Autochtonie, Autonomie, Altrit
Les visages de la gouvernance dans le
Chiapas indigne[1]
Par Akuavi Adonon
paru dans Christoph
Eberhard (d.), Droit, gouvernance et dveloppement durable,
Cahier d'anthropologie du
Droit 2005, Paris, Karthala, 376 p (123-138)
La notion de Ē gouvernance Č peut tre
claire sous une multiplicit dÕapproches et de ce fait, conduire diffrentes problmatiques
et ralits. Dans le contexte de lÕEtat mexicain, une approche de la
gouvernance sous les lumires de la mondialisation, du
Ē dveloppement Č et du march orienterait certainement la rflexion
sur les politiques de gouvernance-dveloppement telle quÕentendue par les
institutions financires internationales comme Ē (É) un ensemble de
procdures et de techniques de gestion destin faciliter lÕimplantation du
modle de rfrence et lÕadministrer. En lÕoccurrence, la Banque Mondiale
prne une conomie de march drglemente et insre dans la mondialisation.
LÕEtat, de son ct, est petit, facilitateur et normatif. La dmocratie est
normative et ne doit pas tre un moyen de pression sur le march et sur son
fonctionnement. Č[2] Sous cet angle, le Mexique est bel et
bien, un pays exemplaire dans lÕadoption des programmes structurels et dans son
Ē intgration Č la globalisation. Les institutions financires
internationales peuvent en effet, y tirer les louanges car, depuis plus de 20
ans, les gouvernements mexicains ont successivement rorient la politique
conomique pour appliquer avec ferveur et sans tenir compte des critiques de
certains secteurs de la socit, les recettes du FMI, de la Banque Mondiale et
mme du Dpartement du Trsor nord-amricain. Le Mexique peut se vanter dÕavoir
actuellement les rserves montaires au niveau le plus lev de son histoire
(plus de 50 000 Mdls), un dficit fiscal qui ferait saliver nÕimporte quel
Ministre des finances en Europe (0,3% du PIB) et une inflation faible (4,5 %).
Les cots sociaux ont t cependant, forts svres. Un niveau lev des
rserves montaires a servi encourager la spculation avec les dollars dÕune
banque commerciale 92% prive. La quasi inexistence du dficit sÕexplique,
principalement par trois raisons : premirement, lÕtranglement fiscal de
lÕentreprise publique la plus importante, Petrleos Mexicanos (dÕo viennent
35% des ressources de lÕEtat), ce qui met en danger sa viabilit et encourage
les partisans de la privatisation ; deuximement, lÕeffondrement de
lÕinvestissement public en infrastructure productive ; et troisimement,
lÕinsuffisance du budget destin une politique sociale de sant, ducation,
logement, etc. Quand la matrise de lÕinflation, cÕest devenu un objectif en
soi, la soumission de tous les instruments macroconomiques cette fin a
provoqu la stagnation dans la croissance conomique avec la part de chmage,
les bas salaires et lÕaugmentation du travail informel.[3]
Pour Bonnie Campbell, la notion de gouvernance
vhicule par les institutions de Bretton Woods, est non seulement minemment
politique mais surtout idologique ; une conception si prcise du rle de
lÕEtat, du champ du politique et des rapports Etat-march en tmoignent.[4]Cynthia
Hewitt signale dans le mme sens quÕ Ē En parlant
de ŌgouvernanceÕ plutt que de Ōrforme de lÕEtatÕ ou de Ōchangement
social ou politiqueÕ, les banques multilatrales et les organismes de
dveloppement ont pu aborder des questions dlicates susceptibles dÕtre ainsi
amalgames sous une rubrique relativement inoffensive, et dÕtre libelles en
termes techniques, vitant de la sorte ces organismes dÕtre souponns
dÕoutrepasser leurs comptences statutaires en intervenant dans les affaires
politiques internes dÕEtats souverains. Č[5]
La dresponsabilisation sociale de lÕEtat mexicain, nous semble tre bien
illustre par la typologie des grands Etats du sud aborde par Christoph
Eberhard dans ses rflexions sur lÕEtat entre gouvernement et gouvernance, o
la globalisation dit-il, sert dÕexcuse Ē pour ouvrir leur pays
au march global tout en fragilisant ainsi leurs propres populations qui sont
sacrifies sur lÕautel du dveloppement macroconomique qui est souvent
contradictoire avec lÕautodveloppement et lÕautosuffisance. Č[6]
Une telle approche de la
notion de gouvernance et un tel contexte voquent une problmatique lie la
dresponsabilisation sociale de lÕEtat, lÕimposition dÕun Ē modle
global Č externe et par consquent, lÕabsence de participation de
la socit.
Dans le mme contexte de lÕEtat mexicain, peuvent
tre identifis des phnomnes lis une toute autre dimension de la gouvernance.
Une gouvernance venant de processus endognes de prise en charge par les
populations de leur propre rgulation sociale, dÕune responsabilisation des
populations et de dynamiques sociales de rsistance identitaire. Cette
autre ralit qui claire la notion de gouvernance, lui fait prendre forme par
rapport aux notions dÕautochtonie, dÕautonomie et dÕaltrit et fait merger la
problmatique du multiculturalisme au sein de lÕEtat.
Une approche dÕanthropologie du Droit semble
pertinente pour tenter de rendre compte des enjeux sociaux qui se cachent
derrire une notion de gouvernance associe cette problmatique particulire.
En effet, ce regard fait accorder une importance de premier ordre lÕtat de
fait, aux relations et dynamiques qui oprent dans le jeu social, au-del dÕun
regard prescriptif qui orienterait lÕanalyse vers des Ē codes
thiques Č ou Ē rgles de mise en Ļuvre dÕune bonne
gouvernance Č... Les rflexions qui suivent, tentent de sÕorienter plutt
vers la comprhension des phnomnes tels quÕils se prsentent en essayant de
rendre visibles, dans la mesure du possible, les logiques sous-jacentes. Dans
un premier temps, nous aborderons le contexte et la pratique de la gouvernance
telle quÕelle se prsente pour certaines populations indignes du Chiapas et,
dans un deuxime temps, nous tenterons dÕen tirer les clairages qui nous
semblent plus significatifs par rapport une notion de gouvernance ainsi
traite.
I Autonomie ou Ē gouvernance de lÕAutre Č
Andr-Jean Arnaud rappelle que Ē La
gouvernance dÕune communaut ethnique nÕest pas lÕvidence, la mme que celle
des entreprises, parler donc de gouvernance au singulier pourrait donc bien
faire courir le risque dÕentretenir lÕambigut autour dÕun concept la mode
qui nÕest pas souvent utilis bon escient. Č.[7]
Le contexte des relations Etat-Indiens au Mexique[8]
aide expliciter la notion de gouvernance qui sera la notre. Car, si la notion
de gouvernance est associe une mise en cause de la centralit de lÕEtat dans
la mise en forme du vivre en socit au niveau politique et juridique ;
dans le cas du Mexique, ce manque dÕefficacit ou impuissance de lÕEtat
imposer sa rgulation aux peuples indignes[9]
sÕexplique, par le dphasage interculturel de base : les diffrentes
visions du monde et donc les diffrentes visions de lÕorganisation sociale.
CÕest la diversit par rapport la vision majoritaire et dominante qui nous
mne parler dÕaltrit. La zone de Ē vide tatique Č dans la
rgulation sociale, ouvre dans notre approche le domaine de la gouvernance,
gouvernance entendue comme la prise en charge de la population de sa propre
rgulation sociale. Ainsi, lÕimpossibilit de contrle dÕespaces qui, dans la
pratique, chappent la rgulation et la puissance tatique, sont autant dÕlments
qui favorisent le dveloppement de zones de rgulation sociale qui sont
rcupres et investies par les populations indignes.
Cette gouvernance des populations indignes, la
gouvernance de lÕAutre, se trouve ici, directement lie lÕautonomie. Autonomie, en tant que
rgime spcial qui constitutionnellement reconnatrait un gouvernement propre
pour les populations indignes qui, ainsi, pourraient choisir leurs autorits,
exercer des comptences lgalement attribues et des comptences pour organiser
la vie interne et lÕadministration de certaines affaires.[10]
Il faut prciser quÕil ne sÕagit en aucun cas de revendications
indpendantistes, au contraire, dÕune meilleure et respectueuse insertion dans
la structure tatique. Hctor Daz Polanco affirme dÕailleurs, que lÕautonomie
est le recours dont se sert une socit un moment donn pour tenter de
rsoudre le conflit ethnico national. Dans la mesure o il nÕy a pas de rgime
autonomique tablit, les phnomnes de gouvernance ou autonomies de facto se dveloppent en marge de la lgalit
tatique.
LÕtablissement dÕun rgime autonomique nÕest pas
sans poser de questions : Pourrait-on crer des gouvernements autonomes
lÕintrieur du systme fdral mexicain ? Les rgions autonomes
seraient-elles multiethniques ou monoethniques ? Comprendraient-elles une
population mtisse ?[11]
Les droits individuels seraient-ils respects au mme titre que les droits
collectifs ? Un groupe de droits serait-il privilgi par rapport
lÕautre ? Au-del de ces questionnements, la gouvernance des populations
indignes relve de lÕtat de fait et se prsente aussi sous diffrents
visages.
a. la
gouvernance Ē intra etatiqueČ
Le village indigne (comunidad indgena) est dans une certaine mesure le
continuum des formes dÕexistence sociales des indiens. Ces formes dÕexistence
sociales o les indiens trouvent une certaine cohsion, nÕont pas cess
dÕexister depuis la conqute et sont toujours prsentes dans ce quÕest
actuellement le territoire du Mexique.[12]
Cet espace tant physique que culturel conforme le peuple et son identit, les
personnes et les familles, qui forment le tissu social de chaque village
indigne, organisent leurs interactions partir des devoirs envers le groupe.
Les principes idologiques et comportementaux qui le dfinissent se
transmettent dÕune gnration une autre, le pouvoir politique et religieux
cherche tre conserv entre les mains de ceux qui composent le village
indigne et qui expriment en assembles les consensus soigneusement tisss. En
tant que reprsentants des intrts du village, les autorits sont responsables
et doivent veiller la sauvegarde de lÕordre social et donc, lÕordre du
cosmos, au risque de se voir ter les facults temporellement accordes.
Le village indigne trouve son Ē sige Č
de manire plus concrte, dans le territoire de la commune.[13]
Chaque village indigne est trs diffrent des autres, et les diffrences sont
dÕautant plus importantes selon lÕEtat fdr o il se situe, selon la langue
ou variante dialectale parle, selon le milieu rural ou urbain, selon les
conditions gographiques, climatiques et dmographiques, selon la nature de ses
relations avec le gouvernement tatique, etc. Ceci explique que les actuelles
configurations des villages soient des crations strictement contemporaines,
rsultat de lÕaccumulation de rfrents du monde prhispanique, de la conqute,
du Mexique indpendantÉ Dans lÕEtat de Chiapas gographie contraste et trs
densment peupl il y a un grand nombre de villages indignes dissmins dans
tout le territoire. La gouvernance que les villages indignes pratiquent dans
la mise en forme de la rgulation sociale nÕest pas homogne, et dans la
plupart des cas elle ne peut sÕexprimer de manire plus ou moins stable, que
dans le domaine de la commune car chaque fois quÕelle tente de se manifester
dÕautres niveaux, rgional par exemple, apparaissent les forces dissolvantes de
la structure tatique dominante.
Arturo Lomel propose une classification des
villages indignes du Chiapas[14]
que nous reprenons pour voquer les particularits que peut recouvrir la
rgulation de la vie interne des villages, donc la gouvernance. Il aborde en
premier lieu les villages qui organisent leur monde socio politique et culturel
grce des systmes dÕautorit qui rsultent du mtissage des institutions
tatiques et des institutions civico-religieuses plus associes au monde
indigne.[15] Les
institutions indignes sÕimposent dans ces villages, dit-il, et les fonctions
sÕenchevtrent sans quÕil puisse y avoir une claire distinction entre fonctions
et fonctionnaires. Les autorits villageoises sont souvent aussi les
fonctionnaires tatiques du conseil municipal de la commune, elles incarnent
donc une Ē double casquette Č. Dans lÕinteraction avec les autres communes
(indignes ou non), avec le gouvernement et les institutions de lÕEtat de
Chiapas et avec le gouvernement et les institutions fdrales, le conseil
municipal fonctionne comme nÕimporte quelle autre commune du pays. A
lÕintrieur du village, le conseil municipal ou autorits villageoises doivent
maintenir lÕordre social travers des normes de conduite et de comportement et
des traditions hrites des anctres. LÕobservation de ces prceptes garantit
lÕordre du cosmos dont la communaut fait partie et vite les calamits et
malheurs. Un habitus, un rituel, une tradition, sont directement lis la
vision du monde et reprsentent donc des lments essentiels de lÕtre sur
terre. LÕintroduction de nouvelles
croyances impliquant un nouveau systme symbolique et rituel provoque le
rejet et lÕexpulsion mme du territoire de la commune des convertis aux
nouvelles croyances qui sont vus comme une menace aux valeurs identitaires. Les
villages indignes des montagnes du Chiapas, lieux privilgis de nos terrains,
entrent dans cette typologie.
La deuxime catgorie que prsente Arturo Lomel,
correspond aux villages indignes o les structures institutionnelles tatiques
ont marginalis les structures civico-religieuses indignes, ces dernires
jouant un rle de cohsion de groupes minoritaires. Dans cette catgorie il nÕy
a pas dÕimbrication de fonctions car la vision plus scularise de lÕautorit
la lie directement la socit et non pas une reprsentation de pouvoirs
cosmogoniques. Les msaventures dans le domaine du visible sont attribues au
Dieu chrtien, la force des saints et aux divinits Ē locales Č
mais les institutions qui reprsentent de manire plus concrte ces croyances,
restent en marge du pouvoir constitu. Ces villages ne prsentent que des
rsidus dÕinstitutions indignes Ē traditionnelles Č mais elles
conservent les coutumes ancestrales dans le Ē cĻur Č et dans
lÕimaginaire collectif.
Dans la troisime catgorie se trouvent les
villages indignes qui ne conservent aucune institution Ē traditionnelle Č,
leur cohsion se fait par le biais des institutions nationales et des autorits
tatiques. Elles ne conservent que certains modles de conduite hrits des
anctres. La structure du pouvoir tatique a envahi la totalit de la
rgulation sociale et, lÕexplication de lÕexistence humaine et de ses
adversits se fait par une thologie populaire de diffrentes filiations
religieuses, teinte de croyances et
de symboles des anctres ; mais les croyances et rituels ont abandonn
les tablissements publics pour tre confins au domaine priv du foyer.
Le domaine de la gouvernance des villages
indignes du Chiapas peut donc se manifester par un phnomne dÕenchevtrement
plus ou moins important de fonctions o la rgulation de la vie interne rpond
une vision diffrente de la vision mtisse, occidentalise et plus
gnralise, dÕenvisager lÕordre du monde. Mais dans la sphre externe la
communaut indigne, dans ses relations institutionnelles, elle intgre la
structure tatique. Il sÕagirait donc dÕune gouvernance rsultat de la
diversit culturelle et qui se manifeste lÕintrieure de la structure
tatique, sans la remettre compltement en cause, du moins dans les formes.
Mais cet clairage interculturel et diatopique de la notion de gouvernance nous
mne aussi vers un phnomne de prise en charge de la population indigne de sa
propre rgulation sociale qui se fait dans un contexte de concurrence directe
la juridiction et lÕexercice des fonctions du gouvernement lgalement tabli
et reconnu. Peut-on toujours parler de gouvernance ?
B. de
la rbellion zapatiste la gouvernance
La conjoncture de lÕEtat de Chiapas empche de
faire lÕimpasse sur les expriences autonomiques de LÕArme Zapatiste de
Libration Nationale (EZLN[16]),
mme si le rapprochement brouille les frontires et ouvre le dbat sur la
distinction entre actes de gouvernance et actes de gouvernement, tout en
rintroduisant lÕaspect politique et plus particulirement, du pouvoir et de la
lgitimation du pouvoir souvent vacus des considrations autour de la
gouvernance qui apparat souvent comme un terme neutre.
1) Les communes autonomes
zapatistes rebelles (MARZ)[17]
La demande dÕautonomie dans un nouveau projet de
socit, nÕapparat dans le discours des zapatistes quÕune anne aprs le dbut
de la rbellion arme. Lors de la troisime dclaration de la Selva
Lacandona, lÕarme
zapatiste dclare que lÕEZLN paulera la socit civile dans lÕtablissement
dÕun gouvernement national de transition vers la dmocratie qui reconnaisse les
particularits des peuples indignes, leur droit lÕautonomie et la
citoyennet. Entre 1995 et 1996, une quarantaine de villages indignes se sont
dclares communes autonomes rebelles. LÕexercice du pouvoir dans ces communes
a t un terreau fertile pour le discours idologique de la libration et de
lÕautogestion. Le regroupement de parages et le mouvement de population avec le
maintien dÕautorits ou la dsignation de nouvelles, ont t le point de dpart
des communes autonomes qui, dans leur organisation interne, ont reconstitu le
modle des villages indignes avec un chef lieu municipal, sige des autorits
politiques et religieuses, entre 20 et 30 parages et une structure
gouvernementale similaire aussi ceux des villages indignes. La grande varit
des expriences en matire de gouvernance est galement perue dans les
communes zapatistes qui, dÕentre de jeu, ont une diversit de noms :
Communes rebelles, communes autonomes en rbellion, Conseils municipaux
autonomes, Peuples autonomes, entre autres. Cette diversit reflte finalement
ce quÕest le zapatisme : une large frange de conglomrats humains,
groupes, villages, organisations, communes, etc. regroups sous le drapeau
commun de lÕopposition au gouvernement Fdral et/ou au gouvernement de lÕEtat
fdr o la diversit rgionale, ethnique, culturelle, historique,
linguistique et religieuse impriment leurs propres empreintes chaque
processus autonomique.[18]
Dans la concrtion de cette opposition, les
zapatistes intgrent aussi des gouvernements parallles o le gouvernement
tablit et le gouvernement dissident cohabitent souvent dans le mme territoire
exerant ainsi, une juridiction sur les personnes et non sur le territoire.
Dans la phase Ē dÕinstallation Č dÕune commune autonome, le fait que
les habitants du villages renient les autorits constitutionnelles est
directement li la consolidation du gouvernement autonome. Plus les autorits
dÕune commune autonome ont la capacit dÕexercer un plus grand nombre de
fonctions (appliquer la justice, recouvrer des impts, installer un bureau de
lÕEtat civil pour le registre des mariages, naissances et dcs et couvrir
certains aspects en matire de sant, ducation et approvisionnement), plus les
Ē citoyens zapatistes Č renoncent progressivement la juridiction
constitutionnelle pour se soumettre celle des autorits autonomes. En avril
de 1998, les autorits dÕune commune autonome dfinissaient leur gouvernance
dans ces termes : Ē Ici, on sÕarrangent entre nous (É) nous nous
autogouvernons car quoi sert le gouvernement si nous nÕavons ni lectricit,
ni eau courante, ni chemins, ni hpitaux, ni coles (É) Je ne vois pas
lÕintrt dÕavoir des relations avec le gouvernement (É) Pourquoi faire ?
il vaut mieux quÕon se dclare autonomes (É) Les gens vivent librement (É)
faisant produire la parcelle pour nourrir la famille et aider les populations
dplaces avec du mas, du haricot, du bois et vendre ne serait-ce que a San
Cristbal Las Casas. Č[19]
Ces considrations peuvent sembler bien loin, pour
certains, des rflexions que peut susciter le thme de la gouvernance, mais
difficile de ne pas trouver le rapprochement avec les commentaires dÕAndr-Jean
Arnaud pour qui, en lÕoccurrence, le terme viendrait de lÕAmrique du Nord.
Ē Dans un pays de pionniers, contraints par les circonstances
resserrer les liens communautaires dans des groupements forts loigns des
capitales o rsidaient les lus et fonctionnaient les administrations, les
instances dÕorganisation et de contrle social sÕimprovisrent entre voisins.
La gouvernance sÕinstaure prioritairement comme mode de rgulation en matire
dÕorganisation de lÕducation et du traitement de la pauvret. Č[20]
2) Caracoles et Conseils de
Bonne gouvernance[21]
Les communiqus de juillet 2003 de lÕEZLN,
annoncent la cration de cinq Caracoles correspondant cinq rgions rebelles, et les
respectifs Conseils de Bonne gouvernance qui seraient les organes de
gouvernement. Un ensemble de changements ont t oprs dans lÕorganisation des
villages indignes zapatistes du Chiapas, tous orients vers la pratique de
lÕautonomie lÕchelle rgionale. Les critres utiliss pour la dlimitation
des zones nÕont pas t explicits mais lÕunit historique, les relations
construites et consolids au fil du temps et la restructuration ou quilibrage
du poids des communes, semblent tre des lments indicatifs. A ce sujet,
Hctor Daz Polanco parle dÕun exercice de cartographie autonomique qui
dlimite territorialement la zone sous influence zapatiste.[22]
Ainsi prnomms, pour tablir dÕembl le contraste avec le Ē mauvais
gouvernement Č des trois niveaux de lÕactuel rgime fdral au Mexique,
savoir, le gouvernement de la commune, le gouvernement de lÕEtat et le
gouvernement Fdral, les Conseils de Bonne gouvernance ont la fonction de
distribuer les ressources provenant dÕaides extrieures (ressources vitales
pour assurer la survie des villages zapatistes dans les moments actuels),
dÕaccorder le titre de zapatistes aux personnes, coopratives ou socits de
production ou de commercialisation et de former un fonds avec les impts et les
excdents pour la redistribution. En ce qui concerne le ct militaire du
zapatisme, les communiqus voquent lÕinterdiction aux dirigeants militaires ou
membres du Comit Clandestin Rvolutionnaire Indigne dÕoccuper des fonctions
dans les conseils municipaux, sans avoir pralablement dmissionn
dfinitivement de leurs fonctions au sein de lÕEZLN. Il y a l une volont, du
moins discursive, de sparer le fonctionnement dÕun pouvoir civil avec lÕaspect
militaire.
Les questions de lgalit et de lgitimit se
posent galement. LÕautonomie rgionale que les zapatistes commencent
construire se fait contre courant du cadre normatif et des rformes
constitutionnelles approuves en avril 2001 qui, elles, ne permettent en
ralit aucun exercice autonomique. Il ne faut donc pas perdre de vue que les
Conseils de Bonne gouvernance, de mme que les communes autonomes, sont des
autonomies de facto.
LÕexercice de lÕautonomie, considr pourtant fondamental par les instances
internationales a t ni ; ceci justifie la rsistance indigne pour les
partisans de telles revendications, mais ni la convention 169 de lÕOIT,[23]
ni les pourparlers entre le gouvernement et lÕEZLN tenus San Andrs
Larrainzar (1996), ne donnent les bases lgales suffisantes, par-dessus la
Constitution Politique du Mexique, pour lÕexistence de telles manifestations.
Considrer quÕil nÕy a pas de contradiction avec la normativit tatique est
une posture comprhensible venant des partisans du mouvement indigne, mais
elle semble tout fait surprenante venant du gouvernement fdral, surtout
quand on pense aux offensives systmatiques et meurtrires lances lÕencontre
de la population et des Ē gouvernements dissidents Č, la militarisation
croissante, lÕaction de groupes paramilitaires lis la police et lÕarme
gouvernementales et au dmantlement dÕun grand nombre de communes autochtones.
Il faut bien croire quÕavec une telle position, le gouvernement cherche tout
simplement vacuer le problme politique sous-jacent. Le ministre de
lÕintrieur a assimil lÕinitiative zapatiste aux dcisions de groupes ou
associations privs qui organisent leurs activits internes.[24]
Il est pourtant clair que lÕexercice autonomique zapatiste est une affaire
publique et quÕil existe un dphasage entre la normativit et le droit lgitime
des peuples. Daz Polanco interprte la position du gouvernement comme le
rsultat dÕun calcul qui pour lÕinstant ne considre pas les Conseils de Bonne
gouvernance comme un dfi concret, dÕautant plus quÕun tel dbat ne pourrait
pas tre men bon escient ni de la part du gouvernement Fdral ni de celui
de lÕEtat de Chiapas, vu la corrlation des forces en prsence. Mais au moment
o lÕexprience autonomique entre en contradiction directe avec des intrts ou
relations prserves par le pouvoir tatique, le discours peut changer et
lÕillgalit desdites autonomies tre argumente. La gouvernance de facto, rsultat de la permissivit du pouvoir
tatique ou de son impossibilit dÕimposer pleinement lÕordre tatique, peut
driver tt ou tard vers la suppression des grces tolres, une fois modifi
lÕquilibre des forces ou lÕintrt gouvernemental. [25]
La reconnaissance ne construit pas dÕelle-mme, une quelconque ralit de vie
autonome. Les expriences de gouvernance des populations indignes abordes,
tant dans le cadre de la structure tatique quÕen marge de lÕEtat, montrent que
lÕautonomie se tisse principalement Ē dÕen bas Č, avec le concours de
la population, mais elles montrent aussi et surtout, que la gouvernance vcue
par les populations indignes relve dÕune diffrence culturelle la base
quÕil ne faut, certes, pas figer dans une catgorie tanche sous peine dÕtre
caricaturale, mais quÕil ne faut pas non plus ngliger dans lÕanalyse du
phnomne.
II La gouvernance sous lÕclairage
interculturel
Aborder de la sorte la notion de gouvernance en
tant que prise en charge de la population de sa propre rgulation sociale
au-del du cadre tatique, la prendre en otage dans un contexte dÕaltrit,
dÕautonomie et dÕautochtonie pose des implications conceptuelles quÕil faut
expliciter.
a. la
notion de socit civile
LÕexpression Ōsocit civileÕ nÕest pas
univoque, que lÕon se rapporte lÕvolution historique du terme ou lÕanalyse
de ses contours, elle recouvre des ralits fort diverses. Il est cependant
vrai quÕĒ Au fil du temps, les Organisations Non Gouvernementales (les
fameuses O.N.G.) sÕimposent (É) comme les acteurs les plus reprsentatifs, les
plus dynamiques et les plus sympathiques dÕune socit civile renouvele et
largie au niveau de la plante o se posent et se dcident de plus en plus les
grandes questions de socit comme la paix, le partage des ressources, la
prservation de lÕenvironnement, les droits de lÕhommeÉ Č.[26] Une
variante analytique possible, aborde la socit civile comme initiatives de
base et mobilisations populaires dÕune grande htrognit qui ragissent
contre le modle globalisant dominant, par la mise en avant de la sphre locale
de leurs actions et intrts ainsi que par la rcupration des domaines
communautaires et le renforcement de leur autonomie. Ces actions dbordent le
cadre de lÕEtat et de la dmocratie formelle, sous cet angle de vue, la socit
civile nÕest pas un substitut dÕautres expressions portant le mme antagonisme
vis--vis de lÕEtat et un pareil sens politique. Contrairement aux aspirations
de prise du pouvoir tatique des partis politiques, la socit civile par sa
mobilisation fait effectif le pouvoir quÕelle dtient dj. La socit civile
sous cette nouvelle incarnation ne dlgue pas son pouvoir politique lÕEtat,
elle essaye de le retenir dans des espaces dÕautonomie. Elle utilise les
procdures juridiques et politiques mais uniquement pour crer des consensus sociaux
sur les conditions dÕopration de leur domaine dÕautonomie. Elle assume le
cadre de lÕEtat comme une structure approprie pour la transition vers une
nouvelle forme dÕEtat et de dmocratie mais elle dfie et dborde constamment
ce cadre tatique. La socit civile voque ainsi, selon Andrs Aubry,[27]
une nouvelle smantique de la transformation sociale, qui fait appel de
nouveaux concepts, compromis et qui prsente de nouvelles formes de
mobilisation. Une nouvelle terminologie est galement utilise :
LÕinsurrection substitue le concept de gurilla pour dsigner les initiatives
radicales qui viennent de la socit et la composante civile de la lutte est
mise en avant. La rsistance civile est lie au concept de libration nationale
et lgitime ainsi le but des insurgs, les alternatives au dveloppement, la
lutte pacifique de la socit civile. Les zapatistes affirment par exemple,
quÕils ne cherchent pas le pouvoir mais tre catalyseurs de la modification
du systme de gouvernement.
b. la
gouvernance gouvernement
Pour Andr Jean Arnaud, Ē la gouvernance
rpond un certain nombre de critres, qui sÕavrent communs toutes les
formes quÕelle peut recouvrir. CÕest en ce sens quÕon peut en parler bon
droit au singulier, comme une gestion sans acte proprement dit de gouvernement,
en englobant le retour de la Ē socit civile Č - une socit civile
rhabilite en vue de nouvelles formes de gouvernement -, la ngociation, la
participation, la recherche la fois de lÕquilibre, du consensus et de lÕefficacit
dans les prises de dcision, le multilatralisme. Č[28]
Au-del de la gouvernance assimile lÕharmonie consensuelle entre les
intrts du march, de lÕEtat et de la socit civile, la gouvernance voque
dans notre approche, une mise en forme du vivre ensemble qui chappe la
puissance tatique. La gouvernance sÕcarte ainsi, dÕune conception qui rime
plus avec le contexte des dmocraties librales occidentales car la question du
pouvoir politique et des actes de gouvernement sont au cĻur des rflexions sur
la gouvernance des populations indignes du Chiapas. Que se soit la gouvernance
que nous avons qualifie dÕintra tatique ou la gouvernance zapatiste, les deux
prsentent des systmes dÕautorits qui exercent des actes de gouvernement sur
les populations, actes de gouvernement qui ne sÕaccordent pas avec la structure
du gouvernement tatique, qui chappent sa puissance et dans le cas des
zapatistes, qui sont, en plus, en pleine concurrence.
c. la
responsabilisation des populations indignes
La gouvernance aborde est place sous une double
responsabilisation des populations : une vis--vis du groupe et de sa
relation avec le cosmos et une vis--vis de lÕinsertion du groupe dans la
structure politique nationale.
1) Responsabilisation dans la
sphre de la vie interne des populations indignes
La gouvernance des populations indignes
sÕarticule autour des responsabilits des individus envers le groupe et des
individus et du groupe vis--vis de lÕordre cosmique. CÕest au cours de nos
recherches sur le thme de la justice et plus particulirement, la rsolution
des conflits dans un village tzotzil des montagnes du Chiapas :
Zinacantn, que nous avons t confront la notion de Ē mulil Č en tzotzil. Les prsentes
rflexions sur la responsabilit semblent galement nous renvoyer cette
notion et dvoiler une transcendance qui ne nous tait pas apparue. Jane
Collier, chercheur amricaine qui a beaucoup travaill sur la dispute dans le
village de Zinacantn, notait que les zinacantecos utilisent le terme mulil pour faire rfrence aux concepts de
faute, dlit, pch et responsabilit, et quÕen faite cette notion comprend
nÕimporte quelle conduite qui
puisse dplaire aux Dieux et dclencher la vengeance surnaturelle. La conduite
en question peut aller dÕun acte aussi Ē banal Č que sÕadresser de
manire grossire un proche, la commission dÕun meurtre.[29]
La vision tzotzil du
monde se base sur lÕinteraction entre le monde du visible et le monde de lÕinvisible, on y retrouve dÕailleurs une grande
similitude avec la pense traditionnelle africaine dcrite par Michel
Alliot : Ē Les Africains que je frquentais nÕont pas la mme ide
de la cration que nous ; leur cration nÕest pas une cration partir du
nant, mais une organisation du monde par des tres divins, toujours un peu
inacheve ; lÕhonneur de lÕhomme et la mission de lÕhomme cÕest de
continuer cette cration et de lÕachever. (É) Il faut sÕinscrire dans lÕunivers
avec humilit, avec responsabilit et avec fidlit, c'est--dire que, sans
tricher, il faut tenter de discerner les structures de lÕunivers et sÕy
conformer. Č[30]
Dans la vision tzotzil, les dieux accordent sant, richesse et abondance, ils
veillent sur lÕhomme et maintiennent lÕordre du cosmos mais ils peuvent aussi
envoyer maladie et mort pour chtier les hommes qui par leur mauvaises actions
nÕobservent pas les normes communautaires et altrent lÕharmonie.[31]
Ainsi, les maladies individuelles ou calamits collectives dans le monde du
visible, sont la manifestation dÕune rupture spirituelle beaucoup plus
importante dans le monde de lÕinvisible, et impliquent une action dans le monde
du visible afin dÕagir sur le monde de lÕinvisible et restaurer lÕharmonie
perdue, par le rtablissement de la cordialit dans les relations
interpersonnelles, ou par des crmonies dans le but dÕapaiser la haine des
divinits. Celui qui transgresse les normes communautaires met donc en pril sa
propre personne, lÕharmonie du groupe et lÕharmonie du cosmos, dÕo
lÕimportance de suivre avec responsabilit les normes communautaires. La
gouvernance qui se traduit par la rgulation interne de la vie des populations
indignes prsente, dans les villages tzotzil des montagnes du Chiapas, une
structuration du pouvoir, des autorits et des obligations communautaires qui
est anime en plus grande ou en moindre mesure par cette responsabilit des
hommes dans le maintien de lÕharmonie cosmique.
2) Responsabilisation dans la
sphre nationale
Franois Ost nous dit quÕil nÕy a de droit que
revendiqu et exerc et que droits et responsabilit se confondent et se
renforcent. Ē La dsobissance civile est cette paradoxale fidlit au
droit qui conduit commettre des infractions la loi : par anticipation
dÕune lgalit suprieure et venir, la dsobissance civile transgresse publiquement
le droit positif en vigueur, en appelant ainsi un sursaut thique (une
responsabilit encore) des autorits et de lÕopinion publique. Ce faisant, il
contribue Ē tirer le droit en avant Č - au-del de la simple
compensation prsente des droits et obligations Š en direction des idaux
de justice que la nation sÕest donne elle-mme. Dans le paradoxe de cette
lgitime illgalit se laisse apercevoir lÕcart (ou le supplment) o
sÕinscrit prcisment le progrs social : non pas la simple raffirmation
des droits acquis, mais la conqute de droits largis et partags. Č[32]
Ces rflexions semblent clairer la transcendance de la rsistance identitaire
des populations indignes place sous le signe de la dsobissance civile et
donc de la responsabilit. Car, force est de constater que la reconnaissance
dÕun rgime autonomique ne suppose pas que lÕautonomie se construise top
down, la reconnaissance
mme nÕest pas une concession Ē dÕen haut Č, cÕest toujours une
conqute de ceux qui se mobilisent en faveur dÕun certain degr dÕautonomie, et
surtout le reflet dÕune ralit existante. Ceux qui se livrent la
dsobissance civile, constituent en fait des minorits organises, unies par
des dcisions communes et par la volont de sÕopposer la politique gouvernementale. Pour Hannah Arendt Ē Des actes de
dsobissance civile interviennent lorsquÕun certain nombre de citoyens ont
acquis la conviction que les mcanismes normaux de lÕvolution ne fonctionnent
plus ou que leurs rclamations ne seront pas entendues ou ne seront suivies
dÕaucun effet Š ou encore tout au contraire, lorsquÕils croient possible de
faire changer dÕattitude un gouvernement qui sÕest engag dans une action dont
la lgalit et la constitutionnalit sont gravement mises en doute. Č[33]
Pour les populations indignes zapatistes, cette dsobissance civile semble
commencer porter ses fruits, la composante civile du mouvement est si
importante et structure que pour les dernires lections dÕoctobre 2004 au
Chiapas, le Tribunal fdral lectoral a demand aux autorits autonomes
zapatistes lÕautorisation dÕinstaller des bureaux de vote dans certaines
communes autonomes, lÕautorisation a t accorde de la part des autorits
indignes rebelles. Cette interlocution entre acteurs qui opre dans la
pratique, nous interroge sur le fait que lÕintgration des expriences
de gouvernance puisse se faire par le jeu des acteurs et des dynamiques socio
politiques, au-del de la lgislation et des statuts constitutionnels.
Les deux aspects de la responsabilisation des
populations indignes qui viennent dÕtre voqus, sont sous-tendus par lÕidal
de durabilit. Durabilit dans le sens de reproduction de la vie sociale telle
que les indignes lÕentendent : une durabilit dans lÕinscription du
groupe dans le cosmos et une durabilit identitaire ou culturelle lÕintrieur
dÕune structure identitaire nationale dominante et phagocytante.
En guise de conclusion
Les approches sur la gouvernance peuvent tre
multiples, ainsi que diversifies les ralits auxquelles ces approches
renvoient. Ce qui semble indispensable pour pouvoir tablir le dialogue
interculturel entre concepts et ralits cÕest de rendre explicites le contexte
prcis de la gouvernance aborde et les enjeux sous-jacents. Les problmatiques
lies une gouvernance qui rime avec mondialisation et Ē dveloppement
conomique Č ne sont pas les mmes que celles qui mettent en jeu,
gouvernance et diversit culturelle. Elargissant la diversit des
manifestations de la gouvernance, force est de constater que la gouvernance des
villages indignes se prsente aussi sous une grande diversit. Les enjeux
dÕune telle gouvernance ne peuvent tre rduits une question de gouvernance
locale, il sÕagit bien l dÕun enjeu de taille pour lÕEtat mexicain car ces
expriences interrogent sur le futur projet de nation et traversent la fois
le domaine du local, du national et de lÕinternational. DÕautre part, la
gouvernance de facto,
en tant que prise en charge Ē naturelle Č et spontane de la
population indigne et la recherche dÕun rgime politique autonomique,
sÕexpliquent et se justifient par une exigence du respect de la diffrence et
par la comprhension des logiques et des processus de construction identitaire
de lÕAutre. Le
dialogue pour arriver un vivre ensemble ne tient pas quÕ une dclaration de
bonne volont, le passage par une dconstruction pistmologique de nos propres
rfrents et la reconstruction scientifique des rfrents de lÕAutre est de rigueur. A notre sens, les
rflexions sur la gouvernance exigent un double dcentrage : Porter un autre regard sur la gouvernance et porter un
autre regard sur la gouvernance de lÕAutre.
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[1] Ce texte reprend et approfondi les
rflexions lances lors de notre participation la journe commmorative du
40me anniversaire du LAJP, le 16 octobre 2004.
[2]saldomando angel, Ē Quelques interrogations sur
la gouvernance Č, p.104.
[3]ruiz alarcon fluvio, document de travail sur le World Report 2004
de la Banque Mondiale.
[4] campbell bonnie, Ē La gouvernance, une notion
minemment politique Č, p 146.
[5] hewitt de alcantara cynthia, Ē Du bon usage du concept de
gouvernance Č, p 112.
[6]eberhard
christoph,
Ē Droit, gouvernance et dveloppement durable. Quelques rflexions
prliminaires Č, paratre dans É
[7] ARNAUD Andr-Jean, Critique de la
raison juridique 2. Gouvernants sans frontires. Entre mondialisation et
post-mondialisation, p
334.
[8] LÕEtat mexicain est constitutionnellement
reconnu comme multiculturel, la reconnaissance de lÕexistence de peuples originaires
venant de la civilisation msoamricaine et de leurs spcificits culturelles
date, peine, de 1991. Reconnaissance qui ne cesse dÕtre significative si on
tient compte du fait que la construction stato nationale du Mexique, qui est
partie dÕune Ē fiction Č : une et unique identit nationale,
sÕest forge par la ngation systmatique de la diversit culturelle. Le
citoyen mexicain, ne devait tre ni espagnol, ni indien mais mtis pour
assurer lÕintgration identitaire de la nation. Les identits des populations
indignes ont t progressivement accultures, assimiles et dilues dans cette
citoyennet mexicaine. Cette population indigne est passe de 90% de la
population totale, au dbut de la lutte dÕindpendance au Mexique (1810)
environ 10% de la population totale, de nos jours. Mais pour les 10 millions
que reprsente cette population indigne, la Ē dclaration de
principe Č de lÕEtat multiculturel qui ne met en place aucun rgime
politico juridique pour intgrer les populations indignes au projet de nation
en tant que collectivits politiques au sein de la socit nationale, reste
trs insatisfaisante.
[9] Nous utilisons le mot indigne comme
traduction littrale du mot espagnol Ē indgena Č qui dans le
contexte mexicain nÕa aucune connotation pjorative et qui est utilis en
substitution dÕun terme qui lui, est ngativement connot historiquement :
Ē indio Č.
[10] daz polanco hctor, Autonoma regional. La autodeterminacin de los pueblos indios, p. 151
[11] La population mtisse du Mexique se dfini
a contrario de la population indigne. Mme si la distinction est simpliste,
elle reflte tout un imaginaire collectif de part et dÕautre partir duquel
lÕidentit des deux catgories se construit. Le monde mtis est associ une
vision et une organisation Ē occidentale moderne Č et les diffrents
peuples et villages qui intgrent le monde indigne du Mexique, une vision et
organisation plutt prhispanique.
[12] En tant que sources identitaires si on
puit dire, mais on ne peut nier les multiples et constantes influences et
confrontations avec la structure dominante coloniale et du Mexique indpendant
postrieurement qui ont eu comme rsultat un certain nombres de r-inventions
identitaires, dÕorganisations sociales et religieuses etc. Nous rappelons au
lecteur que plus de 500 ans sparent les peuples de lÕancienne civilisation
msoamricaine des actuels peuples indiens du Mexique.
[13] Collectivit territoriale de base de
lÕorganisation politico administrative de la Rpublique Fdrale mexicaine.
[14] lomel gonzlez Arturo, ŅPueblos indios y autonomas
zapatistasÓ, p 234 245.
[15] Une distinction simpliste du domaine
tatique de la Ē modernit Č en opposition du domaine indigne de la
tradition peut sÕavrer caricaturale et trompeuse, surtout dans un contexte o
les institutions qualifies de modernes ou dÕindignes traditionnelles
rsultent en fait, dÕun long processus dÕinfluences mutuelles. Un regard plus
en profondeur rend non seulement peu identifiable la limite entre ces
catgories mais aussi peu pertinente pour lÕanalyse.
[16] Le mouvement zapatiste est, la base, un
mouvement arme qui se soulve dans lÕEtat du Chiapas dans la nuit du 1er
janvier 1994, contre le gouvernement nolibral, contre la lgalisation
permettant la privatisation des terres communales et contre lÕentre en vigueur
de lÕaccord de libre commerce du Mexique avec les Etats Unis et le Canada. Pour
certains auteurs comme Jrme Baschet, le mouvement, qui a comme porte parole
le sous-commandant Marcos, symbolise le premier mouvement contre la
mondialisation et la premire articulation thorique entre la logique de la
mondialisation et la marginalisation de la population plus dmunie. Cette
mobilisation acquiert ds le premier jour une lgitimation face lÕopinion
publique nationale et internationale par sa composante majoritairement indigne
et se transforme en une revendication de la diversit culturelle, cet aspect se
substitut lÕaspect rvolutionnaire et les paroles remplacent pratiquement les
armes car depuis le 12 janvier 1994, lÕEZLN adopte une stratgie plutt
pacifiste.
[17] Municipios autnomos rebeldes zapatistas
[18] burguete cal y mayor Araceli,
ŅProcesos de autonomas de facto en Chiapas. Nuevas jurisdicciones y gobiernos paralelos en
rebeldaÓ, p. 290-293.
[19] burguete cal y mayor Araceli,
op. cit., p. 300. Notre traduction.
[20] arnaud Andr-Jean, op. cit., p. 334.
[21] Juntas de buen gobierno.
[22] daz polanco hctor, ŅJuntas de buen
gobierno ĄUna etapa superior de la autonoma?Ó, p. 1. Versin Web.
[23] En 1990, le gouvernement mexicain souscrit
la convention 169 de lÕOrganisation Internationale du Travail, convention qui
abandonnait le principe intgrationniste de la convention 107 adopte en 1957,
en prnant le respect des peuples autochtones dans leur culture, religion,
organisation sociale et conomique, et la sauvegarde de leur propre identit
lÕintrieur mme des tats.
[24] daz polanco hctor, Idem.
[25] daz polanco hctor, Autonoma regional. La
autodeterminacin de los pueblos indios, p 151.
[26] frydman benoit,
"La socit civile et ses
droits", p 5. Version Web.
[27] Cit par Gustavo Esteva, ŅSentido y alcances de la lucha por la autonomaÓ, p 374.
[28] arnaud andr-Jean, 2003, op.cit., p 341.
[29] collier jane, El derecho zinacanteco, p 118.
[30] alliot michel, Ē Peut-on devenir anthropologue ? Č, pp 12-13.
[31] collier jane, op. cit., pp 34-35, 47.
[32] ost franois, ŅStand up for your rightsÓ.
[33] arendt hannah, ŅLa dsobissance civileÓ, p 76.