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Prrequis pistmologiques pour une
approche interculturelle du Droit.
Le dfi de laltrit
(premire version dun article paru dans Droit et cultures 46, p
9-27)
Cet article se situe la croise entre anthropologie du Droit et thorie du Droit. Il vise une prise de conscience des prrequis pistmologiques pour toute approche et toute thorie interculturelle du Droit[1]. Si nous crivons ici Droit avec majuscule, cest pour indiquer que cest bien le Droit comme phnomne juridique qui nous intresse et non pas uniquement le droit tel que nous lentendons comme juristes, cest--dire comme corps de normes plus ou moins directement li lՃtat. Il sagit de dgager les conditions ncessaires pour pouvoir aborder de manire plus complte le mystre de la juridicit, entreprise quon peut ramener au ple de la constitution dune thorie gnrale non-ethnocentrique du Droit (voir Alliot 1983), et ceci travers un dtour par laltrit caractrisant nos diverses socits humaines, et donc ncessairement par une dmarche de dialogue interculturel tel que mise en uvre dans une approche anthropologique. Louverture interculturelle de notre thorie si ncessaire soit elle, ne sera nanmoins pas suffisante. Elle devra se doubler dune approche interculturelle du Droit plus fondamentale qui en dessinera lhorizon plus vaste sous la forme dun nouveau mythe mergent de linterculturalisme et du pluralisme de la ralit (Vachon 1997)[2]. Pour introduire notre rflexion, revenons un texte de Robert Vachon sur une approche diatopique et dialogale du pluralisme juridique que nous considrons comme prcurseur[3] :
Une des raisons fondamentales du malentendu tragique entre la
culture juridique occidentale et les cultures juridiques autochtones
traditionnelles, cest doublier que la distance surmonter entre ces deux
mondes nest pas simplement factuelle (interprtation morphologique) ou temporelle
(interprtation diachronique) mais spatiale, cest--dire quil sagit de
plusieurs topoi (loci) ou de visions dont les postulats eux-mmes sont
radicalement diffrents, nayant pas dvelopp leurs modes dintelligibilit
partir dune tradition historique commune ou travers une influence rciproque
(interprtation diatopique). (...) Il faut donc examiner fond tous nos
postulats, nos structures mentales et nos mythes, de part et dautre pour voir
sils sont les mmes ou pas. Il faut prendre conscience de loriginalit
profonde non seulement de leurs processus et logique socio-juridique (systmes
et structures propres) mais aussi de leurs visions, horizons ou univers
juridiques, en un mot de leur culture juridique propre et de ses mythes (interprtation diatopique). (Vachon 1990 :
166-168)
Comme nous le fait entrevoir cette citation, au coeur de la problmatique dune approche pluraliste et interculturelle du Droite se situe une dmarche dialogale qui reconnat fondamentalement laltrit et ne la limite pas une construction de la diffrence comme a eu tendance le faire le droit compar et mme lanthropologie moderne. Francis Affergan note pertinemment que le glissement de laltrit une approche en termes de ressemblances / diffrences, aussi ncessaire quelle fut pour la constitution dune approche scientifique de lautre, porte en elle ses limites travers la cration dun continuum entre les deux ples de la comparaison : nous et les autres . Or toute diffrence, partir du moment o elle oppose, nie quelque chose de quelque chose, enlve, retire ou annule afin de trouver un dnominateur ou un diviseur commun aux sujets compars. Non seulement, la diffrence nest pas pens en soi, mais en opposant, elle dsidentifie puisquelle galise. (Affergan 1987 : 226). On a tendance tomber, comme nous le dvelopperons plus loin, dans des constructions binaires conformment au principe de lenglobement du contraire dgag par Louis Dumont dans ses travaux sur le holisme. La rflexion anthropologique contemporaine est bien consciente de cette aporie[4], et nous tenterons dans cet article dapporter notre pierre une approche plus dialogale de laltrit, plus spcialement dans le domaine de la juridicit.
Nous proposerons une rupture pistmologique ou du moins un complment pistmologique permettant dՎmanciper nos approches contemporaines du paradigme dialectique o la Raison est reine afin de mieux nous ouvrir laltrit. Nous commencerons par nous interroger sur les pr-requis pistmologiques dune dmarche dialogale visant une approche vritablement interculturelle du Droit. Ceci nous mnera expliciter la mthode dune anthropologie du Droit qui enseigne que manires de penser et de pratiquer le Droit et manires de voir et de vivre le monde sont intimement lies et que ces diverses manires dՐtre ne peuvent pas tre rduites un dnominateur commun. Ainsi nous trouverons nous enfin confronts au dfi du pluralisme : pluralisme de nos diffrentes manires de vivre, mais pluralisme aussi du phnomne de la juridicit dans sa gnralit.Car le projet anthropologique va plus loin que la simple observation des diffrences qui est du ressort de lethnologie pour reprendre la distinction de Claude Lvy-Strauss. Il vise comprendre lHomme dans sa gnralit et dans sa totalit (1995 : 413). Ainsi ne sagira-t-il pas de se contenter de constater nos divergences mais faudra-t-il pousser plus loin notre rflexion. Les dcentrements culturels permettant dՎclairer sous divers angles le mystre du droit , il sagira ensuite den tirer les consquences et de poser les jalons dune thorie gnrale de la juridicit et dune approche interculturelle du Droit qui se devra de passer de la prise en compte de laltrit celui de la complexit et du pluralisme.
1. LՎmancipation de lenglobement du
contraire comme prrequis la dcouverte de laltrit
Le concept denglobement du contraire , qui constitue un vritable pige pistmologique o senracinent la grande majorit des rflexions sur le Droit, est emprunt Louis Dumont. Ce dernier sest intress, aprs avoir travaill longuement sur une socit trs hirarchise, la socit indienne, et plus particulirement sur son systme de castes et ses implications (Dumont 1979), nos propres socits et plus particulirement lidologie moderne (Dumont 1991). Ce faisant, il a fourni une illustration tout fait magistrale de lintrt de la dmarche anthropologique non pas uniquement pour mieux comprendre lAutre, mais pour mieux se dcouvrir soi-mme. Par cette pdagogie du dtour comme la nomme Norbert Rouland (1989 : 77) qui duque notre regard travers sa porte au loin , ce dernier sen trouve finalement chang et nous voyons diffremment ce qui au dpart nous semblait familier, et nous permet de remettre en perspective nos propres expriences de vie en socit. Cest plus particulirement le principe de lenglobement du contraire dgag par Louis Dumont et son influence masque dans notre vision moderne du monde quil a relev qui nous permettra de prendre conscience de certains cueils de nos approches de laltrit. Louis Dumont dcouvrit lenglobement du contraire dans son travail sur le holisme et la hirarchie dans la socit indienne (1979 : 396-403) et sinterrogea sur son devenir dans nos socits modernes individualistes et dont le mythe fondateur tait celui de lՎgalit (1991 : 140-141). Il illustre ce procd en prenant un exemple clbre de notre cosmogonie, celui de la cration dve partir dune cte dAdam et note que Cette relation hirarchique est trs gnralement celle entre un tout (ou un ensemble) et un lment de ce tout (ou ensemble) : lՎlment fait partie de lensemble, lui est en ce sens consubstantiel ou identique, et en mme temps il sen distingue ou soppose lui. Il ny a pas dautre faon de lexprimer en termes logiques que de juxtaposer deux niveaux diffrents ces deux propositions qui prises ensembles se contredisent. Cest ce que je dsigne comme englobement du contraire. (Dumont 1991 : 140-141).
Notre approche des autres cultures est, notre insu, profondment marque par ce principe. Lethnocentrisme est probablement une des caractristiques les mieux partages par tous les peuples et par toutes les cultures et tous les groupes dappartenance ont tendance se construire comme naturellement suprieurs aux autres, comme par exemple les vritables humains Mais dans ces cas dethnocentrisme , la hirarchie est affiche de manire explicite - ce qui permet aussi sa critique. Or dans lapproche moderne la hirarchisation est implicite et est donc beaucoup plus difficile dmasquer. Difficult qui se trouve renforce par notre enracinement dans le mythe de la Raison universelle, que partagent tous les tres humains et qui doit donc forcment les mener aboutir aux mmes conclusions, une mme vision rationnelle de la ralit et de son organisation. Cette hirarchisation implicite et le refoulement de la hirarchie aboutissent, au-del de la simple non reconnaissance de loriginalit des cultures non-occidentales la hirarchie, dans un vritable principe structurant de la pense moderne qui se reflte dans la pense dichotomique, du tiers exclu , et o les deux termes ne sont pas gaux mais dans une relation hirarchique. Nous avons tendance - et peut-tre dautant plus en tant que juristes qui avons appris regarder la socit travers les lentilles du droit[5] - raisonner partir de modles construits comme universels et poss a priori et nous dfinissons a contrario tout ce qui ny rentre pas. Illustrons cette affirmation par les couples constitus par la tradition et la modernit, la Raison et les pratiques, luniversalisme et le relativisme.
La modernit se dfinit par sa rationalit et son universalit, la tradition par son contraire, la subjectivit (les croyances, les mythologies...) et la particularit (les particularismes culturels). Dans le rapport avec les droits dautres cultures, nous construisons ces derniers comme traditionnels en comparaison notre droit moderne - nous leur nions ainsi toute prtention luniversalit et les abordons comme des construits spcifiques lis certains contextes spatio-temporels particuliers et dpasss dans ce temps. Contrairement notre droit,moderne et rationnel, ces droits sont dfinis par le fait quils sont imprgns de croyances, sinscrivent dans des mythes etc... (voir Fitzpatrick 1992).
La Raison, les principes, le Droit dans son abstraction sont universels, les pratiques au contraire sont particulires. Les droits populaires , alternatifs , vivants , de la pratique sont toujours construits en rfrence lide de droit comme ordre juridique et par rapport au manque qui les caractriserait[6]. On peut se livrer une vritable chasse lenglobement du contraire dans de nombreux travaux anthropologiques tels que dans les travaux de la science coloniale africaniste dans les travaux sur la chefferie traditionnelle , la religion animiste , lՎconomie informelle ... Et il continue informer une grande partie de nos travaux scientifiques contemporains. En thorie du droit, tienne Le Roy en voit une application dans les thories diverses du pluralisme juridique, qui gardent comme rfrent implicite lordre juridique (Le Roy 1998 : 33-34)[7]. Nous y reviendrons.
Les approches anthropologiques ou juridiques en termes duniversalisme et relativisme, quon retrouve dans les dbats autour des droits de lhomme, illustrent eux aussi parfaitement le paradigme de lenglobement du contraire. Pour Grald Berthoud, qui ne dveloppe pas ses analyses dans ces termes, (1992 : 142) Les deux extrmismes universaliste et relativiste constituent deux univers opposs mais insparables. Lun est la stricte inversion de lautre. Ou encore, ils forment une unit cache dont les deux composantes sont toujours prsentes dans une relation dextriorit totale. () Comme la vue individualiste et universaliste du monde tient lieu de vrit exclusive sur lhomme et la socit, toute autre ide est rejete dans lunivers douteux du diffrentialisme culturel. Toute rflexion est alors enferme dans une dichotomie sans nuance () entre universalisme et relativisme, humanit (culture universelle) et cultures, tre abstrait et libre et tre social, identit humaine et identit culturelle
Les deux faces universaliste et relativiste de la problmatique de lunit / diversit humaine renvoient au paradigme moderne sous-jacent quon peut aborder, en suivant Zygmunt Bauman, comme culture de jardinage , cest dire comme vision du monde social comme devant avant tout tre soumis un ordre parfait par des moyens rationnels - en enlevant les mauvaises herbes et en encourageant les bonnes pousses selon une gestion rationnelle (voir Bauman 1987 : 94 ; voir aussi Alam 1999 : 3 ss). De plus, la vision moderne du monde, et par l des socits et de leur organisation et donc de leur droit et de leur perception de laltrit est intrinsquement li lide dordre. Lordre et le chaos sont des jumeaux modernes[8] : () la ngativit du chaos est un produit de lauto-constitution de lordre : cest son effet secondaire, son dchet, et pourtant la condition sine qua non de sa possibilit (rflective). (Bauman 1993 : 7). La vision moderne est avant tout celle dun monde fondamentalement rationnel et donc manipulable et contrlable par les lumires de la Raison. Le savoir, la raison sont lis au contrle, la domination du rel. Les pratiques qui ne peuvent tre justifies objectivement (par exemple les pratiques qui se justifient en rfrence des habitudes ou des opinions de lieux ou dՎpoques donnes) sont infrieures puisquelles faussent le savoir et limitent leffectivit du contrle. SՎlever sur la hirarchie des pratiques comme mesures par le syndrome contrle/savoir signifie aussi sapprocher de luniversalit et sՎloigner de pratiques bornes, particularistes, localises. (Bauman 1987 : 4). Il est difficile dans ce contexte de vritablement souvrir laltrit et ses enseignements.
Pour
penser laltrit et entrer en dialogue avec elle dans nos approches et
thories du Droit il faut donc sՎmanciper du paradigme moderne que nous
pouvons caractriser comme dialectique au sens de Panikkar
(1984a) et il sagira de complter ses approches par des dmarches plus
dialogales. Pour Raimon Panikkar le paradigme dialectique postule la toute
puissance du logos, de la Raison : il existe
une ralit objective et celle-ci peut-tre entirement connue travers les
lumires de la Raison. Dans ce cadre, le dialogue vise surtout liminer les
incohrences de nos positions respectives pour ainsi nous approcher
progressivement de la Ralit. Deux ttes pensent mieux quune, et si tu as
raison jai ncessairement tort. Une vue synthtique de la ralit est postule
comme possible et la diversit des manifestations de la vie est vue avant tout
comme problme rationnel rsoudre. Cette mthode est fort utile lorsquon
raisonne partir de postulats partags mais elle peut devenir totalitaire et contre-productive
(voir lenglobement du contraire) ds lors quon lemploie dans des contextes
o ceci nest pas le cas, comme dans le domaine interculturel. Cest pour
contrer cet absolutisme de la Raison et pour proposer une dmarche permettant
de comprendre des points de vue autres en rintroduisant le domaine du mythos[9], que Raimon Panikkar propose ce quil appelle le dialogue
dialogal [10]. Il ne voit
pas ce dernier comme alternative au dialogue dialectique mais plutt comme un
complment et un garde fou indispensable. Le dialogue dialogal, plutt que
dialogue sur un objet, est dialogue entre sujets. Cest un dialogue de
toi moi o ce qui importe sont moins les opinions que ceux qui ont ces
opinions. Cest un processus de dvoilement mutuel o les interlocuteurs
prennent petit petit conscience de leurs prsupposs respectifs, leurs mythoi, et apprennent se dcouvrir tout en dcouvrant lautre (Panikkar
1984a : 209 ; 1979 : 242-244).
Dialogue
dialectique et dialogue dialogal dnotent deux genres de dmarches diffrentes.
Une fois que lon a choisi la mthode dialogale pour aborder la question du
Droit de manire interculturelle, il en rsulte la ncessit dune dmarche
diatopique et dialogale que nous allons maintenant prsenter et dont deux utilisations
seront possibles comme nous le verrons. On pourra soit se situer plutt dans le
domaine du logos comme le fait tienne Le Roy et
satteler lՎlaboration dune thorisation interculturelle du Droit, soit se
situer plutt dans le domaine du mythos comme
Robert Vachon en essayant douvrir de nouveaux horizons existentiels pour la
rencontre interculturelle. Pour nous ces deux dmarches, comme de faon plus
gnrale, le mythos et le logos sont complmentaires, voire indissociables. On ne saurait reconnatre
un pluralisme au niveau de nos thories si on nen na pas lintuition au
niveau du mythos. De mme une conscience du
pluralisme ne faisant pas leffort dune comprhension au niveau
du logos, ne nous semble pas vraiment tre
pluraliste, car nos problmes existentiels se refltent forcment dans notre
pense qui est lun des outils dont nous disposons pour les aborder.
La dmarche diatopique et dialogale a t explicite par Raimon Panikkar dans ses travaux sur le dialogue interculturel et interreligieux entre les traditions chrtienne, hindoue, bouddhiste et sculaire [11]. Le problme fondamental consistait trouver une mthode permettant le dialogue entre fois diffrentes et qui peuvent apparatre comme mutuellement exclusives sans tomber dans les travers soit dune superficialit permettant le consensus mais napportant finalement aucun enrichissement et aucune comprhension meilleure, soit dun affrontement ouvert dans lequel on risque de tomber dans des dbats plus substantiels (voir Panikkar 1978 ; 1979 ; 1984b)[12].
Cette dmarche fait cho certains dveloppements rcents en thorie du droit compar et semble pouvoir enrichir ces dbats. Lanthropologie du Droit dont la vise est dՎtudier le phnomne juridique dans sa totalit et dans son universalit partir de lՎtude de la diversit des expriences humaines est forcment confronte au problme du comparatisme auquel le diatopisme et le dialogisme tentent dapporter quelques solutions. Comment comparer et quoi comparer ? Et dans quel but ? Pour quune comparaison puisse faire sens, il faut quon ait sa disposition des lments de comparaison, cest--dire qui soient comparables. Ceci est plus ou moins le cas dans la comparaison de droits qui partagent une mme matrice culturelle - en effet, dans le cadre de la comparaison de droits europens, les notions de droit , de systmes juridiques , de diverses branches du droit existent. Et dj l des problmes surgissent qui nous font prendre conscience que le droit ne saurait tre rduit aux textes, et quil ny a pas vraiment dՎquivalents immdiats dun systme lautre. Cest extrmement flagrant ds lors que lon essaye de comparer un systme civiliste continental-europen, au systme de Common Law britannique, mais les difficults apparaissent dj entre droits civilistes Ainsi, mme dans la thorie du droit compar occidental, sont apparues de nombreuses rflexions sur lՎpistmologie de la mthode comparative qui est intimement lie une thorie explicite du droit, car avant de comparer encore faut-il savoir ce que lon compare, et proposant par exemple de ne pas se limiter la comparaison de normes ou de systmes mais dessayer de rinscrire ces derniers dans leurs traditions respectives (voir par exemple Bell 1994 ; Legrand 1996, 2000 ; Krygier 1986 ; Puchalska-Tych & Salter 1996 ; Sacco 2000).
Les
conclusions de Pierre Legrand dans son article Sur lanalyse
diffrentielle des juriscultures (2000) portant sur la comparaison de
deux traditions juridiques diffrentes, les droits romanistes et les droits de Common
law, nous
semblent utiles pour mettre en perspective notre dmarche : dune part
pour souligner les difficults que nous rencontrons en tant quanthropologues
du Droit qui avons non seulement des traditions juridiques (partageant une
matrice culturelle commune) mais des cultures juridiques homomorphes (qui ne
partagent plus la mme matrice culturelle) comparer ; dautre part pour
clairer les apports de la mthode comparative de lanthropologie du Droit
(diatopique et dialogale) pour des problmatiques de thorie du droit plus
occidentales. Pour Pierre Legrand (2000 : 334) : Une tude
comparative ne devrait pas avoir pour but de trouver des analogies et des
parallles comme le font ceux qui sont absorbs par lentreprise aujourdhui
la mode de construction de schmes gnraux de dveloppement. Lobjectif
devrait plutt prcisment loppos : identifier et dfinir
lindividualit de chaque dveloppement (...) Ce nest, en effet, quՈ travers
une analyse des structures cognitives fondant une tradition juridique et
permettant de donner une signification aux formes de la connaissance juridique qui
sy sont prcises et qui continuent rgir le processus de fabrication et de
lecture du droit quil est possible au comparatiste dapprhender une
gouvernementalit et son effet de lgitimit. Se mettre en mesure de comprendre
le droit qui lui est tranger dans son entrelacement avec le droit qui est le
sien implique donc pour le comparatiste, en tout premier lieu, une recherche
dordre pistmologique (...) [13].
Cette recherche pistmologique est dautant plus cruciale et plus dlicate pour lanthropologue du Droit que le concept mme de droit nexiste pas dans nombre de socits quil tudie. Ce nest pas un universel - et ceci deux niveaux comme le dmontre Surya Prakash Sinha (1995a ; voir aussi 1989 et 1995b) : dune part il a toujours exist diverses civilisations qui nont pas toutes pens leur organisation sociale autour du droit (entendu loccidentale). Sinha (1995a : 32 ss) distingue dans son article les civilisations occidentale, chinoise, indienne, japonaise et africaine et explicite leurs principes dorganisation fondamentaux respectifs. Ce sont le droit pour lOccident, les rites, li, pour la Chine, le dharma pour lInde, les rgles pour une conduite approprie ou giri pour le Japon, les diverses coutumes pour lAfrique. Dautre part mme dans la culture lgale, occidentale, il existe une multitude de valeurs concurrentes qui invitent mme dans ce cadre plus troit raisonner en termes de polycentricit lgale (legal policentricity) ce qui constitue une ouverture vers le pluralisme (Sinha 1995a : 43 ss ).
La question qui se pose alors lanthropologue du Droit est de savoir comment comparer ces expriences humaines premire vue incomparables, voire incompatibles, en vue den tirer des conclusions porte gnrale sur la reproduction de la vie en socit des tres humains, leur Droit . Nous nous plaons pour une telle approche, au moins au niveau de la thorie, dans le cadre de ce que nous pouvons appeler la suite de Norbert Rouland (1988 : 142) une approche phnomnologique modre , o le Droit plutt que comme concept est abord comme phnomne tout en reconnaissant que ce phnomne peut-tre observ sous des formes diffrentes dans nos diffrentes socits. Pour sengager dans une telle approche il faut () concevoir un cadre de rfrence original qui puisse comprendre toutes les ressemblances et toutes les diffrences sans prsupposer, directement ou indirectement, un effet de hirarchie , ce qui demande la construction de modles, comme reprsentations simplifies mais globales dun phnomne ou dun systme rpondant au moins deux qualits dgages par le canadien Robert Vachon et dj exploites de manire positive : tre diatopique et dialogale. (...) la dmarche du comparatiste doit relever de tous les sites (topoi, en grec) culturels et apporter des explications (logoi) qui soient partageables par chacune de ces cultures sans altration substantielle de ce qui fait sa spcificit. (Le Roy 1994 : 681). Au Laboratoire dAnthropologie Juridique de Paris (LAJP), cest Michel Alliot qui a pos les prmisses une telle dmarche en proposant sa thorie des archtypes juridiques (1983)[14]. Celle-ci na pas cess dՐtre enrichi depuis, surtout par une introduction croissante pour aborder les problmatiques de la juridicit des exigences de la prise en compte de ses caractre dynamique et complexe ct de lexigence plus structuraliste dune reconnaissance de laltrit (voir Le Roy 1999).
La dfinition dՃtienne Le Roy de la dmarche diatopique et dialogale et les travaux du LAJP privilgient implicitement le mouvement vers une thorie interculturelle du droit, cest--dire une prise en compte dans le cadre scientifique occidental des expriences juridiques autres tout en respectant ce qui fait leur originalit (voir aussi Le Roy 1990). Il est utile de complter cette approche par celle mise en uvre plus particulirement lInstitut Interculturel de Montral. Robert Vachon, son directeur scientifique, invite aller plus loin quune simple thorisation interculturelle du Droit , et ouvre les voies ce que nous appelons une approche interculturelle au Droit. Robert Vachon nous fait prendre conscience de la ncessit de nous manciper dun cadre uniquement dialectique (o la Raison, ou logos, est reine) pour aller travers lui (dia-logos) et reconnatre la dimension de nos prsupposs implicites ou mythos. Ceci implique que dans la rencontre interculturelle, ce ne sont pas uniquement nos rationalisations que nous avons remettre en question mais quil sagira aussi de sinscrire dans un nouvel horizon, dans un nouveau mythe, celui du pluralisme et de linterculturalisme de la ralit (Vachon 1997). On pourrait bien se trouver aux termes dune approche interculturelle au Droit, en dialogue avec lInde par exemple, en train de parler non plus de pluralisme juridique mais de pluralisme dharmique , voire de pluralisme dharmique / juridique ou juridique / dharmique , voire encore autre chose, voire de deux choses diffrentes pour les deux parties en prsence. Pour Robert Vachon (1990 : 168) Linterprtation diatopique est celle qui essaie de dcouvrir ces diverses cultures juridiques radicalement diffrentes, les rassemble dans un dialogue qui permette lՎmergence dun mythe dans lequel on peut entrer en communion et qui nous permet de nous entendre en nous mettant ensemble sous le mme horizon dintelligibilit, sans que cet horizon soit exclusivement le sien propre (dia-topos : qui transperce les topoi pour aller rejoindre le mythos dont elles sont lexpression). Linterprtation diatopique est celle qui essaye de comprendre la texture du contexte et qui essaye de surmonter la distance, non du prsent au pass, ou du pass au prsent, mais du prsent au prsent.
La dmarche diatopique nous mne ainsi reconnatre un second centre dintelligibilit ct du logos, le mythos. Et la dmarche dialogale, outre voyage travers des lieux et des logiques diffrentes en vue de leur mise en tension et articulation (thorie interculturelle du Droit), se rvle comme une dmarche nous menant au del du logos, et donc du paradigme dialectique caractrisant nos dmarches scientifiques occidentales (approche interculturelle au Droit). Il y a une multitude dexpriences humaines et notre monde abrite () non seulement plusieurs variantes, modalits et applications de ce que lOccident nomme le droit, mais plusieurs systmes, ou mieux cultures juridiques, dont les diffrences ne sont pas uniquement procdurales mais se situent au niveau substantiel, savoir au niveau profond de leurs postulats rciproques. Diffrences si radicales quon pourrait mme dire quil ny a rien mme danalogue entre elles. Ce sont des cultures juridiques homomorphes[15], cest--dire si substantiellement diffrentes au niveau de leurs natures mmes et de leurs postulats, quon ne saurait parler que dՎquivalences fonctionnelles entre elles. (Vachon 1990 : 164-165).
Que pouvons nous apprendre travers la dmarche expose ci-dessus par rapport notre approche du Droit ? Avant tout, comme nous le montrerons maintenant de penser la juridicit et notre vivre-ensemble de manire fondamentalement pluraliste - ce qui va au-del de simplement penser le pluralisme juridique de manire pluraliste.
3. Les dfis de linterculturalisme : une thorie pluraliste de la juridicit et une approche interculturelle du Droit
Les dveloppements suivants visant enrichir notre comprhension de la juridicit, nous mettrons en garde de ne pas essentialiser laltrit dans notre approche des diverses cultures. Nous entendons par l quil faut viter de figer les analyses dauteurs comme Robert Vachon et Michel Alliot et dy emprisonner lautre en ramenant nos diversits des essences diffrentes et exclusives[16]. Insister sur nos manires diffrentes dapprhender le Rel, de construire des univers de sens fondamentalement originaux et tous complets en eux-mmes est primordial pour souligner la diversit et la richesse de notre exprience humaine. Voir les diffrentes manires dentrer en contact avec le monde comme des essences qui caractriseraient et dtermineraient les tres humains des diverses cultures constitue par contre la porte ouverte tous les relativismes et mme racismes. Souvrir la prise en compte de lAutre en insistant sur nos diffrences et sur leur irrductibilit partielle, dautant plus que notre cadre intellectuel et scientifique continental-europen survalorise luniformit, est une tape primordiale mais non suffisante. Si nous sommes obligs de faire des arrts sur image sur lAutre pour pouvoir nous rendre compte de son originalit et pour nous ouvrir elle, il ne faudrait pas prendre ces clichs , et limportance que nous y attachons, pour la Ralit et y enfermer lAutre. La vie, lՎchange, le dialogue avec lAutre sont un processus. Les prsentations plus structuralistes, plus figes qui nous rvlent les archtypes juridiques de diverses socits, ne sont quun moment dune dmarche dynamique qui aprs sՐtre arrte sur les clichs sintressera au film et la complexit dynamique du rel (voir Le Roy 1999 : 23 ss et 381 ss). Si nous perdons ceci de vue, nous risquons de tomber dans les piges du relativisme, qui ne doit pas tre confondu avec le pluralisme tel que nous le dfendons, et qui peut mener au racisme (survalorisant notre culture) ou un racisme inverse (survalorisant la culture de lAutre). Pour ne pas tomber dans le pige de lessentialisme, il faut au niveau conceptuel (logos) complter limportance accorde laltrit par la prise en compte de la complexit dans laquelle celle-ci sincarne dans nos vraies vies et faire la distinction entre le pluralisme comme concept et le pluralisme comme symbole (au niveau du mythos), comme nous le verrons plus loin.
Que signifie alors adopter une attitude pluraliste [17] dans nos approches du Droit ? Tout dabord nous reconnaissons ct du logos un deuxime centre dintelligibilit, le mythos. Le premier ne pouvant jamais rendre compltement compte du second, nous prenons ainsi aussi conscience que nos praxis ne sont pas rductibles une theoria (Panikkar 1977 : 54). Ensuite, en reconnaissant que font partie de la Ralit les diffrentes expriences que nous pouvons en avoir en tant que sujets connaissants, nous sommes obligs de reconnatre que celle-ci doit avoir un caractre fondamentalement, ontologiquement pluraliste : la Ralit est une et diverse en mme temps et on ne saurait la limiter ni son caractre dunit (universalisme) ni celui de diversit (relativisme). Raimon Panikkar (1990 : 96-97) rsume en six points ce quil entend par pluralisme[18]. Le pluralisme ne dnie pas la fonction du logos et par exemple le principe de non-contradiction, mais ouvre la dimension du mythos, non comme objet mais comme horizon de la pense (1). Le pluralisme est avant tout un symbole, et est donc davantage du domaine du mythos que du logos. Cest lexpression dune attitude de confiance cosmique qui permet la coexistence polaire et tensionelle entre attitudes humaines, cosmologies et religions ultimement diffrentes et qui nՎlimine, ni nabsolutise le mal ou lerreur (2). Le pluralisme nous rend conscient de notre contingence et de la non-transparence totale de la ralit. Lattitude pluraliste tout en cherchant un maximum dintelligibilit du rel, accepte cependant les limites de cette entreprise et na pas besoin de lidal dune comprhensibilit totale du rel (3). Le pluralisme nautorise pas de systme universel, un systme pluraliste tant contradictoire dans ses termes mmes. A un certain niveau des systmes ultimes sont incommensurables - ce qui peut nous donner une intuition quant la nature de la Ralit : rien ne saurait lenglober (4). Le pluralisme ne considre pas lunit comme un idal indispensable, mme si cette dernire laisserait de la place des variations lintrieur de son cadre, mais accepte lirrductibilit de certaines positions tout en reconnaissant les aspects communs l o ils existent (5). Enfin, le pluralisme nest pas la simple reconnaissance de la pluralit qui peut rester sous-tendue par un dsir dunit (6). Une dfinition emprunte Robert Vachon (1997 : 7 ) permettra de circonscrire encore plus prcisment ce que nous entendons par pluralisme :
Cest lՎveil non pas au relativisme mais la relativit ou
relationnalit radicale de toute chose, lՎveil non pas lautonomie, ni
lhtronomie mais lontonomie. La ralit est un tout qui na pas de
parties mais des membres. Cest
lՎveil lautre non pas comme simple objet ou terme dintelligibilit, mais
comme source dautocomprhension, comme un tu, irrductible quelque
dfinition, concept que ce soit. On pourrait dire que cest lՎveil lautre,
non comme un vide remplir, mais comme une plnitude dcouvrir. Le
pluralisme est certes bas sur la perception de la pluralit, mais il inclut
aussi une conviction que quelque soit le degr de ralit que nos ides
puissent avoir, elles ne sont pas toute la ralit. () Le pluralisme apparat
lorsque la pluralit devient un problme non seulement intellectuel mais
existentiel, quand la contradiction devient aigu et la coexistence impossible,
quand on dcouvre lirrductibilit ultime de nos diffrences, lunicit totale
de chaque tre.
Le pluralisme de la ralit et de la vrit nous rvle donc que les
diffrences entre nous ainsi quentre les lments de la nature ne sont pas de
simples diffrences conceptuelles, catgorielles ou logiques, mais beaucoup
plus profondes et radicales que cela, et finalement irrductibles la
conscience la plus haute que quelquun puisse en avoir (...)
Il rsulte trois implications des dveloppements ci-dessus. Tout dabord, toute notre dmarche dialogale et de thoricien du droit ne fait sens que si elle est replace dans son horizon plus large, le mythe (mergent ?) du pluralisme et de linterculturalisme de la ralit (Vachon 1997) - et quelle tente dailleurs de vivifier.
Puis, en ce qui concerne une thorie de la juridicit , de ce qui met en forme et met des formes la reproduction des socits dans les domaines quelles considrent comme vitaux nous devons procder dans une logique additive et non soustractive comme le fait remarquer tienne Le Roy en prsentant sa thorie du multijuridisme (1998 : 37 ), en reconnaissant que les divers facteurs constitutifs de la juridicit, sont ontologiquement diffrents - ce ne sont pas uniquement des catgories conceptuelles mais existentielles diffrentes . Ainsi le Droit, tripode , apparat comme constitu de trois fondements : les normes gnrales et impersonnelles, les modles de conduite et de comportement et les habitus (Le Roy1999 : 189 ss). Ce nest pas un phnomne homogne, constitu uniquement de normes[19], mais une ralit pluraliste qui nous fait pntrer dans la complexit. Les trois pieds du Droit sont prsents dans toutes les cultures et sarticulent de manires diverses dans diffrentes situations en combinant chaque fois de manire originale et dynamique des ordonnancements plus imposs, ngocis ou accepts du social[20].
Enfin, aprs avoir repens la juridicit de manire pluraliste linstar de la dmarche multijuridique propose par tienne Le Roy, nous devons aussi rexaminer les approches anthropologiques en termes de pluralisme juridique . Les analyses en termes de pluralisme juridique, nous semble-t-il, restent, un certain degr, pigs par le monisme - au moins en ce qui concerne les fondements de la juridicit. On part du juridique , assimil plus ou moins explicitement des systmes de normes ou des ordres normatifs, puis on sinterroge sur la coexistence de diffrents de ces ordres, en dfinissant de plus les droits inofficiels, alternatifs etc.[21] par rapport au modle du droit officiel tatique, loccidentale . Avec ces approches, on tombe dans des problmes insolubles dune dfinition du Droit, puisque les limites entre le juridique et le social ne semblent pas se laisser tracer aisment - et quon oublie que toute la distinction entre le social et le juridique qui devrait organiser ce dernier dcoule justement dune vision de juriste ( loccidentale) de notre ralit. En tant quanthropologue du Droit, dfinir, comme le font par exemple Andr-Jean Arnaud et Maria Jos Farinas Dulce (1998 : 264) dun point de vue de sociologie du droit, une pratique alternative du droit comme pratique ayant pour vocation devenir du droit, rvle le pige dun mythe sous-jacent et de lenglobement du contraire : tout dabord, au lieu de considrer la situation totale et de sintresser aux phnomnes de juridicit qui sy nouent et sy jouent et dont le droit officiel , les divers droits alternatifs et mme du non-droit [22] ne sont que les facteurs, on part dune certaine conception du Droit faisant apparatre ce qui ny est pas subsumable comme alternatif . Puis pour montrer tout de mme la juridicit de cet alternatif, on le prsente comme ayant vocation devenir du vrai juridique [23]. On a bien englob les deux ralits dans une mme catgorie, celle de droit , mais cest bien le ple du droit officiel, loccidentale qui constitue implicitement le modle de la catgorie.
Il apparat nanmoins comme heuristique de mettre en rapport les approches en termes de multijuridisme (donc dapproches pluralistes de la juridicit) avec des approches radicales du pluralisme juridique entendu dans un sens plus classique comme coexistence dans un certain espace[24] de diffrents ordres normatifs, telles que celles illustres en thorie / anthropologie du droit par des auteurs comme Jacques Vanderlinden (1996 : 87, 89 ; voir aussi 1989) pour lequel (...) il nest plus possible de dcrire lՎtat des systmes juridiques africains en termes de pluralisme tel quon le fait depuis vingt-cinq ans. Dune part (...) peut on encore dire (...) que le pluralisme existe au sein dune socit dtermine ? (...) Lindividu possde en fait une identit multiple lenglobant dans plusieurs socits et donc dans plusieurs droits - il devient, comme jaime lՎcrire, sujet de droits - sans que ce soit ncessairement (au contraire serais-je tent de dire) la socit tatique ou nationale et donc son droit qui prvale sur les autres.
Lintrt de ces analyses est de complter laccent mis sur les mises en forme de la juridicit dans les analyses du multijuridisme par des analyses plus axs sur le pluralisme des contenus normatifs diffrents et des phnomnes de forum shopping qui en rsultent. Nous renvoyons ici le lecteur une de nos publications rcentes sur ce sujet (Eberhard 2003) et conclurons avec lexigence de Robert Vachon (1990 : 163-164), qui nous rappelle qualors que nous sommes critiques envers le colonialisme ou no-colonialisme politique et Ԏconomique qui subordonne lethnologie et lanthropologie juridique aux besoins de ladministration coloniale ou no-coloniale nous ne sommes pas vraiment conscients de cette pratique de colonialisme culturel, trs rpandu lheure actuelle dans les tudes du pluralisme juridique, qui nՎtudie souvent les droits traditionnels que pour les mieux intgrer dans la culture juridique occidentale et moderne qui est considre comme la voie inluctable pour toute lhumanit. Nous refusons de radicalement mettre en question les prsupposs de notre culture juridique civiliste, tatiste, homocentriste, occidentale et moderne. Or aussi longtemps que cette motivation intgrationiste sera prsente, non seulement ce sera un monoculturalisme et totalitarisme juridique qui se cachera sous des dehors de pluralisme juridique, mais on sera profondment infidles une approche scientifique au sens plnier et polysmique du mot.
A travers notre ouverture laltrit, nous sommes invits approfondir notre connaissance de nous-mmes. Cest dans le dialogue dialogal que se dvoilent nos mythoi respectifs, pluralisant ainsi nos thories si nous acceptons de les btir selon la dmarche additive prsente plus haut, et nous faisant prendre conscience du caractre fondamentalement pluraliste de la Ralit qui ne saurait tre comprise quՈ travers les lumires de la Raison, mais exige la prise en compte de nos expriences existentielles diverses.
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[1] Voir dj les premiers jalons dans Alliot
(1983) et louvrage collectif rcent Le Droit en perspective interculturelle qui se situe explicitement dans le dialogue
entre thorie et anthropologie du Droit (Eberhard 2002b).
[2] Sur cette distinction voir Eberhard 2001a et
2002a : 129-182.
[3] Ce texte bien que publi quen 1990 avait
t crit au dbut des annes 1980.
[4] Voir par exemple Aug 1994, spcialement 69 ss ; Affergan 1987 ;
Berthoud 1992 ; Geertz 1996 ; Kilani 1994 ; Madan 1978 &
1990.
[5] Voir la clbre mtaphore de Boaventura de
Sousa Santos du droit comme carte de lecture dforme de la ralit (1988).
[6] Pour une remise en perspective des pratiques
alternatives du Droit voir par exemple Eberhard 2002c.
[7] Voir aussi les trs stimulantes analyses de
Jacques Vanderlinden (1989, 1993).
[8] Ces analyses peuvent utilement tre
rapproches de celles sur le positivisme moderne dveloppes par Boaventura de
Sousa Santos (1995 : 72 ss).
[9] Le mythe cest lhorizon invisible sur
lequel nous projetons nos conceptions du rel (Panikkar 1979 : 30).
Cest ce en quoi lon croit, sans croire quon y croit. (Vachon
1995a : 38 ; voir aussi Panikkar 1982 : 14).
[10] Voir dans ce contexte les rflexions dAlain Touraine (1992: 51) sur la pense moderniste et
rationaliste et les mises en garde dEdgar Morin (1995 : 144) quant la
La Raison majusculise, devenue abstraite et rationalisatrice, (qui) instaure
en elle une guillotine idologique et une potentialit totalitaire.
[11] Pour une discussion de loeuvre de Raimon
Panikkar voir Prabhu 1996.
[12] Si une telle dmarche dialogale est
primordiale pour aborder le Droit de manire interculturelle, elle semble aussi
indispensable pour toute vritable interdisciplinarit (voir Eberhard
2002a : 114-115).
[13] Et Rodolfo Sacco (2000 : 347) dans sa
contribution au mme ouvrage collectif conclut son bilan historique de la
recherche juridique comparative par une perspective pour le nouveau sicle en
soulignant limportance de lapport anthropologique pour renouveler les
sciences du droit.
[14] Pour une mise en perspective et un
enrichissement de cette approche des archtypes juridiques voir Eberhard
2002a : 130-171.
[15] Sur lՎquivalent homomorphe voir aussi
Panikkar 1984b : 5.
[16] Je ne crois pas que ces auteurs tombent
eux-mmes dans ce travers, mais ils peuvent tre lus de manire culturaliste,
do la mise en garde.
[17] Panikkar (1977 : 57) note que dans un
certain sens, le problme du pluralisme est le problme de lautre.
[18] Ci-dessous, nous inversons lordre de
prsentation original de Raimon Panikkar, pour nous inscrire dans une dynamique
douverture croissante.
[19] Nous doutons, mme dans un sens
anthropologique, quil soit tout fait adquat de parler en termes
de macronormes , de msonormes et de
micronormes pour renvoyer ces trois pieds comme le fait tienne
Le Roy dans sa prsentation du Droit tripode (1999 : 201-202).
[20] Voir Le Roy 1999 et dans le domaine des
droits de lhomme Eberhard 2001b
et 2002d.
[21] Sur la dlicate dfinition du
juridique par les anthropologues et certains de ses piges voir
Assier-Andrieu 1987.
[22] Tel que des contes dans des contextes
traditionnels africains par exemple et qui ne deviennent
juridiques quau moment et dans la mesure o ils contribuent la
rsolution dun conflit ou la reproduction de la socit (voir Le Roy
1984 : 221-223).
[23] Mme si nous acceptions ces prmisses sociologiques, rien nest moins sr que les pratiques alternatives du droit visent toujours devenir du droit officiel . On rencontre souvent des rsistances importantes de la part de ces derniers rentrer dans le systme officiel .
[24] Qui peut pour nous aussi tre constitu par
lindividu comme dans le cas du nouveau pluralisme juridique de Vanderlinden.