Stand up for your rights !

 

Franois Ost[1]

ost@fusl.ac.be

 

 

I. Khayelitsha, 22 dŽcembre 2003

 

Ē Stand up for your rights ! Č : le refrain de la cŽlbre chanson de Bob Marley est repris en chĻur par le cortge qui se forme au centre du township de Khayelitsha, ˆ lÕest de Cape Town (immense bidonville de 400.000 personnes qui sÕest dŽveloppŽ en moins de vingt ans et compte plus de 60% de ch™meurs). En ce matin du 22 dŽcembre 2003, ils sont une petite centaine Š des femmes surtout Š ˆ avoir rŽpondu ˆ lÕappel du T.A.C. (Treatment Action Campaign) lorsque, il y a une dizaine de jours, une de ses militantes, Lorna Mlofana, 21 ans, a ŽtŽ sauvagement violŽe, puis assassinŽe par une bande de jeunes voyous dans un tripot voisin (un de ces shebees, dŽbits clandestins dÕalcool, qui pullulent ˆ Khayelitsha). Lorna Žtait sŽropositive et nÕen faisait pas mystre : son T-shirt le proclamait ouvertement : Ē Hiv-positive Č (avec, au revers, cette revendication : Ē A.R.V.Õs for all ! Č : les antirŽtroviraux pour tous !). Lorna faisait partie de ces quelques centaines de militant(e)s courageux(ses) qui ont un jour dŽcidŽ de braver le mur de la honte et Š franchissant la barrire de la peur Š dÕassumer leur statut de malade. Pour que cesse la discrimination, que sÕarrtent lÕexil intŽrieur et les brimades Š et dÕabord au sein des familles. DÕautant que Lorna, comme des milliers dÕautres patients ˆ Khayelitsha, bŽnŽficiait du traitement-pilote par antirŽtroviraux que M.S.F. a mis en place depuis quatre ans dans ses trois dispensaires du township. Depuis ce moment, un espoir, un sursis en tout cas, un changement de regard certainement, sont permis. Les sŽropositifs pourraient cesser dՐtre des parias, des pestifŽrŽs modernes, maintenus ˆ distance de la citŽ. Encore faut-il pour cela vaincre les prŽjugŽs, lÕignorance, la mauvaise foi, jusque et y compris ˆ la tte du gouvernement sud-africain. Nelson Mandela, lÕancien prŽsident mythique au prestige toujours intact, lÕa bien compris qui, une fois encore, a repris le combat : Ē le sida est une affaire de droits de lÕhomme et de dignitŽ Č dŽclarait-il rŽcemment. Ē Tout comme ˆ Robben Island on essayait de rŽduire les prisonniers ˆ un numŽro[2], de mme le sida rŽduit les hommes ˆ une statistique. Č

Et sÕil est vrai que lÕimmense cimetire de Khayelitsha est probablement lÕendroit le plus frŽquentŽ du bidonville (quinze minutes maximum par cortge, tant sont nombreux les morts ˆ enterrer), il nÕest pas question pour autant, pour les militants du TAC, de cŽder ˆ la fatalitŽ des statistiques. Ē DonÕt mourn, mobilise ! Č (Ē Assez de deuil, de lÕaction ! Č) : ce slogan du TAC rŽsume bien son combat pour la dignitŽ. Le cortge de ce matin le scande maintenant avec rŽsolution, tandis quÕun vent violent du sud-est, le vent dՎtŽ au Cap, soulve des tourbillons de poussire dans les improbables venelles du bidonville. Ė droite, ˆ gauche, ˆ perte de vue, rien que des baraques de t™le ondulŽe avec, en guise de dŽcoration, un peu partout, les inŽvitables sacs en plastic abandonnŽs Š la Ē fleur africaine Č, dit-on ici.

La colre monte dans les rangs de la petite manifestation. Les chants en Xhosa alternent avec les protest songs en anglais. Aux portes et fentres, des femmes et des enfants Š plus rarement des hommes, et seulement des vieux Š regardent passer le cortge : curieux, souvent indiffŽrents, dŽsabusŽs : du fond de cette misre, que pourrait-il encore leur arriver ? Des chiens de plus en plus nombreux suivent la petite troupe en marche, tandis quÕun vŽhicule de police, surgi dÕon ne sait o, et cahotant dans les ruelles dŽfoncŽes, ferme dŽsormais la cortge. PrŽsence insolite, incongrue pour tout dire, des Ē forces de lÕordre Č en cet empire du Ē non-droit Č. Dans la jungle de Khayelitsha, y aurait-il donc une autre loi que celle du plus fort[3] ? Cette justice plus forte que la violence, les manifestants y croient cependant et la rŽclament ˆ grands cris.

Mais voilˆ que la petite troupe marque un temps dÕarrt : les rangs se resserrent et le silence se fait maintenant autour dÕune jeune femme, vilainement blessŽe au visage, le corps tumŽfiŽ : cÕest lÕamie de Lorna, qui lÕaccompagnait ce soir-lˆ. Elle a tout vu ou presque et tŽmoigne ˆ ciel ouvert. Au risque de sa vie, elle dŽnonce publiquement les agresseurs de son amie Š des hommes qui sont peut-tre lˆ, derrire le mur du coin. La protestation sÕenfle, le cri dÕindignation de la foule prend corps. Il nÕy a que dans la tragŽdie grecque que jÕai entendu aussi distinctement ce cri. Ces mots, si simples et si profonds, si justes dans leur radicalitŽ, il nÕy a que lˆ que je les ai croisŽs. Electre, Antigone,É des femmes encore ; Ē la voix endeuillŽe Č des femmes, dont parle Nicole Loraux[4]. Des femmes qui ne se rŽsignent pas ˆ accepter lÕordre masculin de la citŽ Š cet ordre qui prŽtend construire une harmonie civique de faade sur le refoulement de la mŽmoire des morts. Des femmes qui, comme les Ē Folles de la place de mai Č ˆ Buenos Aires, clament leur refus dÕun monde fondŽ sur lÕinjustice et la violence.

Mais dŽjˆ le cortge a repris sa marche, comme un chemin de croix, jusquՈ la prochaine station. Cette fois, lՎmotion est ˆ son comble. On fait halte devant le shebee o la bande a commis son forfait, en face ou presque du domicile dÕun des prŽsumŽs coupables. Un micro circule maintenant, reliŽ ˆ un amplificateur montŽ sur une vieille camionnette. Des chants encore, dont celui, rauque comme la mort, immŽmorial comme la douleur de lÕAfrique, dÕune pleureuse du township Š peut-tre le seul emploi ˆ temps plein dans cette ville. LՎmotion monte encore dÕun cran ; le groupe bat des pieds en poussant des appels brefs et violents : cÕest le Ē to•, to• Č, interdit du temps de lÕapartheid, qui menait les opposants aux limites de la transe. Les discours rŽclament justice pour Lorna, dont le combat pour le dignitŽ de la femme est cŽlŽbrŽ. CÕest maintenant au tour de Zackie Achmat de parler Š prŽsident national du TAC et sŽropositif lui-mme, il jouit dÕune immense autoritŽ dans le township ; son action pour le droit des malades lui a valu dՐtre rŽcemment nominŽ pour le prix Nobel de la paix. Le propos se fait maintenant plus rŽflexif. Oui, il faut que justice soit faite ; oui, il faut que les coupables paient leurs crimes, et aussi le patron du tripot qui sÕest contentŽ, semble-t-il, dÕexiger des voyous quÕils nettoient le sang versŽ. Il faut que lÕordre revienne ˆ Khayelitsha. Mais pas de peine de mort pour autant, ajoute, courageux et pŽdagogue, Zackie Achmat. On sÕest battu, en Afrique du Sud, pour sa suppression, lors du combat contre lÕapartheid. Ici, seul le sida condamne ˆ mort Š plus de cinq millions de Sud-Africains sont sŽropositifs (une personne sur huit !) Š et cÕest le sida quÕil faut combattre. Comme Lorna prŽcisŽment, qui affrontait ˆ visage dŽcouvert la maladie et son cortge de grandes peurs et de petites l‰chetŽs. Lorna, que des voyous imbŽciles ont prise pour cible parce quÕelle se rebellait contre la loi de la jungle Š le nouvel Žtat de nature des townships Š qui est dÕabord lÕempire de la peur.

Renouant mme avec la grande inspiration du mouvement Ē VŽritŽ et RŽconciliation Č, Zackie Achmat trouve mme la force dÕajouter, au cĻur de ce chaudron, sous le soleil implacable et le vent cruel de ce noir ŽtŽ : Ē si les coupables se livrent ˆ la justice et sollicitent notre clŽmence, nous chercherons en nos cĻurs la force du pardon (forgiveness) Č. Un ange passeÉ

Une jeune militante du TAC donne ensuite lecture du mŽmorandum rŽdigŽ ˆ lÕintention de la police. Appliquant les techniques ŽprouvŽes du combat non-violent de la dŽsobŽissance civile, les responsables du TAC rappellent rŽgulirement les autoritŽs ˆ leurs devoirs et leur fixent des dŽlais ˆ respecter. AujourdÕhui, rendez-vous est pris pour le 7 janvier prochain : si, dans lÕintervalle, les coupables nÕont pas ŽtŽ arrtŽs, les sympathisants du TAC viendront, par centaines, manifester sous les fentres du commissariat. Le texte du mŽmorandum est officiellement remis ˆ un officier de police qui, non sans dignitŽ, dŽclare accepter le dŽfi.

Et voilˆ que le cortge sÕest remis en route : la dernire station sera pour le domicile de Lorna Š une baraque que rien ne distingue de ses voisines. Un responsable religieux prononce encore quelques morts et lance le dernier chant : Nkosi sikelele Afrika (Dieu bŽnisse lÕAfrique), lÕhymne national sud-africain, qui valait la prison, il y a quelques annŽes encore, ˆ ceux qui avaient le courage de le chanter.

Maintenant, tout est dit. Le cortge se disperse, et dŽjˆ le vent bržlant balaie tout sur notre passage. Les quelques graines dÕespoir semŽes aujourdÕhui lveront-elles demain dans ce sol ingrat ?

Nous voudrions leur faire Žcho, en tout cas, sur notre terrain, celui de la philosophie du droit. Quelque chose dÕessentiel se disait, ce matin lˆ, ˆ Khayelitsha ; quelque chose dont nous avons la conviction quÕil est de nature ˆ Žclairer de faon dŽcisive notre rŽflexion sur les rapports qui se nouent entre responsabilitŽ et droits de lÕhomme.

 

 

II. Des responsabilitŽs communes mais diffŽrenciŽes

 

Une premire manire dÕinterprŽter le court rŽcit quÕon vient de faire dÕune tranche de vie dans le township frappŽ massivement par la pandŽmie du sida, sur fond de pauvretŽ radicale et de violence omniprŽsente, consiste ˆ identifier, ˆ propos du Ē droit ˆ la santŽ Č revendiquŽ, le cortge des responsabilitŽs multiples que sa mise en Ļuvre mobilise. Du malade lui-mme aux instances de rŽgulation mondiales, en passant par lÕentourage, les pouvoirs publics, les firmes productrices de mŽdicaments et les O.N.G., se laisse progressivement apercevoir un systme trs complexe dÕacteurs dont chacun se rŽvle porteur dÕune responsabilitŽ spŽcifique, selon le principe de Ē responsabilitŽs communes mais diffŽrenciŽes Č. CÕest que, en ŽquitŽ comme en raison, on doit mesurer la responsabilitŽ quÕon attribue au pouvoir dont on se voit gratifiŽ : Ē autant de responsabilitŽ que de pouvoir Č.

 


1. ResponsabilitŽ du malade

Il peut sembler Žtonnant, choquant mme, dÕidentifier une responsabilitŽ dans le chef de celui que la maladie menace mortellement. On aura compris quÕil ne sÕagit pas ici de la responsabilitŽ (passŽiste et culpabilisante) au sens dÕimputation dÕune faute (Dieu sait pourtant si cette stigmatisation du sidŽen est ˆ lÕĻuvre dans lÕimaginaire collectif !) ; la responsabilitŽ du malade doit bien tre plut™t comprise au sens (mobilisateur et tournŽ vers le futur) dÕune mission assumŽe pour lÕavenir[5]. Il y va dÕune forme de prise en charge du malade par lui-mme ; de sursaut de dignitŽ, de refus de la fatalitŽ. Baisser les bras, renoncer ˆ toute responsabilitŽ personnelle, ne serait-ce pas prŽcisŽment se dŽnier toute forme de pouvoir, mme le plus minime ? Au contraire, lutter, faire front, cÕest renforcer jusque dans la plus dŽstabilisante des Žpreuves, une forme dÕestime de soi, constitutive du sentiment de sa propre dignitŽ Š une dignitŽ sans laquelle, on le verra, il nÕy a pas de droits de lÕhomme qui tiennent.

Il sÕagira, pour la personne qui se devine atteinte du virus, dÕavoir tout dÕabord le courage de se prter ˆ lՎpreuve de vŽritŽ du test de dŽpistage. On conoit bien ce que ce geste reprŽsente aussi de responsabilitŽ ˆ lՎgard de la communautŽ, et notamment de possibles partenaires sexuels : se savoir porteur du virus devrait inciter le malade ˆ adopter un comportement qui rŽduise les risques dÕinfection dÕautres personnes.

Il sÕagira ensuite, lorsque le soupon se sera confirmŽ, de faire preuve de la constance nŽcessaire pour suivre un traitement rŽgulier et exigeant (absorber deux fois par jour un cocktail de trois antirŽtroviraux ), tout en sÕabstenant dÕalcool, sans autre espoir quÕune stabilisation de lՎvolution de la maladie, et alors que tant dÕautres menaces vitales sÕaccumulent. Il pourrait sÕagir aussi Š et dans ce cas le sens Žthico-politique de la responsabilitŽ assumŽe appara”tra dans sa plus grande nettetŽ Š dÕassumer ouvertement le statut de sŽropositif, afin de dŽvelopper la solidaritŽ avec les autres malades et de contribuer ˆ la crŽation dÕun mouvement destinŽ ˆ faire reculer les discriminations et le brimades dont sont aujourdÕhui victimes les personnes atteintes du virus du sida. AdhŽrant ˆ des associations comme le TAC, la personne pourrait mme tre amenŽe ˆ tŽmoigner dans divers lieux publics (Žcoles, entreprises) et, ce faisant, jouer un r™le tant sur le terrain de la prŽvention que sur celui de la dŽstigmatisation des malades. Tel Žtait prŽcisŽment le parti quÕavait pris Lorna Mlofana, tout comme, ˆ lÕautre extrŽmitŽ de lՎchelle sociale, le juge blanc sud-africain ˆ la Cour constitutionnelle, Edwin Cameron, qui, trs t™t, sÕest affirmŽ sŽropositif, a fondŽ le mouvement Aids law project et est lÕauteur dÕun manuel pratique concernant les droits des personnes atteintes du sida et les moyens de lutter contre les discriminations dont elles dont lÕobjet.

 

2. ResponsabilitŽ de lÕentourage

Les historiens des grandes pandŽmies (peste, cholŽra) qui ont frappŽ lÕOccident des sicles durant le rappellent : lorsque sÕabat un flŽau mortel et gŽnŽralisŽ pour lequel il nÕexiste pas dÕexplication disponible et encore moins de parade efficace, la tendance naturelle du groupe est de dŽnier le problme, de le recouvrir du voile Žpais du silence angoissŽ, ou alors de ne lՎvoquer que de manire dŽtournŽe et irrationnelle. CÕest exactement la situation qui prŽvaut encore largement aujourdÕhui en Afrique ˆ propos du syndrome immuno-dŽpressif. Aussi invraisemblable que cela paraisse, alors quÕun Sud-Africain sur huit est aujourdÕhui sŽropositif (et la proportion est encore plus ŽlevŽe dans les tranches dՉge de la population active), le sida reste encore souvent un sujet tabou : faute dÕexplication et surtout de thŽrapie disponible, ˆ quoi bon, en effet, Žvoquer un mal qui, ˆ lՎgal de la mort elle-mme, laisse chacun impuissant ? Cette observation anthropologique se vŽrifie dans toutes les couches de la sociŽtŽ, depuis la famille jusquÕau sein du gouvernement. La prise de responsabilitŽ ici consiste donc dÕabord ˆ arracher la question du sida au dŽni de rŽalitŽ dont elle fait lÕobjet : il faut en parler Š et si possible rationnellement. Plut™t que dÕenfermer le membre de la famille dans un rŽduit et de le nourrir sous la porte, le soutenir dans sa dŽmarche dÕaccs au dispensaire et son suivi du traitement (la dŽontologie du traitement mise au point par MSF suppose que le malade ait Š ˆ lÕencontre de lÕidŽe traditionnelle, mais ici inopportune, du secret mŽdical Š fait part de son Žtat ˆ au moins un membre de la famille). Par cercles concentriques, une responsabilitŽ en cascade sՎtend aux autres lieux dÕinsertion : lՎcole (trop de directeurs refusent encore les distributeurs de prŽservatifs, sÕen tenant au Ē no sex at school Č totalement irrŽaliste), le travail (le licenciement sanctionne encore trop souvent lÕemployŽ qui sÕest dŽclarŽ sŽropositif), lՃglise (la hiŽrarchie catholique continue ˆ condamner lÕusage du condom ; beaucoup de sectes encouragent des attitudes fatalistes ou maraboutiques ˆ lՎgard de la maladie).

 

3. ResponsabilitŽ des associations de la sociŽtŽ civile

On conoit aisŽment que le sursaut de dignitŽ du malade qui dŽcide de faire front nÕest imaginable quՈ la double condition de lÕexistence dÕune possibilitŽ, mme minimale, de traitement (cÕest le r™le dÕassociations comme MSF, cf. infra), et dÕun mouvement de soutien populaire issu de la sociŽtŽ civile elle-mme. En ce qui concerne le sida en Afrique du Sud, le r™le du TAC (Treatment Action Campaign) sÕest avŽrŽ ici rŽellement essentiel. Ė la fois mouvement dՎducation populaire et groupe de dŽsobŽissance civile, le TAC sÕest rŽvŽlŽ le catalyseur par excellence des responsabilitŽs collectives en matire de sida. Aux malades eux-mmes, il fallait donner lՎnergie qui libre de la peur et de la honte, communiquer la force collective qui convainc les personnes sŽropositives ˆ assumer leur statut, voire ˆ collaborer aux campagnes dÕinformation dans les Žcoles et les communautŽs : oui, il est possible de vivre avec le sida ; oui, cette vie a un sens et peut mme contribuer ˆ amŽliorer celle du voisin. Mais, ˆ c™tŽ de ce Ē learning process Č collectif, TAC doit Žgalement mener le combat sur le front politique. Face aux laboratoires pharmaceutiques Žtrangers qui nÕamenderont leur logique du profit quÕin extremis lorsque leur image dans les pays dŽveloppŽs sera rŽellement compromise (infra), et face aux autoritŽs sud-africaines emptrŽes dans leurs contradictions ˆ props du sida (infra), TAC est bien souvent amenŽ ˆ renouer avec la grande tradition sud-africaine de la dŽsobŽissance civile. Transgressant lÕimplacable Ē loi du marchŽ Č, en important du BrŽsil les mŽdicaments gŽnŽriques nŽcessaires ˆ la trithŽrapie, TAC rŽsiste aux diktats de lÕindustrie pharmaceutique. Multipliant les marches non autorisŽes, les occupations de ministres et autres entraves aux faits et gestes des responsables politiques (dont le discours officiel de la Ministre sud-africaine de la santŽ, Mme Tshabalala-Msimang ˆ la deuxime ConfŽrence de Durban en juillet 2003), TAC nÕhŽsite pas ˆ adopter la stratŽgie de dŽsobŽissance civile lorsque tous les dŽlais accordŽs aux pouvoirs publics en vue de garantir le droit dÕaccs au traitement dans les h™pitaux publics seront expirŽs en vain et que toutes les promesses arrachŽes se seront avŽrŽes illusoires.

Mais cÕest surtout sur le terrain de lÕaction judiciaire que TAC a obtenu ses succs les plus retentissants. Intervenant comme Ē amicus curiae Č dans le procs mondialement mŽdiatisŽ qui, du 18 fŽvrier 1998 au 19 avril 2001, a opposŽ le gouvernement sud-africain ˆ trente-neuf laboratoires pharmaceutiques Žtrangers (ces derniers contestant la rŽgularitŽ, au regard des accords Adpic de lÕOrganisation Mondiale du Commerce, de la loi sud-africaine Ē sur le contr™le des mŽdicaments Č), TAC rŽussit ˆ orienter lÕenjeu du procs dans le sens de lÕaccs par les malades du sida aux antirŽtroviraux ˆ prix rŽduit dans le secteur public de la santŽ. Une loi qui devait permettre lÕaccs aux mŽdicaments gŽnŽriques sur le sol mme de lÕAfrique du Sud et que le Parlement sud-africain avait adoptŽe sans Žgard pour la maladie du sida (qui, comme on lÕa dit, faisait lÕobjet dÕun dŽni gŽnŽral de rŽalitŽ), devenait soudain, gr‰ce ˆ lÕintervention du TAC, un instrument essentiel de la lutte contre le sida. Mais prŽcisŽment, lÕaction des trente-neuf laboratoires avait pour effet immŽdiat de suspendre son application, rendant ainsi impossible autant la fabrication sur place des gŽnŽriques que leur importation parallle[6]. Soumis ˆ un concert de pressions internationales (cf. infra), les laboratoires finiront, le 19 avril 2001, par retirer leur plainte[7]. LÕintervention du TAC fut pour beaucoup dans ce rŽsultat, notamment lorsquÕil obtint lÕajournement du procs afin de permettre aux firmes pharmaceutiques de rŽpondre au mŽmorandum que leur avait publiquement signifiŽ lÕassociation Š une sŽrie de questions embarrassantes relatives notamment ˆ la politique des prix des antirŽtroviraux[8]. Dans ces procs o lÕindustrie est sans doute plus sensible ˆ son image quՈ la justice en elle-mme, le TAC avait su habilement brandir la menace du scandale pour arriver ˆ ses fins.

Au cours de la mme annŽe 2001, le TAC prit cette fois lui-mme lÕoffensive contre le gouvernement sud-africain dans le dŽlicat dossier de la NŽvirapine. Ce mŽdicament Žtait de nature, selon les Žtudes disponibles ˆ lՎpoque, ˆ rŽduire dÕau moins 50% le risque de transmission du sida de la femme enceinte au nouveau-nŽ Š problme concernant au bas mot 70.000 enfants chaque annŽe en Afrique du Sud. Or, toujours rŽticent ˆ lՎgard des antirŽtroviraux, le gouvernement en interdisait la prescription dans les h™pitaux publics, ˆ lÕexception de deux Žtablissement par province. Le TAC eut beau jeu de plaider lÕincompatibilitŽ de cette politique de restriction avec le droit ˆ la santŽ affirmŽ ˆ lÕarticle 27 de la Constitution sud-africaine[9]. La High Court de Pretoria lui donna raison le 12 dŽcembre 2001, considŽrant Ē non raisonnable Č la politique restrictive du gouvernement, celle-ci constituant Ē un obstacle injustifiable ˆ la rŽalisation progressive du droit ˆ la santŽ Č[10]. Le gouvernement persista cependant dans son attitude attentiste, en dŽpit du fait que, dans lÕintervalle, le laboratoire qui produisait la NŽvirapine (Boehringer Ingelheim) avait dŽclarŽ le mettre gratuitement ˆ disposition des autoritŽs sud-africaines pour une durŽe de cinq annŽes. Arguant du fait que les cožts vŽritables nՎtaient pas ceux du produit mais de lÕinfrastructure hospitalire nŽcessaire ˆ son administration, et contestant toujours la fiabilitŽ du mŽdicament, le gouvernement fit appel de cette dŽcision devant la Cour constitutionnelle. Mal lui en prit, car celle-ci ne tarda pas ˆ confirmer le premier arrt. Sensible au fait que lÕattitude obscurantiste du gouvernement Žtait de nature ˆ entra”ner la mort dÕenviron 35.000 enfants par an, la Cour constitutionnelle affirma que la NŽvirapine reprŽsente un mŽdicament essentiel pour lÕenfant dont la mre est infectŽe par le virus du sida. Se basant ˆ la fois sur le droit ˆ la santŽ et le droit de lÕenfant, la Cour conclut que la politique du gouvernement viole son obligation constitutionnelle de prendre les mesures nŽcessaires en vue de garantir graduellement lÕaccs aux services de santŽ et aux traitements. Se dŽfendant du reproche dÕactivisme judiciaire, la Cour relve par ailleurs quÕil appartient aux trois pouvoirs, chacun dans lÕexercice de ses compŽtences respectives, de contribuer ˆ la rŽalisation des droits constitutionnels. Sur cette base, la Cour nÕhŽsitera pas ˆ rappeler le gouvernement ˆ ses obligations, le contraignant ˆ adopter un plan dÕensemble en vue de rŽduire les risques de transmission du virus HIV de la mre ˆ lÕenfant, ce plan comprenant notamment la formation du mŽdecin au traitement et lÕordonnance de la NŽvirapine dans tous les h™pitaux publics[11].

Devant de nouveaux refus du gouvernement de sÕaligner sur cette dŽcision, TAC lanait encore, en mars 2003, une nouvelle campagne de dŽsobŽissance civile intitulŽe Ē Dying for Treatment Č, tandis quÕun certain nombre de ses membres dŽposaient plainte pour homicide volontaire ˆ charge de la Ministre de la santŽ.

On le voit : dans cette lutte pour le droit, qui dŽborde de loin la revendication individuelle de Ē son Č droit subjectif, et qui emprunte parfois les voies infractionnelles de la dŽsobŽissance civile, la sociŽtŽ civile exerce une responsabilitŽ collective qui ne se rŽsume pas ˆ la simple application de la loi, ni ˆ la seule reconnaissance des droits individuels Š il sÕagit plut™t dÕorienter la loi vers plus de justice et dՎlargir le cercle des bŽnŽficiaires des droits fondamentaux. Tirer le droit vers le haut, partager le bŽnŽfice effectif des droits, tel est lÕeffet Š on y reviendra Š dÕune prise de responsabilitŽ qui ne se rŽduit pas au simple envers (obligationnel) des droits reconnus.

 

4. ResponsabilitŽ du gouvernement sud-africain

Les analyses prŽcŽdentes ont dŽjˆ ŽclairŽ, plut™t nŽgativement, divers aspects de la responsabilitŽ des pouvoirs publics de Pretoria dans la lutte contre lՎpidŽmie de sida. On a dŽjˆ dit ses inexplicables rŽticences ˆ adopter un programme sanitaire dÕensemble qui garantirait lÕaccs aux antirŽtroviraux dans les h™pitaux publics ; on a rappelŽ aussi sa coupable rŽsistance ˆ lՎgard de la NŽvirapine pourtant susceptible de sauver des dizaines de milliers de vies chaque annŽe. Ė la dŽcharge du gouvernement, il faut cependant pointer plusieurs ŽlŽments. Tout dÕabord, les contraintes financires Žcrasantes hŽritŽes en 1994 du rŽgime dÕapartheid, ds lors que le secteur public de santŽ disposait de moins de 20% des ressources, alors que plus de 80% de la population y a recours. De ce point de vue, il faut mettre au crŽdit du gouvernement dÕavoir adoptŽ en 1997 la fameuse loi dÕamendement sur Ē le contr™le des mŽdicaments Č qui devait lui permettre dÕavoir accs aux mŽdicaments gŽnŽriques en contournement du systme classique des brevets (sans que, on le rappelle, le gouvernement ait eu en vue ˆ lՎpoque les antirŽtroviraux). Garantir la trithŽrapie ˆ tous les malades insolvables dans les structures publiques de santŽ reprŽsente donc un dŽfi avec lequel, par comparaison, aucun pays occidental nÕa jamais ŽtŽ confrontŽ. Ė cela sÕajoute, sur le plan anthropologique, toutes les considŽrations dŽjˆ ŽvoquŽes concernant la difficultŽ de reconna”tre ouvertement et rationnellement un mal susceptible de dŽstabiliser ˆ ce point une nation tout entire. Il reste que, aujourdÕhui, la prise de conscience sÕest accŽlŽrŽe et que les analyses se font de plus en plus prŽcises. Ainsi, un rŽcent rapport de la Banque Mondiale Žtablit que, si aujourdÕhui le PIB de lÕAfrique du Sud est supŽrieur ˆ celui de la somme de tous les pays de lÕAfrique sub-sahŽlienne, en 2050, si aucun programme dÕurgence nÕest adoptŽ, le PIB du pays sera infŽrieur ˆ celui du seul Kenya. La catastrophe virtuelle est donc globale : autant humanitaire quՎconomique et sociale.

Face ˆ un tel constat, on ne sÕexplique pas pourquoi le gouvernement nÕa toujours pas dŽclarŽ lÕexception dÕurgence sanitaire nationale que les accords Adpic de lÕO.M.C. prŽvoient prŽcisŽment pour dŽroger aux rgles de protection des brevets dans des situations exceptionnelles. Au bŽnŽfice de cette clause, le gouvernement serait en droit soit de fabriquer sur place les mŽdicaments nŽcessaires ˆ la trithŽrapie (systme dit de la Ē licence obligatoire Č), soit dÕen dŽcider lÕimportation parallle en provenance de laboratoires Žtrangers, brŽsiliens ou indiens, par exemple Š dans les deux cas, il sÕagirait de disposer des remdes ˆ un prix trs infŽrieur ˆ celui dit du Ē marchŽ Č (ˆ comprendre comme le marchŽ Ē solvable Č des pays du Nord)[12]. Sans doute le gouvernement sud-africain craint-il, en utilisant cette arme (dont lÕadministration amŽricaine nÕa pourtant pas hŽsitŽ ˆ faire usage aprs le 11 septembre contre la firme allemande Bayer, ˆ propos de la Ciprofloxacine, lÕantibiotique nŽcessaire au traitement de la maladie du charbon)[13], de se mettre au ban de la classe des bons Žlves de lՎconomie libŽrale Š ˆ lÕinstar du Zimbabwe voisin, dont lՎconomie sÕest effondrŽe suite aux nationalisations opŽrŽes. Ė lÕappui de cette interprŽtation, il faut rappeler le fait que, durant les premires annŽes du procs dit de PrŽtoria (lÕaction dŽjˆ ŽvoquŽe des trente-neuf laboratoires pharmaceutiques), le gouvernement amŽricain exera de fortes pressions, y compris financires, sur le gouvernement sud-africain pour quÕil abroge la loi controversŽe. Dans la suite, il est vrai (pŽriode correspondant ˆ la fin du mandat du PrŽsident Clinton), les ƒtats-Unis changrent de politique et pr™nrent une interprŽtation Ē flexible Č des accords Adpic[14].

Toute la question consiste en somme, pour un gouvernement chargŽ dÕarbitrer entre des intŽrts diffŽrenciŽs et souvent opposŽs, ˆ savoir comment hiŽrarchiser ses responsabilitŽs : vaut-il mieux faire bonne figure au regard des canons de lÕorthodoxie libŽrale mondialisŽe, ou affronter les dŽfis sans prŽcŽdent dÕun systme de santŽ quasi gratuit dans un contexte dՎpidŽmie gŽnŽralisŽ ?

 

5. ResponsabilitŽ de la communautŽ internationale

La communautŽ internationale reprŽsente elle-mme un systme hypercomplexe dÕacteurs multiples. On se contentera dՎvoquer ici successivement les O.N.G., les multinationales du mŽdicament et les pouvoirs publics ˆ vocation planŽtaire.

Des O.N.G., on ne parlera ici que pour mŽmoire, tant leur r™le est Žvident. Cha”non entre le Nord et le Sud, interface entre expertise scientifique de terrain et nŽgociation mondialisŽe (dans les couloirs de la confŽrence de lÕO.M.C. ˆ Doha, par exemple), interlocuteur privilŽgiŽ tant des pouvoirs publics locaux que des mŽdias et des associations de la sociŽtŽ civile, M.S.F. est le Ē rŽpondant Č par excellence Š lÕagent Ē responsable Č, celui qui Ē rŽpond Č ˆ la demande du plus faible et du plus vulnŽrable, et ce au sens moderne quÕon a rappelŽ : assumer et faire assumer une responsabilitŽ collective pour lÕavenir. Le Ē sans frontiŽrisme Č prend ici le sens gŽnŽralisŽ de la mise en rŽseau ou en rapport exigŽ par les nŽcessitŽs dÕune sociŽtŽ mondiale intŽgrŽe et hypercomplexe. Ė Khayelitsha, lՎquipe M.S.F. a entamŽ une petite rŽvolution copernicienne : ˆ lÕencontre de lÕopinion gŽnŽrale qui consistait ˆ concentrer les ressources sur la prŽvention du sida, abandonnant ainsi ˆ leur triste sort les personnes dŽjˆ sŽropositives (comme si les cinq millions et quelques de Sud-Africains affectŽs nÕallaient pas ˆ leur tour contaminer dÕautres personnes), lÕexpŽrience-pilote du township parvient ˆ renverser ce cycle infernal et ˆ inverser la tendance. En assurant un traitement (la trithŽrapie) ˆ une population donnŽe (mme insolvable et trs peu cultivŽe) on incite les malades potentiels ˆ se soumettre au test et ainsi on amŽliore efficacement la prŽvention. Renversant le prŽjugŽ classique (Ē trop pauvres et trop incultes pour se soigner Č), lÕexpŽrience apporte la preuve que lˆ o il y a un traitement accessible, il y a aussi la volontŽ de se soigner.

Face aux O.N.G., les multinationales de lÕindustrie du mŽdicament. Des entreprises en voie de concentration toujours plus poussŽe, soumises ˆ la loi dÕairain du profit. Bien que les mŽdicaments reprŽsentent assurŽment un bien de nature trs particulire (un bien essentiel, de premire nŽcessitŽ dans certains cas), la logique du profit a irrŽsistiblement tendance ˆ les transformer en simples marchandises. Aussi bien, lorsque la production dÕun mŽdicament sÕavre dŽsormais non rentable, on nÕhŽsitera pas ˆ arrter sa production (comme ce fut le cas pour les remdes susceptibles de soigner la maladie du sommeil Š affection des pays pauvres) ; de mme, on ne trouve plus dÕincitants ˆ poursuivre les recherches dans des secteurs Š comme celui de la malaria Š qui ne concernent gure les pays dŽveloppŽs[15]. On ne peut ˆ cet Žgard que reproduire les propos de Gordon Brown, ex-Chancelier de lՃchiquier britannique, ancien prŽsident du groupe dÕorientation politique du F.M.I. : Ē seulement 10% de la recherche mŽdicale sont consacrŽs ˆ des problmes qui touchent 90% de la population mondiale Č. SÕadressant ˆ lÕindustrie pharmaceutique ˆ la veille du procs de Pretoria, Gordon Brown adoptait spontanŽment le discours de la responsabilitŽ : Ē Les laboratoires pharmaceutiques doivent montrer quÕils consacrent des ressources ˆ la rŽduction de ces questions. Nous parlons de morts Žvitables. Nous parlons dÕun  problme qui, sÕil est traitŽ collectivement par la communautŽ mondiale, peut tre rŽsolu. Lˆ o les firmes pharmaceutiques ont des responsabilitŽs, elles doivent les accepter Č[16].

Ė ce point de vue sÕopposait, toujours ˆ la veille du procs des trente-neuf laboratoires, les thses de lÕindustrie. Parlant au nom de celle-ci, le reprŽsentant de Bayer (firme qui nÕa pas dÕintŽrt sur le terrain du sida) faisait de lÕaction en justice une question de principe : Ē Il sÕagit de dŽfendre nos brevets. Si nous cŽdons en Afrique du Sud, cela peut sՎtendre au niveau mondial. Nous ne pouvons nous le permettre vis-ˆ-vis de nos actionnaires Č[17]. Le propos avait le mŽrite de la sincŽritŽ : le management est responsable devant ses actionnaires plut™t que devant les malades du sida. Sans doute lÕAfrique du Sud ne reprŽsente-t-elle gure plus quÕ1% du marchŽ mondial du mŽdicament, mais ce que les firmes redoutent rŽellement, cÕest lÕeffet boomerang, sur les associations de consommateurs du Nord, dÕune baisse importante du prix dÕun mŽdicament pour un marchŽ du Sud. Sans mme parler du danger de rŽtro-importation en provenance de ces marchŽs Ē privilŽgiŽs Č, nÕy aurait-il pas un risque de voir les acheteurs des pays dŽveloppŽs rŽclamer ˆ leur profit Žgalement un alignement ˆ la baisse du prix des mŽdicaments ? Les firmes faisaient valoir aussi que, mme bradŽs, les antirŽtroviraux resteraient impayables pour les malades des pays pauvres. Ds lors quÕen somme, il nÕy avait pas de marchŽ du tout pour les consommateurs du Sud, la question avait cessŽ de les concerner.

Ė quoi leurs opposants avaient beau jeu de rŽpondre que, gr‰ce ˆ la responsabilisation des organisations internationales, une subvention des mŽdicaments ˆ prix rŽduit Žtait envisageable, de sorte quÕil existait bel et bien un marchŽ ; tandis que le risque de rŽintroduction au Nord des produits ŽcoulŽs au Sud pouvait tre aisŽment ŽcartŽ par des mesures de conditionnement ad hoc, lÕexemple des grandes campagnes de vaccination menŽes il y a une vingtaine dÕannŽes ˆ lÕinitiative de lÕUnicef en Žtait une preuve irrŽfutable.

Il reste que, en dŽfinitive, les trente-neuf laboratoires ont fini par retirer leur plainte, reconnaissant mme, dans leur communiquŽ de presse que : Ē la RŽpublique dÕAfrique du Sud est en droit de promulguer les lois ou les rglements nationaux, et dÕadopter les mesures nŽcessaires ˆ la protection de la santŽ publique et ainsi dՎlargir lÕaccs aux mŽdicaments conformŽment ˆ la Constitution sud-africaine et ˆ lÕaccord Adpic Č[18]. (Le juriste apprŽciera au passage cette permission concŽdŽe par des firmes privŽes ˆ un gouvernement Žtatique : Ē est en droit deÉ Č. Que lÕexercice de ses responsabilitŽs publiques par un gouvernement doive dŽsormais faire lÕobjet dÕune concession par des opŽrateurs privŽs en dit long sur le changement de centre de gravitŽ des ordres juridiques : lˆ o, hier encore, les Žconomies Žtaient rŽglŽes dans le cadre des frontires et des ordres juridiques nationaux, aujourdÕhui ce sont les systmes juridiques Žtatiques qui apparaissent comme des ”lots, plus ou moins tolŽrŽs, au sein de la loi mondialisŽe du marchŽ.) Sous la pression conjuguŽe de leurs opinions publiques internes et des autoritŽs internationales, taraudŽes par la peur de voir encore se dŽgrader leur image, et alors que menaait directement la concurrence des grands laboratoires brŽsiliens et indiens, les firmes l‰chaient donc du lest[19]. Il faut dire aussi que, dans lÕintervalle, plusieurs grandes sociŽtŽs multinationales Žtablies en Afrique du Sud (la fameuse sociŽtŽ minire De Beers, Coca-Cola ou Daimler-Chrysler, par exemple), prenant conscience de lÕhŽcatombe qui affectait leur personnel, avaient dŽcidŽ de fournir gratuitement les antirŽtroviraux ˆ ceux de leurs employŽs qui les demanderaientÉ Le commencement du rŽalisme ?

Enfin, on terminera ce trop rapide tour dÕhorizon par lՎvocation des responsabilitŽs des organisation en charge de la gouvernance mondiale (Organisation Mondiale de la SantŽ et autres agences onusiennes, Organisation Mondiale du Commerce, Fonds monŽtaire International et Banque MondialeÉ). Sans mme rappeler la tension inŽvitable entre la logique Žconomique (O.M.C.) et la logique humanitaire (O.M.S., en principe), il faut noter que, mme au sein des agences onusiennes, la prise de conscience et de responsabilitŽ fut lente et reste encore hŽsitante. Toujours prŽvalait la politique exclusive de la prŽvention (prŽvenir plut™t que guŽrir), comme si lÕextension de la pandŽmie ne minait pas, ˆ lÕavance, les efforts de confinement de la maladie. Soucieuses de mŽnager les intŽrts de firmes qui sont parfois aussi leurs bailleurs de fonds, et peu dŽsireuses de para”tre braver les lois de lՎconomie libŽrale, les agences internationales ont souvent adoptŽ une politique pusillanime. JusquÕau moment o il Žtait devenu impossible dÕencore ignorer lÕampleur de la menace et de diffŽrer la rŽaction. Ė lÕinitiative de fortes personnalitŽs comme Gro Harlem Brundtland (Directeur gŽnŽral de lÕO.M.S.), de Peter Piot (Directeur gŽnŽral de Onusida) et de Kofi Annan lui-mme (SecrŽtaire gŽnŽral de lÕO.N.U.), une rŽaction sÕamorce ˆ partir de lÕannŽe 2001. Des pressions sont exercŽes sur les laboratoires pour quÕils retirent leur plainte contre le gouvernement sud-africain, un Fonds global de lÕO.N.U. est crŽŽ pour soutenir la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose (en principe dotŽ de 7 ˆ 10 milliards de dollars annuels, le financement de ce Fonds plafonne encore aujourdÕhui ˆ 1,5 milliard), tandis que , le 14 novembre 2001, ˆ Doha, dans lÕenceinte des nŽgociations de lÕO.M.C., une dŽclaration plus favorable aux gouvernements est adoptŽe : Ē Nous convenons que lÕAccord sur les Adpic nÕempche pas et de devrait pas empcher les ƒtats membres de prendre des mesures pour protŽger la santŽ publique. En consŽquence, tout en rŽitŽrant notre attachement sur les Adpic, nous affirmons que ledit Accord peut et devrait tre interprŽtŽ et mis en Ļuvre dÕune manire qui appuie le droit des membres de lÕO.M.C. de protŽger la santŽ publique et, en particulier, de promouvoir lÕaccs aux mŽdicaments Č. LÕheure de la responsabilitŽ aurait-elle sonnŽ ? Du T-shirt de la courageuse Lorna aux dŽclarations feutrŽes de Doha, la boucle du cercle vertueux de lÕaction responsable pour le droit ˆ la santŽ serait-elle enclenchŽe ?

 

 

III. Quelque chose qui grandit en se partageant

 

Aprs le dŽcodage socio-juridique des responsabilitŽs, communes mais diffŽrenciŽes, auquel on vient de se livrer, il devrait tre possible dÕaccŽder ˆ un second niveau dÕinterprŽtation, de nature Žthico-philosophique cette fois. Notre grille dÕanalyse Š ou plus exactement lÕenjeu de lÕanalyse, ˆ nos yeux Š sÕarticule autour de deux points. Tout dÕabord, lÕexemple du combat de Khayelitsha pour le droit ˆ la santŽ permet de souligner, ˆ rebours de bien des discours convenus, quÕil nÕy a pas de protection des droits qui tienne sans exercice collectif des responsabilitŽs. Ensuite, il faudra montrer que ces responsabilitŽs ne se ramnent pas au simple revers Ē obligationnel Č du droit : contre la conception libŽrale classique qui sÕen tient ˆ ce doublon Ē droit-obligation Č (ˆ chaque droit correspond mŽcaniquement une obligation de le respecter), il faut dŽgager une responsabilitŽ ˆ bien des Žgards plus ample que le simple mŽnagement des droits en prŽsence. Une responsabilitŽ qui, plut™t que de marquer les bornes des droits et libertŽs (Ē ma libertŽ sÕarrte lˆ o commence la tienne Č), assure leur dŽmultiplication et leur approfondissement Š comme si, dՐtre mieux partagŽs, les droits et libertŽs sÕaccroissaient au contraire. Ainsi comprise, la responsabilitŽ prŽsente un aspect Žthique et un aspect politique quÕil importe de mettre en lumire.

 

1. ƒthique et responsabilitŽ

CÕest le dŽtour par lÕidŽe de dignitŽ qui devrait permettre de saisir au plus prs le fondement Žthique de la responsabilitŽ, ainsi que Š le point est central pour notre propos Š son lien intime avec la promotion du droit. Car finalement, le comportement des Lorna et des Cameron sÕanalyse pour lÕessentiel comme une affirmation de dignitŽ. Ici encore, le langage des T-shirts est rŽvŽlateur : beaucoup de manifestants de Khayelitsha en portaient qui rŽclamaient Ē dignity for women Č. Sans doute Žtait-ce aller dÕemblŽe au cĻur des choses : avant le droit, avant la responsabilitŽ, il y a la dignitŽ. CÕest dans la mesure o elles sont, se veulent, dignes de respect quÕelles sont, quÕelles seront sujets de droit. Kant ne disait pas autre chose : cÕest la vocation ˆ la dignitŽ, au respect qui fait lÕhumanitŽ de lÕhomme. Et lÕimpŽratif catŽgorique peut alors se ramener ˆ cette formule : toujours traiter lÕhomme Š en soi-mme et chez autrui Š comme digne de respect (comme une fin et non un moyen, disait le philosophe de Kšnigsberg). CÕest la dignitŽ qui fait de lÕhomme le sujet de la loi morale, cÕest-ˆ-dire ˆ la fois son auteur (lÕagent responsable de sa reformulation) et son destinataire (le titulaire du droit quÕelle lui reconna”t). LÕhomme digne rŽpond ˆ la sollicitation (la vocation) de la loi morale et, ce faisant, il rŽpond de lui-mme et dÕautrui, assurant ainsi la reconnaissance du droit qui les fait hommes.

O lÕon voit la dignitŽ opŽrer comme le transcendantal, la condition de possibilitŽ, et de la responsabilitŽ et du droit. De ce point de vue, lÕarticle premier de la Loi Fondamentale de la RŽpublique fŽdŽrale dÕAllemagne dit le vrai en faisant de la dignitŽ le principe matriciel ˆ la fois du droit et de la responsabilitŽ. Au rebours de la dŽfiance quÕil est de bon ton dÕaffecter, dans le monde des juristes, ˆ lՎgard dÕune notion jugŽe vague et Ē fourre-tout Č, la dignitŽ appara”t comme le mŽta-principe o viennent se rejoindre et se fŽconder mutuellement les droits et les responsabilitŽs : des droits qui, sans responsabilitŽ, seraient entra”nŽs dans la spirale de lÕindividualisme solipsiste et emptrŽs dans des conflits indŽcidables, des responsabilitŽs qui, sans droits correspondants, feraient de lÕhomme lÕotage dÕune contrainte externe et aliŽnante.

LÕobservation anthropologique confirme ici lÕanalyse philosophique : pour se voir reconna”tre un droit de lÕhomme, il faut dÕabord tre (se vouloir) un homme. CÕest par la dignitŽ dont elle fait preuve que la victime en impose au bourreau. CÕest en refusant toutes les formes dÕannihilation de sa personnalitŽ que le faible se met dans la position de force du sujet de droit Š une position qui, corrŽlativement, met le bourreau dans son tort.

 

2. Politique et responsabilitŽ

Les militants du TAC lÕont bien compris : les droits de lÕhomme ne sont pas un cadeau tombŽ du ciel, quÕon ne sait quel ƒtat-providence devrait leur garantir nŽcessairement. Ē Stand up for your rights ! Č : il nÕest de droit que revendiquŽ et exercŽ.

En ce sens,  la responsabilitŽ, qui est combat pour le droit, est une catŽgorie plus politique que celle de droit subjectif. Ė sÕen tenir ˆ celui-ci, on risque toujours de verser du c™tŽ o lÕattend le libŽralisme solipsiste du sujet robinsonien. Un sujet qui se pense comme auto-fondŽ, qui se taille dans lÕespace social lÕenclos de ses droits privatifs Š ˆ lÕinstar de cette Ē privacy Č dont il est si jaloux Š nÕayant de cesse dŽsormais que de dŽfendre chrement ce propre, cette propriŽtŽ justement nommŽe Ē privŽe Č, comme pour rappeler quÕautrui nÕy trouve pas sa place. Au regard de cette conception libŽrale du droit, le collectif (i.e. lՃtat) est toujours peu ou prou ressenti comme une menace dont il faut se garder, un monde externe en tous les cas, auquel on adhre que dans la stricte mesure de sa volontŽ et de ses intŽrts[20]. En ce sens Š et pour autant quÕon interprte ainsi les droits de lÕhomme (en les dissociant des responsabilitŽs), Marcel Gauchet a parfaitement raison de soutenir que Ē les droits de lÕhomme ne sont pas une politique Č[21] ou que, sÕils en viennent ˆ se substituer ˆ la politique, ils signent alors la montŽe de lÕ Ē impuissance collective Č ou de lÕ Ē impouvoir Č : le social comme simple juxtaposition dÕindividus Ē dŽtachŽs-en-sociŽtŽ Č. En revanche, ds lors quÕils sÕindexent ˆ lÕaffirmation de la dignitŽ et sÕexercent (cÕest-ˆ-dire dŽjˆ se revendiquent) dans une pratique collective de responsabilitŽ politique, les droits de lÕhomme Žchappent ˆ la critique de Gauchet.

NÕest-ce pas exactement ce quÕillustre lÕaction du TAC ? Dans des townships compltement dŽpolitisŽs, alors que sÕest dissipŽe lÕimmense espoir quÕavait suscitŽ le combat victorieux contre lÕapartheid, il contribue ˆ repolitiser des populations dŽsenchantŽes et frustrŽes. Beaucoup sՎtaient imaginŽ que la fin des inŽgalitŽs formelles de lÕapartheid signifierait lÕaccs immŽdiat au niveau de vie des blancs et que la prospŽritŽ Žtait aux portes. Il fallut bien vite dŽchanter ; le ch™mage reste gŽnŽralisŽ, les Žlections se dŽroulent dans lÕindiffŽrence, la violence ne cesse de sÕamplifier Š tandis que le sida emporte insidieusement six cents personnes par jour. CÕest dans ce contexte que sÕinscrit lÕaction du TAC : reprenant tout ˆ la base, retrouvant dans son discours et ses stratŽgies lÕinspiration historique de la lutte anti-apartheid, il mobilise ˆ partir des plus vulnŽrables : ceux que la maladie a frappŽs et qui ont compris pour de bon que les droits ne tombaient pas du ciel. Se met ainsi en place, dans la plus pure tradition politique, un contre-pouvoir, qui aujourdÕhui tŽmoigne de son efficacitŽ pour concrŽtiser la reconnaissance du droit ˆ la santŽ, et qui demain, lorsque les financements internationaux massifs se dŽgageront (comme du moins on peut lÕespŽrer), sÕavŽrera Žgalement indispensable pour prŽserver le systme de la corruption et des dŽtournements qui, inŽvitablement, menaceront.

 

Tout ceci nous conduit ˆ mieux comprendre la portŽe de la proposition Žnigmatique mise en exergue de ces rŽflexions : Ē quelque chose qui grandit en se partageant Č. En tŽmoignant, manifestant, composant des mŽmorandums, introduisant des actions de justice, les individus associŽs expŽrimentent collectivement une libŽration qui a pour effet dՎlargir le cercle des droits et de leurs bŽnŽficiaires. La libertŽ nÕest plus alors ce bouclier dŽfensif qui retranche dÕautrui, mais une pratique communicative et, pour tout dire, contagieuse, qui associe et renforce. Le fer de lance ici est reprŽsentŽ par la catŽgorie des Ē droits procŽduraux Č (droit ˆ lÕinformation, ˆ la participation, au recours) qui sÕanalysent indistinctement comme lÕexercice dÕune prŽrogative personnelle (un Ē droit Č) ou comme la mise en Ļuvre dÕune responsabilitŽ (une mission assumŽe, une prise en charge collective). Ė ce stade, droits et responsabilitŽs se confondent et se renforcent. On a ainsi une premire illustration du Ē supplŽment Č impliquŽ dans ce Ē quelque chose qui grandit en se partageant Č.

Un autre aspect de ce supplŽment tient au fait quÕen dŽpassant le simple plan des droits individuels pour sՎlever au niveau Žthico-politique de la responsabilitŽ (lui-mme indexŽ au transcendantal de la dignitŽ) on se donne enfin les moyens de dŽpartager les prŽrogatives en conflit. Comment sinon trancher entre, par exemple ici, la protection des brevets et le droit dÕaccs aux mŽdicaments ? Comment sinon en hiŽrarchisant ces droits, chacun lŽgitime sans doute, entre lesquels des prioritŽs sՎtablissent ds que lÕon Žlargit le regard aux conditions mme dÕhumanitŽ de lÕhomme. Seul le passage ˆ ce mŽta-niveau de la dignitŽ partagŽe permet de parler de citŽ ou de communautŽ politique et non dÕun simple agrŽgat dÕintŽrts individuels.

Enfin, cette logique du supplŽment sՎclaire encore dՐtre rapprochŽe de trois modalitŽs caractŽristiques de lÕaction du TAC : la dŽsobŽissance civile, le recours en justice et, enfin, le pardon Žventuel.

La dŽsobŽissance civile est cette paradoxale fidŽlitŽ au droit qui conduit ˆ commettre des infractions ˆ la loi : par anticipation dÕune lŽgalitŽ supŽrieure et ˆ venir, la dŽsobŽissance civile transgresse publiquement le droit positif en vigueur, en appelant ainsi ˆ un sursaut Žthique (une responsabilitŽ encore) des autoritŽs et de lÕopinion publique. Ce faisant, il contribue ˆ Ē tirer le droit en avant Č - au-delˆ de la simple compensation prŽsente des droits et obligations Š en direction des idŽaux de justice que la nation sÕest donnŽe ˆ elle-mme[22]. Dans le paradoxe de cette lŽgitime illŽgalitŽ se laisse apercevoir lՎcart (ou le supplŽment) o sÕinscrit prŽcisŽment le progrs social : non pas la simple rŽaffirmation des droits acquis, mais la conqute de droits Žlargis et partagŽs.

Le recours en justice, et lÕacte de juger quÕil suscite, sÕinscrivent aussi, ˆ leur manire, dans cette logique du supplŽment. Sans doute dit-on que juger revient ˆ Ē attribuer ˆ chacun ce qui lui revient Č (suum cuique tribuere) : attribuer des parts respectives, selon une justice commutative qui, de ce point de vue, nÕexcŽderait pas encore la compensation des torts et la reconnaissance des droits. Mais, comme le souligne Paul Ricoeur[23], au-delˆ de cette finalitŽ courte (attribuer des parts), lÕacte de juger remplit une finalitŽ plus profonde qui consiste ˆ Ē faire prendre part Č : rappeler au dŽfendeur comme au demandeur, ˆ lÕaccusŽ comme ˆ la victime, quÕen dŽfinitive ils appartiennent ˆ la mme sociŽtŽ. Dans ce sens second, le jugement dŽborde la simple Žquilibration des droits selon la rgle du donnant-donnant (comment, du reste, apurer certaines dettes ?), pour sՎlever ˆ la reconnaissance rŽciproque des personnes. On mesure la distance qui sՎtablit entre une telle mŽdiation judiciaire qui fait sՎlever chacun ˆ la position du tiers, et lÕaffrontement interminable qui caractŽrise la logique simplement compensatoire de la vengeance (Ē Ļil pour Ļil, dent pour dent Č).

Enfin, et ce dernier trait nous ramne directement ˆ lÕAfrique du Sud et ˆ son expŽrience des commissions Ē VŽritŽ et RŽconciliation Č, lÕappel au jugement peut Žgalement sÕaccompagner dÕune capacitŽ de pardon. On se souvient que Zackie Achmat y faisait explicitement allusion. Avec le pardon, on dŽborde rŽsolument la logique commutative de compensation des droits. Le pardon est toujours en excs. Gratuit, facultatif. Une gŽnŽreuse disproportion. FacultŽ de sÕarracher au mal passŽ, il ouvre rŽsolument sur lÕavenir[24]. Pariant sur les capacitŽs de rŽgŽnŽration de lÕhumain, il porte ˆ son comble la responsabilitŽ pour le droit.

 



[1] LÕauteur remercie le docteur Eric Goemaere de lui avoir donnŽ accs ˆ lÕessentiel des informations relatives ˆ la question du sida qui sont contenues dans cet article, ainsi que des nombreuses heures de discussion ŽchangŽes ˆ ce propos. Eric Goemaere, ancien directeur de MŽdecins sans frontire-Belgique, dirige actuellement les projets de M.S.F. en Afrique du Sud et est le promoteur du projet-pilote de Khayelitsha.

[2] Toute lÕAfrique du Sud conna”t le numŽro 46664, qui Žtait celui que porta, vingt-sept annŽes durant, le plus cŽlbre prisonnier politique sud-africain.

[3] La semaine prŽcŽdente encore, deux collaborateurs de M.S.F., dont le mŽdecin responsable dÕun de ses dispensaires, ont ŽtŽ abattus ˆ lÕoccasion de deux car-jackings ratŽs.

[4] N. Loraux, La voix endeuillŽe des femmes. Essai sur la tragŽdie grecque, Paris, Gallimard, 1999.

[5] Sur cette distinction entre ces deux formes de responsabilitŽ, cf. P. Ricoeur, Lectures 1. Autour du politique, Paris, Le Seuil, 1991, p. 282 et s.

 

[6] P. Benkimon, Morts sans ordonnance, Paris, Hachette LittŽrature, 2002, p. 138-140.

[7] D. Barnard, Ē In the High Court of South Africa, case n” 4138/98. The global politics of access to low-cost AIDS  drugs in poor countries Č, in Kennedy Institut for Ethics Journal, 2002-12, p. 159 et s.

[8] Dans les jours qui ont suivi, plusieurs laboratoires ont dÕailleurs modifiŽ leur stratŽgie et dŽclarŽ vendre dŽsormais ces produits ˆ prix cožtant.

[9] Section 27, Ē (1) Everyone has the right to have access to (a) health care service(s), including reproductive health care(É) (2) The State must take reasonable legislative and other measures, within its available resources, to achieve the progressive realisation of each of these rights. (3) No one may be refused emergency medical treatment Č.

[10] Treatment Action Campaign vs Minister of Health, High Court of South Africa, Transvaal Provincial Div., 2002(4), BCLR 356 (T), 12 dŽcembre 2001.

[11] Minister of Health vs Treatment Action Campaign, Constitutional Court of South Africa, 2002(10), BCLR 1033.

[12] Ė la veille du procs de Pretoria, le laboratoire indien Cipla dŽlcara tre en mesure dÕoffrir les antirŽtroviraux  ˆ un prix trente fois infŽrieur ˆ celui du marchŽ. On peut gager que cette dŽclaration ne fut pas sans influer sur la dŽcision de retrait de leur plainte par les trente-neuf laboratoires pharmaceutiques.

[13] P. Benkimon, Morts sans ordonnance, op. cit., p. 211.

[14] Ibidem, p. 146.

[15] B. Feltz, Ē Questions ˆ lÕindustrie pharmaceutique Č, in La Libre Belgique, 2 janvier 2004, p. 42 ; P. Benkimon, passim.

[16] CitŽ par P. Benkimon, op. cit., p. 194.

[17] CitŽ par P. Benkimon, op. cit., p. 143.

[18] CitŽ par P. Benkimon, op. cit., p. 154.

[19] Dans la suite, plusieurs dÕentre elles offrirent mme la gratuitŽ temporaire de leurs mŽdicaments. Mais ce systme sÕavre criticable ˆ son tour car, en jouant la carte de la libŽralitŽ, les firmes Žvitent de renŽgocier structurellement et durablement les prix de leurs spŽcialitŽs.

[20] Sur cette conception de la communautŽ comme Ē club Č, cf. M. Sandel, Ē La rŽpublique procŽdurale et le moi dŽsengagŽ Č, in LibŽraux et communautariens, textes rŽunis par A. Berten et al., Paris, P.U.F., 1997, p. 263.

[21] M. Gauchet, Ē Les droits de lÕhomme ne sont pas une politique Č, in Le DŽbat, n” 3, 1980, p. 3 et s., ; Id., Ē Quand les droits de lÕhomme deviennent une politique Č, in Le DŽbat, n” 110, 2000, p. 258 et s.

[22] F. Ost, Ē La dŽsobŽissance civile. Jalons pour un dŽbat Č, in ObŽir et dŽsobŽir. Le citoyen face ˆ la loir, Žd. par P.-A. Perrouty, ƒditions de lÕU.L.B., 2000.

[23] P. Ricoeur, Ē LÕacte de juger Č, in Le juste, Paris, ƒd. Esprit, 1995, p. 1851 ; cf. aussi F. Ost, Ē Le douzime chameau ou lՎconomie de la justice Č, ˆ para”tre.

[24] Pour une analyse du pardon, cf. F. Ost, Le temps du droit, Paris, O. Jacob, 1999, p. 136 et s.