Marie-Pierre JOUAN 1998

Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris




RÉSUMÉ DE THÈSE :

LES MAUVAIS TRAITEMENTS À ENFANTS

EN MILIEUX IMMIGRÉS D'AFRIQUE NOIRE

EN FRANCE


La maltraitance à enfants dans les familles originaires d'Afrique noire s'analyse généralement en termes d'opposition entre des pratiques éducatives et culturelles jugées incompatibles. Dans ces situations, l'enfant victime se trouve au coeur d'une concurrence, voire d'un conflit de normes. Or, tout n'est pas négociable en droit surtout si la situation est violente. Le rappel de la loi est indispensable mais apparaît insuffisant. En effet, en France, la protection de l'enfance en danger est fondée sur l'énoncé d'un droit formel mais flou (la notion de maltraitance en particulier n'est pas définie juridiquement et il s'agit d'une notion relative dans le temps et l'espace). Aussi, la communication de ce droit auprès des familles immigrées plongées dans des contextes difficiles et dont les référents normatifs relèvent d'une autre logique, est problématique.

Cette thèse de droit est présentée dans le cadre de l'anthropologie du droit dont l'objet est de rapporter l'étude des phénomènes juridiques aux logiques qui les fondent. Aussi, l'ensemble des analyses présentées se base sur un travail empirique, privilégiant l'étude qualitative à partir d'entretiens semi-directifs et d'observation participante auprès des familles originaires d'Afrique noire en région parisienne, combinée à l'analyse de contenu de dossiers judiciaires.

La thèse présente d'abord les dispositifs juridiques en matière de protection de l'enfance en danger et en particulier maltraitée. Si le droit concerné est structuré par des notions cadres, à lire en creux, permettant au juge de faire un travail d'ajustement, la nature particulière de la confrontation culturelle rend ce travail délicat. Or, les familles auxquelles il s'adresse composent non seulement avec les systèmes de normes de leur société d'origine mais elles sont inscrites dans des processus d'acculturation qui contribuent à bouleverser leurs statuts et leurs rôles et à brouiller leurs repères.

Dans une seconde partie, l'étude des différentes formes prises par cette confrontation culturelle entre les acteurs de la société d'accueil chargés de la protection de l'enfance en danger et les familles concernées met l'accent sur les dangers de la notion de "maltraitance culturelle" qui peut résulter de la gestion de la différence culturelle de ces familles lors de l'examen des situations et de la non moins inquiétante résurgence de modèles explicatifs traditionnels comme la sorcellerie dans ces familles. Cependant, l'analyse des représentations et des pratiques des enfants et des parents face à la justice des mineurs et des processus de socialisation de ces familles montre également que l'immigration est un parcours complexe qui, s'il induit une certaine vulnérabilité, permet une mobilité (entre les différents registres juridiques en présence) propice au dialogue.

Partant en particulier d'une expérience originale de médiation dans le cadre de la justice des mineurs, la thèse soutenue est que la prévention des mauvais traitements ne va pas sans une assimilation de la fonction symbolique de la loi ; mais que celle-ci passe par une politique de socialisation valorisant un droit attributif de statuts et de rôles, inscrit dans les pratiques quotidiennes. La recherche de l'égala dignité des êtres humains n'est pas incompatibles avec la pluralité des identités.