UNIVERSITÉ DE PARIS III SORBONNE NOUVELLE-
INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES DE LAMÉRIQUE LATINE
USAGE ALTERNATIF DU DROIT ET TRANSFORMATION SOCIALE.
Appropriation, utilisation et élargissement de la notion de droit
au Chili sous le régime militaire puis en période de transition
démocratique.
Mémoire rédigé par Sandrine Revet
Diplôme dÉtudes Spécialisées sur
lAmérique Latine (DESAL)
Option : Sociologie -Anthropologie
Année Universitaire 2000/2001
Septembre 2001
Sous la direction de M. Jean-Michel Blanquer
INTRODUCTION
*
PREMIÈRE PARTIE : LUSAGE ALTERNATIF
DU DROIT OU LE DROIT MIS AU SERVICE DE LA TRANSFORMATION SOCIALE ?
*
CHAPITRE I. : Le constat de la distance
entre Droit et société
*
Létat de conflit
*
Section 1 : Une population en marge, un
régime militaire. *
La población comme espace de
marginalité et didentité.
*
Le fonctionnement de la justice sous le gouvernement
militaire. *
Section 2 : La perception du Droit pyramidal.
*
Le Droit : une science ?
*
La neutralité du Droit.
*
Perception du Droit et citoyenneté.
*
Perception de la Justice au Chili.
*
Section 3 : La Constitution de 1980. La raison
au service de la force. *
CHAPITRE II. : Les stratégies de
Quercum. *
Section 1 : Élargir la notion de droit.
*
La notion de " conflit juridique ".
*
Déconstruction du sentiment légaliste.
*
Section 2 : Démystifier le droit.
*
Les passeurs. *
· Les étudiants
en droit. *
· Les avocats.
*
· Les moniteurs
juridiques. *
Les centres juridiques.
*
La résolution alternative des conflits et
des litiges. *
Les communautés.
*
Section 3 : Soutenir les actions, mobiliser.
*
Les tomas de terrenos. Les " prises
de terrains ". *
La mobilisation.
*
DEUXIÈME PARTIE : LUSAGE ALTERNATIF
DU DROIT OU LE DROIT MIS AU SERVICE DE LA TRANSFORMATION POLITIQUE ?
*
CHAPITRE I. : Usage Alternatif du Droit
dans le rapport à lÉtat.
*
Section I : Jusquen 1990 : la
confrontation. *
Section 2 : Avec la Concertation
Démocratique : négociation, conciliation ou rupture ?
*
Section 3 : Appropriation du système
ou appropriation par le système ?
*
· Projet de loi
de création des Tribunaux de voisinage
*
· Projet de loi
de création du Service National dAssistance Juridique.
*
· Les Corporations
régionales dAssistance Juridique
*
CHAPITRE II. : Transformation sociale et
transformation de la perception politique.
*
Section 1 : Acteur de droit et
citoyenneté : la sortie de lexclusion ?
*
Renforcement de la notion de pouvoir
(empoderamiento) et modification du rapport de force.
*
Section 2 : Les résistances du
système. *
Section 3 : Alternativité, informalité
et risque de maintien des " frontières ".
*
CHAPITRE III. : Le droit moderne en
question ? De nouveaux concepts pour une réalité en
transformation ? *
Section 1 : Universalisme et pluralisme juridique.
Monisme et polycentricité. *
Section 2 : Légalisme, légalité,
légitimité. *
Section 3 : Le paradigme " post
moderne " - Ordre négocié, désordre du droit,
complexité. *
CONCLUSION
*
BIBLIOGRAPHIE
*
INTRODUCTION
A la fin des années 70 et au début
des années 80, dans une société chilienne enserrée
par une dictature militaire répressive, émergent un grand nombre
dOrganisations Non Gouvernementales dont beaucoup sont orientées
vers léducation populaire et le travail social, répondant
dune part aux défaillances de lÉtat, et venant
dautre part constituer une réponse au contexte
répressif.
Parmi ce vaste mouvement social, naissent, dans le
milieu du Droit, un certain nombre de programmes juridiques, dont quelques-uns
constatent lincapacité du Droit, dans son utilisation
traditionnelle, à répondre aux besoins fondamentaux de
lhomme. Ils formulent lhypothèse que le Droit se doit
dêtre à la fois la garantie dordre à un projet
social, mais également un moyen en soi de transformation circonscrit
à une finalité définie : lhomme et ses
besoins.
A partir de ces positions et approches théoriques,
un certain nombre dinitiatives se regrouperont autour dune
devise : " Vers un usage alternatif du droit ".
La fonction communément admise du droit est
celle de maintenir lordre social. Les fonctions sociales du droit
pourraient alors être présentées selon trois grandes
lignes : la fonction fondatrice dans le sens où " la
Constitution devient la pierre angulaire de la vie collective " et par
conséquent le fondement de la société nouvelle, la fonction
symbolique dans la mesure où " la force du droit tient dans le
rayonnement quil produit " et où lefficacité
du droit se mesurerait " par le contentieux quil ne produit pas
et par lordre social quil induit " et la fonction technique
dans la mesure où il devient " un moyen de gestion, comme
linstrument rationnel de régulation du phénomène
social ".
On pourrait aussi résumer ainsi :
régulation sociale, résolution des conflits et légitimation
du pouvoir sont les fonctions habituellement conférées au
Droit.
Ces fonctions du Droit semblent toutes avoir un
rôle conservateur, dans la mesure où elles permettent à
un système social de se réguler, de fonctionner et de
perdurer.
Mais le droit ne peut-il aussi avoir une fonction
transformatrice ? Ne décèle-t-on pas en effet une certaine
interaction entre les acteurs et le Droit ? Si les acteurs agissent
en fonction de leur perception du Droit et de la force de sa contrainte,
le Droit lui-même névolue-t-il pas au contact des
acteurs ?
Mais encore : la perception quont les
acteurs du Droit influe-t-elle sur leur perception sociale ? Et si leur
rapport au Droit change, cela a-t-il une incidence sur le Droit
lui-même ?
En dautres termes, on pourrait se poser la
question de savoir si lon peut prôner un Droit inflexible, qui
a pour objet de déterminer les rapports sociaux, ou au contraire,
devant la complexité des sociétés actuelles, défendre
la thèse selon laquelle ce sont les rapports sociaux qui " font
le droit " ?
Le droit peut-il alors devenir un instrument de la
transformation sociale ? Par quels mécanismes ? Avec quelles
limites ?
****
Nous nous sommes intéressés ici au
travail dune association chilienne, Quercum, née pendant
la période de dictature militaire, et dont les activités se
sont poursuivies pendant la période de transition vers la
démocratie. En principe, dans un système démocratique,
tout sujet de droit serait aussi acteur et producteur de droit, en partie
par le biais de la délégation de la fonction législative.
Dans le cas que nous allons observer, dun régime non
démocratique, et dune population " marginalisée ",
le rapport au droit est doublement faussé.
Quercum, comme de nombreuses associations chiliennes
nées sous la dictature, possède deux noms. Un nom formel,
" légal " : il sagit du Centro de Estudios
juridicos y Sociales, et un nom qui permet de désigner le
" fond " de laction : Centro de Acción
para el Cambio. Ce deuxième nom pouvant être clairement
interprété par les autorités comme étant
" anti-étatique ", lassociation a vécu avec
les deux noms, utilisant lun ou lautre selon les circonstances.
Mais le nom dorigine, Quercum, nous
renseigne peut-être mieux sur le fondement même de
lassociation.
Quercum, comme " Centre dAction pour le
Changement " naît de manière informelle dans les années
1981/82, autour dun petit groupe de 9 personnalités issues de
disciplines différentes " représentants de la gauche
critique " qui se rencontrent et imaginent la possibilité de
constituer une base politique, alors que les partis de gauche sont interdits
et surveillés depuis larrivée au pouvoir en 1973 du
Général Pinochet et plus précisément avec la
Constitution de 1980. Lune de ces personnalités, un juriste,
avocat populaire, Manuel Jacques, entrevoit cependant assez vite les limites
de la création dune " institution " politique. Cette
prise de conscience constitue une crise avec le groupe de base, et le début
en 1985 de Quercum comme association liée au travail juridique.
Quercum, comme bon nombre dassociations proposant des Services Juridiques
Populaires ou Services Juridiques Alternatifs en Amérique latine,
naît de la dictature et de ses conséquences en particulier dans
le domaine des Droits de lHomme. Si, en fonction des contextes, des
stratégies diverses seront mises en place dans les nombreux mouvements
juridiques alternatifs latino-américains qui naissent dans les
années 70 et 80, un dénominateur commun apparaît cependant
qui est le contexte de dictatures militaires et lexclusion des couches
sociales les plus pauvres de tout processus de décision, quil
soit politique, économique ou social.
Dans la même période, au Chili dautres associations et
organisations de défense des Droits de lHomme intègreront
dans leur travail la dimension des droits sociaux et économiques.
Signalons parmi elles le CODEPU (Comité de Défense du Droit
des Peuples), liée au MDP (Mouvement Démocratique Populaire)
qui associe la lutte pour le respect des Droits de lHomme et un projet
politique et social, la Vicaria de la Solidaridad, structure interne de
lEglise catholique, qui outre le travail dassistance juridique
et de soutien aux organisations communautaires a effectué un important
travail de collecte de dossiers et dinformation sur les cas de violations
des Droits de lhomme, ainsi que le SERPAJ (Service Paix et Justice),
lié également à lEglise catholique. Pourtant les
services juridiques " alternatifs ", même sils trouvent
leurs racines dans le contexte de violation des Droits de lHomme,
revendiquent un certain nombre de particularités que lon ne
retrouve pas dans tous les programmes juridiques nés du même
contexte et du même constat.
La notion de Services Juridiques Alternatifs nous
renvoie directement à la notion dUsage Alternatif du Droit,
qui demande un certain éclaircissement. Elle présuppose un
point de départ. On fait " usage " du droit, comme on utilise
un outil ou un moyen " au service de
". Manuel Jacques, juriste
chilien et fondateur de Quercum, définit ainsi le fondement
du travail de Quercum : " Nous
considérons et cela constitue notre principale hypothèse
de travail- le droit comme un moyen, mais qui doit nécessairement
se mettre au service de la satisfaction des nécessités
fondamentales de lhomme ".
Cependant cette définition peut donner lieu
à un débat entre " pratiques alternatives de droit "
et " usage alternatif du droit ", si lon reprend les
définitions quen donne A.J. Arnaud, ainsi que lutilisation
faite par les magistrats italiens puis brésiliens de lexpression
" Usage Alternatif du Droit ".
Sans entrer dans le débat théorique,
soulignons tout de même que la principale différence
résiderait dans le fait que dans le cas des magistrats,
" lusage " serait revendiqué par des professionnels,
qui défendent la possibilité dans leur travail
dinterpréter le droit en faveur des classes les plus
défavorisées (à partir dune conception marxiste
des rapports sociaux de classes). Les " pratiques "
désigneraient plutôt dans ce cas les actions des acteurs sociaux
eux-mêmes.
En revanche, en utilisant le terme dUsage Alternatif du Droit pour
les actions quelle mène, lassociation Quercum nous
semble revendiquer le fait que les populations
elles-mêmes puissent faire usage du droit.
Lusage des professionnels et les pratiques des communautés se
rejoindraient alors. Dans ce mémoire,
nous utiliserons lexpression Usage Alternatif du Droit telle quelle
est proposée par les membres de
Quercum.
Quercum fait partie des nombreuses associations avec lesquelles
lassociation française Juristes-Solidarités est
en contact en sa qualité de réseau international d'information
et de formation à l'action juridique et judiciaire. En effet,
Juristes-Solidarités soutient les groupes qui dans le monde,
développent des pratiques alternatives de droit ou revendiquent un
usage alternatif du droit.
Fondée en 1989 par un juriste français,
Jean Designe, que le travail davocat en milieu rural auprès
de petits paysans a conduit à une réflexion sur le droit, sa
" neutralité ", les utilisations qui peuvent en être
faites et sa capacité transformatrice, Juristes-Solidarités
a pour principal objectif de repérer, au niveau national et
international, les groupes qui travaillent autour de cette problématique,
de les appuyer et de favoriser léchange entre les divers praticiens.
En 1990, lors dune mission en Amérique latine, deux membres
de Juristes-Solidarités ont rencontré un certain nombre
dassociations sur tout le continent, et au Chili, ils se sont mis en
contact avec Quercum, et Manuel Jacques, un de ses fondateurs. Des
liens se sont noués, et un travail en commun a débuté.
Juristes-Solidarités a mis à notre disposition pour la
réalisation de cette étude tous les documents en sa possession
concernant Quercum : outils utilisés, rapports de missions,
documents de présentation des différents programmes, documents
théoriques
Deux entretiens avec Manuel Jacques ont également
pu être menés, lors de son passage à Paris au mois de
mai 2001, entretiens qui ont permis déclairer un certain nombre
de questions qui avaient surgi de la lecture et de létude de
ces documents.
Létude portera plus précisément
sur la période qui va de 1987 à 1994/95. Il est en effet apparu
que cette période est porteuse dun double intérêt.
Dune part, cest celle pendant laquelle lactivité
de Quercum est particulièrement florissante. Nous pouvons en
juger de par le matériel produit à ce moment là, par
le fait que Manuel Jacques parle même de " pic " en 1989
avec une équipe de plus de 100 personnes et 11 centres juridiques
ouverts dans tout le pays, mais également par la référence
qui est faite au travail de Quercum dans des travaux de sociologie
juridique sur lAmérique latine. Dautre part, cette
période est particulièrement marquante dans lhistoire
chilienne, puisquelle voit le passage du régime militaire au
gouvernement civil et le début de la longue transition vers la
démocratie. Elle devrait donc nous permettre de nous pencher sur les
rapports induits par cette conception " alternative " du droit
vis-à-vis de lÉtat dans un contexte en transformation.
Nous chercherons donc dans un premier temps à
comprendre de quel constat est né Quercum et quelles ont
été les stratégies mises en place pour répondre
à ce constat. Ce qui nous conduira à essayer de saisir si une
telle conception de la notion de droit et dUsage Alternatif du Droit
peut donner naissance à des stratégies de transformation sociale
(I). Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à
la visée politique de ce mouvement et aux implications que celle-ci
peut avoir dune part sur la relation entre Droit et politique, et par
voie de conséquence sur la perception politique et citoyenne que peuvent
ou non acquérir les populations en contact avec le mouvement pour
un Usage Alternatif du Droit. Nous chercherons à cerner les enjeux
dune telle vision politique, ainsi que les limites des stratégies
développées, afin de déterminer la capacité de
telles actions à réduire la distance entre le droit et la
population (II).
PREMIÈRE PARTIE : LUSAGE ALTERNATIF
DU DROIT OU LE DROIT MIS AU SERVICE DE LA TRANSFORMATION
SOCIALE ?
Létat de conflit
La question de la difficulté du Droit de
lÉtat et des institutions judiciaires à répondre
à la " demande de droit " dune société
devenue de plus en plus complexe, et en particulier de groupes sociaux
marginalisés, nest pas nouvelle. Cette " crise du droit "
participe dune distanciation entre lÉtat et la
société. Celle-ci trouve, dans le contexte chilien qui nous
occupe, ses racines dans un double mouvement.
Lapplication du modèle économique
néolibéral, de manière particulièrement
" dogmatique " au Chili de 1974 à 1983 participe certainement
de ce processus. Les effets que ces théories ont pu avoir, " leur
influence sur les politiques gouvernementales et laccent mis sur la
transformation du rôle de lÉtat et de sa place dans la
société (font quelles) constituent (
) une
idéologie politique ". En effet lÉtat, dans une
société organisée selon les principes
néo-libéraux, en réduisant ses dépenses sociales,
ne remplit plus les fonctions qui étaient les siennes dans la
période précédente. Conservant néanmoins sa fonction
régulatrice, il reste le seul producteur de normes officielles (les
lois) et le seul à pouvoir les faire respecter (par la contrainte).
Ce qui devrait procéder dun contrat, dun échange,
(lÉtat assure un minimum de " services sociaux " en
échange de quoi lindividu qui les reçoit sengage
à respecter les règles) devient, avec le principe de
subsidiarité, unilatéral (lÉtat ne sengage
plus à fournir de " bien-être social ", mais
lindividu doit néanmoins se plier aux règles). La
" notion de réciprocité " dans laquelle des
anthropologues comme Malinowski voyait " lessence même du
phénomène juridique : la force qui lie groupes et individus
et permet la vie sociale résulte de rapports réciproques
dobligations ", napparaît plus comme une notion fondatrice
du lien entre la société et lÉtat.
En conséquence, les individus, voyant
lÉtat séloigner de leurs préoccupations
quotidiennes, peuvent avoir tendance, particulièrement en ce qui concerne
les groupes sociaux défavorisés, à mettre en question
la légitimité des règles que cet État leur demande
de respecter. Ce phénomène est amplifié en situation
de dictature par le sentiment dun droit injuste et dune application
arbitraire de celui-ci. Dans le même temps, la libéralisation
de léconomie et la réduction des dépenses publiques
diminuent les moyens que possède lÉtat pour constituer
un réseau dintermédiaires entre lui et la
société. Dans le domaine du droit, cela se traduit par un
accès à la justice plus limité, et par un manque de
programmes juridiques publics en direction des couches sociales les plus
défavorisées.
Peuvent alors se développer un certain nombre
de mécanismes : parmi eux la recherche dautres solutions
que le Droit de lÉtat pour régler les conflits ou la
mise en place de stratégies pour accéder ou créer les
services leur permettant de satisfaire leurs nécessités
fondamentales.
En partant du constat de lincapacité
de lÉtat à satisfaire les besoins fondamentaux de
lhomme, Manuel Jacques, juriste et fondateur de Quercum, propose
darriver à la notion d " état de
conflit ", dans le sens où " si le Droit protège
la satisfaction de ces besoins, mais quun constat objectif oblige à
reconnaître un état dinsatisfaction sociale, on peut parler
d " état de conflit " dans le domaine de
lapplication du Droit ".
Enfin, dans un deuxième temps, qui est celui
de la transition chilienne, on peut déceler dans cette
" transición pactada " un deuxième mouvement
de distanciation entre le Droit et la société chilienne. Cette
transition, selon N. Lechner, implique un certain nombre daccords tacites.
Ce retour à une vie politique démocratique nest en aucun
cas laboutissement dune lutte politique ou sociale, mais " le
fruit de la décision des dirigeants des trois armes et du
Général Pinochet de remettre le pouvoir aux civils ".
Cest donc selon les modalités que prévoyait la Constitution
de 1980 que se déroule le retour à la démocratie.
Dautre part, le fait que les violations des
Droits de lHomme soient au moment de la transition amnistiées
ou limitées à la législation ordinaire, peut aussi
contribuer à expliquer une perte de confiance de la population en
un système judiciaire dont lindépendance paraît
illusoire ou sélective.
Section 1 : Une population en marge, un régime
militaire.
La
población comme espace de marginalité et
didentité.
Il nous semble intéressant ici de tenter de
cerner les différents aspects qui peuvent participer à la
perception de la marginalité ou de lexclusion. En effet, si
lon a, dans les années 90, fortement développé
ce concept au sein des organismes internationaux, afin notamment de
dépasser celui de pauvreté, qui était basé
essentiellement sur des aspects économiques, on réduit parfois
celui de marginalité à un faible lien avec la force de travail
formelle, en faisant référence par exemple à la
légitimité des revenus et à leur stabilité. En
outre, au Chili, le concept de marginalité, particulièrement
utilisé dans les années 60 par la Démocratie
Chrétienne et par lUnité Populaire au début des
années 70 a permis de constituer une véritable politique. Car
la marginalité suppose en effet " une société
divisée (
) certains y appartiennent, alors que dautres
ny appartiennent pas ", ce qui nécessite donc une intervention
planifiée de lÉtat pour réussir
" lintégration sociale ".
De notre côté, nous nous approcherons
plutôt dune tentative de définition de la marginalité
par rapport à la perception que peuvent en avoir les acteurs
eux-mêmes, et pour cela, tenterons de savoir quels sont les
différents éléments qui peuvent contribuer à
cette marginalité. Laspect spatial, géographique et urbain
nous semble entre autres particulièrement révélateur.
La ville de Santiago du Chili, comme beaucoup de
capitales latino-américaines a vécu une croissance
particulièrement forte dès les années 30 avec le début
dune forte migration rurale notamment au moment de la fermeture des
mines de salpêtre (1925-33). Les mauvaises conditions de vie en milieu
rural, ajoutées à lindustrialisation croissante de Santiago
ont ensuite participé dans les années 50 à
larrivée massive dimmigrants dans les villes. On assiste
alors à une forte croissance urbaine dont la caractéristique
spatiale d " horizontalité " peut nous fournir
un des éléments explicatifs de la marginalisation des quartiers
périphériques.
La planification urbaine du Gran Santiago
sest déroulée, pendant tout le XXème siècle
autour de politiques de construction de poblaciones en
périphérie du centre, et en particulier au Sud et à
lOuest de lagglomération, pour accueillir les importants
flux migratoires ruraux. La constitution de " ceintures de
pauvreté ", dont la " construction " sest
déroulée entre un développement anarchique et illégal
(les tomas de terrenos ou prises de terrains sur lesquelles
nous reviendrons), et des tentatives de planification des différents
gouvernements, a eu pour conséquences une forte ségrégation
socio-spatiale, ainsi quune désarticulation du tissu urbain.
Avec le régime militaire du Général
Pinochet, cette politique de ségrégation va saccentuer.
En effet avec les doctrines de la sécurité nationale et du
développement néo-libéral, la propriété
privée deviendra laxe fondamental du développement. La
Modification du Plan Intercommunal de Santiago en 1979, sur les bases de
la Politique Nationale de Développement Urbain (PNDU/79) consistait
à laisser croître les aires urbaines de manière naturelle,
en suivant les tendances du marché. Les spéculations sur la
valeur du sol urbain vont dès lors augmenter et conduire à
des déplacements massifs des populations aux revenus les plus bas
de zones relativement centrales vers des zones de la périphérie.
Le déracinement engendrera la rupture des liens sociaux et la montée
de la délinquance. Dans le même temps, le problème
daccès à lemploi et aux services urbains
saggravera. De même, le principe du rôle subsidiaire de
lÉtat a minimisé la participation du secteur public dans
la dotation déquipements et de services dans des quartiers
périphériques qui voyaient augmenter considérablement
leur population.
Certains auteurs, comme Luis Brahms, travaillant
dans le début des années 90 à un diagnostic du
" Développement Humain " dans le Gran Santiago, en
prenant comme perspective ce concept du PNUD, soulignaient dénormes
différences entre les communes de lagglomération en termes
de Développement Humain, ainsi que linstallation en force de
la pauvreté et de la marginalité dans les communes
périphériques. Il signalait aussi une opposition entre un
" Santiago Oriente ", moderne et excluant et un " Santiago
traditionnel ". En termes daccès aux services,
daccès au centre, en termes de développement humain,
demploi ou de " bien-être social ", ces
poblaciones concentrent une grande partie des difficultés que
lon retrouve dans la plupart des villes latino-américaines.
En 1987, des études officielles affichaient quau niveau de la
population du Gran Santiago " plus dun tiers de ses foyers
se trouvaient sous la ligne dextrême pauvreté ".
Si la notion de " ségrégation
socio-spatiale " nous semble intéressante pour tenter de dessiner
les contours de ce que peut être que le sentiment dexclusion
ou de marginalité vécus dans les quartiers
périphériques de lagglomération de Santiago, il
nous semble cependant important de rappeler que si les
" frontières " sociales existent bel et bien dans ce cas,
celles-ci se voient dépassées, traversées par un certain
nombre dacteurs. Cest en particulier sur ce " passage des
frontières " que nous nous arrêterons quand nous nous
pencherons sur le travail de Quercum, mais nous tenons à souligner
que cest ce " va et vient ", ce flou des frontières,
et la possibilité de cette identification successive, parfois
simultanée à plusieurs groupes sociaux qui attire toute notre
attention. Il nous semblait cependant inévitable de tracer une sorte
de " carte " sociale et historique des quartiers dans lesquels
laction de Quercum sest développée.
Si chacune de ces poblaciones possède
une histoire particulière, notamment en termes dorganisation
sociale, et de capacité de réaction ou de mobilisation, et
que de ces différences surgiront diverses formes de perception de
la marginalité ou de lexclusion, on peut tout de même
avancer quune des caractéristiques communes à tous ces
quartiers est le sentiment dexclusion. Exclusion vécue, construite,
subie ou perçue, vis à vis dun centre à la fois
politique et économique dont léloignement, aussi bien
physique quau niveau de ses actions (mauvaise redistribution de la
richesse économique par exemple) creuse un fossé entre
lÉtat et une grande partie de la population.
Pour ces pobladores, le sentiment de
citoyenneté sestompe alors. On pourrait reprendre pour nous
aider à comprendre le lien entre ces groupes et la société,
la définition que lanthropologue du Droit Norbert Rouland propose
des minorités :
Cette définition nous semble pertinente dans
le cas des pobladores de Santiago. On pourrait pourtant chercher à
la nuancer, en soulignant la mise en place à la fois sous le régime
militaire tout comme dans le contexte de la transition, dun certain
nombre de mécanismes qui sadressaient notamment aux populations
en situation de " pauvreté extrême ", que lon
pourrait être tenté dassocier à ces " droits
spécifiques " dont parle Norbert Rouland. Pourtant, la mise en
place de ces " filets de sécurité " pour les plus
pauvres dans le cadre de ce que certains auteurs appellent les " politiques
sociales libérales ", en parallèle à la privatisation
des systèmes de protection sociale, semble au contraire nier totalement
lexistence de droits sociaux pour tous les citoyens, et favoriser la
mise en place de politique " charitables ", dassistance,
en même temps quelles diminuent les possibilités de
revendication des populations et quelles appuient le développement
du secteur informel à plusieurs niveaux (emploi, mais aussi
informalité des logements et des mécanismes mis en place pour
résoudre la question des nécessités fondamentales).
En terme de droit, linformalité deviendra
également une réponse à ce processus excluant. On pourrait
alors dire que lon voit apparaître dans les poblaciones
des " sujets de non-droit ", pour reprendre lexpression de
Jean Carbonnier, soit des personnes " qui avaient vocation à
être sujet de droit mais qui en sont empêchées ".
La ségrégation socio-spatiale dont nous avons parlé,
limpossibilité dun accès aux services (urbains
et sociaux), le manque de droits spécifiques adaptés à
une situation économique et sociale particulière peuvent donc
contribuer à créer ce " sujet de non-droit , non
sujet parce quil est privé de droits subjectifs, (
)
néanmoins sujet parce quil est assujetti au droit
objectif ".
Cette exclusion et cette
marginalisation urbaines peuvent cependant permettre la construction
dune identité autour de la solidarité que ces
phénomènes déclenchent. En particulier dans le cas des
pobladores de Santiago pendant le régime militaire, la peur
de la répression dune part, et le principe de subsidiarité
dautre part, ont favorisé lémergence dune
conscience collective, et la naissance de groupes qui sorganisaient
pour affronter les difficultés. Autour de la communauté, de
la población, se construit alors une identité propre,
individuelle et collective. Cette identité sera la base sur laquelle
sappuieront les divers mouvements, sociaux et politiques, pour tenter
de mobiliser une potentielle opposition populaire dans les poblaciones,
et de reconstruire un certain sentiment de citoyenneté. Le fait
que le terme de " communautés " soit utilisé par
les habitants des poblaciones pour sauto-désigner est
entre autres significatif de la perception collective dune situation
sociale et dun devenir commun.
Le principe dorganisation sociale des
poblaciones a connu, dans lagglomération de Santiago,
une histoire particulière. Laccroissement de la ville de
manière informelle à partir des années 50, par la
conformation de " callampas ", ces quartiers auto-construits
avec des matériaux de récupération sur des terrains
occupés illégalement, a donné naissance à " un
principe dorganisation sociale quon ne connaissait pas jusque
là, en générant des leaders sociaux et en donnant lieu
à de nouvelles formes de coexistence ".
Pendant la période de répression, la
construction de cette identité pobladora sest
particulièrement consolidée, autour du sentiment de
linjustice de la répression et de la nécessité
de résistance. Cest alors une identité politique qui
se construit, autour de la question essentielle des Droits de lHomme,
sur laquelle nous reviendrons.
Le
fonctionnement de la justice sous le gouvernement militaire.
" On imagine souvent que les dictateurs se passent
du Droit et quen fermant
les portes du Parlement, le pouvoir met fin à
toute activité législative.
La vérité est toute autre : il
ny pas de légiste plus bavard, plus actif, que le tyran.
Il ne fait pas léconomie des lois, non,
il leur fait seulement dire autre chose
et à dautres fins. Cest même
là, plus encore que dans le recours à la force,
quil manifeste son cynisme. Dans cette façon
à emprunter à lÉtat de Droit
ses fonctions, ses techniques, ses apparences,
pour secréter un pur et simple faux-semblant,
un trompe lil juridique "
Avant même linstitutionnalisation du
fonctionnement du régime militaire par la Constitution de 1980, les
relations entre le pouvoir militaire et lordre juridique ne semblent
pas aller dans le sens dune claire séparation des pouvoirs.
Certains affirment que durant la période 1970-73, la Cour Suprême
" avait offert des preuves plus quévidentes aux militaires
quelle se comporterait comme un fidèle serviteur de la dictature,
et quelle imposerait une attitude similaire au reste des fonctionnaires
judiciaires ", ce qui expliquerait le fait que dès le 11 septembre
1973, le décret-loi n°1 exprime que la Junte " garantirait
la pleine efficacité des attributions du pouvoir judiciaire ".
Le rôle du pouvoir judiciaire et son
indépendance vis à vis du pouvoir exécutif peuvent par
exemple être mesurés en relation à un point en particulier
qui est celui de sa position vis à vis des recours ou des " habeas
corpus ".
La Constitution de 1925 (article 86, paragraphe 1) prévoyait que "
la Cour Suprême détient la surintendance directive, correctionnelle
et économique de tous les tribunaux de la Nation ". Cependant,
à partir de 1973 " les états dexception ont
constitué la règle ", et la Cour Suprême estima
que les tribunaux militaires nétaient pas de son recours en
temps de guerre. A partir de cette interprétation du Code de Justice
militaire, les recours de protection ou d " habeas corpus "
déposés par des citoyens détenus arbitrairement nont
pas été retenus par la Justice. " Entre le 11 septembre
et le 31 décembre 1973, il y eut 216 de ces recours ; en 1974,
1658 ; en 1975, 1775 et en 1976, 1105. Le pouvoir judiciaire a
systématiquement refusé ces recours et a, de même,
rejeté les demandes en révision des erreurs des tribunaux
militaires en temps de guerre. " Rappelons en outre que
la Junte a réussi à faire perdurer les " conseils de
guerre " ou tribunaux militaires sur tout le territoire du pays du 12
septembre 1973 au 10 mars 1978., de la même manière quelle
a fait durer ou se succéder les États dexception, les
États de siège ou lÉtat de Guerre afin de justifier
la doctrine de la Sécurité Nationale.
Dautre part, le Droit est, dès le coup
dÉtat de 1973, mis au service de la défense du régime
militaire. Ainsi, le décret-loi 77 du 13 octobre 1973 déclare
" la dissolution des partis, des entités, des groupements, des
factions ou mouvements (Parti Socialiste, Parti Communiste du Chili, Union
Socialiste Populaire, Mouvement dAction Populaire Unitaire, Parti Radical,
Gauche Chrétienne, Action Populaire Indépendante, Parti
dUnité Populaire) ainsi que des associations, sociétés
ou entreprises de toute nature qui directement ou via des tiers, sont
dirigées par des personnes liées à ces dits
partis ".
Enfin, la forte concentration des pouvoirs permet
à certains daffirmer que " lempire de la loi nest
pas respecté par ceux qui gouvernent ". En effet, selon Hales,
la concentration des pouvoirs permet " une célérité
législative débouchant sur des lois qui sadaptent
aux desseins de ceux qui gouvernent ".
Ainsi, comme le dit Habermas, " un système
juridique nacquiert pas lautonomie dans son intérêt
propre. Il nest autonome que dans la mesure où les procédures
institutionnalisées à la fois pour la législation et
pour la justice garantissent une formation impartiale de lopinion et
de la volonté, permettant par ce moyen à une rationalité
procédurale de type moral de pénétrer dans le droit
et dans la politique. Un droit autonome sans réalisation de la
démocratie ne saurait exister ".
Avec un système juridique et judiciaire dont
lindépendance est illusoire, et un État qui parvient
à adapter les règles de Droit, on peut affirmer quon
se situe hors des limites de lÉtat de Droit. Le Droit devient
alors un des outils dont se sert le régime militaire pour asseoir
son pouvoir, mais na plus rien du système " neutre "
et prétendument a-politique dont le courant positiviste et notamment
Kelsen défendait lexistence.
Section 2 : La perception du Droit
pyramidal.
Le
Droit : une science ?
Lhéritage de la conception positiviste
du Droit, née dans la première moitié du XXème
siècle de la volonté de faire du Droit une " théorie
pure ", cest à dire " une science juridique libre
exempte de toute idéologie politique " a joué un
rôle indéniable dans la construction de la perception du Droit
de la part des individus. Cette idée dune science pure, isolée
de toute influence sociale, politique ou morale, si elle a permis de
dépasser la conception antérieure du Droit, liée au
Droit naturel, a également conduit à une grande
spécialisation des savoirs, voire à une
" scientification " du Droit et du domaine juridique. Dans cette
vision, seuls les spécialistes, et les experts formés
acquièrent la légitimité pour se prononcer sur un domaine
" scientifique " tel que le droit. Le domaine juridique est par
ailleurs depuis toujours emprunt dune grande symbolique, qui
sexprime dans laccomplissement dun certain nombre de
" rites juridiques " touchant aussi bien le langage, que les
vêtements ou les lieux où se déroulent les actes
juridiques.
Les professionnels du Droit, détenteurs du
savoir et organisateurs du rituel, sont dans le même temps détenteurs
dun certain pouvoir, le pouvoir de " celui qui sait ". Cette
" fonction esthétisante du droit " , associée à
la construction dun ordre juridique " pyramidal " selon la
vision quen proposait Kelsen, participerait, selon les défenseurs
dun usage alternatif du droit, de la distance ressentie et vécue
par les individus vis à vis du Droit.
La
neutralité du Droit.
Enfin, cette conception a permis de générer
lidée de la " neutralité " du Droit. Étant
une science pure, le Droit se trouverait parfaitement séparé
du politique, et permettrait donc de réguler la vie sociale sans
être emprunt de quelque idéologie que ce soit. Il existerait
donc la possibilité quun ordre juridique cohérent et
" pur " vienne " den haut " régler
lorganisation sociale, poser les limites des droits et des obligations,
tant pour les individus que pour lÉtat. Puisque celui qui
légifère est un " scientifique ", un " pur ",
aucun lien entre celui là et le citoyen de base, qui " ne sait
pas ". Toute intervention de ce dernier dans le système participerait
dailleurs à corrompre cette fameuse
" neutralité ", ce qui nuirait à la fonction
régulatrice du Droit.
Or selon une autre vision, et on y reviendra dans cette étude, le
système légal dun pays est issu dun rapport de
force entre intérêts divers qui constituent la société,
et peut être considéré comme " lexpression
de lidéologie dominante à un moment socio-économique
et historique déterminé. Cette idéologie dicte les normes
qui font partie de sa superstructure et sont le reflet de ses
intérêts ".
Perception
du Droit et citoyenneté.
La perception quont les citoyens du système
juridique et judiciaire est fondamentale dans la construction de la
citoyenneté, et dans le bon fonctionnement même du système
juridique dans un régime démocratique, puisquelle touche
à la question même de la légitimité. Après
le coup dÉtat de 1973, le régime fonde lui-même
sa légitimité sur le fait dêtre capable de maintenir
lordre, et en se basant sur le principe de la Sécurité
Nationale. Avec la Constitution de 1980, cest dans un processus de
recherche de légitimité institutionnelle que rentre le
régime, mais cest peut-être véritablement quand
il transmet le pouvoir aux civils dans un esprit de transition vers la
démocratie, que la question de la légitimité, et celle
qui en découle, du lien entre le Droit et la population, devient de
première importance.
De plus, dans le contexte sur lequel nous travaillons,
contexte qui a une force particulière, il faut évoquer la
destruction par le régime militaire des principales composantes de
lopposition de gauche, ainsi que de certains modèles de
lorganisation locale comme les juntas de vecinos. En effet ces
organisations locales ont été, en 1974 et avec le décret-loi
349, totalement investies par le pouvoir militaire, dans la mesure où
ce décret établissait la possibilité pour le
Gobernador de remplacer les dirigeants des juntas de vecinos
par des personnalités désignées par lui. Le régime
a ainsi pu " infiltrer " toute lorganisation locale de base,
ce qui a contribué au démantèlement du réseau
dintermédiation entre lÉtat et la société.
Là encore, le sentiment de citoyenneté a pu être
affecté, dans le sens où la représentativité
des nouveaux dirigeants des juntas vecinales nétait plus
assurée démocratiquement.
Perception
de la Justice au Chili.
Le constat de la " marginalité juridique
des secteurs pauvres " a conduit le Centro de Desarollo Juridico Judicial
de la Corporación de Promoción Universitaria (CDJ/CPU) à
réaliser en 1992 une première enquête sur la perception
de la Justice par les " secteurs pauvres " en milieu urbain. Cette
enquête fait ressortir quelques chiffres particulièrement
révélateurs.
82,8% de la population interrogée y affirmait
en effet avoir une perception négative de la Justice. 44,7% des personnes
affirmait avoir une opinion négative des avocats, contre seulement
18,2% une perception positive. De même pour les juges, 38% de la population
interrogée en avait une opinion négative. Les alternatives
de changements considérées comme les plus nécessaires
pour améliorer la Justice nous apprennent également beaucoup
sur la vision de la Justice développée par ces
populations :
-
-
58,4% demandent à pouvoir " connaître
leurs droits ",
-
La justice paraît lente : 42,8% des personnes interrogées
voudraient que " les démarches juridiques soient plus
rapides ".
-
La justice paraît chère : en milieu
urbain, 37% de la population lexprime en demandant " plus
davocats gratuits ", mais il faut souligner également que
38,4% demandent " plus dassistants sociaux ".
-
seulement 25,6% des personnes proposent de
" changer les lois ", alors quune plus grande proportion
propose de " créer plus de commissariats " (41,6%), et 18%
de " créer plus de tribunaux ".
La population interrogée dans cette enquête
nous révèle peut-être la perception dune Justice
inefficace, mais elle nous apprend également que la perception du
Droit va au-delà dune conception purement
" pathologique " de celui-ci.
Le fait que les propositions de changement sorientent sur une plus
grande présence dassistants sociaux et sur le fait de
connaître ses droits, pose dune part la question de savoir si
la spécialisation de lavocat qui " nest plus le
défenseur dune cause, mais le spécialiste dans un
domaine ", permet effectivement de rétablir la confiance dans
les mécanismes de lordre juridique. Lassistant social
est évoqué comme une personne qui permet peut-être ce
lien. Nous reviendrons sur ce rôle de " traducteur " ou
dintermédiaire entre les groupes sociaux et le système
juridique. Si lassistant social a acquis la confiance dune plus
grande partie de la population que lavocat peut-être est-ce lié
à sa capacité de proximité des problèmes
rencontrés qui se cristallisent lors dun conflit juridique ?
Cest en tout cas la lecture quen fait Quercum, qui, on
le verra, dans sa volonté de " démystifier le droit ",
remettra en question la fonction même des avocats, ainsi que leur langage,
leurs vêtements, et leurs attributs. Cest alors à la partie
" rituelle " du droit et à son aspect
" sacré " que nous touchons ici. La distance entre le Droit
et la population serait-elle accentuée par les aspects formels de
la personnification du droit, en particulier ses représentants comme
les avocats ? Ou bien cette partie rituelle est-elle au contraire
nécessaire au fonctionnement même du Droit et de la Justice
au sein de toute société ?
Le fait quune majorité exprime la
nécessité de connaître ses droits nous conduit
également à nous poser la question de la perception du droit,
au-delà de la perception de la Justice. Si la Justice est
linstitution du système qui permet de résoudre les conflits,
laccès au droit va certainement au-delà. Et
" connaître ses droits " relève dune perception
du droit qui inclut le droit subjectif et non plus seulement le Droit en
tant que mécanisme juridique ou texte de loi.
Cette différence entre le Droit associé
à la loi, le droit pathologique, lié au contentieux, et le
droit ou les rapports de droit qui n'accèdent pas toujours à
la litigiosité ferait donc partie de la conception que la
population en a. En demandant plus dassistants sociaux, ne fait-elle
pas le lien entre le droit et les problèmes sociaux quelle
rencontre (dans une conception subjective du droit) ? Et
peut-être également considère-t-elle que bon nombre de
litiges pourraient être résolus grâce à
lintervention dun travailleur social plutôt quavec
laction de la Justice (ce qui irait dans le sens dune
" déjuridiciarisation " des conflits) ? Au fond, la
justice à laquelle semble faire appel la population des secteurs
marginalisés urbains nest-elle pas davantage une justice de
prévention ? Plus dassistants sociaux, plus de commissariats,
et le fait de connaître ses droits sont peut-être des mesures
qui dénotent une telle distance entre les gens et la justice que les
seules mesures envisagées sont dy avoir recours le moins possible,
en apprenant comment éviter ce recours.
Les limites de la Justice sont également entrevues
par les propres membres du système judiciaire, puisquon trouve,
dans un article dEnrique Beltrán qui analyse la magistrature
à travers les discours des présidents successifs de la Cour
Suprême au Chili, des allusions à la " lenteur des
démarches ", ou à la nécessité
" daméliorer lefficacité de la
justice ".
Des politiques publiques ont été imaginées pour tenter
doffrir des réponses à cette " marginalité
juridique ". Parmi elles, les Corporations dAssistance Judiciaires,
mises en place en 1981, transformation dans le cadre du principe de
subsidiarité du système dattention gratuite que prodiguait
jusque-là le Collège des Avocats depuis 1928. Lobjectif
affiché de ces Corporations étaient d " offrir
une assistance juridique et judiciaire gratuite aux personnes aux faibles
revenus ", mais cette assistance sest vite limitée, selon
une étude même des fonctionnaires de ces Corporations, à
la seule représentation devant les tribunaux de justice. Une partie
de la demande sociale telle que laccompagnement des
personnalités juridiques, des associations communautaires dans des
démarches administratives, ainsi que les conflits de proximité
et de voisinage, ne trouvaient pas au sein des Corporations lattention
requise. Ainsi " beaucoup de conflits que présentaient les secteurs
à faibles revenus au niveau local nétaient pas inclus
dans lattention quapportait linstitution ".
Cette difficulté nous conduira dailleurs à
réfléchir au concept même
d " assistance " juridique ou judiciaire et à
ses implications pratiques.
Cependant, malgré le constat de distance entre
la justice et la population, particulièrement la population la plus
défavorisée, il nen reste pas moins que les secteurs
marginalisés maintiennent un certain nombre dattentes vis à
vis de la Justice. Les auteurs qui analysent lenquête de 1992
le formulent ainsi : " On sait que pour les secteurs marginalisés
de notre société, la justice est une instance étrangère
à leur réalité , mais pas pour autant une expectative
oubliée ".
Cest donc en partie sur les bases de ces
réflexions que sest construite la démarche de
Quercum. Notons tout de même que cette enquête sest
déroulée après la remise du pouvoir aux mains dun
gouvernement civil. Il serait donc nécessaire dajouter aux
éléments quelle permet de mettre en exergue un certain
nombre de points qui ny sont peut-être pas exprimés, mais
qui sont en lien avec le régime de terreur instauré par la
junte et les possibles peurs de représailles dues au manque
dindépendance du pouvoir judiciaire.
Si le constat est bel et bien celui dune nécessité de
transformation de la relation entre la Justice et la population, nous chercherons
pourtant à savoir si toutes les stratégies de Quercum
permettent bel et bien de résoudre la problématique et si elles
ninduisent pas de nouvelles difficultés.
Section 3 : La Constitution de 1980. La raison
au service de la force.
" Les règles légales sont beaucoup
plus que de simples normes destinées
à simposer à la conduite des
hommes dun pays déterminé.
Elles sont lexpression dune conception
déterminée de lhomme,
de la société et du monde dans lequel
il vit,
à un moment donné de
lhistoire "
La Constitution de 1980 arrive au bout de sept ans de pouvoir de la junte
militaire, dans une période de recherche de légitimité
institutionnelle. Dans la notion de légitimité, la place du
droit est fondamentale : " Dans la mesure où la prétention
de légitimité englobe également la prétention
de celui qui émet lordre dêtre obéi sans
quil ait à recourir immédiatement à la force,
par consensus et par le biais de mandats généraux destinés
à un récepteur distant et anonyme, le problème de la
légitimité dun régime se confondra toujours avec
celui de la validité de son système juridique ".
Selon les termes de la Constitution de 1925, il est clair que le coup
dÉtat est illégal. Dans son discours de Chacarillas en
1977, le Général Pinochet annonçait quelles devaient
être les différentes étapes de linstitutionnalisation
du régime : désignation dune chambre législative
de civils par la junte, puis élection du Président de la
République.
La Constitution de 1980, deux ans après le
plébiscite de janvier 1978 demandant à la population
daffirmer la " légitimité du gouvernement à
diriger souverainement le processus dinstitutionnalisation du pays ",
vient donc poser les bases dun nouvel ordre social et encadrer la mise
en place dune " nouvelle démocratie ". Les conditions
dans lesquelles sorganise le plébiscite et les grandes controverses
quil a engendrées nempêchèrent pas le
régime de considérer que lobtention dune grande
majorité de oui, et de 20,4% seulement de non, venait légitimer
la Constitution.
Sans nous aventurer dans une analyse approfondie de la Constitution de 1980,
il nous paraît important de souligner quen faisant coexister
dans ce texte le vocabulaire propre aux régimes démocratiques
et des mesures autoritaires propres aux régimes autocratiques tels
que la restriction des droits de lhomme, la concentration des pouvoirs,
les prérogatives militaires et limmuabilité de la
Constitution, Juan Guzman, lidéologue de cette Constitution
a réussi un véritable tour de force, dont une des
conséquences nous intéresse ici, à savoir celle de
participer à la perte de confiance de la population dans le texte
de loi et dans la justice ou tout simplement dans le Droit en tant
quinstitution dÉtat.
Le Droit, avec cette Constitution, est mis au service
du maintien du régime. La Constitution de 1980 devient symbole et
substance dun régime militaire autoritaire.
" La Constitution de 1980, censée justifier
la prise de pouvoir en 1973, et préparer lavenir (
)
achève dinstitutionnaliser lÉtat de non-droit,
en lui accordant, à lombre du dogme de la sécurité
nationale, toutes les armes quentendra utiliser lappareil
répressif. La loi damnistie, la loi antiterroriste, les lois
dites " politiques " et jusquà la procédure
du plébiscite nont visé quà enrayer le processus
de retour à une possible démocratie. Le Droit, alors, ne sert
plus à dynamiser une société, mais à la capturer,
à la figer dans son non-développement, et à confisquer
les droits fondamentaux de tous pour mieux asseoir les privilèges
de quelques-uns. ".
Rappelons quelques-unes des mesures qui permettent
de saisir le pouvoir que sattribue le régime militaire avec
ce texte.
Larticle 8 qui condamne " tout acte
dune personne ou dun groupe visant à propager des doctrines
qui portent atteinte à la famille, qui prônent la violence ou
une conception de la société, de lÉtat ou de
lordre juridique, à caractère totalitaire ou fondé
sur la lutte des classes " permet de mettre en place un des objectifs
du régime, celui de lutter contre toutes les organisations marxistes
et de gauche.
Larticle 45 institue les neuf
" sénateurs désignés " et larticle 116
prévoit les mécanismes selon lesquels la Constitution pourrait
être amendée ce qui, au vu des dispositions précédentes,
lui confère un caractère " immuable ".
Au niveau de linstitution juridique, la Cour
Suprême voit ses membres nommés par le Président et a
le contrôle de tous les tribunaux. Les magistrats et les procureurs
des Cours dappel sont désignés par le Président
de la République dans une liste de trois personnes présentée
par la Cour Suprême.
Avec le plébiscite de décembre 1988,
le " Non " à Pinochet, et le passage du pouvoir dans les
mains du gouvernement civil de Patricio Alwyn, on ne peut pas dire que la
problématique de la relation au droit change véritablement,
dans la mesure où le régime militaire avait, grâce à
la Constitution de 1980, préparé ce passage et prévu
les modalités pour préserver le système en place. La
décision de la Concertation dentamer une transition sur la base
dun pacte avec les militaires, et par conséquent le refus
dune " rupture ", conduit au maintien de la Constitution
comme base institutionnelle pour la société chilienne. Le Droit
reste donc le même que celui de la période précédente,
donnant lieu, au sein du régime aux " enclaves
autoritaires " que sont par exemple les sénateurs
désignés, le pouvoir militaire et le tribunal
constitutionnel.
Si selon Kelsen, lordre juridique na
pas à établir de lien entre le droit et la morale, car " le
droit positif et la morale sont deux ordres distincts lun de
lautre ", que " le droit doit être appliqué
même sil est jugé mauvais " et que ce qui importe
selon lui est la question de lefficacité de lordre normatif
(celui-ci étant efficace " quand dune manière
générale les individus auxquels il sadresse se conforment
à ses normes ") on peut dire que dans le cas qui nous occupe,
on constate la " non-neutralité " du système juridique,
ainsi que du texte fondamental constitutionnel, ainsi que
lefficacité de lordre normatif en question, dans la seule
mesure où la force vient en appuyer le respect.
Serait-on alors devant ce que Jean Carbonnier a
appelé la " pathologie juridique " que lon peut
observer dans " la folie des gouvernants " ou celle du
législateur ? Pour se prémunir contre cette
" psychopathie juridique ", Jean Carbonnier, outre la prudence
du législateur, préconise la familiarisation du plus grand
nombre avec le droit. Cest là également une des demandes
de la population, et lune des stratégies que développera
Quercum dans son travail avec les pobladores et les organisations
de base.
Avec le régime militaire et la Constitution
de 1980, comment peut agir la population pour éviter la répression
institutionnalisée par le Droit ? Jacobo Timerman, un journaliste
argentin commentait en 1987 dans un essai sur le Chili : " Les
Chiliens se sont transformés en des juristes imaginatifs. Pour survivre,
ils doivent découvrir chaque jour de nouvelles stratégies qui
leur permettent de traverser indemnes les vingt et une possibilités
répressives à la disposition du général Pinochet
suivant la Constitution que le dictateur fit approuver en 1980. Mais pour
peu quun Chilien étudie ces formules juridiques avec laide
davocats experts en matière de répression, il ne pourra
organiser sa vie de tous les jours sans sombrer dans un état de panique.
Car il narrivera jamais à deviner les différentes
interprétations que donneront à ces lois les militaires qui
larrêtent ou les magistrats qui le jugent. (
). La seule
alternative qui lui reste, cest dessayer de vivre le moins possible,
de réduire au maximum lenvironnement dans lequel se déroule
sa vie. ".
Face à ce constat, les avocats populaires
de Quercum et les autres professionnels qui participeront au travail
de lassociation tentent de susciter des réflexions et des actions.
En naissant en contexte de dictature et sous le régime militaire,
Quercum fait le pari de parvenir à dépasser cette tendance
à réduire ses actions et son environnement, et propose
dintroduire au sein des poblaciones une " vision critique
du droit ".
Cette vision peut-être assez bien
résumée par cette phrase, extraite dun des numéros
du bulletin de Quercum, Los derechos de todos n°
5 (août 1988) :
" Il ne suffit pas de savoir quels droits nous
avons, mais il faut se demander si le Droit contient tout ce que nous voudrions,
(
) et remettre en question les obligations que nous impose la
loi. "
De 1985 à 1994, Quercum va chercher
à changer, au sein des communautés avec lesquelles
lassociation travaille , le rapport qua la population avec
le droit. En travaillant avec les organisations de base présentes
dans les communautés, les stratégies de Quercum iront
de linformation à la formation juridique, de la mobilisation
au soutien des actions parfois illégales, du conseil juridique à
la collectivisation des conflits. Toutes sortes doutils seront mis
à la disposition de ces stratégies : bulletins, jeux,
théâtre, émissions de radio, centres juridiques alternatifs,
réunions dinformation, et programmes de formation pour parvenir
à travailler, en 1989, avec 60 professionnels (moniteurs juridiques,
avocats, éducateurs populaires) et une quarantaine de
bénévoles.
Les deux éléments essentiels qui relient
tous ces outils et toutes ces stratégies sont, dune part au
niveau conceptuel une vision critique du droit, et au niveau
méthodologique, la méthodologie de lÉducation
Populaire. Nous proposons, dans cette partie du travail, de décrire
à partir des documents que nous avons pu consulter et des entretiens
réalisés, laction de Quercum.
Section 1 : Élargir la notion de droit.
La
notion de " conflit juridique ".
Face au problème essentiel et central de la
marginalisation et de lexclusion, la stratégie de Quercum
va être de tenter délargir dans la conscience individuelle
et collective des groupes avec lesquels il travaille, la notion de droit.
En introduisant la notion de droit subjectif et celle
de conflit juridique dès lors que les nécessités
fondamentales ne sont pas satisfaites, les membres de Quercum tentent
de faire prendre conscience à des secteurs marginalisés des
droits et des devoirs que devrait leur assurer le Droit.
Manuel Jacques, avocat et fondateur de Quercum
explique ainsi lintérêt qua pour lui la notion de
conflit juridique :
Il sagit alors, dans le travail auprès
des étudiants en Droit que Quercum va former de déconstruire
la notion de conflit juridique qui " pour les avocats fait invariablement
référence à la transgression de la norme
légale ".
Dans le cadre du Programme " Servicio Juridico
Vecinal ", qui est la continuation des centres juridiques populaires
mis en place depuis les débuts de Quercum, mais qui à
partir de 1992, compte sur lappui dun organisme dÉtat,
le FOSIS (Fondo de Solidaridad e Inversion Social), il est prévu
" daider à la résolution des problèmes et
des conflits juridiques et sociaux qui ne trouvent pas de solution dans le
système judiciaire que nous connaissons tous ".
La définition du conflit juridique que donne
la plaquette de présentation du programme est la suivante :
A travers ce programme, qui reprend les
méthodologies de travail globales de Quercum, le droit est
abordé dune manière élargie dans le sens où
la définition même du conflit juridique se démarque du
seul point de vue de la transgression de la norme légale.
La notion de " conflit juridique " est
présente depuis les premières années de lexistence
de Quercum. On peut ainsi lire dans le bulletin Los derechos de
todos, -petit bulletin à lattention des communautés
dans lesquelles lassociation travaille-
n° 4 daté de décembre 1987, un article sur le " Premier
séminaire juridique populaire " organisé par
lassociation. Ce séminaire consiste en des " cours de formation
de Moniteurs juridiques pour les pobladores et les membres actifs
dorganisations populaires ", et est articulé autour de
" deux conflits : le conflit collectif du logement et le Plan Civique
National ". Lobjectif de la formation est dapprendre à
" développer collectivement des stratégies de défense
face à ces deux conflits ".
Interrogé à propos du choix de ces
deux thèmes, Manuel Jacques explique : " il sagissait
de deux conflits parmi tous ceux autour desquels nous travaillions. Quercum
ne pouvait être éternellement un lieu dattention
individuelle.(
) Nous travaillions donc à collectiviser les conflits
et à faire en sorte que ce qui se faisait dans un centre puisse servir
à tous les centres. (
) Le conflit du logement est très
compliqué au Chili (
) Quant au conflit Civique, nous lavons
nommé ainsi pour déguiser le fait que nous parlions de
lorganisation démocratique. ".
Regardons enfin un des manuels déducation
juridique populaire édité par Quercum en mai 1992, qui
sintitule " Seguridad ciudadana y jusiticia vecinal ". Dans
ce petit livre, présenté sous la forme dun récit,
accompagné dimages, un vieil homme aveugle raconte des histoires
sur la place du marché. Il chante que " Pour les riches,
lidée de sécurité est claire, et selon eux, en
sattaquant durement aux délits, on vivra en paix ". Mais
il pose la question : " Finalement, le chômage, la
pauvreté, et la promiscuité nattenteraient-ils pas aussi
à la sécurité ? ". A la fin du manuel, on
trouve une " feuille de suggestions pour le travail en groupe ".
Sur celle-ci une question est posée : " Quelles sont les
principales menaces à la sécurité dans ton quartier ?
Énumères-les par ordre dimportance :
La stratégie consiste ici à
" renverser " leffet de causalité. Qui est coupable
de linfraction, pose en réalité comme question le vieil
homme ? Celui qui la commet ? Ou celui qui la déclenche
par le maintien dune situation sociale inégalitaire qui rend
le contexte tel quil est ? En proposant aux groupes de
réfléchir sur ces questions, Quercum entreprend un travail
qui consiste à déconstruire un certain nombre didées
reçues et à détecter dans les mesures qui sont prises
par le régime lessence du maintien dun ordre social injuste.
Le fait de renverser le concept dinsécurité, pour le
faire ressentir comme une des manifestations de linjustice de lordre
socio-économique et politique établi, fait partie de la
stratégie qui consiste à " élargir la notion de
droit ".
Déconstruction
du sentiment légaliste.
Dans un autre article du bulletin Los derechos
de todos (n° 6, daté de décembre 1988), Mauro Castagno,
un des collaborateurs de Quercum, met en parallèle la situation
de Clodomiro Almeyda, un ex-dirigeant politique conduit à lexil,
de retour au Chili, mais que le Régime a privé de ses droits
politiques et emprisonné après son retour clandestin au
Chili ; et le délogement dune trentaine de familles dans
la commune de la Victoria, sous prétexte que le propriétaire
voulait récupérer sa propriété et que la loi
lui en donnait le droit.
Pour Mauro Castagno, ces deux exemples sont la preuve
dun " usage arbitraire de la loi par une minorité qui
défend ses intérêts. Il devient alors légal de
priver un éminent politicien de ses droits politiques de même
quau nom de la propriété privée, il devient
légal de déloger trente familles sans se soucier de leurs
conditions de vie inhumaines ". Il faut alors selon lui
" élargir la vision du droit, en en faisant le moyen de la
satisfaction des besoins les plus élémentaires de
lhomme : la santé, le logement, léducation,
la justice
".
Ici, lobjectif est de faire prendre conscience
que la loi en elle-même peut-être injuste. Il sagit donc
de " déconstruire " le sentiment légaliste qui englobe
lensemble de la société, pour conduire à une
réflexion sur lessence des lois et sur leur capacité
à défendre les intérêts de tous. Ce qui, on la
vu dans lenquête réalisée en 1992, ne répond
pas forcément à première vue aux nécessités
exprimées par les communautés interrogées, qui paraissent
plutôt enclines à un certain légalisme.
Dautre part cette " vision élargie
du droit " à lensemble des nécessités
fondamentales, cette déconstruction du légalisme et de
léquation : le droit = les lois, qui mène facilement
à celle : le droit = la Justice, nous conduit à un
rapprochement avec Jean Carbonnier qui nous rappelle que si lon a
assisté au cours du XXème siècle à cet
élargissement de la notion de droit, notamment avec la prise en compte
de la coutume ou de la jurisprudence, on peut aller encore au-delà
en posant un des " théorèmes fondamentaux de la sociologie
juridique ", qui est que " le droit est infiniment plus grand que
le contentieux ".
En même temps quils travaillent à
" élargir " la vision du droit, les collaborateurs de
Quercum, en introduisant la notion de nécessité
fondamentale, abordent le domaine du droit subjectif dont la fonction est
sociale puisquelle permet dincarner le droit objectif. Il
sagit donc dun travail sur un double registre : dune
part la prise de conscience de ses droits, et la nécessité
de les revendiquer, ce qui doit conduire à laction. Dautre
part, la prise de conscience que si la loi ne consacre pas ce que je
considère comme des nécessités fondamentales, cest
quelle est injuste et quil va falloir tenter de la transformer.
Ce deuxième volet ne conduit pas forcément à laction,
mais à la réflexion, puis à la négociation avec
les différents niveaux du pouvoir législatif, exécutif
et judiciaire. Cest un travail sur le plus long terme, qui possède
le risque de ne jamais exister, si laction permet de manière
immédiate de résoudre le problème de la
nécessité non satisfaite. Dès lors, on comprend
lutilisation de la notion de conflit juridique telle que lentrevoit
Manuel Jacques. Il sagit, pour travailler en profondeur, de pouvoir
travailler sur la prise de conscience, au-delà de linsatisfaction
partielle dune nécessité (par exemple le logement), de
déterminer les multiples degrés sur lesquels se place
linsatisfaction, et de comprendre que tous ces degrés constituent
les bases dune organisation sociale injuste.
Si on rappelle le contexte dans lequel cette vision
du droit naît au Chili, celui de la dictature et de la négation
des droits humains, on est également ramené au constat que
cette lutte que les avocats puis les membres de Quercum entreprennent,
comme de nombreux autres groupes en Amérique latine dans les années
de dictature, est avant tout une lutte à visée politique.
Section 2 : Démystifier le
droit.
En partant du constat que la perception du droit,
particulièrement pour les secteurs marginalisés, participe
dune conception excluante plus globale et par conséquent
véhicule le sentiment que le Droit , et tout ce qui participe
du système juridique, est construit de manière verticale, et
devient par ses attributs symboliques et son fonctionnement rituel, quasiment
" sacré " et intouchable, les membres de Quercum
vont tenter de " désacraliser le droit ". Ce travail
consistera à établir à laide dun certain
nombre dacteurs et doutils des liens, des " ponts "
entre la population et le droit. Nous verrons ce que ces stratégies
comportent de remise en question et de dé-construction, notamment
du processus rituel et symbolique associé au droit. Si ces
stratégies trouvent dans le domaine de lanthropologie et de
la sociologie juridique un certain nombre de défenseurs, dautres
y opposent une vision selon laquelle le rituel et la symbolique sont
lessence même du Droit Ces derniers nous permettront de nous
demander si lon peut " reprocher au rituel dexprimer un
idéal de justice qui nexiste pas encore ? " et sil
faut " le supprimer en lui reprochant de montrer une réalité
qui nexiste pas, ou lutter pour que la réalité sociale
lui ressemble un peu plus ? "
Les
passeurs.
Les fondateurs de Quercum, des avocats populaires,
sont conscients dexister à la frontière entre deux
mondes : dune part le monde juridique auquel ils appartiennent
et par lequel ils ont été formés ; de lautre,
le monde des poblaciones, physiquement en marge puisquen
périphérie urbaine, et socialement exclu. Jusque là
" défenseurs " des causes des exclus ou des plus pauvres,
ils entrevoient les limites de leurs actions tant que celles-ci ne reposeront
que sur leur seule capacité à résoudre individuellement
et de manière ponctuelle les cas auxquels ils sont confrontés.
Dès lors, afin de réduire la distance qui existe entre ces
deux mondes, Quercum détecte la nécessité de
former des personnes, dun côté comme de lautre de
la " frontière ".
Il va donc sagir dune part de travailler
du côté du monde juridique. Pour cela, Manuel Jacques, dès
1985, aidé par une jeune avocate commence à
" recruter " des jeunes étudiants en Droit. 23 étudiants
en cinquième année de droit de lUniversité Catholique
et de lUniversité du Chili vont participer en juillet 1985 aux
premiers cours dUsage Alternatif du Droit. Ces cours se déroulent
deux fois par semaine de 18 heures à 21 heures, pendant trois mois,
dans le bureau davocat de Manuel Jacques. Il est accompagné
dun Éducateur populaire, avec lequel il distille le " cadre
théorique ". Ce travail avec le premier groupe
détudiants est le germe du travail queffectuera Quercum
les années suivantes. Manuel Jacques explique : " De
ces 23 jeunes, javais la conviction quallaient surgir ceux qui
allaient travailler avec nous par la suite ". Ce premier cours dUsage
Alternatif du Droit au Chili, Manuel Jacques la construit suite à
son travail pour lInstituto Latinoamericano de Servicios Legales
Alternativos (ILSA) en Colombie, travail dinventaire des Services
Juridiques en Amérique Latine réalisé en 1983-84, qui
lui a permis de rencontrer tous les groupes travaillant sur cette
problématique. Il a aussi derrière lui ses années de
travail comme avocat populaire et le constat des difficultés
rencontrées.
Effectivement, de ce premier groupe de 23
étudiants, les 5 les plus motivés seront impliqués dans
la démultiplication de la formation, puisque dès 1986 et
jusquen 1993, ils participeront à la formation de nouveaux
étudiants lors des sessions de cours annuelles organisées par
Quercum. Notons quentre le premier cours et lannée
suivante, un projet a été rédigé et a trouvé
des financements auprès dune agence de coopération en
Hollande (ICCO), ce qui a permis de " formaliser " la structure
de Quercum grâce entre autres à la location dune
maison dans laquelle viennent notamment se former les jeunes
étudiants.
Dès 1986, les cours ne se limitent pas à
Santiago, mais débutent dans les villes de Concepción et
Valparaiso.
Ces cours auront pour objectif principal de
" déconstruire " une grande partie de lenseignement
que ces étudiants ont reçu dans leur université de
droit.
" Quand nous parlons denseignement du
droit, nous ne faisons par référence à une simple
transmission dexpériences, de codes et dusages des uns
vers les autres. Au contraire, nous faisons référence à
tout un système institutionnalisé, à tout un appareil
articulé, connecté et conçu pour transmettre des contenus
et des éléments déterminés, et en exclure,
expressément ou tacitement, dautres ", nous dit un des
élèves de Manuel Jacques, étudiant en droit, dans sa
thèse sur lUsage Alternatif du Droit.
Ses paroles devraient nous aider à saisir
le contenu des cours dispensés par Quercum aux étudiants
en droit. " Lobjectif est le suivant : situés dans
une perspective alternative, notre intérêt est de développer
des modèles de travail et dintervention sociale avec les secteurs
populaires ou des groupes sociaux définis, et dans ce sens, aborder
le thème de lenseignement du droit a pour principale perspective
détablir dune manière critique comment les écoles
de droit, à lintérieur du système juridique
institutionnel, jouent un rôle de reproduction de la conscience et
des rôles sociaux, des cadres théoriques et pratiques de la
proposition juridique conservatrice. "
Un autre étudiant ayant suivi les cours
dUsage Alternatif du Droit écrit, en août 1987, dans le
bulletin de Quercum " Los derechos de
todos " :
" On peut constater que nous, les étudiants
en droit, engagés dans un idéal de transformation sociale,
essayons de chercher la manière de mettre nos capacités au
service dun projet de société plus juste. Il
savère que cest une tâche compliquée, puisque
notre expérience paraît démontrer que le droit, en tant
quinstrument quotidien daction sociale, est difficilement utilisable
au sein des efforts pour construire un ordre juridique et social différent,
si lon considère son inflexibilité et son caractère
conservateur dun certain état de fait . (
) Malgré
ces difficultés limportant selon nous est dinvestir un
modèle éducatif qui nous dé-forme
nous-mêmes. "
Cette dé-construction ou dé-formation
se formulera dans le contenu des cours qui seront dispensés de 1985
à 1993 chaque année, et qui reprennent les différents
points qui fondent lexistence de Quercum :
De la même manière que le postulat de
départ vis à vis du droit est que celui-ci nest pas neutre,
les membres de Quercum défendent lidée que
léducation ne lest pas. Les méthodes éducatives
et les contenus sont selon eux au service du maintien dun certain
système. Ainsi, lintroduction de la méthodologie de
lÉducation Populaire dans les cours dUsage Alternatif
du Droit a pour but non seulement de faire entrevoir aux jeunes étudiants
les possibilités que cette méthode offre en matière
de transmission de leur propre savoir, mais également de
désacraliser lenseignant, le professeur en tant que
" détenteur " dun savoir.
En cela ils suivent la même ligne que celle
dessinée par Paulo Freire, pédagogue brésilien,
théoricien et praticien de lÉducation Populaire, qui
remettait en question les méthodes dapprentissage en disant
par exemple dans sa " Pédagogie de
lopprimé " : " Il est nécessaire
de développer une pédagogie de la question, parce que ce que
nous entendons toujours, cest une pédagogie de la réponse.
Les professeurs répondent à des questions que les
élèves ne leur ont pas
posées. ". On
retrouvera en effet dans la construction théorique de Quercum,
tout comme chez de nombreux services juridiques alternatifs
en Amérique latine, une base conceptuelle proche de celle de
lÉducation Populaire : lidée de
" transformation sociale ", la notion de " vision
critique ", la remise en question de la neutralité, la visée
politique, ainsi que les notions de " participation " ou de
" libération ".
On peut imaginer que déconstruire limage
que peuvent avoir les étudiants en droit deux-mêmes consiste
en un travail profond et difficile, de même que les amener à
remettre en question le fondement même de ce quils ont appris
pendant les cinq premières années de leurs études. On
peut cependant avancer que le contexte politique a permis le développement
de ce processus, dans le sens où, comme le souligne dailleurs
létudiant en droit cité plus haut, Felipe Viveros, il
existe alors un certain engagement ainsi quun " idéal
de transformation sociale ".
Les avocats constituent également des
" passeurs " indispensables pour la mise en place du projet de
Quercum. Si lidée naît deux, pendant toute
la période que nous étudions, Quercum naura de
cesse damener de nouveaux avocats à rejoindre le travail qui
se fait avec les communautés. Cependant, ce travail savère
difficile dans la mesure où les financements (dans la majorité
étrangers) ne permettront pas de proposer des salaires attractifs.
On peut donc partir de lhypothèse que les avocats qui choisiront
de rejoindre les centres juridiques dans les poblaciones le feront
avant tout par conviction politique ou par " ladoption dune
position contestataire ". Il sagit donc avant tout soit de jeunes
avocats, soit davocats ayant déjà une longue expérience
dans le " travail communautaire " ou le travail avec les
poblaciones, notamment autour des questions foncières ou de
régularisation des tomas de terrenos.
Il faut souligner néanmoins que le simple
fait de participer à ce travail peut contribuer à mettre le
professionnel du droit dans une situation " marginale " vis à
vis de la branche la plus traditionaliste de la profession. En effet, le
travail de " démystification " du droit et du système
juridique passe par labandon dun certain nombre de
" privilèges " habituellement reconnus au juriste, notamment
en terme de statut social. Cet abandon passera
au niveau symbolique par ladoption dune tenue vestimentaire
informelle, dun langage " populaire ", ou de comportements
sociaux plus informels que ceux de lensemble de la profession.
On peut toutefois se demander si cette " désacralisation "
ninduit pas le risque de conduire à la création dun
nouveau mythe, celui du professionnel de droit " informel ", qui,
en changeant de langage et de costume, mettrait son savoir et sa pratique
au service des plus défavorisés, en acceptant de se situer
en marge du reste de sa profession.
Au niveau professionnel, le choix du travail dans
les centres juridiques alternatifs conduira, tout comme pour les étudiants
en droit, à lapprentissage de la méthodologie de
lÉducation Populaire. Il faudra également que les avocats
apprennent et acceptent le travail en équipe, et le travail avec des
non-juristes : éducateurs populaires, psychologues, travailleurs
sociaux étudiants en droit, moniteurs juridiques
La
pluridisciplinarité est donc un exercice tout à fait innovant
pour ces professionnels, qui, même " acquis à la cause "
pratiquaient généralement de manière plutôt
individuelle dans le cadre du travail populaire avant la création
des centres juridiques alternatifs de Quercum.
Autre acteur impliqué dans le " passage
des frontières ", le moniteur juridique.
Si la " dé-formation " des
étudiants en droit peut paraître une tâche ambitieuse,
la formation de membres des communautés sur des thèmes juridiques
comporte, elle aussi, de nombreux obstacles quil faut surmonter. Le
premier et le plus ardu consiste sûrement à déconstruire
le sentiment de marginalité et dincapacité que nous avons
décrit plus haut, puisque dune part il est la résultante
dun système social excluant, mais quil est dautre
part le ciment autour duquel ont pu se construire les identités urbaines
de ces populations plus ou moins nouvellement arrivées dans les
périphéries des grandes villes.
Le moniteur juridique est ainsi défini dans
un article de Quercum sur " La formation des moniteurs juridiques
dans les centres juridiques " :
" Cest un agent populaire, membre
dorganisations ou de groupes de base, qui se prépare pour travailler
pratiquement, depuis et avec la communauté, dans une tâche multiple
de reconnaissance des conflits que vit sa communauté locale, sectorielle
ou communale, afin de donner à ces conflits (manque deau,
délectricité ou de services, problèmes des mal
logés, manque de participation du quartier, mauvaise attention au
niveau de la santé, abus dautorité, etc.), une dimension
collective et juridique. "
Plus loin dans larticle est soulignée
" limportance de son insertion ou de son appartenance à
des groupes ou à des organisations actives dans laction
populaire ", et le fait quil soit " un activateur de la
mobilisation juridique à laquelle il participe et fait participer
la communauté organisée ".
De par cette appartenance, le moniteur juridique
peut effectivement devenir un véritable " passeur " dans
le sens où, une fois formé, il devient le lien entre la
communauté et le terrain juridique. Son travail de diagnostic nous
renvoie à une conception du droit élargie comme on la
décrite antérieurement, dans le sens où il devra
détecter des " conflits juridiques " autour desquels mobiliser
la communauté.
La formation des moniteurs juridiques dans les
communautés intervient dans le même temps que les autres phases
fondamentales du travail de Quercum que sont la formation des
étudiants en droit et la création dans les communautés
concernées des centres juridiques populaires. La méthodologie
utilisée est celle de lÉducation Populaire,
développée sur la base de la participation.
Cette méthodologie impliquera la création
dune grande diversité doutils pédagogiques et
lorganisation de nombreuses sessions de formation dans chacun des centres
juridiques de Quercum.
Parmi les outils pédagogiques :
-
-
les manuels dÉducation Juridique, sur
des thèmes comme la participation populaire au pouvoir local, la
sécurité, la Constitution de 1980, lécologie,
les " leyes de amarre ". Leur format de petit bulletin,
utilisant la Bande Dessinée, des schémas, et mettant en scène
des protagonistes " récurrents " permet une identification
rapide du lecteur et une compréhension des problématiques
traitées. Leur principe nest pas uniquement la vulgarisation
de linformation, mais également de divulguer une analyse critique
de la situation. Chacun de ces bulletins possède une version
enregistrée sur cassette audio, permettant ainsi une diffusion plus
large auprès de groupes dans lequel le taux danalphabétisme
est élevé, ou tout simplement pour un travail de groupe
nécessitant des méthodes dynamiques.
-
des sessions de formation avec lintervention
des professionnels de Quercum et la participation active des personnes
formées,
-
la réalisation au cours de ces sessions, par
les moniteurs formés, de petits bulletins sur les thèmes
traités pour permettre aux participants de restituer dans leurs
organisations ou communautés les connaissances acquises,
-
un travail de suivi et daccompagnement des
dirigeants dorganisations de bases formés à travers les
Centres Juridiques Alternatifs,
-
le théâtre juridique qui consiste à
mettre en scène la vie de la communauté et à impliquer
les acteurs et les spectateurs dans la détection des conflits
rencontrés et des nécessités concrète de la
communauté (chômage, insalubrité, répression
),
puis dans la résolution de ces conflits. Le théâtre juridique
possède comme base la technique du théâtre de
lopprimé (Paulo Freire), et son principe de participation. Ce
travail avec le théâtre juridique a donné lieu à
la naissance en 1984 dun groupe de théâtre de femmes
" La Desideria " dans la commune de la Renca.. Les pièces
de théâtre ont également donné lieu à
lenregistrement de feuilletons radiophoniques, diffusés au cours
dune émission sur une radio nationale, et utilisés pour
lanimation de travaux de groupes.
Ces outils semblent révéler une démarche qui propose
dune part de déconstruire la perception communément admise
du Droit et des lois et qui conduit, pour ce faire, à la
déconstruction des modèles habituels de transmission de la
réflexion. Ici, lacteur devient un protagoniste indispensable
de laction qui est menée. Sans sa conviction propre, qui passe
par la réflexion et la compréhension, laction ne peut
aboutir et nacquiert aucun sens. Le changement de point de vue passe
donc par une transformation de la perception par lacteur lui-même
de son environnement et de ses capacités à le comprendre et
à le transformer.
Enfin, le terme de " passeur " nous
paraît particulièrement approprié pour ces moniteurs
juridiques qui semblent permettre un véritable point de contact entre
deux mondes, celui, apparemment formel, du Droit et du système juridique,
et celui, plus " informel " et marginalisé, des
poblaciones. En outre, quelques-unes des femmes qui ont été
formées comme monitrices juridiques au sein de leur
población ou de leur organisation de base, ont ensuite entrepris
des études de Droit à lUniversité . Si le pourcentage
de ces cas-là est faible, il semble tout de même signifiant
car il paraît confirmer lhypothèse que la marginalisation
procède dun ensemble complexes de phénomènes desquels
la perception que lintéressé peut avoir de ses propres
capacités nest pas absente.
Ces " passeurs " permettraient-ils de répondre au constat
fait par A. Garapon : " La violence du rite ne viendrait-elle pas
du fait quil a été annexé, approprié par
les professionnels de la justice, qui en ont fait un instrument pour prolonger
et accentuer leur pouvoir institutionnel ? Le combat pour la justice
ne consisterait-il pas à rendre la maîtrise de ce rituel à
ceux qui lui garantissent son authenticité, cest à dire
au groupe social ? ".
Les
centres juridiques.
Un des instruments fondamentaux du travail de
Quercum est le Centre Juridique Alternatif aussi appelé Centre
Juridique Populaire. Simultanément à la formation des
étudiants en droit qui formaient à leur tour des leaders des
communautés (dirigeants de groupes de bases), Quercum
encourageait les leaders communautaires, les étudiants et les
éducateurs, à créer un centre juridique populaire ou
alternatif à caractère permanent dans la communauté .
Ce centre devenait par la suite le lieu central où pouvaient se
dérouler les actions de formation, de mobilisation, de soutien, et
dinformation. Implantés au cur des communautés
ces lieux avaient pour principal objectif de matérialiser le travail
qui se faisait, en un espace reconnu par la communauté. Le fait
quon puisse y rencontrer à la fois des éducateurs populaires,
des leaders des groupes de base, des étudiants en droit et des juristes,
et que le nom donné à ce lieu soit celui de " centre
juridique " laisse supposer que les centres eux-mêmes sont porteurs
dun message et dune symbolique. La Justice paraît
éloignée ? Rapprochons-là des communautés.
Elle paraît difficile daccès ? Implantons dans ce
lieu des " passeurs ". Et si dans les programmes juridiques
habituellement destinés aux populations les plus défavorisées
on trouve une " assistance juridique " gratuite et individuelle,
Quercum propose de dépasser cette vision, et organise le travail
qui se fait dans les centres autour des conflits collectifs.
Les deux premiers centres voient le jour en 1986/87
dans les communes de La Renca (Población Huamachuco) et de Conchalí
(población La Pincoya), puis viendront ceux de Peñalolén
et de Huechuraba. En province, des centres naissent dans les villes dans
lesquelles se développe la formation des étudiants en droit
et celle des leaders communautaires : un centre à San Antonio,
deux à Valparaiso (Viña del Mar), deux à Concepción
et deux à Arica dans le Nord du pays. Quand le programme sera
appuyé, en 1992, par le FOSIS (Fondo de Solidaridad e Inversion Social),
de nouveaux centres verront le jour , les Centros Juridicos Vecinales
à El Bosque et Los Espejos, deux communes de Santiago.
Le dépliant de présentation du Centre
Juridique de La Renca énumère les grandes lignes daction
dun centre :
Il est également précisé que
" dans le centre se déroulent aussi des activités culturelles
et de distraction ouvertes à la communauté ".
On retrouve donc dans lespace du Centre Juridique,
les grandes lignes du travail proposé par Quercum. Dans cet
espace au cur de la población va sopérer
en même temps le travail de formation des leaders communautaires, la
constitution des équipes avec ces moniteurs, des éducateurs
populaires et des étudiants en droit. Ce sont les moniteurs, une fois
formés, qui sont en charge des centres juridiques. Pour la détection
des " conflits juridiques ", ils travailleront en utilisant la
méthodologie de la " cartographie " mise en place par Manuel
Jacques lors de son travail davocat populaire. " Lidée
était de constituer la " carte des conflits sociaux et
populaires " . Les pobladores devaient eux-mêmes et
collectivement déterminer quels étaient les conflits quils
observaient quotidiennement et quelle était la priorité de
ces conflits. Ainsi, la communauté, avec léquipe du centre,
définissait la carte et détectait les conflits. A partir de
ce travail étaient définies des lignes
daction. "
Ainsi, le centre juridique rend possible les
différentes phases de travail que propose Quercum, que ce soit
" élargir la notion de droit " en introduisant au sein des
communautés la notion de " conflit juridique ", ou
démystifier le droit par la constitution déquipes
pluridisciplinaires dont certains membres, les moniteurs, appartiennent à
la communauté, ou encore le travail de mobilisation et de soutien
aux actions. Le centre juridique apparaît donc comme un outil fondamental
sans lequel le travail de suivi à long terme naurait pu se
dérouler.
La
résolution alternative des conflits et des litiges.
Peu à peu, les centres ont également
permis daborder la question dune résolution alternative
des conflits et des litiges. On voit dailleurs apparaître en
1992, sur la plaquette de présentation des " nouveaux
centres ", les Servicios Juridicos Vecinales, montés
avec lappui du FOSIS (Fondo de Solidaridad e Inversion Social) une
phrase qui le signale : " Les problèmes juridiques ne se
résolvent pas seulement dans les tribunaux. Une forme alternative
de résolution des conflits juridiques ".
On peut considérer cet aspect comme une des
évolutions au sein de Quercum. Cette thématique
apparaît en effet de plus en plus dans des documents postérieurs
à 1989 , à partir de la période de transition vers la
démocratie. On trouve par exemple le thème abordé dans
le manuel déducation juridique populaire " Seguridad ciudadana
y justicia vecinal ", avec en fin de manuel, parmi les questions
proposées pour la réflexion du groupe : " Est-ce
que seuls les juristes peuvent être juges, ou un voisin respecté
par la communauté pourrait-il lêtre aussi? Est-ce
que les voisins peuvent sorganiser pour solutionner leurs conflits
mineurs ? Comment ? En créant des Tribunaux de
voisinage ? ".
La résolution alternative des conflits passe
par de nombreuses stratégies, et au sein des Centres Juridiques de
Quercum, ce travail sest fait plutôt de manière
informelle. Selon les centres juridiques et les personnalités qui
les animaient, les moniteurs juridiques, pouvaient prendre la place de
" médiateurs " au sein de la communauté, et faciliter
la résolution des conflits et des litiges " mineurs " ou
à caractère de voisinage. Nous ne disposons pas de sources
nous permettant dopérer un travail de " typologie "
entre les différentes stratégies, afin de définir sil
sagissait plutôt de conciliation, de médiation, ou
darbitrage. Cependant, nous aurions tendance, en suivant les
définitions quAndré-Jean Arnaud en propose, de parler
dans ce cas de médiation, dans la mesure où celle-ci
" implique lintervention dune tierce personne, ce qui
nest pas toujours le cas en matière de conciliation, mais ce
tiers ne dispose pas, à linverse de larbitre du pouvoir
de trancher le litige ".
Lidée défendue à travers le principe des
tribunales vecinales laisse entrevoir deux points de vue. Le premier
est celui qui consiste à défendre une meilleure adéquation
du traitement du conflit par le principe dadhésion et
dautonomie des parties en présence. Cest pour
Quercum le point essentiel. Le second, peu défendu par
Quercum, mais que lon retrouve plus fréquemment exposé
comme fondamental chez de nombreux auteurs, est la question de
lefficacité. Cest dailleurs selon cet angle que
les tribunales vecinales seront repris dans les années
93/94 par le gouvernement de Concertation avec un projet de loi -qui ne verra
jamais le jour- comme proposition de " modernisation de la justice ".
On entre alors dans ce que Jean Carbonnier a appelé
la " justice informelle ", soit la justice alternative que la
société propose quand la justice officielle nuvre
plus. Et les tribunaux de voisinage ou de proximité (tribunales
vecinales) pourraient être rapprochés de ces " tribunaux
de substitution qui comblent la carence étatique ". En effet,
cette justice informelle ou alternative nest pas la création
de " non-droit " ou de " contre droit ", mais la mise
en place " dune justice parallèle au service dun
droit, bien de tous ". Nous verrons cependant quil est possible
de questionner cette " universalité " du droit
prétendument facilitée par lappui à cette justice
informelle, dans la mesure où cette dernière est mise en
uvre justement pour combler les carences de lÉtat qui
ne peut répondre à la demande de justice de toute la
population.
On se demandera plus loin dans quelle mesure les stratégies mises
en place pour " démystifier le droit " participent
réellement ou non dune véritable dynamique transformatrice
et si elles permettent datteindre ce but ou sil nexiste
pas le risque soit quelles créent de nouveaux mythes, soit
quelles voient dans le rituel et dans la forme juridique lessence
même du problème quand ils nen sont que la
représentation. On verra alors si, comme le pense A. Garapon " un
combat pour la justice, contrairement à ce que beaucoup pensent, ne
passe pas nécessairement par un combat contre le rite, mais plutôt
par une action politique pour que le rite soit plus vrai ".
Les
communautés.
Au sein de tout travail social, la plus grande difficulté réside
souvent dans le fait datteindre la communauté dans son ensemble.
Le danger devient alors dopérer malgré soi une dichotomie
entre un groupe de leaders formés, impliqués,
" conscients " et le reste de la communauté. Cest
probablement pour tenter de parer à cette dérive que Quercum,
outre les centres juridiques, a développé un certain nombre
dactions ou dévénements qui réunissaient
tous les acteurs dune même communauté.
Il en va ainsi, par exemple, du " Cercle des
juristes disparus ", dont le titre est inspiré du film :
" Le cercle des poètes disparus ". Il sagissait dun
" espace de rencontre, réunions, expositions, colloques,
séminaire, ateliers ", à travers lequel était
organisé des " débats sur le droit, son enseignement et
sa pratique sociale ". Lobjectif affiché dans la plaquette
de présentation de cette activité était
d " ouvrir une pensée juridique critique, innovatrice
et démocratique ".
" Les lignes de travail :
Les juristes disparus ? La plaquette
précise : " Il sagit de " nous " :
étudiants, travailleurs, professionnels, dirigeants et membres des
organisations sociales, et la communauté toute entière. ".
Manuel Jacques raconte que " cette initiative rassemblait une fois par
semaine, dans les locaux de Quercum une cinquantaine de personnes,
autour dune sorte de " veillée ". Le débat
sorganisait dabord autour des personnalités extérieures
invitées, puis en petits groupes autour de petites tables, à
la lueur de bougies. "
Dautre part, les actions de formation et
dinformation de la communauté, outre tout le travail
réalisé par les moniteurs juridiques, se sont ensuite
matérialisées dans une émission de radio hebdomadaire.
Ce programme, financé en 1992 et 1993 par une agence suédoise
de coopération (Diakonia) a permis de réaliser
lémission : " Sin cedazo : todos podemos
legislar " qui était diffusée sur la radio nationale Nuevo
Mundo tous les samedis à midi pendant une heure. Un journaliste de
Quercum invitait divers acteurs sociaux à partager un débat
sur un thème juridique dactualité, puis se déroulait
une " dramatisation de conflit " sur le modèle du
théâtre juridique. Il sagissait dune sorte de
feuilleton radiophonique qui devait permettre de mettre en évidence
la présence quotidienne au sein dune población
fictive dun certain nombre de problèmes ou de conflits juridiques
quanimateurs, invités et auditeurs étaient amenés
à commenter.
Cest pourtant certainement à travers les actions concrètes
telles que les tomas de terrenos ou la résolution de
problèmes liés à leau ou à
lélectricité que Quercum verra son travail
véritablement légitimé par les communautés.
Section 3 : Soutenir les actions,
mobiliser.
LUsage Alternatif du Droit consiste en un
" usage du droit qui prétend changer, " altérer "
ou " alterner " les bénéfices ou les conséquences
défavorables que le droit emporte avec lui ". Les juristes alternatifs
admettent donc la " nature politique du droit ", et proposent
den faire un usage " propre à favoriser les classes
opprimées, la classe prolétarienne, en créant ainsi
davantage de sortes de libertés pour la lutte des masses ".
En laissant pour le moment de côté la
problématique de la question marxiste pour ce qui est de Quercum,
nous proposons daborder ici la partie du travail de lassociation
qui touche directement à cet usage du droit .
Nous avons choisi de traiter plus spécifiquement
la question du soutien aux prises de terrains, ou tomas de terrenos,
dune part parce que cest autour dactions de ce type que
sest organisée la majeure partie du travail de Quercum et
dautre part parce que la question du conflit entre légalité
et légitimité à propos du droit de propriété
nous apparaît comme centrale dans la question de lUsage Alternatif
du Droit. En effet, les questions de la terre, du logement et de la
propriété sont au cur des tensions entre la vision
traditionnelle du droit et celle que défendent les Services Juridiques
Alternatifs en Amérique latine et en particulier Quercum.
Cest en effet autour de ces questions que les inégalités
sociales se font les plus criantes et que lon peut voir se dessiner
une certaine opposition entre deux visions de la société. La
vision que défend Quercum sinspire de lidéologie
marxiste, et en cela, la question de la suprématie du droit de
propriété sur tous les autres droits est fortement remise en
question au sein du discours de Quercum. Dans ce " conflit
juridique ", la visée politique du travail de lassociation
autour du droit se fait clairement ressentir, dans le sens où le soutien
à des actions illégales devient légitime pour des juristes
qui contestent le fondement même de la propriété comme
lun des " trois piliers du droit " avec la famille et le
contrat.
Les
tomas de terrenos. Les " prises de
terrains ".
Nous avons vu quau Chili, la question du sol
et du logement est une question cruciale. Les tomas de terrenos
sont dès les années 50 devenues un moyen très utilisé
pour " rééquilibrer " la mauvaise distribution de
lespace urbain. Il sagissait alors dun groupe organisé
qui " prenait " en une nuit le plus souvent, un terrain privé
ou appartenant à lÉtat et qui y installait un campement,
pour y loger lensemble des familles du groupe. Les principales
caractéristiques des tomas dès les années 50
étaient quelles étaient dirigées par un parti
politique et quelles étaient réalisées en une
seule fois, violemment, en prenant les autorités par surprise. Ainsi
utilisée par les partis politiques, la question du logement devient
une arme électorale fondamentale. Cest sous le gouvernement
de Salvador Allende que les tomas se généralisent.
" Pour les pobladores, chaque toma était une
conquête inamovible et avec la gauche au pouvoir, les actions qui
permettaient de rééquilibrer ou de supprimer laccumulation
des richesses par la bourgeoisie ne pouvaient être considérées
comme illégales ".
On assiste à ce moment-là à
un " renversement " du rapport légalité /
légitimité. Mais avec le coup dÉtat, le régime
militaire et la répression, les tomas deviennent difficiles
voire impossible. Pourtant, la question du logement à Santiago, comme
dans les autres grandes villes chiliennes, nest pas résolue.
On assiste alors à la naissance de nombreux comités de mal
logés et de sans-domicile. " Peu à peu, certains ont
commencé à oser refaire des tomas, et se faisaient
déloger. "
Léquipe de Quercum viendra en
appui à de nombreux groupes sur la question des tomas, selon
des modalités différentes. Dans certains cas, précise
Manuel Jacques, " la communauté était le point de
départ. Elle agissait sans " conduite ", et nous étions
les catalyseurs, nous appuyions, soutenions ". Cest le cas par
exemple à Peñalolén, une commune située dans
la périphérie Est de Santiago, lors dune toma
qui a eu lieu en 1990. Lintervention de Quercum a
consisté en un appui juridique, dans une stratégie de
" concertation " plus quune stratégie de rupture vis
à vis des autorités.
A Peñalolén, 700 personnes ont envahi
un terrain. Manuel Jacques raconte la stratégie qua
développé Quercum lors de cette action.
" Partant de lexistence dune subvention
de lÉtat ayant comme but laide à laccès
à la propriété pour les personnes qui avaient un livret
dépargne logement, le comité communautaire sest
organisé de manière à ce que chacun ait son livret,
preuve de la volonté dépargne et du sérieux des
personnes. Le comité sest adressé à deux reprises
au Ministère du logement pour demander une subvention pour
lensemble des gens, démarche qui na pas eu de suite.
Cest alors quils ont occupé le terrain et demandé
notre soutien. La première chose à faire est de légitimer
loccupation et dutiliser la légalité informelle
comme un instrument de lutte pour légaliser loccupation. Cest
le moment de négocier avec les autorités. Ces personnes ne
sont ni des guérilleros, ni des irresponsables, mais une communauté
organisée. Avec laide de juristes, de campagnes de signatures
et de comités de soutien, nous avons pu préparer la convention
dengagement pour lachat du terrain. Devant le sérieux
de la démarche, la répression devient impossible. Quand les
dossiers sont prêts, cest le moment de construire rapidement
des logements pendant la nuit, pour formaliser encore plus la
situation. ".
Dautre part, au cours des tomas, un
travail dappui à lorganisation interne des groupes faisant
partie de la communauté se met en place. Quercum instaure en
effet lélaboration des " statuts communautaires ".
" Quand on prenait un endroit, on commençait
par élaborer les " statuts communautaires ", qui devenaient
au fond la loi du voisinage.(
) Une sorte de loi qui régulait
la situation du logement dans chaque situation spécifique, en passant
par-dessus la loi officielle. Cette loi devenait le lien de la communauté,
qui discutait les statuts. Ceux-ci passaient dans les mains de tous les
dirigeants communautaires, et nous permettaient en nous réunissant,
de régulariser certaines situations, par exemple sur les familles
qui demandaient à avoir leur propre espace. "
On voit donc que le soutien aux actions des
communautés va dune part dans le sens dune recherche de
légalisation, et dautre part, dans lappui à la
recherche de solutions alternatives aux conflits qui surgissent dans ce cadre,
par la " création " dun " autre droit ".
Pas de rejet, donc, fondamentalement, du principe de la nécessité
du droit. On nest pas devant la négation du droit, mais dans
la recherche dune utilisation de celui qui existe " au service "
dune cause : celle des mal logés et des sans domicile dans
le cas des tomas de terrenos, ou de la production de droit quand le
droit officiel ne permet pas de répondre aux problèmes
rencontrés.
" Si le droit consiste à normaliser des
aspects de la réalité, dans le cas des occupations de terrain
par les groupes populaires, dans la mesure où ils parviennent à
maintenir leur occupation et à concrétiser leur droit à
un logement, ce quils font cest normaliser cet espace de leur
réalité. Si par exemple, le groupe mobilisé obtient
la reconnaissance de lÉtat de son droit à rester dans
le lieu occupé, ce quil a fait cest régulariser
son droit au logement, et légitimer son état juridique de
séjour dans lendroit. "
Dans le cas du soutien aux actions de tomas de
terrenos, nous nous trouvons face à un double enjeu : celui
de la légalisation dune pratique considérée comme
illégale vis à vis du droit de propriété,
dautre part, celui de lexistence ou de la création de
systèmes juridiques parallèles au système juridique
de lÉtat. On peut certainement alors parler de pluralisme
juridique.
La
mobilisation.
Une autre partie fondamentale du travail de Quercum
pour répondre au sentiment d " injustice du
droit " provoqué en partie par lexistence de la Constitution
de 1980, est de travailler autour de la mobilisation. Il sagit alors
de travailler sur le fond, pour organiser la prise de conscience par les
communautés des dysfonctionnements de lordre juridique ainsi
établi. Ce travail passe en partie par le travail de formation des
leaders communautaires, comme on la vu à propos des
" passeurs ", mais il est fortement appuyé par un travail
auprès des communautés elles-mêmes, à travers
notamment des outils dinformation et de réflexion. Dans le bulletin
Los derechos de todos sont ainsi abordées un certain nombre
de questions autour desquelles des actions pourront être
cristallisées.
Par exemple, en août 1988, dans le bulletin
n° 5, un article de Manuel Jacques explique les enjeux du plébiscite
qui aura lieu au mois de décembre. Cet article défend
lidée que le " Non " ne suffit pas en lui-même
à permettre un véritable retour à la démocratie
et quil faut exiger le changement de la Constitution.
La logique est la même dans le livret
dÉducation Juridique Populaire Las magias del Mago Maguin
(juin 1992), destiné aux membres des communautés, qui retrace
les événements politiques depuis le gouvernement dAllende,
la nouvelle Constitution, la répression, le plébiscite de 1988
et lélection dAlwyn. Ce livret propose une analyse et
une réflexion autour des enclaves autoritaires et analyse les
mécanismes qui ont rendu ce déroulement historique possible.
Une place importante est faite à la responsabilité de la population
qui a permis à ces stratégies de se mettre en place " soit
par manque de réflexion, soit par manque de mobilisation ".
Dans le bulletin n° 7 de Los derechos de
todos (mai 1989), il est question de la démocratisation des
juntas de vecinos, qui ont été, selon lauteur
de larticle, contrôlées par les autorités depuis
le coup dÉtat dans le sens où celles-ci ont
" empêché lélection libre de leurs dirigeants
en la remplaçant par la désignation de personnages proches
du régime autoritaire ". Larticle raconte que " dans
de nombreux quartiers de Santiago et en province, des groupes organisés
ont commencé à essayer de récupérer les juntas
de vecinos en ouvrant les registres, en sy inscrivant et en convoquant
des Assemblées Générales pour élire leurs
dirigeants (
). Dans de nombreuses occasions, ils ont réussi
à obtenir la reconnaissance de la part du maire et ont commencé
à mettre en uvre leurs requêtes depuis lordre
institutionnel en place ". Il sagit donc selon lauteur
dune " reconquête dun espace dénié depuis
16 ans ".
Sur le sujet de la participation populaire au pouvoir
local, un petit livret dÉducation Juridique Populaire Yo
participo, tu participas
(mars 1992) propose, juste avant les
élections locales de 1992, à la fois une analyse critique des
structures en vigueur du pouvoir local et de son fonctionnement (distribution
des budgets par exemple
), ainsi que quelques propositions pour une
meilleure organisation et une meilleure représentativité au
niveau du pouvoir local. Le discours est également porté sur
la nécessité, pour mettre en uvre les propositions, de
se mobiliser et de participer à travers les différentes
structures : juntas de vecinos, centros de madres, centros
juveniles, syndicats, groupes de défense des indigènes
et de défense des Droits de lHomme
Mais la mobilisation ne se fait pas uniquement à
travers la diffusion de matériel et louverture dune
réflexion. La mobilisation passe avant tout par un travail continu
de présence au sein des poblaciones à travers les Centres
Juridiques Alternatifs, qui permettent un suivi, un soutien et un accompagnement
constants. Les différentes phases qui peuvent sembler apparaître
quand on tente ainsi de systématiser le travail qui a pu être
fait par Quercum pendant ces années ne se déroulaient
pas de manière linéaire, la mobilisation et le soutien aux
actions se croisaient avec les phases de formation ou de détection
des " conflits juridiques ".
DEUXIÈME PARTIE : LUSAGE ALTERNATIF
DU DROIT OU LE DROIT MIS AU SERVICE DE LA TRANSFORMATION
POLITIQUE ?
Si les juristes alternatifs italiens se revendiquaient
clairement dune position marxiste en préconisant, dans les
années 70 " une pratique juridique-politique dont le but était
la transformation politique du social à travers un usage alternatif
du droit propre à favoriser les classes opprimées ",
quen est-il des mouvements latino-américains qui voient le jour
sous les dictatures militaires ou civiles et dont la clé de voûte
peut être désignée comme étant la défense
des Droits de lHomme ?
Dans le contexte chilien, la question du rôle
de lÉtat et du rapport quentretient la
" société civile " avec ce dernier est cruciale,
dans la mesure où la naissance de Quercum est en partie la
conséquence du principe institué par le régime militaire
de " subsidiarité ". Le retrait de lÉtat et/ou
son incapacité à incorporer les secteurs défavorisés
dans lespace public au sein duquel se partagent les biens politiques
et sociaux déclenchent la naissance du mouvement juridique alternatif.
On serait selon André-Jean Arnaud face à un mouvement à
caractère " centripète ", qui part de la
société civile pour atteindre lÉtat dans le but
de proposer un nouvel ordre juridique. Cest sur cette notion dordre
que nous proposons de nous arrêter tout dabord, dans la mesure
où elle nous semble centrale pour une compréhension dun
certain nombre de mécanismes, développés aussi bien
par le régime militaire (la question de la Sécurité
Nationale) que par Quercum.
Symboliquement, le Droit est associé à
lordre. Il " inscrit la continuité dun discours
déterminant un ordre, un ordre à bâtir, à maintenir,
à rétablir ".
Ainsi, en avançant lhypothèse
que le Droit se doit dêtre à la fois la garantie dordre
à un projet social, mais également un moyen en soi de
transformation circonscrit à une finalité définie :
lhomme et ses besoins, Quercum ne déconstruit pas la
notion dordre à laquelle est associé le Droit, mais introduit
un élément conditionnel : les besoins fondamentaux de
lhomme. Ce qui conduit inéluctablement à la remise en
question de lordre juridique qui a pour finalité son propre
maintien et qui s " auto-ordonne ", pour annoncer un
ordre " soumis " à la condition du respect des droits humains.
Nassiste-t-on pas alors à une sorte de conflit dans le sens
où le Droit en tant que système juridique national doit,
selon les juristes qui prônent un Usage Alternatif du Droit, permettre
de défendre les droits des plus fragilisés par le
système social, économique et politique ? Le Droit
objectif serait-il alors soumis aux droits subjectifs ?
De fait, la remise en question du processus de production
des normes, de la légitimité de lordre établi
par le Droit et le soutien à des activités que le Droit
définit comme " illégales " telles que le tomas
de terrenos procèderaient davantage dune remise en question
de lordre tel quil est établi, pour aboutir à la
construction dun " autre ordre " dans lequel seraient prises
en compte un certain nombre de " valeurs ", que dune
négation de lordre ou du droit.
Selon Manuel Antonio Garretón, au Chili,
historiquement, les acteurs sociaux se sont organisés à travers
une " matrice parti politique / organisation sociale " en faisant
pression sur lÉtat comme principal interlocuteur. Jusquen
1973, le rôle que jouait lÉtat était central, et
pouvait être caractérisé par sa fonction planificatrice.
Le régime militaire arrivé au pouvoir en 1973, en instaurant
le principe dÉtat subsidiaire, en réprimant le système
des partis et en décomposant les relations de lÉtat avec
les organisations sociales a désarticulé cette matrice. Quand
le régime démocratique sest reconstruit, les formes
traditionnelles de relation entre lÉtat et la société
ont ré-émergé, mais sans se remettre de la
désarticulation et dans un contexte politique caractérisé
par deux objectifs centraux : éviter le risque de retour autoritaire,
et maintenir un certain modèle déquilibre économique,
en évitant les débordements des demandes sociales.
Pour Norbert Lechner, cest autour de la notion
dordre et de son opposition au chaos que lon peut trouver une
entrée pour comprendre le processus chilien. En effet, selon lui,
cest la peur du chaos, lincertitude engendrée par les
derniers mois de lUnité Populaire du moins chez les classes
moyennes, qui explique que larrivée des militaires a été
dans un premier temps vécue comme un soulagement. Un certain désir
dordre se faisant ressentir, les militaires semblaient pouvoir assurer
son retour. Par contre, en 1988, lors du Plébiscite, la perception
sociale sest inversée, et le chaos ou le désordre sont
à ce moment-là incarnés par le Général
Pinochet, et la démocratie associée au retour de
lordre.
Dans ce contexte évolutif, il nous paraît
intéressant détudier comment se joue le processus des
rapports entre Quercum et lÉtat, dans la mesure où
ces rapports doivent pouvoir nous aider à déterminer si
au-delà de la visée de transformation sociale, on trouve une
certaine visée politique au service de laquelle le projet juridique
alternatif serait construit.
Section I : Jusquen 1990 : la
confrontation.
La naissance même dun mouvement tel que
Quercum est, on la vu directement liée au contexte politique
et répressif. On peut donc sans mal affirmer que de 1985, date de
la création de lassociation, à larrivée
du gouvernement de Concertation, les relations avec lÉtat se
feront quasiment uniquement à travers une stratégie de
confrontation. Cette confrontation est dailleurs bilatérale,
puisque de 1985 à 1989, " le bureau de Quercum sera
" visité " ou " cambriolé " de nombreuses
fois : bureau fouillé, menaces déposées (lettres
écrites avec du sang, rats morts
), intimidations ". Comme
on la vu, le nom et les objectifs de Quercum ne sont pas toujours
révélés ou utilisés ouvertement, afin de
protéger lassociation dun démantèlement
total, rendu possible par la Constitution de 1980 (article 8).
Ainsi, les fondements mêmes du travail de
Quercum pendant les premières années sorganisent
bel et bien autour de la confrontation.
Rappelons dabord la notion de " conflit juridique ",
instaurée afin de permettre de déterminer un " état
dinsatisfaction permanent ". Cette notion introduit celle de
" sujets du conflit ". On pourrait alors imaginer un affrontement
simple, individus/ État, mais cette matrice simplificatrice ne satisfait
pas Manuel Jacques, le fondateur de Quercum. En effet, selon lui,
concevoir que lÉtat soit le seul responsable de
linsatisfaction des besoins fondamentaux des individus, ce serait
" surestimer (son) rôle et entraînerait une fausse
représentation sociale qui exclurait la participation effective et
le rôle de protagoniste de la société civile ".
Il ne sagit donc pas dune confrontation
de type unilatéral qui véhiculerait un certain nombre de
revendications dans lattente que lÉtat les prenne en compte.
Si dune part, la confrontation sorganise entre les groupes, les
communautés organisées et les représentants du régime,
le travail de Quercum pendant la période de dictature va consister
en une stratégie beaucoup plus complexe. Une partie de
lénergie sera en effet consacrée à la
" lutte ". Mais une grande partie des efforts consiste dans cette
" attente active " que définit le nom même de
Quercum. Il sagit alors de préparer, de former,
dopérer un travail de fond sur la perception sociale et politique,
pour parvenir à une confrontation à plus grande échelle,
cest à dire à une société (ou à
plus petite échelle, une población ou une communauté)
organisée et consciente qui ose revendiquer un autre ordre social.
Dans les bulletins Los derechos de todos
datés davant le plébiscite, on trouve des signes de cette
confrontation. Dune part dans le format du bulletin. Il sagit
de petits journaux, imprimés sur du papier de mauvaise qualité
par un réseau que lon peut définir comme
" parallèle ". Les photos qui sont choisies en couverture
représentent soit des manifestations et des protestations, soit des
photos des poblaciones qui soulignent des conditions de vie
précaires. Enfin, dans chaque bulletin, des articles sont consacrés
aux actions du régime militaire, actions de répression comme
lassassinat de 12 chiliens opposants le 15 juin 1987 auquel le bulletin
n° 3 (août 1987) consacre son éditorial et un article de
Juan Pablo Egaña. Dans le n° 4 ( décembre 1987), une photo
dun militaire pointant son arme sur une personne au sol introduit un
article intitulé " Et ça fait 14 ans ! " et
qui souligne les défis quapporte lannée 1988.
Mais on trouve surtout exprimée cette
confrontation dans les actions organisées par léquipe
de Quercum plus que dans tout document écrit datant de cette
époque, dans la mesure où la vigilance était
nécessaire pour pouvoir poursuivre le travail sans être la cible
de la répression militaire. Cest donc dans le soutien aux
comités de mal logés et de sans-domicile pour une reprise des
tomas de terrenos ou dans le travail dinformation par rapport
aux enjeux du " Non " au plébiscite, dans la défense
des abus policiers de la part des avocats de Quercum et surtout dans
lappui aux organisations populaires que lon peut mesurer la
" résistance " à la terreur imposée par le
régime. La confrontation dans cette période, outre les actions
concrètes de soutien et de défense, consiste donc surtout à
construire le sentiment dinjustice vis à vis du système,
afin de déclencher la réaction de la population quand
loccasion lui sera donnée, avec le plébiscite de
décembre 1988.
Même si la terreur ambiante réduit
considérablement lespace daffrontement et que
léquilibre des forces est bel et bien faussé, la
stratégie de confrontation naît de la rigidité du cadre
mis en place par le régime. Cest donc à laffrontement
avec lordre imposé de manière violente que conduit la
répression.
Une autre ligne daction nous informe sur la
position politique affichée par Quercum. Il sagit de
la position autour du plébiscite du 5 octobre 1988. Dans les bulletins
Los derechos de todos édités entre fin 1987 et fin 1988,
une controverse souvre, qui est le reflet de la controverse présente
dans lensemble des organisations politiques du pays à ce
moment-là. Faut-il tout dabord que les partis sinscrivent
sur les registres dans le cadre de la légalisation des partis
organisée par le régime en vue du plébiscite ?
Le faire, selon certains, constitue un acte de confiance qui, si les
élections sont truquées, comme beaucoup pensent quelles
le seront (au vu de la controverse sur le Plébiscite de 1980 avant
la constitution), conduirait à légitimer le régime.
Autre sujet de débat : faut-il ensuite participer au
plébiscite, alors quil est lui-même la conséquence
logique du déroulement des événements prévu par
la Constitution de 1980. Que le Non lemporte ou non, selon les membres
de Quercum, les conditions ne sont pas remplies pour une transition
démocratique. Il est donc dabord décidé, au sein
de Quercum de défendre, tout comme le fera le MDP (Movimiento
Democrático Popular) la revendication non dun plébiscite
mais délections libres, et la " sortie
insurrectionnelle " de la dictature. Il sagit alors politiquement
de défendre la rupture au niveau de la transition, de
délégitimer le régime et la Constitution de 1980 et
dempêcher le " pacte " qui conduira à la
" transición pactada " dont parlent entre autres
Lechner et Garretón.
Cette position sinscrit sur léchiquier
politique chilien du moment, dans une position relativement radicale, qui
refuse la stratégie que lAlianza Democrática a
décidé de mener, en soutenant la nécessité de
participer au plébiscite afin de " provoquer une victoire politique
sur la dictature, pas avec des moyens militaires, mais par le biais dune
mobilisation très large, massive, sociale de la majorité nationale,
dont la forme de protestation principale se doit dêtre
aujourdhui de sinscrire sur les registres
électoraux. ".
Cependant, à la veille du plébiscite,
on note que la position de Quercum sest quelque peu
atténuée, puisque dans le bulletin du mois daoût
1988, Juan Pablo Egaña écrit un article qui soutient la
participation au plébiscite, et le " Non ", tout en insistant
sur le fait que ce plébiscite est " luvre de
Pinochet ". Il rappelle aussi : " nous ne devons pas oublier
que notre participation sera manipulée, déformée par
la fraude que réalisera la dictature, mais nous devons être
plus forts que la fraude, plus forts que la peur, beaucoup plus forts que
la répression ; nous devons être un pays qui marque et
défend avec force son NON."
On peut donc dire que la position politique de
Quercum jusquau passage du régime militaire à
un gouvernement civil est une stratégie de confrontation, qui est
marquée par une couleur politique relativement radicale en faveur
de mesures qui nenvisagent pas la négociation avec les
autorités militaires en place.
Malgré le contexte de répression, les
intimidations, les pressions, et lobligation de travailler dans
lombre, cette période peut néanmoins paraître plus
claire et mobilisatrice que celle qui va suivre avec larrivée
au pouvoir du Gouvernement de Concertation dirigé par Patricio Alwyn
puis par celui du Démocrate Chrétien Eduardo Frei à
partir de 1993.
En effet, dans cette phase de naissance de Quercum, les acteurs du
conflit sont nettement identifiés, et la visée politique est
simple : le retour à la démocratie. La clé de
voûte des Droits de lHomme permet même une reconnaissance
et un soutien international. Le sentiment de la légitimité
de la lutte permet dacquérir un certain potentiel mobilisateur,
en particulier au fur et à mesure que la société
intègre la nécessité de se mobiliser pour le retour
à la démocratie en 1988. La perte de légitimité
nationale et internationale du régime autoritaire procède à
ce renversement de la perception sociale de la source légitime
dordre que nous avons évoqué et conduira au passage du
pouvoir par les militaires à un gouvernement démocratique.
Section 2 : Avec la Concertation
Démocratique : négociation, conciliation ou
rupture ?
Déjà, pendant la période de
dictature, Quercum fait politiquement partie des secteurs radicaux
qui ne trouvent pas un écho au sein de lensemble de la
société. La majorité démocratique sest,
elle, acheminée, avec lAlianza Democrática, vers une
transition " douce ", qui accepte les règles imposées
par la Constitution de 1980 et décide de sinsérer dans
le peu despace démocratique que le régime a instauré,
pour instituer une victoire de la démocratie par les urnes.
Dans cette position radicale, Quercum voit
la victoire du "Non " au plébiscite comme " le premier pas
de la victoire " mais souligne " quil reste beaucoup à
faire ". Dans un article daté davant le plébiscite
on peut déjà voir se dessiner les nouvelles lignes daction
qui seront celles de lassociation à partir de 1989 :
" Le régime a prévu son contrôle
et a dessiné un modèle qui permet une hégémonie
évidente du secteur privé et de son pouvoir économique,
à travers les privatisations les plus audacieuses du patrimoine national,
et en mettant en place un mécanisme de contrôle à travers
le pouvoir régional et communal, en excluant expressément les
organisations du monde populaire. (
) La requête politique ne
peut être étrangère aux demandes sociales, et toutes
deux doivent être le fruit de laction de toute la
communauté ".
Ainsi, à partir de 1989, la défense
des Droits de lHomme va cesser dêtre le centre du discours
de Quercum, et laction va se recentrer sur une approche critique
du système économique et du pouvoir local mis en place par
le régime militaire dont la Concertation Démocratique
héritera à son arrivée au pouvoir.
Cependant, cette période qui souvre
sannonce plus difficile à gérer. La première raison
de cette difficulté est que la pression semble avoir diminué
et que les organisations de base, tout comme la grande majorité de
la population, ressentent un certain besoin de confiance dans les nouveaux
représentants au pouvoir. On la vu, lordre, longtemps
symbolisé par le régime militaire, soutenu dans sa tâche
par de nombreux secteurs de la population chilienne, est passé dans
le camp de la démocratie. Les discours qui tendent à remettre
en question cette évolution peuvent alors être ressentis comme
des risques de déstabilisation, qui font penser au " retour du
chaos " craint par lensemble de la société.
La transition nous dit Norbert Lechner, est au Chili
fondée sur " deux consensus de base : la démocratie
comme ordre politique et léconomie sociale de marché
comme ordre économique " ce qui implique un certain nombre
daccords tacites. Celui qui paraît le plus significatif à
Lechner est le fait que la " gouvernabilité " soit
privilégiée, dans la mesure où cela implique le fait
quon ne remette pas en question lordre économique et politique
établi, quon évite les sujets à connotation
idéologique et les effets mobilisateurs. Dans lopinion publique
tout comme au sein du système politique sintroduit la " peur
des conflits déstabilisateurs ".
Si la vision de Lechner nous paraît tout à
fait intéressante dans son analyse de la " peur du chaos ",
nous pourrions proposer de remettre quelque peu en question la notion
" dopinion publique " dans la mesure où celle-ci ne
semble pas inclure une grande majorité de secteurs sociaux, ceux aux
revenus les plus faibles ou les plus marginalisés socialement, avec
lesquels travaille léquipe de Quercum et pour qui le
désir de stabilité par rapport à la nécessité
de transformation ou de changement nest pas forcément aussi
clair. Même si lon peut défendre lhypothèse
quaprès 16 années de régime militaire, la fin
de la répression apparaît comme un des pas les plus importants,
lexclusion économique et sociale de nombreux secteurs de la
population peut également être prise comme une grille de lecture
centrale pour cette population-là qui, dans son quotidien,
nobservera pas de grands changements tant que la politique économique
impulsée par le régime militaire continuera à gérer
le pays.
Pourtant, la mobilisation savère plus
difficile, dès lors que les associations et groupes de base voient
dans les nouveaux arrivés au pouvoir des " alliés ",
ce qui demandera à Quercum un effort particulier de mobilisation,
de formation et dinformation à propos des nouveaux enjeux de
la conquête du pouvoir local par exemple.
Dautre part, un autre facteur qui rendra le
travail de Quercum de plus en plus difficile est la position des agences
internationales de coopération, qui voient dans larrivée
de la Concertation Démocratique au pouvoir lannonce dun
retour à la stabilité et à la démocratie, et
qui vont, peu à peu, arrêter de financer les Organisations Non
Gouvernementales quelles soutenaient pendant la dictature, pour diriger
les financements vers le gouvernement lui-même. Cette transition
progressive mènera en partie et à plus long terme à
la fin de laction de Quercum à la fin des années
1990, par manque de moyens, par manque de personnel et pour dautres
raisons de fond que nous tenterons danalyser plus loin.
Ainsi, avec cette nouvelle période, il va
sagir pour Quercum de travailler dans de nouvelles perspectives
vis à vis du pouvoir en place. Tout dabord, en captant auprès
de ce gouvernement les fonds nécessaires à la continuité
de laction. On la vu, les centres juridiques qui se
développeront à partir de 1992 sinscrivent dans le cadre
du programme Servicios Juridicos Vecinales appuyé par le FOSIS,
un organisme dÉtat. Dautre part, le nouveau gouvernement
donne par ces appuis financiers, mais également en invitant les membres
de Quercum à travailler avec dautres Organisations non
Gouvernementales au projet de modernisation de la justice, une certaine
légitimité. Enfin, cest clairement dans le travail autour
de la question du pouvoir local, avec lenjeu des élections locales
de 1992 que la stratégie de Quercum prendra une forme adaptée
au nouveau contexte.
Cependant, le discours reste identique et lon
ne peut vraiment noter une volonté de négociation qui surpasserait
les convictions idéologiques des fondateurs du mouvement, qui resteront
très vigilants face aux nouveaux détenteurs du pouvoir. Cest
pourquoi nous préférons soutenir lhypothèse
quà partir de 1990, la stratégie de Quercum
oscillera entre négociation, conciliation et rupture, selon les
enjeux et les " moments " politiques qui souvriront.
Section 3 : Appropriation du système ou
appropriation par le système ?
Selon Manuel Jacques " après le changement
de politique le fond de notre travail ne change pas, ce qui change cest
le rapport que cherche le gouvernement avec les ONG ". En effet, dès
1990, le Ministre de la Justice du gouvernement de Patricio Alwyn convoque
une commission de sept personnalités du monde juridique pour travailler
à lélaboration dun projet juridique pour le pays.
Manuel Jacques fait partie de ce groupe de travail. Des propositions surgissent,
et en 1991, des financements arrivent de la Banque Interaméricaine
de Développement (BID) pour le projet élaboré par le
groupe en vue de la " modernisation du travail juridique et social ".
Le gouvernement qui avait proposé, au cours de lélaboration
du projet aux Organisations Non Gouvernementales présentes dans le
groupe de travail, de participer à son exécution, décidera,
après avoir reçu les financements dexécuter le
projet lui-même. Cest alors que commence une période difficile
de " concurrence " dans la mesure où le Ministère
propose pour lexécution du projet des salaires bien plus
élevés que ceux que proposaient les ONG comme Quercum
et que lassociation assiste au départ de ses membres, les uns
après les autres, pour un emploi au sein du Ministère.
Quercum, et en particulier Manuel Jacques parlent
alors pour cette période de " récupération "
par le gouvernement du discours des organisations qui avaient acquis la
légitimité populaire, mais dune mise en uvre de
ce discours altérée par rapport à lidéologie
de base qui en était à lorigine. Pour lui, lÉtat
chilien avait " une volonté de modernisation et non une volonté
de transformation ". Cette nuance paraît intéressante,
et nous proposons pour vérifier cette hypothèse
détudier plus particulièrement la période 1992-93,
pendant laquelle lÉtat chilien entreprend la " modernisation
de sa justice " à travers divers projets de loi et de réformes
administratives.
Dans cette période, plusieurs projets de loi
sont mis en uvre pour palier le mauvais accès à la justice
constaté dans les secteurs marginaux.
Présenté au Congrès en 1992
par le gouvernement de Patricio Alwyn, ce projet avait pour objectif de
créer une justice " moins formelle et plus rapide, orientée
par les principes doralité et de proximité ". Les
juges devaient être remplacés, dans ces tribunaux, par des avocats
qui auraient eu pour mission dagir comme
" conciliateurs ".
Ce projet est resté bloqué au Sénat
et na jamais pu voir le jour.
On reconnaît pourtant le discours défendu
par Quercum : la nécessité de la proximité,
les tentatives de " démystification " du droit, même
si dans les propositions de Quercum, la présence même
de lavocat dans les Tribunales vecinales était remise
en question pour introduire une personnalité reconnue dans le quartier
pour prendre le rôle du médiateur.
Également proposé par le gouvernement
de Patricio Alwyn en 1992, ce projet devait permettre délargir
la couverture nationale des services dAssistance Juridique et de
répondre, au-delà des conflits judiciaires, aux actes
extrajudiciaires de la population. Il comprenait une partie de conseil et
de formation des bénéficiaires pour les actes juridiques
cités et devait encourager lutilisation de la médiation
et de la conciliation pour la résolution des conflits juridiques.
Ce projet est resté bloqué au Congrès
et na donc pas été mis en place.
Il reprenait cependant un bon nombre de notions
défendues par Quercum, comme on la vu
précédemment. Parmi elles : la notion de conflit juridique,
qui élargit considérablement le domaine de travail, ce qui
incluait donc la mise en place déquipes pluridisciplinaires
(avocats, psychologues et autres professionnels) ; mais aussi, la
résolution alternative des conflits ainsi que linformation et
la formation de la population concernée.
Il sagit dun projet qui a vu le jour
en 1995 sous le gouvernement dEduardo Frei et qui répond à
la même volonté. Il sagit délargir et
daméliorer le système des Corporations dAssistance
Juridique dont on a vu les limites (Partie I, Section2), en incorporant
larbitrage, la conciliation et la médiation comme des voies
alternatives de résolution des conflits, en créant " un
système décentralisé, efficace et hautement
professionnel ", et en agissant au niveau de la prévention en
procurant des connaissances juridiques et des informations.
Les Corporations régionales ont, à
linverse des deux projets de loi précédents, été
mises en place en 1995.
Ces trois projets sont issus du groupe de travail
de 1990. Les propositions des équipes de quelques associations ont
pris corps dans ces projets de loi. Il nest donc pas surprenant dy
retrouver une grande partie du discours du mouvement pour un Usage Alternatif
du Droit. Il nest pas non plus très étonnant que leur
mise en uvre ait été freinée par le Sénat
, dans la mesure où la Constitution de 1980 elle-même
prévoyait la mise en uvre de tels mécanismes de blocage
pour permettre au système de se protéger contre des changements
trop brusques.
On peut alors se poser la question de savoir si la
stratégie gouvernementale qui a consisté à faire participer
des groupes tels que Quercum à la réflexion autour de
projets de loi pour la modernisation de la justice na pas constitué
pour le gouvernement nouvellement arrivé un acte de
" neutralisation " de leur action. Dans la mesure où le
discours était repris, où les projets pouvaient être
revendiqués au nom des associations et des groupes qui avaient
lappui des associations de base, une certaine légitimité
" populaire " pouvait être revendiquée. Dautre
part, la stratégie qui a consisté à mettre en uvre
le projet de modernisation de la justice depuis lÉtat et non
à travers les associations peut également être lue (et
cest ainsi que la comprend Manuel Jacques ), comme un moyen de
démanteler les structures associatives dont la volonté politique
de transformation savérait trop forte. Comme on la vu,
pour Quercum, un tournant débute avec le financement du projet
de modernisation de la justice par la BID, et loffre par le Ministère
de salaires beaucoup plus importants aux professionnels qui travaillaient
dans lassociation. Léquipe sest à partir
de ce moment-là peu à peu réduite et les financements
propres à lassociation sont devenus de plus en plus difficiles
à obtenir.
Selon Manuel Jacques, la volonté de modernisation
était plus forte pour le gouvernement que la volonté de
transformation . Des trois projets cités, celui qui a vu le jour
est celui des Corporations Régionales dAssistance Juridique,
qui met en avant lefficacité et le professionnalisme. On peut
donc en déduire que les grandes lignes du mouvement pour un Usage
Alternatif du Droit ne se retrouvent pas réellement dans ce projet.
Pour Manuel Jacques, " il sagit avant tout de trouver le moyen
de désengorger les tribunaux pour répondre aux critères
defficacité imposés par les institutions internationales
plutôt que dune réelle volonté de créer
dans la population une autre approche du droit ". Lanalyse critique
du droit, la collectivisation des conflits, lappropriation de la
résolution des conflits tels que les défendaient Quercum
ne sont en effet pas abordées dans ce projet.
Le fait que lassistance juridique soit
assurée par des professionnels, pour répondre à des
besoins en assurant la reproduction du système juridique établi,
sans en contester la légitimité semble alors confiner le projet
modernisateur de la justice du gouvernement de Concertation dans une vision
institutionnelle dont les enjeux semblent plus financiers que socio-politiques.
On parlerait alors plus volontiers daccès à la justice
que daccès au droit, dans la mesure où cette seconde
expression permettrait de " désigner au plan symbolique la
conquête de la citoyenneté, laccès au statut de
sujet de droit, et au plan instrumental laccès à
linformation sur le droit, la capacité dagir le droit
soit offensivement (mettre en uvre un droit), soit défensivement
(faire respecter son droit) ".
Il est cependant important de noter que les mesures
de transformation de lappareil juridique chilien, bien que limitées,
ont été impulsées sur la base de la pression qua
su faire jouer la société civile sur les institutions de
lÉtat, au moment où louverture démocratique
voyait le jour, elle-même limitée par le contexte autoritaire
que lon connaît. Le caractère centripète du mouvement
évoqué plus haut paraît donc vérifié,
même si dans ce jeu de pressions et de tensions, les acteurs de la
société civile -et notamment Quercum- développent
le sentiment dune " récupération " plutôt
que celui dune " victoire ".
Cest dailleurs dans cette perception
de " récupération " que nous pouvons en partie
déceler la visée politique que Quercum et les
défenseurs dun Usage Alternatif du Droit mettaient au sein de
leur travail. Sans transformation politique profonde, non pour quune
idéologie prenne le dessus, mais au nom de la conviction de la
nécessité dune réelle transformation sociale et
politique, laction, et les termes de laction, perdent à
leur sens toute leur valeur. Ainsi, laccès à la justice
na de sens que si la Justice elle-même est considérée
comme légitime et juste par lensemble des sujets de droit qui
sont devenus par leur démarche, des acteurs de droit et des citoyens
à part entière. On se trouve alors moins dans un schéma
tel que celui revendiqué par les juristes marxistes de lItalie
des années 70, qui défendaient une idéologie politique
à travers linstrument juridique, que dans une configuration
de volonté transformatrice socio-politique au service de laquelle
le droit est mis, comme instrument de citoyenneté. Serait-on alors
devant ce que J.M. Blanquer appelle la " société de
droits ", soit " une instrumentalisation par les personnes morales
et physiques des mécanismes et contenus des différents niveaux
du droit (
) dans le cadre de stratégies particulières
de défense de leurs intérêts " ?
" -Quest-ce quun citoyen ?
Un citoyen est une personne capable de gouverner et dêtre
gouvernée. "
Aristote
Afin de cerner si le projet défendu par
Quercum correspond à un projet de transformation politique,
il sagit de redéfinir tout dabord les enjeux que cette
transformation implique. Tout dabord, lapproche du citoyen au
sein de la société politique. Le mouvement pour un Usage Alternatif
du Droit tel quil a été imaginé puis mis en action
par Quercum permet-il de transformer les sujets de droit en acteurs
de droit et en citoyens à part entière, et dans ce cas, cette
stratégie permet-elle de sortir de la vision marginale construite
autour de et par les populations impliquées dans ce travail ?
Ny a-t-il pas le risque, en mettant en avant la mise en uvre
dun droit " informel " au contraire dune certaine
prégnance de lexclusion et de la marginalité dans la
mesure où des actions spécifiques sont intentées
auprès de populations désignées comme marginales ?
Ou au contraire nassiste-t-on pas, avec la prise en main par les sujets
et acteurs de droit à un renforcement de la notion de pouvoir de leur
part et donc à un renversement des rapports de force traditionnels ?
Dans ce cas, comment le système accepte-t-il ce changement dans le
rapport de force ?
Section 1 : Acteur de droit et citoyenneté
: la sortie de lexclusion ?
Dans la société chilienne sur laquelle
nous nous penchons, qui laisse entrevoir de vastes brèches
inégalitaires, tant au point de vue économique quau niveau
social et dont les fondations démocratiques ont été,
entre 1973 et 1989, fortement ébranlées par la dictature militaire,
existe-t-il " un citoyen " ? Cet " être
abstrait " ou cette " construction juridique " qui permet
de penser légale dignité entre ressortissants dun
même État en se substituant aux catégories sociologiques
concrètes, peut-elle véritablement en contexte de répression
dépasser le stade de concept pour prendre forme ?
Si " être citoyen cest être
en politique ", pendant la période de répression le
régime militaire chilien limite considérablement
laccès à la citoyenneté dans la mesure où
il réduit la possibilité de revendication politique sous le
prétexte de " défendre la Sécurité
Nationale ". Les " citoyens " pour qui lidée
de Nation passait par la construction dune nation en vertu dun
certain nombre de valeurs désignées par le pouvoir comme marxistes
étaient de fait exclus de la possibilité dexister en
tant que tels.
Dautre part, les mesures économiques
radicales des premières années du régime militaire ont
contribué à créer lexclusion de secteurs de plus
en plus vastes de la société, et à consolider dans les
grandes villes les ceintures de pauvreté où vivaient des groupes
sociaux, de plus en plus nombreux, pour qui lidée même
dappartenance à une Nation se rapprochait plus du concept que
du sentiment réel.
Dans ce contexte, lessence même de
laction de Quercum ne consiste-t-elle pas à reconstruire
des êtres politiques, dans la mesure où lassociation fait
ressurgir lidée de légale dignité entre
les ressortissants dun même pays, égalité
affichée par le texte juridique fondamental (par exemple Constitution,
article 19 n°3) pour que celle-ci, plus que respectée par le
pouvoir, soit intégrée par les individus eux-mêmes ?
Cest dans cette idée de transformation de la perception que
le travail de Quercum nous semble influer sur le concept de
citoyenneté. Cest en construisant ce citoyen, non dans les textes
eux-mêmes, puisquil y existe déjà, mais dans la
traduction de ces textes en état de fait que le citoyen peut être
amené à renaître, au moins dans la perception quil
a de lui-même.
La relation entre la citoyenneté et le droit
est très étroite. Dans ses outils, Quercum se sert de
ce lien pour construire le sentiment dappartenance à un " tout
social " chez les communautés avec lesquelles il travaille. Le
titre de son bulletin : Los derechos de todos
napparaît-il pas en effet comme un exemple de cette
volonté ?
La mobilisation autour du plébiscite
doctobre 1988 est également une bonne illustration de ce travail
de construction citoyenne. Un mois après le plébiscite, la
journée du 12 novembre 1988 était déclarée
Journée de la Démocratie. Célébrée dans
la población de La Renca par diverses Organisations Non
Gouvernementales -dont Quercum- avec 80 dirigeants sociaux, une
évaluation est faite du rôle quont joué les
organisations sociales lors du plébiscite. Dans larticle du
bulletin Los derechos de todos qui relate lévénement,
lauteur met laccent sur le fait que La Renca, troisième
commune la plus pauvre du pays a voté Non à 62.5%, soit un
des pourcentages les plus élevés du pays. Cette donnée
permet alors dappuyer limportance du changement de perception
que les pobladores peuvent avoir deux-mêmes. " Il
faut éliminer le sentiment de marginalité pour le remplacer
par lassurance dêtre " la majorité ",
avec la responsabilité dassumer ce que cela signifie. "
Pourtant, après la fin du régime militaire
et le début de la transition, certains auteurs analyseront la
nécessité de la part de la population dun certain consensus,
le besoin au niveau de la nation datténuer les conflits, pour
justement se sentir citoyen , dans le sens de " faire partie dun
tout ", être en accord, dans lespoir et lattente
dune amélioration. Dans ce sens, la " transición
pactada " en privilégiant la stabilité sur les changements
a pu provoquer à la fois un sentiment de frustration pour certains
secteurs, les plus affaiblis, et à la fois un sentiment dunion,
qui bien que de courte durée, a pu influencer la perception
dappartenance sociale de ces mêmes secteurs.
Doit-on en déduire que le travail de
Quercum a échoué dans le sens où la construction
dune perception citoyenne nétait valable que dans le contexte
de laffrontement ? Ou doit-on au contraire argumenter que cest
parce que la mobilisation politique était parvenue en partie à
son but que le Non a pu passer et quà partir de ce moment-là,
on assiste peu à peu à une transformation de la perception
politique de la part des acteurs eux-mêmes, qui se sentent
intégrés à la société
" démocratique " quils ont contribué à
établir et que dès lors, la mobilisation " contre "
samenuise ?
Il est probablement difficile de répondre par lune ou lautre
de ces hypothèses et la complexité des phénomènes
individuels et collectifs entre alors en jeu. Cependant, on peut tout de
même avancer que lexclusion sociale, elle, demeure au-delà
de la perception quen ont les populations concernées, et que
malgré la fin du régime autoritaire, les inégalités
sociales, même si elles tendent à ne pas saccroître,
nen demeureront pas moins aiguës. On est donc face à un
phénomène ample et complexe, dans lequel lauto-assignation
par les individus et les groupes participe de la perception quont les
acteurs de leur citoyenneté, mais où les phénomènes
exogènes tels que les inégalités économiques
et sociales jouent un rôle dont le seul travail de Quercum ne
pouvait permettre dannuler les conséquences. Le bilan que fait
aujourdhui Manuel Jacques révèle cette difficulté
" Aujourdhui, tout le monde se souvient avec beaucoup damour
de Quercum, mais les gens continuent à vivre leur pauvreté.
Linfluence de Quercum est indéniable, mais nous
nétions quune partie de la grande opération sociale
et politique nationale. Tout ce que nous pouvions arriver à changer
navait pas de sens si le reste ne changeait pas ".
En effet, lexclusion et la marginalité
sont des phénomènes complexes, créés à
la fois par une situation économique défavorable et par une
conjonction de facteurs sociaux et politiques. Les politiques sociales mises
en uvre pour répondre au phénomène
d " extrême pauvreté ", focalisées
sur les secteurs les plus pauvres, en parallèle de la privatisation
dun certain nombre de services sociaux ne sont pas parvenues, au Chili,
comme dans bon nombre de pays en développement, à juguler les
phénomènes dexclusion. Ce constat de léchec
des politiques sociales assistantialistes ne se fera de manière
généralisée que vers la fin des années 90.
La sortie de lexclusion paraît donc
participer dun ensemble de phénomènes complexes et
complémentaires qui devraient opérer de manière
simultanée. Laspect de la citoyenneté acquise par la
transformation du sujet de droit en acteur de droit semble pouvoir être
un de ces phénomènes, indispensable mais pas toujours suffisant,
particulièrement dans le cadre dune société aussi
duale et inégalitaire que la société chilienne au sortir
de sa dictature militaire.
En développant la notion de conflit juridique,
léquipe de Quercum insiste sur le fait que " lun
des défis à relever consiste, plus que dans la résolution
de ce conflit, dans le fait que la communauté prenne conscience de
sa capacité à se convertir en sujet organisateur, par le biais
de la mobilisation et de la formation ".
Cette transformation des sujets de droit, dans le
sens légaliste, en acteurs de droit nous conduit à une
réflexion sur la question de lautonomisation des individus et
des groupes face au droit. Dans cette démarche, les acteurs vont changer
de position. De sujets passifs, réceptifs des lois quils se
doivent de respecter, ils se convertissent en acteurs critiques de la
légalité même du système dans lequel ils
évoluent. Le processus qui se met alors en route est un mécanisme
dappropriation du droit. Si le droit est considéré comme
la traduction dun certain nombre de règles établies pour
la conservation dun système politique, et que sa neutralité
scientifique est remise en question par la pratique, on peut dire quon
assiste à une certaine évolution du rapport de force
traditionnel.
En effet si le légalisme, soit le respect
de la loi pour sa forme et pour ce quelle représente, conduit
comme on la vu à une spécialisation de la connaissance
juridique, on assiste dans ce cas à un certain monopole de la part
des professionnels du droit du pouvoir que représente la connaissance
des lois.
Par contre, dans la vision " alternative ",
les concepts dautonomisation des communautés, ou de vision critique
du droit introduisent deux notions qui peuvent nous permettre de mesurer
si lon sapproche ou non dune modification dans les
équilibres du pouvoir.
Dune part, lautonomie acquise
par les individus ou les groupes vis à vis du droit, prend corps suite
à des phases dinformation et de formation puis de prise de
conscience. Ces phases peuvent être assimilées à des
phases cumulatives. La communauté, le groupe, lindividu,
acquièrent tout dabord la conscience que la situation quils
vivent est " injuste ". Puis que cette situation soit est le reflet
dune transgression du droit par les détenteurs du pouvoir, soit
dun non-respect de leurs droits fondamentaux (dans le sens des Droits
de lHomme dans le cas particulier qui nous occupe), soit est
lapplication stricte dun droit qui a pour objectif le maintien
dun système dont les fondements même sont injustes.
Cette première étape est fondamentale
et consiste, comme dans toutes les étapes transformatrices dune
société, dans lintégration par les secteurs exclus
ou marginalisés de la pression sociale subie au nom du respect de
la loi. La formation et linformation, au-delà de la mobilisation
agissent comme des éléments de " redistribution du
pouvoir ".
Lautre élément qui nous semble
participer de ce rééquilibrage des forces en présence
est la notion de " vision critique du droit ". En effet
en introduisant la capacité de chacun à remettre en question
le droit tel quil est établit, on touche au fondement même
de la construction de la vision du droit telle quelle est
véhiculée par la vision positiviste qui a prédominé
pendant tout le début du vingtième siècle. Celle-ci
donnait une représentation pyramidale et verticale du système
juridique dans lequel la norme fondamentale, traduite dans la Constitution
dun État, était produite en vertu non dune
idéologie politique, mais dune vision scientifique du fonctionnement
social. Or la question du rapport de force qui sétablit au sein
même de la construction du système social par le biais des lois
est désormais incontournable, dautant plus mise en exergue dans
le contexte de fonctionnements non-démocratiques, comme ce fut le
cas au Chili.
En permettant aux groupes avec lesquels ils travaillent,
mais également aux professionnels et aux étudiants en droit
de remettre en question le fondement même de la légalité
du système, Quercum introduit véritablement leur
capacité à se prononcer sur leur propre vision (politique)
de lordre social.
Ainsi donc, si dans une vision légaliste du
droit, la loi est conçue comme le moyen de maintenir lédifice
social grâce à un certain monopole du savoir, de la
" vérité " et donc du pouvoir de la part dun
petit groupe de spécialistes au service du groupe politique dominant,
dans la vision " alternative " que propose Quercum, on assiste
bel et bien à un renversement du rapport de force qui peut se traduire
par des actions illégales, ce que Michel Foucault a qualifié
d " illégalisme populaire " ou par
lappropriation de façon autonome du droit réclamé,
quIsabelle Sommier appelle aussi " pratique de
lobjectif ".
Laccumulation de savoirs ou plus
précisément la traduction de savoirs acquis par
lexpérience en savoirs " théoriques " ou
inversement, la traduction des formes officielles de la réglementation
sociale en réalités concrètes, tout comme la prise de
conscience dun réel pouvoir collectif et organisé participent
donc à lacquisition dun certain degré de pouvoir.
Lévolution du rapport de force entre
" société civile " et État en est
inéluctablement modifiée. Et là, nous touchons à
des domaines complexes, puisquils mélangent des
événements concrets, tangibles, à des phénomènes
liés à la perception que les acteurs, quels quils soient,
ont de la situation.
Si lon prend lexemple dune Toma
de terreno, on peut ainsi analyser le processus.
On pourrait dire que le rapport de force qui met
en jeu un groupe de personnes mal logées ou sans domicile face à
un propriétaire (privé ou étatique) est ébranlé
par le seul fait que la communauté organisée parvienne à
" prendre " un terrain. Mais fondamentalement, cest dans
la démarche elle-même que lon note une véritable
modification du rapport de force. Dans la prise de terrain de
Peñalolén que nous avons décrite plus haut,
lexpulsion du terrain après la toma est évitée
par un processus qui consiste à utiliser les moyens que le Droit met
à la disposition des citoyens pour lobtention dun terrain
(les livrets dépargne par exemple), par lacquisition par
les individus du sentiment de lexistence dun droit subjectif
et de la légitimité de leur revendication et par le constat
fait par les autorités du pouvoir ainsi acquis par le groupe, pouvoir
renforcé par un fort appui extérieur (comités de soutien,
pétitions). Ainsi donc, de part et dautre, la notion de pouvoir
se transforme et conduit à la légalisation dune situation
acquise à la frontière du Droit officiel.
On est alors au cur de ce que lon appelle
en anglais empowerment et que lon peut traduire par le renforcement
de la notion de pouvoir, dans la mesure où lon assiste à
la revendication de la part de la population de sa propre capacité
à déterminer ses besoins, et à les satisfaire grâce
à la mise en uvre de ses potentialités et
capacités.
Pourtant, à travers ce processus ni
lexclusion, ni léquilibre des forces et des pouvoirs ne
sont fondamentalement et durablement modifiés. Y a-t-il alors des
freins à ce que lobjectif établi par Quercum puisse
se réaliser ? Au-delà, quelles sont les limites de ces
stratégies et en quoi portent-elles elles-mêmes le risque dun
certain " maintien des frontières " quelles
prétendent faire disparaître ?
Section 2 : Les résistances du
système.
Si au moment de la transition vers la démocratie,
lÉtat chilien, par le biais de son Ministère de la Justice,
semble sêtre approprié une partie du discours des associations
qui comme Quercum, défendent un autre usage du droit, peut-on
réellement avancer quun système juridique peut, sans
résister, prôner de telles transformations qui remettraient
en cause son fonctionnement propre et jusquà son
existence ?
La question du pouvoir dont on a parlé plus
haut est alors cruciale. En effet, ce que proposent les défenseurs
dun Usage Alternatif du Droit est la remise en question fondamentale
du fonctionnement dune partie du pouvoir dans une société,
à savoir le monopole de lÉtat de la capacité de
coercition, et de lusage de la force, ainsi que le monopole des
professionnels du droit, de la connaissance juridique et du législateur
de la capacité à légiférer. Il sagit donc
dune déconstruction globale des bases sur lesquelles se sont
construits les États, et en particulier lÉtat chilien
aux XIXème et XXème siècle. Au niveau national, on peut
cerner la force de résistance du système en regardant par exemple
de plus près comment sest passé le travail autour de
la question du pouvoir local qui, on la vu, est devenu, avec le changement
de régime, lun des enjeux fondamentaux pour
Quercum.
Après la fin de la dictature, le gouvernement
de Concertation aborde la question du pouvoir local en construisant un projet
de loi sur les Juntas de vecinos. Selon Manuel Jacques, " cette
loi, si elle a donné plus de pouvoir aux juntas, na pas
résolu la question de la démocratie locale et directe ".
Car les juntas sont restées selon lui sous contrôle des
Municipalités. Rappelons quune Municipalité, au Chili,
est un groupe de plusieurs communes, rassemblées sous une autorité,
celle du maire. Pour Quercum, " le pouvoir local ne peut être
associé à la Municipalité, encore trop étendue
et surtout trop éloignée des préoccupations des
gens ". Ainsi, la question de la décentralisation des
Municipalités et leur capacité à se développer
comme agent du développement social local est fortement remise en
question de par la structure même des Municipalités dont " le
système dorganisation très vertical, qui met laccent
sur le contrôle et la fiscalisation, qui favorise une paperasserie
et une bureaucratie excessives (conduit) les autorités (à)
rendre des comptes plutôt à lautorité supérieure
quà la communauté ". De plus, la
représentativité des organes comme les Juntas de vecinos
qui devraient permettre la participation de la communauté aux
décisions du pouvoir local est fortement questionnée dans la
mesure où les juntas sont à la fois fortement
contrôlées par lautorité supérieure, mais
également fortement dépendantes des décisions que peut
prendre le maire.
Ainsi donc, une des stratégies de
lÉtat chilien vis à vis du pouvoir local aurait
été dafficher une volonté de décentralisation,
en utilisant un discours sur la démocratie locale et sur la participation
citoyenne, tout en incluant cette démarche dans une stratégie
de " protection " à travers la structure des
Municipalités, qui permettraient de " contrôler "
la prise décision locale.
Si des résistances apparaissent clairement
au niveau national, il en est également dautres, internationales,
qui ajoutent à la difficulté dune telle remise en question
du système. Comme on la vu, au niveau international, lamorce
de la période de transition est perçue comme une avancée
indispensable pour de multiples raisons, tant économiques que politiques.
La fin de la dictature militaire va permettre la reprise de relations officielles
normalisées avec lÉtat chilien. Lopinion internationale
cherche donc à appuyer le processus de transition. Pendant toute la
période de dictature, la position internationale et en particulier
européenne a consisté officiellement à appuyer les formes
de résistance au régime militaire, en accueillant par exemple
les réfugiés politiques, en procurant la sécurité
à un certain nombre de leaders politiques en fuite, et en appuyant,
au Chili, les organisations sociales qui luttaient pour le retour à
la démocratie ou tout simplement contre les effets quavaient
sur la population les choix économiques et politiques opérés
par la Junte. Avec le retour démocratique, même limité,
les agences internationales chercheront à négocier plus directement
avec lÉtat, afin de lui procurer une légitimité
internationale dont il a cruellement besoin. Mais au-delà, deux facteurs
auront une incidence sur le travail des organisations non
gouvernementales .
Dune part la reprise de lintervention
directe des institutions internationales sur les décisions structurelles
quant à la gestion du pays. Le " miracle " économique
chilien dont on a tant parlé au niveau international, même
sil a subi une crise à partir de 1982 , incite, dans une
vision douverture économique au niveau international, à
implanter des politiques qui suivent une vision néo-libérale.
On insiste alors sur les aspects de " modernisation ",
d " efficacité ", donnant peu de liberté
de manuvre au gouvernement de Concertation Démocratique pour
uvrer vers des politiques sociales fortes.
Dautre part, les financements de projets comme
ceux de Quercum, seront soumis à la même règle
defficacité et de modernisation. Il faut alors pour
lÉtat, désormais détenteur des financements, trouver
dans la société civile les " partenaires "
idéaux. Ces partenaires ne peuvent plus être en opposition avec
le mouvement au pouvoir, en tout cas dans le discours, dans la mesure où
cest maintenant lui qui se doit dêtre légitimé
et ils devront afficher la volonté de mettre en uvre des actions
en adéquation avec la période politique. Ce ne sera pas le
cas de Quercum.
La visée politique de Quercum,
véritable moteur de son action pendant les premières
années de son existence, devient alors un frein. Sa rigueur
idéologique, qui lempêchera dentrer dans la logique
du gouvernement, par choix de ne pas légitimer ce pouvoir auprès
des communautés avec lesquelles la confiance avait été
acquise pendant des années de travail, conduira lassociation
à un déclin dabord conjoncturel, puis fondamentalement
structurel. Dautres associations, dans le même temps, nont
pas uvré pour la même stratégie, et ont profité
de la période pour acquérir le poids et la légitimité
nécessaires. Cest le cas de lassociation Forja
par exemple, qui travaillait sur les mêmes questions de droit et de
justice et dont le fondateur, Sebastian Cox, a choisi, au moment du financement
par la Banque Interaméricaine de Développement du projet de
modernisation de la justice chilienne, de se ranger auprès du
gouvernement, et de travailler en étant " intégré
au pouvoir ". Forja existe encore aujourdhui et jouit de
financements importants. La revue Conflicto hoy dia quils
éditent est le reflet de cette évolution.
Section 3 : Alternativité, informalité
et risque de maintien des
" frontières ".
Quand on parle dalternativité dans la
résolution des conflits et dinformalité en matière
de droit, on peut voir se dessiner plusieurs visions. Nous nous attacherons
tout dabord à la notion de résolution alternative des
conflits, parce quelle nous semble particulièrement
représentative des différentes utilisations que lon peut
faire dun même concept. En effet, on la vu, un certain
nombre didées développées par des associations
défendant lidée dun Usage Alternatif du Droit ont
été véhiculées par les pouvoirs publics chiliens,
dans leur tentative de modernisation de la justice. Le terme le plus repris
du discours des groupes tels que Quercum au sein des politiques publiques
mises en uvre ou proposées dans la période qui suivit
la dictature a été celui de " résolution alternative
des conflits " (à travers la médiation, larbitrage
ou la conciliation).
On peut donc considérer que la résolution
alternative des conflits et une certaine informalité de la justice
évitent la lourdeur dun recours aux tribunaux (en termes de
coût et de temps) pour des litiges " mineurs " surtout dans
un contexte de système judiciaire peu performant. Cette informalité
aurait alors pour première vertu de désengorger les tribunaux,
de décharger le système juridique dune partie de son
travail et de permettre, pour les parties en conflit, une résolution
rapide et efficace.
Une autre question se pose alors, sous-jacente, que
Jean Carbonnier traite sous lintitulé " Vers le degré
zéro du droit " , qui est celle de la capacité du droit
à résoudre les menus litiges. Intervient alors au sein de la
science juridique, comme au sein de la science économique la notion
d " intérêt " dont le demandeur doit justifier
de limportance pour que la justice accepte de le prendre en
considération. Mais le danger ne devient-il pas alors que les menus
litiges soient associés aux " petites gens ", dont les
revendications sont alors réglées de plus en plus par des
procédures légères et informelles, ce qui pourrait
contribuer à renforcer le sentiment de marginalité ?
Linformalité ne participerait-elle pas alors à la
marginalisation en instaurant un droit officiel pour ceux qui peuvent
en supporter les coûts et un droit " au rabais " pour les
plus défavorisés ? Dans ce phénomène
de " privatisation accélérée du mécanisme
institutionnel " quest la résolution alternative des conflits,
Pierre Legendre lit la " re-féodalisation du rapport
politique ", dans le sens où "aujourdhui, le principe
de gouvernement, qui médiatise la Démocratie et sert de
justification aux productions normatives de lÉtat, cest
limperium des affaires. (
) Sous nos yeux les États
se délitent et le Management nous entraîne vers une
re-féodalisation planétaire ". Pour lui, dans cette
" désinstitution " et dans la
" dé-Référence " portée par
lidéologie de la gestion se joue la vie ou la mort du sujet.
Si linformalité évoque des procédures
légères et rapides, elle est également liée à
labandon de lenveloppe symbolique du Droit que sont les tribunaux,
le poids de lécrit ou le costume du juge. On peut alors se poser
la question de savoir si, en abandonnant la partie symbolique du rituel auquel
est associée la justice, on ne risque pas daboutir à
une certaine perte de sens de la procédure de règlement du
litige.
En effet limportance du rituel, son rôle symbolique est mis en
avant pour sa capacité à représenter le point daccord
du groupe social tout entier. Pour Antoine Garapon, " le rite apporte
la force et la vérité à la parole juridique, non plus
par un appel au surnaturel comme avant, mais par la marque de la ratification
du groupe social quil contient ". Ainsi, une défense des
aspects rituels du processus juridique à travers nombre de symboles
tels que la robe, les colonnes des édifices dans lesquels est rendue
la Justice, la disposition des acteurs, la symbolique de lécrit
représentée par le greffier et le langage juridique lui-même
qui peut tenir de la " formule " peuvent être
considérés comme lessence même du Droit. Sans ces
attributs symboliques, au sein des nouvelles formes de justice vers lesquelles
avancent nombre de sociétés contemporaines, et dans lesquelles
on assisterait à labandon progressif dune certaine forme
du rituel, on peut voir lapparition de plusieurs risques.
Certains voient apparaître dans cette évolution le danger de
la concentration dans la personne du juge de tous les rôles. Ce serait
notamment le cas dans les tribunaux de proximité. " A cause de
la disparition du rituel et des symboles judiciaires, la loi est devenue
comme muette ; le magistrat est devenu son unique interprète :
cest lui qui explique la loi, son contenu et son fondement, justifie
oralement sa décision, et avertit les justiciables de leurs droits.
Il remplit tous les rôles. (
) La dimension symbolique émigre
du décor et de la robe vers lintérieur de la personne
du juge ".
Dautre part, existe le risque dune disparition des frontières
entre Droit et Administratif, ce qui peut laisser entrevoir une intervention
plus soutenue de lÉtat dans le domaine de la Justice. " La
justice, dans ces domaines sans rituel, semble plus relever dune forme
particulière de laction administrative, que dune instance
darbitrage des conflits. Le rituel judiciaire prend alors la figure
inattendue dun rempart contre lintrusion intempestive de
lÉtat dans sa propre justice ". Le rituel apparaîtrait
donc comme la forme spécifique du judiciaire et permettrait de le
distinguer de ladministratif " dont la puissance et limportance
le menacent sans arrêt ".
Mais on peut aussi considérer que cette justice
informelle, de proximité, qui fait appel à la médiation
ou à la conciliation permet de sortir de la logique
" perdant/gagnant ", donc de consolider le lien social. Dans la
mesure où elle favorise limplication des parties dans la
résolution du litige, elle permet également de renforcer leur
acceptation de la norme. Cest ce que Jürgen Habermas a appelé
le " droit réflexif " puisquil introduit la
délégation du pouvoir de négociation aux parties en
conflit et " favorise lautonomisation réciproque des
destinataires du droit ". On peut également retrouver ici ce
quEhrlich appelait le " droit vivant ", dans la mesure où
il établit " des règles (qui) parce quelles ont
été acceptées et pratiquées par les
intéressés, ont une efficacité que nont pas les
règles légiférées ".
Mais labandon du rituel ne pose-t-il pas aussi la question de la
reconnaissance de la place de la victime ? Si " la reconnaissance
publique de sa qualité de victime, cest à dire son innocence,
est aussi importante que la déclaration publique de la culpabilité
de son agresseur ", et que cette reconnaissance publique disparaît
au sein de formes de justice plus " intimes " desquelles la symbolique
est absente, ny a-t-il pas le risque de voir réapparaître
des phénomènes de vengeance sous le couvert de la notion de
" légitime défense " ?
Pourtant, on peut à linverse lire cette
" déformalisation " du droit, qui naît de manière
spontanée à lombre du droit officiel, dans le contexte
de travail de Quercum, comme la forme dune construction
normative plus formelle dans la mesure où elle se substitue soit au
vide (voir " Perception de la Justice au Chili") soit à la
" loi de la jungle " qui pousse chacun à se faire justice
soit même. Cette informalité peut donc être lue comme
une " mise en forme " de pratiques non reconnues jusque là,
de même quelle peut se comprendre comme une régulation
plus forte de la vie sociale, puisquelle joue sur lacceptation
et la construction de la décision normative par les
intéressés. Dans le cadre de sociétés qui doivent
gérer une juridicisation accrue des relations sociales, la médiation
ou la résolution alternative des conflits serait alors une forme
supplémentaire de régulation sociale.
On peut alors se demander sil nexiste
pas à ce sujet une certaine contradiction dans laction de
Quercum. En effet dune part on assiste à une tentative
de " démystification " du droit dans le sens où ce
dernier en tant quinstitution, ne peut pas régler tous les conflits
que rencontre la population, ce qui justifie la mise en oeuvre de
procédures informelles, souples, légères, desquelles
il est même proposé décarter les acteurs juridiques
tels que le juge ou lavocat dans les rôles habituels que leur
confère le rituel juridique. Et dautre part, lassociation
travaille à faire prendre conscience à la population dun
grand nombre de droits subjectifs, que le Droit se doit de lui consacrer.
Dans la notion même de conflit juridique, telle que Quercum
la développée, nassiste-t-on pas à la
création de lillusion " selon laquelle nimporte quel
problème, quil soit éthique, social, économique
peut recevoir des réponses juridiques , alors quà
lévidence seules pourraient les régler des solutions
elles-mêmes éthiques, sociales ou économiques " ?
Alors que linformalité se dit être une réponse
à un formalisme aigu, le risque nest-il pas que les droits
subjectifs transforment les relations sociales en un agrégat de droits
et les relations avec lÉtat en un cumul de droits à
revendiquer ?
Cela nous conduit à insister sur la distinction
rigoureuse qui doit être faite entre alternativité et
informalité. Si le concept de " résolution alternative
des conflits " renvoie souvent à lidée dinformel
dans la mesure où on lassocie, en France particulièrement
depuis une dizaine dannées, à lidée de
médiation, lusage alternatif du droit, lui, relève
dune conception bien plus large et surtout distincte de
linformalité.
Rappelons que pour Quercum, la résolution
du conflit nest pas une fin en soi. Ce dont parle Manuel Jacques
cest d " être le ferment de la lutte et du changement
des comportements ". Bien au-delà
de la résolution alternative des conflits, ce dont parle Quercum,
cest donc dune volonté de transformation sociale dans
une conception marxiste de la lutte des classes. Le droit apparaît
alors comme un instrument de cette lutte, dans la mesure où il
représente lun des piliers, lun des fondements de
lÉtat en tant quinstitution. La visée politique
est donc définitivement présente.
Cependant la véritable contradiction devant
laquelle se trouve alors Quercum vient du fait dune part de
la naissance même du mouvement en contexte politique de dictature,
et dautre part que le discours mis en uvre soit un discours
dinspiration marxiste. Or, la problématique à laquelle
répond lassociation est une problématique qui prend forme
dans un moment de changement de paradigme. Schématiquement, en cette
fin de XXème siècle pendant laquelle se déroule la
naissance, laction puis le déclin de Quercum, on assiste
en parallèle à la crise de la modernité et à
la naissance de la " post-modernité ". Le discours de
Quercum vient donc répondre à des problématiques
nouvelles avec des concepts emprunts dune certaine époque.
Ladéquation a lieu pendant toute la période de dictature
et au début de la période de transition démocratique,
mais la crise du positivisme juridique que Quercum soulignait dès
sa naissance, et qui se concrétise dans toute lAmérique
latine au moment des transitions, comme cela sétait
déroulé en Europe à la suite de la seconde guerre mondiale,
donne lieu au début dun contexte dans lequel le discours de
Quercum trouve peut-être ses propres limites.
Ainsi donc, si à la lueur du positivisme juridique
qui a prévalu pendant toute la première partie du XXème
siècle, les fonctions du droit ont pu être considérées
comme essentiellement conservatrices, assiste-t-on, à laube
du XXIème siècle, à la naissance de nouvelles fonctions
pour le droit ? La modernité serait-elle alors remise en question
dans ses fondements, et verrait-on apparaître, dans le domaine juridique
comme dans dautres domaines, la naissance dun nouveau paradigme
déjà nommé " post-moderne " ? Si oui,
en quoi lanalyse dun mouvement comme celui que nous avons
étudié ici nous permet-il de déceler ce genre de
dynamique ? Nous pensons pouvoir discerner au cur du langage et
des actions dune association telle que Quercum des concepts
qui, bien quutilisés avant leur formulation par cette association
en particulier, et parce quils sont réunis pour former une
voûte qui soutient laction, peuvent nous conduire à voir
émerger un changement de cadre paradigmatique.
Section 1 : Universalisme et pluralisme juridique.
Monisme et polycentricité.
La notion de pluralisme juridique nest bien
évidemment pas dune émergence récente. Notion
de théorie anthropologique, elle serait tout dabord liée
à lanalyse de la situation de type colonial. Cependant, si
lon saccordait jusque là dans le monde juridique à
le définir comme " la coexistence, au sein dun même
ordre juridique national ou international, de règles de droit
différentes sappliquant à des situations identiques,
ou encore la coexistence dordres juridiques distincts prétendant
régler une situation ", il apparaît au sein du discours
de Quercum, comme dautres mouvements qui en Amérique
latine revendiquent un usage alternatif du droit, revêtu dune
nouvelle connotation. Il sert en effet ici à désigner la
multiplicité des lieux démergence de la norme juridique,
comme cest le cas avec les statuts communautaires lors dune toma
de terreno, ou encore de la légalisation dune toma par
le droit officiel, dans la mesure où la source de droit nest
plus alors le législateur, mais laction collective qui a permis
de " légitimer son état juridique de séjour dans
lendroit ". Cette revendication de la pluralité des
sources de droit, qui correspondrait alors plus à ce
quAndré-Jean Arnaud nomme polycentricité, se pose
à lencontre de la théorie moderne du droit qui donne
du système juridique une vision hiérarchisée et pyramidale.
Le monisme, à la base de la construction des grands États aurait
été remis en question en Europe dès la révolution
industrielle avec le renforcement des syndicats, des associations, des
sociétés anonymes dans lesquels il se crée du " droit
infraétatique ". Cest la reconnaissance de cet
" infra-droit " comme partie prenante du phénomène
juridique qui permet de parler chez les " alternatifs " de la
revendication dun certain pluralisme, qui clairement, se positionne
dans une vision politique de non-acceptation du monopole de la création
de droit par lÉtat.
Pour certains auteurs, comme lanthropologue
du droit Norbert Rouland, cette notion de pluralisme juridique dans sa version
" forte " est même nécessaire au bon fonctionnement
de lÉtat de droit, puisque cest elle qui permettrait de
trouver la " limitation extrinsèque de la puissance de
lÉtat " par le fait quelle donne lieu à la
reconnaissance des systèmes juridiques propres aux sous-groupes
dune société.
Pour autant, cette approche nest pas sans comporter
un certain nombre de paradoxes. En effet, la vision qui conduit à
accepter que ce soit au sein de rapports sociaux de force que " se fait
le droit " nocculte-t-elle pas la qualité universelle que
doit revêtir ce dernier pour être le garant de
l " ordre public " ou du " bien commun " ?
La tension récurrente entre universalisme et particularisme apparaît
ici fortement exprimée. Comment hiérarchiser, pour leur donner
une qualité universelle, des valeurs comme les droits subjectifs que
Quercum pose en fondement de son travail ? Pourtant, cette question
des droits sociaux amorce bel et bien la démarche dune moralisation
du droit. Assisterait-on alors au retour dune vision proche de celle
du droit naturel, en prônant lintégration de la morale
et des valeurs au sein du droit ? Ou au contraire ne voit-on pas se
dessiner de nouveaux contours, plus flous peut-être, moins
déterminés et rationnels que ceux de la théorie moderne,
mais qui accepteraient la complexité des situations et des
données ? Nest-ce pas dans ce cadre que nous pourrions
alors parler dune nouvelle forme de pluralisme, basée sur la
vision dune société complexe et non plus duale, et dont
les niveaux de hiérarchisation des normes seraient soumis à
des fluctuations, en fonction des contextes et des tensions
générées, subies ou assumées entre la
société et son système juridique ?
Pourtant une approche qui sublimerait de manière
un peu idéaliste le pluralisme juridique, en argumentant la
possibilité pour tout système de maintenir au sein des
sociétés " une unité dans la diversité "
ne comporte-t-elle pas le risque docculter une notion qui paraît
fondamentale, celle de rapport de force ? De la même manière
que les notions de multiculturalisme et de métissage peuvent, dans
le domaine de lethnologie, conduire à oublier le
déséquilibre social existant entre les différents acteurs
en présence, une vision du pluralisme comme étant le concept
permettant de dépasser les antagonismes et les différences
dintérêts associés à chaque niveau de la
hiérarchie sociale pourrait contribuer à occulter un facteur
essentiel des relations entre le droit et les groupes sociaux.
Il serait alors intéressant de prendre en
compte la vision dAndré-Jean Arnaud qui parle dun
" pluralisme alternatif " dans le sens où il est
" objectivement mis en valeur et utilisé en faveur dune
justice sociale soit à lintérieur du droit étatique
lui-même par linterprétation divergente des normes, soit
dans son exploitation dans lespace social par lincitation à
une production normative des organisations populaires, soit par la reconnaissance
des productions spontanées dautres formes de juridicité,
soit par la nécessité davoir recours aux formes plus
traditionnelles de mises en uvre de la justice en faveur des classes
défavorisées ".
Cette forme de pluralisme intègre alors une dimension
supplémentaire, qui est celle de lintégration consciente
et assumée de valeurs telle que la justice sociale, ce qui permet
à la fois de ne pas occulter la question des inégalités
et du rapport de force, et dautre part, de prendre le contre-pied de
formes de " juridicité alternative ", fondées sur
la violence et la justice privée " dont tirent profit les groupes
dextermination et le crime organisé ".
Cette notion de pluralisme alternatif permet
peut-être, dans le contexte actuel de sociétés dont la
multiplicité des relations et des appartenances sociales se fait de
plus en plus complexe, denvisager sous un nouveau jour les questions
de légalité et de légitimité .
Section 2 : Légalisme, légalité,
légitimité.
En prenant en compte la pluralité des
régulations juridiques existant en marge ou à coté du
droit formel, et en acceptant comme postulat de base lexistence dune
pluralité des sources de droit, on est conduit à remettre en
cause le légalisme qui caractérisait lépoque moderne.
Le pluralisme juridique, on la vu, peut permettre dintroduire
la notion de rapport de force et dadmettre le fondement inégalitaire
de toute société. Une fois ce constat fait, lidée
même dune loi, connue de tous et sappliquant de manière
égale à tous, grâce à la seule puissance de la
neutralité du droit est fondamentalement remise en question par la
pratique.
On la vu, ce qui se transforme au cours des années sur lesquelles
nous nous sommes penchées, dans le contexte des poblaciones
chiliennes est autant la réalité que la perception que peuvent
en avoir les acteurs. La prise de conscience de la situation inégalitaire
vis à vis du droit et de la loi, le travail sur la " vision critique
du droit " ne conduisent-ils pas à questionner le bien fondé
de la loi, sa validité, et par-là même sa
légitimité et celle de ceux qui lont créée
et qui la font appliquer ?
Cette tension entre légalité et
légitimité est une problématique qui ne surgit bien
évidemment pas à la fin du XXème siècle. Mais
si le positivisme a conduit à une vision légaliste des rapports
que le citoyen doit avoir avec le droit, l'introduction de la question de
la légitimité confère au sujet de droit un nouveau
rôle, qui permet de définir une nouvelle dimension au sein du
système juridique. De relation verticale et unilatérale, on
passerait à une relation horizontale et bilatérale. En introduisant
le concept de pluralisme juridique, on assiste cependant à une nouvelle
évolution, puisque par une sorte deffet de dominos, on peut
alors soutenir que " la légitimité nest pas (
)
une notion à caractère simple et singulier, mais à
caractère pluriel et complexe. Si nous acceptons quil existe,
au sein dune société globale déterminée,
une multiplicité de systèmes légaux en plus du système
établi par lÉtat, sous-systèmes qui requièrent
ladhésion et lobéissance de divers secteurs ou
groupes, il nous faut inévitablement accepter lexistence de
plusieurs légitimités au sein de la
légitimité. "
Ce caractère plural de la légitimité
remet fondamentalement en question ce qui permettait à Kelsen
daffirmer que " la légitimité dun ordre juridique
lui vient de ce que le pouvoir de contrainte quil établit est
efficace ".
Lintroduction de la notion de la justice sociale
au sein de la " demande de droit " conduit inéluctablement
à la déconstruction de lacceptation de lordre vertical
et de la légitimité de la contrainte par le seul fait de son
existence au sein dun système juridique efficace. Toute
déconstruction saccompagnant néanmoins dune
re-construction, on assisterait alors à la naissance dun nouvel
ordre, probablement plural, dont la légitimité proviendrait
plus de lacceptation de la norme par les sujets de droits, devenus
acteurs, ordre qui prendrait un sens dans la mesure où son caractère
centripète lui permettrait dacquérir une
légitimité plus forte.
On en vient alors à aborder la question de
la dialectique entre le global et le local, puisquon voit quen
remettant en question la légitimité de lordre normatif
de lÉtat, on assiste dans le même temps à la fois
à un questionnement sur la souveraineté nationale et à
la remise en cause de la légitimité des représentants
du pouvoir local.
Dans le contexte étudié, on a vu que
la question de la gouvernabilité, qui devient primordiale au Chili
au moment du passage à un gouvernement civil, a peut-être
contribué à introduire dans la relation
État /société une brèche qui a pu conduire
à une certaine perte de légitimité de la part de
lÉtat. En effet, cette notion de gouvernabilité introduit
le doute sur la capacité de lÉtat à assumer son
rôle, dans la mesure où, en ayant pour mission de
" gérer efficacement " le pays, lÉtat peut
être amené à se " désengager " et à
abandonner certaines de ses prérogatives à travers notamment
des mécanismes de privatisation et de décentralisation. La
souveraineté nationale est de plus fortement ébranlée
au moment de la transition démocratique, dans la mesure où,
comme on la vu, le passage du pouvoir au gouvernement civil a permis
de réaffirmer la légitimité des relations internationales
avec le Chili, ce qui a contribué à favoriser la mise en place
de politiques dictées depuis lextérieur par les effets
de conditionnalités émis par les organismes internationaux
comme le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale ou la Banque
Interaméricaine de Développement.
Quant au pouvoir local, on comprend la force que
cet enjeu prend au moment de la transition, puisquil sagit de
lespace qui doit permettre la véritable reconstruction
démocratique, non seulement de manière effective (la prise
en compte de la réalité des populations, de leurs demandes
et de leurs capacités), mais également au niveau de la symbolique
qui conduit à la " perception démocratique " que
peuvent avoir les groupes sociaux. Cest dans lespace du local
que le pouvoir a la possibilité dacquérir la véritable
légitimité qui lui permettra au niveau national davoir
le poids nécessaire à la gestion du pays.
Cette question de la légitimité
apparaît donc comme essentielle, dans la mesure où, dans la
vision qui prévaut pendant toute la première partie du XXème
siècle " la forme de légitimité (
) la plus
courante consiste en la croyance dans la légalité, cest
à dire la soumission à des statuts formellement corrects et
établis selon la procédure dusage ". Si la
légalité a permis de dépasser la conception de la
légitimité liée à lordre naturel et donc
au droit naturel, dordre divin, sa remise en question actuelle conduit
inexorablement à chercher de nouvelles manières de fonder la
légitimité. Pour Quercum, il semblerait que la
légitimité puisse se fonder sur lintroduction du concept
de justice sociale. Cela suffit-il à créer un consensus autour
des institutions de lÉtat ? Quelles transformations sont
en train de sopérer, qui remettent alors en question
lÉtat " légal rationnel " de Weber ?
Section 3 : Le paradigme " post moderne "
- Ordre négocié, désordre du droit,
complexité.
La remise en question, dans le contexte chilien mais
également dans les sociétés contemporaines dune
grande partie des modèles qui permettaient de donner un sens et un
certain " ordre " aux sociétés modernes ne va pas
sans introduire de nouvelles questions et de nouveaux enjeux, tant au niveau
conceptuel quau niveau pratique. Les peurs que cette
" révolution post-moderne " entraîne sont nombreuses
et inévitables mais elle ouvre cependant de nouveaux défis
particulièrement stimulants.
Pour Etienne Le Roy, il sagit dun chantier
en cours dans lequel se met en uvre la construction dun " Droit
projectif (
), quand il sagit moins de sanctionner des actes
passés que de construire un devenir en y projetant certains
enjeux " . Dans ce cadre, il paraît indispensable
" daborder le Droit autrement, interdisciplinairement, (de) confronter
par la négociation les divers enjeux en prenant en considération
diverses variables, statuts des acteurs, ressources, conduites, logiques,
échelles dinteractions, processus, forums de gestion et
ordonnancements socio-juridiques selon un modèle emprunté au
jeu de loie et qui devient dès lors, un jeu de lois ".
Cette approche interdisciplinaire conduit
inévitablement à la prise en compte de la complexité
comme un élément incontournable des sociétés
actuelles. La question du " jeu dialectique (
) entre les ordres
imposé, négocié, accepté et contesté,
chacun appelé à concourir à la régulation des
sociétés complexes " fait partie des nouveaux enjeux
décelés par des anthropologues du droit tels quEtienne
Le Roy. Dautres, comme Norbert Rouland proposent dentrevoir
grâce à lanthropologie juridique que les procédés
actuels qui tendent à mettre en avant un " droit plus flou, des
sanctions flexibles, des transactions ou des médiations plutôt
que des jugements ne sont pas si nouveaux quils nous paraissent et
plongent leurs racines dans les racines de lhumanité ".
Pour Geneviève Koubi il est temps de
considérer les " désordres du droit " ou -en nous
renvoyant à P. Amselek- la " teneur indécise du droit ".
Cette vision du droit comme " désordre permanent " dans
la mesure où il est en recherche constante déquilibre
entre des valeurs diversifiées (égalité/équité,
solidarité/individualité,
sécurité/sérénité) et quil
" sefforce datténuer les dissonances entre normes
et discordances entre règles " en fait " un système
complexe et dynamique ".
Cette proposition danalyse se situe bel et
bien dans la déconstruction du positivisme juridique qui faisait de
lordre un des aspects fondateurs du droit.
Ordre négocié, désordre du droit,
complexité, pluralisme sont des concepts qui forment la clé
de voûte des tentatives dinterprétation dune
réalité mouvante et en pleine transformation. Ces concepts,
utilisés dans dautres domaines que celui de létude
des phénomènes juridiques, répondent certainement à
la nécessité de changer la manière danalyser nos
sociétés dans un contexte actuel où la rapidité
des communications, la réduction des distances physiques et
laccélération des échanges contribuent à
ébranler les anciens schémas de représentation et
dinterprétation. Ce " faisceau de concepts " donne
lieu selon certains à la naissance du paradigme post-moderne. Cette
" révolution post moderne " apporte avec elle son lot de
questions, de craintes et de contradictions. Si certains, comme Pierre
Legendre soutiennent que " le préfixe " post " est
indicatif des ersatz de pensée dont on habille les impasses ",
on peut pourtant déceler dans la remise en question que cet ensemble
de concepts présuppose une tentative de réponse théorique
à une réalité en transformation. Que les tentatives
de cadre de pensée actuelles ne répondent pas totalement à
lampleur ou à la nature du phénomène, cela peut
sembler justifié, dans la mesure où une telle transformation
peut conduire à un questionnement en profondeur sur les fondements
du droit, sur sa fonction politique, sur ses attributs et fonctions symboliques,
mais il paraît indéniable de déceler dans ces propositions
de construction conceptuelle, la naissance et non la conséquence-
dune nouvelle conception des fonctions du droit au sein de lordre
social.
On a vu de quelle manière une association
telle que Quercum avait participé à cette évolution,
et les questions et paradoxes que son travail pose sont loin dêtre
tous résolus. Pourtant, au sein de ces contradictions, un défi
théorique est ouvert, auquel Quercum en tant que personnalité
juridique ne participera pas, puisque son existence a été fortement
compromise par les facteurs que nous avons tentés
dénumérer et danalyser dans ce travail. Ce défi
est pourtant porté par dautres groupes de praticiens, en
Amérique latine comme dans le reste du monde. Les questions que leurs
pratiques soumettent aux chercheurs actuels sont nombreuses.
Linterdisciplinarité semble alors plus que jamais indispensable,
pour aborder cette période transformatrice avec une perception la
plus accrue possible dune réalité mouvante, et
profondément en devenir.
CONCLUSION
Cette étude nous a permis, à partir du cas concret dune
société en pleine période de transformation politique,
de nous pencher sur les fonctions du droit et sur les possibles utilisations
qui peuvent être faites de cet instrument de la régulation sociale.
Le choix dune société passant dun régime
totalitaire et militaire à un gouvernement civil et peu à peu
démocratique nous a permis de cerner la difficulté du droit
à maintenir sa mission duniversalité et de neutralité
qui sont à la base de la construction du positivisme juridique.
La remise en question des trois fonctions du droit que sont la fonction
fondatrice, la fonction symbolique et la fonction technique par des mouvements
tels que Quercum révèle à notre avis une remise
en question dordre politique dans lorganisation et le maintien
du pouvoir à travers le droit. Lalternativité en droit
nous semble donc répondre à une recherche de
" troisième voie " qui prend corps au sein dune vision
marxiste de la société, et se développe en parallèle
dune évolution plus globale des rapports sociaux et des rapports
de pouvoir. Le fait que ces visions, par un effet de croisement de
" moments ", se rejoignent, conduit dune part à
lutilisation par dautres acteurs des concepts nés dune
visée politique bien définie, et dautre part, à
la disparition dune partie de ces acteurs au sein même du mouvement
quils ont contribué à créer.
Le constat est pourtant bien celui dune transformation des fonctions
du droit, dans la mesure où au Chili aujourdhui, comme dans
de nombreuses sociétés contemporaines, la notion de " droits
sociaux " apparaît bel et bien comme un élément
pleinement constitutif du Droit. Sortis du légalisme positiviste,
on entrerait alors dans une période plus " trouble " dans
laquelle la conjonction des valeurs qui interagissent avec le droit serait
multiple. La vision conjointe des philosophes, des anthropologues, des
sociologues, des politologues et des juristes pourrait alors permettre
dappréhender les nouvelles fonctions du droit dans cette nouvelle
configuration en train de naître.
Ce défi est un défi théorique qui a des répercussions
pratiques dans la mesure où le travail de terrain dassociations
ou de mouvements tels que Quercum se poursuit, en Amérique
latine comme ailleurs, dans un monde dans lequel les problématiques
dexclusion, de pauvreté et dinégalité se
" globalisent ". Si, comme on pense lavoir montré,
le droit peut, non sans enjeux et limites, être mis au service de la
transformation sociale, cest avant tout après être passé
par une analyse qui montre combien est forte linteraction entre le
contexte politique et le droit. Dans des sociétés dans lesquelles
la place de léconomique est de plus en plus
prépondérante, de nouvelles questions ne se posent-elles
pas ? Comment le droit se situe-t-il face à la puissance de la
régulation économique ?
Les mouvements ayant, dans les années 70, 80 et 90, travaillé
autour du concept dUsage Alternatif du Droit ne se trouvent-ils pas
actuellement devant de nouveaux défis ? Lutilisation de
plus en plus généralisée de lexpression de
" droits sociaux " ne viendrait-elle pas témoigner de cette
évolution ? Dalternatifs, ces mouvements ne sont-ils pas
en train de revendiquer une nouvelle position dans la société,
qui les placerait face à la transformation du contexte économique
et politique plus dans une recherche de légitimité que dans
une logique de confrontation que le terme
d " alternatif " dessinait jusque là
clairement ? Cette évolution, si elle se confirme, ne traduirait-elle
pas quen plus de linterdépendance du droit et du politique,
il est indispensable aujourdhui de réaliser quil existe
une interdépendance entre droit et économique ? Cette
conception de plus en plus large de la place du droit entraînerait
alors de nouveaux enjeux, pour les juristes comme pour les chercheurs des
autres disciplines, ainsi que pour les groupes, mouvements et associations
qui, au sein de leur travail intègrent ou utilisent le droit.
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Société, n°20-21,1992.
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Dossier " Transformations de l'État et changements juridiques. L'exemple
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OUTILS QUERCUM :
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Bulletin Los derechos de todos, n° 2, avril 1987, n°3,
août 1987, n°4, décembre 1987, n°5, août 1988,
n°6 décembre 1988, n°7 mai 1989,
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Manuels déducation juridique populaire et cassettes
audio :
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Yo participo, tu participas, Mars 1992
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Seguridad ciudadana y justicia vecinal, Mai 1992
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Las magias del Mago Maguin, Juin 1992
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Cassettes de radio-théâtre éducatif :
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Historias Juridicas Populares
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Conflictos en la población
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Ecología y calidad de vida.
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Bulletin " Abrir las puertas del nuevo derecho "
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Plaquette Programme " Servicio Juridico Vecinal "
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Plaquette Programme " Le cercle des juristes disparus "
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Enquête de 1989 sur les Juntas de vecinos dans les quartiers de
Santiago.
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" Documentos de debate " :
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n°1, Mars 1986 " Una concepción metodologica del uso alternativo
del derecho "
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n°2, Mars 1986 " Los agentes promotores de programas legales en
Chile "
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n°3, Mai 1986 " Educación para un uso alternativo del
derecho "
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n°12, Avril 1989 " Educar para los Derechos Humanos y las
Estrategías de Defensa Juridica desde la Sociedad Civil ".
ENTRETIENS :
Entretien avec Maria Teresa Aquevedo, responsable programmes Amérique
latine de lassociation Juristes-Solidarités, Paris, 12
mars 2001
Entretiens avec Manuel Jacques, fondateur et responsable de lassociation
Quercum, Paris, 7 et 14 mai 2001.