provinciale du Transvaal et la ville de Johannesburg (Johannesburg City Council), qui prévoit la mise en place d'une autorité communale non raciale. En mai 1991, la Soweto Civic Association signe un accord global similaire avec les autorités de l'Etat et la municipalité de Johannesburg devant conduire à la constitution d'une structure métropolitaine unifiée.
Ces quelques exemples illustrent parfaitement la nouvelle orientation des civics dans la redéfinition de leur registre d'action. Cependant, peut-on conclure pour autant à l'existence d'un continuum s'étendant de la résistance active à la négociation ? Est-il vraiment possible d'identifier un passage d'une culture forgée dans l'insurrection à une culture de participation ? Une culture pensée en terme de développement et de compromis implique-t-elle le renoncement aux pratiques sociales antérieures ? Une logique d'action peut-elle se substituer totalement à une autre ou est-il possible que des logiques soient cumulatives? En fait, la réponse à toutes ces questions semble émerger si l'on envisage le problème sous l'angle des pratiques sociales et de leur dynamisme. En effet, ce sont à travers les pratiques sociales des civics ainsi qu'aux niveaux de la réalité sociale qui constituent leur lieu d'émergence, qu'il convient d'analyser les mutations d'une culture politique d'un mouvement social.
Si l'on s'en tient aux définitions des quatre catégories de pratiques sociales que George Balandier a identifiées, il s'avère que les civics ont eu recours à trois d'entre elles : la contestation, qui a pour "conséquence de provoquer une remise en cause de l'ordre social, résulte des pratiques qui contribuent à ébaucher une contre société". Cette pratique est aisément identifiable dans les actions des civics puisqu'elle constitue le substrat de leur existence (ainsi les boycotts des loyers, des transports en commun, le boycott électoral des autorités locales officielles) dans toutes les phases que l'on a identifiées au départ. Ensuite, il y a la stratégie dont les civics font usage afin de "maximiser les normes et les règles gouvernant les systèmes et les situations par lesquelles ils se manifestent, dans les limites de l'ordre existant". Cette seconde pratique peut être repérable durant la phase de normalisation au cours de laquelle les civics se sont engagés dans une logique de compromis. Enfin la manipulation constitue également une pratique usitée par les civics notamment au cours de la troisième phase (1986-1989) lorsqu'ils ont tenté de mettre à profit un rapport de force qui leur était favorable sur le terrain (ce rapport de force étant acquis à la suite de pratiques sociales de contestation) afin de négocier en position de force avec des interlocuteurs qui n'étaient en fait pas autorisés à négocier (cf. municipalités blanches de Port Alfred et d'East London en 1986). Dès lors, on peut parler effectivement de manipulation dans la mesure où les normes et les règles ne sont qu'en apparence respectées par les civics qui négocient avec des organes non représentatifs de l'autorité habilitée à négocier.
On peut déjà faire la constatation que la contestation occupe une situation dominante puisqu'elle est présente dans les quatre situations sociales déterminées. On peut se demander si la logique de contestation ne serait pas la forme d'expression privilégiée - mais aucunement exclusive - des organisations civiques qui chercheraient à articuler leurs intérêts dans leurs rapports avec les structures institutionnelles étatiques, et ce d'autant plus qu'il s'agit là d'une forme de mobilisation politique qu'ils connaissent parfaitement et qui leur paraît être la plus efficace? Dans ce cadre d'analyse, les civics sont tout à fait en mesure de faire coexister des modes d'action politique antagonistes dans n'importe quelle situation sociale donnée.
Peut être vaudrait-il mieux énoncer différemment cette analyse en opérant une distinction entre deux types de changement qui interviendraient dans la redéfinition de la "culture politique" des civics : d'abord un changement à travers lequel les civics adaptent rapidement leurs pratiques sociales ou leurs modes d'action politique, aux modifications constantes d'une situation sociale donnée. Dans cette perspective, le changement repéré dans l'usage des différentes pratiques politiques apparemment inconciliables des civics ne serait qu'un changement situationnel ou alternatif qui justifierait la combinaison de modes d'action hétéroclites. Le second changement que l'on pourrait identifier serait le résultat d'une séquence lente et unidirectionnelle impliquant une transformation du système social lui-même. Ce type de changement à sens unique est un changement historique que l'on peut aujourd'hui déceler dans le processus de démocratisation entamé depuis 1992.
En fait, si l'on cherche à approfondir la question, il semble bien que cette prédominance d'une pratique sociale axée sur la contestation renvoie à une sorte de logique unificatrice qui dépasserait l'explication faisant de l'efficacité et de l'expérience la raison principale justifiant le recours à ce type de mobilisation politique. Cette question pourrait trouver un début de réponse si on l'intégrait dans une approche sémiotique privilégiant une analyse orientée sur les significations et les codes sociaux. Il est ainsi possible d'envisager l'action sociale des civics comme le produit de symboles et de significations partagés par les acteurs sociaux. Cette vision, que l'on doit à C. Geertz qui fait de la signification dans l'action sociale le fondement de l'analyse culturelle, érige la culture en un code, c'est-à-dire un système de significations au moyen duquel "les hommes communiquent, perpétuent et développent leur connaissance et leurs attitudes se rapportant à la vie". Dès lors, il est possible d'émettre l'hypothèse selon laquelle la signification du politique pour les civics se cristallise autour du refus de ces structures sociales de la société civile de tirer leurs ressources politiques et sociales d'une dépendance à un Etat faisant de la recherche hégémonique (sous-jacente à l'idéologie de la construction et de l'unité nationales) le principe expliquant et validant la société. L'ensemble des pratiques populaires limitant et relativisant le champ étatique, participe ainsi à un même objectif : protéger le caractère plural de la société pour que celle-ci puisse s'engager dans une entreprise de réappropriation des structures étatiques, ce qui justifierait le maintien d'une logique contestataire non seulement dans la phase de normalisation mais également dans celle de la construction d'un Etat démocratique.
La question qui se pose maintenant consiste à déterminer les nouvelles pratiques sociales que doivent développer les civics dans ce nouvel environnement. En effet, si on admet que les civics n'ont pas changé de système de signification - la lutte contre tout projet étatique tendant à l'homogénéisation de la société et à la construction d'un Etat unitaire et coercitif - le processus de démocratisation suppose qu'ils inventent d'autres modes d'action susceptibles de construire un Etat qui soit pensé de manière plurielle à l'image de la société sud-africaine. Autrement dit, la logique que l'on a pu qualifier improprement de contestataire se doit d'emprunter d'autres canaux d'expression que ceux que l'on a identifiés dans les phases précédant l'entrée de la société sud-africaine dans un nouveau changement historique, afin que les civics puissent continuer à exister en faisant valoir leur raison d'être. Dans la mesure où le processus de démocratisation qui renvoie au changement historique unidimensionnel s'analyse sous l'angle du transfert et du partage du pouvoir en faveur de la majorité noire (cf. les élections générales d'avril 1994 et les prochaines élections au niveau local), les modes populaires d'action politique des civics expérimentés au cours des années quatre-vingts ne permettent plus de promouvoir la culture politique des civics (conçue comme le produit de symboles et de significations) sur le terrain de la reconstruction urbaine locale. Dès lors l'adaptation des civics à ce processus symbolique altérant les fondations de l'ordre social suppose qu'ils redéfinissent leurs actions afin de réintégrer leur culture politique dans le processus de reconstruction étatique.
L'ensemble de ces réflexions, finalement, remet en cause la problématique du passage d'une culture insurrectionnelle à une culture de compromis. En fait la culture de ces structures sociales doit être envisagée sous l'angle d'une valeur, davantage que d'une réalité en soi. Le concept de culture, dans ce cadre d'analyse, constitue une clé d'interprétation car il possède une valeur épistémologique. Dès lors, envisagée sous l'angle d'un système de signification, la culture politique des civics résulte de la conception qu'ils se font de leur propre histoire. En ce sens les civics constituent un pôle d'identification alternatif à toute logique coercitive et uniformisante de l'Etat. La "culture politique" des civics trouve de nouveaux développements aujourd'hui car elle semble répondre parfaitement aux enjeux posés par la reconstruction urbaine dans sa dimension économique, sociale et politique. En raison de leur culture politique, les civics ont une problématique légitime du développement, celle d'assurer à la fois l'autonomie de la société par nature plurale face à l'Etat, et la pluralité de l'Etat, en agissant à l'échelon local.
II/ Une logique identitaire s'affirmant sur le terrain des négociations
Dans le contexte de la transition démocratique marquée par l'auto-dissolution de l'UDF en août 1991, les civics se sont regroupés en structures régionale et nationale afin de s'affirmer politiquement comme des organisations autonomes et cohérentes, aptes à négocier avec les autres acteurs du système social. A cet égard, la création en septembre 1990 du Civic Associations of Southern Transvaal (CAST) regroupant 49 associations civiques constitue une véritable innovation puisque des civics construisent leur autonomie à travers des structures de coordination et d'organisation régionale. La création du Eastern Cape Civics Organisation (ECCO) en août 1990 procède de la même démarche et surtout la constitution d'une fédération nationale des civics (South African National Civic Organisation - SANCO) en 1992 engendre véritablement une dynamique forçant les civics à se définir davantage afin de pouvoir assumer les responsabilités sociales croissantes imposées par le développement urbain. Afin de se constituer en interlocuteur valable et crédible, les civics développent un programme capable de résister aux politiques de l'Etat en proposant une alternative concrète et identifiable.
Le programme national de SANCO s'articule autour des axes suivants :
- abolition des structures municipales raciales et établissement de structures démocratiques,
- redistribution de la terre et des ressources,
- unification des petites municipalités,
- métropolisation des structures des grandes villes,
- mise en place d'un programme d'action pour éliminer les écarts entre groupes raciaux, entre genres et classes,
- le processus de restructuration des autorités locales doit viser à renforcer les communautés locales et les organisations sur le terrain.
Cet ambitieux programme reflète l'état de la déstructuration urbaine et les conséquences de la planification urbaine raciale dans la mise en forme des villes sud-africaines qu'affrontent aujourd'hui les civics. Globalement, bien que quelques petites restructurations spatiales des villes aient pu être menées, les populations pauvres sont toujours à l'écart des opportunités économiques et il n'y a pas encore ou fort peu de recomposition des villes. Les zones urbaines sud-africaines sont extrêmement fragmentées et désagrégées, les aires métropolitaines sont parmi les moins denses du monde, alors qu'on y trouve, dispersées au hasard, des poches d'une densité extraordinaire, par exemple dans les zones informelles. Logés à la périphérie des périphéries, les nouveaux résidents des zones urbaines n'ont pas accès aux services sociaux, ni à une participation organisée et active au processus politique en cours. L'accès à des terrains reste l'un des principaux problèmes auxquels doivent faire face les civics qui veulent soutenir l'accès à la ville des populations les plus défavorisées. D'autant qu'il ne suffit pas de construire des maisons et des infrastructures ou d'offrir des services, il faut que les gens puissent emprunter, supporter des coûts récurrents et à terme rembourser. Autrement dit, il faut que les gens aient accès à des ressources grâce à des emplois, ce qui implique la mise en place d'un programme axé sur les besoins de développement productif et non pas seulement social.
Dès lors, si l'on peut mesurer, à travers ce très rapide état des lieux, l'ampleur des problèmes que doivent affronter les différents acteurs concernés par les enjeux du développement urbain, les solutions proposées reflètent une certaine divergence de vue. Afin de comprendre le positionnement des civics non seulement sur le plan des problèmes et des enjeux urbains mais aussi sur les projets de développement qu'ils négocient sur le terrain (cf. titre II), il convient au préalable d'examiner les visions du développement qui prédominent actuellement en Afrique du Sud. En effet, il semble bien que plusieurs visions du développement soient en "compétition".
La première vision accorde un rôle fondamental à la croissance et à la production qui génèrent la richesse. Cette conception réduit le développement à une croissance quantitative des rendements économiques, ainsi qu'à un certain niveau de la richesse nationale généré par un niveau général de la production. Selon cette approche, le développement est mesuré par certains indicateurs macro-économiques tels que le niveau de la productivité, le progrès technologique, le volume des transactions commerciales, l'investissement et la stabilité monétaire. Néanmoins, cette orientation basée sur la croissance n'est pas monolithique puisque deux tendances s'affirment en son sein : il y a d'abord une tendance ultra-libérale qui privilégie une approche fondée sur les effets d'entraînement de la maximisation de la richesse sur le niveau de la pauvreté ("trickle down approach") dont la logique repose sur le postulat que plus la richesse augmente, plus les secteurs les plus pauvres de la société en bénéficient. Les tenants de cette conception soulignent que l'augmentation de la croissance est conditionnée par la mise en place de réformes structurelles d'envergure - des programmes nationaux en matière d'éducation et de logement, l'instauration d'un système politique garantissant la liberté et la propriété -, susceptibles de laisser fonctionner sans entrave les lois du marché. La seconde tendance que l'on peut positionner plus "à gauche" sur l'échiquier politique lie les résultats économiques à l'élargissement du marché domestique, à travers la restructuration de la production industrielle et une relance de la demande par la consommation. Selon cette approche, la croissance procède d'une logique redistributive qui résulte d'une meilleure affectation des investissements et d'une relance de la consommation soutenue par l'Etat (logique keynésienne). Finalement, l'approche centrée sur la croissance, en restant dans sa globalité marquée par les principes et les mécanismes du marché capitaliste, se focalise exclusivement sur des questions dont l'enjeu est cloisonné par les lois du marché. Ainsi, cette approche ne peut non seulement prendre en considération les besoins de ceux qui sont structurellement marginalisés du marché mais surtout elle aboutit à renforcer le processus de marginalisation. Dès lors, quelle que soit l'orientation qui l'emporte, cette logique axée sur la croissance consolide la position des bénéficiaires du système économique au détriment des exclus, sans qu'aucun changement fondamental dans les relations de pouvoir ne puisse survenir. Cette vision du développement fait aujourd'hui l'objet d'un débat à l'échelon national et il semble bien qu'au sein de l'ANC sa variante keynésienne fasse quelques adeptes. Ainsi, comme l'affirme Nicoli Nattrass "between 1990 and 1992, ANC economy policy shifted from an emphasis on altering the level and pattern of demand (by boosting government spending and redistributing from rich to poor) as a means of promoting growth, to one which prioritised fiscal discipline and sustainable redistribution". Cette position plus amicale vis-à-vis du monde des affaires a pu être décelée lors de la conférence nationale de l'ANC où les slogans "growth through redistribution" et "massive injections of finance" ont disparu du programme économique du Congrès.
La seconde vision du développement en compétition, souvent qualifiée de "spend and service" par les organisations non gouvernementales, mesure les besoins ("need") des populations à travers une série d'indicateurs matériels tels que la malnutrition, le nombre de sans-abri, le chômage, l'analphabétisme, la sous qualification ou les carences en matière de santé. Cette approche s'organise autour de l'idée que la fourniture de biens et de services rencontre et satisfasse ces besoins et ce par le biais d'un programme financier dont la ligne directrice consiste en l'allocation massive de subventions et de prêts bancaires. La circulation des ressources emprunte inévitablement une voie verticale et descendante (top down), puisque le transfert des ressources s'effectue des importantes sources de financement nationaux et internationaux, vers les communautés locales pauvres. Néanmoins, il s'avère une nouvelle fois que deux courants transcendent cette approche. D'abord une orientation conservatrice subordonne l'allocation des ressources exclusivement aux projets générant des produits susceptibles de satisfaire les besoins élémentaires. En fait, il ne s'agit pas moins que de mettre en oeuvre une politique cherchant à égaliser les conditions sociales minimales, que les mécanismes de l'économie de marché ne sauraient adapter. L'effort est ainsi concentré sur les populations les plus défavorisées à travers une série d'interventions d'ordre matériel conçues pour accorder une chance égale à chacun. Cette approche s'avère être tout à fait compatible avec la vision du développement par la croissance puisqu'elle la complète, en se focalisant sur des besoins ignorés par le marché, de telle façon que les populations puissent s'intégrer dans les rouages de l'économie de marché. La seconde orientation au sein de cette approche partage l'idée que les ressources doivent être concentrées et dépensées. Néanmoins les points communs s'arrêtent là puisque ce deuxième courant considère que la politique qui consiste à fixer les conditions de vie à un seuil minimal ne saurait parvenir à ses fins sur la longue durée dans la mesure où le retour à l'économie de marché, une fois le seuil atteint, entraînera de nouveaux déséquilibres économiques et sociaux. En fait, ce second courant tient sans nul doute un discours assez radical, en suggérant que l'Etat a l'obligation morale d'assurer en permanence aux pauvres les besoins qui leur permettraient de sortir de la paupérisation. Si l'approche "spend and service" a le mérite incontestable de vouloir prendre en compte les populations structurellement exclues des perspectives de développement, il n'en reste pas moins qu'elle trahit une vision de développement très "classe moyennes" - tout au moins dans sa dimension conservatrice - inspirée par un mélange de libéralisme ("tous des entrepreneurs") et d'humanisme ("aidons les pauvres"). En effet, étant donné l'existence à la fois d'une classe moyenne blanche très à l'aise, dont une partie est progressiste et soutient le mouvement démocratique, et d'une classe moyenne noire à laquelle la nouvelle élite politique et militante appartient déjà ou va vouloir ressembler ("on a souffert, on a le droit d'en profiter"), il est à craindre, avec des projets partageant cette vision du développement, que la période à venir favorise surtout l'élargissement de cette classe moyenne. Finalement, ce qu'on pourrait le plus reprocher à l'ensemble de cette vision, c'est son refus de prendre en compte les relations de pouvoir et de reconnaître la nécessité de renforcer les compétences des communautés locales afin que celles-ci puissent réellement avoir les moyens d'agir et de réagir.
L'analyse de ces deux visions du développement, partagées globalement par les classes relativement aisées, démontre finalement qu'elles ne servent pas vraiment les besoins des populations pauvres mais plutôt les intérêts de ceux qui savent utiliser les structures de pouvoir existantes pour redistribuer les ressources, tout en préservant leur position économique et politique. Dès lors, il parait légitime de remettre en question la capacité de ces deux approches à faire de l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres la pierre angulaire de leurs propositions. Sans doute faut-il se poser la question de savoir si cette incapacité ne proviendrait pas d'un paradigme du développement insuffisamment défini par les acteurs en lice. En effet, si les deux orientations semblent adapter le "paradigme des besoins essentiels" associant le développement à la réalisation de deux objectifs - la croissance économique et l'éradication de la pauvreté - elles n'ont pas pris en considération la question de la représentation et du pouvoir à l'échelon où sévit principalement la pauvreté : les townships au sein desquels les civics détiennent le pouvoir et la popularité.
C'est alors qu'émerge une troisième approche qui se présente comme une alternative par rapport aux deux précédentes. Cette troisième voie, conçue par les civics, cherche à organiser le développement à partir de deux points de départ fondamentaux : premièrement, ce sont les communautés organisées qui doivent être le fer de lance du progrès social ; deuxièmement, les politiques économiques doivent être guidées par le principe de la redistribution. Le mouvement civique propose en fait une voie médiane entre une approche libérale tentée de substituer aux barrières raciales des barrières sociales, selon une logique urbaine à la "brésilienne" et une approche centralisatrice, verticale et descendante, faisant de l'Etat l'unique vecteur du développement. Ainsi les civics envisagent le développement :
- sous l'angle d'un processus et non à travers la quantité de biens et de services fournis à des consommateurs,
- sous l'angle d'une autonomisation des gens et des communautés par la formation, le savoir, la capacité d'agir et de s'engager effectivement à un échelon local,
- par l'exigence d'une production de biens qui soit soutenue et une juste redistribution de ces biens,
- la satisfaction des besoins essentiels et la continuelle amélioration du niveau de vie, pour autant que cela soit dans l'ordre du possible.
Les civics prennent ainsi appui sur leurs structures organisationnelles à l'échelon local, régional et national (SANCO) ainsi que sur un programme alternatif contenant quelques idées maîtresses, pour s'insérer dans le processus des négociations. En fait leur capacité à s'imposer comme des interlocuteurs incontournables semble bien reposer sur deux éléments : d'abord les civics restent avant tout concernés par les problèmes locaux, au niveau des townships, malgré leur représentation nationale à travers SANCO qui cherche aujourd'hui à concurrencer les partis politiques représentatifs du pays. On peut se demander si l'échelon local ne constitue pas finalement le point d'ancrage de la stratégie de développement national dans la mesure où l'Etat, s'étant rendu compte que le secteur privé ne peut pas faire face à la demande et surtout ne peut pas redresser les inégalités du passé, doit mobiliser des fonds pour satisfaire les besoins de ceux qui ne peuvent pas être concernés par l'offre du marché. Or l'Etat a besoin de négocier des modalités de la reconstruction urbaine avec des partenaires représentatifs et crédibles sur le plan local ; les civics en font pleinement partie dans la mesure où ils articulent les demandes économiques et sociales locales en les liant aux enjeux nationaux, ce qui a pour effet de les crédibiliser aux yeux du gouvernement et du monde des affaires. Par ailleurs, la délégitimation des Black Local Authorities par les actions de masse des civics pose le problème des institutions locales qu'il faut redéfinir. Le passé insurrectionnel des civics place ces derniers en position privilégiée pour négocier la démocratisation des autorités locales. Les civics se situent ainsi au confluent de deux logiques du développement qui s'enchevêtrent et qui se déterminent mutuellement : une logique économique et sociale et une logique politique et institutionnelle au niveau local. Le second élément érigeant les civics en véritables acteurs des négociations est leur capacité à proposer une vision du développement qui soit véritablement adaptée au problème de la pauvreté.
A travers ces deux éléments, deux questions émergent : la première consiste à se demander comment les civics parviennent à développer ou à construire une vision du monde qui leur soit commune, c'est-à-dire qui implique une transparence immédiate des catégories interprétatives ? La deuxième question que l'on peut émettre consiste à se demander comment des projets sociaux antagonistes - entre les civics et l'Etat, entre les civics et le milieu des affaires - peuvent-ils produire un système collectif d'interprétation ? En tant qu'ils agissent, les acteurs sociaux sont fondamentalement confrontés à des représentations qu'ils tentent de maîtriser pour s'adapter à leur environnement. Les civics sont impliqués de la même manière dans une même situation - la reconstruction locale et urbaine du pays - et leur rôle consiste à faire valoir leur légitimité à représenter les communautés de base auprès des instances étatiques, syndicales, politiques et patronales, de même qu'auprès de leurs propres communautés. Les civics jouent ainsi un même rôle et la relation qui s'instaure entre eux porte sur la nature de leur engagement. Or, dans la mesure où ils sont contraints de s'adapter à des circonstances semblables (le processus de démocratisation), la nature de leur engagement, décelée dans le rôle qu'ils ont à jouer, peut paraître tout à fait propice à l'établissement d'un projet de développement commun.
Quant à la seconde question, il faut se souvenir que si les acteurs du système social peuvent arriver à une conscience commune à partir d'expériences vécues dissemblables, l'édification d'un système collectif d'interprétation peut entrer en contradiction avec les représentations des acteurs, attachées à un rôle. Si la logique de compromis entre les différents acteurs engagés dans le processus de reconstruction peut aboutir à l'édification d'une vision commune, il n'en reste pas moins que pour être crédible, cette vision doit correspondre aux différentes orientations vécues par les protagonistes. La position privilégiée des civics sur les plans de la connaissance des besoins des populations et de la négociation des structures du gouvernement local les érige irrémédiablement en une force politique et négociatrice sur laquelle les acteurs doivent compter. C'est la raison pour laquelle les civics se situent en position de force dans la logique des négociations urbaines, leur vécu supplante celui des instances - qu'elles soient gouvernementales ou patronales et même syndicales - qui n'ont pas un semblable droit de cité dans les townships.
La mise en place des forums de négociation depuis 1992 a créé pour la première fois l'espace nécessaire pour que les civics, en tant qu'organisations représentatives parmi d'autres, puissent faire entendre leurs soucis et leurs aspirations à la table des négociations. Le développement de ces forums à l'échelon national, régional et local, portant sur des questions différentes, représente un changement dans le rapport des forces, dans le sens d'un affaiblissement du gouvernement qui a échoué à répondre concrètement aux besoins de la majorité du peuple. Ces forums, qui rassemblent les milieux d'affaires, les syndicats, le gouvernement, les organisations civiques, les partis politiques, en vue de négocier la définition des politiques et de tenter d'apporter des réponses immédiates aux communautés, sont ainsi clairement le fruit de la transition de l'apartheid à la démocratie. L'émergence d'un consensus - certes fragile - à propos des principes de la reconstruction et du développement urbain et d'un large cadre de politique urbaine, s'est opérée dans de nombreux forums multi-partisans à l'échelle métropolitaine - comme par exemple le comité de développement intérimaire de la région de Durban, la Chambre du central Witwatersrand - et nationale avec les National Economic Forum, National Housing Forum, National Electrification Forum, Local Gouvernment Negociating Forum. A l'échelon national, SANCO tente de représenter au mieux les intérêts des civics en cherchant à maximiser leur participation dans les négociations. Ainsi comme l'affirme le représentant de SANCO au National Housing Forum, Lechesa Tsenoli "we are continuing to look at maximising our participation. Recently, we developed a draft housing policy document which is being discussed by our regions. This will make up the framework for our input into the NHF". Au sein du NHF les civics sont parvenus à des accords de principe avec les autres participants : par exemple, il a été décidé que l'investissement public en logements et services pour les pauvres doit être orienté de plus en plus vers l'intérieur des villes, pour améliorer l'accès des pauvres à l'emploi et aux autres opportunités qui, historiquement, ont été concentrés dans les centres et les faubourgs contrôlés par les blancs. Les civics s'opposent à travers ce forum à ce que les terres de l'Etat soient vendues ainsi qu'à la restructuration unilatérale du secteur immobilier proposée par le gouvernement au début des années 1990.
Les civics se sont également affirmés sur le terrain des négociations dans le cadre du National Electrification Forum (NELF) lancé au mois de mai 1993. En effet, bien que l'objectif affiché du NELF soit de développer "a strategy that will lead to general access to affordable electricity for the population as rapidly as possible", les civics ont surtout manifesté leur pression sur les questions de l'exploitation et de la tarification de l'électricité. En effet, il semble bien que l'Afrique du Sud urbaine et pauvre des townships subventionne l'Afrique du Sud urbaine riche des anciennes villes blanches, tant les transferts de revenus entre la première et la seconde sont importants. Or c'est à travers l'exemple de la tarification des services urbains, notamment de l'électricité, que se manifeste cette aberration économique héritée de l'idéologie du développement séparé et qui lui survit. L'énergie électrique n'est pas en Afrique du Sud directement distribuée aux consommateurs par Eskom, la société productrice. Eskom la vend aux municipalités qui la facturent à leur tour à la population et aux entreprises. Schématiquement, la contestation des civics porte sur les deux procédés par lesquels l'électricité est fournie aux autorités municipales. Le premier, que l'on rencontre à Johannesburg et Soweto, est un système dualiste dans lequel les White local Authorities et Black local Authorities s'approvisionnent séparément en électricité auprès d'Eskom. Ce système d'approvisionnement pénalise les consommateurs placés sous le contrôle des BLA's pour des raisons tenant aux modalités de tarification qui ont pour conséquence d'accroître le coût de la consommation des ménages et d'alléger celui des entreprises industrielles. Or il se trouve que la municipalité de Soweto n'abrite pas d'entreprise industrielle, par conséquent, elle paie son électricité plus chère que celle de Johannesburg. Le second système peut être qualifié de système de dépendance : il permet aux white local authorities d'acheter de l'électricité auprès d'Eskom pour la revendre aux BLA's. Le cas de la ville blanche de Betoni est emblématique du fonctionnement d'un tel système qui reste de loin prépondérant en Afrique du Sud. Le WLA de Betoni achète de l'électricité à Eskom qu'elle revend à ses administrés d'abord, puis aux townships voisins - Wattville et Daveyton - qui doivent supporter non seulement les surcoûts nés de la gestion autonome de leur propre système d'alimentation mais aussi la marge bénéficiaire que Betoni réalise sur cette revente. SANCO s'est déclaré favorable à ce que Eskom fournisse directement l'électricité aux consommateurs qui devront la payer exclusivement à cette société, afin que les services et la tarification soient standardisés et que la société Eskom puisse étendre le réseau (environ 15 à 20 % des Noirs sud-africains ont l'électricité) en utilisant les paiements des consommateurs. Aussi longtemps que ce système perdurera - les WLA's et les BLA's souhaitent conserver le privilège de la distribution, source de revenus - le refus de payer l'électricité restera le mot d'ordre donné par les civics à l'échelon local : par exemple dans les anciens townships du Cap comme ceux de Langa, Gugulethu et Nyanga, 85 % des habitations pourvues en électricité laissent des arriérés de paiement considérables aux autorités locales. Certaines solutions ont été adoptées à l'échelon régional pour résoudre les problèmes d'accès et de coût de l'électricité : ainsi un forum régional sur l'électrification a été mis en place au Cap à l'initiative des civics. Ce forum est devenu par la suite un sous comité du Urban Development Commission of the Western Cape Economic Development Forum, qui maintient des contacts étroits avec le NEF. Dans le cadre de ce forum régional, les civics ont pris quelques initiatives pour négocier avec Eskom l'électrification de zones ayant connu une rapide urbanisation. Ainsi à Khayelitsha, le plus grand township du Cap, les autorités locales noires (the Lingelether West City Council - LWCC) complètement délégitimées auprès de la population, ne sont pas en mesure de fournir de l'électricité. Les civics ont alors négocié directement avec Eskom qui a accepté de procéder à l'électrification de la zone, avec l'autorisation de l'administration provinciale qui a été donnée. Les civics ont été ainsi des partenaires indispensables dans un programme visant l'électrification de 50 000 foyers en trois ans.
Finalement, si ces quelques exemples permettent de saisir la position privilégiée occupée par les civics au sein des forums de négociation, la question fondamentale qui conditionne leur maintien en interlocuteurs crédibles sur toutes les questions que nous venons d'aborder, a trait à leur capacité à s'insérer dans les négociations relatives aux structures du gouvernement local. En effet, les défis posés par la reconstruction urbaine ne pourront pas être relevés à l'échelle communautaire en l'absence de structures de gouvernement locales non raciales. Or, le contrôle des autorités locales a longtemps constitué une garantie pour le gouvernement blanc dans le processus cogéré des négociations nationales. Il faut garder à l'esprit que les répercussions concrètes de la reconstruction du pays sont beaucoup plus problématiques à l'échelon local, dans la mesure où l'unification progressive des administrations locales séparées engendre des coûts qui devront être supportés pour l'essentiel par les populations blanches. Dès lors, pour défendre ces intérêts, le gouvernement a toujours eu des positions pour le moins ambiguës tendant à encadrer les revendications légitimes des civics de façon à contrôler le processus des négociations.
C'est ainsi que le Interim Measures for Local Government Act voté le 27 juin 1991 s'inscrivait dans cette tentative d'imposer aux civics un cadre unilatéral dans les négociations. Cette loi s'est révélée être purement et simplement une législation anti-civic : ainsi elle subordonnait l'établissement d'un forum de négociation, chargé de discuter des nouvelles formes du gouvernement local, à la volonté expresse d'au moins deux administrations locales. Les civics n'étant pas reconnus comme des partenaires essentiels des négociations, cette loi amoindrissait leurs pouvoirs en subordonnant leur présence au bon vouloir des BLA's et des management commitees : comme l'affirment Graeme Reid et William Cobett, "if a BLA decided that, in its opinion, a civic was not representative of the community and therefore should not be represented on the forum, then that civic would not be appointed to the forum". Néanmoins, en dépit de la promulgation de cette législation cherchant à légitimer les autorités locales, les civics ont su résister aux pressions et ils se sont imposés comme des partenaires officiels dans les négociations, en ayant toujours recours aux méthodes qui ont fait leur preuve dans le passé - le boycott des loyers et des charges locatives privant de revenus les BLA's marginalisées.
De fait, les autorités administratives n'avaient pas d'autre alternative que de convier les civics au sein des forums, étant sous le joug de leur forte mobilisation sociale. La création de la chambre métropolitaine du Witwatersrand regroupant les villes de Johannesburg, Sandton, Randburg et Soweto a permis la mise en place de négociations concernant les futures institutions locales et le principe "à ville unique, base d'imposition unique" ("one city, one tax base") revendiqué depuis des années par les civics, a été admis pour la première fois. Il faut également souligner la création du Nothern Joint Negociating Forum qui rassemble les villes de Sandton, Randburg et Alexandra et dont l'objet des négociations est axé à la fois sur les problèmes d'amélioration des services et sur l'unification des structures municipales. A cet égard, les civics - à travers le Alexandra Civic Organisation (ACO) - sont en position de force au sein du forum puisque les villes blanches de Randburg et de Sandton se sont ralliées en 1993 aux positions de l'ANC que partage Richard Mdakane, le secrétaire général de l'ACO. Enfin s'il faut citer un dernier exemple emblématique de la capacité des civics à s'ériger en acteur/négociateur, les cas de Port Elisabeth et d'East London présentent un certain intérêt lorsque l'on considère que ces deux villes ont été parmi les premières à mettre en place les "One City Forum", en ayant pour principal interlocuteur les civics locaux. Ainsi, au sein du Port Elisabeth One City Forum, le civic local (Sanco's Port Elisabeth branch) est parvenu à un accord avec la municipalité à propos des structures locales intérimaires qu'il conviendrait de mettre en place. Cet accord prévoit la création d'un conseil interimaire (interim council) comprenant une assemblée unique composée de 40 représentants issus de l'ancienne administration (constitutionnal representatives) et de 40 autres représentants sans mandat officiel (non constitutionnal representatives). Il s'agit là d'une phase pré-électorale dans la mesure où les représentants sont des autorités nommées et non pas élues.
Finalement, il apparaît qu'à l'échelon local les autorités municipales ont été contraintes de négocier avec les civics qui n'ont aucunement été exclus des forums, comme le laissait présager la loi de 1991. Sans doute faut-il se demander si ce court-circuitage de la loi ne serait pas à l'origine de la mise en place du Local Government Negociating Forum en septembre 1992, qui officialise la prédominance des civics en les reconnaissant comme des partenaires à part entière, à égalité avec les administrations provinciales et locales. En fait, la constitution du LGNF témoigne de l'échec du gouvernement à régler les problèmes posés par la restructuration du pouvoir local : la décision d'organiser l'exclusion des civics au sein des forums ou simplement de leur faire jouer un rôle de figuration aurait eu pour conséquence d'aggraver la violence urbaine, qu'elle soit politique ou criminelle, et d'empêcher la création d'un environnement favorable au développement des négociations. Dès lors, la mise en place d'un tel forum pourrait peut-être participer d'une prise de conscience du gouvernement que les civics puissent être susceptibles d'aider à régler les conflits locaux et en premier lieu celui de la recomposition du pouvoir politique local. La tenue des forums locaux entre les civics et certaines structures officielles - notamment quelques municipalités blanches - a peut-être placé le gouvernement devant un fait accompli, le conduisant à accepter l'idée que ces lieux de gestation d'un nouveau contrat social impliquant la société sud-africaine dans ce qu'elle a de plus contestataire, permettaient de contrôler les politiques étatiques de restructuration des institutions.
Bien que la capacité de négociation des civics souffre d'un manque d'expérience dû à des carences en compétences, leur perception du devenir de la nouvelle Afrique du Sud sur le plan du fonctionnement de la démocratie locale, les rend crédibles et c'est sans doute pour cela qu'ils parviennent à acquérir une certaine pratique des négociations fortifiant leur représentation au sein des forums. Ainsi, SANCO est l'unique interlocuteur de l'Etat au sein du LGNF. Les négociations sont donc bilatérales ("a two-sided table"), ce qui a pour conséquence de positionner les civics en représentants du mouvement démocratique. SANCO est parvenu à faire des propositions qui ont amené le gouvernement à modifier ses positions antérieures. En effet, la question centrale sur laquelle les deux parties ont achoppé pendant plusieurs mois, était relative à la proposition de SANCO de remplacer les pouvoirs locaux actuels par des conseils intérimaires qui seraient nommés en attendant l'organisation des élections. Le ministre du gouvernement local de l'époque, Tertius Delport, s'est souvent montré inflexible à ce sujet, à tel point que SANCO l'a accusé de vouloir saper les négociations, comme en témoigne l'avertissement de Lechesa Tsenoli, le vice président de SANCO et son représentant au sein du forum : "should the government refuse to move on negociating interim appointed structures, we will be left with little option but use other methods to apply pressure on them". Finalement, le gouvernement acceptant la proposition des civics, a signé un accord avec l'ANC, "the Local Government Transition Bill", qui prévoit l'établissement de forums par les administrations et des comités multipartisans à un échelon régional, chargés de nommer de nouveaux conseillers municipaux. Le 20 janvier 1994, conformément aux dispositions de l'accord relatif aux pouvoirs locaux, le président De Klerk a ratifié le décret transitoire qui stipule que les autorités locales ont 90 jours pour organiser des forums de négociation qui devraient, à leur tour, mettre en place des conseils métropolitains transitoires multiraciaux supervisant jusqu'aux prochaines élections municipales les pouvoirs locaux actuels. Néanmoins, il ne faut pas s'attendre à ce que ce processus aboutisse rapidement et sans heurt dans la mesure où l'échelon local cristallise les intérêts de chaque protagoniste, qu'ils se manifestent à travers la position sociale (riches/pauvres) ou au niveau de la communauté (blanche/noire). Dans ce contexte, les associations civiques cherchent à maximiser leurs résultats déjà obtenus afin que leur conception de la démocratie locale puisse aboutir. Sans doute faut-il se demander si les reports successifs des échéances électorales locales ne manifesteraient pas davantage la capacité des civics à se faire entendre auprès des autorités locales et à faire ainsi avancer leur problématique du développement politique local, plutôt que l'âpreté des négociations en cours.
Au regard de leur capacité à s'ériger en interlocuteurs privilégiés dans le processus des négociations, en s'appuyant lorsque cela s'avère nécessaire, sur leurs modes d'action populaire spécifiques qui en font des acteurs relativement difficiles à contrôler, les civics ont démontré leur faculté à développer une logique de compromis. Néanmoins, et on a déjà pu le mesurer à travers les négociations qu'ils ont menées, la reconnaissance de leur vision du développement est étroitement liée à la question du positionnement politique qu'ils vont privilégier. En effet, la question reste de savoir si les civics peuvent être capables d'imposer leur problématique légitime du développement urbain sans s'affirmer dans l'arène politique comme des structures indépendantes, soucieuses avant toute chose de représenter les intérêts de leur communauté, pour peu qu'ils en aient les moyens. C'est la question qu'il convient de tenter d'élucider maintenant.
Chapitre 2 : une nouvelle forme de représentation politique qui cherche à s'affirmer au sein d'une réalité sociale éclatée.
Si les associations civiques parviennent à se positionner au sein des stratégies de négociations menées par les acteurs sociaux au sein des forums de développement, encore faut-il qu'elles puissent faire triompher leurs revendications. Or toute négociation suppose une évaluation précise des enjeux, c'est-à-dire des intérêts à défendre, ainsi qu'une connaissance aussi exacte que possible des atouts dont chaque partie dispose pour faire pression sur l'autre. En ce sens, la négociation est la ritualisation du rapport de forces dont le résultat est normalement une légitimation accrue du nouvel ordre qu'elle instaure. C'est tout l'enjeu de la capacité des civics à combattre les visions du développement négligeant les aires privilégiées du sous-développement (i.e. approche axée sur la croissance et la vision "spend and service"), autrement dit celles qui nuisent aux intérêts des communautés qu'ils représentent, que de définir leur positionnement politique et leur identité sociale. La négociation est un art difficile qui exige de posséder des soutiens forts, en l'occurrence ceux des populations des townships ainsi qu'une logique politique adéquate. Le problème consiste en effet à déterminer l'option politique choisie par les civics pour promouvoir au mieux les intérêts qu'ils défendent. En fait, la véritable question qu'il faut vraiment se poser ne serait-elle pas de savoir si le positionnement politique des civics sous-jacent à leur volonté de s'insérer dans une logique de compromis par le biais des forums locaux, régionaux et nationaux, n'obéirait pas à une autre logique, beaucoup plus insidieuse, celle de dépasser leurs faiblesses structurelles et particulièrement une certaine carence identitaire ?
I/ Une volonté affichée de demeurer des "chiens de garde" (watchdogs) de la communauté vis-à-vis des structures gouvernementales
Les associations civiques sont aujourd'hui confrontées à un processus de développement leur imposant de clarifier et d'affirmer une position politique. En effet, l'engagement dans une logique de négociation impose que les civics modifient leur nature : jusqu'à la normalisation politique intervenue en 1990, leur pratique politique était principalement axée sur une opposition systématique aux initiatives du pouvoir blanc et surtout le combat mené contre le système raciste de l'apartheid cristallisait les diverses orientations idéologiques de leurs membres pour les cimenter. Aujourd'hui ils doivent adapter une stratégie politique leur permettant de valoriser une vision alternative du développement auprès de leurs partenaires. Cette question est au coeur de la redéfinition des civics dans la mesure où elle touche aux fondements de leur identité et par conséquent à leur raison d'être.
Il faut d'abord savoir que les civics font l'objet de convoitises politiques dans la mesure où ces mouvements véhiculent une culture politique produisant une ressource de mobilisation politique et sociale au niveau de la communauté de base. En fait, la capacité des civics à négocier à l'échelon local - municipal et métropolitain - le développement urbain, en fait des acteurs essentiels car à travers eux, les principaux partis politiques du mouvement démocratique (l'ANC, the South African Communist Party et the Pan-African Congress) peuvent espérer prendre le contrôle de toutes les instances de négociation se situant à l'avant garde du processus de reconstruction de la nouvelle Afrique du Sud. Moses Mayekiso, président actuel de la fédération nationale des civics l'a emporté sur un candidat issu de l'ANC, lors de l'élection à la présidence de SANCO. Or il est intéressant de souligner qu'il est membre du comité central du Parti Communiste sud-africain (SACP). Le fait de jouer simultanément sur deux registres politiques peut prêter à confusion. Par ailleurs, les relations entre les civics et l'ANC représentent également une question délicate à gérer dans la mesure où l'ANC cherche à les contrôler à travers une approche pragmatique et non centralisatrice. Ainsi, dans certaines régions comme au Natal, des sections locales de l'ANC ont essayé de minimiser l'action et le rôle des civics en ne les soutenant que lorsque l'ANC ne se sentait pas capable de pouvoir l'emporter lors des négociations relatives à la restructuration du pouvoir local. Depuis la formation d'un gouvernement d'unité nationale ANC/NP, le pouvoir est partagé entre les deux principaux partis politiques qui sont parvenus à un consensus structurant sur l'avenir du pays. Dès lors, la question se pose de savoir si l'accord ANC/NP ne verrouillerait pas à l'échelon local le champ des initiatives politiques, étant donné la possibilité que la structure du pouvoir central soit reproduite à l'échelon local. Dans ce contexte, les civics envisagent de faire pression sur le gouvernement actuel afin que celui-ci élabore des politiques adéquates d'amélioration du niveau de vie des plus pauvres ainsi que sur les gouvernements régionaux désormais responsables de l'allocation des ressources locales existantes aux problèmes immédiats de la pauvreté. Il semble donc que les civics cherchent à s'orienter dans une voie non partisane pour demeurer des "watchdogs", des "chiens de garde" de la communauté, pour reprendre une expression courante en Afrique du Sud. Ainsi lorsqu'on interroge Pat Lephunya, secrétaire général du Soweto Civic Association, sur la signification de cette expression, sa réponse est emblématique d'une forte conviction concernant l'acuité de la question de l'indépendance des civics : "The SCA will continue to represent the interests of Soweto Residents on a non partisan basis. As a people's organisation, we will be able to lobby government structures to ensure that people's needs are met. A democratic government does not mean people's needs will be met. The legacy of apartheid will remain with us".
Néanmoins, cette volonté aura besoin de se prouver dans un avenir assez proche, c'est-à-dire lorsque les élections locales auront été organisées. En effet, sur ce dernier point, les discussions relatives à la mise en place de nouvelles autorités locales, après la période actuelle de transition, provoquent une certaine crise d'identité des civics. S'ils souhaitent rester des "watchdogs" des intérêts de la communauté qu'ils représentent, ils doivent définir leur position à l'égard du pouvoir local : soit les civics se consolident sur une base non partisane et restent ainsi en dehors du gouvernement local; soit ils décident de former des alliances avec les groupes politiques qu'ils jugent les plus proches de leur position tout en restant à l'écart de toute participation au gouvernement local; soit ils choisissent de rester indépendant de tout parti politique mais décident de présenter leurs candidats aux prochaines élections locales. Cette question constitue un véritable enjeu dans la mesure où les civics, en raison de la nature de leurs actions sur le terrain de la reconstruction urbaine (cf. titre second) ont potentiellement la capacité de s'ériger en pouvoir local.
S'il apparaît impossible à l'heure actuelle de clarifier quelque peu le choix optionnel que devra gérer le mouvement civique - les élections locales n'ayant pas encore eu lieu -, il n'en demeure pas moins qu'on peut se poser la question de savoir si la constitution d'une démocratie locale ne menacerait pas l'existence pure et simple des civics ? Ces élections locales, dont l'importance se mesure à travers l'âpreté des négociations pour leur mise en place, amputeront en effet les mouvements civiques d'un fondement essentiel de leur légitimité, à savoir la totale illégitimité des BLA's. Par ailleurs, l'instauration d'une démocratie locale implique l'intrusion du jeu politique par le biais des partis politiques qui apparaissent comme des instruments de socialisation, c'est-à-dire qu'à travers eux, on a accès à l'apport de professionnels, à des informations légales et techniques, à un système de relations qui permet de faire pression sur l'administration. Par ce biais, un parti politique comme l'ANC constitue un réseau qui protège les individus de l'isolement et augmente l'efficacité, puisque les acteurs de la représentation populaire inscrivent leurs expériences démocratiques dans la volonté de combattre la pauvreté et l'exclusion. Dans ce cadre d'analyse, les civics peuvent perdre leur légitimité et leur raison d'être.
Cependant ils ont des raisons d'espérer car, finalement, dans le contexte d'une situation sociale explosive, une élection locale, en tant que principe représentatif, n'a-t-elle pas en fait pour fonction de limiter l'intervention du peuple au seul acte électoral ? Le défi de la pauvreté est considérable en Afrique du Sud, c'est la raison pour laquelle le processus de recomposition du tissu social et urbain empruntera pour un temps encore une voie erratique et sinueuse, favorable à un phénomène de distanciation de la part des sud-africains par rapport à l'Etat et aux appareils nationaux. Cette distanciation potentielle des populations exclues du développement économique et social, celles des townships, des zones d'habitat informel et des squatts, n'est pas pour autant significative de dépolitisation, car, si la plupart du temps elle pourrait constituer un désintérêt pour un niveau sur lequel on n'a pas de prise (celui de l'Etat), ne pourrait-elle pas être également corollaire d'un regain de participation aux civics se donnant pour tâche de représenter leurs intérêts ? La question mérite d'être posée car si tel était le cas, le rôle de surveillance et de vigilance des civics à l'égard des structures gouvernementales assurerait sans aucun doute leur indépendance et leur existence à long terme.
Ce rôle de surveillance et de vigilance des associations civiques vis-à-vis de l'Etat tente aujourd'hui de s'exprimer à travers quelques initiatives prises à l'encontre de certaines structures administratives ayant vocation à fournir les services élémentaires aux populations. C'est ainsi qu'en 1992, en réaction à l'incapacité du conseil régional des services du Natal (the Development and Services Board-DSB) d'accomplir sa mission, douze associations civiques situées dans l'aire régionale du DSB se sont regroupées pour former le Incorporated Civic Association of Development and Services Board Areas (ICADA). Le DSB est un organisme ayant en charge la responsabilité d'administrer et de fournir des services dans 91 zones du KwaZulu/Natal. Il dispose du pouvoir d'édicter des règles, au même titre que les autorités locales municipales et son domaine d'intervention en fait certainement la plus importante autorité locale de toute la province du Natal. Cette association de civics s'est formée pour constituer un pouvoir fort face au DSB, capable d'assumer son indépendance s'exprimant à travers le canal privilégié de la protection des intérêts des civics affiliés à l'ICADA. En fait, il semble que la stratégie de ce mouvement consiste essentiellement à soustraire un maximum de zones d'habitat à l'autorité du DSB et de se substituer à cette structure étatique pour fournir les services élémentaires tels que l'eau, l'électricité, les sanitaires. L'ICADA se pose ainsi en une forme alternative de gouvernement local soucieuse avant tout de soulager les populations marginalisées et les besoins des plus nécessiteux, sans pour autant absoudre les autorités gouvernementales de leur devoir : "It is not the intention of ICADA to absolve the state or the local authorities of these functions, but we believe that under the circumstances, the provision of services by the communities are feasible and more reasonable".
L'enjeu de l'indépendance des civics vis-à-vis des autorités gouvernementales est également traversé par les problèmes de financement. En effet, si les civics ont constitué pendant longtemps un canal privilégié par lequel transitaient des financements internationaux (puisque les Etats et les organisations désirant soutenir le mouvement anti-apartheid ne pouvaient pas le faire autrement qu'au travers des associations), la question de leur financement est aujourd'hui problématique à la fois parce que les moyens pourraient diminuer par reconversion en financements étatiques et parce que les canaux vont se repositionner. Richard Mdakane, secrétaire général du Alexandra Civic Organisation, fait justement remarquer que "if the civic movement relies on government for survival, it will be difficult for them to retain their independance". En raison de leur popularité, de leur légitimité à représenter les intérêts des communautés de base et de leur capacité à mobiliser des soutiens actifs parmi ces mêmes communautés (cf. titre II), certaines associations civiques engagées dans le processus de reconstruction sur le terrain, sont courtisées par les agences de développement (par exemple l'Urban Foundation), les ingénieurs, les urbanistes et par les fonctionnaires locaux. En fait, tous sont désireux de voir leurs projets approuvés par le civic local puisque sans l'autorisation du civic, aucun projet de développement ne peut vraiment déboucher sur une réalisation concrète. Or il arrive fréquemment que certains entrepreneurs mal intentionnés, profitant d'une situation où la plupart des leaders officiels des civics sont des volontaires et qu'à ce titre ils ne sont pas rémunérés pour accomplir leur fonction, tentent purement et simplement de les corrompre afin d'obtenir leur accord sur un projet déterminé. On peut aisément comprendre que ces offres financières puissent rendre vulnérables certains de ces leaders. Par ailleurs, certaines contributions, étatiques cette fois, sont susceptibles de rendre les civics extrêmement attentifs à leurs revendications. Ainsi, on peut citer à titre d'exemple le cas du civic de Johannesburg (the Civic Associations of Johannesburg) qui a perçu une somme de 100 000 rands de la part de la chambre métropolitaine du Witwatersrand contre leur engagement de participer aux négociations se déroulant au sein de la chambre. Dans le même registre, le conseil général des services de l'East Rand (East Rand RSC) a offert de l'argent aux civics locaux afin qu'ils puissent participer au forum de développement. Ce financement étatique peut compromettre singulièrement l'indépendance des civics dans la mesure où des considérations pécuniaires peuvent orienter certaines prises de position et décisions émanant des civics.
Certaines initiatives concernant l'autonomie financière des civics sont encouragées sur le plan local. Comme l'affirme Moses Mayekiso "Civics can negociate their own approach as long as the agreement is clean and the person is not bought by the institution". C'est ainsi qu'à Tembisa, le civic local discute d'un projet prévoyant de lever un impôt sur chaque ménage du township afin de financer les coûts de fonctionnement du civic. Cet impôt serait collecté par les autorités locales de Tembisa et ferait partie intégrante des charges de service que devront payer les résidents, une fois que le boycott des loyers et des charges locatives aurait cessé. Si ce système présente l'intérêt de permettre aux organisations civiques de s'autofinancer sans avoir recours à un financement extra-communautaire, il n'en reste pas moins qu'il a pour conséquence d'affaiblir leur légitimité. En effet, étant donné que c'est la municipalité (local council) qui procède au recouvrement de la somme versée par les populations du township, le civic se retrouve en position de dépendance vis-à-vis de l'autorité locale censée lui verser la totalité du montant : dans cette situation en effet, le civic peut difficilement recourir aux boycotts sans tarir ses propres sources de financement. Par ailleurs, cette solution a pour conséquence d'imposer le paiement de la taxe à l'ensemble des résidents, qu'ils soient membres ou non du civic. Or il apparaît que la responsabilité qui incombe aux civics à l'égard des résidents ne soit pas de même nature que celle incombant aux syndicats à l'égard des travailleurs. Il semblerait, en effet, que la notion de communauté au sein d'un township recouvre des intérêts extrêmement divers, à l'image des résidents qui constituent un groupe beaucoup moins homogène sur le plan des intérêts à défendre, que celui des ouvriers au sein d'une même entreprise.
En définitive, la question de l'indépendance des civics constitue un enjeu considérable pour les mois à venir et elle justifie la ligne d'action d'une volonté de demeurer des "watchdogs". Néanmoins, il est nécessaire de lier cette ligne d'action à la question de savoir comment les associations civiques comptent résoudre les contraintes qui s'imposent aujourd'hui à elles et que les autorités locales ont dû affronter en leur temps. Les municipalités noires (township councils) ne pouvaient pas espérer parvenir à répondre aux besoins des populations en raison de leur position politique et des moyens financiers mis à leur disposition : les BLA's étaient avant tout des autorités responsables mais sans pouvoirs ("responsability without power") puisqu'elles étaient tenues pour responsables de l'échec des politiques appliquées dans les quartiers, sans pour autant disposer du pouvoir de remettre en cause ces politiques, compte tenu de l'accès limité aux ressources qui prévalait alors dans les township et qui perdure aujourd'hui. Au regard de l'engagement des civics dans le processus de recomposition du tissu social et urbain, leur indépendance partisane ou politique peut-elle suffire à résoudre ces contraintes ? Les civics doivent s'ériger en autorités responsables, capables de soutenir et de réaliser un projet alternatif de développement. La neutralité partisane est-elle un vecteur légitime d'indépendance ? La véritable indépendance consiste-t-elle seulement à rester des chiens de garde des intérêts de la communauté ? Cette volonté de préserver ce rôle de surveillance et de vigilance des civics à l'égard des structures politiques gouvernementales ne serait-elle pas plus directement adaptée au problème de la fragmentation de la société urbaine qu'à celui de développer les zones urbaines appauvries ? Il semble en effet possible d'imaginer que l'insistance des civics à se prévaloir d'une indépendance conçue en termes de neutralité partisane et de vigilance à l'égard de l'ensemble des acteurs sociaux engagés dans le processus de reconstruction, obéit à une logique de recomposition et d'intégration des pouvoirs, des populations et des communautés résidant dans les zones urbaines fragmentées.
II/ Une représentativité des associations civiques amoindrie par une société urbaine fragmentée
La planification urbaine de l'apartheid a généré des segmentations identitaires profondes qui perdurent aujourd'hui en milieu urbain. Il en résulte une situation sociale extrêmement fragmentée, faisant de la notion de communauté - que les civics sont supposés représenter - un élément fragile, difficilement identifiable si on le considère comme homogène. Les associations civiques ont joué un rôle déterminant dans le démantèlement des structures de l'apartheid, en s'imposant comme une force sociale urbaine représentant les populations de base au niveau des townships. Néanmoins, si les civics ont recouru à l'identité communautaire comme instrument de lutte contre les administrations locales - les civics ont toujours proclamé représenter "la communauté" -, il n'en reste pas moins que la réalité communautaire sud-africaine est avant tout plurielle. L'unité d'autrefois générée par la lutte contre l'oppression fait place à des divisions, des divergences croissantes parmi les différents groupes, imposées par la logique de reconstruction. Il convient en effet de ne pas céder à la tentation de traduire des modes populaires d'action politique très éclatés, en modes d'action homogènes d'une catégorie sociale prédéterminée, en l'occurrence "la communauté". Autrement dit, le fait de vouloir homogénéiser des comportements locaux composites pour les généraliser à un groupe social pré-défini peut indéniablement conduire à masquer les véritables enjeux qui sous-tendent la redéfinition des civics. Dès lors, si les civics affirment représenter les intérêts des communautés urbaines en agissant en leur nom, il faut se garder de ne retenir de la définition de la communauté que le concept de catégorie sociale et politique qu'on assimile à la réalité sociale à décrire. C'est la raison pour laquelle il parait nécessaire d'analyser la représentativité des civics sous l'angle d'une réalité urbaine extrêmement variée, soumise à de nombreux conflits dans lesquels les civics sont parfois directement confrontés.
Les zones urbaines sud-africaines sont traversées par des tensions ethniques exprimant en réalité des rivalités sociales entre les "résidents permanents" des townships, les travailleurs des hostels, les habitants des zones informelles et les squatters. Cette situation sociale reflète la permanence d'une croissance urbaine fondée sur le principe de ségrégation, avec des townships officiels dans les zones métropolitaines et les petites villes, avec des installations officieuses dans et autour des townships officiels ou encore avec des occupations illégales dans les banlieues blanches des grandes zones métropolitaines. Au regard de cette structure urbaine éclatée, "la communauté" ne pouvait apparaître comme une entité homogène, et par conséquent, la représentativité des civics au sein des zones résidentielles ne peut être que partielle.
La réalité communautaire semble confirmer cette affirmation dans la mesure où les civics jouissent surtout d'une forte popularité dans les anciennes aires d'habitation construites dans les années cinquante et soixante alors que leurs soutiens sont moindres dans les zones résidentielles informelles au sein et à l'extérieur des townships ("shack settlements" et "backyard shacks"), dans les hostels ainsi que dans les zones d'habitat supplémentaires hors des centres-ville, à la périphérie des ensembles métropolitains. On peut se demander si cette distribution spatiale de la représentativité des civics ne refléterait pas la façon dont ils perçoivent la communauté. En effet, l'idéologie communautaire en Afrique du Sud imprègne largement la société civile à travers l'ensemble des productions discursives du pays. Tous les groupes sociaux se réfèrent au communautaire car la représentativité de la communauté est fondatrice et légitimatrice à la fois des logiques de l'apartheid et des perspectives de post-apartheid. Dès lors, les organisations civiques ne cherchent-elles pas à fonder leur opposition à l'Etat d'hier (i.e. le système de l'apartheid) et à celui d'aujourd'hui (i.e. le gouvernement d'union nationale transitoire) en se référant à la notion de communauté ? Autrement dit, la communauté n'exprimerait-elle pas avant toute chose une stratégie oppositionnelle à l'Etat? Ne serait-elle pas la manifestation d'une identité qui cherche à s'affirmer contre les structures étatiques ? Ne serait-elle pas perçue comme une méthode d'action plutôt que comme principe légitimant l'action des civics ? La culture politique des civics jusqu'au début des années quatre-vingt-dix semble attester du caractère plausible d'une telle hypothèse. Or tout l'enjeu de la redéfinition des civics, pour qu'ils puissent exprimer autre chose qu'une culture de survie, réside aujourd'hui dans leur faculté à devenir des organes représentatifs des intérêts communautaires et des communautés. Par ailleurs, pour quelles raisons l'influence des civics serait-elle plus importante dans les townships "officiels" que dans d'autres zones résidentielles ? Car si les civics représentent la communauté des townships, cela signifie en pratique qu'ils défendent les intérêts des résidents déterminés, coordonnés et bien formés, autrement dit des populations tout à fait convaincues d'agir pour une juste cause, celle de l'éradication de la ségrégation raciale urbaine et de la pauvreté chronique qui en est la conséquence directe. En revanche, certaines organisations communautaires de base dont l'orientation conservatrice et populiste ("the conservative township organisation") les rend à la fois plus "compréhensifs" à l'égard des autorités de l'Etat et paternalistes vis-à-vis des populations complètement marginalisées au sein des townships, bénéficieront de soutiens plus actifs parmi les femmes, les résidents des zones officieuses et les "plus pauvres".
Dans les installations informelles (shack settlements), la faible représentation des organisations civiques s'explique par le poids grandissant exercé par les "squatter lords" qui s'érigent en véritables rivaux des civics. Ainsi la ville du Cap, qui connaît une croissance urbaine sans précédent avec l'arrivée de 7000 migrants par semaine s'installant dans des abris de fortune, est-elle l'objet de constantes tensions et de conflits ouverts occasionnels entre d'une part, les leaders de ces camps de squatters et les associations civiques situées dans les townships officiels, d'autre part. C'est ainsi que la création en janvier 1989 de la Western Cape United Squatters Association (WECUSA) a constitué une réponse aux menaces de la jeunesse de Khayelitsha (s'exprimant par le canal du Cape Youth Congress) qui dénonçait l'illégitimité du comité de Masincedane gouvernant le Khayelitsha Township Council (KTC) et qui réclamait dès 1983 la présence d'un civic au KTC. L'organisation des squatters (WECUSA) est donc entrée en conflit avec le représentant de SANCO au Cap, the Western Cape Civic Association (WCCA) dirigé par Johnson Nxobongwana, qui bénéficie non seulement de soutiens dans les townships mais également au sein du camp de squatter de Khayelitsha. Cette lutte entre deux organisations communautaires de base a pris un nouveau visage lorsque SANCO a manifesté la volonté de procéder à l'unification des quatre principales organisations communautaires du Cap, à savoir the Cape Areas Housing Action Committee (CAHAC) qui regroupe environ quarante civics, the WCCA, the WECUSA et the Western Cape Hostel Dwellers' Association (WCHDA). Ce projet de restructuration organisationnel n'a pu aboutir en raison des conflits opposant CAHAC et SANCO soutenu par WCCA et savamment attisés par WCHDA et WECUSA, lequel s'est finalement retiré de ce processus.
En fait, cet épisode révèle la complexité de la situation communautaire car plusieurs niveaux d'affrontement peuvent être identifiés. D'abord, un premier niveau apparaît à travers les tensions entre l'organisation des squatters et les civics : Enoch Madywabe, secrétaire général du WECUSA exprime ce conflit latent qui règne entre son organisation et WCCA : "We feel they should organise in the brick areas and leave us to organise among the squatters. We need to get together to demarcate areas for organising but it is not easy to discuss matters". Ensuite, il est possible de situer le second niveau d'affrontement dans les rapports qu'entretiennent les civics avec les résidents des hostels. Ces résidents se sont toujours sentis marginalisés et écartés par les civics qui ne les consultaient que très rarement sur l'opportunité d'organiser des grèves. C'est la raison pour laquelle une certaine suspicion et animosité mutuelle prévaut lorsque les civics et les organisations des hostels décident d'unir leurs intérêts. Cette méfiance est tout à fait visible lorsque les structures des hostels préfèrent s'abriter derrière des associations civiques organisées à l'échelon régional plutôt qu'à l'échelon local : c'est le cas par exemple de quatre hostels de Durban qui se font représenter à travers le Southern Natal Interim Civic Committee, ainsi que des hostels du Cap qui ont tissé des liens avec une association civique régionale, à travers une structure de coordination, the Hostel Dwellers Association.
On le voit, la notion de communauté en milieu urbain recouvre de multiples facettes que façonne une certaine compartimentalisation des intérêts des populations des townships. A cet égard, la présence au sein d'un même township de plusieurs associations communautaires de base témoigne des divergences d'intérêts qui traversent les communautés. Ainsi plusieurs civics peuvent cohabiter au sein d'un township comme celui d'Alexandra. L'organisation civique d'Alexandra (ACO) est ainsi confrontée à l'émergence d'autres organisations similaires qui affirment représenter les résidents : il s'agit du East Bank Residents' Association (EBRA) qui oriente essentiellement son action autour du paiement des loyers, et de la Alexandra Property Owners' Association (ALPOA) qui revendique le droit de récupérer les terres ayant fait l'objet d'une procédure d'expropriation censée répondre aux problèmes posés par l'immigration massive en milieu urbain. Par ailleurs, les associations civiques doivent compter avec les associations de paiement des loyers (Rate-payers associations) qui représentent les intérêts de la classe moyenne noire parvenue à un certain niveau d'embourgeoisement : "a lot of rate-payers associations will continue on their own route and not with the civics, because in many cases their interests are very different. They represent upper middle-class constituencies with a whole lot of fears".
La société urbaine sud-africaine est donc traversée par de nombreux clivages et par des zones d'identification multiples, qui conduisent à amoindrir le soutien communautaire des civics. Cette réalité communautaire mouvante, à géométrie variable, se polarise finalement sur des conflits d'intérêts : "the fact that people live in a particular residential area - even if it is one in which they were forced to live - does not dissolve the real interest differences between them. Le problème que pose cette question a trait en fait à la montée de la violence sociale dans les townships (considérés ici au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des zones résidentielles noires) qui est emblématique d'une exacerbation des clivages sociaux qui s'affirment avec davantage d'acuité lorsque s'ouvrent des perspectives économiques nouvelles par le processus de reconstruction du pays. Les clivages communautaires risquent ainsi de s'approfondir dans la mesure où ils traduisent une lutte pour l'obtention de ressources dont les conditions d'accès déterminent les logiques d'affrontement entre les acteurs. Les rivalités économiques et sociales entre ceux qui détiennent des ressources (accès à la terre, à l'habitat, aux services urbains - eau, électricité, égouts -) et ceux qui aspirent à les détenir, la réalité d'une immigration urbaine massive non contrôlée attisant les conflits dans un contexte de rareté économique et les garanties octroyées aux catégories sociales favorisées, par le gouvernement de transition, ne pouvait qu'attiser "les luttes sociales qui opposent squatters et résidents des townships, résidents des townships et travailleurs des hostels, habitants des zones résidentielles et squatters...".
Confrontés à cette situation urbaine extrêmement fragmentée et segmentée, les civics sont néanmoins parvenus à s'organiser et à s'adapter pour négocier avec les instances étatiques de l'ancien et du nouveau régime. En s'imposant comme des acteurs incontournables du processus de reconstruction urbain auprès de leurs interlocuteurs gouvernementaux et patronaux, les associations civiques se sont en quelque sorte présentées en représentants des populations les plus défavorisées. Leur faculté de proposer un "projet de société" alternatif, prioritairement centré sur le problème de la pauvreté et de la paupérisation urbaine, leur octroie une légitimité potentielle à représenter l'ensemble des communautés urbaines dans leur diversité. Néanmoins, cette ambition de constituer un mouvement social urbain qui couvrirait l'ensemble des revendications urbaines, exige pour être une réalité tangible, que les civics parviennent à surmonter les obstacles de la fragmentation et de la segmentation de la société urbaine. Le positionnement politique des civics (i.e. la neutralité partisane en demeurant des "watchdogs") qui s'inscrit directement dans leur culture politique, telle qu'on l'a défini au chapitre premier, leur permet de camoufler les divisions de la société urbaine et par conséquent leurs difficultés à représenter l'ensemble des intérêts en présence dans les townships. Car la question cruciale que pose le processus de développement urbain est de savoir si les civics ont la faculté de devenir le vecteur d'unification des intérêts de l'ensemble des individus, des groupes et des communautés composant la réalité urbaine. Autrement dit, comment comptent-ils transformer leur légitimité potentielle acquise au travers des négociations, en légitimité réelle ? Car finalement, les associations civiques disposent d'un atout considérable qui leur a permis de se constituer en acteurs/négociateurs crédibles et valables, celui d'abriter en leur sein de multiples identités à tous les niveaux territoriaux et politiques. La fragmentation de la société urbaine peut en effet constituer une explication plausible d'une telle situation : les civics reflètent une réalité communautaire qui cherche à se prouver et qui varie d'une situation à une autre. C'est pourquoi les civics cumulent en leur sein des identités à la fois horizontales (les communautés au sein des townships, une indépendance partisane) et verticales (intérêts associatifs divers ; classes sociales - entre les classes moyennes, la classe ouvrière et les pauvres -). La question est de savoir maintenant comment ils comptent canaliser ces diverses identités dans l'optique de briser des logiques identitaires exclusivistes et de répondre aux besoins des populations marginalisées par la pauvreté. Si l'on pose la question différemment, est-ce que les civics ne parviendraient pas à s'institutionnaliser sur le plan politique et social et à s'imposer comme un mouvement social légitime, en adoptant une logique de reconstruction urbaine qui soit transversale, inclusive des différents intérêts en jeu et capable d'agir au niveau de l'englobant ? Un début de réponse émerge aujourd'hui à travers la volonté des civics d'inscrire les projets de développement dans un cadre communautaire et surtout de conserver la maîtrise du processus de développement. En adoptant une démarche holistique du processus de reconstruction urbain et en l'insérant dans un cadre communautaire, les associations civiques cherchent non seulement à surmonter les obstacles de la segmentation de la société mais aussi à asseoir leur légitimité. C'est l'objet de la seconde partie.
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Titre 2 : Une maîtrise communautaire du développement urbain faisant de la participation populaire un nouveau référent de légitimité.
Si l'existence des civics, dans le contexte de la transition démocratique, est subordonnée à leur capacité de s'institutionnaliser dans le champ politique et social, la question se pose de savoir s'ils n'y parviennent pas en représentant le plus largement possible les laissés pour compte du processus de développement, ce qui impliquerait de mettre en place une stratégie urbaine susceptible de transcender les clivages sociaux ? En effet, les fragmentations et les divisions actuelles au sein de la société urbaine noire risquent de se maintenir, voire de se renforcer, avec une désillusion à la hauteur des attentes et beaucoup de tensions, si la misère et la pauvreté qui ont accompagné la politique ségrégationniste de l'apartheid ne sont pas éradiqués en priorité. Alain Touraine ne dit-il pas que "la démocratie n'existe et n'est forte que si elle est représentative, si elle permet non seulement l'expression mais la satisfaction des demandes sociales les plus pressantes"? Est-ce que la légitimité des civics, assurant leur longévité comme acteur participant au processus de démocratisation de la vie sociale et politique, ne reposerait pas sur leur faculté de transcender les clivages identitaires d'une société urbaine divisée ? Car il est évident que les civics ne peuvent parvenir à s'imposer comme les gardiens exclusifs des plus pauvres sans que ceux-ci puissent se reconnaître dans la vision alternative du développement qui leur est proposée.
Si l'on considère exacte l'hypothèse selon laquelle les problèmes liés à la satisfaction des demandes sociales essentielles exigent d'être solutionnés dans le cadre d'une réconciliation de la société civile urbaine avec elle-même, la vision négociée du développement adoptée par les civics, qui s'accompagne pour être crédible d'une vigilance à l'égard des autorités étatiques, ne pourra vraiment répondre au défi de la pauvreté urbaine que si elle parvient à générer une dynamique transversale susceptible de mobiliser des soutiens actifs parmi les populations concernées, et de remodeler le tissu social et urbain. Cette dynamique semble avoir pris la forme d'une approche intégrée et inclusive des différents intérêts en présence, offrant aux civics une opportunité de répondre aux demandes sociales des plus pauvres à travers des mécanismes organisant le développement urbain, capables d'emporter l'adhésion et la participation des communautés.
Dès lors, outre cette nécessité de négocier une approche inclusive pour obtenir l'adhésion des communautés, la démarche holistique conçue par les civics implique également qu'ils mettent en oeuvre une approche intégrée à travers la constitution de mécanismes permettant aux communautés d'être représentées et d'être ainsi impliquées dans le processus de développement urbain. En fait, en organisant le processus de développement non seulement autour de la participation mais aussi en l'axant sur le contrôle communautaire, on peut se demander si les civics ne tenteraient pas de satisfaire à une exigence fondant leur identité : celle d'assurer l'indépendance de la société civile en la fondant sur le principe de la participation populaire ?
Chapitre 1 : Une stratégie de reconstruction urbaine axée sur une approche holistique du développement.
Les associations civiques innovent aujourd'hui dans l'action sociale en proposant un modèle de développement qui cherche à innerver l'ensemble des initiatives sociales orientées vers les enjeux de la reconstruction du tissu urbain. En fait, à travers les civics, cette stratégie veut faire de la participation des habitants aux décisions prises en matière de production de logements, de gestion de l'habitat et des services urbains et de mobilisation des financements, la pierre angulaire du processus de reconstruction. Cette logique, qui implique pour les civics de négocier avec les autres acteurs du développement en recourant à des formules de partenariat, ne cache pas pour autant le principe qui la fonde : la maîtrise communautaire du développement. En effet, il faut se poser la question de savoir si les civics peuvent représenter à la fois la "communauté" entière ("representativeness") et prendre en compte l'ensemble des intérêts des membres qui la composent ("inclusivity") sans contrôler une logique processuelle du développement communautaire ? Dès lors, il s'agira d'essayer de montrer qu'une démarche à la fois négociée et intégrée sur le terrain participe de la volonté des civics d'exprimer leur propre identité à travers la participation et l'expression des communautés.
I/ Une participation des communautés aux projets de développement impliquant la maîtrise du processus.
Si la participation des communautés, sur le terrain, à la reconstruction et à la recomposition du tissu urbain, s'avère être une condition essentielle du succès du processus - la mise en place des forums de négociation constituant à cet égard une reconnaissance implicite de ce nouvel état d'esprit qui règne parmi les acteurs engagés dans la logique de démocratisation -, la question du principe qui sous-tend leur capacité à négocier en position de force se pose. En effet, les civics cherchent à promouvoir les intérêts des populations marginalisées en les faisant participer au processus de développement, conformément aux prétentions qu'ils se sont assignées lors de la définition des principes devant guider leurs actions (i.e. la logique communautaire et redistributive du développement). Les civics peuvent-ils vraiment devenir le fer de lance de l'implication communautaire sur le terrain, en organisant les communautés et en négociant en leur nom, sans chercher à obtenir la maîtrise du processus ? Autrement dit, est-ce que les civics peuvent asseoir leur légitimité auprès des populations sans leur donner les moyens de contrôler leur destin ? Cette question en amène une autre qui est de savoir si la participation populaire aux projets urbains, organisée par les civics qui s'offriraient ainsi une légitimité accrue, ne serait pas déterminée par la maîtrise communautaire du processus de développement ? Ces questions peuvent trouver un début de réponse à travers les enjeux qui sous-tendent la nature des projets de développement, tels que les envisagent les civics sur les plans du financement, de l'aménagement et du choix des partenaires.
Dans cette période de transition, la politique officielle urbaine a été un mélange de réponses adéquates et de continuations antérieures. Les villes sont rapidement devenues les réceptacles d'un nombre croissant de personnes appauvries et marginalisées car en ayant perdu toute possibilité de survie en dehors des villes, nombreux sont ceux qui ont été obligés de migrer dans les zones informelles périphériques. Les sud-africains sont ainsi confrontés à un déficit d'habitations considérable en zone urbaine puisque d'après les études effectuées par le South African Institute of Race Relations, environ 7 millions de personnes vivraient dans des habitats précaires, soit le quart de la population totale.
Dans un tel contexte, les civics ne peuvent vraiment contribuer à satisfaire de tels besoins qu'en s'engageant dans un partenariat avec des structures issues des secteurs privé et public, autour de projets d'aménagement et de restructuration urbaine focalisés explicitement sur la production et le financement du logement social pour les populations très pauvres. Cette prise de conscience est d'ailleurs clairement exprimée par un membre éminent de SANCO, Lechesa Tsenoli qui souligne que "we have neglected to draw in possible allies among groups such as builders, small businesses and co-operatives. As civics we must broaden our way of operating so as to include all local economic initiatives". C'est la raison pour laquelle les civics ont été amenés à négocier avec l'Independant Development Trust (IDT), une agence gouvernementale de développement spécialement créée pour répondre au défi urbain en attribuant des fonds aux organismes engagés dans les projets de développement. En fait, le rôle de l'IDT s'organise principalement autour d'un programme de subventions en capital ("capital subsidy programme") qui attribue une somme de 7500 rands aux ménages dont les revenus sont inférieurs à 1000 rands par mois pour faciliter l'acquisition des titres de propriété et l'aménagement des sites en eau potable, en électricité, en sanitaire ("serviced sites"). Ce programme a reçu jusqu'à aujourd'hui 104 applications ayant permis le financement de 110 000 sites.
Néanmoins, les civics directement concernés par la mise en place des projets de financement de l'IDT formulent quelques objections quant aux conséquences qu'un tel système entraîne sur le processus de développement. Des conflits surgissent ainsi à propos du financement des projets urbains dans la mesure où les civics estiment que les fonds alloués sont insuffisants et que le coût du crédit est si élevé que les ménages noirs ne peuvent emprunter. Par ailleurs, les modalités de ce financement handicapent les civics qui sont contraints de régler préalablement les problèmes d'attribution des parcelles aux demandeurs, avant que l'IDT ne libère les fonds, ce qui peut entraîner des blocages financiers et par conséquent entraver la bonne marche des projets de développement. Les civics considèrent également que la plupart des projets de l'IDT ne contribuent guère à résoudre les conséquences de la planification urbaine ségréguée dans la mesure où les terrains destinés aux populations à bas revenus sont situés à la périphérie des villes.
Mais surtout, à travers ce système de subvention axé essentiellement sur des projets d'une envergure très limitée (Moses Mayekiso a souvent qualifié ce programme de "toilet towns"), les civics remettent en question l'ensemble du système de financement bancaire public et privé. En effet, SANCO dénonce la complexité d'un système qui cherche à diviser les communautés en multipliant les formules d'éligibilité pour l'obtention de prêts et/ou de subventions. Ainsi, entre les crédits logements conventionnels ouverts aux classes moyennes résidant dans des zones considérées comme "spéculatives" par les banques (qui refusent de prêter si les futurs acquéreurs décident de construire dans des quartiers où les perspectives de revente sont faibles), les prêts à taux bonifiés ouverts aux premiers acquéreurs d'un logement ("first-time homebuyers subsidies") et les subventions allouées aux ménages vivant en dessous d'un seuil de pauvreté préalablement sous estimé ("site and service subsidies"), sans compter ceux qui sont complètement écartés des opportunités bancaires, les modalités de financement n'aboutissent qu'à diviser les populations en fermant le système aux personnes qui en ont le plus besoin. Comme le fait remarquer Taffy Adler, directeur général du Land Investment Trust (LIT), "Financial institutions are unwilling to grant bonds, subsidies for developments aimed at the very poor are not ready available, and violence often prevents contractors from completing their job", autrement dit, les civics reprochent aux institutions bancaires de privilégier une approche à court-terme en refusant d'octroyer des prêts aux populations en difficulté.
C'est la raison pour laquelle SANCO a décidé de briser les négociations entamées avec un consortium bancaire, the Association of Mortgage Lenders associant la First National Bank, DBSA, Nedcor, Standard, NBS et Saambou, en l'accusant de ne pas respecter les termes d'un accord relatif aux modalités de remboursement des prêts : "the banks wanted the agreement only so as to dispense selected clauses to defaulting borrowers in order to speed eviction procedures.....it became clear to me that the banks wanted not cooperation, but co-option". Les civics représentés par SANCO entendent modifier les règles de la négociation avec les institutions financières du pays en n'acceptant de négocier que bilatéralement avec elles afin de forcer leurs adversaires à des concessions indispensables à la poursuite du processus, ces derniers ne pouvant prendre le risque de faire dérailler le processus au regard des menaces des civics de recourir aux actions de masse. Cette décision de SANCO prise à l'occasion d'un congrès national qui s'est tenu en novembre 1993 à Johannesburg, est complétée par la mise en place du Finance and Economic Development Desk qui est un organisme apportant un support logistique à chaque civic engagé dans des pourparlers avec les banques et qui est appelé à définir des stratégies de développement financées par les communautés elles-mêmes.
Finalement, les civics dénoncent et combattent avant tout la spéculation qui détermine souvent les choix et les orientations de certains acteurs engagés dans le processus de reconstruction. Ainsi, on peut souligner par exemple les conséquences de la vente des terres qui se manifestent à tous les niveaux, local, régional, et national. Il s'agit en fait de cessions de terrains privés mais également publics qui permettent à certaines couches moyennes d'accéder au logement et qui sont souvent l'objet de spéculations. En effet, il est fréquent que des promoteurs blancs achètent ces terres, construisent des logements, voire des baraques en tôles et en planches, pour ensuite les revendre ou les louer, sans prendre en charge les infrastructures. Ce genre d'opérations contribue évidemment à mettre en difficulté, voire à corrompre les autorités locales noires mais aussi ces cessions peuvent avoir pour conséquence de marquer la structure des villes dans la mesure où il peut s'agir de terrains publics réservés à des infrastructures scolaires ou à des zones vertes. Les civics se battent pour empêcher la création de tels marchés fonciers forcément défavorables aux couches les plus pauvres de la population et ils cherchent à obtenir l'attribution de parcelles en échange de clauses d'inaliénation.
Si les organisations civiques expriment avec force le caractère fondamental que présente la question du financement, c'est parce que le point de départ de tout processus de développement contrôlé par les civics se situe au niveau du système financier qui doit avant tout servir les intérêts des communautés appauvries et marginalisées et non pas les intérêts de ceux qui contrôlent le pouvoir économique et politique. Dès lors les civics contestent certains projets financés par l'Etat, dans lesquels les fonds alloués sont dépensés dans l'optique de construire un produit standardisé, censé satisfaire un maximum de besoins essentiels pour un plus grand nombre de gens possibles. Une telle approche qui privilégie le "product" au "process" est par conséquent tout à fait contraire à l'esprit du développement communautaire tel qu'il est envisagé par certains civics sur le terrain. Ainsi dans le camp de squatters de Phola Park, les civics ont acquis assez d'influence pour définir avec précision les besoins des communautés. Les populations concernées se sont donc concertées afin de déterminer et de planifier les éléments du projet qu'il faudra financer. Le résultat d'une telle entreprise s'est révélé concluant dans la mesure où le projet améliore considérablement les conditions de vie des communautés à travers l'aménagement des sites, la construction de logements et la création d'emplois. L'enjeu qui préside en fait la question du financement est de concilier et de coordonner les projets de développement en fonction des besoins des communautés. C'est la raison pour laquelle les civics luttent pour obtenir la maîtrise des fonds afin d'imposer et de contrôler le déroulement des opérations en veillant à ce que le projet élaboré corresponde aux besoins réels des communautés.
Si la question de l'autonomisation financière des communautés constitue un point névralgique du processus de développement communautaire, l'enjeu de la planification urbaine à travers l'élaboration d'un zonage adapté aux besoins des communautés est tout aussi fondamental. En effet, la conception d'un zonage urbain obéit en règle générale à des principes qui reflètent toujours un certain mode de vie urbain préconçu et qui visent une application concrète et généralisée laissant peu de place au choix des populations, sauf à changer de quartiers. Dans les projets urbains de la nouvelle Afrique du Sud, les communautés n'ont en réalité aucun choix car les urbanistes édifient souvent des zonages qui gèrent la pauvreté de l'ensemble du site par l'uniformisation, ne laissant aucune place aux options entre diverses modalités d'aménagement. Les organisations civiques proposent une approche alternative de la planification urbaine, fondée sur le principe de la maximisation des choix ("maximum choice") qui organise la possibilité à la fois de pouvoir choisir entre plusieurs options d'aménagement et de définir les choix en fonction des besoins communautaires. La détermination des critères qui définissent ces intérêts s'est opérée au sein d'ateliers communautaires organisés par les civics, sur le terrain, et qui ont généré une organisation spatiale tout à fait innovante et exemplaire, notamment sur les sites de Phola Park et de Tamboville. Dans ces deux sites urbains, le tracé spatial, établi dans les plans de voisinage, valorise l'aménagement autour de la vie communautaire : ainsi, la construction des logements en formation groupée autour de cul de sac et le raccourcissement des voies d'accès facilitent la sécurité des résidents; les populations sont réparties par petites unités reliées les unes aux autres sur l'ensemble du site, de façon à promouvoir la vie communautaire; la maximisation de l'organisation de l'espace organise également l'équipement des quartiers et enfin l'accès aux ressources économiques est facilitée par la proximité des centres commerciaux et surtout par l'établissement d'une assiette fiscale unique à l'ensemble du site. Les associations civiques de Phola Park et de Wattville ont donc opté pour une démarche participative et holistique conduisant à une approche locale et immédiate des problèmes posés par l'aménagement des villes.
Les associations civiques cherchent en définitive à s'émanciper d'une vision du développement dans laquelle ils n'auraient pas de prise et c'est cette volonté qui les conduit à opérer une distinction entre une démarche centrée sur la participation communautaire ("community participation") entendue comme la participation à des projets élaborés par d'autres acteurs que la communauté et une démarche axée sur le contrôle communautaire ("community control") dont les stratégies de développement sont conçues et mises en oeuvre par les communautés. Dès lors, si l'objectif des civics est de maîtriser l'ordre du jour des opérations de développement sur le terrain en déterminant les priorités programmatiques, en organisant les communautés et en négociant sans être cooptés avec des partenaires locaux et régionaux, on peut se demander si la poursuite de certaines actions de masse ne s'inscrit pas directement dans cette optique. En effet, certaines traditions du passé insurrectionnel des civics semblent tout à fait appropriées à la logique communautaire de développement : c'est ainsi qu'en prônant l'invasion des terres comme seul recours pour poser les problèmes, les civics ont fini par acquérir dans bon nombre de cas le droit d'occuper légalement les terrains. L'exemple de l'occupation de terrains vacants organisée par les résidents de Wattville est tout à fait emblématique des principes qui régissent de telles actions. Wattville est située au coeur d'un arrondissement noir, unique en raison de sa proximité à la fois du centre d'affaires de la ville "blanche" de Betoni, près de Johannesburg, et d'une vaste ceinture industrielle. La zone est non seulement surpeuplée, puisqu'en 1993 on comptait en moyenne 10 personnes par maison de 50 m2 mais elle est de surcroît en proie à l'exclusion : 40% de la population économiquement active est en effet sans emploi et plus des trois quart des ménages ont un revenu mensuel inférieur à 1000 rands. Lorsque les résidents de Wattville organisèrent, à travers le civic (the Wattville Concerned Residents Committee - WCRC), l'invasion des terres en juin 1991, ils ont non seulement exprimé leur rejet d'une situation urbaine intolérable mais surtout ils ont manifesté le désir de poser les problèmes de la reconstruction urbaine sous l'angle des intérêts communautaires. Comme le souligne à juste titre l'organisation Planact, "when the Wattville community invaded land in 1991 and named the newly 'proclaimed' residential area Tamboville, it was more than a bold statement about 'apartheid housing'. For the civic, it became the basis upon which the terms of engagement on the housing question have been defined ever since".
De même, plusieurs années d'une existence précaire au sein d'une zone informelle située au sud de Pinetown (Natal), ont contribué à forger la détermination de la communauté de Zilweleni dont l'appellation est tout à fait emblématique des conditions exigées par les résidents : "we are struggling". En 1989, l'association des résidents de Zilweleni (the Zilweleni Residents' Association - ZRA -) a d'ailleurs clairement affirmé sa volonté de résister aux menaces d'expropriation proférées par deux propriétaires fonciers désireux de rentabiliser leurs terrains sur le marché foncier. Le civic de Zilweleni n'a pas hésité à recourir aux méthodes insurrectionnelles - boycott des loyers et de la consommation - pour éviter avec succès l'éviction de la communauté du site. Néanmoins, dans la mesure où le civic aspire à contrôler le processus de développement de la zone afin de viabiliser et d'aménager le site conformément aux intérêts des résidents, la réussite d'une telle entreprise repose sur la capacité du civic à obtenir légalement la propriété des terres et l'accès aux ressources financières. Si le ZRA a demandé le soutien du Build Environment Support Group (BESG) afin qu'il le conseille sur les démarches à suivre pour obtenir le financement des 185 parcelles identifiées, par des subventions en capital IDT, la question foncière restait prioritaire puisqu'elle conditionnait la poursuite de l'ensemble du processus.
Le civic a adopté initialement une position très ferme dans les négociations qu'il a menées avec les propriétaires fonciers, en notifiant dès le départ que la communauté de Zilweleni refuserait non seulement d'acheter les terrains mais aussi d'être évincée du site, que ce soit par la force ou par un procédé plus subtil consistant à vendre les terrains à d'autres acheteurs. Quant aux propriétaires, ils proposaient de vendre les terres aux résidents sur la base d'un prix fixé par des experts et beaucoup trop élevé pour la communauté puisque chaque hectare de terrain leur aurait coûté 50 000 rands et la totalité des terres 570 000 rands. En fait, les propriétaires fonciers pensaient pouvoir saisir l'opportunité de l'obtention des subventions allouées par l'IDT aux résidents, destinées en partie à la régularisation de leur situation foncière, pour leur vendre les terrains à bâtir.
Cependant l'arme de l'action de masse brandie par le civic, coordonnée avec les pourparlers, ont fini par convaincre les propriétaires de réviser le prix des terrains à la baisse en fixant la valeur du site à 182 000 rands. L'organisation civique ne pouvait en effet accepter que l'intégralité de la subvention allouée par l'IDT soit versée à l'achat des terrains, dans la mesure où cette somme doit couvrir également d'autres dépenses, notamment celles de l'installation des services urbains. En coordonnant ainsi l'impératif de compromis - nécessaire pour l'obtention des ressources financières et techniques - avec l'arme de l'action de masse, le civic de Zilweleni a peut-être inventé une tactique intégrée dans le processus de négociation permettant de poser l'enjeu du contrôle communautaire de développement par les populations.
Si la négociation engagée par les civics sur la question du développement urbain se heurte parfois aux instances étatiques locales, régionales et nationales ainsi qu'aux institutions financières, il n'en reste pas moins qu'elle évolue dans une logique constructive, âprement négociée, certes, mais désirée par l'ensemble des acteurs en lice. Néanmoins, la situation se complexifie lorsque interviennent des acteurs qui refusent de respecter les règles du jeu établies au sein des forums de négociation. C'est le cas de l'Inkhata Freedom Party du chef zoulou Buthelezi, qui cherche à contrôler le processus de développement en l'insérant dans un cadre tribal, refusant ainsi aux civics et par conséquent aux communautés, le droit de s'exprimer et d'agir. Il n'est pas rare que des militants ou des sympathisants de l'Inkhata provoquent des occupations de terrains qui déstabilisent les projets de développement négociés par les civics, car les nouveaux venus vont prendre de l'eau dans les zones gérées par les civics, où les gens paient pour ce service. En fait, l'Inkhata cherche à monopoliser des ressources qui deviennent d'autant plus rares que le contexte de démocratisation ferme son accès privilégié aux ressources accordé par l'ancien pouvoir blanc, au profit de ses adversaires politiques et de ses rivaux, au premier rang duquel figure l'ANC.
Cette situation explique sans doute la montée des tensions qui s'établissent entre les civics et les administrateurs du KwaZulu à l'occasion de la mise en oeuvre des projets de développement financés par l'IDT. En effet, il s'avère que les projets situés au KwaZulu/Natal - KwaMashu Unit C, Umlazi 27 CC, KwaNgezi, Madadeni, Ngwelezana, Qadi et Besters' Farm - sont remis en question par les autorités locales du KwaZulu qui exigent que le processus de développement soit exclusivement contrôlé par les conseillers locaux et les autorités tribales. Une telle exigence ne pouvait que rencontrer l'hostilité des civics très attachés au cadre communautaire de développement. L'association des résidents de Newcastle (Nera) a ainsi pris la décision de demander à l'IDT de suspendre le projet situé à Stafford Farm, près de Newcastle, à la suite de heurts survenus entre d'une part l'administrateur du KwaZulu et d'autre part Nera, l'ANC, le PAC, les syndicats - Cosatu, Nactu, Cosas - et diverses églises. Le leader de Nera, M. Cele s'est ainsi opposé au ministre de l'intérieur du KwaZulu, M. Sithebe qui, semble-t-il, aurait appuyé activement la décision d'exclure Nera du comité chargé de promouvoir le développement à Stafford Farm : "we fail to understand why the minister of the interior is opposed to the involvement of others organisations in the development project, and this creates suspicions and gives the impression that he wants to use the IDT for his own benefit".
On peut également mentionner un second exemple de cette volonté des autorités tribales du KwaZulu d'exclure les associations civiques du processus de développement. Il s'agit d'un projet financé par l'IDT, à Ngwelezana, près de Empangeni, et menacé par la décision des autorités de lever un impôt sur chaque acquisition de lot, dont le montant varie entre 200 et 1000 rands en fonction de la viabilisation des lots individuels. L'instauration d'une telle taxe peut avoir des conséquences désastreuses sur le processus de développement car elle contraint le civic à affecter une partie des subventions allouées par l'IDT, au paiement du tribut que les acquéreurs de lot ne sont pas en mesure de verser étant donné leurs maigres ressources financières (les acquéreurs de lot doivent avoir des revenus mensuels inférieurs à 1000 rands pour bénéficier du programme IDT). Surtout la perversité de cet impôt se manifeste à travers son caractère pénalisant dans la mesure où la proportionnalité entre le montant de la taxe et la qualité des services offerts (par exemple si un lot est équipé en eau potable, le montant de l'impôt est fixé à 650 rands alors que l'imposition d'une parcelle nue s'élève à 200 rands) peut inciter le civic à limiter la qualité des prestations de façon à payer un impôt moins important. Ce second exemple illustre donc les difficultés rencontrées par les civics lorsqu'ils cherchent à se soustraire de certaines autorités "régionalistes", désireuses de s'emparer des ressources disponibles.
Il convient en effet de toujours garder à l'esprit que les conflits et les rapports de force qui existent entre les civics et les partisans de l'Inkhata expriment avant tout une lutte pour l'obtention de ressources rares. A cet égard, on peut se demander s'il ne faut pas considérer ces frictions comme un élément emblématique de la capacité des civics à créer une dynamique constructive, mobilisant des soutiens financiers étatiques et privés et améliorant les conditions de vie des communautés. Si tel n'était pas le cas, pourquoi certaines autorités locales du KwaZulu chercheraient alors à contrôler, pour l'encadrer dans un cadre régional et tribal, le processus communautaire de développement ? Il semblerait en effet que certaines autorités tribales aient saisi l'intérêt de promouvoir une approche intégrée, orientée vers le développement des communautés bien qu'en l'insérant dans un cadre tribal et réciproquement certaines organisations civiques semblent s'accommoder d'un tel contexte. L'exemple du projet IDT mis en oeuvre à Amatikwe illustre cette orientation pour le moins complexe dans ses implications politiques. Le village d'Amatikwe est situé dans l'ex homeland du KwaZulu, à une vingtaine de kilomètres des immenses zones d'habitation informelles d'Inanda, de Besters et de Bambayi ceinturant Durban. La communauté du "village", au sein duquel vivent 180 familles, a désigné par voie électorale en 1983 un civic - the Amatikwe Development Committee - chargé de promouvoir le développement de la zone à travers un projet d'aménagement de 1600 parcelles destinées à l'habitation, couvrant une superficie totale de 160 hectares. Parallèlement à la formation du civic, les autorités tribales du homeland ont mis en place leur propre outil de développement, le "Qadi Management Committee" qui est un organe spécialement créé pour contrôler le processus engagé par la communauté puisqu'il intègre en son sein le civic d'Amatikwe.
Néanmoins, il est remarquable de constater que les autorités tribales se sont engagées dans un processus constructif en faveur des résidents, en négociant avec l'IDT la question du financement qui soulève d'épineux problèmes, compte tenu de la législation du KwaZulu modelée par l'héritage de l'apartheid. En effet, si la communauté a manifesté la volonté de souscrire à un financement étatique rendu indispensable au regard des faibles ressources dont elle dispose, il lui fallait au préalable résoudre la question de la régularisation des terres, conformément à la procédure exigée par l'IDT. Or il s'avère que la communauté d'Amatikwe est liée par les lois foncières du KwaZulu qui subordonnent l'attribution de terrains vacants à l'administration de la zone par la "Proclamation R 293". Autrement dit, le village d'Amatikwe serait soustrait de l'autorité tribale pour être administré et gouverné par le ministère de l'intérieur sud-africain, comme cela a été le cas à KwaMashu, Ntuzuma et Umlazi. Or le civic d'Amatikwe a rejeté l'application de la "Proclamation R 293", estimant que cette procédure aboutit à retirer des mains de la communauté la maîtrise du processus communautaire de développement. Cette décision emporte des effets juridiques contraignants pour la communauté dans la mesure où le certificat d'autorisation d'occupation des terres ("Permission to Occupy" - PTO -) qui leur est attribué ne leur procure aucun droit sur les terres occupées. C'est alors que l'autorité tribale d'Amatikwe est parvenue à faire accepter à l'IDT un compromis acceptable pour l'ensemble des parties engagées dans les négociations, par le biais de l'introduction d'une disposition de loi (the KwaZulu Land Tenure Act) qui stipule la conversion des PTO en titres de propriété libres. L'intervention des autorités tribales locales, agissant avec le soutien des résidents, a ainsi permis le financement du projet par l'IDT, obligé de reconnaître la validité d'un tel accord qui exprime à la fois les intérêts communautaires et "tribaux".
En fait, on peut se demander si le civic d'Amatikwe n'utiliserait pas le cadre tribal comme un terrain d'expression et d'articulation de ses intérêts ? Cette hypothèse qui pose la question de l'instrumentalisation des autorités tribales par l'organisation civique d'Amatikwe, peut trouver une certaine confirmation si l'on observe les conséquences de ce compromis sur la poursuite et l'achèvement du projet de développement. Car finalement, en refusant clairement d'être administrée directement par l'Etat central par le biais du protocole R 293, alors que sa situation l'exigeait au regard des dispositions du protocole, la communauté se retrouvait dans une situation délicate puisque le refus n'entraîne pas légalement son placement sous la tutelle de l'autorité tribale de Qadi. Si pendant les travaux d'aménagement du site, l'administration et la gestion du projet étaient assurées par le trust de développement communautaire mis en place par le civic et le Qadi Management Committee, le départ de l'entrepreneur qui marque l'achèvement du projet laisse en suspens la question de la gestion d'une zone non administrée officiellement. Cette question se révèle urgente dans la mesure où la communauté d'Amatikwe ne souhaite pas dépendre administrativement du pouvoir central et qu'elle doit faire face au problème de l'entretien des services urbains aménagés pour le bien-être des populations, notamment les routes, la distribution de l'eau et de l'électricité. C'est la raison pour laquelle l'ensemble des acteurs impliqués dans le projet (l'entrepreneur et les ingénieurs, le Qadi Management Trust), ont entamé une démarche visant à autonomiser la communauté, par la mise en place d'un programme d'entretien des services, élaboré par le civic local avec l'assistance de l'entrepreneur, dans lequel il est prévu la formation d'une équipe d'entretien composée de cinq membres appartenant à la communauté d'Amatikwe. Cette proposition négociée et acceptée par les fonctionnaires du KwaZulu dès le début de l'année 1993, constitue une avancée non négligeable vers une gestion communautarisée des problèmes urbains, désirée par le civic et appuyée par l'autorité tribale de Qadi qui prend ainsi une sérieuse option pour administrer l'ensemble du site. Cette situation est extrêmement intéressante car elle préfigure non seulement l'approche holistique du développement que nous allons aborder par la suite, mais aussi - et là réside l'objet de notre propos - elle constitue un laboratoire dans lequel est expérimenté un processus de développement dont la maîtrise est finalement partagée par deux autorités. La communauté d'Amatikwe, à travers le civic, dispose désormais de l'opportunité de contrôler la gestion des terres puisque tous les résidents devront payer tous les mois 5 rands pour l'entretien des infrastructures routières, des canalisations d'eau et des conduites électriques, organisé et géré par le civic d'Amatikwe. Quant à l'autorité tribale de Qadi, elle expérimente une nouvelle forme d'administration cogérée, qui sert de test à l'application d'une nouvelle loi - the Amatikwe Act - permettant à chaque autorité tribale du KwaZulu/Natal d'administrer les nouveaux sites urbains non affectés par la proclamation R 293.
La question du contrôle communautaire du processus de reconstruction du tissu social et urbain se doit donc d'être négociée sur le terrain non seulement avec les représentants de l'Etat et du monde des affaires mais également avec des pouvoirs politiques qui s'apparentent à des "entrepreneurs politiques" exploitant les clivages de la société pour se constituer une base politique et s'ouvrir un accès aux ressources économiques. Les associations civiques parviennent à convaincre leurs interlocuteurs de la nécessité de promouvoir une telle approche à tel point d'ailleurs que le "community-controlled development" est devenu le nouveau paradigme "à la mode" pour beaucoup d'acteurs engagés sur le terrain. L'exemple du premier projet de développement communautaire inscrit dans un cadre tribal (Amatikwe) et financé par l'IDT, illustre assez bien le progrès réalisé par cette idée au sein même des structures hiérarchiques traditionnelles du KwaZulu. Si les civics manifestent sur le terrain une volonté de participer aux projets de développement, leur objectif demeure néanmoins de s'ériger en médiateurs entre les revendications des communautés et les propositions et solutions apportées par les organismes engagés dans le montage des projets urbains. C'est la raison pour laquelle la poursuite de certaines actions de masse - comme l'invasion des terres - permet aux civics se poser les problèmes des besoins communautaires. La participation communautaire doit donc exprimer, si l'on considère la nature des projets négociés par les civics, les intérêts des résidents et des communautés. Dès lors la participation populaire au processus de reconstruction urbain s'exprimera avec d'autant plus de force qu'elle s'inscrira dans un cadre inclusif susceptible d'apporter aux communautés la maîtrise de leur développement.
II/ Une démarche concertée, inclusive et intégrée contribuant à éradiquer la pauvreté urbaine
Il se trouve en effet que la démarche concertée et inclusive entreprise par les civics, a la capacité de satisfaire les besoins des communautés en répondant à certains problèmes de la paupérisation urbaine. En négociant des projets urbains qui prennent en considération l'ensemble des intérêts des résidents, les associations civiques crédibilisent leurs actions auprès des communautés et construisent un terrain favorable à la participation populaire. Pour tenter d'illustrer la mise en oeuvre de cette approche inclusive, il convient de présenter quelques initiatives fructueuses dont certaines font figure de projets expérimentaux susceptibles d'être généralisables.
Le projet du Golden Highway ("Golden Highway Project" - GOLDEV -), situé près de Johannesburg, est tout à fait représentatif d'une démarche négociée et concertée du développement, conçue pour intégrer les populations écartées des opportunités économiques et des services sociaux. En effet, ce projet conduit par le civic de Johannesburg (the Civic Association of Johannesburg - CAJ -) associé avec la municipalité de Johannesburg (City council) et l'Urban Foundation (qui agit à travers ses programmes sociaux de la Family Housing Association - FHA Homes -) est basé sur la volonté de renverser la ségrégation géographique des groupes raciaux en acceptant une concentration de l'habitat et une diversification de ses formes. En fait, ce projet a pour objectif d'aménager une zone vacante de 400 hectares dont la position géographique privilégiée - à dix kilomètres du centre-ville de Johannesburg et à proximité du parc de l'Eldorado - recompose le tissu social et urbain en permettant aux plus pauvres (80 000 personnes, en majorité des noirs) de réintégrer la vie urbaine des emplois et des infrastructures. Un tel projet, qui réforme radicalement les distorsions de la planification de l'apartheid, a été élaboré au sein d'un forum de développement composé des représentants du Civic Associations of Johannesburg, du Johannesburg City Council, des organisations civiques de Eldorado Park, de Soweto et de Lenasia et de l'Urban Foundation.
Son caractère inclusif réside en fait dans sa conception, étroitement liée aux besoins des populations. En effet, le projet Goldev est conçu pour satisfaire des bénéficiaires préalablement sélectionnés ou identifiés par le CAJ, à travers la mise en place d'un organisme - le Goldev Corporation -, spécialement créé pour permettre au civic de procéder à l'identification. Ainsi, le CAJ joue un rôle tout à fait fondamental au niveau de la phase initiale du projet, c'est-à-dire préalablement à son élaboration proprement dite, en créant la structure permettant l'identification des bénéficiaires. Cette procédure permet ainsi aux associations civiques de s'assurer que les décisions relatives aux modalités concrètes du projet ne seront prises qu'une fois les bénéficiaires identifiés. Par conséquent, elle garantit à la fois que les concertations relatives à la mise en place du projet expriment avant tout les intérêts des populations, et une participation significative des résidents concernés au projet. En participant à un tel projet de développement, les civics contribuent à représenter les intérêts des bénéficiaires et à les placer au coeur du processus.
Le projet de Tamboville constitue également une expérience innovante de l'aménagement urbain, initiée par le civic de Wattville (the Wattville Concerned Residents Committee). Ce projet est intéressant pour deux raisons : d'abord, il illustre parfaitement la confrontation entre deux logiques de développement, celle de l'Etat à travers son programme de subvention en capital IDT et celle des civics, soucieuse de représenter les intérêts de la communauté de base. Ensuite ce projet est emblématique de la volonté des civics de négocier avec des partenaires susceptibles de rendre le projet viable et profitable à l'ensemble des résidents. Le civic de Wattville envisage en fait le développement de la communauté comme un processus devant conduire à la constitution d'une organisation démocratique. Le contrôle démocratique collectif ("collective democratic control") induit par l'action collective ("collective action") et la prise de décision autonome, est devenu un référent essentiel de la dynamique de développement de la zone. Dès lors, le civic de Wattville s'est engagé dans une démarche visant à satisfaire les besoins de l'ensemble de la communauté de base, en affectant les financements obtenus à l'élargissement des bénéficiaires du projet (accès à la terre et habitation), de façon à maintenir l'unité de la communauté.
Le civic cherche ainsi à mettre en place des mécanismes permettant d'atteindre les objectifs de cette approche inclusive. C'est la raison pour laquelle une formule de partenariat originale a été mise en place entre le civic local et la ville de Betoni (Betoni Town Council) sous la forme d'un "joint technical committee". Ce partenariat, qui procure au civic des avantages incontestables en terme de réduction des coûts des services offerts au regard de taux d'intérêts moins élevés, d'une réduction de la TVA, des frais de rédaction des actes de cession et des honoraires des multiples intermédiaires, est révélateur de la volonté du civic de s'émanciper de la tutelle gouvernementale dont l'approche du développement urbain est jugée trop peu intégrée pour être réellement efficace. Un tel partenariat permet également au civic d'affermir ses compétences au sein d'un forum créé pour assurer la disposition d'informations actualisées indispensables à la prise de décision.
Le civic s'est également mobilisé pour obtenir le financement du programme initial de construction de 84 maisons qu'il a lancé, en développant une institution communautaire : l'Association d'habitat de Wattville qui devra développer et gérer l'habitat dans la zone. Ce projet est une nouvelle fois le fruit d'une concertation entre le civic, le CRIAA qui est une ONG française et PLANACT, ONG sud-africaine travaillant dans le développement urbain. Cette décision innovatrice du civic de créer une telle association communautaire d'habitat, permet non seulement de mobiliser des fonds mais est aussi une approche mettant l'accent sur l'implication communautaire dans la production de l'habitat. Il s'agit donc d'un mécanisme qui vise à satisfaire les besoins de la communauté en les faisant participer au processus de développement. Ainsi, au niveau du financement de l'habitat, outre la source "traditionnelle" de subvention en capital IDT pour l'équipement du terrain et la régulation foncière, le civic a créé un prêt à intérêt par l'intermédiaire de l'association d'habitat d'un montant de 15 000 rands remboursable sur 20 ans à taux fixe de 10%. Une petite contribution supplémentaire permet de financer les charges de fonctionnement de l'Association et une assurance sur les maisons. Cette méthode conduit à des remboursements mensuels équivalent à environ 15% du revenu des ménages, considérés comme accessibles.
L'implication communautaire dans la production de l'habitat se manifeste également dans les formes de la propriété foncière. En effet, le civic de Wattville a soulevé les problèmes posés par les formes juridiques de la propriété. Les nouvelles lois foncières, résultant de la réforme sur les terres, procurent à la population noire des formes plus sûres de propriété dans les anciennes zones "blanches" du pays, représentant 80% de la propriété du sol et des logements, l'accent étant mis sur la propriété individuelle. Le civic a soulevé les problèmes posés par cette seule forme de propriété, le programme national de subvention en capital IDT étant orienté vers la propriété individuelle. Cette question reflète en fait le désir de la communauté de contrôler les terres. Afin que les terres puissent être protégées en faveur de la communauté, le civic de Wattville propose que la terre reflète la propriété communautaire. Le civic de Wattville a ainsi négocié avec l'IDT un compromis relatif aux titres de propriété : un résident qui veut vendre son terrain ou sa maison peut opérer ce transfert de propriété mais il doit le faire en priorité à l'Association d'habitat. Ce procédé qui accorde à la communauté un véritable droit de préemption et qui restreint le droit de propriété individuel permet non seulement de garantir le maintien du bénéfice de la subvention dans la communauté mais surtout il permet à la communauté de conserver les terres et de les protéger contre les spéculateurs ("downward raiding") qui pouvaient jusqu'alors profiter des difficultés financières des résidents pour s'emparer de leur terrain à des prix très bas afin de les revendre ensuite avec une plus value substantielle. L'ensemble de ces mécanismes, mis en place par le civic de Wattville avec le soutien et la participation de la ville de Betoni, reflète ainsi une prise en compte des intérêts des résidents dans l'élaboration du projet et l'aménagement du site par l'intermédiaire de la participation communautaire et du contrôle communautaire.
Cet enjeu est également identifiable dans le développement de Zilweleni, qui présente certaines similitudes avec le cas de Tamboville/Wattville. En fait, le civic de Zilweleni redoute les conséquences que pourrait générer le caractère individuel du système d'attribution des terrains ou des parcelles aux acquéreurs - imposé par l'IDT - sur la cohésion du groupe et par conséquent sur la maîtrise du processus de développement. En effet, le problème se pose de la même façon que pour la communauté de Tamboville dans la mesure où des acquéreurs étrangers à la communauté sont légalement en mesure de racheter les terrains aux membres de la communauté qui le souhaiteraient pour des raisons diverses. L'association civique a formulé une solution qui conduit à restreindre les candidats acquéreurs selon des critères fixés en fonction de leur situation familiale, de leur âge et de leur sexe. En effet, le civic a suggéré que les hommes célibataires âgés de plus de 25 ans et les femmes célibataires de plus de 30 ans puissent bénéficier d'un droit de réservation prioritaire. En fait, la logique organisant cette proposition est basée sur le postulat que le mariage n'entraîne pas les mêmes effets sur le désir de s'implanter durablement sur le site, selon que l'on est un homme ou une femme : "Single men who marry will remain in Zilweleni, while women who marry will join their husbands elsewhere and sell their sites. Single women over 30 are unlikely to marry".
Cette proposition, qui n'a pas été retenue finalement par le civic préférant opter pour une solution davantage respectueuse de l'égalité des sexes puisque les hommes et les femmes âgés de plus de 25 ans pourront désormais prétendre à devenir prioritairement acquéreur d'un lot, reflète néanmoins la prégnance de l'enjeu du contrôle communautaire à travers le problème du contrôle des terres solutionné par le renforcement de la cohésion de la communauté. Cette proposition parait ainsi tout à fait emblématique d'une approche intégrée du développement faisant de la participation populaire (à travers le maintien de la cohésion communautaire) le vecteur du contrôle du processus par les organisations civiques.
Cette approche inclusive et intégrée, fondée sur la participation et le contrôle communautaire, est également repérable dans la politique d'attribution des terrains à bâtir menée par le civic d'Amatikwe au KwaZulu/Natal. Bien que certains consultants de l'IDT aient montré une certaine réserve quant au processus d'attribution des parcelles aux acquéreurs, qu'ils jugent peu démocratique, il semble néanmoins qu'ils aient négligé de tenir compte d'un environnement politique ayant orienté et guidé certains choix communautaires. Ainsi, l'attribution des lots, qui relève principalement de la responsabilité du Amatikwe Development Commitee (même si chaque candidat acquéreur sélectionné par le civic doit être accepté par l'autorité tribale locale), privilégie trois catégories de personnes. D'abord, les enfants des résidents qui désirent s'établir sur le site ont un droit de réservation prioritaire, ce qui permet à la communauté de se reproduire et de maintenir sa cohésion initiale. Ensuite, les populations qui ont émigré de la zone à partir de 1985 suite à l'arrêt de l'extension du site d'Amatikwe, décidé par l'autorité locale, et qui manifestent aujourd'hui la volonté de revenir, disposent également du droit prioritaire de devenir acquéreur d'un lot. Une telle politique d'incitation aux "retours" conduit à reconstituer la communauté et à conforter sa cohésion. Enfin, des acquéreurs "étrangers" au village peuvent prétendre s'installer définitivement sur le site et ainsi faire partie de la communauté, à condition toutefois d'avoir été cooptés par un ou plusieurs membres de la communauté.
Cette restriction au droit d'accès, destinée aux populations qui ne sont pas originaires du site, apparaît tout à fait justifiée aux yeux des résidents, au regard d'un contexte politique explosif qui les invite à adopter une attitude prudente afin de prévenir les éventuels conflits qui pourraient survenir. En effet, dans la mesure où la communauté d'Amatikwe est géographiquement enserrée entre le township d'Inanda contrôlé par l'ANC et le bastion Zoulou (Inkhata) de Umzinyathi, et qu'elle intègre en son sein des membres des deux partis rivaux, l'attribution de parcelles à des individus ou à des groupes qui lui sont extérieurs pourrait contribuer à complexifier la situation communautaire, en suscitant la méfiance et la violence. En filtrant ainsi les entrées au sein de la zone résidentielle, la communauté - à travers le civic - tente de s'organiser pour enrayer des processus de violence qui, sans cela, dégénéraient facilement. Et il semble que le civic d'Amatikwe parvienne à négocier avec l'autorité tribale de Qadi, qui n'a pas jugé opportun d'introduire et d'instrumentaliser la variable ethnique afin d'activer des stratégies identitaires qui ne feraient que parcelliser et morceler la communauté et par conséquent entraver sinon bloquer le processus de développement de la zone. En définitive, l'organisation civique d'Amatikwe organise la protection et la cohésion du groupe par une logique intégrative, reproductive et pacifiée de la représentation communautaire.
Les enjeux soulevés par le contrôle du développement urbain inclusif, mis en oeuvre par les civics à l'échelon communautaire, se manifestent peut-être avec le plus d'acuité à travers le cas exemplaire de Cato Manor. La zone de Cato Manor, située au coeur de l'agglomération de Durban, représente par ses dimensions concrètes et symboliques un cas tout à fait révélateur des problèmes et des potentialités du développement urbain au sortir de l'apartheid. La portée symbolique lui vient du passé, qui en fit une victime exemplaire de la politique urbaine de l'apartheid et du futur, vu l'enjeu qu'il représente pour la démonstration d'une politique urbaine post-apartheid. Cato Manor, qui fut intégré à la ville de Durban en 1932, était une zone occupée par des familles indiennes qui en possédaient alors la plupart des terrains, qui furent loués et sous-loués à des indiens, des métis, et des africains attirés par la croissance industrielle. Cato Manor fut proclamé zone "blanche" en 1958 en application du Group Areas Act, comme une réponse des résidents blancs des banlieues adjacentes, au "danger" que représentait l'urbanisation massive des africains, et cette zone restera complètement en friche jusque dans les années 1980. La réforme constitutionnelle de 1983, en faisant du logement une "affaire propre" à chacune des communautés raciales, permit aux quelques indiens restés sur place d'obtenir, avec l'appui de leur gouvernement (la Chambre des délégués ou "HoD"), la proclamation d'une partie de la zone comme "indienne", et la construction de lotissement. D'autre part, l'abolition du Group Areas Act, en 1986, encouragea l'afflux d'un nombre croissant d'africains et de métis en sa partie appelée Cato Crest. En 1990, le voisinage blanc se mobilisa avec succès, pour éviter que Cato Crest ne fusse déclarée "libre d'installation". Malgré la conclusion d'accords successifs, fondés sur l'officialisation des squatters déjà installés en échange de l'arrêt de tout nouveau squatting, la zone continua d'être envahie et aucun développement n'y fut entrepris.
Des négociations finirent par s'ouvrir entre le conseil municipal, la HoD, les organisations civiques communautaires et les autorités provinciales. Un comité, puis en 1992 un forum de développement furent créés et un consensus se dégagea sur le principe d'une démarche holistique, inclusive des diverses composantes de la population, et concertée, pour prendre à contre-pied la fragmentation institutionnelle et foncière de la zone. En effet, on ne compte pas moins de six institutions - propriétaires, municipalités de Durban et de Westville, HoD Province, Parlement "blanc", Université du Natal -, auxquelles s'ajoutent de nombreux ayants-droit : anciens propriétaires indiens, résidents du township de Chesterville, des banlieues blanches adjacentes et des lotissements de la HoD, squatters, populations déplacées du grand Durban. Un projet fut élaboré selon ces grandes lignes, incluant la volonté proclamée de fournir des logements accessibles aux pauvres. Le forum, composé d'une trentaine de représentants donna naissance à une association de développement chargée de gérer la mise en oeuvre du projet dont l'objectif est de parvenir à un développement intégré de l'habitat, de l'activité et de la communication. Néanmoins, la segmentation à l'extrême des parties prenantes, entre les instances politiques agissant au sein du forum et les squatters dont l'afflux massif dans la zone - malgré l'accord passé avec le forum - bloque le projet, entre les rivalités institutionnelles relatives aux droits sur la zone, qui prêtent à confusion, les conflits d'intérêts (Westville s'est retiré du forum en désaccord avec ce dernier sur le développement d'une sous zone), joints aux manoeuvres électorales, entravèrent l'entreprise de telle sorte qu'en janvier 1995, une seule application - certes déterminante - avait pris effet. Il s'agit de la création d'un trust de développement, dirigé par un bureau d'administration représentant les différentes composantes de la population et chargé de faire aboutir le projet.
L'étude de ces quelques exemples illustre donc cette mise en place d'une dynamique de développement visant à transcender les différents intérêts en présence par une action négociée, concertée et surtout inclusive. Les associations civiques se sont constituées comme les fers de lance d'une approche "communautarisée" des problèmes urbains, en encourageant la participation populaire à la mise en oeuvre des projets par l'intermédiaire de modalités visant à autonomiser les communautés (cf. l'Association d'habitat du civic Wattville ou l'attribution "contrôlée" des terres dans les communautés d'Amatikwe et de Wattville). Dès lors, si la participation populaire, encouragée par les civics, est un vecteur intégrateur des multiples intérêts communautaires au sein des projets de développement, elle reste étroitement liée à l'idée de contrôle communautaire dans la mesure où, semble-t-il, seule une maîtrise du processus par les communautés peut leur permettre de surmonter certains obstacles, qu'ils soient d'ordre financiers, sociaux ou politiques, qui se dressent contre la satisfaction de leurs besoins. En fait, on peut se demander si le civic, en tant qu'organe conduisant et encadrant le processus de développement dans un cadre communautaire, est capable organiquement de représenter la communauté, et non pas simplement représenter les intérêts de la communauté, autrement dit parler en son nom ? Cette question est importante car finalement, l'enjeu qui préside au contrôle communautaire du développement réside peut-être dans la faculté des civics de développer une logique démocratique et responsabilisante susceptible de transcender les clivages et les obstacles à une dynamique de développement autonomisée. Il semblerait que cette hypothèse trouve une certaine réalité à travers la constitution de trusts communautaires. C'est la question que nous allons aborder maintenant.
Chapitre 2 : Une logique sociale responsabilisante au coeur de la légitimité des civics à conduire le processus communautaire de développement.
Les associations civiques ont conduit de multiples négociations avec les autorités étatiques (IDT), locales (à travers les joint technical committee) et les milieux d'affaires (Urban Foundation et les institutions bancaires privées) afin de garantir la maîtrise du développement dans un cadre communautaire par le biais de la participation populaire au processus. La création d'une association d'habitat par le civic de Wattville qui assure une gestion communautarisée de la propriété en restreignant son caractère individuel ou le mécanisme d'attribution des terres institué par le civic d'Amatikwe qui s'efforce d'établir entre l'individu et le groupe des relations équilibrées de telles sortes que la cohésion de la communauté soit maintenue, participent d'une logique sociale autonomisée et communautarisée des enjeux de la reconstruction urbaine. Les associations civiques expriment ainsi la volonté de promouvoir une approche de développement privilégiant une certaine "responsabilisation" des bénéficiaires du développement, inhérente à la logique "contrôlée" du processus.
Si les organisations civiques manifestent ainsi le désir d'organiser les communautés afin que ces dernières puissent se prendre en charge, encore faut-il qu'elles puissent intervenir dans la vie communautaire en fonction des attributions que les communautés leur reconnaissent. Autrement dit, la question du contrôle démocratique collectif du processus de développement communautaire, induit par l'action collective et la prise de décision autonome des communautés, se pose à travers la possibilité octroyée aux communautés de sanctionner les opérations de développement conduites par les civics en association avec leurs partenaires financiers, juridiques et techniques. En effet, si les civics mettent en place des mécanismes assurant aux communautés la prise en compte de leurs intérêts, la participation communautaire au processus de développement n'atteindra un paroxysme que si les civics parviennent à se constituer en mouvement démocratique. Si l'on expose le problème différemment, la maîtrise du processus de développement peut exiger que la participation populaire transite plus directement par le canal du civic au lieu d'être simplement négociée par les civics auprès des communautés de base. A cet égard, il apparaît que les associations civiques ont mis en place un mécanisme tout à fait original, propice au développement d'une approche intégrée et qui responsabilise les bénéficiaires des projets - i.e. les communautés - : il s'agit du trust de développement communautaire dont on peut se demander s'il ne constitue pas une catégorie juridique compatible avec la logique communautarisée de penser le développement ?
I/ Le trust de développement communautaire : un outil juridique assurant le contrôle du processus de développement par les communautés de base
Il s'avère en effet que les civics privilégient cette formule juridique qui s'inscrit dans une tradition anglo saxonne, afin de formuler sur le terrain leur approche intégrée du développement. C'est ainsi que les civics de Wattville et d'Amatikwe ont décidé d'instituer un trust de développement communautaire, composé pour le premier des membres du civic et de la communauté de Tamboville et pour le second, du civic et des représentants de l'autorité tribale de Qadi à travers le Qadi Management Committee. En règle générale, le financement des projets de développement par l'IDT, par les organisations apparentées au monde des affaires ou les ONG, est subordonné à la création d'un organe agissant comme un promoteur, chargé de coordonner les actions de développement ("a developer"). Il s'agit là d'un point essentiel du processus de développement dans la mesure où l'absence d'un organe consolidant les intérêts communautaires ("consolidation body") conduit à bloquer les initiatives sur le terrain. En fait, il apparaît que les organisations civiques capables de mettre en place un mécanisme susceptible d'innerver l'ensemble des initiatives communautaires, obtiennent des résultats tout à fait palpables quant à l'amélioration des conditions de vie des communautés. En formant des trusts, les civics parviennent à s'émanciper des conditions imposées par leurs interlocuteurs gouvernementaux. En fait, la création d'un trust obéit à une logique tendant à assurer l'autonomie financière des communautés mais étant donné le caractère essentiel que présente la question du financement des projets dans la maîtrise du processus de développement, il arrive que des tensions surviennent entre les civics et certains de leurs bailleurs de fonds à propos des conséquences que l'institution d'un trust peut engendrer.
L'exemple du trust de développement communautaire de eMbalenhle ("the eMbalenhle Community Development Trust") est illustratif des enjeux qui sous-tendent la création d'un tel mécanisme. C'est en 1992 que le civic de eMbalenhle (the eMbalenhle Civic Association) propose que la communauté participe au financement d'un projet de développement dont les contributions financières seraient collectées par l'autorité locale. Dès lors, à partir de cette proposition, les acteurs locaux - le civic, Sasol et l'administrateur de eMbalenhle - ont conclu un accord créant un trust de développement, assorti de deux conditions : d'abord, chaque contribution financière des membres de la communauté doit être soumise à l'autorisation préalable de la communauté. Ensuite, la création du trust doit avoir pour objet de contrôler l'allocation des sommes versées au financement du projet de développement. Le civic a donc organisé une réunion importante, rassemblant la majorité de la population du site qui a accepté de verser au trust 5 rands par mois pour la construction d'une maison "en dur" et 3 rands pour une maison "informelle", étant entendu que l'ensemble de ces sommes seraient versées dans le cadre du paiement mensuel des loyers.
Un tel mécanisme, qui aboutit en principe à autonomiser financièrement la communauté, a rapidement suscité la méfiance à la fois des autorités locales et des acteurs financiers, en dépit de l'accord intervenu entre eux et l'association civique. En effet, un premier incident est apparu lorsque le conseil municipal a décidé de procéder au recouvrement des fonds versés par la population, alors qu'aucune disposition légale n'avait été encore prise quant à la mise en place de mécanismes mettant les sommes collectées - soit 160.000 rands - au service de la communauté. Par ailleurs, la section régionale de l'administration provinciale du Transvaal (Eastern Transvaal regional office) a remis en question la validité de la constitution d'un trust de développement au regard des dispositions financières du Black Local Authority Act de 1982, qui interdit au civic de recevoir un quelconque financement du conseil municipal. Ce conflit opposant l'Etat au civic, a finalement trouvé une solution, tranchée dans le cadre du Local Government Negociation Forum, et par l'intermédiaire de l'arbitrage d'un avocat, GJ Myburgh qui a proposé que les trustees et l'administrateur passent un engagement contractuel au terme duquel l'administrateur n'est autorisé à collecter de l'argent qu'au travers d'une commission perçue au nom du trust. Cette décision a le mérite de concilier les parties en présence puisque le trust peut désormais fonctionner légalement et l'autorité locale se voit maintenir son droit de procéder au recouvrement des sommes versées par la communauté d'eMbalenhle.
Néanmoins, la participation communautaire au financement du projet s'avère insuffisante au regard de l'ampleur des problèmes. C'est la raison pour laquelle le trust d'eMbalenhle doit être élargi à d'autres organisations susceptibles d'apporter un soutien financier substantiel et au premier rang duquel figure l'Independant Development Trust. Or, il s'avère que l'IDT reste méfiant quant à la possibilité que le conseil des trustees (Board of Trustees) soit sous le contrôle du civic. En effet, l'IDT établit deux conditions préalables à sa participation au trust, qui expriment en fait une réserve quant au rôle et à la nature du civic au sein du processus de développement. Ainsi, en subordonnant son soutien financier à l'affectation des fonds directement aux communautés de base et à l'absence de conflits entre les différentes organisations présentes au sein de la communauté, l'IDT nie au civic toute capacité à rester politiquement neutre et à représenter l'ensemble des intérêts de la population. Cette hostilité de l'IDT à l'égard du civic d'eMbalenhle est en fait sous-tendue par la présence au sein du trust de représentants de l'ANC, du SACP et de SANCO qui sont perçus par le gouvernement comme un bloc oppositionnel exclusiviste à l'égard d'autres organisations. Une telle perception du contexte s'inscrivant dans la tradition de la "citadelle assiégée", ne pouvait qu'inciter l'IDT à être extrêmement méfiant envers la composition du conseil des trustees, telle qu'elle a été établie par l'accord initialement conclu entre Sasol, l'autorité locale, la Secunda Business community et le civic d'eMbalenhle.
Cet accord, qui octroyait à l'organisation civique la possibilité de nommer une majorité au sein du Board of Trustees, était donc dénoncé par l'IDT qui ne voyait que manoeuvre politique là où il n'y avait que volonté du civic d'autonomiser financièrement le processus communautaire de développement. Finalement, le civic d'eMbalenhle a tenté de contrer ces critiques en proposant trois alternatives possibles à partir desquelles une procédure de désignation des trustees a été acceptée et mise en place, conformément aux dispositions suivantes : au moins deux tiers des trustees doivent être résidents de eMbalenhle et choisis sur la base de leur enracinement local et de leur connaissance de la vie de la communauté; au moins un quart des trustees ne doivent pas être des bénéficiaires directs ou indirects de l'activité du trust et ils doivent être désignés sur la base de leur compétence en matière d'aménagement et de développement urbains, ainsi que sur leurs connaissances financières, administratives et juridiques; enfin, les trustees doivent être nommés par un conseil spécialement habilité à pouvoir désigner les trustees - "a Trustee Nomination Board" -, composé de cinq membres élus par le Board of Trustees sortant et ratifié par une assemblée générale annuelle. Cette procédure de désignation des trustees est ainsi exemplaire dans la mesure où elle permet à la communauté de conserver le contrôle des décisions tout en autorisant les divers acteurs extra-communautaires qui se sont engagés dans le processus de développement de la zone, de maintenir leur influence déterminante sur les prises de décision.
En fait, la question de la désignation des trustees se révèle être tout à fait fondamentale lorsque le devoir du trustee est de détenir les crédits pour le bénéfice de la communauté. En effet, au regard de la nature du trust qui peut se définir comme "une obligation imposée par l'Equity à une personne, le trustee, au profit d'une autre, le bénéficiaire", la création d'un trust ayant un objet purement financier rend caduque tout accord passé entre celui-ci et un civic, autorisant le trust à nommer un civic comme son agent chargé de mettre en oeuvre les projets de développement. La destination financière d'un trust interdit rigoureusement à celui-ci de procéder à la désignation d'un agent intervenant en son nom dans le domaine de l'aménagement urbain. Or, il apparaît que l'accord initialement conclu entre le trust et le civic d'eMbalenhle était conçu dans cet esprit ("an agency agreement") contractuel illicite alors qu'en fait, seule devait être maintenue l'obligation qui incombe au trust de financer les projets dont la détermination des besoins communautaires prioritaires, la conception des modalités de mise en oeuvre et la demande de financement, relèvent de la compétence du civic.
Dès lors, si l'on garde à l'esprit que l'obtention des financements est une question essentielle, susceptible de mettre en péril la maîtrise communautaire du processus si les sources de financements sont détenues par des acteurs ayant des intérêts différents de ceux des communautés, la composition d'un trust peut refléter ces divergences d'intérêts, et elle peut ainsi conduire à paralyser l'action intégrée du développement si les communautés ne détiennent pas suffisamment d'influence au sein du Board of Trustees pour orienter les décisions financières en leur faveur. Ainsi, si la théorie juridique anglo-saxonne sanctionne le trustee qui se place dans une situation où ses intérêts propres pourraient entrer en conflit avec son devoir de loyauté à l'égard du trust (i.e. l'Equity exige que le trustee prenne toute mesure nécessaire à la conservation du bien et dispose du capital et des intérêts produits, conformément aux dispositions de l'acte constitutif), il apparaît néanmoins que le trust ne constitue pas une structure démocratique et totalement responsable si les trustees ne sont pas tous en même temps les bénéficiaires du trust. En effet, il s'avère que l'unique responsabilité d'un trust comme celui d'eMbalenhle, se limite à l'utilisation rationalisée des fonds qu'il contrôle et à l'accomplissement des objectifs fixés dans l'acte constitutif alors que le bénéficiaire ne peut ni désigner, ni révoquer les trustees qui ne sont en aucun cas son mandataire.
Cette hypothèse, que l'on pose pour les trusts ayant été institués pour financer les projets de développement mais qui est également valable pour tous les trusts au service d'une diversité d'objectifs possibles, ne peut qu'inciter les civics à se maintenir comme une structure représentative, responsable dans la conduite des projets de développement et très proche des besoins des communautés. Dès lors, lorsque le système du trust implique une multiplicité d'acteurs engagés dans le processus de développement - ce qui est souvent le cas à propos des questions de financements - on peut se demander si les associations civiques sont véritablement en mesure de maîtriser la logique processuelle de développement au regard des intérêts contradictoires pouvant siéger au sein du trust ? Autrement dit, lorsque le Board of Trustees ne reflète pas ou n'est pas l'incarnation des bénéficiaires du développement, les associations civiques entrent-elles dans une logique seulement concertée du développement ?
Cette question mérite sans doute d'être posée dans la mesure où jouissant d'une responsabilité limitée et n'étant pas dotés d'un cadre légal et statutaire clairement défini, les trusts sont parfois délaissés par les civics au profit de l'établissement d'une compagnie section 21 (ou compagnie à but non lucratif - "not-for-profit-company" -) soumise à des règles plus strictes, octroyant aux communautés le droit de procéder non seulement à l'élection des dirigeants mais aussi à leur révocation. Ce type de mécanisme semble utilisé par les civics lorsque plusieurs intérêts doivent être canalisés pour permettre un développement inclusif d'une zone. Par exemple, le projet d'aménagement "Goldev" est conduit et contrôlé par la création d'une compagnie section 21 associant NewHco (Urban Foundation) et le Golden Highway Development Corporation et reflétant à la fois les intérêts des résidents, des associations civiques, du monde des affaires et la municipalité de Johannesburg. En tous les cas, les civics semblent recourir de plus en plus à cette formule lorsqu'il s'agit de négocier l'avenir des résidents du site avec des interlocuteurs représentant d'autres intérêts. Comme l'affirme un représentant du civic de Johannesburg, Aziz Shaik, "The section 21 company is an innovative management structure which will ensure that development of the Goldev area responds to community needs now and in the future"
Le schéma classique du trust juridique impliquant la présence de trois parties distinctes, entre le trustor propriétaire originel du bien, le trustee à qui les biens sont confiés afin qu'il les gère dans l'intérêt du cestui que trust, autrement dit le bénéficiaire, ne parait pas satisfaire une approche intégrée exprimant la participation populaire. En revanche, lorsque le fidéicommis ne comporte que deux parties, la communauté cumulant les rôles de trustor et de bénéficiaire, il parait légitime de s'interroger sur les conséquences qu'un tel mécanisme peut apporter au processus communautaire de développement contrôlé par les organisations civiques agissant en représentant des communautés.
Les résidents de Zilweleni, à travers le Zilweleni Residents' Association, semblent être parvenus à instituer un trust reflétant les intérêts exclusifs des communautés. En fait, en instituant le Zilweleni Development Trust, le civic s'engage inexorablement dans une approche pleinement holistique du processus de développement. A travers le trust, c'est la communauté qui maîtrise la dynamique de développement : le civic constitue le trustor et les trustees sont choisis parmi les membres de la communauté de Zilweleni. Ce trust est ainsi enraciné dans la communauté et il est responsable devant le civic des actions pour lesquelles il a été institué. Néanmoins, la constitution d'un tel outil juridiquement contrôlé par la population a suscité la méfiance à la fois du secteur privé et de l'IDT qui a refusé de transférer les subventions directement au trust. Finalement, les trustees sont parvenus à un compromis avec l'IDT puisque les subventions en capital sont transférées au Joint Service Board du Natal qui assure ainsi le relais financier du projet de développement. Les résultats du projet sont plutôt encourageants au regard de l'état d'avancement des travaux : les voies de communication terrestres sont achevées, les robinets d'eau potable se généralisent sur l'ensemble du site. En fait, ce succès s'explique à la fois par la capacité du trust à surmonter les obstacles inhérents à sa mission et par la confiance qu'il a su inspirer par ses actions de développement, auprès de la communauté et de BESG chargé de superviser l'ensemble du programme. Le trust de Zilweleni gère ainsi deux comptes bancaires, il effectue tous les paiements relatifs au financement des travaux et il examine scrupuleusement toutes les transactions financières reliées au budget du projet. Il a également la responsabilité de gérer les terres qu'il détient jusqu'à ce que les parcelles soient attribuées aux candidats acquéreurs.
Le trust a par ailleurs révélé sa capacité à prendre des initiatives qui génèrent une dynamique de développement productive créant des compétences et produisant de la formation. Il s'est avéré en effet que l'étroitesse du budget a contraint les chefs du projet à réduire l'approvisionnement des sanitaires auprès de leurs fournisseurs. Cette décision, qui a pour conséquence de raréfier l'abondance de l'eau dans chacun des emplacements, était censée assurer une meilleure affectation du budget directement aux besoins de la communauté. C'est alors que le trust a opté pour la solution la plus profitable à la population et qui consiste à la faire participer à la fabrication des sanitaires de façon à ne pas déséquilibrer le projet initialement conçu. Ainsi, dix résidents au chômage ont été sélectionnés pour recevoir une formation technique et juridique devant leur permettre de s'impliquer dans la fabrication et la commercialisation des latrines. Le trust a ensuite négocié avec ces résidents, qui se sont érigés en véritables entrepreneurs locaux, l'embauche d'autres manoeuvres au sein de leurs entreprises appartenant à la communauté afin d'assurer l'entretien et la sécurité du matériel entreposé sur le site de Zilweleni. Cette initiative aboutit finalement à responsabiliser les résidents dans la conduite des opérations d'aménagement urbain en suscitant la création d'activités génératrices de revenus au bénéfice de la communauté et des individus.
Le projet de Zilweleni reflète ainsi l'implication communautaire dans le processus de développement et il semble également démontrer le lien organique liant le trust à la communauté à travers l'association civique. En fait, le civic parvient à représenter véritablement la communauté, on peut même se poser la question de savoir si à travers l'institution d'un trust, le civic n'est pas l'unique organe d'expression de la communauté ? En effet, l'institution d'un trust par un civic permet à celui-ci de s'identifier avec la communauté, bénéficiaire du trust. En agissant au nom des communautés et en organisant le développement et la cohésion des communautés, les civics acquièrent une légitimité auprès d'elles, et cela est d'autant plus visible qu'ils maîtrisent le processus à travers la participation populaire érigée en nouveau référent de légitimité. Or le trust de développement communautaire est un mécanisme faisant participer les populations dont certains des membres sont désignés comme trustees par les civics. Dès lors, ne pourrait on pas en conclure que les véritables trustors sont en fait les communautés qui s'expriment par le canal des civics ? Les civics constituent les trustees des communautés puisqu'ils organisent le contrôle des terres, l'affectation des parcelles aux résidents et la viabilisation générale des sites. Des membres des communautés bénéficiaires peuvent être également désignés comme trustees par le civic, et dans tous les cas les bénéficiaires du trust - i.e. les résidents - sont également les propriétaires. Si les civics créent des trusts, ils ne sont pas pour autant des settlors (ou trustors) car finalement, les véritables propriétaires, ceux qui détiennent vraiment la maîtrise du processus de développement, sont les résidents. Sans doute la nature du trust, institué pour procéder au développement d'une zone est-elle propice à faire des résidents non-propriétaires et donc en situation légale précaire au moment de la formation du trust, les propriétaires réels et les acteurs véritables du processus de reconstruction du tissu urbain et social. Les organisations civiques deviennent leur canal d'action et d'expression privilégié et une certaine symbiose s'opère peut-être entre elles et les communautés.
Nous nous proposons d'essayer de formaliser sous la forme de schémas synoptiques (cf. pages suivantes) la mutation qu'opère l'institution d'un trust sur les rapports entre une organisation civique et une communauté de résidents, selon que la structure du trust est tripartite ou bipartite. Cet exercice a pour objet de montrer l'enjeu qui sous-tend la redéfinition des civics à travers une modification de sa structure et par conséquent de sa nature. Le modèle que nous appelons négocié (schéma n° 1), qui résulte de la mise en place d'un trust ayant une structure tripartite - les bénéficiaires se distinguant du trustor -, tente de montrer que les civics restent tributaires de la confiance que leur accordent les communautés pour négocier en leur nom et en leur faveur les objectifs et les modalités du processus de développement. Les civics constituent des médiateurs entre les intérêts des communautés et ceux de leurs partenaires économiques et politiques, le trust étant l'instrument de cette médiation. La maîtrise du développement communautaire est ainsi partagée entre ces partenaires et les civics, c'est la raison pour laquelle la participation des bénéficiaires est subordonnée aux résultats de la négociation entamée entre les civics et les acteurs gouvernementaux et économiques. Les communautés utilisent ainsi les civics comme un canal d'expression de leurs revendications mais en aucun cas elles ne peuvent contrôler le processus par une identification aux structures de développement. En revanche, le modèle intégré issu de la constitution d'un trust dans lequel le trustor s'identifie aux bénéficiaires (schéma n° 2), place les civics à l'épicentre de la représentation communautaire, les communautés utilisant les civics pour impulser et orienter le processus de développement, pour finalement contrôler ce dernier et autonomiser son action. Les civics peuvent légitimer leurs actions auprès des populations qui sont en mesure d'influer directement sur les démarches menées par les civics pour négocier le développement urbain. Dès lors, il parait plausible d'émettre l'hypothèse selon laquelle les communautés utilisent l'entremise du trust pour instrumentaliser l'action des civics qui peuvent faire ainsi légitimer leur démarche. Peut-être que la véritable réponse au défi du "representativeness" se situe à ce niveau.
II/ Une catégorie juridique "interculturelle" assurant le lien organique entre les civics et les communautés
La question qu'il convient en effet de se poser est de savoir si les civics n'assurent pas la protection et l'indépendance des communautés par l'intermédiaire des trusts ? Autrement dit, est-ce que le trust en tant qu'organe juridique ne constituerait pas une catégorie juridique compatible avec le modèle communautarisé de développement ? Cette question envisage en fait le trust comme un processus de juridicisation tel que le définit le Professeur Michel Alliot, c'est-à-dire comme un système fondé sur la régulation de la communauté par la responsabilisation des groupes qui la composent, la société pouvant trouver sa cohérence dans le principe même de sa structuration. Si l'on accepte l'idée selon laquelle la relation bipartite du trust de développement communautaire, mise en place par les civics, aboutit à mettre le trustor - i.e. la communauté - dans une position spécifique lui permettant de vérifier l'exécution du trust et de déterminer le degré de latitude dont peut disposer le trustee, le trust pourrait être alors une institution capable de développer des règles émanant de la communauté elle même. Il convient de se demander alors si les ressorts qui fondent le trust ne légitimeraient pas les civics dans leurs actions, parce qu'ils participent d'une logique sociale centrée sur la responsabilité des hommes ? Le trust constitue pourtant un mécanisme juridique dont les racines plongent dans la tradition anglo-saxonne du Moyen Age mais il semble que les principes auxquels le trust obéit, apparaissent adaptés à la logique fondatrice propre aux communautés sud-africaines des "townships", celle de la maîtrise du processus de développement impliquant l'engagement des populations et par conséquent leur responsabilisation et leur autonomie.
En effet, le trust implique l'idée de responsabilité des communautés agissant à travers les civics dans la mesure où le trustee - i.e. le civic - a une obligation d'agir pour le compte des communautés, qui est fondée non pas sur une base contractuelle impliquant la sujétion mais sur la confiance accordée par les communautés aux trustees. Or cette situation de confiance procède de la détermination de règles et d'actions opérée par les populations et à l'intérieur des communautés. Les civics, en tant que trustees, se voient conférer une liberté d'action par les communautés en raison de l'obligation sans contrainte qu'ils doivent assurer. Si le trust peut s'apparenter à une obligation sans contrainte, il se présente à la fois comme le corollaire et la sauvegarde de la cohésion et de l'autonomie communautaire. La réciprocité entre la confiance donnée par les communautés et l'obligation assumée par les associations civiques n'a ainsi de véritable signification que si elle implique la responsabilisation des acteurs engagés dans le processus de développement, autrement dit, c'est parce que les problèmes et les enjeux du développement sont solutionnés dans "le ventre du village" que le trust peut constituer une catégorie juridique interculturelle, réappropriée par les civics dans l'optique d'affermir leur logique d'action. Peut-être faut-il se demander si les civics n'utiliseraient pas le trust de développement communautaire comme une forme de régulation spécifique des communautés qu'ils représentent, afin de domestiquer l'Etat central qui cherche à imprimer sa logique unitariste en uniformisant les solutions juridiques et sociales aux problèmes posés par la reconstruction urbaine ? Cette hypothèse, qui présente une certaine analogie avec l'utilisation qu'en faisaient les propriétaires fonciers anglais au Moyen Age, parait trouver une certaine réalité si l'on considère que les civics ont construit un modèle de développement à la fois négocié, intégré et contrôlé par les communautés par le biais de l'implication communautaire. Dès lors, la mise en place des trusts illustre certainement cette préoccupation des civics d'adapter les formes des structures sociales des townships aux nouveaux enjeux de la redistribution du pouvoir qui résultent de la transition démocratique.
CONCLUSION
L'enjeu qui préside à la redéfinition des civics, appréhendé à travers leur capacité à s'ériger en un mouvement social urbain institutionnalisé et légitime, reflète finalement la complexité de la situation sud-africaine, très politisée et évidemment marquée par son passé toujours présent de lutte et d'organisation. Néanmoins, en dépit des lacunes nombreuses et des questions posées qui subsistent, quelques résultats peuvent être dégagés de notre étude.
Les associations civiques sont en train d'explorer et d'expérimenter une logique processuelle de la reconstruction urbaine à l'échelon communautaire, qui se développe autour de deux axes. Le premier axe que l'on a tenté d'identifier est celui de la négociation qui représente un enjeu essentiel de la stratégie de mobilisation des civics, dans la mesure où l'acceptation du principe de compromis avec les autorités étatiques et les milieux économiques du pays exprime avant tout la volonté de faire prévaloir leur compréhension de la notion de développement urbain. Si le processus de démocratisation invite par conséquent les civics à sortir du cloisonnement politique dans lequel les avait enfermés la lutte contre l'apartheid, pour aller se confronter dans l'espace d'une Afrique du Sud non raciale et unifiée, la logique des négociations entamées par les civics constitue un instrument de mobilisation et de consolidation des valeurs qu'ils véhiculent. Les différentes options, défendues par les civics dans le cadre des forums de négociation ou sur le terrain des projets de développement, négociées avec des interlocuteurs ne partageant pas toujours les mêmes points de vue - les agences de développement étatiques comme l'Independant Development Trust ou privées comme l'Urban Foundation, les milieux bancaires, les municipalités blanches et noires, certaines autorités hiérarchiques traditionnelles notamment au KwaZulu/Natal - participent d'une dynamique possédant sa problématique légitime du processus de développement urbain et qui érige par conséquent les civics en interlocuteurs crédibles et incontournables. Les civics se positionnent ainsi en de véritables médiateurs entre les intérêts des populations des townships qu'ils défendent et ceux des acteurs engagés dans la reconstruction urbaine, dont l'intervention est indispensable au regard de l'ampleur de leurs moyens d'actions.
Cette médiation opérée par les associations civiques à travers la logique concertée et négociée se polarise également par une logique intégrée du développement. Il s'agit là du deuxième axe que l'on a pu repérer et qui donne sa cohérence à la médiation négociée par les civics. En effet, les civics promeuvent une démarche inclusive des multiples intérêts en jeu dans le processus de reconstruction, qui fait de la participation populaire le référent de leur problématique légitime de développement et surtout de leur propre légitimité auprès des communautés. Les civics s'évertuent ainsi à organiser l'autonomisation du processus de développement par les communautés car seule la maîtrise du développement dans un cadre communautaire est susceptible de légitimer leurs actions.
Le contrôle communautaire de développement urbain, s'exprimant par une implication et une responsabilisation des populations directement concernées par la pauvreté urbaine, octroie aux civics une réelle opportunité de s'institutionnaliser sur le champ politique et social. Car si les civics cherchent à s'identifier totalement avec les communautés afin de se constituer en mouvement social urbain, c'est parce que cet enjeu est au coeur de leur légitimité à devenir le vecteur d'unification de la société urbaine, aujourd'hui fragmentée et divisée, dans son rapport à l'Etat.
Or il apparaît que les civics parviennent à mettre en valeur une notion transversale des multiples identités qui parcourent la réalité urbaine : la participation populaire qui est une valeur prenant toute sa signification dans un processus de développement communautaire contrôlé par les civics. En fait, les civics ont fait de cette notion de participation populaire la base d'un processus de développement performatif dans la mesure où la participation populaire est à la fois un critère, un objectif et une méthode du développement social et politique à l'échelon local et urbain. C'est la raison pour laquelle elle fonde l'aptitude des civics à penser le développement urbain en position de force, c'est-à-dire avec l'appui des communautés qui font partie intégrante des mécanismes développés par les civics pour mener leur logique de développement.
La réponse des civics au défi de la pauvreté urbaine par une logique négociée et intégrée doit s'élucider en dernière analyse à travers le modèle structural de la relation du groupe social - le civic - au pouvoir politique - l'Etat sud-africain. En effet, la mutation stratégique dans laquelle se sont engagé les civics par le biais de la négociation et d'initiatives concrètes gérant la prise en charge des problèmes urbains, ne doit pas pour autant occulter le sens profond de leur démarche. Car enfin, si l'on doit apprécier les mécanismes mis en place par les civics pour négocier le développement urbain, à l'aune de la réarticulation de la société civile à l'Etat, il convient de reconnaître qu'ils élaborent, à travers leur vision négociée et intégrée, un mode de constitution de la sphère politique pouvant se comprendre comme un véritable mécanisme de défense de la société urbaine sud-africaine contre un Etat pensé de façon unitaire. C'est comme si les civics constituaient leur sphère politique en fonction d'une intuition qui leur tient lieu de règle, à savoir que le pouvoir central est par essence synonyme de coercition, l'activité unificatrice de la fonction politique étatique s'exerçant non pas à partir des structures de la société civile mais à partir d'un principe d'une autorité extérieure et créatrice de sa propre légalité.
Si les civics ont développé de nouveaux "modes populaires d'action politique" leur permettant d'explorer de nouvelles voies recomposant le tissu social urbain, la signification politique de ces mécanismes reste donc marquée par une culture de résistance très affirmée mais qui emprunte d'autres canaux d'expression que les actions de masse - toujours employées d'ailleurs à travers l'invasion des terres comme principe pour poser les problèmes avant l'ouverture des négociations. La mise en place des trusts de développement communautaires, la création d'associations d'habitat ou la définition des critères permettant d'allouer les terrains à bâtir aux candidats acquéreurs, font partie de ces mécanismes constitués par les civics pour prévenir toute action hégémonique étatique.
Les organisations civiques restent cependant tributaires de la dimension temporelle qui s'avère être tout à fait fondamentale pour leur avenir politique et social. En effet, au regard d'une situation politique et sociale qui peut varier d'autant plus rapidement que la violence reste prégnante, la question essentielle des nouvelles institutions politiques locales, incertaine et les nouvelles alliances et autres reconversions récentes (par exemple l'Urban Foundation) ambiguës durant la phase transitoire du partage gouvernemental, l'enracinement des civics dans le champ urbain demeure précaire. Se constituer en un mouvement social urbain exige du temps, dans la mesure où les civics doivent à la fois affermir leur identité auprès des communautés de base, préciser et généraliser à l'ensemble des zones urbaines marginalisées leur logique de développement globalisante et enfin rester vigilant vis-à-vis des structures gouvernementales et du monde des affaires. Autrement dit, la problématique légitime du développement urbain, définie par les civics, n'en est qu'à ses débuts, "le prisme" de la démocratisation pouvant plus que jamais altérer l'enjeu urbain en Afrique du Sud.
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Annexe : Récapitulatif des principales étapes ayant marqué le processus des négociations entamées depuis 1989 :
1989 2 février : le "caucus" des députés nationalistes élit F.W. De Klerk au poste de chef du parti national (National Party).
15 août : De Klerk accède à la présidence de la République sud-africaine, après la démission contrainte de Pieter W. Botha à la fois de la présidence du NP et de l'Etat.
1990 2 février : lors de l'ouverture de la session parlementaire, F.W. De Klerk annonce la re-légalisation des organisations politiques autrefois interdites (ANC, PAC, SACP, UDF), la libération des prisonniers politiques dont Nelson Mandela, libéré le 11 février après 27 ans d'emprisonnement. C'est le début de la phase de normalisation.
2 mai : rencontre historique de Groote Schuur entre N. Mandela et F.W. De Klerk : le NP et l'ANC conviennent d'entamer des négociations.
7 juin : levée de l'état d'urgence en vigueur depuis juin 1986.
7 août : décision de l'ANC de suspendre la lutte armée, c'était une condition indispensable à la poursuite de la politique d'ouverture du gouvernement.
1991 30 juin : les structures institutionnelles de l'Apartheid sont officiellement enterrées avec l'abolition des principaux textes qui les régissaient (le Group Areas Act et le Land Acts sont abolis le 5 juin; le Population Registration Act est aboli le 17 juin).
10 juillet : les Etats-Unis lèvent la plupart de leurs sanctions commerciales.
14 septembre : The National Peace Accord : accord de paix signé par le gouvernement, l'ANC et l'IFP au sein de la CODESA, pour tenter de mettre un terme au cycle de violence qui secoue le pays depuis la fin des années 1980 et normaliser la vie politique.
20/21 décembre : ouverture de la Convention pour une Afrique du Sud Démocratique (CODESA I) regroupant 19 organisations politiques et sociales et ayant pour mission de définir les bases du futur système politique et les réformes constitutionnelles à mettre en oeuvre. Les partis d'extrême droite et d'extrême gauche refusent d'y participer.
1992 Février : levée des sanctions commerciales européennes.
17 mars : organisation d'un référendum au sein de la communauté blanche. A la question "Etes-vous favorable à la poursuite du processus des réformes engagées le 2 février 1990 par le chef de l'Etat qui, par les négociations, déboucheront sur une nouvelle Constitution ?", le "oui" l'emporte avec 68,73 % des suffrages. Cette date peut marquer le début du processus de démocratisation.
15/16 mai : la seconde session de la CODESA n'aboutit pas, l'ANC et le NP n'ayant pu se mettre d'accord sur les modalités de vote dans les futures chambres législatives (question du pourcentage requis pour émettre un véto dans la future assemblée constituante, l'ANC proposant 66% et le NP 75%).
20 juin : à la suite du massacre de Boipatong (le 17 juin) de 46 militants de l'ANC résidant dans la cité noire de Boipatong, par des partisans de l'Inkhata que la police (the South African Police - SAP-) est soupçonnée d'avoir aidés et encadrés, Nelson Mandela annonce la suspension des négociations. A partir de là, l'ANC manifeste la volonté d'engager des négociations bilatérales avec le NP, tout en maintenant la fiction de la participation de toutes les forces politiques du pays. Des rencontres bilatérales se sont ainsi multipliées entre juin 1992 et mars 1993 ; les plus importantes semblent être les conclaves ("bosberaads") du 2/4 décembre 1992 et du 13 février 1993.
26 septembre : signature du "Record of Understanding" (à la suite de plusieurs rencontres entre le ministre du développement constitutionnel, Roelf Mayer et le secrétaire général de l'ANC, Cyril Ramaphosa) qui illustre parfaitement la nouvelle approche des négociations qui s'opèrent désormais dans un cadre bilatéral, entre l'ANC et le NP. Le gouvernement se plia aux exigences de l'ANC, en acceptant le principe d'un gouvernement intérimaire chargé d'organiser l'élection d'un parlement transitoire dont la tâche sera d'adopter une nouvelle constitution.
Octobre : création du Concerned South African Group (COSAG) en réaction à la préemption du couple ANC/NP sur les négociations. Il regroupe des partis d'extrême droite (the conservative party et l'Afrikaner Volksunie) et les leaders des bantoustans conservateurs (KwaZulu, Ciskei, Bophuthatswana). Il s'est transformé en octobre 1993 en "Alliance de la liberté" ("Freedom alliance"), intégrant dans ses rangs l'Afrikaner Volksfront.
1 décembre : projet de constitution au KwaZulu/Natal adopté par l'assemblée législative du KwaZulu, qui organise l'autonomie d'un Etat Zulu au sein d'une Afrique du Sud fédérale. Rejet de cette proposition par le gouvernement, qui a pour conséquence de dissocier un peu plus les liens unissant le NP à l'IFP.
1993 21 février : conclusion d'un accord au World Trade Centre entre le gouvernement et l'ANC, qui prévoit le partage du pouvoir pour 5 ans, précédé par des élections générales au début de l'année 1994. C'est dans ce contexte que fut créé le Transitional Executive Council (TEC), chargé d'organiser les élections dans le respect des principes de la constitution intérimaire en cours d'élaboration.
17/18 novembre : ratification des principes de la nouvelle Constitution intérimaire par le Parlement du Cap.
22 décembre : adoption de la Constitution intérimaire par la majorité des députés blancs, métis et indiens du Parlement sud-africain (237 voix contre 46), malgré la ferme opposition de l'extrême droite et de l'Inkhata. Cette Constitution entrera en vigueur avec les premières élections ouvertes à la majorité noire, prévues le 27 avril 1994. Elle sera la loi suprême du pays pendant 5 ans, aux termes desquels une Constitution définitive sera adoptée.
Le Parlement est composé de l'Assemblée nationale (400 membres) et du Sénat (90 membres). La moitié des membres de l'Assemblée nationale est élue à la proportionnelle dans le cadre d'une circonscription nationale, l'autre moitié dans le cadre des neufs provinces. Les membres du Sénat sont désignés au suffrage indirect par les assemblées provinciales.
Les deux assemblées forment l'Assemblée constituante qui aura 2 ans pour adopter la Constitution définitive à la majorité des 2/3. Divers mécanismes - référendum notamment - sont prévus si elle n'y parvient pas.
Un gouvernement d'unité nationale est constitué. Son président (chef de l'Etat) est élu par l'Assemblée nationale. Les ministres sont nommés par le chef de l'Etat proportionnellement au nombre de sièges obtenus à l'assemblée par chaque parti. Tout parti disposant d'au moins 20 sièges a droit à un portefeuille. Le gouvernement prend ses décisions à la majorité simple.
Le 27 avril, sont également élues avec le même bulletin de vote les assemblées des 9 provinces qui désigneront à leur tour leur propre executif. Ces provinces auront leurs propres constitutions et seront dotées de larges pouvoirs qui ne pourront contredire ceux de l'Etat central.
1994 19 avril : accord signé à Pretoria par Buthelezi, De Klerk et Mandela, sur la participation de l'IFP aux élections du 27 avril 1994 de l'Assemblée nationale et des assemblées provinciales.
27 avril : élections générales : victoire incontestable de l'ANC avec 62,7% des voix, 252 sièges à l'Assemblée nationale et la direction de sept des neufs provinces du pays. Le NP obtient 20,4% des voix, 82 sièges et gagne la province du Western Cape. L'Inkhata obtient 10,5% des voix, 43 sièges et la direction de la province du KwaZulu/Natal. Le processus de démocratisation de la vie politique et sociale connaît une accélération sans précédent.
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