Mondialisations
et rsurgences culturelles
au tournant du XXIĦ sicle
un point de vue
anthropologique
(San Sebastian,
Novembre 2005)
Introduction
Cette communication a pour objectif de
conjurer lĠimage dĠune mondialisation apparaissant comme Ç le grand
Lviathan È, ou Ç la boire de Pandore È. Elle souhaite faire
partager une vision plutt positive de ce processus de mondialisation en
illustrant son caractre rcurrent depuis les dbuts de lĠhominisation, htrogne,
enracin dans nos pratiques du quotidien, ce qui nous autorise, en mobilisant
une mthode qui nĠest plus celle de Descartes, car elle postule la pluralit et
la complexit l o le philosophe pensait en termes dĠunit, dĠen envisager la
matrise et dĠen gouverner les innovations de notre poque.
Avant dĠaller plus avant, disons deux
mots du cadre spatio-temporel sur lequel porte notre rflexion et sur le point
de vue de lĠanthropologue qui le sous-tend.
- LĠespace-temps
La priode qui nous intresse est celle
de la quinzaine dĠannes qui, partir de 1989 a suivi la chute du mur de
Berlin, lĠclatement de lĠempire sovitique, donc la disparition avec le
deuxime monde de la notion de tiers-monde. DĠune bi-polarit fonde sur la
terreur, on est pass une autre bi-polarit fonde sur lĠaccumulation du
capital et une civilisation de la consommation, notre humanit se trouvant
scinde en deux parts, selon que ses membres accdent ou non au Ç grand
banquet È quĠvoquait Malthus il y a deux cents ans (Malthus (1963
[1798]). Mais ils ont fait ou font lĠexprience quĠils appartiennent tous un
mme monde, les phnomnes go-climatiques tant l pour le rappeler. CĠest une
innovation perue travers le sentiment partag dĠune communaut de destin
pour certains, par lĠampleur des changements cologiques lĠÏuvre pour le plus
grand nombre.
La dsintgration du modle sovitique
emportait sinon la fin de lĠutopie socialiste mais au moins la croyance dans la
victoire du libralisme donc dans sa vocation sĠimposer Ç au
monde È, cĠest--dire tout le monde et dans toutes les parties du
monde. Si on ne peut sĠempcher
dĠvoquer soit une grande navet soit une relle malignit dans de telles
affirmations, la communaut des riches, en particulier ceux regroups au sein
de lĠOCDE, nĠen a pas moins forg une doctrine dont un des aspects saillants
fut ce quĠon appela Ç le consensus de Washington È selon lequel une
approche no-librale dterminerait la nouvelle Ç bonne gouvernance È
des socits, ce qui tant valable pour le Nord devant sĠappliquer au Sud
travers la gestion de la dette et les programmes dĠajustement structurel. Ce
quĠil est intressant noter, ds maintenant, cĠest que la mondialisation est
ici invoque la manire de lĠuniversalisme pos comme principe fondateur des
droits de lĠhomme. Mondialisation et universalisme sont la fois postuls
comme une constituante irrductible de lĠhumanit donc comme un acquis et comme
un requis pour tous ceux qui en ignorent encore les bienfaits. Universalit et
Mondialisation Ç sont È et Ç doivent tre È,.
Paradoxalement, la mondialisation, universelle conceptuellement, nĠest pas
perue comme mondiale dans la pratique. Il y a l une contradiction
approfondir (Policar, 2003, pour les droits de lĠhomme) mais quĠon peut
clairer ds maintenant. Le suffixe Ç isation È, de mondialisation,
avec son quivalent en anglais et en castillan, nĠexprime pas une situation
acquise, un tat car on parlerait alors en franais de
Ç mondialit È. Il connote un mouvement, un processus, conduit par un
objectif que lĠon connat ou quĠon prtend connatre et qui est celui, dj
nonc, de la gnralisation de lĠconomie de march et de ses principes de
gouvernance conomique et politique. Notons seulement que cette analyse se
situe sur le moyen terme et que les volutions trs rcentes ne la confirment
pas, mais ne lĠinfirment pas non plus. Nous sommes devant une situation
ouverte. Ouverte par quoi et vers quoi ?
Pour proposer un dbut de rponse, il
convient de sĠinscrire dans une priodisation beaucoup plus large et finalement
revenir aux dbuts du capitalisme o, en suivant Fernand Braudel (Braudel,
1949, 1979), on observe le passage de pratiques de capitalistes au capitalisme
travers et en fonction dĠune gnralisation du march. Ce que nous appelons
la modernit rythme les phases de constitution et de dveloppement du processus
avec une pr-modernit des XIVĦ et XVĦ sicles, lĠouverture au monde au XVIĦ
sicle avec les voyages de dcouverte et les premiers empires mondiaux des
Espagnols et des Portugais, lĠimbrication des marchs locaux et centraux aux
XVIIĦ et XVIIIĦ sicles et la double affirmation de la gnralit du march,
avec Adam Smith, et de lĠuniversalit de la raison et des droits de lĠhomme
durant la seconde partie du XVIIIĦsicle. Ensuite, avec la rvolution
industrielle puis lĠimprialisme nous sommes durant un bon sicle devant une
modernit triomphante qui sĠachve par le drame de deux guerres
Ç mondiales È ou des guerres civiles dont la signification commune
est de prendre conscience que ces drames sont lĠeffet logique dĠun modle
sous-jacent dont on peine
prendre la mesure exacte. Un Ç plus jamais a È justifie la
fondation dĠune socit dmocratique lĠchelle nationale, lĠintgration
europenne puis lĠmergence dĠune communaut internationale autour de
lĠOrganisation des Nations-Unies qui a eu au moins pour mrite dÔavoir viter,
durant le second XXĦ sicle, le dsastre nuclaire. Pour caractriser cette
volution rcente, on a propos, dans un contexte de travaux avec des
chercheurs canadiens (Le Roy, 1998) de la qualifier de phase initiale de
Ç sortie de modernit È, entendant par l que lĠexprience de la
flure du modle et de la finitude du systme porte sĠinterroger sur un
devenir dont on a quelque peine caractriser les spcificits. Car il est vu
trop souvent comme une projection dĠun prsent grer, de contraintes
incontournables et non comme un dpassement des limites et des impasses
antrieures, la prospective tant un art difficile. Comme nous le verrons, lĠinventivit des uns, gens des Sud,
dont on parle peu, est la mesure des blocages des autres, comme le suggre
une approche anthropologique.
-
Le point de vue anthropologique
Acceptons cette boutade : il y a
autant dĠanthropologies que dĠanthropologues. On ne peut donc prtendre parler
au nom dĠune corporation qui ne nous a pas mandat ni selon une opinion commune
ou dĠun savoir partag, trop clats. LĠanthropologie est, selon nous, non une
discipline mais un point de vue sur lĠhumanit, une science de lĠhomme au sens le
plus gnrique donc se proccupant de ce qui fait la qualit de lĠtre humain
non point philosophiquement ou dductivement mais Ç maintenant et ailleurs, ici
et plus tard È (Le Roy, 1999). LĠanthropologie est donc une
Ç fentre È sur les problmes de socit, fentre que chaque
anthropologue occupe de manire originale. En restant dans cette mtaphore,
chacun, selon sa taille, la porte de sa vue, sa curiosit, sa position
centrale ou non par rapport lĠobjet voit ou ne voit pas une fraction de
lĠhumanit et donc confronte avec ses pairs puis au sein de la communaut
scientifique des points de vue chaque fois poss comme originaux et
complmentaires. Il tente de conjuguer le singulier de chaque homme et le
pluriel de lĠhumanit par le privilge quĠil accorde au phnomne de
lĠaltrit, lĠautre tant la fois semblable (en rcusant tout racisme) et
diffrent.(en contestant son ethnocentrisme).
Chacun dĠentre nous pourrait
approfondir et peaufiner de telles distinctions, selon son domaine de
recherche. Le ntre est le Ç droit È, un objet qui peut rebuter si on
reste prisonnier dĠune conception qui rduit le juridique au judiciaire et le
judiciaire au droit pnal Notre
approche personnelle a confront dans diverses parties du monde des expriences
qui intgrent dans la vie juridique des phnomnes de rgulation qui
nĠappartiennent pas au droit de lĠOccident mais en remplissent les fonctions,
tels les systmes de dispositions durables ou habitus comme lments
substantiels de la coutume ct de modles de conduites et de comportements.
Ces expriences nous ont conduit regarder la juridicit derrire le droit et
les logiques caches derrire les normes affiches. Elles nous ont galement
amen lire le rapport entre le droit et la culture (Le Roy, 2003) et cĠest de
ce bagage thorique et pistmologique dont on va sĠinspirer pour rpondre la
question qui nous est pose En effet, si la mondialisation peut paratre
globalement homogniser et appauvrir la culture, une lecture plus attentive et
plus fine, sensible la complexit des processus en cours et passant du singulier au pluriel
suggre que les mondialisations sont au contraire facteur dĠchange entre les
cultures voire mme de lĠmergence de nouvelles cultures. Il peut y avoir
innovation et crativit l nous craignions la destruction et lĠoubli ds lors
que sous le terme culture ce nĠest pas un monolithe que nous cherchons
observer mais une complexit de rfrents et de pratiques nous obligeant donc
conjuguer au pluriel ce que nous envisagions, trop simplement voire navement,
comme singulier et univoque. Il faut ainsi dconstruire une image rductrice de
la mondialisation pour penser ensuite les mondialisations comme le support de
productions culturelles qui seront alinantes ou libratrices selon lĠusage que
nous en ferons et le contrle dmocratique que nous exercerons dans la mesure
o toute libert doit tre organise pour protger les droits de tous.
On va donc consacrer une premire
partie de cette communication aborder la mondialisation par ce quĠelle nĠest
pas et examiner successivement quatre aspects de la mondialisation qui vont
nous introduire au constat dĠun processus pluriel et complexe. Ce processus
sera analys en seconde partie et relay par un modle anthropologique qui offre
les moyens dĠen approfondir les implications
La face cache de la mondialisation
CĠest une procdure normale de la
recherche scientifique dĠidentifier une problmatique par ce qui nĠen relve
pas. Exclure avant dĠinclure est de bonne mthode surtout lorsque des
strotypes et des prsupposs interfrent avec lĠanalyse. On a retenu ici
quatre questions qui relvent le plus souvent de prjugs, au sens tymologique
de ce qui a fait lĠobjet dĠun jugement avant de disposer des informations
suffisantes pour en valuer la pertinence. Ces questions sont les suivantes.
Premirement, la mondialisation serait un phnomne caractristique de notre
poque et lui donnant ainsi une part de son originalit. Deuximement, la
mondialisation serait synonyme de domination et dĠexploitation, les
responsables tant le capitalisme ou lĠamricanisation des socits.
Troisimement, la mondialisation concernerait des phnomnes sĠinscrivant dans
des sphres de dcision et des logiques dĠacteurs lĠchelle internationale,
supra-tatique, chappant tout contrle et donc loigns de notre quotidien.
Quatrimement, la mondialisation serait un processus globalisant, homogne,
uniformisant, une sorte de brouillard recouvrant la plante et menaant nos
identits, nos cultures et finalement les principes dĠorganisation sociale
auxquels nous sommes les plus attachs. Et ce processus serait dĠautant plus
violent quĠil se ralise au nom dĠune foi, dĠune idologie conomique, dĠune
doctrine politique, ce que nous voquions en ouvrant ce texte avec lĠimage de
la bote de Pandore laissant sĠchapper tous les maux de lĠhumanit.
Face ces affirmations, nous allons dvelopper les
explications suivantes :
- La mondialisation est un phnomne
rcurrent qui nous fait remonter aux origines de lĠhumanit.
- La mondialisation peut tre impose
mais elle peut aussi tre choisie et alors tre associe des bnfices que
les individus et les socits vont trouver en changeant dĠchelle des
problmes, donc de logique de dcision ainsi que nous le vivons dans lĠUnion
europenne. Pour rendre compte de cette tension, on proposera de mieux
distinguer entre globalisation et mondialisation.
- La mondialisation nĠest pas le seul
fait des relations internationales mais sĠinscrit dans une dialectique
local/mondial : il faut des racines tout processus.
- La mondialisation nĠest pas un
phnomne unique et homogne. On peut distinguer de multiples mondialisations
contemporaines et, on lĠa suggr, il y a eu nombre de prcdents dans
lĠhistoire des Empires et des religions.
La mondialisation est un processus
aussi vieux que lĠhumanit
Cette affirmation paratra sans doute
une vrit dĠvidence ds quĠelle est formule. Le genre homo, devenant homo
faber puis homo sapiens a occup progressivement lĠensemble du globe partir
dĠune origine gographique que les travaux actuels situent au cÏur de
lĠAfrique, entre le Grand rif est-africain et le Tchad. LĠoccupation des aires
anthropises a t progressive et certains espaces nĠont t occups quĠ des
priodes rcentes et parfois dans des conditions extrmes (Antarctique par
exemple). Mais toute tentative de penser en termes de mondialisation ou de ses
quivalents) suppose quĠau dpart on ait connu lĠexprience du dplacement vcu
ou rv, possible ou fantasm.
Retenons deux conclusions.
Premirement, ce sont les voyages, dplacements plus ou moins
volontaires et migrations qui sont lĠorigine des phnomnes de
mondialisation. Cette relation entre migration et mondialisation est galement
souligne par lĠanthropologue indo-amricain Arjun Appadurai (2005) pour
lĠpoque contemporaine. CĠest la mise en communication et les changes quĠils
autorisent qui procurent chacun lĠexprience dĠune extension des relations
au-del du cercle proche de ses conditions de vie, donc qui permet dĠimaginer
lĠexistence dĠun monde englobant, autre, et de vivre ainsi une mondialisation
une chelle qui, mme rduite, signifie lĠinscription dans un rfrent plus
vaste dont les signifiants bousculent ou dpassent ceux du quotidien. Le Chrtien
des premiers sicles de notre re vit au sein de lĠempire romain une double
mondialisation, celle de son inscription politique dans un ensemble englobant
le bassin mditerranen et dont les limites semblent tre les bornes du monde,
et celle dĠune foi qui se dira en grec catholicos, universelle. Dans
ce cadre, la distinction entre le civis et lĠhomo, le citoyen
et celui priv de droits, caractristique de la socit politique, est suppose
dpasse par le partage dĠune foi et dĠune identit (persona) communes et une fraternit face la rpression.
Ce que rvlent les ptres de Paul de Tarse aux communauts parpilles aux
quatre coins de lĠempire romain, cĠest bien la manire dĠemboter les trois
identits qui rsultent de lĠinscription du prgrin dans sa cit dĠorigine et
du rapport Ç mondial È au Csar romain et au Christos
judo-chrtien. On peut faire des dveloppements analogues pour le musulman
gyptien dans lĠempire ottoman, de communauts Ç ethniques È en
Asie du Sud-est (Evrard, 2002) etc.
On nĠa pas ncessairement besoin que le
processus de partage de conditions dĠexistence porte sur lĠensemble du globe
pour vivre un phnomne du type de la mondialisation. Il suffit de percevoir
que le monde dans lequel on vit sĠinscrit dans un monde plus vaste dont les
limites internes et les configurations peuvent ne pas tre ncessairement
connues mais dans lequel on peut se dplacer. CĠest ce quĠautorise la
Ç nouvelle gographie È en se mondialisant du XVIĦ au XVIIIĦ sicles
et qui conduit lĠexplorateur de lĠAfrique au XIXĦ sicle faire disparatre
les dernires taches blanches de la carte du continent, en raison dĠune
reprsentation gomtrique et dĠun positionnement cartographique des ctes et
des fleuves qui servent de repres dans les voyages de dcouverte, et de
support pour les colonisations.
DĠo une seconde conclusion :
lĠide de mondialisation dpend non seulement de la position de la fentre dĠo
on la considre mais de ce quĠon recherche (les quatre Ç C È) dans le
paysage qui sĠoffre nous : Conqurir ? Commercer ?
Convertir ? Connatre ? La mondialisation ne sĠentend que lie un
ou plusieurs objectifs qui justifient la mobilisation des connaissances et des
comptences pour constituer le maillage de relations et de connections qui
reliera ici et l-bas et sera lĠarmature de ce type de mondialisation.
La mondialisation peut tre impose
mais aussi propose ou recherche
Pour rendre compte de lĠextension de
lĠexprience dans un espace dpassant les frontires du quotidien ou de
lĠinscription de nos pratiques dans des rseaux qui, par dfinition,
transcendent les limites particulires dĠun groupe (famille, village,
entreprise, tat) et projettent les centres de dcision au-del de nos sphres
usuelles, nous disposons au moins de deux mots : mondialisation et
globalisation. Le second terme apparat plus frquemment dans la littrature de
langue anglaise et, le plus souvent, les deux termes sont tenus pour
quivalents. Certains auteurs expliquent que le terme mondialisation est une
transposition dans le monde latin dĠune notion, globalization , dĠorigine
la fois conomique et anglo-saxonne. Ces explications ne sauraient tre
gnralises mais ne doivent non plus faire perdre de vue la richesse possible
des distinctions entre les divers processus recherchs ou rejets. Comme il
nĠexiste aucun Ç arbitre des lgances smantiques È susceptible
dĠimposer un sens particulier, le
chercheur doit recourir lĠaxiomatisation, donc poser dĠune manire discrtionnaire
que la mondialisation et la globalisation renvoient deux processus analogues
mais de sens contraire. LĠun obit au principe de lĠinduction, celui du passage
du singulier au gnral prenant en considration lĠextension progressive des
proprits observes en un lieu (au sens logique) dans dĠautres lieux et selon
des quivalences qui permettent, indpendamment des distances et des conditions
qui peuvent tre matrises, de retrouver une unit processuelle. On appelle
par convention ce processus la mondialisation. La globalisation est un
processus parallle mais contraire qui, posant la gnralit dĠun phnomne,
examine son application une situation singulire ou identifie les conditions
qui la dterminent. Si la dmarche est de type dductif, la logique nĠest pas
ncessairement convoque lors de lĠexamen de la diffusion locale dĠun phnomne
dont la ncessit est pose a priori, ce qui associe plus
facilement la globalisation un processus impos de lĠextrieur, violent,
dshumanisant, etc..
Ce double jeu de lĠobservation des modes de gnralisation
dans la mondialisation dĠune part, et des modalits de concrtisation dĠune
gnralit existante dans la globalisation de lĠautre pourrait mettre en
vidence des points dĠquilibre propres chacun des deux processus, voire des
zones de recoupement qui, les uns et les autres, pourraient tre plus ou moins
proches dans les domaines de lĠconomie ; loigns dans celui de la
culture. Retenons pour la suite de notre propos que sans opposer une
globalisation qui opprime et une mondialisation qui libre, celle-ci apparat comme porteuse dĠune capacit
dĠinvestissements tant symboliques que matriels donc dĠun enrichissement
(comme lĠuranium en plutonium) dont on reparlera avec les rsurgences
culturelles. Les migrants la recherche de meilleures conditions de vie,
sĠinscrivant dans des rseaux plus ou moins illgaux dĠinstallation dans les
pays dvelopps, sont partie prenante de ce type de mondialisation qui autorise
le maintien dĠune relation continue et quasi pendulaire (pour les Colombiens
vivant en Europe, Gincel, paratre) avec la communaut dĠorigine.
Pas de mondialisation sans
localisation
Une autre opposition est
caractristique de la littrature, plus journalistique que scientifique
dĠailleurs, et qui peroit la mondialisation comme un processus abstrait et
lointain, une sorte de nbuleuse auxquels on oppose les savoirs des terroirs,
les autochtonies ou les ethnicits, les relations humaines de proximit et une
socit civile active, soucieuse du bien commun. Ces clichs, comme toute
caricature, ne sont pas faux, mais ont au moins trois inconvnients.
- DĠune part, ils reproduisent un principe de prsentation
sous la forme dĠune dichotomie qui, en sparant en deux ensembles (du type
Ç eux È mondial et Ç nous È dĠici ), oppose ce qui est en
relation.
-
DĠautre part, ce procd dĠexposition, typique de la pense moderne,
tend devenir obsolte avec ce quĠon a appel la Ç sortie de
modernit È (Le Roy, 1998) que nous vivons. Les modes explicatifs doivent,
pour rendre compte de la redcouverte de la complexit de toute socit, en
respecter le caractre pluriel et, dans les penses mythiques, le pluriel
commence partir de trois lments. Ceci nous conduit soit penser le local
de manire large en distinguant en son sein au moins deux strates lies la
proximit et lĠloignement
(critres toujours relatifs du local proche et du local loign), soit
tenir compte dĠun registre tiers, celui de lĠtat-nation, rintroduit ainsi ce
dernier comme la troisime
dimension, le plus souvent incontournable actuellement, du jeu social. CĠest la
solution que nous avons adopte dans le modle anthropologique du Jeu des
lois (Le Roy, 1999, infra) en distinguant les chelles locale, nationale et
internationale.
Enfin, cĠest faire fi des pratiques des
acteurs et supposer que les ides ont une vie propre ou que les phnomnes lis
aux changes longue distance sont dtermins par des principes de structure,
coordonns par un Ç big brother È lĠordinateur central dcrit par
George Orwell dans son ouvrage 1984
et manipuls par quelque docteur Folamour. CĠest oublier par exemple que le
modle conomique de planification centrale de la socit sovitique a t,
pour une part, dstabilis par les buveurs de vodka et le march noir. Plus
prs de nous, les observateurs du capitalisme de ce dbut de sicle sont
frapps par le caractre erratique de nombre de choix, par exemple dans la
politique nergtique des pays dvelopps. CĠest une autre vidence que tous
les acteurs de la mondialisation sont, par ailleurs, des femmes et des hommes
avec des problmes de vie au quotidien. Et, sĠils peuvent dlguer la gestion
de leur vie quotidienne des socits de service dĠun point de vue matriel,
ils ne peuvent lĠtre dans leur dimension relationnelle, mme avec lĠaide dĠun
psychiatre. Un banquier de Francfort, un informaticien de la Silicon Valley, un
ingnieur russe de Bakonour ou un membre de comit central du parti communiste
chinois sont des responsables de politiques mondiales dans leur domaine mais
aussi des tres sensibles au Ôfacteur humainĠ. On pourrait multiplier les
exemples qui, dans les sphres politiques, conomiques ou culturelles,
illustrent la relation troite entre les comportements les plus intimes et
leurs incidences les plus mondiales. Au-del de leur caractre vnementiel, et
avec lĠinterfrence des mdias, ces comportements ont pour point commun de
provoquer des enchanements de situations qui font quĠun fait singulier, local,
peut prendre une dimension internationale, voire mondiale.
-
Sur la base de cette constatation, nous
croyons pouvoir largir cette relation en une bijection et nous postulons que
la mondialisation ne saurait exister sans un ancrage local de mme que tout vnement local a
vocation avoir un prolongement, un cho, une incidence lĠchelle
mondiale. Sans doute faut-il, pour
en apprcier la pertinence, accepter dĠapprhender le Ç local È non
seulement selon un rfrent territorial, le partage dĠun espace ou dĠun
terroir, mais par tout savoir, savoir-faire ou savoir-penser qui privilgie une
relation de proximit, un contrle personnalis des systmes de dcision, une
mmoire ou une histoire communes priodiquement commmores.
Retenons ainsi que la mondialisation
nĠexistant que par les acteurs qui la font et par ceux qui y croient, les conditions
de vie et de reproduction de ces acteurs les situent ncessairement la fois
dans la sphre mondiale qui les identifie et dans une sphre domestique, dans
une vie dĠimmeuble, de quartier, de village, de bureau qui prend en charge le
quotidien, ne serait-ce quĠros et thanatos, lĠamour et la mort. Sauf supposer une schizophrnie
gnralise, les acteurs de la mondialisation sont tantt nos semblables,
tantt nous-mmes dans certains de nos emplois ou fonctions, donc amnagent
leurs conduites en faisant combiner, au mieux, leurs appartenances mondiales et
locales. Cette conclusion, essentielle pour apprhender cette nouvelle manire,
transmoderne, de lire la socit, va tre traite dans le dernier point.
Pluralit des
mondes et des mondialisations
Des chercheurs en sciences sociales, en
France et aux tats-Unis pour ce que jĠen sais, proposent un dernier postulat
qui tient notre inscription dans une pluralit de cadres rfrentiels, de
Ç mondes , que les sociologues franais Luc Boltanski et Laurent
Thvenot dnomment des Ç cits È ou que lĠanthropologue indo-amricain Arjun Appadurai
appelle des Ç paysages È.
La dmarche des sociologues consiste
Ç
considrer que les tres humains, la diffrence des objets, peuvent se
raliser dans diffrents mondes. Il sĠagit, disent-ils,
dĠtudier la possibilit dĠarriver des accords justifiables sous la
contrainte dĠune pluralit dĠaccords disponibles È(...). Il faut donc
renoncer associer les mondes des groupes et ne les attacher quĠaux dispositifs
dĠobjets qui qualifient les diffrentes situations dans lesquelles se dploient
les activits des personnes lorsquĠelles mettent ces objets en valeur. Or, dans
une socit diffrencie, chaque personne doit affronter quotidiennement des
situations relevant de mondes distincts, savoir les reconnatre et se montrer
capables de sĠy ajuster È. (1991 p. 266)
Ces auteurs proposent ainsi de
distinguer entre cinq Ç mondes È, dits aussi Ç cits È
parce que lies des types de constructions politiques. Citons, de manire
ncessairement elliptique, Ç la cit inspire È des
penseurs et des artistes, fonde sur Ç un principe de crativit È, Ç la
cit domestique È qui Ç renvoie lĠart des relations familiales,
la tradition et au respect des rgles È, Ç la cit
dĠopinion È qui Ç vise la reconnaissance sociale È. La
quatrime cit est Ç civique È et lĠaction y est
justifie par Ç la recherche de lĠintrt gnral È. Enfin, la
cinquime cit est Ç industrielle È, domine par
Ç lĠimpratif de lĠefficacit et de la productivit È. Ë ces
cinq cits, Philippe Bernoux a propos dĠen ajouter une sixime, la Ç cit
marchande È qui Ç justifie son action par le
donnant-donnant de lĠchange commercial È.(Bernoux, 1996, p.
48) .
Ces distinctions nĠont sans doute pas
la gnralit que les auteurs semblent leur prter et aucune typologie ne
saurait puiser la ralit ds lors quĠelle sĠefforce dĠenfermer dans des
catgories figes ce qui relve de la dynamique collective. Mais, constater que
chaque tre humain voit sa vie partage, mobilise, parfois envahie par des
facteurs et des acteurs qui relvent dans le langage courant du travail, de la
famille, de la politique ou du syndicalisme, de lĠaction associative ou
citoyenne ou, dans les socits africaines o je travaille, de la sorcellerie
ou de la parent, nĠest pas exprimer une banalit. Cela relve dĠune opration
de dconstruction dĠun principe structurel unitaire o la vie de chacun est
ordonne par un effet dĠenglobement dans une catgorie unique Ç la vie de
X ou de Y È et obit un effet de rduction des divergences, de
lĠaffirmation dĠune cohrence, voire mme dĠune rationalit. Ë cette prtention
unitarisme, on prfrera une lecture plurale selon un principe de
complmentarit des diffrences quĠon retrouvera illustre dans la seconde
partie de cette communication.
Arjun Appadurai,(2005[1996])
privilgiant dans ses analyses le rle de lĠimagination, cherche dcrire,
partir de la notion de Ç mondes imagins È de Benedict Anderson
(Anderson, 1996), ce quĠil appelle des Ç paysages È(landscapes). Sa
dmarche a pour objet de restituer Ç les multiples mondes constitus
par les imaginaires historiquement situs de personnes ou de groupes disperss
sur toute la plante È. (p. 71) Il les considre aussi comme Ç des
dimensions des flux culturels globaux È Il distingue ainsi
Ç les ethnoscapes,
les mdioscapes, les technoscapes, les financescapes
et les idoscapes. Le suffixe scape, tir de landscape,
permet de mettre en lumire les formes fluides, irrgulires, de ces paysages
sociaux, formes qui caractrisent le capital international aussi profondment
que les styles dĠhabillement internationaux. Ces termes portant le suffixe scape
indiquent aussi quĠil nĠest pas question ici de relations objectivement donnes
qui auraient le mme aspect, quel que soit lĠangle par o on les aborde, mais
quĠil sĠagit plutt de constructions profondment mises en perspective,
inflchies par la situation historique, linguistique et politique de diffrents
types dĠacteurs : tats-nations, multinationales, communauts diasporiques
(...) En fait, lĠacteur individuel est le dernier lieu de cet ensemble de
paysages mis en perspective, car ces derniers sont finalement parcourus par des
agents qui connaissent et constituent la fois des formations plus larges,
partir notamment de leur propre sentiment de ce quĠoffrent ces paysages. È
(p. 70-71)
Il prcise
galement : Ç Il ne sĠagit pas de dire quĠil nĠexiste pas de
communauts, de rseaux de parent, dĠamitis, de travail et de loisir
relativement stables, ni de naissance, de rsidence et dĠautres formes
dĠaffiliation ; mais que la chane de ces stabilits est partout
transperce par la trame du mouvement humain, mesure que davantage de
personnes et de groupes affrontent les ralits du dplacement par la
contrainte ou le fantasme du dsir de dplacement È. (p.71-72)
Ë la suite de cette double constatation
dĠune pluralit des mondes, proposons un commentaire puis une ouverture.
- Un vocabulaire
emprunt la physique semble ici sĠimposer : flux, forces, champs
magntiques, polarits. Nous sommes devant des dynamiques immatrielles, issues
de lĠimaginaire, produisant des reprsentations dĠespaces et qui peuvent se
cristalliser dans les Ç espaces de reprsentation È (Crousse,
Le Bris, Le Roy, 1986). Ces espaces sont plutt mentaux que physiques et peuvent tre appel Wall Street
quand on voque la finance internationale, Hollywood pour le cinma, ou Harry
Potter pour la mondialisation de la littrature, le web ou Rolland Garros en
oubliant que ce fut un pionnier de
lĠaviation avant de donner son nom une des arnes du tennis mondial.
- Pour traduire
cette ide de mondes imagins selon des espaces mentaux construits
individuellement ou collectivement autour dĠobjets symboliques, au sens du sumbolos
grec, ce sceau quĠon partage et permet lĠun de reconnatre lĠenvoy de
lĠautre, je propose la notion dĠethoscape . Cette notion ne
diffre, on le constate, du concept dĠethnoscape dĠAdun Appadurai
que par un Ç n È, un Ç È en grec mais cette diffrence
nous parat importante travers son signifiant. Ethnos dsigne en
grec une classe dĠtres humains selon un principe commun dĠorigine ou
dĠidentit alors que ethos cĠest ce
quĠon partage en termes dĠhabitudes, de reprsentations du quotidien, ce quĠon
a coutume de faire et, plus largement, les usages. Le nologisme ethoscape nous
parat la fois maintenir, par le suffixe, cette rfrence essentielle aux
espaces de reprsentations que conforte lĠapproche de lĠanthropologue
indo-amricain mais aussi ordonner la dmarche selon lĠincidence des
dispositifs dĠobjets et de comportements auxquels se rfrent nos deux
sociologues. En outre, cette proposition non seulement rend complmentaires
deux lectures sĠenracinant dans des traditions intellectuelles qui peuvent sĠignorer
mais galement peut sĠouvrir la thorie des habitus de Pierre Bourdieu ainsi
quĠ celle des fondements de la juridicit partir de lĠimage du tripode dont
les habitus sont un des pieds (Le Roy, 1999).
Pour illustrer ces propositions, on
donnera ici des exemples plutt quĠune typologie car celle-ci sĠpuiserait
dĠelle-mme en tant dans son principe contraire la nouvelle science de
lĠhomme privilgiant les dynamiques et les processus l o lĠancienne retenait
les permanences et les faits de structure, donc les typologies.
En analysant les projets de socit que
peuvent imaginer les Africaines et Africains de ce dbut de millnaire (Le Roy,
2001 25-26), on distinguait des expriences de mondialisation correspondant aux
thoscapes suivants . Le premier est le financier, rendu
sensible par la problmatique de la dette et la gnralisation des programmes
dĠajustement structurel et du libralisme. Il est accompagn de lĠcologique dont un des
exemples est la confrence de Johannesburg sur le dveloppement durable comme
tentative de rponse aux dgradations des milieux et de lĠhumanitaire,
malheureusement dfrayant constamment la chronique travers guerres et
famines. Un quatrime ethoscape est le bureaucratique associ au
quotidien la corruption et au npotisme et qui apparat partir de Douala,
Nairobi ou Antananarivo un trait essentiel de lĠtat contemporain. On y avait
ajout la technologie et en particulier les moyens de communication par les
cyber-cafs et les tlphones portables qui rvolutionnent, en Afrique
galement, les comportements politiques et les civilits. La gouvernance est
devenue, dans le contexte dĠune bonne gestion des affaires publiques puis des
grandes entreprises, un ethoscape qui, aprs une diffusion dans
lĠensemble des pays du Sud, a gagn le Nord dvelopp.
CĠest partir de ce Nord, et dans un contexte europen
quĠont t identifies par Boltanski et Thvenot les Ç cits È dites
respectivement Ç inspire È, Ç domestique È, Ç dĠopinion,
ou du renom È, Ç civique È, Ç industrielle È ou
Ç marchande È. LĠautre lecture, propose par Arjun Appadura et
privilgiant la notion de landscape/paysage, repose sur son analyse des
diasporas et sur la perception, par un migrant intgr, du fonctionnement du
Ç pot mlange È (melting pot) amricain.
Relevons ici que les catgories dĠethnoscape, de mdiascapes, technoscapes,
financescapes et idoscapes (1996,70) reposent sur des faits dĠexprience mais
ont plus un pouvoir vocateur quĠun effet explicatif. Les mdias, la finance,
la technique et les systmes dĠides ou dĠidologies sont effectivement partie
prenante du sentiment puis de la ralit de la mondialisation, mais il nous
faudrait maintenant tre plus prcis. Prenons quelques exemples partir de nos
vcus.
En effet, dans ce Nord que nous
partageons avec les Espagnols au sein de lĠUnion europenne, dĠautres
ethospaces sont prsents. En tant quĠuniversitaire, nous vivons actuellement
celui de lĠuniformisation mondiale du systme de formation de
lĠenseignement suprieur dit LMD cĠest--dire licence (bac +3 ans), master (bac + 5 ans), doctorat (bac +
8 ans). DĠautres vivent celui du chmage, voire dĠune misre
ou au moins dĠune pauvret malgr un emploi rmunr (working poor en Grande
Bretagne).
Et ajoutons quĠil y a aussi des ethoscapes contests, celui de lĠintgration
politique dans de grands ensembles politiques au profit dĠune
tendance inverse de balkanisation en espaces ferms selon des ethnospaces mal
contrls. On pense en particulier lĠhritage yougoslave. DĠautres sont en mergence
lente, difficile, telle, soutenue annuellement par un prix Nobel, cette pacification balbutiante
de socits fractures par lĠhistoire ou la religion, pacification qui a connu
des avances notables (sortie honorable de lĠapartheid en Afrique du sud,
destruction des stocks dĠarmes de lĠArme Rpublicaine Irlandaise) mais aussi
des blocages (en Palestine, ici au Pays Basque) voire mme une rsurgence du terrorisme
caractre fondamentaliste que les Madrilnes, aprs les Parisiens ou les New-yorkais
et avant les Londoniens, ont subi dans leur chair. Et on pourrait continuer. La
pornographie est ainsi un autre ethoscape mondial ainsi que la
diffusion et la dpendance des stupfiants, le commerce
informel ou la criminalit organise.
On a franais une expression pour qualifier une liste aussi
htroclite de catgories. On parle dĠun Ç texte la Prvert È,
Jacques Prvert tant clbre pour associer successivement dans ses pomes une
tour Eiffel, un Arc de triomphe ou
un Panthon., ct dĠun ballon rougeÉ
A chacun dĠy ajouter, selon son
exprience, tel ou tel autre ethoscape, chacun original, mais tous
complmentaires lĠchelle du dveloppement mondial des socits et de nos
modes dĠinsertions dans les rseaux et les pratiques qui les relient. Comment,
ds lors, vit-on la rfrence la culture ?
Les cultures,
entre laminages et rsurgences
LĠintitul des Ç Journes È
qui nous runissent fait lĠhypothse dĠun dclin de la culture sous la forme
dĠune rgression, retour un tat antrieur quĠon doit supposer plus grossier
et qui suggre la disparition dĠun certain type de culture, laquelle une
communaut est attache. Dans ce dessein, on recourt souvent un procd
dĠexposition simplificateur. Pour faire bref, et de manire sans doute provoquante,
on risquerait, selon ce scnario, de passer, avec la ou les mondialisation(s),
de socits aux cultures florissantes des formes plus frustes, domines par
la mercantilisation de produits culturels standardiss, homogniss et,
finalement, on aboutirait une dculturation, une perte progressive de notre
patrimoine, donc de notre identit.
Un tel scnario nĠest pas faux et la Convention
sur la protection et la promotion de la diversit culturelle adopte par
lĠUNESCO en octobre 2005 (prcite en note 3) va courir en prvenir les
excs. Mais ce scnario contient aussi beaucoup de pathos et, l encore, des
ides convenues quĠil convient de corriger si on veut mobiliser toutes les
crativits dans une renaissance de nos socits. On retiendra dans la suite de
cette communication deux ides.
Premirement, on expliquera que lĠide
mme de culture pose problme et que ce qui est en question ce nĠest pas la
rgression des cultures en gnral mais de certains domaines de la production
ou de la consommation culturelles selon des problmatiques qui doivent intgrer
non seulement les avis dĠexperts ou dĠesthtes mais aussi ceux des citoyens qui profitent de lĠpanouissement de
la vie dmocratique ou de
lĠenrichissement matriel des socits pour intervenir dans le dbat pour des
raisons quĠon ne saurait tenir pour des rgressions et qui permettent dĠlargir
le nombre des bnficiaires de lĠoffre culturelle. Comme en astronomie nous
avons l un problme dĠaccommodation. Quelle lunette doit-on choisir, sans litisme
ni populisme ? L aussi, lĠquilibre est dlicat trouver.
Deuximement, la prise de conscience de
notre appartenance une pluralit de mondes partir de la multiplicit des
mondialisations qui nous impliquent ou nous affectent, emporte au moins une
consquence essentielle : la pluralit des mondes correspond celle des
productions culturelles et, ainsi, plus Ç les mondes È vont se
multiplier, plus les Ç cultures È vont sĠpanouir au moins en nombre
et, pourquoi pas, en qualit. Comme une rivire dont le cours disparat dans la
montagne et rapparat en rsurgence identique et diffrente, de mme les
Ç cultures È saisies par les phnomnes de mondialisation, peuvent
resurgir diffrentes et semblables, ainsi que lĠillustre lĠhistoire de
lĠhumanit depuis ses origines.
Rviser nos reprsentations de la
culture
Examinons ici deux affirmations :
Ç la È culture nĠest pas dfinissable gnralement et la rfrence
Ç une È et une seule culture nĠest plus concevable conceptuellement.
- LĠimpossibilit
de dfinir Ç la È culture
Les anthropologues sont, parmi tous les
chercheurs en sciences sociales et humaines, ceux qui ont le plus spcialis
leurs travaux sur les phnomnes culturels. On peut mme rappeler quĠentre les
annes 1920 et 1950, la diffusion des traits culturels (diffusionnisme) puis
lĠanthropologie culturelle nord-amricaine ont reprsent une des trois
branches des sciences de lĠhomme ct de lĠanthropologie sociale britannique
et de lĠethnologie europenne continentale. Les investissements scientifiques
nord-amricains sont, dj lĠpoque, considrables et certains concepts,
comme celui de pattern of culture, dĠune si grande richesse quĠon ne
peut le traduire mais seulement en proposer des quivalents, sont des apports
dcisifs la recherche anthropologique. En liaison avec la psychanalyse, une
cole dite Ç culture et personnalit È sĠest propose dĠobserver
lĠensemble des ides et des comportements socialement donc culturellement
acquis, dveloppant ainsi un prsuppos culturaliste mais rencontrant la
difficult imprvue de perdre au fil de lĠaccumulation des donnes la capacit
dfinir son objet. Gilles Frrol (2003,81) rappelle quĠen 1952, deux des
plus illustres tenants de ce courant, Kroeber et Kluckhohn, avaient relev plus
de cent soixante dfinitions diffrentes dans la seule production scientifique
britannique suppose marginale par rapport lĠamricaine. JĠen envisageais le
double vingt ans aprs lĠchelle anglophone. Un autre auteur amricain
minent, thoricien de lĠanthropologie culturelle, Melville J. Herskovits,
reconnat que :
Ç les
dfinitions de la culture abondent È puis considre
qu È(u)ne des meilleurs dfinitions de la culture, quoique dj
ancienne est celle dĠE.B. Tylor qui la dfinit comme Ôun tout complexe qui inclut les connaissances, les
croyances, lĠart, la morale, les lois, les coutumes et toutes les autres
dispositions et habitudes acquises par lĠhomme en tant que membre de la
socit È.( Herskovits, 1967,5)
Malgr lĠintrt de la liste propose
qui date de 1871, ceci est cependant tout sauf une dfinition dĠun objet
scientifique : trop vague, trop redondant pour offrir les cadres dĠune
analyse comparative de la diversit des rponses humaines. Ainsi, plutt que dĠen proposer une nouvelle,
acceptons quĠon ne puisse pas
dfinir la culture mais quĠon doive plutt tenter dĠen penser les implications
scientifiques et politiques. Dans ce sens, G. Frrol conclut sa notice
Ôculture È sur les remarques suivantes :
Ç (si) la
civilisation est la base dĠaccumulation et de progrs, la culture -nous
rappelait Paul RicÏur dans Histoire et vrit- repose sur une loi de fidlit et
de cration. Loin de considrer avec suffisance lĠapport des sicles passs,
comme un dpt intangible, elle donne lieu toute une srie de
r-interprtations possibles qui, en retour, la maintiennent, la consolident ou
lĠactualisent, tradition et innovation nĠtant pas antinomiques mais
complmentaires È. (Frrol,2003-83)
Cette rfrence la philosophie de
Paul RicÏur nous servira de transition pour dvelopper la seconde affirmation
annonce : lĠide dĠune culture
LĠimpossibilit
de continuer concevoir lĠexistence dĠÇ une È seule
culture
Ce qui en question ici cĠest le
principe dĠunit qui nous
obligerait penser lĠensemble des productions humaines, telles celles inclues
dans la dfinition prcdente de Tylor, dans un cadre unique susceptible
dĠautoriser une qualification particulire des comportements et de lĠassocier
un groupe dont il serait un lment central, voire structurel, de son identit.
Est en jeu ici lĠide mme dĠunit qui
prside lĠlaboration des concepts-recteurs de la pense politique, juridique
et conomique des socits occidentales modernes. LĠapport de lĠanthropologie
juridique est en ce domaine particulirement explicite. M. Alliot ,
fondateur de lĠcole franaise dĠanthropologie du droit, nous
interrogeait : Ç dis moi comment tu penses le monde, je te dirai
comment tu penses le Droit È, cette dmarche sĠappliquant, on le verra, aux
autres productions
Ç culturelles È, lĠtat, le March etc. Quand, en effet, confrontant
les cosmogonies des grandes traditions humaines, Michel Alliot analyse les
relations entre leur vision de lĠorigine du monde et des principes mis en
valeur par leurs cosmologies, il peroit des archtypes permettant de
distinguer trois Ç familles Ç de socits , les socits
judo-chrtiennes qui pensent le monde partir dĠun nant initial et
dĠune cration a nihilo par une instance unique, Dieu, les socits animistes o le monde
est organis partir du chaos par une pluralit de dits comme instances
fcondantes et les socits confucennes o le monde est
incr car on nĠa de preuves ni de son origine ni de sa fin et qui est rgi par
lĠinterfrence duelle, cumule et ritualise, des forces telluriques et de
lĠempereur. La premire tradition, judo-chrtienne, en a dduit une
architecture monologique : elle sera monothiste, monocratique,
monarchique et le principe dĠunit va progressivement, surtout avec les
Lumires et la lacisation de la socit, sĠtendre progressivement en
sĠassociant au mouvement de modernit. DĠun seul Dieu et dĠun seul souverain,
voire dĠune monogamie incontournable, on va passer un seul espace, le
Territoire, une seule population, la Nation, un seul pouvoir organis, lĠtat,
un seul Droit, codifi, un seul espace dĠchanges, le March. Le temps, les
mesures de poids et de superficie sont ainsi unifies et la notion de culture
Ç une È apparat, en liaison avec lĠabsolutisme et en particulier ce
Ç sicle de Louis XIV È qui a provoqu la domestication des
productions culturelles au service dĠune ide Ç absolue È, parce
quĠunitaire, dĠun pouvoir absolu.parce que sans opposant. (Cosandey et
Descimon, 2002)
Cette lecture monologique de la culture
va ensuite quitter la personne du souverain pour devenir un attribut de lĠtat,
reproduisant cinq sicles aprs la fiction des Ç Deux corps du roi È
(Kantorowitzs, 1989), fiction qui avait permis lĠmergence du concept dĠtat
dans les socits anglaise et franaise des XIIIĦ et XIVĦ sicles. Ds lors que
lĠtat unitaire sĠimpose comme seule source de pouvoir, lĠunit de la culture
son service en sort lgitime, mais au prix de nombreuses simplifications,
voire de falsifications. Les reprsentations antrieurses ce grand mouvement
dĠtouffement de la diversit culturelle ne furent toutefois pas toutes
absorbes ou teintes et, surtout, la remise en question, comme en Espagne, du
modle de lĠtat-nation unitaire au profit de formes fdratives remet
paralllement en cause la reprsentation unitaire de la culture, au risque de
faire croire quĠavec la rfrence unitaire cĠest lĠide mme de culture qui va
disparatre. CĠest sans doute un des enjeux de ces Journes.
Enfin, lorsque lĠide mme de culture
comme entit homogne sera conteste par des mouvements de type
post-modernistes, cĠest lĠensemble des productions conceptuelles fondes sur le
principe dĠunit qui en est branl. Bref, on tente alors de passer dĠun
paradigme de lĠunit celui dĠun pluralisme dont on dira quelques mots dans le
dernier point puisquĠil est le fondement mme du processus de rsurgences
culturelles dont on doit maintenant sĠexpliquer.
Le pluralisme des cultures, entre
rptition et innovation
Pour introduire cette ide de
pluralisme des cultures, on voquera un autre apport de lĠanthropologie
amricaine associ une dmarche de type processuel. Cet apport conceptuel est
ce que lĠanthropologue Sally Falk Moore (Falk Moore, 1973) avait appel des champs
sociaux semi-autonomes qui sont les cadres de notre sociabilit au quotidien.
LĠintrt dĠun tel concept est quĠen renonant distinguer les groupements
selon le critre de leur institutionnalisation ou de leur reconnaissance de la
personnalit morale et juridique, en plaant sur le mme plan les familles, les
associations, les groupes informels, des maffias ou des glises, il permet de
mettre lĠaccent sur ce qui constitue lĠessence de la sociabilit. Le trait
diacritique de la sociabilit parat tre en effet la capacit produire des
rgles et les faire respecter a minima, lĠexistence de rgles tant la
condition mme de la reconnaissance de la spcificit dĠun champ social et de
sa capacit se reproduire. De ce fait, les anthropologues du droit partisans
dĠune lecture Ç radicale È du pluralisme juridique (CAD, 2003) en ont
tir pour consquence que tout groupe tant producteur de son droit, le
monopole que revendique lĠtat sur le droit au nom de celui de la violence
physique quĠil dtient Ç lgitimement È nĠest pas justifi. Ainsi, on
doit reconnatre autant d Ôexpriences du droit que de groupes, chaque
groupe faisant et dfaisant son droit et seul lĠacteur tant lĠarbitre de ce
multijuridisme (Le Roy, 1998). On se propose dĠen dvelopper deux consquences.
- La premire
consquence est dĠappliquer la Ç culture È cĠest--dire
lĠensemble des productions culturelles la proposition relative au pluralisme
dans le droit, lui-mme production culturelle particulire. Chaque groupe en
tant que champ social semi-autonome produit sa propre culture, entendue comme
ce quĠil imagine pour sĠorganiser, se dvelopper et se reproduire. Ceci peut
recouvrir une large panoplie de productions qui vont, selon un distinguo de la
science moderne, de lĠesthtique la morale et qui font du groupe un
fabriquant de normes mme si ce qui relve des systmes de dispositions
durables ou habitus et que nous qualifions de micro-normes nĠa pas le mme
statut social et pistmique que les macro-normes dĠune loi ou dĠune convention
pour ce qui concerne le droit, dĠune production architecturale ou thtrale
pour ce qui relve de lĠesthtique. Mais il nĠy a pas de petite et de grande
cultures. Il y a des groupes de taille et de poids diffrents et des ethoscapes
.disponibles ou mobilisables qui permettent de faire reconnatre et partager
plus ou moins gnralement ce que
le langage courant dnomme une production culturelle mais qui est en fait, pour
chaque groupe producteur plus quĠun produit, un vecteur de sa vision du
monde, de la structure de la personnalit qui sĠy affirme et de lĠidentit qui
sĠy transmet. Je songe ici autant Pablo Picasso, Claude Debussy, ou
aux dcorations paritales de Lascaux quĠ ce quĠon appelle, avec brutalit et
ddain , lĠart brut des
paysans et leveurs de lĠouest africains o on a travaill.
Dans un tel contexte, la concurrence
entre ce quĠon pourrait appeler les artistes, les artisans et les bricoleurs
est de rgle et il est de bonne guerre que les tenants dĠune conception
litiste de la culture adosse aux pouvoirs dĠtat et aux forces conomiques
dominantes cherchent actuellement nier cette polyphonie pour tenter de
maintenir leur monopole qui, faut-il le rappeler, nĠest pas seulement
esthtique, de lĠordre du signifiant, mais aussi financier pour le contrle du
march de la culture.
- Une deuxime
consquence peut en tre tire : la production culturelle ne se rduit pas
lĠart et ne se dfinit pas seulement en termes esthtiques, surtout si
celle-ci est manipule et que les critres du beau sont conservs par les gardiens de quelque srail. Pour
mieux comprendre comment on pourrait rendre compte des productions culturelles
qui vont resurgir des mondialisations en cours, nous proposons dĠexposer en
quelques mots le cadre thorique qui pourrait le faciliter.
Se donnant pour objectif de rendre
compte de la complexit et dĠune dynamique de changements, ce dispositif se prsente comme un
modle dĠun jeu qui tait initialement le jeu de lĠoie de notre enfance,
soixante trois cases dcores, pour devenir un Ç jeu des lois È o la
dixime et dernire case permet au joueur dĠidentifier les rgles et la manire de les pratiquer,
Pour en rsumer la prsentation, nous nous rfrons un ouvrage en cours de
publication (AFAD, paratre)
Ç Pour
entrer dans le jeu, il convient dĠafficher son topos, sa position statutaire ou
sa fonction dans le contexte considr .
1 Statuts
des acteurs. Il sĠagit des positions des intervenants rsultant
de leurs rles sociaux. On pose ici la multiplicit des appartenances des
groupes diffrencis, donc la pluralit des statuts et Ç des mondes È
dans lesquels ils sĠinscrivent.
2.
Ressources. On entend par l les moyens utiliss et les supports
de lĠaction pour y parvenir. Les ressources peuvent tre matrielles, humaines
ou intellectuelles comme connaissances, comptences, etc.
3.
Conduites. Les actions peuvent tre anticipatives, se projeter
selon des enjeux (case 9) dont on espre un gain (stratgies), ou ractives ou
adaptatives (tactiques).
4. Logiques. Elles
sont abordes ici comme des rationalisations de lĠaction et pour la conduire ou
la justifier. Depuis les travaux de M. Alliot, on distingue, au plus simple,
entre logiques institutionnelles (É) et logiques fonctionnelles.
5. Les
chelles spatiales. On parle le plus souvent dĠchelles
spatio-temporelles, la relation entre lĠorganisation de lĠespace et celle du
temps tant trs gnrale. La distinction entre les chelles locales,
nationales et internationales est basique car ces trois chelles recoupent des
diffrences de rprsentation On
distingue anthropologiquement trois reprsentations diffrentes. LĠune est
moderne, de nature gomtrique en ce sens quĠelle est base sur la capacit de
mesurer (metros) le globe terrestre (g/geos) et quĠelle est la base de la
proprit prive et de la souverainet politique. Les autres sont des relations
pr-modernes et post-modernes, fondes sur des conceptions topocentrique et
odologique, o ce sont un point (topos) ou un cheminement (odos) qui
dterminent les formules dĠorganisation de lĠespace.
6. Les
chelles de temps et processus. Les processus sont des ajustements
de conduites selon une dure et pour produire un rsultat. Ils peuvent tre
approximativement de court terme (moins dĠun an), moyen terme (cinq ans), long
terme (trente ans), trs long terme (cent ans et plus). De ce fait, on parlera
respectivement de microprocessus, msoprocessus, macroprocessus et
mgaprocessus.
7. Les
forums. Ce sont les lieux dĠchange, de confrontation, de
dcision et de rglement des conflits. Le forum romain en est lĠexemple type en
rpondant aux trois fonctions : conomiques (marchs), politiques et
judiciaires (tribunal de la plbe), sociales (places de rencontre).
8. Ordonnancements
sociaux. Ç Mettre en forme et mettre des formes È
(Bourdieu) est une exigence que partagent toutes les socits qui doivent
produire des ordonnancements particuliers. On distingue ici les ordres sociaux
impos, ngoci, accept et contest, les socits en privilgiant un mais en
combinant plusieurs selon la complexit de leurs montages sociaux. LĠordre
impos est videmment lĠessence du modle occidental-moderne.
9 Enjeux.
Ç En È Ç jeu È, ce qui est mis dans le jeu, la manire
dĠun pari, donc peut tre gagn ou perdu. Les enjeux impliquent des rgles (the
game en anglais) mais aussi une connaissance et un art de la pratique (the
play). On Ç joue È ici sur les distinctions entre lĠimmdiat et le
diffr, le matriel et le symbolique, lĠorganisationnel et le pragmatisme, en
les combinant nouveau
10. Rgles
du jeu. La connaissance des enjeux et leur Ç mise en
musique È permettent dĠanalyser dynamiquement les contraintes et les
potentialits du fonctionnement des socits. On peut distinguer des rgles du
jeu diffrentes selon les acteurs impliqus, ce qui rend explicite,
naturellement, une Ç fracture È de la socit.
Le modle formel
du jeu des lois est spiral, la faon dĠun escargot. On peut lĠexploiter en
partant des statuts (1) pour
aboutir aux rgles du jeu (10), de
dbuter cette case 10, ou de toute autre case ds lors que ce
sont bien les rgles du jeu que nous recherchons et que toute modification dĠun
des paramtres entrane
lĠajustement rciproque de tous les autres. È
Prenons ensuite la
production dĠun objet culturel tel que lĠaffiche publicitaire, un jouet
dĠenfant comme une poupe Barbie, un CD musical ou lĠcriture dĠun pome. Ce
sont tantt les acteurs, les ressources ou les logiques, les destinataires ou
les modes de gestion des conflits qui vont particulariser les ethocsapes qui
vont donner force et visibilit aux Ç rgles du jeu È mises en Ïuvre.
Et toute modification dĠun paramtre induit la modification de tous les autres
ou lĠobligation dĠen contrler lĠimpact. Ainsi pour la poupe Barbie. Face la
concurrence dans une logique dĠun march capitaliste, ses concepteurs ont d
introduire un personnage masculin, Ken, puis sophistiquer la reprsentation de
Barbie sur le modle du mannequin, de la star ou de la princesse. Mais dĠautres
productions culturelles, dĠorigine japonaise par exemple, tentent dĠimposer
dĠautres rgles du jeu donc dĠautres produits qui nĠexistent que parce quĠils
sont mondialiss.
Tournant le dos aux rfrences
esthtisantes, nous proposons au lecteur de sĠaventurer dans ce jeu des lois
pour comprendre le sens et la porte des productions culturelles, prendre leur
mesure si on veut. La mthode nĠest pas relativiste car toutes les productions
ne sĠquivalent pas. Au contraire, chacune est originale, incomparable, tout en
tant le produit dĠun hritage commun en interaction avec les modes
dĠexpression contemporains. Ë nouveau, lĠimage de la rsurgence sĠimpose :
diffrent et semblable. Ce qui est intressant avec cette approche, cĠest de
mettre lĠaccent sur lĠincidence dcisive du topos, ce point de vue de
lĠacteur partir du statut quĠil assume un moment donn parmi tous ceux
quĠil peut mobiliser. Cette incidence du point de vue, que lĠanthropologie
privilgie de plus en plus, pourrait tre partage avec les autres chercheurs
et dcideurs pour fonder une lecture pluraliste des productions culturelles.
On peut prfrer le Ç divin È
Mozart la House music, ou au rap, les robes de Christian Dior ou les tailleurs
Chanel la mode beatnick ou les
empanadas une pizza etc. Comme le dit lĠexpression populaire, Ç tous les
gots sont dans la nature È. Mais, ce qui est culture et donc qui relve
de notre proccupation ici cĠest de comprendre comment lĠhomme pose sa marque
sur le monde, quel tre-au-monde sĠy dessine et, finalement, quelle humanit
sĠy rvle, donc quel avenir attend les gnrations futures.
Comme on lĠa suggr en introduction, on ne peut accepter dĠavoir des lectures
pessimistes de la mondialisation car ce serait faire injure la capacit de
lĠhomme prendre la mesure des volutions et sa libert dĠen choisir les
moyens. NĠest-ce pas l des leons de lĠhumanit depuis ses origines que nous
devons maintenant transmettre nos hritiers ? Sans doute faudra-t-il
mettre distance le mythe du progrs, lĠvolutionnisme qui lĠa vulgaris et
lĠethnocentrisme qui accompagne trop souvent notre perception de mutations en
cours et que synthtise, abruptement, la notion de mondialisation. Mais cĠest
l o sĠouvre une nouvelle phase de lĠhistoire de lĠhumanit et elle est
finalement toute stimulante. Elle propose des nouvelles perspectives la
libert, au risque de la permissivit. Elle ouvre le champ de nos
responsabilits, condition dĠassumer les obligations correspondant aux droits
ainsi reconnus. Les nouvelles
Ç offres culturelles È et les processus de mondialisation peuvent
nous enrichir mais doivent tre organiss. On doit pouvoir en dbattre, dans
des forums dmocratiques, en prenant le risque, dans certains contextes,
dĠaccepter une Ç discrimination culturelle positive È pour faire en
sorte selon une expression savoureuse du reprsentant de la Jamaque
lĠassemble gnrale de lĠUNESCO dĠoctobre 2005 que Ç les lphants et les
aigles (puissent) dialoguer avec les souris È. Les instances politiques
aux chelles locales, nationales et internationales sĠy emploient, mais leur
engagement sera inutile sans les investissements que chacun dĠentre nous
consentira raliser pour promouvoir derrire Ç les cultures È
lĠgale dignit des femmes et des hommes, donc lĠducation aux Ç droits
humains È comme on dit au Canada.
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