UNIVERSITE DE PARIS I PANTHEON - SORBONNE
U.F.R. 07 ETUDES INTERNATIONALES & EUROPENNES
MEMOIRE DE D.E.A.
Etudes Africaines : Option Anthropologie juridique et politique
FEMMES ET POLITIQUE AU SENEGAL
"Contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001"
Présenté par : Directeur de recherche :
Seynabou Ndiaye SYLLA Professeur Etienne LE ROY
(e mail :nabousylla70@hotmail.com)
ANNEE UNIVERSITAIRE 1999 - 2001
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont à Monsieur le professeur Etienne LE ROY, Directeur du D.E.A Etudes Africaines et du Laboratoire dAnthropologie Juridique et Politique (L.A.J.P) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Pendant les années au cours desquelles nous avons travaillé sous sa direction, nous avons surtout apprécié la simplicité de lhomme mais aussi la largesse de vue de luniversitaire émérite, mondialement reconnu pour la qualité de ses travaux sur les problèmes complexes liés au développement du continent africain. Il a su partager ses "impensés et impassables" avec générosité et disponibilité.
Jai également une pensée reconnaissante pour Madame Penda Mbow du département dHistoire de luniversité Cheikh Anta Diop de Dakar. Lhistorienne, enseignante, chercheuse (pour souligner son adhésion conceptuelle et matérielle sur le genre) et militante de la cause des femmes
ma prodigué des conseils qui reflètent la diversité et la densité de ses connaissances intellectuelles. Elle a enrichi aussi ce travail en mettant à notre disposition sa bibliothèque personnelle.
DEDICACES
Ma gratitude va vers mon père Amadou Tidiane Ndiaye et ma mère Sokhna Sadaga Dieng pour la vie, linstruction et léducation quils ont bien voulu me donner avec détermination.
Quil me soit permis de dédier ce mémoire de DEA à mes enfants Thierno Amath, Mouhamadou Mounirou et Baye Ibrahima que ce travail a maintes fois éloigné de leur maman. Soyez assurés de mon attachement et de mon affection indéfectibles et éternels.
Mention spéciale à mon époux, compagnon et ami Mamadou Lamine Sylla pour son soutien constant et précieux. Lui qui a accepté et encouragé, dans un esprit résolument moderne, que lépouse-mère-étudiante sexpatrie dans la quête du savoir.
A mes surs Marième Ndiaye, Awa, Dior, Fary et Rama.
A ma tante Khady Diouf et son époux Moustapha Niasse.
A mes amies Ndella Dioum et Nafi Dramé.
A tous ceux qui mont soutenu. MERCI
"Pour échapper aux dangers de lethnocentrisme et pour découvrir des solutions adaptées tant aux populations africaines quà létat de sous-développement du continent, le chercheur doit adopter une démarche sinspirant des sciences anthropologiques." in Réflexions sur une interprétation anthropologique du droit africain, Revue jur. pol. Ind. Coop, + 26, n°3, Paris, septembre 1972.
E. LE ROY
"Luniversité nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les mémoires ou thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs."
SOMMAIRE
pAGES
PLAN .. ... . 2-4
Introduction .. 5-11
1ère Partie : Létat de la recherche : 12-64
Chapitre 1 : Rappel historique sur la place des femmes ..12-18
dans les Sociétés traditionnelles précoloniales
Chapitre 2 : Lenvironnement socio-culturel : un facteur .19-36
défavorable à lépanouissement des femmes
Chapitre 3 : Le vote des femmes au Sénégal ..37-64
2ème Partie : FEMMES ET pratique politique ...65-89
Chapitre 1 : Participation et représentativité en politique 65-73
Chapitre 2 : Alternatives politiques : acquis juridiques et ..74-89
Renforcement des capacités politiques des
femmes
- Conclusion . 90-95
PLAN
Introduction
1ère Partie : Létat de la recherche :
Chapitre 1 : RAPPEL HISTORIQUE SUR LA PLACE DES FEMMES
DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES PRE-
COLONIALES
Chapitre 2 : LENVIRONNEMENT SOCIO-CULTUREL : UN FACTEUR
DEFAVORABLE A LEPANOUISSEMENT DES FEMMES
A ) La coutume symbole de soumission de la femme à lhomme
B ) La masculinisation de lespace public et domestique ou la
suprématie de lhomme
C ) Lexclusion des femmes de la socialisation par lécole et le
travail salarié
Chapitre 3 : LE VOTE DES FEMMES AU SENEGAL
A ) Généralisation du droit de vote aux femmes
B ) Les femmes, un enjeu électoral dabord !
C ) Prise de conscience des femmes
2ème Partie : FEMMES ET pratique politique
Chapitre 1 : PARTICIPATION ET REPRESENTATIVITE EN
POLITIQUE
A ) Leur participation aux élections et aux instances
électives
B ) Léthique dans la pratique politique des femmes
Chapitre 2 : ALTERNATIVES POLITIQUES : ACQUIS
JURIDIQUES ET RENFORCEMENT DES
CAPACITES POLITIQUES DES FEMMES
A ) La place de la femme dans les différentes constitutions
françaises et sénégalaises et les instruments juridiques
internationaux
B ) Renforcement des capacités politiques par la formation
C ) Femmes en politique : quotas ou vers la parité ?
- Conclusion
INTRODUCTION
Mon sujet de recherche est la synthèse de deux centres dintérêt. Le premier se veut dêtre une approche anthropologique et politique des profondes mutations subies par la femme dans la société sénégalaise de la période coloniale à nos jours.
Le second domaine détudes de cette recherche sapparente à lhistoire politique des femmes sénégalaises. Il sagira détudier les différents obstacles auxquels se sont heurtés les femmes dans la conquête de leurs droits politiques notamment le droit de vote, à une époque où le sort des femmes sénégalaises était régi par le droit français. On peut sétonner du fait que le droit de vote accordé à tous les citoyens français en 1848 - ne fut généralisé aux femmes quavec la Constitution de la IV République en 1946. Nous ne manquerons pas de revenir sur les préjugés négatifs qui ont valu aux femmes de ne pas être perçues comme légal de lhomme, en tant quindividu social. Du reste ce sont ces mêmes préjugés qui les ont continuellement renvoyé à leur rôle domestique. Par conséquent cette marginalisation de la femme vers laccès à la citoyenneté politique et dans lunivers de la politique de façon générale nest nullement une spécificité sénégalaise. Bien au contraire des démocraties avancées comme la France, lAngleterre, principales puissances coloniales, se sont fait distinguer dans leur retard à concéder aux femmes dalors, les mêmes droits politiques que les hommes. Ce qui donne raison à Nodier qui disait que :
"la liberté politique semble être incompatible avec le pouvoir des femmes."
Cest dans cette perspective denfermement et disolement de la femme sénégalaise - citoyenne des quatre communes ou sujet français et plus tard citoyenne française dabord, sénégalaise ensuite - que se situera notre démarche. Nous réfléchirons sur les enjeux de sa participation et de son rôle dans le jeu politique entièrement dominé par lélément masculin fortement majoritaire dans les différents centres dexercice et de prise de décision. Une telle situation va perdurer durant les périodes coloniales et post-indépendantes. Une évolution qui finira par déboucher sur lémergence nouvelle dun leadership féminin et dune société civile engagée. Ces deux concepts forgés dans le feu des luttes pour lémancipation et la responsabilisation des femmes seront des armes essentielles qui permettront en partie de transcender le poids des facteurs discriminants aussi bien dans la coutume que dans larsenal juridique et politique du Sénégal colonial et post-colonial.
Pour mener à bien cette étude, nous nous proposons de réfléchir dune part sur les femmes sénégalaises dans la vie politique, de lépoque coloniale à nos jours ; dautre part sur femmes et pratique politique de 1946 à aujourdhui. Ces deux axes constitueront les première et deuxième parties de ce travail.
Dans la première partie, il sagira à travers trois chapitres danalyser progressivement lincursion de la femme sénégalaise dans le champ politique ou dans lexercice de certaines fonctions même si celles-ci étaient limitées à des rôles de subordination contrôlés par les hommes. Le chapitre premier fera le point sur létat de la recherche. Nous mettrons laccent sur les femmes qui vont marquer par une présence active au côté des hommes toutes les batailles de lhistoire politique du Sénégal. Le chapitre deux se propose de montrer combien lenvironnement socio-culturel dans lequel vont évoluer ces femmes fut un acteur défavorable à leur épanouissement. Ce qui expliquait que le pouvoir politique dalors était resté lapanage des hommes.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles ont été les conséquences dune telle situation ? Le chapitre trois qui analyse le vote des femmes de 1946 à nos jours tentera dapporter des réponses partielles à ces questions.
Quant à la deuxième partie, elle sera exclusivement consacrée à mesurer la participation et la représentativité des femmes ainsi que les acquis juridiques quelles ont pu capitaliser. Par conséquent nous lavons volontairement intitulé : femmes et pratique politique afin de mieux cerner la complexité de la nature du pouvoir politique et son rapport avec la femme. Tout en ayant à lesprit la séquence pré coloniale et coloniale, la femme sénégalaise navait pas manifesté de volonté dassumer un quelconque destin politique. Ceci même après lacquisition de leur premier droit politique en 1945, celui du droit de vote pour les femmes des quatre communes, les Sénégalaises resteront à la lisière du pouvoir politique et des organisations qui le sous-tendent. Cest ce qui explique loctroi de limage de la femme mondaine et futile, préoccupée essentiellement à égayer les réunions politiques. Après des décennies, la Sénégalaise a du mal à se débarrasser de ces stéréotypes. Aujourdhui quune vaste campagne de conscientisation est entrain dêtre menée au sein de la société civile et des diverses associations de promotion des droits de la femme, peut-on espérer un changement qualitatif de la participation féminine en politique ?
Le déclic sest enclenché mais des pas importants doivent être faits dans la direction dune complémentarité ou dun partenariat entre hommes et femmes en politique. Les femmes sont devenues un enjeu réel par leur supériorité numérique en ce qui concerne lélectorat (51% en 2000.) Seulement leur représentativité na guère connu dévolution significative à limage de leur engagement. A partir de cet état des lieux de la présence féminine sur le champ politique, deux questions essentielles se posent à nous :
- Quels moyens mettre en uvre pour équilibrer la structuration même du champ politique fondée sur un modèle de domination symbolique exercée par les hommes afin datteindre une optimisation de la présence des femmes dans les hautes sphères politiques ?
- Quelles réflexions et quelles actions faudrait-il mener pour consolider les acquis engrangés par la lutte des femmes, en vue de faire émerger en masse un leadership ou un commandement politique féminin capable dexercer une influence sur le rôle et le statut des femmes sénégalaises dans la sphère politique ?
La thèse est établie à partir de notre observation des idées et mutations qui sont le reflet des transformations sociales et culturelles. Si on analyse les faits et lévolution historique, on peut dire que lexercice du pouvoir nétait pas inconnu de la femme car pendant la période pré coloniale de lespace soudanais (Afrique de lOuest), la transmission des droits politiques se faisait généralement par son canal (exemple des sociétés wolof et sereer.)
La femme sénégalaise semble avoir été subvertie au contact dautres cultures, notamment celle de lOccident avec le processus de la colonisation mais aussi lIslam. Cest ainsi quelle a été maintenue hors des modes et voies conventionnels qui mènent vers le pouvoir politique. Mais ce processus dexclusion ou de subordination est légitimé de diverses manières par la structuration matérielle du champ politique (organisation et fonctionnement des partis politiques) et par les contraintes sociales et familiales. Aussi, il ne faut pas perdre de vue les tentatives de légitimation ou de fondation dune domination symbolique des hommes dans le domaine de la politique. Le monde politique est structuré et incarné par les institutions. Dans la perception, limage des hommes qui nen finit pas de planer sur les institutions, tend à reproduire et à renforcer les rapports de force jusquà rendre la mémoire politique complètement mâle.
Vous devinez létendu et lampleur de la tâche visant à rétablir et à harmoniser les rapports hommes /femmes/politiques. Sur ce plan, lavènement dune société civile engagée pour un rééquilibrage des ressources politiques atteste dune véritable prise de conscience citoyenne à lorée du troisième millénaire.
Cette thèse est construite selon une série dhypothèses :
- Les femmes subissent la résistance des problèmes socioculturels découlant des coutumes et pratiques. Elles sont aussi pénalisées par le fort taux danalphabétisme (64% en 1998). Plus quune formation de base, les femmes gagneront à investir, en masse, les lieux denseignement pour renforcer leurs capacités intellectuelles si elles veulent assumer des postes de responsabilité en politique.
- Lexistence dun décalage juridique entre les droits reconnus par la Constitution du Sénégal et par la Convention sur lElimination de toutes les formes de Discrimination à légard de la Femme et lapplication réelle qui en est faite. Les conventions internationales ont force de lois supranationales sur les législations internes des pays signataires. LEtat sénégalais va t-il corriger ces inadéquations au plan juridique en vue dapporter un toilettage des textes législatifs qui régissent les principaux droits de la femme, devenus pour lessentiel anti-constitutionnels ?
Notre démarche sera celle dun anthropologue illuminé par les théories du Professeur Etienne Le Roy qui préconise de " fonder une réflexion réellement transdisciplinaire et de valoriser lincidence des logiques sur le comportement des acteurs", dans la quête des " savoirs sur lhomme. " Ceci pour rendre compte de la complexité du devenir des femmes en politique. Nous nous efforcerons danalyser les mutations qui ont jalonné lévolution politique des femmes sénégalaises.
Pour ce qui est des résultats attendus, il sagit de cerner la nature du pouvoir politique en prenant en compte toutes ses composantes dans leur rapport avec les règles politiques, sociales et économiques en pratique dans la société sénégalaise. A partir de là, on dégagera les constats en dessinant une vision évolutive et futuriste selon les tendances observées et vérifiées.
Toute analyse qui veut aboutir à une meilleure compréhension du fonctionnement des règles politiques et sociales de la société sénégalaise doit intégrer une réflexion sur les rôles et les statuts des femmes. Cest pourquoi après létat des lieux de lincursion des femmes sénégalaises en politique, nous avons jugé pertinent de repenser un nouveau type de rapport homme/femme dans les espaces publics jusquà son prolongement dans lespace privé. Les résultats de cette étude montreront que la société civile doit être appelée à la rescousse pour combler le déficit en femmes représentatives en puisant dans les organisations qui présentent des femmes aux profils souvent valables.
Il est connu au Sénégal que les femmes intellectuelles désertent les partis politiques jugés à tort ou à raison, par excellence, comme le lieu privilégié du mensonge nourri par les fausses illusions des marchands de voix, au profit du monde plus rationnel des débats didées sociétales en vigueur dans les associations féminines connues pour leur indépendance desprit. Fort de cela, dans les prospectives, on a voulu amorcer une réflexion visant à implanter des passerelles entre ces organisations et les partis politiques sans porter préjudice au fonctionnement de lun ou de lautre.
Ceci nous amène à aborder un débat très actuel dans la classe politique sénégalaise et dans lopinion publique : celui de lengagement obligatoire ou non au sein des partis politiques de tout intellectuel désireux doccuper des postes de responsabilité dans les institutions étatiques. Est-il sain et supportable pour une démocratie denvisager la politisation de tous les réseaux daccès au pouvoir politique ? Peut-être que nos dirigeants devraient réfléchir sur cette citation de Léon Gambetta : "Ce qui constitue la vraie démocratie nest pas de reconnaître des égaux mais den faire."
Voilà la touche nouvelle et le surcroît de connaissances que nous voulons apporter à la problématique de la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique.
Nous souhaitons que cette étude, non exhaustive, ait un impact sur lavenir politique des femmes au Sénégal eu égard aux prospectives dessinées pour une émulsion saine de la vie politique sénégalaise qui bannirait les deux obstacles de taille : la domination masculine de faite et le manque de solidarité entre dune part femmes politiques et femmes apolitiques et dautre part femmes intellectuelles et femmes de formation limitée.
Les femmes sont au début et à la fin du questionnement de ce mémoire. Comme toute uvre humaine, ce travail est perfectible et infini mais il a la prétention de participer à la réflexion scientifique sur la problématique des questions de genre en milieux politique où les clivages sexistes sont les plus tenaces à résorber.
Une des difficultés majeures rencontrées au cours de lélaboration de ce mémoire est la rareté de sources fiables sur notre objet de recherche. Un constat sest imposé à nous : linformation sur les femmes est la plus difficile à étudier surtout pour la période pré coloniale et coloniale.
Le groupe de recherche sur létude rétrospective des femmes sénégalaises à lhorizon 2015 lexplique par le fait des situations largement tributaires de la variable ethnique et des types de formations socio-politiques développées dans les espaces sénégambiens avec des sociétés hiérarchisées ou égalitaires, islamisées ou non.
De ce point de vue la publication de Saliou Mbaye et Jean-Bernard Lacroix "Le vote des femmes au Sénégal" constitue un repère phare dans le travail de reconstitution des actes politiques posés par les femmes durant cette période cruciale de lhistoire. Les observations de Odile GOERG vont dans le sens de la confirmation de la marginalisation des femmes en A.O.F :
"Sous langle des droits politiques : droit de vote, problématique du suffrage, participation aux assemblées, lhistoriographie est très déficiente sur la question spécifique des droits politiques des femmes."
Ces propos viennent renforcer nos constats quant à la difficulté et à la rareté de linformation sur les femmes. Lauteur cité ci-dessus assimile la pratique coloniale à un manque dintérêt pour les questions féminines :
"Privées des formes de pouvoir politique dont elles disposaient avant la colonisation, furent-elles pour autant dotées de nouvelles responsabilités ?".
Odile GOERG donne un élément de réponse :
"Ignorées comme productrices car renvoyées aux cultures vivrières, les femmes furent également reléguées politiquement. Les colonisateurs nont pas cherché à adapter leur politique en fonction des structures socio-politiques antérieures."
1ere PARTIE : LETAT DE LA RECHERCHE
Chapitre 1 : RAPPEL HISTORIQUE SUR LA PLACE DES FEMMES SENEGALAISES DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES PRE-COLONIALES
Avant daborder ce travail, il nous paraît essentiel de faire appel à quelques repères historiques relatifs aux statuts et rôles des femmes afin de mieux mesurer leur évolution politique dans le temps.
Le Sénégal est un pays où lintérêt pour la chose politique a toujours été une donnée constante. Bien quelles aient été souvent abandonnées à leur propre sort, les femmes sénégalaises, à travers leur passé politique, ont connu plusieurs mutations à limage du rythme évolutif des sociétés coloniales et post-coloniales. Les rapports entre la femme et la politique dans la société sénégalaise nont pas fait lobjet détudes consistantes, surtout de la part des chercheurs. Dans une compilation de sujets regroupés dans louvrage "Sénégal, trajectoires dun Etat", et qui se présente comme un regard posé sur les segments les plus captivants de la trajectoire de notre République en partant des péripéties qui ont marqué lhistoire politique de la jeune nation sénégalaise dalors, aucun des chercheurs na évoqué la femme sénégalaise. Il serait embarrassant dexpliquer pour ces chercheurs sénégalais labsence dune étude sur les femmes dans la trajectoire politique du Sénégal, comme si les multiples problèmes que rencontrent la femme pour son intégration dans les différentes sphères de lEtat ne méritent pas quon sy penche. Si les femmes ne font pas lobjet de sujet de réflexion en tant que population fragilisée par divers préjugés dommageables à son rayonnement, comment venir à leur chevet avec des solutions adaptées ?
La femme a été oubliée par des chercheurs universitaires dans leur uvre commune de reconstruction des composantes de la société sénégalaise dans ses pans les plus saillants. Un problème de statut de la femme se pose pour sa reconnaissance en tant que valeur positive.
Dans un texte intitulé "Femmes et pouvoir dans les sociétés nord sénégambiennes", Madame Rokhaya Fall, une enseignante du département dhistoire de lUniversité Cheikh Anta Diop, tente dapporter des éléments de réponse à lobjet de notre questionnement. Demblée, elle indique labsence de statut unique de la femme dans les sociétés wolof, Hal Pulaar, Sereer, Joola etc. Les femmes se distinguent par leur milieu culturel et ensuite lautre trait de différenciation se situe au niveau de lévolution historique et géographique, selon que cette partie ait connue ou non une pénétration fulgurante de lislam. Les sociétés sénégalaises du nord habitées par les Hal Pulaar du Fouta ont très tôt été sous linfluence de lislam et du modèle patriarcal. Dans la même lancée, on peut souligner par opposition la région sud du pays, chez les Joola de la Casamance où la percée de lislam sest opérée tardivement.
Le facteur religion a été à la fois un élément de séparation et un signe dévolution du statut de la femme sénégalaise, en ce sens que lislam a transformé les mentalités.
Rokhaya Fall met également en exergue une caractéristique commune aux royaumes wolof ; hal pulaareen et Sereer du Siin, à savoir : lorganisation dun pouvoir central en charge des membres de sa communauté. Ces sociétés accordaient aussi une grande importance au matrilignage à lexception des Hal Pulaar qui pratiquaient le patrilignage. Au final, les femmes se verront accorder un statut minoritaire et considéré comme inférieur à celui des hommes. Le lot de consolation des femmes résidait dans limportance du rôle quelles ont eu à jouer sur le plan politique, social et économique. Il faut souligner que ce rôle à jouer est fonction du statut juridique de la femme, quelle soit Garmi (ordre social supérieur) ou Badolo (caste sociale inférieure). Ainsi dans ces sociétés hiérarchisées, où, chacun à son niveau se voit assigner un rôle bien défini, il convient de mettre le doigt sur les éléments de référence propre à chaque membre de la communauté.
Cest ainsi que les principales femmes de lappareil politique des sociétés traditionnelles étaient désignées sous les vocables de Garmi chez les Wolof, Gelwar pour les Sereer ou Torodo chez les Hal Pulaareen. Ces grandes dames vont porter un statut privilégié qui allaient leur permettre de jouer un rôle politique au sein de leur société. Elles pouvaient être déléguées par le souverain pour gérer sous tutelle le commandement de certaines zones. Seulement, il convient de dire en définitive que leur rôle était purement figuratif donc hexogène par rapport à lexercice du pouvoir.
Ajoutons que ces femmes qui appartenaient aux ordres dits supérieurs, navaient en réalité de lien avec la politique que de façon indirecte donc par intermédiation. En dehors de la Torodo dont les membres de la communauté se transmettaient le pouvoir par le patrilignage, le premier rôle de ces grandes dames wolof et sereer réside dans la transmission du pouvoir politique qui se faisait selon lappartenance au lignage maternel. Ce fut le cas au Sine, au Baol et au Cayor :
"Mais cette importance quon leur accorde en tant que femmes et éléments transmettant le pouvoir politique, ne leur donne cependant pas la possibilité daccéder aux hautes fonctions politiques dévolues aux hommes."
Ces femmes des sociétés traditionnelles, calquées sur le modèle matrilinéaire étaient à la lisière du pouvoir. Elles étaient confinées à loccupation de titre politique sans possibilité de prendre des décisions engageant les destinées de la communauté (à lexception de la reine Djembeut Mbodj du Walo, de Ngoné Latyr etc qui ont pu agir sur lavenir de leur contrée malgré leur état de femmes).
On peut dire que le fait dêtre femmes, détentrices de transmission de pouvoir par la lignée, ne constituait pas un handicap majeur au niveau politique dans ces sociétés. La borne que les hommes sétaient fixés et quil ne fallait pas dépasser semblait être lattribution réelle dun pouvoir au féminin.
Pourtant, à une époque antérieure, le Sénégal a connu des femmes qui ont été directement actrices dans les sphères politiques. A ce sujet, Rokhaya Fall rappelle un point historique dont les évènements se situent à la moitié du 15e siècle et qui sont abondamment relatés dans les ouvrages scolaires destinés aux petits Sénégalais. Quel élève, au pays de Ndiadiagne Ndiaye, na pas appris les exploits de Yassine Boubou dans ses leçons dhistoire ? Cette princesse du Kajoor illustre encore des légendes populaires pour exalter le djom (courage) au Sénégal. Yassine Boubou, dont les exploits politiques sont répertoriés entre 1673 et 1677, va sallier avec les marabouts pour tuer le Damel Déthié Maram qui lavait dépouillée de son titre de Linguère. Le Damel assasiné fût remplacé par un autre souverain du choix des vainqueurs.
A ces femmes issues de la grande dynastie des familles traditionnelles régnantes, il ne leur était pas permis de sadonner à certains travaux. Elles ne pouvaient simpliquer dans la vie économique quen jouant un rôle purement symbolique de détentrices et de gérantes des biens de leur famille maternelle. La richesse familiale prendra de la valeur aux yeux des prétendants, car une fille bien née et de surcroît dotée de puissances économiques présentait toujours des arguments convaincants pour le mariage et ensuite pour contribuer à consolider le trône de son époux.
En définitive, ces femmes navaient pas de statut leur ouvrant directement les portes du règne politique. Elles avaient un pouvoir féminin mais il était subordonné selon un principe quon retrouve entre mak (aîné) et rak (cadet). On peut sadonner à plusieurs démonstrations de cette subordination ancrée dans les pratiques et les mentalités.
Un autre exemple de la subordination des femmes sénégalaises aux hommes réside dans le fait quelles subissent toujours lautorité et la domination mâle quelque soit lâge et la situation sociale de lhomme. Ajoutons à cette illustration un des principes de lislam relatif aux modalités dhéritage qui attribue deux parts aux hommes contre une seule pour les femmes sous prétexte que la femme est subordonnée à lhomme qui doit la prendre en charge.
Citons enfin le mode de transmission du pouvoir khalifal aux seins des confréries. Prenons lexemple de celle des Mourides fondée par le vénéré Cheikh Amadou Bamba Mbacké dit Khadim Rassoul ou Serigne Touba. Lorsque le Saint homme disparut en 1927, un système de khalifa (dirigeant suprême de toute la confrérie) est instauré pour perpétuer luvre et la pensée de lillustre disparu. Seuls les descendants mâles de Serigne Touba sont désignés, par ordre de primogéniture, pour succéder à leur père. Une fois que le khalife installé, il reste à la tête de la confrérie jusquà sa disparition. En revanche, il nest pas possible pour ses descendantes davoir le statut de khalifa. En définitive, un khalifa peut avoir une sur aînée bien en vie, mais son statut de femme lécarte ipso facto du pouvoir et elle doit se ranger sous lautorité de son frère cadet. Ainsi, les filles de Serigne Touba ont un pouvoir spirituel que leur confère leur naissance mais elles ne peuvent lexercer et restent subordonnées à leurs frères.
Toujours au sujet du statut des femmes dans lespace public, retenons aussi que dune manière générale, les femmes vont jouer un rôle majeur dans la transmission du pouvoir à leurs lignées. Mieux, des rôles taillés sur mesure leur étaient attribués lors de la conquête du pouvoir à lépoque précoloniale. Dès lors elles sillustrèrent dans les stratégies de patronage et de clientélisme comme lindique lhistorien Mamadou Diouf qui note à ce sujet que :
"Les femmes jouèrent un rôle important dans les campagnes pour lélection de leur parent utérin ; ce rôle reconnu expliquerait quelles soient bénéficiaires dapanages comme la linguère (sur ou mère du Damel) et reçoivent les droits coutumiers des principaux dignitaires du pays . Par leurs xawarés, importantes fêtes de prestige et de distribution de cadeaux aussi fréquentes que possible, elles participaient concrètement à lélargissement de la clientèle de leur matrilignage."
Ces pratiques qui régissaient le modèle des sociétés matrilinéaires, avouons-le concernaient exclusivement les sociétés wolof traditionnelles et sereer ; il nous paraît important de prendre en compte dautres sociétés comme celles des Halpulaar. Très tôt islamisés, ils appliquèrent un système politique patrilinéaire dans lequel la femme ne jouait pas de rôle politique majeur ou mineur comme ce fût le cas chez les Wolof ou les Sereer. La femme de rang noble inspirait plutôt respect et considération comme le commandait son statut de Torodo. En lisant LAventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, on voit que celle surnommée la Grande Royale par son charisme politique navait en réalité aucune fonction officielle dans lappareil politique. Et pourtant, cest elle qui :
"avait pacifié le Nord par sa fermeté. Son prestige avait maintenu dans lobéissance les tribus subjuguées par sa personnalité extraordinaire."
Cette revue de la période précoloniale nous révèle la fragilisation du statut politique de la femme dans les sociétés sénégambiennes. En effet, le rapport au pouvoir politique est caractérisé par lorganisation sociale. La position que lon a dans la hiérarchie de la société détermine le rang que lon doit occuper dans la sphère politique. Cela renvoie à limage de lorganisation sociale qui écarte les femmes de tout commandement tant au niveau public que privé. A ce niveau, la réflexion de Habermas trouve tout son sens :
"Lexclusion des femmes a été un élément constitutif de la sphère publique politique, au sens où celle-ci nétait pas seulement dominée par les hommes de façon contingente mais déterminée, dans sa structure et son rapport à la sphère privée, selon un critère sexuel. De façon différente de lexclusion des hommes défavorisés, celle des femmes joue un rôle constitutif dans la formation des structures de la sphère publique."
Cette réflexion dHabermas en même temps quelle nous sert de transition entre la société précoloniale et moderne nous enseigne aussi que lexclusion des femmes de la sphère politique est un problème qui touche au cur de la constitution de nos sociétés mêmes. Les hommes règnent en maître exclusif dans lespace public et concédent sans équivoque aux femmes lespace privé axé sur la famille et les charges qui y relèvent, donc les activités domestiques.
Ladministration coloniale ne manqua pas de gérer, selon ses intérêts, lhéritage des sociétés anciennes de lespace sénégalais. Ainsi, écartées du travail salarié créé par ladministration coloniale et des cultures de rente pourvoyeuses de finances, les femmes sénégalaises sous la colonisation seront domestiquées et vont investir le domaine des cultures vivrières.
Dès lors, rien détonnant quau plan politique, la séquence coloniale ne se caractérise par une stagnation du statut des femmes. Cet aspect na pas échappé à Penda Mbow qui constate que :
"lordre colonial a contribué à subvertir les rapports sociaux de lAfrique précoloniale accordant à la femme, par le biais du matriarcat et du système matrilinéaire de transmission des droits, une place importante."
Les femmes perdront ainsi leurs attributs déléments de transmission du pouvoir politique par la lignée pour ce qui concerne les systèmes matrilinéaires par le fait colonial.
Cependant, la colonisation va corriger linadéquation entre le statut des femmes dans la période précédente et leurs rôles. En ce sens, quelles nauront plus de statut social et politique qui leur permettaient de jouer une fonction sociale ; par conséquent, pas de statut, point de rôle assigné. Pour mieux contrôler les régions conquises et asseoir son autorité, ladministration coloniale allait se charger de réorganiser lordre social avec la disparition programmée de la chefferie traditionnelle. Aussi, lintégration des hommes à la vie de la colonie se fera sans les femmes sénégalaises qui devront se contenter de quelques gestes de bienveillance à leur égard :
"Certes des actions, si minimes et limitées fussent-elles prises, avec plus ou moins de succès, pour améliorer la condition sociale des femmes dans les domaines de linstruction, de la santé, de la régularisation ou de labolition de certaines pratiques coutumières. Mais la question des droits politiques ne fut abordée que tardivement et avec beaucoup de réticence."
Chapitre 2 : LENVIRONNEMENT SOCIO-CULTUREL : UN FACTEUR
DEFAVORABLE A LEPANOUISSEMENT DES FEMMES
A/ La coutume symbole de la soumission de la femme à lhomme
Lidéologie traditionnelle dominante au Sénégal, en matière de représentation privée, veut que la femme voue une soumission totale à lhomme (époux ou père) qui incarne lautorité suprême au sein de la famille. Cette représentation structurelle profondément enracinée dans la société et dans les murs constitue le principal facteur discriminant de laccès des femmes à la sphère publique et politique.
Nous avons vu, dans lintroduction, que les rôles joués par certaines femmes au sein du pouvoir politique, dans les sociétés traditionnelles reflètent avant tout la primauté exercée par les hommes au sommet de ce pouvoir. On peut dire sans courir le risque de se faire démentir que cest le sexe qui établit lordre social au Sénégal et cest le masculin qui lemporte. Les mécanismes de domination masculine vont sétendre et prendre appui sur limaginaire collectif comme le démontre ici Maurice Godelier :
"Il va de soi quil nexiste pas de pouvoir sans dimension imaginaire et que pour exclure ou subordonner il faut déployer un formidable travail de la pensée, un travail idéologique qui fait apparaître à la pensée et par la pensée comme légitimes pour toutes les parties en présence les rapports sociaux au sein desquels certaines parties du corps social sont subordonnées à dautres."
Une fois ce travail de la pensée intégré par tous les acteurs de la société, les logiques sociales senfouissent dans le corps. Dès sa naissance, lindividu, quil soit garçon ou fille, est imprégné par les représentations et les normes qui définissent son statut en fonction de son sexe. Cest fort de ces représentations et normes des rapports sociaux que la coutume a tiré ses fondements. On comprend à partir de là pourquoi la coutume ne pouvait et a encore aujourdhui des difficultés à favoriser lémergence dun statut bicéphal, homme-femme, dans lespace public encore moins dans la vie privée où idéologiquement lhomme ne peut pas intégrer dêtre supplanté par le sexe dit faible (appellation péjorative pour qualifier linfériorité ou la subordination de la femme par rapport à lhomme).
Nous allons nous appuyer sur dautres représentations de la société pour démontrer quon ne peut pas ignorer les relations de genre qui structurent la société sénégalaise. Les rapports de genre qui fondent le fonctionnement de la famille et du mariage en sont des exemples patents. Ces liens sociaux ont servi aussi de tremplin aux défenseurs du maintien de la femme en dehors de toute participation à la vie politique. Elias Regnault donne une définition du mariage qui renforce lidée de domination et qui contribue à installer la prééminence de lautorité masculine au sein du couple. Selon son interprétation le mariage :
"nest pas seulement un lien contractuel entre deux individus, il crée un être humain nouveau. La femme perd en quelque sorte son individualité, fondant sa pensée et sa volonté dans celles de lépoux qui joue le rôle dorgane représentatif du couple."
En quelque sorte, on peut dire quune fois mariée, la femme ne doit exister quà travers son époux. Cest la raison pour laquelle lémancipation politique des femmes au Sénégal a connu un retard par rapport à leur incursion dans la vie politique. Si lengagement des femmes en politique est perçu comme un péril pour la paix des ménages et une menace pour son unité, les femmes seront toujours soumises et dominées dans la sphère domestique et politique. La peur de voir lépouse exprimer une opinion politique différente de celle de son mari ne participe pas de léclosion idéologique des femmes.
Lobligation légale dentretenir, de subvenir et de nourrir la famille dont elle a la charge, renforce davantage les liens de subordination et de soumission de la femme à lhomme. Cette culture de dépendance financière, de la femme vis-à-vis de lhomme, instituée savamment depuis les temps ancestraux par des intérêts patriarcaux, maintient la femme dans un univers éternel dassistée et de prise en charge.
Dans les us et les coutumes, figure en bonne place, lassignation de la femme au rôle de mère, dépouse, déducatrice et de gardienne des liens de socialité. Cette forme permanente de soumission au contingence sociale et familiale, qui réduit la femme à sa plus simple expression, est conçue comme étant le prolongement naturel des missions et croyances que toute femme digne de ce nom se doit de saccommoder sans tambours ni trompette. Dans limaginaire collectif "Nangoul sa borom keur ou diamou sa borom keur" (obéissance illimitée à son époux) est un passage obligé pour le paradis et un gage pour la réussite sociale des enfants.
Dans ce contexte marqué par labsence de lhomme dans lenvironnement domestique, la femme est le pivot de la cellule familiale. Limportance de la femme en sa qualité de mère, dépouse et de stratège dans lélaboration des plans de survie des ménages est telle quil y a un paradoxe quand on évalue cette position centrale quelle occupe dans la dimension sociale et communautaire de la vie sénégalaise et le statut négligeable quon lui accorde dans la sphère publique en général et le jeu politique en particulier.
Cette notion dinfériorité qui frappe la femme par rapport à lhomme au sein de la société a été attribuée en partie à lIslam, une religion présente au Sénégal depuis le 12ème siècle et qui a profondément influencé les traditions. Amina Mama, une chercheur nigériane, relaie lhypothèse selon laquelle :
"Lislam a été plus oppressif envers la femme quaucune autre religion, une position qui sest raffermie avec la prolifération actuelle des mouvements islamistes qui prônent à nouveau des idéologies conservatrices en matière de genre."
En parlant du cas sénégalais, lauteur de "Beyond the Masks : Race, Gender and Subjectivity" reconnaît que :
"Linsistance des autorités (coloniales) françaises à limiter linfluence de lislam sur la nation a également contribué à latténuer."
Amina Mama soutient que latténuation des effets de lislam par une influence locale et étrangère traduit la position modérée du Sénégal au sein de la Umma (communauté musulmane). En comparant lislam tel que pratiqué au Moyen-Orient ou au Nigéria, il ne fait pas de doute que le Sénégal pratique un islam progressiste à visage humain. Néanmoins, il est clair que la femme est loin dêtre perçue comme légale de lhomme.
La religion musulmane pratiquée à 90% au Sénégal est venue renforcer la coutume qui a instauré la soumission de la femme à lhomme. Le phénomène dans ce domaine est assurément lislam confrérique qui a des répercussions sur le statut de la femme. Cest probablement ce qui a fait dire à Madeleine Devès Senghor dans un article consacré au rôle de la femme dans la pratique du droit :
"Lislam au Sénégal a contribué à réduire la position prééminente de la femme et donc à dénaturer son rôle."
Si on applique le hadith de Abu Bakra, les femmes perdraient à jamais toute possibilité dassumer un rôle politique et public :
"Ne connaîtra jamais la prospérité, le peuple qui confie ses affaires à une femme."
La découverte de ce hadith pour ceux qui nont pas une totale connaissance de lIslam, constitue une révélation de la place faite aux femmes en matière de normes et de valeurs
transmises par la société nomade, arabe, patriarcale pour ainsi reprendre Penda Mbow.
Dans les sociétés islamisées, le mariage est recommandé par le Coran (Parole de Dieu.) Nous avons déjà eu loccasion de le dire au cours de ce travail que la femme est totalement aliénée dans ce lien. Le mariage est le symbole de la soumission féminine à lhomme. A travers la notion dobéissance, forme réelle de la dépendance à lhomme, la femme intériorise et accepte son infériorité. Donc, il est connu que lislam prône le renforcement de ce statut faites aux femmes. Lislam ne reconnaît pas en la femme légale de lhomme ou plus généralement un vrai individu abstrait.
La preuve en est que lorsque la femme musulmane veut accomplir le pèlerinage à la Mecque, un des cinq piliers de lislam, il lui est obligé de se marier. Si elle meurt célibataire, sa situation doit être régulariser en lui célébrant un mariage posthume. Lhomme célibataire peut se permettre tous les libertinages sexuels avant mariage et après mariage. Ce qui est totalement interdit pour la femme puisque les rapports sexuels avant et hors mariage sont proscrits par lislam. Cest pourquoi, la virginité revêt toute son importance dans certains milieux conservateurs. Quoique cette notion de virginité perd progressivement son caractère sacré dans les mariages surtout en milieux urbains.
Dans le droit successoral musulman, la part de lhéritage accordée à la femme est égale à la moitié de la part de lhomme.
La dépendance religieuse des femmes musulmanes vient ainsi dêtre démontrée. Lislam reste une affaire dhommes. Ceci pour dire en définitive que linterprétation de lislam maintient la femme dans une position dinfériorité par rapport à lhomme. On sexplique mieux pourquoi les préceptes de lIslam sont jugés discriminatoires à toute évolution des conditions féminines.
En matière de législation foncière, les femmes ont toujours eu des droits inférieurs en ce qui concerne la terre. Dans le système foncier traditionnel, leur accès à la terre sest posé avec acuité car les femmes ne pouvaient pas être chefs de terre mais par la force des aléas, elles pouvaient se retrouver borom keur (chef de famille). Au cours de la parenthèse coloniale, les dispositions foncières nont presque pas bouleversé les pratiques coutumières paysannes. Les femmes, qui jadis, dans lespace sénégambien sadonnaient aux cultures vivrières comme le mil et le coton, se sont vues réduire les opportunités daccès à la terre au profit des cultures de rente allouées aux hommes. Dans les mentalités, sest installée la logique selon laquelle léconomie agricole générée par les cultures de rente devait bénéficier aux hommes de manière exclusive, pendant que la femme, exclue de toute transaction commerciale, sétait vu accorder des parcelles cultivables dérisoires juste pour la satisfaction des besoins de familiale.
Nous avons pris tous ces exemples pour montrer les tares de la société créées souvent par une volonté aveugle de perpétuation des coutumes analysées comme étant négatives sur lévolution égalitaire des sexes dans une société soucieuse de réduire les inégalités.
En plein début du troisième millénaire et de lère du modernisme triomphant, tant quon restera sur cette représentation traditionnelle, dans laquelle la dimension publique et privée de lhomme tendra à éclipser la femme jusquà la rendre invisible sinon insignifiante, le politique et la gestion publique seront toujours dominés par les hommes qui ne se priveront pas de régenter en bonus lespace domestique.
B/ La masculinisation de lespace public et domestique ou la suprématie de lhomme
Dans les sociétés traditionnelles sénégalaises, le politique était un domaine presque exclusivement masculin et sexprimait en terme dautorité, de contrôle et de domination. De fait ou institutionnalisée, la domination de lespace politique par les hommes était une règle, même si les femmes ont pu jouer un rôle politique lié à la transmission du pouvoir par le matrilignage.
La politique constitue t-elle le dernier rempart de la virilité ? La politique serait-elle une pratique masculine qui renvoie à un imaginaire masculin ?
La réponse à ces questions nous permettrait de trouver les raisons pour lesquelles les hommes, pas seulement sénégalais mais dans le monde, résistent si bien et si longtemps à partager équitablement et démocratiquement le pouvoir et lespace politique.
Ce contexte idéologique de domination masculine relève dun rapport dinégalité dans la conception des croyances sociales et religieuses. Cette conception exerce un poids contraignant sur les relations entre sexe. Cest ce qui explique que lautorité masculine a eu un impact aussi bien sur la répartition des richesses et de la division du travail que sur les normes et valeurs qui déterminent les comportements sociaux.
Après lhomme et la confiscation de lespace politique, dans un autre registre, celui de la sphère privée qui conforte aussi lorganisation patriarcale de la société. Pourquoi sétonner dès lors de la masculinisation de sphères publiques et privées et de la domination de lhomme sur la femme dans la société ? Tout semble prédisposer lhomme à marquer sa suprématie sur la femme. Dans le mariage même, le système est verrouillé pour consolider cette supériorité qui flatte lorgueil mâle. La parité dans les droits familiaux doit être repensée au moment où la nouvelle Constitution consacre sans équivoque légalité entre les hommes et les femmes. Dans la pratique ces avancées du droit civil ne sont pas encore perceptibles. Cest pourquoi Penda Mbow, une enseignante du département dhistoire de luniversité de Dakar sinterroge en ces termes :
"Dans la sphère privée, les avancées du droit civil ont-elles débouché sur une véritable collégialité entre époux ?"
La réponse est assurément négative à la question de lhistorienne. Cest lEtat sénégalais qui a organisé les conditions juridiques dune société patriarcale. Nous en voulons pour preuve deux dispositions du Code de la famille adopté depuis 1972 et qui est toujours en vigueur :
- Larticle 152 confère au mari le statut de chef de famille, lui reconnaissant ainsi tous les pouvoirs sur sa famille.
- Larticle 277 consacre la puissance paternelle qui "durant le mariage est exercée par le père en tant que chef de famille".
Les tenants de linstauration de la parenté conjointe dans le Code de la famille visent essentiellement à établir ou à favoriser un équilibre de droit entre les genres au sein de la cellule familiale et, au-delà à jeter les bases dune société plus mixte et moins patriarcale. Cest pourquoi, des associations de droits de lhomme affinent leur offensive pour que le statut de chef de famille attribué à lhomme dans le Code de la famille soit substitué à un concept plus égalitaire et qui lèserait moins les droits de la femme.
Dans ce débat, la masculinisation de lespace privé et public au Sénégal et dans une large mesure en Afrique concerne le statut global de la femme dans la société. Si le phénomène de masculinisation a pu prospérer et résister au temps, cest parce que les représentations que la communauté a de la place des femmes dans son fonctionnement, ainsi que les rôles et les fonctions quexercent les représentants de chacun des deux sexes dans les institutions fondamentales de cette société, sinscrivent dans un ordre préétabli qui ne souffre daucune remise en question.
Cette vision des relations entre les deux sexes sest imposée dès lors en logique de domination masculine qui détermine toute lorganisation sociale. Cest ce que le sociologue français Pierre Bourdieu appelle la domination masculine en tant que force diffuse de linconscient collectif et énergie toujours en action dans la conscience sociale comme puissance structurante des relations humaines.
Cette domination qui a pour conséquence et origine la masculinisation de lespace public et privé constitue le point de départ dun questionnement sur la construction dune société où la femme et lhomme vivraient en parfaite complémentarité à hauteur de lhumain.
Lémergence de leadership féminin en rupture avec la logique de domination de lhomme sur lespace public et privé doit servir de clé de libération en inventant une nouvelle réalité sociale dans laquelle les femmes poseront elles-mêmes les principes dune liberté responsable dans les relations avec les hommes. Pour réussir le combat, la formation des femmes est une condition à cette libération pour une affirmation de soi.
Pierre Bourdieu, sociologue, apporte aussi un élément de réponse à la stratégie que les femmes doivent adopter pour endiguer les effets pervers de la masculinisation de lespace public et privé : investir les lieux sociaux de domination masculine et y semer dautres logiques. Il sagit pour lui de prendre les citadelles de la famille, de lécole, de lEglise et de lEtat, non pas seulement comme des lieux de production dun autre discours sur la place de la femme dans la société, mais pour convertir lhomme et son système logique à des échanges profonds sur la nouvelle société sénégalaise à bâtir.
C/ Lexclusion des femmes de la socialisation par lécole et le travail
salarié
Nous allons remonter jusquau 19ème siècle cest-à-dire bien avant la séquence temporelle retenue dans le cadre de notre étude. Déjà, lannée 1903 marque le début de lorganisation de lenseignement dans toute lAOF telle que laffirme Denise Bouche. Auparavant, il faut retenir quen 1817 la première école du Sénégal a été ouverte à Saint-Louis sous le nom de : Ecole Mutuelle des Garçons. Parallèlement, une école des filles vit le jour en 1819. Cet enseignement nétait pas organisé par ladministration coloniale mais par des religieuses, les surs de Saint-Joseph de Cluny. Les religieuses avaient pour principale mission les activités liées à lhôpital et considéraient comme une uvre de charité linstruction des indigènes.
En donnant leur bénédiction à ces religieuses, les colonisateurs français nont-ils pas montré la priorité accordée à linstruction masculine ?
Ultérieurement, la politique coloniale de formation va dans le sens dune réponse affirmative à notre questionnement, daprès la lecture que nous donne les statistiques officielles sur lenseignement dans les quatre communes en 1902 ; 647 fillettes scolarisées [358 indigènes et 289 européennes et assimilées] pour 1205 garçons, soit le double de leffectif des filles. Les préoccupations des colonisateurs étaient guidées par le souci dune formation de cadres subalternes autochtones pour servir dans les rangs de ladministration locale. Pour la première fois, nous dit Pape Momar Diop, apparaît dans le discours officiel la volonté de formation dune élite indigène capable de " conduire les sociétés indigènes au mieux-être." Ainsi, une impulsion nouvelle va être donnée à lenseignement. Dans cette étude, lauteur nous apprend que :
"les effectifs de lenseignement secondaire passe de 1500 à 4201 et celui des écoles et cours normaux de 600 à 1300 au cours de lannée 1942. Mais la proportion de lélément féminin dans cet accroissement accéléré de la population scolaire reste encore faible."
Les filles ne constituent pas une priorité dans la politique de ladministration coloniale en matière dinstruction et de travail rémunéré. Denise Bouche a jeté un regard sur la portion congrue que constituaient les filles indigènes dans les effectifs :
"Lenseignement des filles [ ] nétait reçu que par des européennes ou assimilées appartenant à des familles dune civilisation déjà supérieure".
Le pari sur lenseignement des filles sera difficile. Pour équilibrer la balance, il était prévu la création décoles pour, selon le colonisateur, "donner aux jeunes filles indigènes quelques notions intellectuelles, en faire autant quil était possible des femmes françaises par le langage, comme par le cur". Il est constaté un décalage entre la volonté et laction.
Dans les trois arrêtés signés le 24 novembre 1903 par le Gouverneur général de lAOF portant organisation de trois écoles professionnelles : lEcole Pinet-Laprade, installée à Dakar puis à Gorée en 1910 pour former des maîtres ouvriers, lEcole primaire supérieure commerciale Faidherbe à Saint-Louis pour préparer les cadres subalternes commerciaux et administratifs et lEcole normale de Saint-Louis pour la formation des instituteurs. Ces trois écoles pionnières dans la formation des premiers intellectuels de lAfrique occidentale nont jamais accueilli de filles dans leurs bancs. Quant à lEcole de Médecine, elle offrait plus dopportunité aux femmes avec sa section des sages-femmes créée en 1918 et celle des infirmières visiteuses en 1930. Pour ce qui est des institutrices indigènes, il faudra attendre la création de lEcole Normale des Jeunes Filles de Rufisque en 1938, pour que leur formation soit effective en AOF. Louverture de lEcole Normale des Jeunes Filles de Rufisque en 1938 marque dans ce sens le début dun statut plus valorisant de la formation des femmes indigènes en AOF. Concernant les filles, lorsquun système éducatif a été mis en place par le colonisateur, leur scolarisation a été subvertie par le modèle domestique qui favorise les tâches ménagères. Autrement comment expliquer le fait que les femmes aient suivi presque toutes les filières de lenseignement ménager, la puériculture, lhygiène, le secrétariat et la santé en qualité dauxiliaires ?
Dans les textes organisant lenseignement dans lAOF, aucune discrimination sexuelle nest observée sur le recrutement. Les filles ont donc théoriquement les mêmes droits que les garçons. Mais dans les écoles de hauts niveaux telles que lEcole Normale William-Ponty et la section médecine de lEcole de Médecine, pépinières de lélite ouest-africaine, aucune fille na franchi leur portail. Les filles qui ont été admises aux sections sages-femmes et infirmières-visiteuses de lEcole de Médecine nont que le certificat détudes primaires élémentaires (CEPE) et certaines ne lont même pas. Celles qui fréquentaient lEcole Normale des Jeunes Filles de Rufisque nont pas un niveau supérieur au CEPE. Le programme de lenseignement primaire élémentaire pose les germes dune différenciation sexuelle qui va être perceptible dans les orientations. Cest ainsi quen dehors du tronc commun entre les deux sexes, un enseignement des sciences naturelles appliquées à lhygiène a été dispensé aux filles notamment blanchissage, repassage, couture et cuisine.
Cet état de fait appelle à une réflexion qui accouche dune interrogation de la part de Pape Momar Diop :
"si le blocage de lenseignement de la jeune fille indigène nest pas une conséquence du contexte législatif et réglementaire en général, quelles en sont alors les causes ?"
Nous adhérons aux observations faites par ce dernier qui répertorie trois facteurs de blocage à lenseignement des jeunes filles : Les préjugés et contraintes familiales, la religion musulmane (selon lui, lislam apparaît comme le principal dentre eux) et lidéologie coloniale en matière déducation.
Pour ce qui est de la famille, les blocages constatés relèvent de légoïsme des hommes, de lindigence ou la cupidité de certains parents pour ainsi reprendre Papa Guèye Fall. Dans les mentalités, le rôle dévolu à la jeune fille daujourdhui, mère de demain ne milite pas pour son épanouissement sur le plan éducatif. Mère de famille, maîtresse de famille avec son cortège de tâches écrasantes, productrice dans les champs. La fille est préparée à assumer sa fonction dans son milieu social qui est celle avant tout de responsable de la maison. Elle doit assurer la continuité de la famille. Généralement sous lautorité de lhomme à qui elle doit soumission, la femme est lotage de lhomme soucieux de garder sa prééminence sur elle, qui se traduit finalement par un privilège conféré par la société. Alors quil est dit partout par ceux qui sont hostiles à la scolarisation des filles que leur accès à lenseignement colonial naboutira quà pervertir lordre traditionnel. Selon ces détracteurs contre linstruction des filles, lécole détruit les coutumes établies et le respect dû aux parents. Lancienne directrice de lEcole Normale des Jeunes Filles de Rufisque Germaine Le Goff nous apprend que lorsquil a fallu envoyer les filles sous la contraintes coloniales :
"les notables se riaient de ladministration en remplaçant leurs propres filles recrutées par les filles des captives".
La réticence des mères renforcée par leur ignorance vient se greffer à cette panoplie dobstacles en tout genre. Etant illettrée, la mère ignore lintérêt des études de sa fille et est incapable dencourager ses efforts. Si la mère, qui représente la source de formation prépondérante de limaginaire extérieur de lenfant est inculte, non seulement lenfant ne pourra pas acquérir une formation naturelle de base mais aussi la mère ne pourra pas lui procurer une aide déterminante pour assimiler progressivement les enseignements de lécole. Le Sénégal est un pays où le monde rural se taille la part du lion au niveau de la répartition humaine. Environ 70% de la population vivent dans les zones rurales. Il est établit que le milieu de vie de lenfant participe naturellement et pour une très grande part à sa formation, les garçons se trouvent défavorisés par lenvironnement social, à fortiori les jeunes filles.
Nous avons déjà vu que lidéologie coloniale consistait à confiner les jeunes filles à lenseignement ménager tout en sactivant à relever plus rapidement le niveau dinstruction des garçons. Mais nétait-il pas illusoire de penser que les colonisateurs allaient faire des efforts pour les femmes des colonies là où les femmes de la Métropole nétaient guère évoluées et étaient considérées elles-mêmes comme des sous-citoyennes ?
A partir des années 1947-1950, cest lapparition des premières filles bachelières qui, comme les garçons peuvent prétendre à des études supérieures en France ou à Dakar avec la création de lInstitut des Hautes Etudes.
Le développement des femmes sénégalaises et au-delà les africaines et leur participation au pouvoir de décision passe par linstruction et léducation. Cest la vision défendue par Catherine Coquery-Vitrovitch lorsquelle tranche que :
"La seule voie est léducation. Or léducation des filles est restée très en retrait de celle des garçons [ ] Aujourdhui, les trois-quarts des femmes africaines sont encore analphabètes, et dans les écoles la parité est loin dêtre atteinte entre filles et garçons : on compte en moyenne moins du tiers des fillettes scolarisées contre plus de la moitié des garçons. Lélément essentiel aujourdhui est donc léducation des filles, qui demeure la condition nécessaire pour quelles fassent reconnaître le rôle quelles jouent dans léconomie et la culture du pays".
Lintégration massive des filles dans le système éducatif dans la période post-indépendante na pas été une priorité pour les nouvelles autorités du Sénégal. Ignorantes et ignorées, les femmes seront les oubliées des politiques de développement et de la planification. Selon une étude réalisée par Fatou Diop, il ressort quau Sénégal, pendant les premières années de lindépendance, lintérêt porté à lendroit des femmes est tributaire dun instrument : lanimation qui débute en 1959. Cest ainsi que le premier centre pour lanimation des femmes a été créé à Thilogne dans le nord de Saint-Louis en 1960. Plus tard suivra louverture du Centre national de formation des monitrices déconomie familiale et lécole normale denseignement technique féminin respectivement en 1963 et 1964. On peut dire que ce sera lamorce timide de la démarche éducative dans la problématique femme.
Sagissant du volet femmes et travail, les recherches ont mis en évidence la division du travail basée sur le sexe. Cela signifie lexistence de travaux de types différents selon quon est de sexe masculin ou féminin et que du point de vue de la rémunération également le travail est apprécié en fonction du genre auquel sidentifie la main duvre.
Amina Mama a consacré une partie de son ouvrage à une revue de la littérature historique sur tous les aspects de limplication des femmes dans les différentes sphères du travail et de léconomie en Afrique. Elle fait état dun autre problème : celui de loccultation du travail des femmes. La chercheur nigériane aborde laspect des nombreuses tâches effectuées par les femmes dans la sphère domestique considérées comme quelques choses de normal telles que les travaux domestiques, la maternité, les soins des enfants, lagriculture artisanale et la production de denrées destinées aux besoins de la famille. Lessentiel du travail des femmes nest pas rémunéré quelque soit son importance pour le fonctionnement de la société. En guise dexplication à cette division injuste du travail, elle développe largument selon lequel :
"Ce sont les idéologies fondées sur le genre qui ont favorisé ce scénario dinégalité, en véhiculant des concepts tels que la générosité maternelle, le devoir conjugal de la femme et le droit quont les hommes de se faire servir et nourrir, ainsi que de contrôler les capacités de reproduction des femmes".
Nous pouvons dire sur cet aspect que linfluence de plus en plus inexorable de largument familial a fini de légitimer lémergence dune division inégale du travail basée sur le sexe dans un cadre économique formel à prédominance masculine.
A ce sujet, la période coloniale na pas mis fin à lexploitation dont sont victimes les femmes. Si lon sen réfère aux affirmations de Amina Mama :
"Lidéologie de la domesticité a servi de raison dêtre et de justification à lexclusion des femmes de plusieurs domaines du travail salarié et à loccultation du travail non rémunéré des femmes. Elle a également permis que les femmes qui travaillent dans léconomie soient sous-rémunérées".
Nous apprenons par la même source quil y avait une collusion voulue entre les africains partisans du patriarcat qui estimaient que les femmes commençaient à échapper à tout contrôle, et les autorités coloniales pour qui le contrôle du travail des femmes et des enfants par les hommes africains était nécessaire à la fois pour létablissement et la consolidation du règne colonial. Les hommes européens et africains prenaient les femmes pour des êtres inférieurs quils fallaient maîtriser et placer sous leur coupe.
Lune des rares options laissées aux femmes à la recherche demploi était de pourvoir une place en qualité de domestique rémunérée. Elles venaient pour la plupart des zones rurales de la Petite Côte (ethnie sereer) ou de la Casamance (ethnie djiola), pour exercer le métier de "bonnes à tout faire". Le travail de domestique est connu jusquà nos jours pour son faible revenu et son caractère dévalorisant et fastidieux.
Dans lexercice de leur travail, il arrivait quelles soient victimes dattouchements sexuels de la part du patron pouvant déboucher sur des grossesses non désirées. Cest pourquoi la ville de Saint-Louis, ancienne capitale de lAfrique Occidentale Française, compte beaucoup de mulâtres et mulâtresses. Cela rejoint les préoccupations de lépoque sur la prolifération des relations mixtes évoquée par la brillante étude de Amina Mama :
"Avec les tabous de lunion mixte, on considérait quil nétait pas concevable que des européens emploient chez eux des femmes africaines. Cest ce qui fait que les travaux domestiques étaient exécutés par des domestiques appelés "boys", cuisiniers ou jardiniers".
Ce problème persiste de nos jours avec le cas de certains libano-syriens qui nhésitent pas à faire des avances à leurs bonnes connues pour leur vulnérabilité et leur isolement. Cependant nous ne disposons pas de données scientifiques pour étayer nos propos collectés à partir de faits divers et narrations orales. Il est soutenu que certains libano-syriens reviennent à la maison en laissant leurs épouses dernières les comptoirs commerciaux et en donnant le prétexte de sabsenter pour régler des problèmes administratifs. Ils sont détenteurs de confortables revenus provenant de leurs activités commerciales.
Compte-tenu des différentes formes dinjustice que rencontrent les employées de maison, ces dernières ont fini par créer le syndicat des gens de maison affilié à la centrale syndicale dénommée Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS).
Il faut souligner que les femmes wolof de façon générale rechignent à accomplir des tâches domestiques avilissantes par excès dorgueil et de fierté. Sur ce plan, on voudrait souligner que dans la pratique, les sénégalais dethnie wolof traduisent dans les actes de tous les jours une certaine supériorité face aux autres composantes ethniques de la société. Les femmes wolof préfèrent être sans emploi et sans revenu plutôt que de faire le ménage ou la cuisine chez ses "nawlé" (personnes partageant les mêmes droits et devoirs vis-à-vis de la société). Cest ce qui explique que généralement, les employées de maison proviennent de lintérieur du pays ou appartiennent aux différentes castes (griots ou forgerons). Cette pratique des relations de travail porte préjudice à laccès des femmes au capital.
On peut retenir pour ce qui sagit de la politique coloniale en terme demploi féminin que les femmes étaient presque complètement exclues de tous les secteurs du travail salarié. Cette exclusion massive des femmes de lemploi formel salarié résultait dune discrimination basée sur le sexe entretenue par les colonialistes mais aussi par les africains comme le souligne Amina Mama :
"Il a été établi que les africains avaient leurs propres raisons de ne pas favoriser lemploi des femmes à des postes salariés qui sont devenus très prisés. Les Européens navaient donc pas tout à fait tort, lorsquils insistaient sur le fait que les Africains naccepteraient jamais de femmes sur leur lieu de travail, et ils pouvaient brandir cet argument pour justifier des politiques et pratiques discriminatoires qui, en réalité, favorisaient leurs propres desseins, au détriment des travailleurs africains".
Les femmes sénégalaises et de manière générale les Africaines ne se sont pas contentées daccepter cette situation qui a créé les conditions démergence dun secteur urbain informel. Ceci les a amené à déployer des stratégies visant à assurer leur propre survie économique et celle de leur famille en se lançant dans des activités qui ne nécessitaient aucune formation. Elles ont saisi lopportunité de gagner leur vie en effectuant les tâches que leur rôle dépouses, de mères et de filles les obligeaient à remplir. Cest ainsi que les Sénégalaises sont arrivées sur les trottoirs des villes à vendre notamment des produits artisanaux et de la nourriture. Le commerce était lactivité rémunératrice la plus répandue exercée par les femmes dans un contexte de main duvre uniquement réservée aux hommes et dominée par la suite par les hommes.
Ce nest quaprès lindépendance que lEtat du Sénégal a commencé à embaucher des femmes en grand nombre, bien que les modèles de discrimination basés sur le sexe aient persisté. Les avancées significatives quon peut noter pour les femmes dans ce Sénégal post-indépendant est laugmentation des filles dans le système éducatif et scolaire. Ainsi certaines des obstructions posées par ladministration coloniale à lemploi des femmes dans le secteur public allaient être levées progressivement. Malgré cela, les femmes resteront sous-représentées dans le secteur du travail salarié du fait dun certain conservatisme sexiste. Même après laccession du Sénégal à la souveraineté internationale, les inégalités persisteront aussi bien dans le système éducatifs que dans lemploi formel en donnant raison à Amina Mama dans ce passage de son étude :
"Le nombre dhommes dépassant de loin celui des femmes dans presque tous les secteurs, exception faite de quelques secteurs choisis. Il sagit notamment des secteurs conformes aux notions coloniales de féminité : restauration nettoyage, secrétariat, enseignement et profession dinfirmière".
Il faut noter que cette infériorité numérique des femmes sénégalaises et leur occupation de postes subalternes dans la fonction publique sont imputées en partie à leurs charges familiales qui entraînent une diminution de leur performance et de leur disponibilité. Sur cet aspect, la réflexion de Amina Mama mérite dêtre soulevée :
"Alors que la pénétration du capitalisme a introduit des changements dans la main duvre, comprenant la participation accrue des femmes, elle na apparemment pas affecté les relations patriarcales qui ont prévalu au sein des ménages depuis les temps précoloniaux et coloniaux".
Pour conclure ce thème, nous dirons que vu, les faibles perspectives daccès aux emplois salariés, les femmes sénégalaises se sont ruées dans les activités génératrices de revenus pour suppléer le salaire du mari ou du père si elles ne deviennent pas tout simplement principales soutiens de famille. Doù limportance daccorder une assistance logistique aux micro-entreprises féminines informelles afin que leurs activités atteignent une plus grande capacité commerciale.
Chapitre 3 : Le vote des femmes au Sénégal de 1946 à nos jours
A/ Généralisation du droit de vote aux femmes
Nous allons commencer en relevant quelques facteurs qui ont joué un rôle important dans lhistoire du droit de vote des femmes en France. Ce détour par le cas français est envisagé dune part parce que de la volonté de la puissance coloniale française dépendait le sort des sénégalaises. Et dautre part, nous voulons mieux comprendre les raisons circonstancielles brandies à lépoque par le colonisateur pour refuser dabord la citoyenneté politique aux femmes sénégalaises avant de laccepter pour les natives des quatre communes (Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis).
Selon Pierre Rosanvallon dans sa réflexion sur la spécificité française "il y a ainsi deux modèles daccès à la citoyenneté politique pour les femmes. Dun côté, le modèle français qui sinscrit dans une économie générale du processus dindividualisation, dans lequel lobtention du suffrage est liée à la reconnaissance du statut dindividu autonome. De lautre, le modèle anglo-saxon qui inscrit le vote des femmes dans une perspective sociologique globale de représentation des intérêts".
Si nous intégrons bien la pensée de Pierre Rosanvallon dans cette citation, cela reviendrait à dire que dans les pays anglo-saxons, les femmes sont admises à voter du fait quelles font valoir leurs préoccupations dans la vie politique. Ce nest pas donc en tant quindividu tout court mais en tant que femmes représentant les intérêts spécifiques dun groupe quelles ont obtenu le droit de vote. Lauteur lidentifie comme une théorie utilitariste.
En suivant le raisonnement de lauteur précité les origines du droit de vote en France sont opposées à celles des pays anglo-saxons. Cest le principe dégalité politique commun à tous les français sans distinction de sexe qui a fait céder le législateur français. Cest ce que lauteur nomme lapproche universaliste à la française. Il faut souligner que cet universalisme français était une contrainte pour le vote des femmes dans le sens où les femmes nétaient pas considérées comme des individus à part entière : "en étant identifiée à la communauté familiale, la femme est dépouillée de lindividualité".
On en conclut que la contrainte majeure au suffrage des femmes françaises réside dans la difficulté à considérer à la considérer comme un individu en raison de la particularité de son sexe.
Les mêmes raisons qualifiées de sociologiques évoquées pour motiver le refus au droit de vote des femmes en France seront purement et simplement transposées au niveau des colonies une fois la question réglée en métropole. Il était utile de rappeler les préjugés négatifs dont ont été victimes les femmes françaises dans leur histoire démocratique. De ce point de vue, on pouvait sattendre à ce quelles sassocient au combat des femmes du Sénégal.
Les Sénégalaises concernées par le bénéfice de la citoyenneté française, étaient celles qui jouissaient depuis la naissance de la loi du 22 septembre 1916 publiée dans le J.O.A.O.F page 675, autrement dit celles nées dans les quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque). Elles avaient toutes les difficultés à faire valoir la jouissance de droits civiques et politiques identiques à ceux des françaises dorigine. Lésées dans leurs droits tel que le révélait la pratique, les femmes du Sénégal de statut français étaient décidées à revendiquer les droits que leur conférait doffice leur rattachement à la France.
De façon arbitraire et en porte-à-faux avec lesprit républicain, la France avait décidé de reconnaître deux types de citoyens. Dun côté, les citoyens originaires de la métropole qui ne souffraient daucune contestation dans lapplication de leurs droits tel que définit par la loi et dun autre les citoyens originaires des colonies et autres dépendances françaises pour lesquels on notait des manquements entre les droits réels des sujets français (appellation donnée aux autochtones des quatre communes) et ceux des authentiques déterminés par lappartenance à la race blanche.
A loccasion de la réorganisation des pouvoirs publics en France après la libération, une ordonnance est signée le 21 avril 1944 à Alger au siège du Comité français de Libération Nationale. LAssemblée Constituante pourra être élue un an après la libération. Pour la première fois de lhistoire politique de la France, le droit de vote est concédé aux femmes françaises résidant en métropole comme le dit larticle 17 de lordonnance du 21 avril 1944 :
"Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes".
Le 13 juin 1944, le Commissaire aux colonies du Gouvernement Provisoire dAlger, René Pleven envoie un télégramme au Gouverneur général de lA.O.F Cournarie pour lui demander quel sort était réservé au vote des Sénégalaises de droit français et les Françaises résidant dans les colonies car lordonnance était muette à ce sujet. Néanmoins cette ordonnance spécifie de façon vague et sans préciser de délais dans le temps que des décrets à prendre ultérieurement détermineront :
"Les conditions dapplication et la mise en vigueur de la présente ordonnance en Algérie ainsi que dans les territoires relevant du département des colonies".
Le 1er juillet 1944, le Gouverneur général Cournarie fait parvenir sa réponse au Commissaire aux colonies René Pleven. Il lui exprime sa réticence à voir les femmes sénégalaises accéder au scrutin. Il jugeait quelles nétaient pas assez évoluées et quil ne fallait surtout pas que :
"( ) Lerreur politique commise par les hommes de 1848 (suffrage universel pour lélection dun député à lAssemblée nationale) lorsquils ont accordé en bloc aux indigènes de nos établissements du Sénégal le même droit de suffrage quaux français de la métropole ( )".
Cournarie était de ceux qui pensaient que les colonies devaient évoluer lentement, mais pas au même rythme que la métropole. Ce refus daccorder lémancipation politique aux femmes autochtones prouverait au besoin quil fera tout ce qui est à son pouvoir pour ralentir lacquisition du droit de vote aux femmes. Il motivait son refus par la crainte de voir les Européens mis en minorité dans les représentations électorales locales. Il nhésitera pas à brandir la fibre religieuse en envoyant, le 12 octobre 1944, un télégraphe au Ministre des colonies pour contrecarrer toute décision favorable au vote des femmes sénégalaises dans lequel il écrit que :
"Sujets français musulmans Sénégal sont émus par nouvelle que vote serait accordé aux femmes pour prochaines élections ; stop. Ils déclarent la loi coranique ne le permet pas et que si réforme était étendue Sénégal ils lempêcheraient par tous moyens".
Les journaux de lépoque sen donneront à cur joie en se faisant léchos dune polémique qui agitait la distinction faite entre les vrais marabouts préoccupés par Dieu et les affaires religieuses et les soi-disant marabouts emmêlés par la politique et obnubilés par les retombés de leur connivence avec les autorités coloniales. Dans sa réponse du 23 octobre 1944, René Pleven fait savoir à Cournarie quil nétait nullement dans lintention du gouvernement français détendre le droit de vote aux sénégalaises et partant, le charge de rassurer le milieu musulman.
La Direction générale des affaires politiques administratives et sociales rame à contre-courant des manuvres déviationnistes du Gouverneur général Cournarie. Elle craignait en fait une rébellion et ne manqua pas de tirer la sonnette dalarme en mentionnant par voie télégraphique au Commissaire des colonies le réchauffement des esprits :
"Certaine animation commence à se manifester milieux Sénégal et Dakar suite informations presse annonçant ouverture élections générales février 1945 stop si ces informations exactes intervention urgente décret fixant modalités application locale ordonnance 21 avril 1944 serait indispensable raison nécessité mettre au point en temps voulu opérations préparatoires et notamment révisions listes électorales".
Dans une autre correspondance datée du 26 octobre 1944, Cournarie tente de convaincre définitivement le Commissaire aux colonies du bien fondé de ses appréhensions. Cette tactique dexclusion visait la défense des intérêts des colons qui risquaient dêtre battus aux élections. Arithmétiquement, si on additionne les voix de lélectorat masculin autochtone à celui de leurs surs sénégalaises, Cournarie anticipe déjà les vexations que ne manqueraient pas de causer une telle éventualité chez les colons, qui évitent au passage toute mesure qui peut écorner leur autorité sur les colonisés :
"Les autochtones affirment une tendance de plus en plus nette à faire prédominer leur propre point de vue dans les affaires publiques. Quand il participe aux élections lautochtone ne vote généralement que pour un africain et si certaines catégories de sujets français se trouvent réunis à des citoyens pour former un collège électoral, les voix des sujets, alliées à celles des citoyens autochtones iront à coup sûr aux candidats africains. Ainsi de plus en plus ( ) lélément européen peut se trouver complètement évincé des assemblées représentatives du lieu".
Quelques semaines plus tard, une autre ordonnance est prise par le Ministère des Colonies en France, le 20 novembre 1944 exactement. Lordonnance en question faisait bénéficier à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion les dispositions de lordonnance du 21 avril 1944 portant acquisition du vote des femmes françaises. Ce nouvel élargissement des droits des femmes colonisées dOutre-Mer était de nature à creuser davantage la discrimination et la marginalisation dont se sentaient victimes des femmes autochtones du Sénégal.
La bienveillance des autorités coloniales allait sélargir davantage en octroyant le droit de vote cette fois-ci aux citoyennes de la Guyane et de Madagascar par décret du 19 février 1945, publié deux jours après dans le journal officiel. Même les préoccupations des femmes françaises vivant hors de la métropole seront dorénavant tenues en considération dans les élections locales. En effet, le tout puissant Ministère des colonies venait de soumettre à lappréciation de lAssemblée générale du Conseil dEtat le projet de texte du décret concocté par Cournarie et proposé par le Commissaire aux colonies René Pleven, en sa séance du 8 février 1945. La veille de ladoption du décret, Cournarie prend soin de sauver les apparences en conseillant à Pleven quil serait préférable déviter de citer dans la formulation lorigine des citoyennes autorisées à voter, quitte à employer une formule plus générale susceptible dans son idée de divertir sinon de détourner lattention des exclues du vote que sont les Sénégalaises. Cournarie indique par la même occasion à son supérieur hiérarchique que Lamine Guèye commence à sagiter en faveur du vote des femmes.
En effet, en sa qualité de président de la fédération socialiste S.F.I.O et secondé par Charles Graziani président du parti socialiste sénégalais, Lamine Guèye écrit le 17 janvier une lettre au délégué de lA.O.F. à lAssemblée consultative provisoire dAlger Monsieur Kaouza de passage à Dakar. Il linvite à intervenir rapidement et énergiquement auprès du gouverneur général Cournarie pour que tous les citoyens français (hommes et femmes) puissent bénéficier des même droits électoraux que ceux de la métropole.
Cest dans un tel contexte de résistance passive quest promulgué en A.O.F le premier mars le décret du 19 février 1945 qui mentionne dans son article 4 :
"Seront inscrites sur les listes électorales de leur résidence coloniale actuelle les citoyennes françaises résidant en Afrique Occidentale Française et au Togo qui, en vertu de la législation applicable aux citoyennes originaires de la métropole, de lAlgérie, des Antilles, de la Réunion, de la Guyane, de Madagascar, de la Nouvelle Calédonie et des établissements français de lOcéanie, auraient pu prétendre à leur inscription sur une liste électorale de la métropole ou de lun de ces territoires. Elles seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les citoyens français".
Le décret montre clairement que les citoyennes africaines y compris donc les femmes sénégalaises sont exclues des scrutins pendant que leurs surs de souche française aussi bien celles résidant en France que celles vivant dans les territoires dOutre-Mer et en A.O.F pouvaient accéder librement aux élections. On serait tenté de croire quen ces années 1944-1945, il nexistait pas dillettrés en France pour que Cournarie exige un certain degré dévolution et dinstruction comme condition daccès des sénégalaises au vote. Il nen fallut pas davantage pour déclencher lire des sénégalais tel que lécrivent Saliou Mbaye et Bernard Lacroix :
"Cette discrimination ne pouvait pas ne pas choquer dautant que toutes les autres femmes de lEmpire exceptées celles de lAOF et de lInde étaient admises à participer aux élections. ( ) Cen était trop et lopinion ne tarda pas à se manifester !"
Accorder un droit aux métropolitains tout en le privant aux résidents cest lindélicatesse provoquée par le décret du 19 février 1945. Cette disposition au caractère vexatoire pour le milieu indigène va susciter des attaques non voilées et autres revendications musclées contre lautorité coloniale. Les intellectuels africains commencent à sémouvoir de labsence de droits politiques des femmes dites autochtones. A travers un article de presse, Jean Silvandre sadresse au Gouverneur général Pierre Cournarie en lui faisant savoir :
"Que la femme sénégalaise, bien que non électrice, sest de tout temps intéressée aux choses de la politique dans les communes de plein exercice se formaient, à lépoque des élections, des unions ou groupements de femmes qui manifestaient ouvertement et parfois de façon passionnée leur préférence politique".
Dans la série de protestations, on enregistre celle faite le 19 mars 1945 par Gaspard Ka Ali un notable de Dakar qui se lance dans lévocation de faits historiques qui viennent selon lui corroborer sa conviction à reconnaître la maturité politique des femmes sénégalaises à participer pleinement aux joutes électorales :
"Lévolution politique de nos femmes se révélait déjà en 1871 lors des premières élections législatives de la colonie où elles manifestèrent leur sympathie au député Lafon de Fongaufier qui fût élu, battant tam-tam et chantant en son honneur chansons qui sont encore légendaires dans le pays. Depuis lors elles ne cessèrent de sintéresser à la politique, formant des comités, versant des cotisations et exhortant les hommes pour quils ne faillissent pas à leur devoir délecteurs, raison pour lesquelles leur maturité politique est certaine à mon avis".
La campagne pour le vote des sénégalaises fait surgir les idées nationalistes de Papa Guèye Fall, ancien combattant qui évoque ses souvenirs denfance aux relents nostalgiques en guise de soutien au combat qui agite cette colonie française :
"La femme sénégalaise prit de tout temps une large part aux luttes électorales et souvent son influence se fit sentir sur le choix des élus et ce nétait pas celui qui à prix dor achetait les consciences qui triomphait ( .). Je me rappelle, tout enfant, les cortèges des femmes parcourant les grandes artères de la ville de Saint-Louis chantant des chants quelles avaient composés à la louange du candidat de leur choix cependant quelles maltraitaient son adversaire. Je me rappelle encore à loccasion de chaque élection les charges de police qui étaient lancées aux abords de la mairie de Saint-Louis pour disperser les attroupements de femmes qui ne voulaient aller se coucher avant davoir connu le résultat du scrutin. La mesure dexception qui prive la femme sénégalaise de droit de vote est donc dautant plus sensible que son éducation politique est avancée ( ). Nous croyons fermement quaccorder lélectorat et léligibilité à la citoyenne noire ne pourraient engendrer que du bien ( ). Elle serait pénétrée plus que jamais de la nécessité de sinstruire ( ). Ce que le foyer indigène y gagnerait saute aux yeux : élévation de la condition de la femme, meilleure harmonie entre les conjoints, éducations des enfants mieux comprise et mieux assurée. Le droit de vote enfin rehausserait la femme noire dans le milieu social où elle évolue en en faisant légale de lhomme devant la loi électorale ( ). Au Sénégal le vote des femmes est donc un instrument sûr de progrès moral, intellectuel et social".
Le début de lannée 1945 marque le démarrage de la campagne en faveur du vote des femmes sénégalaises, exacerbé par limminence des élections générales annoncées pour la période postérieure au 1er avril 1945. Face à ces premières échéances électorales de laprès deuxième guerre mondiale, les Sénégalais qui ont été fortement acquis aux idéaux dégalité au sortir de la guerre, nentendent plus assister passivement à lexclusion de leurs surs pour lélection des conseillers municipaux et généraux. Celui qui est considéré comme le fer de lance de cette bataille politique nest autre que le premier avocat noir de lAfrique française au Sud du Sahara et leader de la Fédération socialiste S.F.I.O du Sénégal, nous voulons nommer Me Lamine Guèye. A partir de janvier 1945, Lamine Guèye sinvestit ouvertement dans la défense du droit de vote des femmes nées dans les 4 communes ou encore dans les communes dites de plein exercice au nom de légalité devant les lois entre les citoyens dune même république en écartant tout critère géographique. Lamine Guèye, a su très tôt tirer profit du succès de lengagement politique de la gente féminine et son corollaire leur poids électoral, pour avoir été élu dès 1925 premier maire noir de Saint-Louis du Sénégal. Les femmes ont commencé à se réunir sur le plan politique sous Lamine Guèye.
Une femme renommée par sa notoriété et sa capacité de mobilisation avait déjà déblayé le chemin de sa vie politique à ses débuts à Saint-Louis. Cest sa cousine Soukeyna Konaré qui marqua fortement lhistoire politique des femmes dans la ville de Saint-Louis du Sénégal du fait de la position stratégique quoccupait lancienne capitale de lAfrique Occidentale française. Elle tient sa popularité du rôle de premier plan quelle a joué dans laffirmation de son cousin Lamine Guèye comme leader politique. Soukeyna Konaré fût à lorigine de la mobilisation de lélectorat féminin à un moment de lhistoire politique du Sénégal jugé décisif et où lélite africaine exigeait dassumer le pouvoir politique en lieu et place des métis et des européens. Tous les ténors de larène politique de Saint-Louis, cherchèrent la collaboration de Soukeyna Konaré parmi lesquels on peut citer : Blaise Diagne , Galandou Diouf, et surtout son cousin Lamine Guèye au côté duquel elle donna toute la mesure de son engagement.
LAssociation "Soukeyna Konaré" du nom de la présidente de cette structure organisait des soirées dansantes suivies de thé. Pour soutenir la campagne politique de son cousin Lamine Coura Guèye. Déjà en 1930, lors dune réunion politique, Soukeyna Konaré exhortait lorgueil de Lamine Guèye en lui disant :
" Si tu es le digne descendant de Bacar Waly Guèye .tu ne devrais pas avoir peur si tu recules donne-moi ta place et tu verras comment une femme se conduit".
Fort de jouir de toute cette sympathie auprès des femmes, Lamine Guèye comprend tout lenjeu de la lutte pour lextension du droit de vote aux femmes indigènes. Sous son instigation, une série de manifestations sera organisée à Dakar et à Saint-Louis, en compagnie de deux français Charles Cros et Charles Graziani. Ils réclament avec insistance légalité des droits entre les femmes blanches et noires. On retiendra que ce sont les hommes qui sont à lorigine du combat pour lobtention des premiers droits politiques de la femme. Sous limpulsion donc des hommes, les femmes autochtones ne tardent pas à faire leurs la revendication de leur propre droit de vote.
Ainsi leffervescence débute avec la réunion organisée le 5 mars 1945 dans le quartier dakarois de Yakhe Dieuff, situé dans lactuel centre ville, par le comité des femmes indigènes qui exigent leur participation au vote ou la suppression tant pour les citoyennes françaises de la métropole et des départements français que pour celles de passage dans les colonies. Autrement, elles considéreraient cette disposition comme étant une disposition raciale. En disant cela, elles invoquaient un attachement à la France et aux droits séculaires qui y avaient cours. Du point de vue de la mobilisation à Dakar, il ny a eu que deux réunions. Cette léthargie des manifestants de Dakar est imputée à labsence de leur leader Lamine Guèye du territoire sénégalais et des actions souterraines entreprises par Goux pour faire échouer la manuvre dun vote féminin à la sénégalaise. Le maire de Dakar de lépoque Goux soppose à lextension du vote aux femmes indigènes pour ne pas risquer de compromettre définitivement ses chances de se maintenir à la tête de la municipalité de Dakar. Les conseillers municipaux qui lui sont favorables traînent les pieds pour voter des motions de protestations au Gouverneur général.
Contrairement à Dakar, Saint-Louis redouble dardeur en organisant meeting sur meeting. Cest dans cette ville que la détermination dans la lutte sera la plus perceptible en raison de la position sans équivoque de la municipalité et des associations patriotiques. Dans le cadre de ces manifestations pour le droit de vote des femmes, les agents des services de sûreté vont espionner les faits et gestes des populations et tiennent informés les autorités de lévolution de la situation.
Cest ainsi que le Cabinet du Gouvernement du Sénégal sest vu adressé un courrier estampillé "CONFIDENTIEL". Dans cette correspondance secrète, il est fait état dune réunion publique qui sest tenue à Ndar-Toute dans la cour de lécole Alfred Dodds. On y comptait environ 200 femmes. A cette occasion, Amadou Cissé, président de la Délégation Municipale prit le premier la parole pour inciter les femmes à venir nombreuses au meeting de protestation qui sera organisé le lendemain dans la salle de cinéma REX à Saint-Louis.
A linstar des autres groupements qui se sont constitués par habitants de la même région, les Saloum-saloum se signalent le 5 mars 1945 par la voix de Ibrahima Seydou Ndaw, alors secrétaire général de la section kaolackoise de la S.F.I.O. Dans un télégramme, il griffonne quelques mots de protestation à lattention du chef du gouvernement français dont voici la teneur :
"Au moment où les démocraties triomphent contre le nazisme et toutes les injustices quil engendre, au moment où le droit et la justice semblent imposer le silence à la force et à larbitraire ( ). Incidence fatale pareille exclusion sera échec toutes candidatures noires notamment Dakar devant votes seules citoyennes race blanche et élimination élément noir sein assemblées locales voire même députation ( )".
Le service des renseignements basé à Kaolack adresse une correspondance en date du 4 avril 1945 à lAdministrateur des Colonies pour porter à sa connaissance le vif mécontentement de la population indigène, suscité par le décret accordant le droit de vote et léligibilité à toutes les femmes citoyennes de France et des départements qui y sont rattachés à lexception de leurs surs. Linformateur continue en écrivant que les habitants de Kaolack se disent disposés à exploiter toutes les voies légales afin que les femmes sénégalaises citoyennes françaises bénéficient des mêmes droits accordés à leurs concitoyennes de France et dailleurs. Lagent des renseignements nhésite pas à relayer les menaces proférées pour attirer lattention de ses supérieurs sur la gravité des évènements :
"Ils (les manifestants) ont, en outre, décidé au cas où elles nauraient pas satisfaction, dempêcher par tous les moyens toutes autres femmes de voter".
Le 21 mars 1945, les Délégués de la population de Dakar et banlieue saisissent le Gouverneur général de lA.O.F pour lui restituer les conclusions de leur réunion tenue le dimanche précédent au Pintch traditionnel de "Yakhe Dieuff". On peut lire dans leur déclaration que les populations sélèvent avec une grande indignation contre le décret du 19 février 1945 qui exclut les citoyennes sénégalaises du droit de vote, et dénoncent son caractère anti-démocratique et anti-républicain. Les signataires de la lettre envoyée au gouverneur général de lA.O.F terminent leur propos en lui demandant dintervenir pour que leurs surs soient rétablies dans lintégrité de leurs droits avant les élections municipales locales prévues au 1er juillet 1945.
Il ne fait pas de doute que les services des renseignements composés essentiellement de colons sont débordés par la sensibilité des évènements. Situation oblige, ils épient les moindres faits et gestes des populations locales surtout si ceux-ci sagitent autour de la politique ou autres sujets de propagande contre lautorité coloniale. Ils indiquent à lattention du Cabinet du Gouvernement du Sénégal qui la conservé sous le numéro 866 à la date du 10 mars, une réunion tenue au 46 rue André Lebon chez Waly Faye. Une assistance féminine denviron 300 femmes était rassemblée. Les deux rivales politiques de toujours Soukeyna Konaré cousine de Lamine Guèye et Ndaté Yalla Fall cousine de feu Galandou Diouf y ont participé comme assesseurs pour symboliser lunité dans la lutte contre le décret. Amadou Cissé dans son allocution tient à souligner la signification de la désignation en qualité dassesseurs de deux antagonistes politiques Soukeyna Konaré et Ndatté Yalla Fall pour marquer lunion totale des femmes sénégalaises dans leurs protestations à lencontre du décret relatif au vote des femmes.
Un des européens présents à cette réunion, Maître Monville a clairement apporté son soutien en précisant quaucun texte ne permet de diminuer les droits de citoyen accordés par la loi. Les contestations viennent de toutes les contrées du Sénégal pour témoigner de lunanimité de la désapprobation.
Dès le 7 mars le gouverneur général de lA.O.F. Cournarie semble pour la première fois entrevoir la virulence des réactions qui se profile à lhorizon. Il décide alors de sen ouvrir au Ministre des colonies et lui envoie un télégraphe dans lequel il lui tient pour la première fois un langage qui traduit lurgence daccéder favorablement au vote des femmes sénégalaises :
"Agitation à Dakar et à Saint-Louis atteint certain degré de violence stop cette agitation est menée par Lamine Guèye et Graziani et soutenue par le parti socialiste sénégalais et front national, et à Saint-Louis par certains associations patriotiques stop certains indices me laissent supposer action étrangère et en particulier américaine à influence réelle stop ( ). Je demeure personnellement convaincu que femmes sénégalaises ne sont pas encore prêtes à participer vie politique et quelles se désintéressent absolument de la question stop mais agitateurs se sont emparés de la chose et en font arme contre la France. Devant ces considérations je suis donc amené à vous proposer étendre droit de vote à femmes sénégalaises".
Cournarie qui semble pris à son propre piège, cherche un alibi pour ne pas perdre la face. Il trouve prétexte en invoquant une immixtion américaine pour expliquer son empressement à consentir au vote des femmes sénégalaises :
"une propagande dorigine essentiellement américaine sétait manifestée. En effet, les hommes de couleur dorigine américaine qui résidaient au détachement daviation de Yoff eurent de très nombreux contacts avec la population indigène. Au cours dune réunion publique tenue le 3 mars, lun des orateurs déclara : si nos femmes ne sont pas admises aux urnes, nous ferons cadeau de notre bulletin de vote aux Américains. Cette attitude américaine joua en partie dans lextension du droit de vote à lensemble des femmes citoyennes françaises dans la mesure où Paris pouvait difficilement mettre en cause sous les yeux des Américains les principes mêmes de son action démocratique".
Les interventions vont se déployer sur un autre terrain. Charles Cros, un français en fonction à Saint-Louis au poste dInspecteur de lEnseignement Elémentaire annonce son départ pour Paris le 21 mars 1945 pour aller négocier directement le droit de vote des femmes sénégalaises auprès du Ministre des colonies. Quelques jours après son arrivée, il envoie un télégraphe daté au 2 avril à Lamine Guèye pour lui faire part de ses premiers résultats :
"Après dix jours démarche ( ) ministre des colonies favorable mesure de justice, mais attend dernières propositions gouverneur général auprès de qui urgent Saint-Louis, Dakar, Rufisque fassent ultime intervention avec plus vive insistance afin que réponse gouverneur général reflétant état desprit réel population du Sénégal permette ministre prendre décision attendue. ( )".
A Dakar, les réunions politiques se multiplient et lexcitation des populations indigènes est perceptible. Informé de cette évolution par interception du télégraphe que Charles Cros a envoyé à Lamine Guèye, le ministre des colonies envoie un télégramme au gouverneur général pour lui dire que :
"si une menace de violence se précisait et sil apparaissait que lemploi de la violence fût inévitable vous devriez, sous votre responsabilité, apprécier lopportunité daccorder ou non en dernière analyse le droit de vote ( ) en définitive la solution est entre vos mains".
Saisissant cette brèche, le gouverneur général de lA.O.F télégraphie le 12 avril 1945 au ministre des colonies, après avoir consulté le gouverneur du Sénégal Dagain et lAdministrateur de la circonscription de Dakar, pour donner son accord sur le droit de vote des femmes sénégalaises :
"Lattribution du droit de vote aux femmes sénégalaises intervenant dans la période actuelle de calme marqué susciterait un sentiment de reconnaissance sincère envers la France ( )".
Le lendemain 13 avril, Lamine Guèye se rend à Paris après que Charles Cros ait déblayé le terrain et obtenu les premiers signes de succès. En réponse au gouverneur général, le ministre Giaccobi donne une issue définitive à cet épineux problème. Il sengage à soumettre le 17 avril même en Conseil dEtat lannulation de larticle 4 du décret du 19 février 1945 en le remplaçant par celui-ci :
"Les femmes citoyennes françaises sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les citoyens français".
La bonne nouvelle se répandit très vite mais il faudra attendre le 6 juin 1945 pour que le décret soit promulgué en A.O.F.
Charles Cros qui sest battu bec et ongle pour laboutissement de la cause des femmes se verra éclipser par Lamine Guèye lorsquil sagira de récupérer les retombées politiques de la victoire. Son appartenance à la race blanche portera ombrage à ses ambitions politiques pendant ces moments de revitalisation de la fierté nègre à assumer son destin.
Lamine Guèye en tire un grand prestige car les populations estiment son intervention décisive. Lenjeu des élections municipales qui se profile à lhorizon laisse penser que loffensive stratégique mené par Lamine Guèye pour le vote des femmes sénégalaises nest pas dépourvue darrières pensées électorales. Mais il fallait taire lopportunisme politique au nom des idéaux de justice. Labsence de document concernant la réaction des femmes sénégalaises sur leur droit de vote nouvellement acquis, ne nous permet pas de faire des commentaires sourcés. Mais on peut deviner aisément que cétait une joie collective. Cet engagement de Lamine Guèye auprès des femmes va-t-il servir à promouvoir les droits politiques des femmes par leur positionnement dans les instances électives et de prise de décision ou bien seront-elles toujours assignées aux rôles danimatrices des partis politiques et de porteuses de voix électorales ?
B/ Les femmes, un enjeu électoral dabord
Jusque-là les femmes se mobilisaient en masse derrière les hommes seuls habilités à occuper des fonctions politiques. Le rôle des femmes se limitait à rythmer la vie des partis par leurs applaudissements et leurs danses. Il en a toujours été ainsi depuis des temps immémoriaux. Le vingtième siècle finissant a façonné une autre femme citoyenne consciente de ce quelle représente de par son droit de vote et la nouveauté dans cette mutation de la femme est le profit quelle peut tirer de son poids électoral par des négociations fines pour occuper des positions stratégiques dans les arcanes du pouvoir. Même si une contrainte majeure a longtemps entravé la marche des femmes vers les arènes politiques comme lexplique Katy Cissé Wone :
"Une autre caractéristique du jeu politique semble avoir participé à lexclusion des femmes de lexercice du pouvoir. En effet le caractère viril et musclé du pouvoir était très marqué et la violence sanguinaire était devenue un des moyens essentiels de lexercice du politique. La violence était une donnée constante des rivalités du jeu politique. Ce mode de dévolution était dans une certaine mesure une entrave à la pénétration des femmes à conquérir le pouvoir. Sans vouloir tomber dans les travers de lenfermement et de la catégorisation des individus dans les limites de leur genre, nous pouvons affirmer que la violence politique a été une pratique essentiellement masculine à travers lhistoire...".
Nous allons commencer à étudier lenjeu électoral des femmes à partir des premières élections qui ont suivi leur droit de vote et donc leur participation. Les électeurs vont choisir entre les trois candidats mis en compétition pour faire élire une liste de 34 conseillers :
Le Maire Goux sait déjà quil ne bénéficiera pas du vote des sénégalaises et plus globalement des populations indigènes qui pensaient ainsi saisir loccasion de mettre fin à larbitraire des élus européens. Lamine Guèye, lui, fort du soutien des femmes dorigine sénégalaise se consacre allègrement à sa campagne électorale. A Dakar, la donne politique nest plus la même pour Lamine Guèye car en plus du soutien des femmes, il bénéficie du soutien de la communauté Lébou à laquelle il appartient et qui la investie et de la jeunesse.
Lors des élections municipales du 1er juillet 1945, les femmes vont avoir loccasion de tester leur poids électoral pour la première fois. Les résultats sont concluants puisque le vote des sénégalaises va modifier considérablement le corps électoral des municipales. Le décompte des voix électorales montre que les femmes ont constitué environ 21 % des suffrages exprimés à Dakar correspondant à 3066 électrices, soit plus que les 2785 suffrages des européens parmi lesquels près de 500 femmes qui ne prendront quune faible part au scrutin.
Les résultats des élections municipales du 1er juillet 1945 sont venus sans surprise confirmer le rôle éminent des femmes sénégalaises sur la victoire éclatante de Lamine Guèye. Sur un nombre dinscrits de 16 900 dont 3 066 femmes indigènes et 845 européennes, 9 800 ont rempli leur devoir de citoyen. Ont obtenu Lamine Guèye 8 590 voix, Alfred Goux 951 voix et Graziani 240 voix. Lamine Guèye est élu dès le premier tour en battant son suivant Goux de 7539 voix. Cette victoire des municipales de 1945 conforte aussi la domination du parti de Lamine Guèye, Bloc Sénégalais ou section sénégalaise de la S.F.I.O, sur léchiquier politique local de 1945 à 1953. Un rapport de synthèse de la direction de la sûreté commente le déroulement du scrutin :
"Il y a lieu de remarquer que les femmes indigènes votèrent en nombre imposant avec calme et discipline, quaucune européenne ne se présenta dans les salles de vote enfin que les Européens ayant voté furent peu nombreux".
Le commandant de cercle du Bas-Sénégal dans son rapport au gouverneur du Sénégal ajoute que :
"Pour la première fois les femmes sénégalaises étaient admises au vote. Ce sont elles dailleurs qui ont montré le plus de discipline et il nest pas douteux que leurs votes massifs aient fait triompher la liste Lamine".
Le vote des femmes sénégalaises en 1945 a créé un changement de mentalité de la classe politique. Cest le point de départ de leur prise de conscience à une participation effective à lère politique qui souvrait. Les femmes sont désormais recherchées pour le rôle quelles peuvent jouer dans le déroulement et lissue des scrutins. Elles deviennent un enjeu électoral et une force politique susceptibles, par son engagement, de donner un visage nouveau aux consultations électorales. Cest pourquoi après 1945 tant la S.F.I.O. que le B.D.S. auront soin de constituer des comités de femmes dont le rôle mobilisateur na cessé de croître.
Cependant malgré tout leur soutien décisif et laffirmation de lenjeu électoral indiscutable dont elles sont porteuses, seules deux femmes candidates seront élues dans les Conseils Municipaux. Fait historique qui marque lélection pour la première fois dune femme à la fonction de Conseillère Municipal, au sein de la Colonie du Sénégal et de la Circonscription de Dakar et Dépendances. Il sagit de Madame Gaspard Ka Ali, épouse du Notable, qui siègera à la ville de Dakar. La deuxième élue sur la liste du Bloc Sénégalais à Saint-Louis est Madame Amsatou Diop. Trois autres femmes étaient candidates sur les deux listes défaites à Dakar, en loccurrence Madame Gaillard sur la liste Dioufiste et Mesdames Maguette Niang et Khady Tine sur la liste Graziani.
Depuis lors, il est certain que les femmes ont joué leur partition aussi bien dans la vie politique des partis quau cours des différentes élections sous la colonisation comme après lindépendance. Nous avons choisi danalyser lenjeu électoral quont constitué les femmes lors de la Présidentielle de février-mars 2000.
Pourquoi le choix de cette consultation parmi dautres ? Les raisons sont triples. Dune part, pour la première fois au Sénégal et en Afrique, une étude très fidèle est faite de lélectorat féminin à partir du fichier électoral, disponible sur internet, qui a le moins souffert de contestation quant à la régularité des inscriptions. Dautre part, il est établi que les femmes ont grandement contribué, chiffres à lappui, à lémergence de la première alternance politique quà connu le Sénégal indépendant après 40 années dhégémonie socialiste. Et enfin, cest la première élection présidentielle dans lhistoire politique du Sénégal qui a enregistré une candidature féminine en la personne de Marième Wane Ly Secrétaire générale du Parti pour la Renaissance Africaine (PARENA), même si cette dernière sest finalement retirée de la course.
Aissata Dé Diop, auteur de létude "Femmes, enjeu électoral : des chiffres qui parlent !", sest penchée sur lenjeu électoral indiscutable quont constitué les femmes dans cette élection annoncée comme celle de toutes les ruptures. Il est établi donc, chiffre à lappui, grâce aux données du fichier électoral mis à disposition pour la première fois sur internet à cette occasion, que les femmes représentent 51% de lélectorat sénégalais. Conscientes de limpact de leur force politique, les femmes ont battu le record des inscriptions sur les listes électorales. Sur un total de 2.619.808, elles ont totalisé 1.328.829 dinscrites. Quand on fait la radioscopie de lélectorat sénégalais, cela nous renvoie à limage suivante : les femmes sont majoritaires dans les 9 régions sur 10 que compte le pays. Dakar est lexception qui confirme la tendance nationale.
Cette supériorité numérique des femmes en matière de mobilisation électorale traduit un militantisme politique plus actif que chez les hommes. On est tenté de penser que cet engouement féminin pour exercer leur droit de citoyen, est à mettre au compte des résultats obtenus par le Collectif des O.N.G qui a organisé à leur intention une vaste campagne de sensibilisation. Aujourdhui, les femmes sénégalaises peuvent se vanter de faire basculer un scrutin dun côté ou dun autre et délir la femme ou lhomme de leur choix. Reste à savoir si ce comportement des femmes va se maintenir pour les consultations à venir. Hormis la conscience citoyenne acquise, il est impératif que les femmes se mobilisent quantitativement et qualitativement pour adopter des stratégies dynamiques aux prochains scrutins afin de consolider les acquis capitalisés au cours de cette élection de portée historique.
Face à cet enjeu électoral féminin déterminant dans lissue de la Présidentielle de lan 2000, les leaders politiques de lopposition comme du pouvoir ont-ils pris conscience de la nécessité dune implication efficace des femmes dans lélaboration et la définition des projets de société ?
Il est important aussi de voir comment contourner les facteurs discriminants à légard de la femme pour atteindre la parité sinon une meilleure intégration dans léchiquier politique ?
C/ Prise de conscience des femmes
Nous verrons au fil des paragraphes suivant que la prise de conscience est multiforme chez les femmes sénégalaises. Elle prendra sa source première dans la lutte pour lacquisition de droits civiques notamment le droit dêtre électrices et éligibles dans la société coloniale daprès deuxième guerre mondiale. Pour la première fois de leur existence, les femmes sénégalaises, après être stimulées par les hommes, prennent conscience quelles peuvent choisir leur leader et user de leur droit de voter pour imposer le candidat de leur choix. Elles ne demandaient pas mieux pour une prise en compte de leur existence en tant que femmes dabord et ensuite en qualité de membre de la société, ce qui constitue pour elles une marque de considération.
On est en mesure de se poser des questions face à cette séquence heurtée de lhistoire coloniale du Sénégal.
Ladministration coloniale a-t-elle influé sur la situation des femmes dans sa logique dacculturation et de mission civilisatrice ?
Lapparition des partis politiques importés de la métropole a réveillé un intérêt chez la femme avant même quon ne leur octroie le droit de vote. Mais force est de reconnaître que la manifestation de cet intérêt pour la politique nest pas assimilable à une prise de conscience absolue au point de revendiquer lexercice du pouvoir. Les propos de Katy Cissé Wone illustrent cette subordination ou inféodation des femmes en politique vis-à-vis des hommes :
"Dans cette époque les femmes faisaient de la politique pour leurs hommes engagés dans une rivalité partisane, ce dans un contexte de revendications assimilationnistes, puis nationalistes. Opérations de promotion politique à travers les meetings, tannebers, compositions de chants pamphlétaires destinés à saper le moral de ladversaire, boubous estampillés de lidole politique ".
Les femmes auront du mal à se départir de ce lourd héritage issu des rapports sociaux de sexe dominés par les hommes depuis les sociétés traditionnelles. Il en sera ainsi pendant toute la période coloniale. Hier comme aujourdhui, les femmes nont pas le droit à la prise de parole publique. Lacquisition du droit de vote des femmes sénégalaises en 1945, qui constitue le premier droit politique, na pas été le point de départ de revendication à une place dans les instances politiques. Elles ont pris conscience que leur vote avait eu un impact déterminant sur la victoire de Lamine Guèye mais elles navaient pas cherché à faire peser leurs voix contre loctroi de positions stratégiques dans la vie politique. Grâce au poids électoral des femmes, Lamine Guèye a su battre son rival lors des élections municipales de 1945. Ainsi il est présenté comme le grand vainqueur de lacquisition du droit de vote des femmes en 1945 et comme le leader politique sénégalais qui sut le mieux utiliser les capacités de mobilisation des femmes. Néanmoins, il na jamais proposé de programme pour les femmes. Ni leur poids électoral, ni leur capacité de mobilisation ne feront des femmes des partenaires à part égal des hommes dans lorganigramme de la vie politique sénégalaise. Au contraire, elles vont continuer à se distinguer par leur subordination aux hommes politiques de leur choix en favorisant les regroupements féminins acquis à la propagande masculine :
"Les femmes ont également constitué une fraction importante et dynamique des partis politiques qui furent constitués tels que le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS), le Parti du Rassemblement Sénégalais (PRA-Sénégal ) ou le Parti Africain de lIndépendance (PAI). Elles ont largement participé, en leur sein, à la lutte politique anti-coloniale. Mais en dehors du PAI, ces partis basés pour la plupart dentre eux sur le clientélisme, nont pas réellement porté un intérêt aux femmes, sinon comme force de manuvre électorale".
Quelques timides avancées sur le plan de létat desprit des femmes à faire des revendications pour améliorer leur sort en politique. Cétait à la veille des indépendances quelles ont commencé à dénoncer le rôle danimatrices des fêtes politiques que les hommes leur ont assigné doffice, avec ce cri de cur des femmes raconté par Caroline Faye Diop :
"Et cest en 1957 que nous avons dit y en a assez . nous avons dénoncé le fait que nous nétions pas intégrées dans les décisions politiques de nos partis, que nous nétions pas conviées aux réunions importantes de nos partis. Et cest à ce moment quon a commencé à y penser".
Cest cette même Caroline Faye Diop qui cinq années plus tard soit en 1963 sera la première femme députée du Sénégal sur les 80 parlementaires de la deuxième législature (1963-1968.) Rappelons que cétait à lépoque dune Assemblée monocolore résultant du statut de parti unique quavait lUnion Progressiste du Sénégal (U.P.S), lancêtre de lactuel parti socialiste sénégalais créé par le Président Léopold Sédar Senghor.
Au sein de sa famille politique et à travers sa formation denseignante-éducatrice, Caroline Faye Diop sera lune des chevilles ouvières, dans les rangs socialistes, de la lutte pour léveil des consciences féminines et pour la promotion et lémancipation de ses surs. Son engagement au service de la femme la porté à la tête du Conseil national des femmes, le mouvement féminin affilié à lU.P.S dès sa création le 14 juin 1964 à Thiès.
Cest donc au titre de Présidente des femmes socialistes que Caroline Faye Diop (veuve du député Demba Diop assassiné en 1967 à Thiès lors dun réunion politique) sera la seule femme membre du bureau politique de son parti. Dans le cadre de son expérience parlementaire dans laquelle elle a capitalisé dix mandats, elle a été aussi la seule femme à avoir siégé en commission pour létude du projet de loi portant Code de la famille en 1973. Elle sen est rappelée devant une étudiante en 1991 à lâge de 68 ans, soit un an avant sa disparition :
"Moi, je sais ce que jai enduré à lAssemblée Nationale comme seule femme Je souhaite que dautres puissent venir parce que jai fait passer des lois et des lois dures. Parce que lorsquon votait à lAssemblée, le Code de la famille, jétais seule, jétais seule. Inutile de vous dire ce que jai enduré. A un moment donné, jéclatais en larmes, je navais plus dautres moyens de me défendre".
Aux côtés de cette militante des causes de la femme, il y en a eu dautres, parmi les pionnières telles que Adja Ndoumbé Ndiaye, Arame Tchoumbé Samb, Rose Basse, Jeanne Martin Cissé, Aïda Sarr. Ces femmes regroupées autour dune organisation féminine dénommée Union des Femmes du Sénégal (U.F.S) ont été les premières à commémorer la journée internationale de la femme le 8 mars 1954. Mise sur pied en 1954, ce collectif de femme nobtiendra son récépissé que deux ans plus tard. Lobjet de la naissance de ce regroupement de femmes est contenu dans le récépissé de déclaration de lAssociation comme on peut le lire dans le Journal Officiel de lA.O.F du samedi 22 septembre 1956 :
"1° Défense de la paix 2° Activité sociale et défense de lenfance 3° Activités culturelles 4° Défense des droits de lhomme".
Dans les statuts de cette alliance de femmes, lexigence du caractère apolitique est clairement stipulée. Mais en étudiant de plus près les affinités de ces membres, on ne tardera pas à remarquer leur particularité dêtre toutes des épouses dhommes politiques de diverses obédiences (Union Démocratique Sénégalaise U.D.S section sénégalaise du Rassemblement Démocratique Africain R.D.A, Parti Socialiste Sénégalais P.S.S, Bloc Démocratique Sénégalais B.D.S) et de syndicalistes, tous opposés farouchement aux thèses colonialistes. Elles essayeront néanmoins de masquer leur appartenance politique en ouvrant les portes de leur association à des apolitiques. Lheure était à lunion des partis politiques et des syndicats au Sénégal pour une lutte commune aux idéaux de lindépendance. Les femmes ont pris conscience quelles devaient épauler la lutte des hommes car ladministration coloniale considérait les défenseurs des thèses nationalistes comme des communistes et donc contre les intérêts français.
Prise de conscience chez les femmes oui mais toujours aucun signe de revendication dune quelconque intégration aux hautes instances politiques. Sur ce plan, elles semblent se satisfaire dêtre reléguées au rôle de force de mobilisation et de propagande. En atteste la cooptation de la seule femme Rose Basse au poste de Secrétaire à la propagande lors de la mise en place le 8 avril 1958 du bureau exécutif provisoire de lUnion Progressiste Sénégalaise (U.P.S) fort de quarante et un membres.
Le contexte de lépoque dans laquelle évoluait la première génération de femmes politiques au Sénégal était plus propice à un cantonnement aux activités domestiques plutôt quà une participation pleine et intense aux activités et à la prise de décision politique. Elles se limitaient donc à la périphérie des partis politiques :
"Chaque week-end, lU.F.S établissait un programme où un quartier donné, aussi bien à Dakar que dans les régions, était ciblé. Après lappel des femmes par le tam-tam, les membres de lU.F.S tenaient une conférence en wolof sur les problèmes de lheure et ceux intéressant plus particulièrement les femmes. Ainsi à chaque mouvement, les responsables politiques étaient assurés du soutien des femmes du Sénégal".
En ces années de velléités nationalistes, le slogan de lU.F.S était lindépendance avant tout. Il ne fait pas de doute que les femmes sénégalaises étaient impliquées dans le processus du combat pour lindépendance car elles ont participé à la campagne pour le non au Référendum de 1958. Les femmes de lU.F.S ont même été vues aux côtés des porteurs de pancartes à lactuelle Place de lIndépendance de Dakar, suite à la visite historique effectuée par le Général de Gaulle en 1958 comme en témoigne Jeanne Martin Cissé :
"Cest dire que nous étions vraiment impliquées .. Ce nétait pas seulement pour la femme, cétait pour une reconnaissance de lidentité de lhomme africain. Et plus tard, nous continuerons le combat pour maintenant lutter pour la reconnaissance du droit de la femme. Et reconnaître que nous avions les mêmes droits que les hommes, et que nous devions vraiment pouvoir jouir de ces droits là".
Le combat de lUnion des Femmes du Sénégal pour conscientiser dautres surs à leurs idéaux va se poursuivre à léchelle continentale et internationale. Cest dans ce cadre que Jeanne Martin Cissé sest rendue en 1954 à un congrès à Asnières en France sur invitation de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes. Les autres femmes iront en mission aussi à létranger à tour de rôle. En 1961, dans leuphorie des premières années post-indépendances, le Président Guinéen Sékou Touré accueille à Conakry la première conférence des femmes africaines. A lissue de cette rencontre, une Panafricaine des Femmes verra le jour et cest à Julius Nyéréré que reviendra lhonneur dabriter lassemblée constitutive en juillet 1962, à Dar-Es-Salam la capitale Tanzanienne.
Mais cette dynamique sera de courte durée du fait des séquelles nées des divergences du référendum du 28 septembre 1958. Rappelons que cette question référendaire devait trancher définitivement les partisans du maintien des colonies dans la communauté française et ceux de laccession à lindépendance immédiate et sans condition. Aissatou Sow Dia, qui a longuement étudié lUnion des Femmes du Sénégal, dans le cadre de ses recherches universitaires, tire les enseignements sur les raisons de la dislocation de ce regroupement féminin :
"En fait, la particularité de lU.F.S est que de manière précoce, en 1956, on pouvait situer une organisation de femmes au Sénégal, toutes tendances politiques confondues. Si elle avait réussi à préserver sa cohésion, elle aurait pu être le point de départ dune revendication légitime de responsabilités sur la scène politique par les femmes".
LU.F.S. na pas su changer le cours des évènements politiques car elle militait pour le non et au Sénégal, cest le oui qui lemportera. Cest ainsi que le Sénégal et le Soudan mettent en place la Fédération du Mali en janvier 1959. Un accord va être signé avec la France le 4 avril pour le transfert des compétences. Lacte de naissance de lindépendance de la Fédération du Mali aura une durée de vie dun mois, juin 1960 juillet 1960. La Fédération a éclaté suite aux antagonismes nées entre les deux hommes forts des deux pays Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita. Le 20 Août 1960, Léopold Sédar Senghor devient le premier Président de la jeune République du Sénégal.
Lindépendance symbolise un tournant politique global qui met en évidence un contexte nouveau : celui de la construction dun Etat dans le cadre dun projet national de développement qui se voulait une rupture par rapport aux politiques coloniales. A partir de cette nouvelle donne politique, les orientations du gouvernement sénégalais ont-elles incité une prise en compte des positions participationnistes des femmes à lédification de la nation et aux postes de décision ? Quest-ce-qui a été entrepris par le gouvernement sénégalais pour les femmes à partir des années 60 ?
Nous allons voir dans quelle proportion les structures du gouvernement sénégalais destinées aux femmes ont articulé et défendu efficacement les préoccupations et intérêts féminin à la suite dune prise de conscience exprimée. Pour tenter des réponses, il est important de définir les deux grandes périodes qui ont marqué la politique de lEtat sénégalais en direction des femmes. Il sagit de la période qui débute à partir de 1960 jusquen 1976 et celle qui commence à partir de cette année-là jusquaux années 80.
Durant les quinze années qui ont suivi lindépendance, une seule femme est élue député en la personne de Caroline Diop (1963-1974), qui est aussi la seule femme présente au Bureau politique du parti unique au titre du Mouvement des femmes. Un autre fait marquant : le Code de la famille est adopté mais na pas beaucoup dincidence sur la liberté dagir et dentreprendre, qui devrait permettre aux femmes de pouvoir se déployer sans contrainte dans le jeu politique. Au contraire, ce Code maintien la suprématie de lhomme qui y occupe toujours le privilège dêtre le chef de famille. Le constat est que :
"Dores et déjà, [ on peut ] dire que durant les quinze premières années, les femmes ont été plus consommatrices que productrices de ces politiques nationales. Elles ne sont pas mobilisées autour de leurs propres intérêts. Elles nen ont pas tenu le discours, car le discours dominant était celui de leur nécessaire participation au développement. Elles ont été au service de projets et dinvestissements collectifs qui nont pas pris en compte leurs propres préoccupations".
Pour mieux corroborer ce constat, il faut relever que les quatre premiers plans de développement élaborés par le gouvernement sénégalais, couvrant la période de 1960 à 1977, ne mentionnent aucun objectif sur les femmes. La problématique genre nest pas tenue en considération.
Ce nest quà partir du Ve Plan allant de 1977 à 1981, que des actions envers les femmes sont inscrites spécifiquement dans les programmes planifiés par lEtat du Sénégal. Cette prise de conscience du gouvernement sur la nécessaire intégration des femmes à la planification nationale peut être analysée comme opportuniste dès linstant où elle répond à une vaste mobilisation et autres grandes résolutions progressistes pour la promotion féminine relayées sur le plan international. Les femmes du monde avaient décidé en concert de faire entendre leurs voix et 1975 sera décrétée Année internationale de la femme, suivie de la proclamation de la décennie des Nations-Unies pour la femme 1975-1985 qui provoqua une véritable prise de conscience des difficultés des femmes à se départir du joug masculin.
Cest dans cette mouvance de promotion de la femme que lEtat va mettre en place les premières structures administratives en charge des questions féminines. En 1978, Le Président Senghor et son Premier ministre dalors faisaient entrer pour la première fois une femme dans le gouvernement au poste de Secrétaire dEtat à la Condition féminine en la personne de Madame Caroline Faye Diop. Cette promotion de la femme sénégalaise au grade le plus élevé est intervenue 18 ans après lindépendance. A la suite, dautres femmes entreront au gouvernement, telles que Maimouna Kane, Marie Sarr Mbodj, Mantoulaye Guène, etc ..
Au Sénégal, le gouvernement fera des efforts en mettant en place des outils institutionnels. La Quinzaine nationale de la femme sénégalaise sera instituée par décret n° 80-269 du 10 mars 1980 pour réfléchir et proposer des solutions concertées face à la lampleur de la tâche. De guerre lasse pour tenter de résorber lécart dintégration entre hommes et femmes, le Ministère du développement social va élaborer en 1982 un Plan national daction de la femme sénégalaise en marge du Plan national de développement dont la vocation est de prendre en charge les préoccupations de développement de lensemble de la nation sans distinction de sexe. Huit années plus tard, en 1990, le Ministère de la Femme, de lEnfant et de la Famille (une des nombreuses appellations données à la structure gouvernementale en charge des questions féminines et sociales) demande au bureau régional du Fonds des Nations-Unies pour la Femme (UNIFEM) deffectuer une évaluation du Plan national daction de la femme. Les conclusions seront sans complaisance, elles font état de carences imputées aux concepteurs de ce Plan : son élaboration navait pas obéi à une définition préalable de priorité et dobjectif à long terme. Les faits incriminés touchent aussi les multitudes de projets de ce Plan qui nont pas été intégrés dans les actions et budgets de lEtat, des bailleurs de fonds et des ONG.
Malgré les discours et la reconnaissance de leurs rôles et de leurs revendications, les femmes restent marginalisées sur le plan politique. Le groupe de recherche chargé de létude rétrospective sur le Sénégal à lhorizon 2015 privilégie la thèse de linadéquation des politiques élaborées en fonction des questions de genre et des facteurs traditionnels bloquant, pour expliquer linefficience de ces programmes :
"Les politiques élaborées nont jamais pris en compte linégalité des rapports sociaux entre les sexes et limportance toujours actuelle des mécanismes de subordination des femmes au sein de la société. Les mesures pour la promotion des femmes reposent, pour la plupart, sur des approches conceptuelles qui nont éliminé ni les inégalités. Il faut enfin retenir que les femmes ne constituent pas une catégorie sociale homogène. Il existe des clivages de classes, des différences ethniques et régionales, que toutes actions les concernant devra nécessairement avoir en mémoire".
Nous avons constaté globalement que le gouvernement du Sénégal depuis notre accession à la magistrature suprême a fait preuve de politique de promotion des femmes tantôt volontaristes, tantôt hésitantes, de marginalisation des femmes au point de confier leur destinée à des portefeuilles ministériels spécifiques qui narrangent en rien leur situation dassistées. Parallèlement, nous pouvons dire que les femmes ont marqué des points sur le plan de la prise en charge de leurs préoccupations de toujours : légalité des hommes et des femmes dans lexercice des droits politiques et de laccès aux postes de décision. A ce titre, la nomination de Mme Mame Madior Boye au poste de Premier ministre du Sénégal après lalternance politique de lan 2000 est à inscrire en lettre dor dans les annales de lhistoire politique du Sénégal.
2ème PARTIE : FEMMES ET PRATIQUE POLITIQUE
Chapitre 1 : Participation et représentativité en politique
A/ Leur participation aux élections et aux instances électives
Nous avons vu au cours de cette étude que la pratique politique des femmes sénégalaises date davant même lacquisition de leur premier droit politique à savoir le droit de vote et déligibilité. Nous allons maintenant vérifier, chiffre à lappui, la thèse souvent invoquée selon laquelle leur niveau de participation dans les partis politiques comme dans les fonctions électives est sous-estimé par rapport à leur engagement politique et leur poids électoral.
Nous avons pu établir que lévolution politique des femmes au Sénégal pouvait être considérée comme faible au regard des différents éléments dappréciation dont le principal critère demeure le baromètre de la présence féminine dans la vie politique nationale. Cette mise à lécart des femmes en politique, attribuée à un environnement socio-culturel discriminant, a fait émergé depuis le début des années 80, en échos à une vaste campagne de dénonciation internationale, une nouvelle génération dactrices politiques consciente de leur enjeu électoral. Mais force est de reconnaître que si la représentativité des femmes est au cur des préoccupations des associations féminines, elles sont moins présentes au sein des instances décisionnelles des partis politiques.
Les statistiques nous ont montré une faible représentation des femmes dans les cercles de décision de la vie politique. Pour preuve, de 1978, année de nomination de la première femme ministre, au dernier gouvernement du 12 mai 2001, il y a eu 27 dames ministres pour 157 hommes dans 20 gouvernements.
Au niveau gouvernemental, nous précisons demblée quil sera difficile de juger de la qualité de la participation des femmes dans les différents gouvernements où les actions ministérielles sont impulsées par le Premier ministre sous les directives du Président de la République. Les femmes sénégalaises connues pour leur générosité et leur esprit dentraide en seront peut-être pénalisées au moment de la distribution des rôles dans les hautes sphères de lEtat. Cest ainsi que nous avons été habitués à voir les femmes essentiellement nommées pour diriger des ministères considérés comme féminins ou sociaux depuis lentrée de la première femme sénégalaise, Caroline Faye Diop, dans un gouvernement en 1978.
Le remaniement ministériel du 4 juillet 1998 sera celui de la rupture ou celui qui a battu tous les records de participation avec la nomination de 5 ministres femmes sur un total de 31, soit environ 16,5 % contre 12 % pour le précédent attelage. Lécart dans lapproche genre est toujours distant mais les femmes gagnent en crédibilité car 3 de ces 5 femmes ministres occuperont des postes techniques qui ne leur ont été jamais confiés jusque là. Abibatou Mbaye (P.S) prendra le commandement du département de lIntégration Africaine, Aissatou Niang Ndiaye au Budget (société civile) et Maître Aissata Tall Sall à la Communication (P.S).
Lalternance politique survenue au Sénégal en lan 2000 sest aussi manifestée en faveur de la consolidation de laccès des femmes aux postes stratégiques. Les hommes se font petit à petit à lidée de concéder des parcelles de pouvoir aux femmes, mais de façon graduelle et semploient à entourer leur performance de toute la publicité nécessaire à chaque occasion comme pour se convaincre de la générosité de leurs actes. Cest ainsi que le 8 mars 2001, date commémorative de la Journée Internationale des femmes, le Président Wade sest lancé dans un spectacle médiatique devant les grilles de son palais, en lançant :
"Je suis loin dêtre satisfait de la situation des femmes. En avant pour lacquisition de vos droits, je suis avec vous !"
Ces déclarations dintentions du Président avaient des allures de campagne électorale si on situe le contexte marqué par la nomination cinq jours plus tôt de la première femme Premier ministre et la proximité des élections législatives distantes dune vingtaine de jours. Cest ce même jour que le Chef de lEtat promettra aux femmes den confier à lune dentre elles les leviers de son gouvernement si sa formation politique sortirait victorieuse de ces législatives. Il tiendra parole puisque Mame Madior Boye sera reconduite au sortir de ce scrutin.
Cinq femmes seront ministres à savoir Aminata Tall (PDS) au Développement social, Professeur Awa Marie Coll Seck (société civile) à la Santé, Aicha Agne Pouye (société civile) au Commerce et aux PME, Awa Gueye Kébé (PDS) à la Famille et à la Petite Enfance et Thiéwo Cissé Doucouré (société civile) aux Collecivités Locales.
A ce moment de lévolution des mentalités et des consciences où il est établi que seule linstauration de la parité peut réguler, avec démocratie, laccès des femmes aux postes de responsabilité, le niveau de représentativité des femmes dans le gouvernement de Mame Madior Boye reflète encore lécart persistant pour lémergence dune société mixte.
En dehors des discours électoralistes de promotion des femmes et des exigences de conditionnalité des bailleurs de fonds, la place des femmes dans le plus haut lieu de prise de décision nationale est toujours sujet au bon vouloir des hommes qui continuent de monopoliser lessentiel des postes de pouvoir. Invité par les étudiants de la Sorbonne à participer à une téléconférence, cette déclaration du Président Wade fraîchement élu pourrait être interprêté comme un manque de visibilité des femmes au moment de la composition du premier gouvernement post-alternance :
Parmi les 58 % de sénégalais qui lont élu, ny en a t-il pas, en qualité et en quantité, de femmes pourvues de capacités intellectuelles et de leadership pour assumer la charge ministérielle ?
Cest sous le chapitre dun manque dexpertise de capacités féminines pertinentes quil faudra inscrire la nomination suivie de la démission quasi-imminente de Marie Lucienne Tissa Mbengue à la tête du département de lEducation Nationale, de lEnseignement Technique et de la Formation Professionnelle. Elle a dû rendre sa démission moins dune semaine après la formation du premier gouvernement de lalternance au sommet de lEtat, en avril 2000, pour cause dincompétence et dinexpérience, battant ainsi le record de la plus courte durée dexercice de la tâche ministérielle. L honnêteté et le courage de la démissionnaire, qui jusque là sactivait dans les groupements féminins, est à saluer pour avoir rendu son tablier car il nest pas dusage au Sénégal de voir un ministre prendre linitiative de quitter un gouvernement.
Par contre, il est difficilement pardonnable au Président Wade davoir embarqué cette dame, dans un amateurisme républicain alors que le Sénégal regorge de potentialités féminines susceptibles de remplir avec brio la fonction dévolue à la démissionnaire. Quelque part, les femmes averties se sont senties frustrées et humiliées pour cette erreur dappréciation sur la personne de Marie Lucienne Tissa Mbengue.
Au niveau parlementaire, nous avons choisi de commencer par une illustration : le tableau des femmes à lAssemblée Nationale de la première législature, en passant par la dissolution de lAssemblée Nationale en 2000, aux législatives davril 2001.
Première législature |
1957 1963 |
00 femme parlementaire / 80 députés |
Deuxième législature |
1963 1968 |
01 femme parlementaire / 80 députés |
Troisième législature |
1968 1973 |
02 femmes parlementaires / 80 députés |
Quatrième législature |
1973 1978 |
04 femmes parlementaires / 80 députés |
Cinquième législature |
1978 1983 |
08 femmes parlementaires / 100 députés |
Sixième législature |
1983 1988 |
13 femmes parlementaires / 120 députés |
Septième législature |
1988 1993 |
18 femmes parlementaires / 120 députés |
Huitième législature |
1993 1998 |
14 femmes parlementaires / 120 députés |
Neuvième législature |
1998 2000 |
19 femmes parlementaires / 140 députés |
Dixième législature |
29 avril 2001 |
20 femmes parlementaires / 120 députés |
Cest connu que cest Caroline Faye Diop qui a inauguré la participation des femmes sénégalaise à lAssemblée Nationale lors de la deuxième législature en 1963. Elle sera réélue pour les deux mandats suivants avant de quitter le rôle de représentante du peuple pour faire son entrée au gouvernement le 15 mars 1978 à la tête du Ministère de la Condition Féminine.
Le tableau ci-dessus nous montre que la part des femmes parlementaires na cessé daugmenter sans pour autant atteindre des pourcentages importants. Cette situation sexplique par le fait que les femmes noccupent pas souvent des positions favorables et éligibles sur les listes électorales lors des investitures.
Les femmes parlementaires sont sous-représentées dans les bureaux et les commissions de lAssemblée Nationale. En 40 ans dexistence, une femme na encore présidé aux destinées de lAssemblée Nationale. Elles ne se sont pas encore signalées à la Présidence de groupe parlementaire. Par contre, Awa Diop, la Présidente des femmes du PDS vient dinaugurer la présence féminine dans la trésorerie en se voyant confier le poste de questeur-adjointe.
Nous avions remarqué que les femmes nengageaient pas de débats de fonds à lAssemblée. Cela est dû certainement à la modestie de la situation professionnelle des femmes députés qui sont le plus souvent ménagères, secrétaires, couturières etc. Les intellectuelles sont connues pour leur désintérêt à la chose politique et cette catégorie sociale souvent dotée dun esprit rationnel nest pas la cible idéale pour des vendeurs dillusion de la tempe de certains hommes politiques.
B/ Léthique dans la pratique politique des femmes
Au Sénégal, léthique est un concept qui a pris une tournure nouvelle mise en exergue au lendemain de la première alternance politique survenue le 19 mars 2000, avec lapparition des phénomènes de transhumance politique. En effet, la perception que lon a du pouvoir aujourdhui, exacerbé par les luttes de positionnement au sein de la nouvelle classe dirigeante issue de la présidentielle de lan 2000, mérite dêtre modifier pour une émulsion saine de la démocratie. Les changements politiques intervenus au sommet de lEtat ont été brusques et inattendus pour les socialistes qui ont régné quarante années successives sur le pays. Un nombre impressionnant de ceux qui ont été chassés par les urnes, nont pas supporté de perdre leurs privilèges et autres avantages conférés par le pouvoir. Comment expliquer que ladversaire politique dhier, diabolisé, menacé dans sa sécurité et son intégrité, humilié par des intentions peu louables à lui prêtées, soit devenu comme par enchantement un homme hautement fréquentable ? Ceux-là nont pas hésité à franchir le rubicond en allant rejoindre celui [ Maître Abdoulaye Wade] quils ont :
"combattu sans ménagement durant des dizaines dannées, et qui [a] subitement toutes les vertus. La chose laisserait indifférent sil ne sagissait pas de ceux qui ont été chassés par les urnes, et qui auront donc tout perdu, même lhonneur de continuer à défendre leurs anciennes convictions, si tant est quils en aient jamais eues".
Le journaliste continue dans sa chronique de sémouvoir du sens donné à léthique dans la politique de certains dignitaires du régime de Abdou Diouf tels que Mbaye Jacques Diop et Ablaye Diack fêtent les deux ans marquant le départ aux affaires de leur ancien maître :
"En deux ans, on aura vu combien un homme politique sénégalais pouvait faire preuve de versatilité, pour ne pas dire de lâcheté".
Pour illustrer les propos de notre confrère, on peut convoquer la comparaison. Comment réagirait lopinion française si daventure le candidat à sa propre succession Jacques Chirac sortait victorieux de la Présidentielle de 2002 et que Dominique Strauss-Khan ou Daniel Vaillant démissionnaient du parti socialiste pour rejoindre Chirac. Et que Chirac, sous prétexte dêtre habiter par la seule volonté de massifier son parti, se permet de débaucher de grosses pontes chez ladversaire politique. Il y a un problème manifeste de convictions politiques qui renvoie à la nécessité dasseoir une éthique comme fil conducteur dans ladhésion à une famille politique.
Le Sénégal est un pays qui a été dirigé par une pensée unique au sommet de lEtat, quoique le Président Abdou Diouf, chef de lEtat de 1981 à 2000, sentant les premiers soubresauts politiques, avait initié certains consensus pour calmer les esprits. Depuis le changement de pouvoir pacifique par la voie démocratique, il y a eu une cassure au niveau de lopinion publique. Avec la prise de conscience citoyenne, le peuple juge et apprécie lapparition de comportement nouveau en politique comme le recrutement tout azimut des grandes figures socialistes par le nouveau régime libéral du Président Wade. Ce scénario est le lot quotidien servi aux sénégalais depuis laccession de maître Wade au pouvoir. Ses plus grands détracteurs sont devenus les premiers à faire acte dallégeance au nouveau maître du Sénégal. En analysant ce phénomène, on peut dire que ladhésion à un parti politique nest plus une affaire de conviction ou didée mais tout simplement ce que Jean-François Bayard appelle la politique du ventre . Cette expression renvoie aux nécessités de survie et de laccumulation. Ce sont des considérations purement alimentaires qui dictent les comportements des hommes et femmes politiques, adeptes de ce genre de changement de camp.
Le Secrétaire Général du parti au pouvoir, le PDS et non moins Président de la République pourrait aussi pu être pointé dun doigt accusateur au motif de tromperie et de manipulation des électeurs sénégalais qui ont porté leur choix sur lui. Notre confrère du quotidien Frasques semble aussi sen inquiéter :
"Mais en deux ans surtout, lAlternance a été trahie pour ceux qui pensaient quelle allait se faire avec des hommes nouveaux, ou du moins vierges de toute compromission avec lancien régime".
Nous avons beaucoup évoqué les comportements mâles en terrain politique, ceci pour accéder à une analyse comparative entre hommes et femmes dans la pratique politique face aux exigences déthique. Lorsque ce phénomène de transhumance politique a connu un développement fulgurant à la faveur du changement déquipe politique au sommet de lEtat, les femmes qui ont occupé de grandes responsabilités telles que Aminata Mbengue Ndiaye ou Aminata Mbaye anciennes ministres sont restées dans leur parti dorigine. Seule, Mata Sy Diallo, ancien ministre et vice-présidente à lAssemblée Nationale a quitté le parti socialiste pour lAlliance des Forces de Progrès dans lopposition parce que ses ex-camarade lui dénié le leadership dans son fief de Kaffrine. Elle a claqué la porte quand le parti na pas tenu compte de sa représentativité en parachutant un homme à la place quelle convoitait légitimement.
De manière générale, les femmes qui ont soutenu sans réserve la politique du Président Abdou Diouf vivent mieux la défaite présidentielle qui leur a valu la perte du pouvoir. Elles semblent dignes dans la perte du pouvoir dont lacceptation sans reniement est une des règles saines du jeu politique démocratique. Quant à leur gestion, une enquête fait étalage de pratique aux antipodes des règles dorthodoxie financière auxquelles doit sentourer tout mandataire au service de lEtat.
Léthique, dans la société sénégalaise, est assimilée à nos valeurs de diom ( courage avec un code de conduite) et le kersa (respect des valeurs et conventions en vigueur qui sont le fondement des relations établies entre les différentes parties). On peut dire sans risque dêtre démenti que les femmes sénégalaises ont une éthique politique, là où certains hommes sen sont allés rejoindre sans état dâme le Parti Démocratique Sénégalais au pouvoir quils ont toujours voué aux gémonies quand ils étaient aux affaires. Même si sur un autre registre, elles transposent leurs propres tares dans lespace politique comme le "le crépissage de chignon, les commérages, la jalousie et les querelles cripto-personnelles. Dailleurs, à ce sujet, si elles ne sortent pas les coupe-coupe comme le font les hommes lors des renouvellements des instances de base, leurs langues sont tout aussi meurtrières. Les observateurs de la vie politique sénégalaise ont remarqué que les femmes sont plus fidèles en politique que les hommes qui sarc-boutent sur leurs privilèges du moment que seule lappartenance au camp du pouvoir peut légitimer. Où se situe la politique dans ce quelle a de plus noble à savoir la prise en charge altruiste des aspirations du peuple ? Cest ce qui a fait dire à Aminata Diaw Cissé, que dans limaginaire de beaucoup de gens, la politique du point de vue de la pratique renvoie à :
"labsence de moralité, lincapacité de générer un comportement moral, une position éthique".
Cette professeur de philosophie de lUniversité de Dakar décrit cette manière de faire de la politique comme un recours à lutilisation de la tromperie et de la manipulation. Cest pourquoi Max Weber explique le lien entre Ethique et Politique peut paraître paradoxale car pour beaucoup dacteurs politiques, la fin justifie les moyens au nom de limpératif de lefficacité dont le pouvoir constitue lenjeu. Dans un contexte politique où largent est le maître-mot du dispositif et sert à acheter les suffrages des électeurs, Aminata touré pense quil ne serait pas exagéré de parler de nomadisme politique. A ce fléau des temps modernes quest la déliquescence des murs politiques, Aminata Touré propose dans son étude de codifier léthique en politique par la promulgation de lois qui sappliqueraient à tout homme politique y contrevenant. Elle ajoute que cette application de sanctions suppose un cadre indépendant entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. Selon elle, cest dans ce sens que la question de léthique est fondamentalement une question de démocratie.
Chapitre 2 : Alternatives politiques : acquis juridiques et renfor-
cement des capacités politiques des femmes
A/ La place des femmes dans les différentes Constitutions françaises et sénégalaises et les instruments juridiques internationaux
Le Sénégal était régis par la loi française en tant que puissance colonisatrice. Nous nous pencherons sur la Constitution de 1946 qui suit la généralisation du droit de vote entre hommes et femmes. Dans son article trois il est stipulé que :
"La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de lhomme".
A la différence de la Constitution de 1946, celle de 1958 a prévu un contrôle de la conformité de la loi à la Constitution. Le contrôle est confié au Conseil Constitutionnel qui censure toute loi contraire aux droits rappelés par le préambule. Un renforcement de lapplicabilité des droits de la femme sest opéré. Jusque-là, en France, une seule femme a été nommée Premier Ministre, il sagit de Madame Edith Cresson en 1991. Au Sénégal, les femmes viennent davoir, à leur tour, leur heure de gloire avec la nomination de Madame Mame Madior Boye au poste de chef de gouvernement en 2000. Pour la Présidence, il faut que les femmes face encore davantage preuve de pugnacité dans le combat pour légalité effective dans lapplication des textes législatifs.
A laccession du Sénégal à la souveraineté internationale en 1960, le pays sest inspiré, nous réitère Mariame Coulibaly du Centre dInformation juridique de Dakar, du système français en mettant en place :
"un arsenal de textes juridiques à travers des codes qui tenaient non sans difficultés une symbiose entre les croyances traditionnelles et la pratique moderne. Seulement dans un élan de codification, le législateur sénégalais a trop copié sur le système français sans tenir compte des coutumes fortement ancrées dans les croyances et la coutume".
Les populations avaient déjà leur propre mode de perception de lorganisation de la société qui fait que malgré les lois garantissant lexistence et légalité de droit entre hommes et femmes, ces dernières sont pratiquement comme dépouillées de leurs droits par la norme socio-culturelle et les logiques identitaires qui aliènent tous les droits féminins au nom de la toute puissance masculine qui sarroge tous les droits en réalité.
Le Sénégal sest doté dune nouvelle Constitution approuvée par voie référendaire le 7 janvier 2001, sous proposition du troisième Président de la République Maître Abdoulaye Wade élu le 19 mars 2000. Ce dernier a tenu à marquer de son empreinte la loi fondamentale du pays. Depuis son accession à la magistrature suprême, le nouveau chef de lEtat na de cesse denvoyer des signaux forts aux femmes pour encourager leur participation à la gestion publique et aux instances de prise de décision.
Cest ainsi quen quarante années dindépendance, une femme de la société civile a été nommée au poste de Premier ministre le 12 mai 2001. Cest la troisième fois en Afrique quune femme devient chef du gouvernement, dans des régimes où lessentiel du pouvoir revient toutefois au Président de la République. Pour le cas sénégalais, certains y voient une manuvre politicienne eu égard au potentiel électoral que représentent les femmes, dautres une volonté réelle de consommer une rupture avec les pratiques discriminatoires qui ont longtemps confiné les femmes à loccupation de postes à caractère social. Le Président Wade, lui sattache une image progressiste et flatte incontestablement lélectorat féminin.
Le Sénégal a institué, au lendemain des indépendances, une égalité de droit entre les deux sexes, en ce qui concerne la participation aux activités politiques et aux instances de prise de décision. Depuis lindépendance, on peut dire que de façon générale les femmes ont toujours eu des droits stipulés dans la loi fondamentale car le législateur sénégalais sest montré soucieux dès 1960 à instaurer une rupture de leur marginalisation durant la période précoloniale et coloniale. Mais les lois constitutionnelles davant 2001 ne faisaient généralement pas de distinction de genre dans la formulation du contenu de ses articles. Cest dans ce contexte que nous analyserons lévolution du statut de la femme dans les instruments juridiques nationaux et internationaux.
Au niveau national, les experts juridiques saccordent à dire que la nouvelle Constitution a réaffirmé et consacré de nouveaux droits et libertés fondamentaux en faveur des femmes qui représentent 52% de la population. La nouveauté réside dans la prise en compte de lapproche genre. Dans une étude menée conjointement par par lInstitut Africain pour la Démocratie (I.A.D) et le Conseil Sénégalais des Femmes (COSEF) sous légide de lUNIFEM au lendemain de lalternance politique, Marie Pierre Sarr Traoré, enseignante à luniversité Cheikh Anta Diop de Dakar a axé sa réflexion sur la place des droits des femmes dans la récente réforme institutionnelle.
Elle affirme sans détours que cette Constitution est la plus généreuse en matière de consécration des droits de la femme. Cette juriste universitaire note lémergence de deux idées forces qui se résument par un renforcement des droits existants et une constitutionnalisation de nouveaux droits et libertés. De plus, le constituant énumère à plusieurs reprises les femmes en lieu et place des termes génériques utilisés dans les précédentes constitutions comme lutilisation des mots : le citoyen, le contribuable, lhomme. Les droits politiques des femmes sont clairement spécifiés ainsi que leur égal accès à lexercice du pouvoir à tous les niveaux et sans discrimination.
Malgré tout, les femmes sont surtout victimes de discrimination de fait et non de discrimination de droit. Cest pourquoi la vigilance est plus que dactualité pour veiller à lapplication scrupuleuse des lois qui régissent leurs droits. Cette Constitution, sous lévénement de lére Wade, est un espoir, plus quun espoir, une exigence, celle de voir émerger une société mixte plus juste à légard de la gente féminine. Une autre attente est celle de voir la nouvelle constitution traduire sa suprématie, en tant que loi fondamentale, sur toutes celles qui seraient en décalage ou en violation avec elle pour les obliger à saligner à sa norme juridique.
La nécessaire solidarité entre femmes pourrait faire avancer considérablement le pari sur légalité de fait dans lexercice des droits. Partant, les femmes ont le devoir de sunir en dehors de tous clivages partisans et de sorganiser pour la vulgarisation de leurs droits afin de bannir à jamais les abus. Tant que les lois seront votées exclusivement en langue française, la majorité de femmes, frappée par lanalphabétisme, ny comprendra rien.
Au plan des instruments juridiques internationaux, le Sénégal en a ratifié beaucoup de conventions dont la plupart vise les normes de protection. La Convention qui fait référence dans la protection des droits et des libertés fondamentaux des femmes est celle adoptée le 18 décembre 1979 par lOrganisation de lUnité Africaine (O.U.A) et lOrganisation des Nations-Unies (O.N.U) : la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard des femmes. Cette Convention, ratifiée le 5 février 1985 par le Sénégal, résulte de trente années de travaux de la commission des Nations-Unies sur la condition féminine.
Cest une brèche ouverte aux femmes de plus de 200 pays dans le monde, membres des deux organisations internationales lO.N.U et lO.U.A. Au Sénégal, les femmes du monde politique auraient pu depuis plus de quinze ans revendiquer énergiquement à la place des professions de foi, une application stricte de la Convention. Mais les résolutions prises sont loin de trouver leur application dans la réalité. Sinon comment expliquer que les femmes soient toujours sous-représentées dans les hautes sphères de décision, et lorsquelles y occupent une place cest pour se voir attribuer des postes sociaux dits féminins ou encore de se voir réserver des quota. Cela relève dune contradiction flagrante avec les engagements juridiques pris par le Sénégal.
A défaut de voir une parité prendre place naturellement dans la répartition de lexercice du pouvoir et dans les autres arcanes de la vie politique, les femmes sénégalaises ont-elles baissé les bras, ont-elles renoncé à faire valoir le droit que leur confère la Convention au point de sombrer dans la démarche résignée dune revendication de quota ?
B/ Femmes en politique : quota ou vers la parité ?
Il a fallu dix-huit ans après notre accession à lindépendance et trente-trois ans après lexercice du droit de vote des femmes, pour que le Président Léopold Sédar Senghor manifeste en 1978 un intérêt républicain à la question féminine en créant un secrétariat dEtat à la Condition féminine. Par la même occasion, une femme faisait son entrée au gouvernement pour la première fois en la personne de Caroline Faye Diop pour diriger cette politique féminine de la République.
Le simple fait davoir toujours confié depuis 1978, année de leur création, les ministères ou secrétariat dEtat de la Condition Féminine et aux affaires sociales, de façon spécifique, à des personnalités de sexe féminin relève dune discrimination qui a pour label : "vous les femmes, occupez-vous et organisez-vous sous lil patriarcal et dirigiste des hommes." Cette pratique est en porte-à-faux avec lesprit de la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard des femmes qui milite pour une société plus homogène dans son fonctionnement.
Le décalage entre le respect des droits reconnus aux femmes et la réalité concrète est clairement pris en compte dès le Préambule de la Convention sur lElimination de toutes les formes de Discrimination à légard de la Femme dans lequel les parties signataires se disent :
"Préoccupés toutefois de constater qu'en dépit de ces divers instruments les femmes continuent de faire l'objet d'importantes discriminations".
Cest fort de ce postulat que le Haut-Commissariat des Droits de lHomme, maître duvre de cette Convention sous légide de lO.N.U, sest dit résolu à faire prendre actes et conscience aux Nations du monde pour quelles intègrent dans leur constitution nationale les principes directeurs dune égalité entre Homme-Femme. Notre attention sest focalisée sur ces deux articles de la Convention sur lélimination de toutes les formes de Discrimination à légard de la femme plus connue sous le nom de CEDAW pour mentionner les droits politiques tels que conçus pour être appliqués par la Communauté Internationale :
Article premier
"Aux fins de la présente Convention, l'expression "discrimination à l'égard des femmes" vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine".
Article 7
"Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit :
a) De voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus ;
b) De prendre part à l'élaboration de la politique de l'Etat et à son exécution, occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement ;
c) De participer aux organisations et associations non gouvernementales s'occupant de la vie publique et politique du pays".
Vingt années se sont écoulées depuis lentrée en vigueur de cette Convention. Au Sénégal, les femmes en sont au stade de la revendication de quota dans laccès et lexercice des responsabilités politiques. Bon nombre de partis politiques se sont donnés bonne conscience en adoptant dans leurs règlements statutaires des dispositions favorables à lintégration des femmes à hauteur de 25% environ. On verra que même ces dispositions quotataires ne seront pas respectées au moment des investitures sur les listes électorales et encore moins au niveau des instances électives et nominatives. A larrivée, la représentativité des femmes dans les instances dirigeantes des partis politiques comme dans les investitures aux mandats électifs sera bien en deçà de 25%.
Mais cest là que le bas blesse car le système quotataire est par définition discriminatoire et ne saurait prospérer en ce quil foule au pied les droits de lhomme les plus élémentaires et légalité des droits inscrits dans la plupart des Constitutions des pays dits démocratiques, et celle du Sénégal ne déroge pas. En France, un projet de loi prévoyant, en 1982, un quota de 25% de femmes pour les listes de candidatures a été rejeté par le Conseil Constitutionnel pour non conforme à la loi fondamentale. Comment apprécier dès lors quun pays comme le Sénégal qui se dit Etat de droit peut-il assister inerte au bafouement dun principe érigé en règle dans la Constitution au nom de légal accès de tous les citoyens, sans discrimination, à lexercice du pouvoir à tous les niveaux ?
Que dire de la décision de la plupart des groupements politiques de restreindre laccès des femmes à la participation de la vie publique et politique, sous lil bienveillant et complice de la voix la plus autorisée, celle du législateur sénégalais ? Cela est purement révélateur du conservatisme à outrance des hommes qui continuent à penser que la pratique politique et la recherche du pouvoir sont leur chasse-gardée. Alors que lEtat du Sénégal est signataire de la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard de la femme qui a force de lois supranationales.
Cest en regard de ces défaillances juridiques que Aida Soumaré Diop, de lO.N.G internationale ENDA Tiers-Monde basée à Dakar (Projet parenté conjointe, les moyens dexpression pour la justice de genre, Dakar 2001), a pris position sur limpérative nécessité du gouvernement sénégalais dharmoniser les lois nationales avec les conventions internationales quil a ratifiées, notamment avec la CEDAW qui reste le texte de référence sur les droits de la femme. Pour ce faire, Madame Diop a proposé de revisiter lensemble des textes législatifs à la lumière des concepts de la CEDAW qui reposent sur légalité de genre. De leur côté, en tant que partenaire au développement, ce projet de lO.N.G Enda semploie à développer les Technologies de lInformation et de la Communication (TIC) à lappui du programme des femmes pour légalité de genre au Sénégal.
Les innombrables traités, recommandations, pactes et conventions relatifs aux discriminations féminines nengagent-ils que ceux qui y croient ? On laisse la réponse aux observateurs et acteurs de la vie politique de tirer sans complaisance leurs propres conclusions.
Dans un tel contexte dominé par une conception stéréotypée des rôles de lhomme et de la femme et où les conventions internationales les plus généreuses se heurtent aux comportements socioculturels qui tendent à reproduire à linfini un schéma de supériorité de lhomme sur la femme dans tous les domaines de la vie publique et privée, nest-il pas abusif de parler de parité en politique ou formuler autrement la parité est-elle réalisable ?
Ce dialogue de sourd qui sest installé entre les partisans du quota et de lapplication de la parité révèle une certaine vision négative sinon faible de lévolution politique des femmes.
En France et par comparaison, une révision constitutionnelle est venue traduire en acte légal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Un constat sest imposé à eux : légalité des droits entre femme et homme inscrits dans la Constitution ne produit pas deffet dans la réalité. Les français ont décidé dexprimer une réelle volonté de rupture et dévolution des mentalités. Le gouvernement du Premier Ministre français Lionel Jospin est passé aux actes dans leffectivité de la parité en politique. Depuis le vote de la loi " parité " du 6 juin 2000, il est imposé aux partis politiques 50% de candidats de chacun des deux sexes pour toutes les élections au scrutin de liste (à 2% près). Les listes ne respectant pas la parité sont soumises à des sanctions. Il est encore prématuré démettre des jugements sur ce nouveau rapport politique entretenu par lobligation de parité bien que la représentativité actuelle des femmes soit en deçà des espérances suscitées par la nouvelle loi :
10,9 % de femmes au
Sénat
9,9 % de femmes à
l'Assemblée nationale
24 % de femmes dans les Conseils
régionaux
9,9 % de femmes dans les Conseils
généraux
Le plus important est davoir franchi le pas, celui davoir brisé des siècles de domination de lespace public de lhomme sur la femme. Au-delà des professions de foi, la France a affiché ses ambitions de sinscrire dans le sillon des Nations qui veulent rompre avec les préjugés et relever la femme au rang dégale de lhomme. Le vote de la loi sur la parité femme-homme en France est un acte politique significatif parce quelle participe de la modernisation de la vie politique, et historique dans la mesure où elle est le premier pays au monde à sêtre doté dune législation visant à instaurer la parité en politique dans une approche genre.
Nous allons retracer la genèse dun concept très prisé de nos hommes publics pour faire politiquement correct. Ce concept de parité femme-homme résulte de lidée dinstaurer une démocratie paritaire dans la vaste problématique de légalité des sexes. La paternité en est attribuée à une française nommée Claudette Apprill, Ancienne secrétaire du Comité pour légalité entre les femmes et les hommes du Conseil de lEurope à Strasbourg. Elle a lancé ce concept pour la première fois en janvier 1990 par la publication des conclusions dun séminaire organisé par le Conseil de lEurope au mois de novembre 1989 sur le thème :
"La démocratie paritaire 40 années dactivité du Conseil de lEurope".
Cest à la suite de ce séminaire quune question a fait germer en Claudette Apprill le concept de parité qui signifie égalité totale :
"Celle de la légitimité des hommes à décider, tout au long des âges, sans états d'âme, de la condition des femmes, à les contrôler, à leur appliquer leur propre loi, les spoliant de leurs droits fondamentaux alors même qu'ils proclamaient hautement ces derniers inaliénables et indivisibles, les dépersonnalisant en leur faisant abandonner leur nom au profit du leur, en cas de mariage".
Si on compare le cheminement politique des femmes françaises et sénégalaises, on verra que la jouissance dune loi sur la parité politique en France rentre en droite ligne avec lévolution politique et mentale de la population féminine. Quelques repères historiques suffisent pour sen convaincre. Dès 1920, Jules Guesde déposait un proposition de loi pour légalité civile et politique. En 1934, une femme Louise Weiss bat campagne. 1945 sera lannée charnière pour les droits politiques des femmes françaises mais aussi sénégalaises sous la colonisation. Les françaises brûleront les étapes car deux ans après leur droit de vote, la première femme fait son entrée au gouvernement en 1947. Au Sénégal, il faudra attendre 1978 pour voir la première femme siéger au gouvernement.
Les évolutions sont différentes et celle de la France pourrait faire école sur celle du Sénégal sans tenir compte forcément du délai démancipation en France car les mentalités sont plus réceptrices dans ce vingt-unième siècle naissant. Il serait alors bénéfique pour les femmes sénégalaises, appuyées par une réelle volonté politique, daccélérer le processus démocratique dans un souci de modernisation pour mieux cadrer avec les exigences de notre temps.
La France a enrayé depuis au moins un demi-siècle lillettrisme des femmes. Ce qui nest pas encore le cas au Sénégal. Cest pourquoi, les femmes du monde politique, dans un contexte de lutte de positionnement de genre, ont des défis personnels à relever allant dans le sens du renforcement de leur capacité politique. Il y va de leur volonté de donner une signification positive à leur lutte pour linstauration de la parité. Il ne sagit pas seulement de se mobiliser pour sensibiliser lopinion sur une augmentation quantitativement de leur présence sur la scène politique par le biais dun habillage constitutionnel mais aussi de la rendre dynamique du point de vue de la participation de qualité.
Le problème de la compétence des femmes en matière de connaissance des modes de fonctionnement des institutions politiques se pose avec acuité dans un pays à fort taux danalphabétisme comme le Sénégal et où tous les textes essentiels de la vie politique sont libellés, discutés et votés en langue française. Les femmes sénégalaises sont nombreuses à revendiquer légalité entre homme et femme en politique mais combien sont-elles à être compétentes techniquement, à vouloir être élues et à avoir le temps de faire la politique, en somme à développer des qualités de leadership féminin ?
Cest là que se trouve toute la nécessité de vulgariser les voies et moyens de promotion des qualités de leadership chez la femme politique pour lui ôter entre autres le complexe dinfériorité quelle nourrit vis-à-vis de son camarade masculin souvent mieux outillé institutionnellement cest-à-dire mieux au fait de la pratique politique. La formation doit être un atout privilégié par les femmes pour passer du stade danimatrices folkloriques à celui dactrices politiques.
C/ Renforcement des capacités politiques par la formation
Pour traiter ce thème, nous nous sommes inspirés dune expérience issue de notre participation, en qualité de journaliste et vecteur de transmission de linformation, à lAtelier de Formation sur le Renforcement des Capacités Politiques des Femmes qui sest tenu du 13 au 16 janvier 1997 dans la salle de conférence du Novotel de Dakar. Loriginalité de ces rencontres est de regrouper des actrices dopinion et dobédience diverses sur un terrain neutre pour dune part créer une synergie dans la prise de conscience des défis à relever, et dautre part pour croiser les expériences porteuses de changement de vision.
Pour cela, il faut la mise en place dun cadre de réflexion et des moyens logistiques et financiers. Les organisations internationales de défense et de promotion des droits féminins se positionnent en mettant leurs fonds et les ressources humaines compétentes à contribution. En cela, elles suppléent le manque de moyens des partis politiques, du gouvernement et des autres structures locales. Pour cette occasion, les organisateurs étaient lInstitut Africain pour la Démocratie (I.A.D) et le Fonds des Nations-Unies pour la Femme (UNIFEM).
Bon nombre de participantes étaient des femmes fraîchement élues deux mois plus tôt lors des élections locales de novembre 1996 mais aussi il y avait la présence remarquable de femmes dhorizon divers venues de la société civile, du monde syndical, parlementaire et gouvernemental.
Malgré les signes encourageants de participation des femmes à la vie politique au Sénégal comme dans le reste de lAfrique, la gente féminine reste encore faiblement présente dans les instances décisionnelles des Etats et des partis. Pour pallier cette sous-représentation, il est apparu au cours de ces dernières années une nouvelle méthode qui consiste à organiser des ateliers de formation afin de renforcer les capacités politiques des femmes. Lobjectif de cette formation qui privilégie une approche participative est de dégager les qualités du leadership féminin pour ouvrir la voie à une masse de femmes leaders afin quelles occupent la place qui leur est due au sein du système politique et qui reflète leur poids électoral à limage de leur engagement.
A partir de là, il est légitime de se poser la question à savoir quells sont les contraintes et les obstacles à lever pour faire peser les préoccupations féminines sur les choix et les orientations des projets de société. Lautre question, non moins importante, est de résoudre leur déficit de connaissance dans les règles formelles du jeu politique dans ses différentes composantes à savoir les techniques de campagne, les contenus des mandats électifs ainsi que le fonctionnement et les textes qui régissent les institutions publiques.
Sur ce dernier point, nous ouvrons une parenthèse sur un élément récent qui a été versé au chapitre par le Président Abdoulaye Wade qui a préconisé au lendemain de son accession à la magistrature suprême, la création de poste dassistants parlementaires possédant au moins une maîtrise en droit, pour aider les députés de la 10e législature (2001-2006) à une meilleure compréhension des rouages du travail législatif. Cette volonté présidentielle était certainement motivée par les gros titres railleurs de la presse sénégalaise sur lillétrisme jamais égalé qui caractérisent un maximum de nos honorables députés, parmi lesquels on compte 20 femmes :
"Traditionnellement, lhémicycle de Soweto a compté dans ses rangs des députés analphabètes [ .. ] mais pour cette législature, ceux qui vont arpenter les couloirs de lhémicycle ne payent pas de mine, pour la plupart, devant les honorables sortants. Le profil des nouveaux députés ne leur permet pas de discuter avec pertinence des projets du gouvernement ?"
Ainsi sexprimait un journaliste cité par la publication des étudiants de lécole de journalisme de Dakar.
Le projet de recrutement dassistants parlementaires dort toujours dans les tiroirs du Ministère chargé des relations avec les institutions depuis le magistère de Madame Awa Dia Thiam sous le premier gouvernement de lalternance. Si les bonnes volontés que sont les organisations non gouvernementales organisent et financent des séminaires de formation aux divers mécanismes institutionnels souvent dans des contextes pré-électoraux, ils nen garantissent pas la pérennité. Il appartient à lEtat dans un souci dapprofondissement du processus démocratique et institutionnel, de se donner les moyens de familiariser les députés tout au long de leur mandat avec leur environnement et leur mission de contrôle de laction gouvernementale.
Parmi les éléments identifiés pour combattre en particulier lignorance des femmes figure en bonne place lanalphabétisme et les déficits de moyens et dinformations. Quelles techniques et quelle méthodologie les formatrices vont-elles pratiquer dans le cadre de ces ateliers de formation ?
"Formation en gestion des campagnes et mécanismes institutionnels" et "Formation en capacité de diriger et techniques de négociation" ont été les deux thèmes retenus pour la promotion du leadership féminin.
Atelier 1 : Formation en gestion des campagnes et mécanismes institutionnels
Selon la formatrice Mireille Eza, cet atelier vise à banaliser l entrée des femmes au pouvoir mais aussi à souligner limportance du maintient de leur position de leader que seule la compétence permet dacquérir. Pour ce faire, elle préconise de doter la femme leader doutils adaptés et performants afin quelle puisse donner la pleine mesure de ses capacités dans son rôle de représentante des préoccupations dun groupe.
La conférencière traitera dabord les mécanismes institutionnels en sous-thème. Demblée, elle tient à préciser quil ne sagit pas de lister lensemble des dispositions réglementaires ou statutaires dun parti, dun syndicat ou dune assemblée parlementaire ou gouvernementale mais de savoir en user. Au cours de cet atelier, les femmes se familiariseront avec les méthodes de compréhension des règles procédurales de prise de décision et de positionnement au sein de leur structure dévolution. Pour ce faire, les femmes sont soumises à des exercices pratiques de simulations pour bien intégrer une connaissance parfaite des statuts, du règlement intérieur, des mécanismes de prise de décision et de véto, des modes déligibilité interne et des voies de recours en cas de contentieux de la structure dans laquelle elles évoluent.
Les participantes ont saisi loccasion pour déplorer le taux élevé de militantes analphabètes, ce qui favorise leur exclusion des réunions stratégiques qui se tiennent généralement en langue française. Les recommandations formulées au terme de cet atelier tournent autour de la nécessité de développer des stratégies de vulgarisation des textes, de faire de laccroissement du taux dalphabétisation et dinstruction leur cheval de bataille et de consolider la solidarité entre femmes pour la mise en place de puissants réseaux et lobbies.
Nous en venons au 2ème sous-thème de la conférencière relatif à la gestion des campagnes électorales. Elle introduira son propos pour dire quavant tout la femme candidate doit se positionner, influer lélectorat, battre campagne, établir les contacts de proximité avec les gens, enregistrer leurs doléances et discuter de leurs problèmes. Cest une période très médiatisée circonscrit dans le temps par la loi et qui se caractérise par des promesses électorales qui nengagent le plus souvent que ceux qui y croient. Les facteurs déterminants auraient dû être la pertinence du discours et des programmes de campagne. Mais à la guerre des idées novatrices et porteuses de changement sest substituée à ce que Jean-François Bayard, un spécialiste de la science politique africaine, appelle la politique du ventre.
Le nerf de la guerre dans lorganisation et la mise en uvre de la campagne des femmes est le manque de financement. Comment faire pour juguler un tel obstacle si lon sait quau Sénégal le contexte électoral est dominé par une surenchère clientéliste et mercantile où seul largent fait foi ?
Le baromètre du meilleur argument électoral est détenu par le candidat ou la candidate qui a la plus grande propension à distribuer de largent aux électeurs potentiels en guise dachat de voix et de consciences. En politique, les femmes sont les plus mal loties financièrement à lopposé des hommes qui occupent des positions de pouvoir et qui sen servent souvent pour détourner impunément des fonds destinés à financer la campagne de leur parti. Les femmes nont pas les moyens dacheter les consciences, ni dorganiser de grands meetings. Au Sénégal, il est quasiment suicidaire dentreprendre une campagne sans comprendre les logiques qui sous-tendent les conditions de sa réussite. Si les voix ne sachètent pas officiellement, il est clair quelles devront être récompensées. En plus de tous ces facteurs qui ne participent pas à léclosion dun leadership féminin de masse, les femmes sont toujours soumises à limpératif parrainage des hommes en cas dinvestiture.
Au chapitre des mesures à prendre pour maximiser les voies et moyens de renforcer limpact et laction des femmes leaders, les bénéficiaires de la formation ont mis à nu la nécessaire combinaison de la double exigence de combativité et compétence avec celle de remplir ses devoirs dépouse et de mère. Il sagit aussi de promouvoir une rupture définitive de politique marchande dans la pratique et les murs la politique. Autrement dit voir comment faire rimer Ethique et Politique contrairement à une idée répandue. Les femmes qui ont suivi ces modules tirent un enseignement sur leurs expériences communes pour constater que cette tradition de monnayer les voix électorales a un bref avenir devant elle car les femmes qui constituent le gros de la troupe ont pris consciences de la nécessité dassainir le jeu politique.
Atelier 2 : Formation en capacité de diriger et techniques de négociation
Les discussions sont dirigées par une autre chargée de conférence Pascaline Menono. Elle cadre les contours du débat qui se limite à lidentification des modalités dune bonne prise de décision et dexercice de lautorité. Il est révolut le temps où on gérait le pouvoir et lexercice de lautorité avec oppression et dictature. Les militants ont conquis une certaine liberté qui est plus en adéquation avec le marchandage politique. Cest ce qui a amené la conférencière à trouver le sujet propice à la définition de la négociation dans un contexte organisationnel et politique. Toujours dans le cadre de son propos liminaire, Pascaline Memono définit la négociation comme lélément moteur et déterminant du jeu politique. Ce concept doit revêtir les formes dune discussion dans le sens de la recherche dune base daction commune par des protagonistes ayant identifié un écart entre leurs positions respectives et décidé de le réduire dans la cordialité. Il sagit aujourdhui de transformer ces acquis féminins en leur donnant un caractère scientifique pour les sortir du cadre privé.
Dans le contenu des sessions, langle consensuel sera privilégié pour aborder le thème de la négociation. Les qualités premières du leadership se décèlent dans lart de la négociation et du compromis. On sait que les femmes sénégalaises possèdent des dispositions innées à la négociation. Certains observateurs assimilent ce don féminin à une utilisation abusive de leur charme personnel.
Dans ce schéma organisationnel de quête des outils et techniques nécessaires à la promotion du leadership féminin, la communication occupe une place importante si lon sait que les états majors politiques se distinguent par leur capacité à mobiliser les médias, à transmettre la meilleure image possible à lopinion, à remplir et à monopoliser lespace médiatique quand lenjeu politique lexplique. Dans ce processus de communication, lefficacité et la pertinence du message se vérifie dans le vocabulaire choisi par l émetteur et le degré de sensibilité du récepteur. Lémetteur du message doit vérifier au niveau du récepteur quil y a bien eu rétroaction, ce qui lui permet de dire si la compréhension est établie, dans ce cas il pourra dire quil y a eu communication.
CONCLUSION
Au terme de notre analyse sur les enjeux et les perspectives de la participation des femmes sénégalaises à la vie politique, nous avons été amenés à tirer le constat le plus frappant : la femme sénégalaise éprouve toutes les difficultés à se départir de son statut de subordination à lautorité de lhomme depuis la période précoloniale jusquà nos jours.
Lhistoire des sociétés sénégalaises nous révèle que quelles que soient les formes dexclusion ou de subordination des femmes par rapport au pouvoir central, la légitimation de cette domination masculine a toujours trouvé ses fondements dans la conscience collective et une certaine forme de consentement collectif. Les femmes ont coopéré à leur propre subordination. Cest la raison pour laquelle les hommes nont pas éprouvé de résistance en refusant de reconnaître les femmes comme des individus responsables. Ce constat inscrit au cur de notre problématique nous incite à poser la question liée à la réalité et celle de leffectivité du pouvoir des femmes au Sénégal ; sagit il dun pouvoir dinfluence ou de décision ?
Pour donner une réponse à cette interrogation, nous allons nous référer aux critères de pouvoir politique définis par Maurice Godelier en quatre points et qui peuvent se combiner de diverses façons:
4. Tout pouvoir politique se trouve combiné dune façon particulière avec dautres formes
de pouvoir dans la mesure où il est soit associé, voire même confondu, soit dissocié
de lexercice dautres fonctions.
La grille danalyse ci-dessus comparée aux formes de pouvoir dans les différents contextes politiques sénégalais et les places quy ont occupé les femmes nous renvoie à une réponse assurément négative. Pour ce qui concerne le pouvoir de décision à la plus haute échelon politique, aucune femme na encore exercé au Sénégal des attributs entiers du pouvoir politique en qualité de Chef dEtat. Femme Chef de parti politique, le Sénégal en compte une seule en la personne de Madame Marième Wane Ly du Parti pour la Renaissance Africaine (PARENA.) Hélas, faute de moyens financiers et de sources de financement, le seul parti politique sénégalais dirigé une femme ne couvre pas tout le pays. Pour participer aux élections municipales du 12 Mai 2002, Madame Wane Ly est obligée de nouer des alliances électorales. Dans le nouveau jargon politique ça sappelle "Du yobaléma" (signifie se faire remorquer par des partis plus représentatifs).
Les femmes ont exercé le pouvoir politique dit dinfluence et à des échelons finalement contrôlés par les hommes. Cest sans doute cette frontière sexuelle qui départage la politique qui a fait insister Maurice Godelier dans son ouvrage " La production des grands hommes ".
"Sur la généralité des processus de légitimation qui combinent dénigrement et compensations, destinés à obtenir le consentement des individus (en loccurrence les femmes) à leur propre subordination, ainsi que sur la " dimension imaginaire " déployée à la justifier. La violence est bien loin dêtre le seul moyen de faire régner lordre des sexes."
Lordre des sexes est à la base de la quasi-absence des femmes dans la sphère politique. On peut dire que cette situation a été à la base de lindifférence de la part des femmes ou de leur exclusion voulue par les hommes. Dans tous les cas, les hommes ont classé les femmes en groupe social distinct dont ils disposent pour les empêcher ou les autoriser partiellement à sintégrer dans la sphère politique.
Devrait-on se laisser aller au désespoir de voir évoluer toute normalisation des rapports
homme/ femme en politique ?
La nature même du pouvoir politique avec ses exigences de violences physiques et psychologiques, de trahison et dillusions perdues est souvent incompatible avec la sensibilité féminine. On peut dire que ces considérations dordre secondaire expliquent en partie la place occupée par les femmes en politique. Il est apparent de nos jours quil existe un problème de société découlant de la spécificité femme en tant quactrice du jeu politique. Celle-ci revendique la prise en compte de la dimension féminine dans les affaires publiques.
Des changements sont à apporter dans les rapports sociaux de genre qui sous-tendent en réalité le mode de représentation dans lespace politique. Certains observateurs militent pour une redistribution de lautorité et du pouvoir au sein de la famille, du ménage ou de la société. Ceci pour contrecarrer laffirmation de la prééminence de lhomme sur la femme qui constitue une des caractéristiques fondamentales de la culture sénégalaise. Dans la première partie de ce travail, même si les femmes navaient pas de visibilité dans les structures traditionnelles de pouvoir et de prise de décision, elles étaient détentrices dune certaine influence.
Aujourdhui il importe de transcender les facteurs psychosociologiques qui entravent leur participation pleine au processus de prise de décision. Dune part, les femmes veulent renverser les rôles de dépendance ou de soumission et dautre part les hommes résistent à une contestation de leur autorité. Il serait judicieux que les rapports homme/femme sorientent vers un partenariat équilibré ou une relation de coopération. La volonté des femmes de changer la nature des rapports existants est inéluctable, le processus est déjà enclenché. Lautorité masculine est mise à rude épreuve de plus en plus depuis que les femmes assurent en masse une bonne partie des dépenses familiales. Ceci grâce à leurs stratégies de commerce informel et aussi depuis quelles ont investi en grand nombre laccès à linstruction, à lemploi et à la formation.
Malgré cette mixité de plus en plus grande, le socle sur lequel repose la subordination résiste toujours. Sur le plan purement politique, elles continuent dêtre associées à une masse électorale. La discrimination multidimensionnelle de la femme sénégalaise au plan politique et institutionnel, économique et social, son confinement à des rôles domestiques ou secondaires laissent présager dun avenir difficile pour lamélioration de leur condition.
On peut dire que face à leur situation, les femmes ne se sont pas résignées à leur sort. Une bonne frange de la population féminine sest mobilisée pour débusquer et traquer les tabous et idées reçues. La quête dune démocratie égalitaire, participative et citoyenne dans un contexte de sujétion et de domination masculine doit apporter des réponses rapides et concrètes au manque de réseaux ou de lobby pour les femmes. Ensuite des solutions doivent être apporter dans les plus brefs délais aux structures politiques et institutionnelles qui évoluent sans tenir compte du mode de fonctionnement des femmes tel que les obligations qui découlent de leur rôle dépouse, de mère au sein de la famille. Entre autre, les compétitions telles quelles sont organisées à lintérieur des partis ne favorisent pas lélection de femme à des postes importants. Lusage veut jusquici que les femmes soient confinées dans des mouvements distincts mais affiliés et soumis au veto des hommes.
Comment se construit un pouvoir féminin à lintérieur dun système de rapports inégalitaires ?
Les femmes sénégalaises doivent impérativement et en masse se séparer de leur assignation domestique en investissant les activités salariales qui :
"apparaissent comme une base de constitution du sujet féminin dans la sphère publique" pour reprendre les termes de lhistorienne Penda Mbow.
Au Sénégal, la mobilisation contre la marginalisation des femmes sest traduite par lémergence dun vaste mouvement démancipation dont lobjectif demeure la réhabilitation féminine. Cette mobilisation se positionne comme un contre-pouvoir composé dONG, de partis politiques, de syndicats, dassociations féminines, dindividus communément appelés société civile. Pour renforcer le pouvoir de décision des femmes, lopinion attend de la société civile quelle se manifeste en faveur dune stimulation des femmes à entrer en politique. Il est attendu de la société civile quelle sensibilise les populations sur la :
"nécessité de transformer les rapports sociaux de genre de sorte à leur faire accepter quils relèvent plus de croyances sociales que de déterminisme biologique, établit au détriment des femmes".
Les acquis sont minces et le combat à venir sera rude pour les femmes du Sénégal. Il serait recommandé quelles commencent à sappuyer sur des sphères intermédiaires jusquici quasiment inexplorées telles que le commandement territorial (gouverneurs, préfets, sous-préfets) ou les mandats locaux (maires, présidentes de Conseil régional ou rural) Jusque-là les autorités sénégalaises nont pas encore nommé de femme préfet ou gouverneur. Cest là que le pouvoir est en contact direct avec les populations pour rechercher leur bien-être qui doit être le fondement et la finalité de toute action politique.
La question de la participation des femmes sénégalaises en politique ne peut être dissociée de la conquête de leur pouvoir économique et de leur savoir sur le plan intellectuel car le manque de moyen et lignorance sont les principaux obstacles à lémancipation politique des femmes. Lorsquelles auront soin apporter des solutions pertinentes à cet état de fait, elles devraient sattacher à matérialiser les réseaux de femmes politiques leaders pour peser de tout leur poids sur les orientations du pays.
Cest pourquoi nous terminerons notre étude en encourageant limplication des femmes dans larène politique qui est un des moyens les plus sûrs de veiller à la prise en compte de leurs intérêts. Aminata Touré est davis que cette participation tant quantitative que qualitative doit inaugurer une ère nouvelle dans la culture politique sénégalaise en faisant triompher leurs qualités sociales que sont lhonneur, laltruisme, le respect pour la vie humaine, leur aptitude à la négociation et leur attachement à la paix. Histoire de rendre à la politique ses lettres de noblesse et la réconcilier avec les sénégalais.
A N N E X E S
B I B L I O G R A P H I E
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www.unhchr.ch/Huricane.nsf/webhome/French
www.observatoire-parite.gov.fr
www.famafrique.org/parenteconjointe
www.statistik.admin.ch/about/international