DHDI


groupe de travail Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel

Christoph Eberhard 10 Octobre 1998


Compte rendu de l'atelier "Ecoute interculturelle"

Naxos 28/09/1998 - 02/10/1998

(étape du processus de questionnement interculturel

de la plate-forme de l'Alliance pour un monde

responsable et solidaire)



Tout d'abord une remarque générale : il me semble que l'atelier était une réussite extraordinaire tant au niveau du travail qui a été fait que des relations d'amitié qui se sont nouées (deux dimensions qui me semblent intimement liées).

Je vais essayer de faire un bref compte-rendu de cette rencontre en m'arrêtant d'abord sur la forme de la rencontre avant de m'intéresser à son contenu. Puis je dégagerais quelques points qui me semblent importants pour la marche de l'alliance et enfin je livrerai quelques réflexions sur ce que cette rencontre m'a apporté pour mon travail sur les Droits de l'Homme et le Dialogue Interculturel.

Avant de commencer j'aimerais juste noter la spécificité de ma perspective. Je ne suis pas membre de l'alliance et avant cette rencontre je ne connaissais ses activités qu'à travers sa plate-forme. D'autre part j'étais membre du comité de pilotage et en cela je n'étais pas tout à fait dans la même situation que les autres participants. En effet le comité de pilotage s'est réuni plusieurs fois avant la rencontre pour en discuter et la mettre en forme. De plus lors de la rencontre je faisais partie de ceux qui parlaient les deux langues de travail (anglais et français) et j'ai fais pas mal de traductions.

Il me semble donc important de mettre en rapport ce témoignage avec les témoignages des autres participants.


I. La forme de la rencontre

Il est peut-être important de noter ici que pour moi la "forme" est tout aussi importante que le "fonds". C'est elle qui nous a permis de nous engager dans une véritable écoute interculturelle et un dialogue dialogal au sens de Raimon Panikkar, c'est à dire un dialogue qui n'était pas simple échange d'arguments mais dévoilement mutuel de nos "différentes humanités".

Le dialogue dialogal

En effet, pour Raimon Panikkar le dialogue dialectique est un dialogue sur un objet. Il s'inscrit dans un contexte où l'on considère que deux têtes pensent mieux qu'une. L'échange d'arguments rationnels permet de s'approcher de plus en plus de la "réalité" en éclairant de mieux en mieux le problème. Le dialogue dialogal quant à lui est plutôt dialogue entre sujets. Nous partageons certes tous une Réalité, mais en même temps fait partie de cette réalité les différentes perspectives que nous portons sur elle. Nous voyons tous la réalité à travers notre fenêtre personnelle, qui se construit aussi en rapport avec nos fenêtres "sociale", "disciplinaire", "culturelle"... Si dialogue dialectique et dialogal ne sont pas exclusifs l'un de l'autre mais sont complémentaires l'importance du dialogue dialogal est néanmoins primordiale dans les relations interculturelles.

En effet, le dialogue dialectique prend tout son sens quand on s'inscrit dans un cadre de référence partagé, quand l'objet, les questionnements, la problématique sont donnés. Quand on partage un cadre de référence (que ce soit de manière explicite ou implicite) il est intéressant de débattre pour dégager les incohérences, les failles du raisonnement etc ... Mais on est là à "l'intérieur du système". Or on ne peut pas postuler a priori qu'il n'existe qu'un cadre de référence et qu'en outre ce cadre de référence est le nôtre. Nous sommes tous des sujets et nous ne pourrons jamais épuiser les autres en tant que sujets. Ainsi il ne peut pas y avoir un point de vue qui engloberait tous les points de vue. Comme le dit Raimon Panikkar, il ne peut y avoir de perspective de 360° - c'est une contradiction dans les termes.

Si nous sommes attentifs, et en nous efforçant de sortir du "mythe rationaliste" dans lequel nous sommes inscrits (qui postule que la Réalité est entièrement épuisable par la Raison, réductible à elle et qu'il peut donc exister un "point de vue global" sur elle) on peut se rendre compte que déjà à l'intérieur d'une même culture des personnes différentes peuvent être en désaccord fondamental sur des manières de voir le monde - ce qui n'exclue pas qu'ils s'apprécient et vivent ensemble. Il existe des manières de voir le monde qui sont irréductibles les unes aux autres.

Cette conscience est extrêmement importante dans le dialogue interculturel. Les différentes cultures ne partagent pas UN cadre de référence mais ont des manières spécifiques de "construire leur relation au monde". L'idée d'un cadre de référence est plutôt à ramener à notre vision occidentale du monde et mène à ce que Louis Dumont a appelé "l'englobement du contraire" qu'il a dégagé dans ses travaux sur la hiérarchie. Il s'est demandé ce que la hiérarchie devenait dans nos sociétés modernes qui étaient fondés sur le mythe de l'égalité (voir idée du contrat social). En ce qui concerne la relation avec les autres cultures il constate que nous les construisons explicitement comme égales en référence à la catégorie générale d'humanité dans laquelle nous les englobons. Or implicitement nous nous construisons nous même comme point de référence de cette humanité mettant ainsi les autres cultures en position d'infériorité. De nombreux travaux anthropologiques ont été marqués par cette construction non-consciente : l'autre a été construit comme l'image inversée et inférieure de nous même (ex : le droit africain oral a été compris comme droit non encore écrit donc inférieur etc...) et non pas dans son originalité propre. On n'a pas su reconnaître l'Autre derrière l'autre qui restait la caricature de notre propre image inversée.

Ainsi le dialogue dialogal est primordial entre cultures pour permettre à travers l'échange de nos témoignages un dévoilement progressif de nos différents présupposés, des différents "mythes" dans lesquels nous sommes enracinés.

L'atelier nous a permis de nous engager dans un tel dialogue dialogal.

L'atelier

La phase de préparation m'a paru primordiale. Les différentes vagues de questions-réponses nous ont permis de faire connaissance, de commencer à nous dévoiler mutuellement - surtout que la possibilité était donnée de poser des questions générales ou à des participants spécifiques. Peut-être que ce premier travail nous a aussi permis de "tester le terrain" avant de nous rencontrer. Une certaine confiance a pu s'installer. Peut-être avons nous aussi osé écrire des choses qu'il nous aurait été difficile de dire directement en face, le papier jouant le rôle d'intermédiaire nous donnant une certaine distance, un certain anonymat aussi peut-être. Nous avons aussi été interpellés par les réactions des autres, sommes devenus curieux et voulions en savoir plus. Avant même de nous rencontrer nous voulions mettre "une tête" sur les textes, découvrir leurs "auteurs". Le facteur temps était aussi important : presque dix mois pour faire connaissance, pour se rapprocher successivement par vagues : lire les contributions, travailler sur la sienne, revenir à ses autres activités, puis une nouvelle vague etc ... pour aboutir enfin à notre rencontre.

Là aussi l'importance de l'entrée progressive en action : l'arrivée à Athènes puis le voyage en bateau pour Naxos, occasion de faire connaissance, de commencer à bavarder, de poser déjà certaines questions à ces interlocuteurs qui étaient enfin là et devenaient nos amis. Donc début d'un partage en allant vers le lieu de notre "rencontre". Puis l'arrivée, la cérémonie de bienvenue, la présentation des cadeaux, le choix de l'ami secret, tous assis en cercle pour la première fois : c'est là que nous sommes tous rentrés dans le cercle - mais naturellement, pas de manière forcée - on l'attendait déjà (d'autant plus que les participants étaient tous actifs dans l'alliance et que certains avaient traduits la plate-forme dans leur langue avant même la participation à cet atelier).

J'ai retrouvé cette importance du temps pour entrer en matière dans nos groupes de travail dès le lendemain : se retrouver à 7-8 pour dialoguer. Devoir se débrouiller sans traduction simultanée : il fallait trouver ceux qui pouvaient traduire, il fallait la patience d'attendre la traduction qui donnait le temps d'observer l'autre quand il parlait, qui donnait l'envie de déjà comprendre avant la traduction. Ce qui m'a frappé c'est l'attention qui se lisait sur le visage de ceux qui ne comprenaient pas l'intervention qui était en train de se faire. Au lieu de penser à autre chose on essayait de comprendre. Petit à petit les langues ont commencé à se délier - ceux qui étaient plus en retrait au départ commençaient à parler - au fil des jours aussi les interventions devenaient plus "osées". Extraordinaire aussi la découverte de talents linguistiques cachés : ceux qui ne parlaient pas au départ anglais et français trouvaient tout d'un coup ce don. L'oreille s'était adaptée, de vieux souvenirs se sont réveillés, une confiance s'était installée - et puis il y avait l'envie de dialoguer : qu'importe de "faire des fautes" mais il fallait parler directement à son interlocuteur, on avait envie de lui dire, sans passer par un intermédiaire. En même temps prise de conscience de la difficulté de communiquer son expérience, déjà à cause de la langue. Apprentissage du respect qui consiste pour celui qui parle à laisser le temps à la traduction, à essayer de se faire comprendre, pour celui qui écoute de laisser à l'autre le temps de dire. Enfin la possibilité à travers les rapports personnels de se faire entendre "dans la durée" sans que notre voix se perde dans une synthèse forcément "synthétique".

L'importance d'avoir laissé la possibilité au jaillissement de l'imprévu. Je pense surtout à la présentation des différentes manières de saluer selon les cultures pour laquelle nous avions prévu 15 minutes et qui a finalement duré presque deux heures. C'est spécialement à cette occasion que je me suis rappelé de ce que me disait M. Le Roy, mon directeur de thèse : c'est quand on pense être le plus enraciné dans l'interculturel qu'on risque d'être le plus à côté de la plaque - qui aurait soupçonné toute la richesse de cette présentation avant que nous ayons commencé ? En ce qui me concerne je dois admettre qu'au départ je le voyais plus comme une façon sympathique de commencer la journée avant de "passer aux choses sérieuses". Aussi notre promenade improvisée après le déjeuner sous les oliviers.

Je ne peux pas raconter ici toutes les occasions qui ont permis d'apprendre, de comprendre, de partager. Les travaux en groupe, les assemblées plénières, les "activités", le partage de nos repas, de notre chambre, nos promenades... ce sont toutes ces choses qui ont contribuer à "l'écoute" de cet atelier.

II. Le fonds de la rencontre

Pour moi le plus important de cette rencontre était la prise de conscience de l'importance du dialogue dans la démarche de l'alliance. Et il me semble que tous les participants étaient extrêmement reconnaissants d'avoir eu à travers l'alliance et cette rencontre la possibilité de dire, de se dire et de se faire écouter. L'atelier a fait éclore de multiples remises en question fondamentales. Mais en même toutes ces remises en question ont été présentées non pas pour "détruire" l'alliance mais pour l'enrichir dans et à travers le dialogue pour contribuer à "mieux aller ensemble" dans la direction de l'idéal qu'elle incarne pour ses participants.

Je commencerai ici à présenter quelques remises en question qui ont émergés dans nos discussions sur "perspectives sur le monde", "identité", "pratiques de relations sociales - sécurité" et "façons d'agir".

(1) Perspectives sur le monde

Le monde n'est pas uniquement une "planète", un "écosystème", un "objet" qu'on peut aborder uniquement scientifiquement et gérer d'une manière optimale. Ce n'est pas qu'un "spaceship earth". Le monde a une réalité cosmique dont nous faisons partie. C'est "mother earth" dont nous provenons et à laquelle nous retournons. C'est tout le cosmos avec lequel nous sommes liés et ou tout est interdépendant. De plus le Divin ne peut pas en être séparé. La création ne peut pas être pensé sans le créateur. Ces points de vue ont tout de suite menés à une réflexion sur le rôle de la "spiritualité".

L'équilibre global est donné et ne peut-être un objectif. Mais cet équilibre est un équilibre dynamique, changeant qui repose sur l'interaction de facteurs qui ne sont pas égaux mais différents et interdépendants. Voir l'idée du yin et du yang ou le proverbe "égaux nous ne vivrions pas ensemble". L'équilibre stable c'est la mort.

La globalisation a été perçu comme processus de contrôle total, imposant ses lois à tous, et excluant ceux qui veulent vivre autrement, à leur manière. La question de la logique scientiste-techologiste a été posé : ne sommes nous pas en train d'essayer de "remplacer l'humanité" par quelque chose de plus efficace qui pourrait mieux faire tourner le système ? Ne sommes nous pas en train de rendre l'Homme superflu ?

Dans ce sens nous avons aussi débattu du temps : le seul temps valable est-il celui de la production, de l'efficience. Le temps pour l'art, les fêtes, le jeu, le partage, l'éducation de ses enfants, le soin de ses parents etc ... est-il du temps perdu, ceux qui le vivent sont-ils des paresseux, des inconscients, des parasites, des non-civilisés ? Réfléchir abstraitement au futur de l'humanité n'est-il pas un luxe pour "riches globalisés" ? Quoi des préoccupations des gens "à la base" ? Leurs préoccupations sont-elles moins nobles, moins importantes, peut-on les ignorer, les écraser en vertu de nos préoccupations plus globales et plus abstraites ? Comment se fait-il que la plate-forme ne parle pas de la faim ? Quel sens de penser un futur apocalyptique dont nous devrions nous sauver si pour beaucoup c'est le présent qui l'est déjà ? Et d'ailleurs qui sommes nous pour vouloir sauver le monde ? Il n'a pas besoin de nous et les civilisations naissent, s'épanouissent et meurent depuis des millénaires ... (voir le "phoenix factor" évoqué par l'un de nos amis).

Notons aussi que dans le cadre de la réflexion sur un monde responsable et solidaire il a été noté que la solidarité pour beaucoup de cultures n'étaient pas un objectif à atteindre (comme ils pouvaient l'apparaître dans nos sociétés individualistes) mais la base même de la vie en société. La solidarité ce n'est pas uniquement donner à celui qui est dans le besoin. C'est partager une vie avec ses malheurs et ses bonheurs. Quant à la responsabilité, de quoi parlons nous : d'une responsabilité universelle pour le monde entier qui se dissout dans son abstraction et détourne l'attention de responsabilités beaucoup plus concrètes envers sa famille, sa communauté, son environnement immédiat ?

(2) Identité

L'importance des familles, des communautés. Notre identité n'est pas abstraite. Nous sommes inscrits dans différents groupes, dans différents réseaux, dans différentes situations. On ne peut pas penser notre identité "en soi" mais uniquement en relation avec ce(ux) qui nous entoure(nt). L'individualisme peut même être destructif des identités (voir l'effet déstructurant des droits de l'homme sur les peuples indigènes).

L'importance des modèles pour construire son identité et fragilité de ceux qui n'ont pas de modèle ou n'ont que l'embarras du choix. La diversité des modèles peut être un enrichissement mais peut aussi être un facteur de déstructuration et de perte d'identité. De toute façon importance des modèles concrets (parents, membres de la communauté, "héros locaux", proverbes etc ...) et insuffisance de modèles abstraits universels.

Nécessité de prendre en compte le pouvoir économique qui "casse" et déstructure les peuples et les cultures, leurs vies et leurs identités.

De plus la question : les cultures existent par rapport à quoi ? Si on parle par exemple de "spiritualité" ou de "religion" alors que ces termes n'existent pas par exemple en Chine, que deviennent les chinois ? N'ont-ils rien compris ? Sont-ils à côté de la plaque ? Doivent-ils se civiliser ? Mais de toute manière si on ne les écoute pas ne les exclue-t-on pas a priori ?

Ne seraient-ce pas les occidentaux qui auraient un problème d'identité ? Qu'est-ce qu'ils veulent avec nous (habitants des pays du Sud) ? Pourquoi n'y a-t-il pas beaucoup d'occidentaux dans l'alliance ? Qu'est ce qu'on veut encore nous vendre et pourquoi ? Peut-être le Nord qui s'est arrogé le privilège de prendre en charge "l'avenir global" devrait-il s'interroger sur qui il est et comment ça influence sa manière de structurer le monde avant de s'atteler à lancer des programmes pour "sauver le monde" ?

(3) Pratiques de relations sociales et sécurité

Nous nous sommes ici aussi rendus compte de l'importance de porter notre attention sur les situations concrètes. L'importance de modèles pour inciter à l'action a été révélé. Ce n'est qu'en agissant, en montrant l'exemple qu'il est possible petit à petit de mobiliser des gens. Car l'exemple peut interpeller, être occasion de dialogue. Des dynamiques peuvent ainsi se créer. Dans ce sens nous avons noté l'importance de l'humilité dans les démarches. On ne peut pas agir en pensant avoir les réponses et en voulant imposer ses points de vue et ses manières de faire. Il faut qu'on accepte de dialoguer avec les gens pour inventer et mettre ensemble en action des dynamiques. On a noté ici l'importance de traducteurs et de médiateurs pouvant d'une part traduire les préoccupations de l'Alliance dans les contextes locaux et d'autres parts les préoccupations locales dans la dynamique globale.

Par rapport à l'action, le rôle de la spiritualité a aussi été évoqué. Si là aussi l'importance de l'humilité a été souligné pour éviter les dérives fondamentalistes, il a cependant été noté que la "spiritualité" n'était pas un luxe qui se surajoutait à la "vraie vie", aux "choses concrètes". Au contraire dans de nombreuses sociétés ce que l'on écoute, ceux qui sont des modèles sont des "sages". De plus pour certaines cultures ce n'est que dans le silence d'une contemplation intérieure que semble pouvoir émerger des actions "responsables" (sous forme de pensées, paroles, activités corporelles).

Je n'ai pas pu ici rendre la richesse des interventions de toute la semaine à Naxos mais j'espère que les quelques points relevés permettent déjà de pressentir toute la richesse du travail d'éclairage interculturel effectué par rapport au "projet de bonne vie" que représente l'Alliance.


III. Enseignements pour l'Alliance

A mon avis l'enseignement le plus fondamental pour l'Alliance est que ce qui semble avoir été perçu comme son point essentiel, ce qui lui donnait son originalité par rapport à d'autres dynamiques et qui lui donnait tout son sens était son ouverture dialogale. Il a été noté que le dialogue interculturel était au centre de l'Alliance et devait être son objectif principal. Tous les participants étaient extrêmement heureux et reconnaissants de pouvoir se rencontrer, de se dire et de s'écouter. Il a été noté de plus à quel point il était extraordinaire de pouvoir parler aussi librement à l'extérieur des "cadres institutionnels classiques". Il faut peut-être aussi noter ici une double liberté : liberté de parler et d'exprimer ses opinions "en soi" (ce qui n'est pas possible dans tous les pays) et faire écouter son point de vue sur des problématiques globales ou domine d'habitude le discours occidental. Notons que les participants ont fait remarquer qu'ils ne pouvaient pas représenter leurs cultures "en tant que telles" mais ne pouvaient que donner une éclairage, une perspective particulière.

L'importance historique du texte de la plate-forme a été noté. C'est lui qui a permis de mettre une dynamique en marche et qui nous a permis d'avancer. Il semble cependant nécessaire maintenant d'aller plus loin. Non seulement faut-il revoir les "commentaires" de la plate-forme, mais faut-il radicalement revoir, de façon interculturelle, son diagnostic de l'état actuel des choses. Il a été noté que vu son ouverture dialogale le caractère de prime abord "choquant" de la plate-forme pour certaines cultures avait été un facteur extrêmement bénéfique puisqu'il a permis l'émergence d'un véritable débat et dialogue. D'une certaine façon la plate-forme était perçu comme "prétexte" à la rencontre, et "pré-texte" peut-être à une autre version. Elle était un peu perçu comme le diamant brut sur lequel on pouvait commencer à travailler pour un jour pouvoir le faire resplendir dans toute sa beauté, après avoir été taillé dans le dialogue des cultures. La proposition de compléter un "texte central" par des "plate-formes locales" voir de faire uniquement des "plate-formes locales" a été avancée.

Pour une nouvelle version, il a semblé important que tout le monde participe à son élaboration, pour que tout le monde ait vraiment l'impression de participer, non seulement dans la mise en oeuvre, mais aussi dans les objectifs.

Il a aussi été noté que la plate-forme n'était qu'un texte mais que l'Alliance était beaucoup plus que cela. En signant c'est une idée qu'on a signé. Il n'est pas sûr que tous les signataires aient lus toute la plate-forme - ce qui est important c'est l'idée qui se cachait derrière les mots.

Dans ce sens on doit aussi noter que le caractère dynamique, processuel de l'Alliance - qui ne pourra jamais être rendu par un texte - a été souligné. Ainsi revenons nous pour boucler la boucle à l'exigence dialogique : par rapport à ses objectifs et à ses diagnostics la plate-forme ne diffère en effet pas beaucoup de ce qui se fait déjà à l'ONU, à l'UNESCO, dans les programmes de coopération et de développement etc ... En outre les initiatives locales pour améliorer les conditions de vie ont déjà existé avant la création de l'Alliance : "on n'a pas attendu l'Alliance pour agir". Ce que l'Alliance peut apporter de nouveau c'est de favoriser le partage des expériences, l'éclairage de nos "problèmes" à travers nos différentes perspectives pour prendre conscience de toute leur complexité et la conscience de l'importance de l'écoute et du dialogue de tous pour un projet de société partagé.

Dans ce sens il a été remarqué qu'il serait peut-être utile de focaliser l'activité de l'Alliance sur les moyens d' "échanger", sur ce qui permet une dynamique dialogale.


IV. Apports pour ma recherche sur "Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel"

Il est très difficile pour moi de dire en quelques mots ce que cette rencontre à Naxos et toute sa préparation m'a apporté dans mon travail. En effet, ça fait maintenant déjà trois ans que je travaille explicitement sur ma problématique "Droits de l'Homme et Dialogue Interculturel" - je me lève avec le matin, je passe ma journée avec et il m'arrive même d'en rêver la nuit. Cette expérience s'inscrit ainsi pour moi plus dans un long processus de prise de conscience et d'apprentissage de l'écoute de "l'Autre" qu'elle ne m'apporte des éclairages précis. Elle m'a encore fait prendre conscience du poids du "complexe de supériorité occidental" qui écrase les autres cultures et nous rend tellement difficile l'écoute interculturelle. L'atelier par ses surprises (j'ai évoqué plus haut l'exemple de la cérémonie des salutations mais il y en a eu d'autres) m'a aussi fait prendre conscience à quel point moi même j'étais hautain et pensais avoir compris des choses alors que tout reste à comprendre et que nous ne comprendrons jamais tout. D'une certaine manière je dirais que cet atelier était pour moi une leçon d'humilité - leçon d'autant plus importante qu'en tant que juriste réfléchissant à la problématique de la globalisation à travers une réflexion sur une théorie interculturelle des droits de l'homme on a tendance à penser qu'on s'approche du point de vue universel et global sur la question de la "bonne vie". Or la vie ne se laissera jamais épuiser par aucune construction intellectuelle. Et s'il est aujourd'hui nécessaire de réfléchir à des "problèmes globaux" il ne faut jamais oublier que "ces problèmes globaux" ne sont pas supérieurs ou plus nobles que des "problèmes plus locaux" et qu'on ne peut pas subordonner les seconds aux premiers. Les différentes situations, inscrites dans différents cadres, dans différentes échelles et temporalités, mettant en relation différent acteurs avec des logiques et des objectifs différents etc ... nécessitent toutes une approche humble qui puisse permettre petit à petit à relever leur complexité.

Si je dois retenir une chose spécifique de cette rencontre ce serait peut-être l'importance de ne pas oublier que nos vies ne sont pas réductibles à des projets, à des éléments d'un "système global" dont ils devraient assurer le bon fonctionnement. Nos vies ce sont nos vies - et en dernière analyse c'est tout ce que nous avons. Il faut donc apprendre à les prendre au sérieux et à les "reprendre en main" (alors que nous avons tendance à les décentrer hors de nous en en abandonnant la responsabilité à l' "Etat", au "marché", au "système", à la "globalisation", à "Dieu" ...).

Il n'y a pas un centre d'où on pourrait ordonner la vie pour le bien de tous. Comme le disait le Mulla Nasruddin quand on lui demandait ou se trouvait le centre du monde : c'est là ou j'ai attaché mon âne. Le centre du monde est pour chacun de nous là où nous vivons, où nous avons nos affaires. Nous sommes tous des centres du monde. Et si "Dieu est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part" peut-être pouvons nous nous retrouver ainsi dans le partage d'un "mystère commun" ? Mais en ce qui concerne nos projets de société n'oublions pas de considérer tous les êtres humains comme des sujets et non pas comme des objets qui seraient uniquement des moyens à la réalisation d'un but transcendant (l'Etat, l'ordre social parfait, un futur pacifié etc ...) et apprenons donc à dialoguer.