ETRE SOI-MEME N’A PAS DE SENS :

TOUT VIENT DE L’AUTRE!

Oguz ADANIR

oguz.adanir@deu.edu.tr

 

 

 

Cette ouverture d’esprit que j’ai découvert, sur le Dialogue Interculturel, dans les articles de C. Eberhard — et grâce à lui, chez d’autres chercheurs, etc- m’a agréablement surpris. J’espère que ce désir de changement de mentalité entrainera l’Autre dans la même voie. C’est un bon début et je souhaite de tout mon coeur qu’il s’agisse là d’une action de longue haleine à laquelle, au fil du temps, des millions d’individus puissent participer. Il est naturellement difficile pour chacun d’effacer ses préjugés en un coup de baguette magique mais le temps peut régler, je suppose, ce petit détail!

D’autre part, attendre un participation massive et immédiate à un Dialogue Interculturel sous toutes ses formes, ne me semble pas être un comportement très réaliste mais cela m’importe peu. L’important est qu’une plate-forme de ce genre existe et que je puisse y participer en tant qu’individu et poser ma pierre à l’édifice. Alors merci aux créateurs du site web de DHDI.

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Comme je ne suis ni juriste ni homme de lois, je ne peux participer à ce débat qu’en tant que citoyen d’un pays qui souhaite se réaliser au niveau des droits de l’homme (praxis) et je souhaite aussi m’y impliquer en tant qu’une personne intéressé par le niveau de sa propre culture (ainsi que celui des autres cultures) et aux problemes de la démocratie.

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On comprend aisément l’invitation d’Eberhard à une approche au niveau du praxis ("le droit n’est pas dans les textes, il est dans les pratiques"/E. Le Roy), pour faire avancer les recherches. Toutefois, lorsqu’il laisse de côté, je suppose par soucis pratique, les données historiques (culturelles, sociales, politiques, economiques, juridiques, religieuses, etc) qui permettent de construire l’actuel- qui est en fait une synthese de toute une passée collective de tous les peuples — il prend alors le risque d’une approche incomplète qui peut donner fatalement lieu à des conclusions erronées, dont la réctification peut prendre plus de temps que la donne actuelle des recherches.

Donc à ce niveau déjà, il y a plusieurs questions à se poser avant de passer aux celles qui concernent le concept de l’universalité sous divers formes et aux autres concepts sujets à discussion:

Voici une question cruciale à laquelle il y a lieu de répondre immédiatement mais qui, au premier abord, semble devoir prendre beaucoup de temps . Toutefois, j’ai personnellement une première réponse à apporter:

Non, l’histoire des pays occidentaux n’est pas encore écrite, puisque les histoires des Autres pays ne sont pas écrites. Si une méthode devait convenir à tous, elle contiendrait un concept d’universel mais avec un contenu neuf et différent. D’ailleurs avant même que le terme (moderne) de l’Universel eut été découvert par l’Europe Moderne; nous pouvons affirmer que la pratique d’une culture universelle existait déjà bien avant le Modernisme et le Capitalisme, si l’on veut bien croire aux auteurs comme: M. Mauss, B. Malinowsky,Louis Dumont, Georges Duby, K. Polanyi, F. Braudel (malgré lui), Jean Baudrillard, etc tous occidentaux par origine. Ainsi le concept moderne de l’universel est le produit d’un traitement de cette ‘première’ culture universelle élaborée au cours du temps!

Cette culture, c’est la culture de prestation et de contre-prestation, de l’échange symbolique, de potlatch. On peut la rencontrer n’importe où sur la Planète à des niveaux différents, même aujourd’hui. Donc le point de départ d’une nouvelle approche historique ne peut être que cette culture universelle dite de potlatch. Toutes les sociétés actuelles peuvent de ce fait déterminer leur place par rapport à ce point de départ. De là à décortiquer toutes les ressemblances et les non-ressemblances entre les sociétés dites modernes et non-modernes ne nécessiterait pas un grand effort puisque nous possédons déjà tout le matériel scientifique nécessaire. D’autre part, les comparaisons entre différentes histoires locales (entre un pays moderne et un pays non-moderne par exemple ) permettraient de définir les conditions et même les stades d’un changement radical dans la direction d’une modernisation — ici j’accepte le terme de modernisation avec toutes ses vices et ses vertus. L’acceptation générale de l’idée d’une histoire universelle ayant au fond les mêmes racines (mais avec des variantes naturellement très diverses sur les cinq continents) partout dans le monde peserait "lourdement", dans le bon sens du terme, sur l’ensemble de l’Humanité ? Cette approche pourra mettre fin, non seulement au soi-disant multiculturalismes ou "cultures différentes" qui permettent actuellement de s’exclure les uns les autres, mais aussi de se poser d’autres questions plus constructives qui n’auraient rien à voir peut-être avec les questions que les uns et les autres se posent aujourd’hui.

Le fait de parler actuellement de multi-cultures ou de cultures différentes provient d’un manque de connaissance. Parce que selon cette nouvelle approche historique que nous adoptons, les sociétés qui ont formé l’Europe Moderne ont été les premières, apparemment, à quitter cette sphère de la culture ou mentalité archaique universelle, tandis que les autres ont continué et continuent encore, même aujourd’hui, à des degrès divers de faire vivre cette culture.

La grande coupure ou fracture commence [pourtant Braudel, en tant qu’un individu moderne, ayant un esprit complètement aliéné à cette culture première, dira que l’Universel commence avec le Capitalisme, à partir de XVe siècle, tout en refusant de prendre en considérations les résultats de M. Mauss et de G. Duby par exemple] avec la Renaissance et La Réforme comme premier stade et l’Illumination et le Capitalisme İndustriel à un seconde stade. Donc un Occident qui, au niveau mental, s’éloigne totalement de cette culture archaique dont il faisait partie jusqu’à un certain moment de l’Histoire, se considère , à partir de ce moment, tout naturellement comme Différent des Autres (Locke, Quesnay, Mandeville, A. Smith, Marx et les autres se concentreront sur le terrain économique pour démontrer cette vérité dira L. Dumont).

L’Ethnocentrisme, la Culture Supérieure, Le racisme, etc sont, à notre avis, le fruit de ce changement mental. Nous commenterons autrement ce que Eberhard (Construire le Dialogue..., p.8) nous tranmet au sujet du mot culture : "Au XVIII. siècle "culture" est toujours employé au singulier, ce qui reflète l’universalisme et l’humanisme des philosophes". Pourtant cet universalisme au sens moderne, n’est-il pas le fruit (comme on vient de voir) d’un autre universalisme ? Celui qui provient de l’ancienne culture universelle dont le résultat concret est l’Europe Moderne qui, - même aujourd’hui dans son ensemble- se considère comme une "union de ressemblants", universalisme que ces mêmes philosophes respiraient, dans un sens, sans le réaliser! D’où cette nouvelle idée de l’universalisme !

Donc la ‘différenciation’ des cultures est un fait relativement récent qu’il faut se garder d’accepter comme une réalité existante depuis le début des temps. Par contre l’hypothèse proposée, nous permet de concevoir autrement toute sorte d’oppositions, de point de vues et de résoudre les différends actuels existants à ce sujet.

Quant à la question du refus de la part des pays non-modernes des valeurs, normes ou critères proposés comme universels par les pays modernes, cela nous mène vers le problème du racisme ainsi qu’aux origines du racisme. Quand Louis Dumont nous parle du racisme comme une maladie de la société moderne, il n’insiste pas suffisamment sur les origines de cette maladie. C’est-à-dire sur le concept d’étranger chez les sociétés primitives. Lévi-Strauss et bien d’autres auteurs nous ont appris que ces sociétés ne considèrent comme être humain, des hommes, que leurs propres membres mais refusent d’accepter les Autres, les Etrangers. Il y a des règles prècises pour que l’Autre, l’Etranger puisse être considéré comme être humain : faire partie du groupe en somme. Cette logique d’exclusion est quasiment universelle. Donc la discrimination est un phénomene à la fois bilatéral (entre modernes et non-modernes) et multilatéral [modernes contre modernes/et non-modernes - l’Allemagne Nazi contre certains peuples européens et aussi contre les autres , Al Kaida contre les Etats-Unis ou le monde chrétien, etc - et non-modernes contre non-modernes - Cambodge, Rwanda, etc...]. Ce qu’il faut préciser ou définir c’est la logique ou la mentalité qui engendre ce phénomene de discrimination. C’est le sentiment de concurrence négative ou destructrice qui semble se trouver à l’origine de cette attitude; c’est-à-dire il s’agirait d’une question de hiérarchie: Superiorité/Infériorité, Moi/l’Autre, Riche/Pauvre, Blanc/Noir, Moderne/Non-Moderne, Civilisé/Primitif, Occidental/Non-Occidental, Nord/Sud, etc. En somme ce n’est pas seulement l’homme moderne qui méprise le non-moderne; le non-moderne (sans oublier ceux qu’on pourrait appeler le semi-moderne!) aussi meprise l’autre en se fabricant exactement comme le premier ses prétextes. Par exemple l’un des sujets favoris des non-modernes pour mépriser les modernes c’est la morale sexuelle existante actuellement chez ces derniers. Si cette mentalité discriminatoire a trouvé les moyens d’exister jusqu’à présent c’est parce que la façon de concevoir le monde, la culture, les uns et les autres était différent de ce que nous possédons aujourd’hui pour discuter!

Actuellement, pour nous, la seule probabilité qui pourra mettre ‘fin’ à long terme, (peut-être?), à cette logique d’exclusion mutuelle, c’est l’acception d’une nouvelle conception de l’être, de l’existence, du monde de la part des uns et des autres (comme je l’ai déjà dit, il s’agit là d’une esquisse très vague de cette conception du monde qui attend sûrement d’être travaillée par des apports extérieurs complémentaires ). C’est-à-dire, faire sienne cette hypothèse psychanalytique que formula J. Lacan: le Tu c’est le Je, parce que sans le Tu je ne peux prendre conscience d’un Je, et vice versa. Si l’Autre n’existe pas, comment est-ce je saurai qui Je suis et si j’existe ou pas? Comme on dit dans les sociétés de l’échange symbolique : "Etre soi-même n’a pas de sens : tout vient de l’Autre. Rien n’est soi-même et n’a lieu de l’être". 1(J.B. ibid)

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Quant à la non-universalité du concept de l’ universel proposé par les auteurs des pays modernes, une révision historique des choses s’impose. Je ne discuterai pas les causes et les effets du Colonialisme ou de l’Impérialisme quels qu’ils soient. Venons-en aux faits et à la pratique quotidienne comme le préfèrent les auteurs qu’on rencontre sur les pages électroniques du DHDI. Quel est le paysage économique qui règne sur la Planète Terre en l’an 2001? Est-ce le Communisme, le Féodalisme, le Socialisme ou bien le Néo-Libéralisme — avec parfois en certains endroits de la Terre,

un parfum de la Sociale Démocratie? On ne peut nier le fait que du Capitalisme Sauvage au Capitalisme le plus raffiné nous vivons le temps des ‘Capitalismes’. Mais actuellement et peut-être paradoxalement, tous ces capitalismes se recoupent en un point: ils souhaitent concevoir ce système comme une forme sans contenu — à peine une forme alors ? Pourtant Braudel (dans La Civilisation Matérielle) nous dit, à l’aide de Weber, Sombart et les autres que le Capitalisme à son origine est aussi une idéologie, donc un système ayant aussi un contenu et qu’il a perdu ce contenu dans les années ’70 mais cela ne l’empêchera de continuer , d’exister pendant longtemps comme une simple forme! Alors où est le problème actuel ? Si le Néo-Libéralisme est adopté au niveau de la forme (c’est-à-dire avec la substance et l’essence de la forme) par quasiment 4/5e du monde — avec diverses variantes locales- pourquoi une résistence si forte contre le contenu (la démocratie,les droits de l’homme, etc) qu’on qualifie d’universel?

Ici l’entreprise des recherches anthropo-philosophiques semblent incontournable. De nos jours on sait que chaque société humaine semble avoir formée tout au long d’une histoire locale un contenu (une essence), une synthèse ayant atrait à l’universel. Ces contenus incluent toute une expérience collective qui n’est pas limité par de simples croyances ou religions mais plutôt par une pratique quotidienne des moeurs ou traditions qui s’adaptent - quand c’est nécessaire - aux besoins des conditions qui entourent la collectivité. En fait comme on vient de le dire plus haut à l’origine de toutes ces contenus se trouve la culture universelle dite de prestation/contre-prestation. C’est une culture basée essentiellement sur la forme, comme le dit Mauss (puisque la magie c’est d’abord une forme, un rituel) : la forme c’est le contenu. Donc cette tradition de forme=contenu a existé tout au long de l’histoire (comme nous l’avons constaté nous même à propos de l’Histoire Ottomane et Anatolienne, par exemple). J’imagine que seuls les pays qui ont vécu sous l’hégémonie d’une institution comme l’Eglise Romaine pendant plusieurs siècles (au niveau matériel et/ou sprituel) ont pu s’éloigner de cette culture de magie [pas totalement, puisque selon Braudel, pour l’Europe, on ne peut prétendre de l’hégémonie d’une culture ou d’une civilisation chrétienne mais plutôt Latine, qui tire son origine du paganisme, de la culture de magie, etc! On peut dire quelque chose de similaire à propos des pays du Proche et Moyen Orient. La culture qui règne dans ces régions du monde, à mon sens, ce n’est pas l’Islam comme on le prétend depuis un certain temps mais la culture du Levant ou bien du Proche ou Moyen Orient, qui englobe, comme l’histoire de ces régions en témoigne, une énorme pluralité des croyances hétérodoxes, monothéistes, etc].. L’Eglise Romaine s’est penchée catégoriquement et pendant des siècles sur les questions de contenus pour détruire ou exterminer cette culture primitive qui lui semblait purement formelle (selon certains auteurs le Christianisme a fini par devenir un culte c’est-à-dire quelque chose de similaire au système qu’il voulait totalement anéantir!), parce que le peu d’effort intellectuel que le système de croyances propre à cette culture d’initiation nécessite convient parfaitement aux pratiques quotidiennes des groupes humains. La culture de magie ou de l’échange symbolique est une culture statique - en principe- qui refuse catégoriquement tout changement ou modification dans l’ordre sociale, puisqu’elle croit que le moindre changement dans les gestes ou idées peut entrainer sa perte ou sa dislocation..

Résumons: nous: supposons que les peuples, groupes ou éthnies qui se sont convertis à l’Islam; les Orthodoxes; les peuples qui, après le XVe ou XVI siècle, ont accepté le Catholicisme, ainsi que les autres résistent dans l’ensemble à un plus ou moindre degré, au concept de l’universel proposé par les pays modernes. L’une des raisons fondamentales de cette hypothèse, c’est que dans tous ces pays, la culture de magie semble avoir absorbé (sous le nom de moeurs et traditions) la ou les doctrine(s) religieuses. Pourtant beaucoup d’auteurs comme M. Rodinson, Bernard Lewis, C. Cahen, pensent le contraire à propos de l’Islam par exemple. A mon avis, ils se sont plutôt fixés sur un İslam théorique, sujet de discussion passionnant pour des groupes d’élites et non une religion des grandes masses populaires au sens propre du terme puisque ces derniers ne connaissent qu’un ‘İslam’ formel, simplifié à tous les niveaux, presque dénué de contenu! Ils pensent que c’est la doctrine İslamique qui règne sur ces peuples. Ainsi l’Islam formel, de ce fait, se trouve à l’origine d’une mentalité fondamentaliste voire même intègriste existante actuellement à travers ces populations. C’est faux! L’Islam n’est qu’une sorte de vernis sur une culture antérieure très puissante. Tout ce paysage actuel attend d’être révisité. Rien que ces quelques prémisses démontrent à notre avis la complexité de la situation. Mais quand on a un point de référence dès le départ, il est très possible de résoudre ce qui parait impossible.

Revenons en au fait et acceptons pour un moment qu’au niveau du contenu chaque groupe des non-modernes ou semi-modernes ait une substance et une essence spécifique, avec ses traits distinctifs. Et bien c’est ici que se noue l’essentiel du problème. Toutes ces sociétés qui acceptent -pourrait-on dire la substance de- la forme présupposent dans un sens que le contenu est cachée à l’intérieur même et s’aventurent dans la direction qu’impose cette forme sous le nom de l’universel (=un contenu). L’universel se ressent alors comme une sorte d’ intervention aux croyances (d’ailleurs les pouvoirs locaux s’en servent comme prétexte au niveau des manipulations des masses) donc une sorte de christianisation des sociétés non-chrétiennes ou non-modernes. Par conséquent, cela revient à perdre la substance et l’essence de son propre contenu qui lui assure le pouvoir sur son propre terrain. Même si tous les pays modernes devenaient athéistes cela ne changerait rien, dans l’immédiat, à la situation existente, puisque les pouvoirs locaux s’en serviraient à nouveau comme prétexte d’une manière ou d’une autre. D’ailleurs la résistance des pays dits İslamiques, si je ne me trompe, se concentre dans son ensemble d’abord au niveau des ‘formes’. Puisque changer la forme équivaut à changer le contenu. Dans un sens le musulman qui accepte la forme de production capitaliste avec tous les changements que cela nécéssite au niveau de l’infrastructure, ressent une sorte d’infidélité envers sa religion ou sa foi. Une fois de plus tout le débat se noue là-dessus. Donc ce qu’il faut faire c’est de proposer une nouvelle perspective d’interprétation des choses. Changer de perspective peut donner lieu à une réévaluation des sujets du débat de chaque côté. C’est ici qu’il faut accepter le fait que l’Autre aussi a le droit de découvrir dans ces propres racines le noyau qu’il lui est nécéssaire pour élaborer - même si cela parait utopique pour l’instant- une approche moderne équivalente- ou une synthèse peut-être meilleure que celles des pays dits modernes - sur les droits de l’homme, de la démocratie, des libertés individuelles.

Le grand danger, comme on vient de souligner un peu plus haut, c’est que le néo-libéralisme actuel et ces nouveaux pays dits ‘capitalistes’ se rejoignent sur le fait que le capitalisme originel vidé de son contenu - aucun saut concret n’est réalisé au niveau des démocraties, des droits de l’homme, etc depuis les années 70 dans ces pays (que les non-modernes refusent de prendre comme référence, vu l’état actuel de la décadence morale observée chez les premiers d’après leurs propres normes) . De plus tous ces nouveaux pays ‘capitalistes’ qui n’ont rien de moderne ou contemporaine à proposer au niveau du contenu à leur propre société ou au monde entier, s’accrochent donc à leur contenu traditionnel, anachronique qui donnent lieu au nom du modernisme local à des formes grotesques du modernisme qui vont dans toutes les directions. Donc ce stade actuelle du capitalisme, dans un sens, convient de plus en plus aux non-modernes pour n’accepter que la substance de la forme (voir à ce sujet les soap-opéras produites par tous les pays de l’Amérique Latine!). Alors, le vrai danger n’est-il pas dans ce cas, dans l’extermination de l’essence humaine universelle moderne par la coopération de tous?

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D’autre part, il ne faut pas oublier le fait que l’histoire des droits de l’homme touche une période de plus de deux siècles rien qu’en occident. Pourtant le capitalisme commence à peine à devenir un système global économique uniquement depuis une cinquantaine d’années. Aussi réclamer des autres les mêmes résultats, sur le même sujet, dans des délais qui ne semblent pas raisonnables sur le plan historique, semble quelque peu excessif. Par là, je ne veux pas dire qu’il faut attendre une étérnité pour que les non-modernes ou semi-modernes acceptent - chose déjà plus ou moins réalisé à mon sens sur le plan théorique par la signature d’accords ou de conventions mais non au niveau pratique. Puisque cela nécéssite l’existence d’une culture et d’une pratique démocratique. C’est cette pratique qui va prendre du temps. Combien ? Je n’en sais rien puisque déjà le paysage se brouille un peu. Pour que le système de la société de consommation puisse continuer à fond ou tel quel— au niveau des G7 ou 8 par exemple -, il semble que le reste du monde doive se soumettre aux éxigences économiques ou autres imposées par les pays modernes, même si c’est à l’encontre de leurs intérêts et contre l’application des droits de l’homme ( comme imposer les services de la Turquie ou du Pakistan ou bien d’autres en Afghanistan sans en prendre en compte les éventuelles conséquences!). Ce comportement remet en question tous les systêmes démocratiques en Occident puisqu’une partie au moins de ces pays se conduisent actuellement comme les partenaires d’une sorte de vendetta, comportement attribué normalement aux sociétés tribales ou non-modernes. Ici je parle du fondement de sentiments humains qui ont provoqué un tel comportement de la part des Etats-Unis mais qui pourra garantir le fait, que dans l’avenir (Israel l’applique déjà!)tout le monde ne se comportera pas ainsi contre de telles attaques?

Je pense que le grand noeud du Gordium est là. Je veux attirer l’attention sur le fait qu’au niveau de l’universalisation des droits de l’homme il y a une contradiction fondamentale qu’il faut résoudre entre les pays modernes et non-modernes , c’est-à-dire: Ou bien tous le monde acceptera d’abord le droit à la vie, le droit de se nourrir correctement, le droit à l’éducation, le droit au travail, etc- plus ou moins de même niveau- pour tous les êtres humains existants sur cette Planète ou bien on continue à jouer les sourds, les hypocrites envers les uns et les autres. C’est là, la contradiction principale des pays modernes! Sinon les guerres absurdes (sauf pour les marchands d’armes et les fanatiques déboussolés) continueront éternellement entre les pauvres mais dans le temps entre les pauvres et les riches aussi! La Bosnie, La Guerre du Golf (un simulacre de guerre selon Baudrillard) et l’Afghanistan sont trois signes importants qui nous préviennent d’un avenir de plus en plus déséquilibré. La Guerre de Bosnie avait déjà risqué d’entrainer les forces des pays européens ou autres vers un précipice sans fin — parce que cette Guerre aussi qui n’en était pas une, s’était manifesté comme une sorte de vendetta économique entre différentes éthnies basée sur une mentalité non-moderne commune (de potlatch actuel)! La soi-disante ‘Guerre’ en Afghanistan durera longtemps nous dit-on. Pourquoi ? Et combien cela coutera à la Planète, à tous les niveaux?

Dans le cas où les pays modernes seraient entrainés par les non-modernes dans des instances de guerre sans mobile apparent et sans fin (et vice versa) que deviendront les démocraties occidentales ? Personnellement je souhaiterais voir — malgré tout- ces démocraties en place et désirerais qu’elles ne perdent pas de terrain. Même si cela parait contradictoire de mon point de vue, la réalité des faits justifie mon souci! Puisque à ce propos je me pose une simple question : en cas où tous ces pays modernes, représentants d’une démocratie plus ou moins correcte, s’engloutiraient dans des conflits sans fin, de quelles valeurs démocratiques les peuples des pays non-modernes s’en inspireraient-ils ? Etant donné qu’ils n’ont pas encore formé ou constitué une nouvelle conception de l’universel !A long terme la fin des démocraties historiques, de la transparence (même si on me parle de La Transparence du Mal) serait une véritable catastrophe, un retour à une sorte de Moyen Age pour le Monde entier. Je pense que c’est la dernière des choses qu’on puisse souhaiter à l’humanité.

La complexité de sujet est sans borne. Les positions ou points de vues contradictoire forment obligatoirement notre point de départ. On se sent perdu comme dans une jungle. Un travail collectif énorme doit être accompli. Malgré l’énergie et la capacité de quelques uns, il sera difficile de déterminer les grandes lignes d’une recherche d’une telle envergure. Dans cette expérience collective enrichissante pour tous, les Je doivent jouer le rôle du Je et du Tu en même temps. Cela semble plutôt à un défi contre un tel monde. Est-ce également votre point de vue ?

Oguz ADANIR Izmir, Décembre 2001