Christoph
Eberhard·
20/02/2002
E-mail : c.eberhard@free.fr
Le cercle comme ouverture pour la Paix -
Détour par des visions amérindienne et tibétaine du Droit
(pour le séminaire « Éclairages interculturels et anthropologiques
de la pyramide et du réseau »,
Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles, 21 février 2002 / version revue parue dans RIEJ 49)
« L’exercice de s’ouvrir à une culture politique radicalement différente
est difficile et dérangeant ; il exige que l’on devienne profondément vulnérable.
Mais il peut aussi, par le fait même, être une expérience
très libératrice et révélatrice
de notre propre culture politique occidentale. » (Robert Vachon 1992 : 11)
Dans notre monde contemporain, on peut discerner deux défis majeurs
qui nous semblent être profondément liés à l'émergence
de deux nouveaux symboles qui nous introduisent dans un nouveau mythe , ou
un nouvel horizon, pour penser notre « vivre-ensemble ». Il s'agit
de l'interculturalité et de la Paix. Tout d'abord, ce sont deux défis
intimement liés. Notre monde se rétrécit de plus en
plus et nous prenons progressivement conscience de la coexistence de visions
du monde différentes et qui ne paraissent pas se laisser synthétiser.
Nous nous rendons compte aussi des heurts qui se produisent entre ces différentes
manières de vivre le monde. Nous avons été les témoins
dans cette dernière décennie de génocides. On nous met
en garde contre un « choc des civilisations » (Huntington 1997).
Du moins certains auteurs croient-ils déceler plutôt que l'émergence
d'un village planétaire celui d'un archipel planétaire où
toutes les cultures seraient loin de vibrer à l'unisson (Rouland 1993
: 214). Nos systèmes juridiques nationaux sont confrontés de
plus en plus à l'interculturalité à travers les migrations
provenant de cultures différentes et qui prennent un caractère
définitif et aussi à travers des intégrations régionales
telle que la construction européenne. Il faut apprendre à vivre
cette diversité émergente, ce pluralisme qui imprègne
de plus en plus nos vies. Et il faut apprendre à le faire dans une
optique de Paix fondé sur le respect, le partage et le dialogue pour
éviter que l'on ne tombe sous prétexte de respect de la différence
culturelle dans le ghetto des particularismes, où sous prétexte
d'un universalisme négateur de différences dans l'exclusion,
voire l'élimination, de l'autre « génant », car
ne voulant pas s'assimiler à soi-même. En même temps que
défis, l'interculturalité et la paix apparaissent aussi comme
des symboles qui peuvent aujourd'hui être partagés et donner
un sens, une orientation à notre vivre ensemble et qui pourraient
constituer le fondement pour l’émergence du « respect »
comme valeur fondamentale de nos interactions dans un monde qui devient de
plus en plus complexe et instable (voir Badie 1995).
La question se pose alors de savoir ce qu'impliquent ces défis par
rapport à notre pensée du Droit et ce que recèlent ces
symboles pour de nouvelles approches. À prime abord, il semblerait
que les bougés de notre organisation juridique classique, pyramidale,
fondée sur une logique d'exclusion des contraires et des causalités
linéaires, et organisant notre vivre ensemble à partir d'un
point de fuite unique à partir duquel se projette l'ordre social sur
un espace social homogène, et l'émergence d'approches en termes
de réseau aillent dans le sens des défis que nous avons explicités
: le paradigme du réseau ne permet-il pas de prendre en compte les
multiples acteurs du droit et leurs interactions, ne permet-il pas de mieux
rendre compte de la complexité du réel et du paradigme de l'altérité
qui le sous-tend ? Oui, il le permet. Ne semble-t-il pas plus dialogal que
la représentation pyramidale d'une chaîne de commandement ?
Certainement. Mais il nous faut relever des réserves. Tout d'abord
nous devons noter le danger que comporte ce paradigme séduisant de
masquer notre vue sur des phénomènes extrêmement importants
pour une réflexion du Droit centrée autour des problématiques
interculturelles : l'émergence d'approches alternatives interculturelles
aux modèles juridiques contemporains risque de se trouver occulté
et bloqué par le paradigme du réseau qui peut donner l'impression
de répondre déjà à ces interrogations de par
son caractère systémique englobant. Puis il faudra s'interroger
sur la question de l'émergence d'« états de Droit »,
compris au sens interculturel comme situations de Droit , et aux paradigmes
qui peuvent permettre de les penser, une fois que l'on est convaincu que
le changement de perspective de la pyramide au réseau, interne au
système juridique compris dans son sens positiviste n'est pas suffisant.
Premièrement, le paradigme de réseau tel que proposé
par François Ost et par Michel van de Kerchove (2002) part explicitement
du système juridique compris dans son sens strict, et continue ainsi
à rester à nos yeux profondément enraciné dans
une vision d'une part occidentale du Droit et d'autre part systémique
de la réalité, même s’il nous semble qu’à travers
l’approche dialectique mise en œuvre, la perspective sur le droit de ces
auteurs est beaucoup plus ouverte que celle d’une grande majorité
des théoriciens du droit . Cet enracinement nous pose problème
par rapport à une réflexion interculturelle de notre vivre-ensemble
dans un horizon de Paix. En effet, si tout Droit est sous-tendu par une vision
du monde dans le sens que la dernière influe sur la façon dont
les différentes sociétés pensent et organisent leur
reproduction et la résolution de leurs conflits, toute conception
du Droit véhicule aussi cette vision du monde. Droits et visions du
monde sont dans une relation dialectique, l'un ne précédant
pas l'autre, mais les deux se soutenant mutuellement et s'influençant
mutuellement (voir Eberhard 2000 : 153 ss). Le problème qui apparaît
dès lors qu'on essaie de réfléchir aux problématiques
de l'interculturalité à partir du paradigme du réseau
est que tout en nous donnant l'impression d'une vision englobante de la réalité
juridique dans toute sa complexité, nous ne sortons en fait pas du
« juridique » tel que compris dans les sociétés
modernes occidentales. Nous ne nous ouvrons ni aux réalités
juridiques non-occidentales incontournables dans toute réflexion sur
le Droit dans des contextes non-occidentaux où le transfert des modèles
institutionnels européens a démontré sa faillite, ni
aux droits vivants, aux droits de la pratique, existant dans nos propres
sociétés. Et ainsi nous ne nous donnons pas vraiment les moyens
de penser l'émergence d'alternatives au Droit contemporain qui serait
plus apte à prendre en compte les défis de l'altérité,
de l'interculturalité, mais aussi d'un certain pragmatisme, ou d'une
praxis juridique accrue de tous les citoyens (voir Eberhard 2002). Ce premier
constat de difficulté se double d'un deuxième : celui du caractère
« envahissant » du modèle du « réseau »
qui peut susciter l'impression d'une nouvelle manière de mieux comprendre
la complexité de notre réel social et de sa reproduction. En
effet, le paradigme juridique du réseau n'est qu'une facette de la
montée d'une « pensée en réseaux » qui s'opposerait
à des pensées antérieures plus linéaires, moins
complexes. Elle peut donner l'impression d'être plus holiste que les
approches plus classiques. Cependant, à nos yeux elle reste profondément
enracinée dans une vision systémique de la réalité
- elle permet uniquement de mieux éclairer nos problématiques
à partir d'une perspective en continuité avec notre modernité
et de rendre compte des nouvelles problématiques qui émergent
à l'intérieur de notre vision du monde. Mais elle ne permet
pas de nous ouvrir, ce qui semble de plus en plus incontournable, aux expériences
non-modernes faisant partie de notre monde . Selon les analyses de Georges
Balandier (2001 : 51-52) que nous partageons, nous pouvons même affirmer
que l'émergence du « grand système » mondial et
de ses réseaux transforme profondément notre perception de
l'altérité. Cette dernière se définit de plus
en plus « abstraitement ». Lorsque nous parlons d'altérité
nous ne parlons plus de l'expérience d'altérité entre
personnes et cultures enracinées dans des topois différents
et du dialogue qui peut en découler mais nous raisonnons implicitement
en termes d'altérité, plus ou moins grande, de toutes les cultures
par rapport au « grand système », celui de la globalisation
profondément marquée par une pensée moderne et libérale.
De fait, se trouve ainsi évacuée toute interrogation et toute
réflexion sur une véritable interculturalité puisqu'on
mesure des distances respectives par rapport à un modèle type,
un point de fuite (et d'une certaine manière sommes nous là
dans une représentation pyramidale), et qu'on néglige d'aborder
les divers topoi culturels existants et leurs représentations du monde
et du vivre-ensemble (diatopisme) et la question de leur mise en dialogue
(dialogisme). Dans la même veine, dans la cadre de ce paradigme, voire
mythe, du « grand système » on voit les réseaux
avant tout comme des réseaux entre « individus » dans
un espace finalement assez homogène. La pensée en réseaux
serait l'aboutissement d'un pensée libérale fondée sur
l'autonomie de l'individu et son émancipation de sa communauté
d'appartenance d'origine à travers son tissage de réseaux divers
avec divers mondes. Or, comme nous le verrons, il y a une manière
plus « traditionnelle » de voir le « réseau »
: c'est justement celle découlant du point de vue que tout être
humain est un nœud de relations dans l'étoffe du réel, qu'il
est le nœud de fonctions diverses qu'il doit remplir et qui l'insère
dans divers réseaux sociaux, mais aussi naturels, voire cosmiques
.
Passons maintenant, après cette première réserve, à
une seconde qui elle a plus trait à une réflexion sur des paradigmes
possibles pour repenser nos états de Droit à l'aune des défis
de l'interculturalisme (et donc du pluralisme) et de la Paix. Le paradigme
du réseau tel que développé par François Ost
et Michel van de Kerchove, même s'il n'est pas purement descriptif
mais contient aussi des intuitions axiologiques, ne parvient pas à
lui seul à répondre aux questionnements qu'il suscite par rapport
aux réflexions sur l'émergence de nouveaux états de
Droit intégrant profondément l'exigence de respect de l'altérité
et du dialogue : si on avait des théories sur l'autorité, la
légitimité, la responsabilité dans le domaine pyramidal,
que deviennent ces réalités dans un paradigme résauique
qui semble avoir tendance à diluer ces notions par son emphase sur
la complexité, les enchevêtrements multiples, les effets de
rétroaction ? Ce que l'on semble gagner dans l'adéquation de
la description, on semble le perdre dans la clarté de ce qui est censé
assurer une certaine sécurité juridique ou un « état
de Droit » qui permettrait la sécurisation de tous les acteurs
sociaux dans leurs rapports mutuels. Il nous semble qu'il peut être
heuristique, à travers une perspective d'anthropologue du Droit pour
qui le système juridique va au-delà de celui constitué
par le droit positif, et pour qui « l'état de Droit »
ne se résume pas à l'institution juridique de l'Etat de Droit,
d'essayer de déceler ce qui pourrait se cacher derrière le
changement paradigmatique de la pyramide et du réseau, et ceci en
proposant un détour par d'autres cultures juridiques de notre monde.
Ceci permettrait d'éclairer la notion de réseau comme paradigme
théorique pour la compréhension des systèmes juridiques
compris dans leur sens sociologique . Ce qui permettrait d'apporter des éclairages
par rapport à la question de réalisation d'états de
Droit dans nos contextes contemporains devant intégrer les exigences
de l'interculturalité et de la Paix. Notons d'ailleurs que si nous
parlons pour l'instant ici de « système juridique » dans
son sens élargi sociologique en suivant André-Jean Arnaud (Arnaud
et Dulce 1998), ce n'est pas que nous partageons l'analyse systémique.
C'est juste pour montrer comment on peut ouvrir le réseau comme paradigme
explicatif des systèmes juridiques à des points de vus plus
sociologique et anthropologique en ouvrant la notion de système juridique
à une acceptation plus large. Et il nous semble que des études
liant l'analyse en termes de réseaux à ceux du systèmes
juridiques compris au sens sociologique pourrait se révéler
fort fructueuses pour une théorie sociologique du droit. Cependant,
par rapport à notre démarche qui tourne essentiellement autour
de la problématique de l'interculturalité et de son approche
pacifique, même un tel élargissement du système juridique
nous paraît en dernier analyse piégeant et nous préférerons
la métaphore de « grand jeu social de la juridicité »
pour reprendre les pistes lancées par Étienne Le Roy pour repenser
le Droit à partir de nos vies société au lieu de le
penser en partant du droit, voire de penser nos sociétés à
partir du droit (1999 : 177 ss) .
Voilà exposé deux défis qui appellent à un décentrement
de nos perspectives pour pouvoir dégager de nouvelles pistes de réflexion
et positivement contribuer à une réflexion interculturelle
sur le Droit dans une optique de Paix. Pour effectuer ce décentrement
il nous paraît heuristique de faire un détour par des sociétés
dont la vie juridique est basée sur des représentations du
cercle. En effet, si pour nous le paradigme du réseau a émergé
du paradigme pyramidal qui se révélait de plus en plus incapable
de rendre compte adéquatement de phénomènes de bouclages,
de circularité etc., d'autres sociétés, connaissent
aussi les réseaux mais entendus de manière différente
de la nôtre, sont fondées sur des visions explicitement circulaires
et pour certaines ont même le cercle comme symbole central. Comment
apparaît notre paradigme du réseau à travers le regard
de sociétés dont toute l'organisation est explicitement fondée
sur le symbolisme du cercle, et donc sur la circularité plutôt
que sur la linéarité, sur l'inclusion plutôt que sur
l'exclusion des contraires, sur l'harmonie des différences plutôt
que sur leur opposition ?
Nous nous proposerons dans les pages suivantes d'accompagner le lecteur dans
un double décentrement. Tout d'abord nous nous intéresserons
aux cultures juridiques des nations autochtones amériendiennes qu'on
peut voir comme exemples types de sociétés fondées sur
le cercle. Ceci nous permettra outre de nous familiariser avec leur culture
juridique et une vision du cercle, de prendre conscience des défis
qui se posent dans toute la problématique de nos relations avec les
peuples autochtones de notre planète. Si les intégrations régionales,
telle la construction européenne, on fait irrémédiablement
basculer nos systèmes juridiques de la pyramide au réseau par
l'enchevêtrement de systèmes juridiques multiples et pas clairement
hiérarchisés, la reconnaissance des droits des peuples autochtones
nous mène encore plus loin, puisque c'est avec des cultures juridiques
entièrement différentes qu'il faut entrer en dialogue. On se
trouve là en présence de la rencontre entre « pyramides
» (droit moderne des États Nation, du droit international) et
cercles (les cultures juridiques autochtones). Si on assiste dans la rencontre
à une résauification nécessaire des pyramides en présence,
on peut se demander si on ne pourrait pas essayer d'aller encore plus loin
et de voir ce que nous pourrons apprendre des représentations en termes
de cercle. Notre culture juridique moderne n'est pas l'horizon ultime de
notre vivre ensemble et par rapport à nos problématiques contemporaines
il peut être fructueux de s'ouvrir au dialogue avec des conceptions
radicalement différentes. D'un point de vue occidental, il s'agit
comme le préconise Étienne Le Roy (1999) de s'engager dans
une démarche transmoderne approchant nos Droits contemporains en articulant
le prémoderne, le moderne et le « postmoderne » en émergence.
D'un point de vue interculturel, il s'agit de reconnaître avec Raimon
Panikkar (1984 : 3) que de nos jours nulle culture ne détient à
elle seule les solutions pour organiser notre vivre ensemble et que nous
devons donc forcément nous engager dans un dialogue interculturel
pour dégager de nouveaux horizons et pour nous permettre d'inventer
de nouvelles formes du vivre -ensemble. Pour cette invention, nous ferons
ensuite un second détour par le Tibet et son système juridique
traditionnel afin de compléter notre première approche. En
effet, le système traditionnel tibétain, à la différence
des cultures juridiques amériendiennes, connaît aussi un droit
écrit et une distinction entre droit religieux et laïque, ainsi
qu’un gouvernement et une bureaucratie centralisée. Il allie cercle
et pyramide puisque tout en étant fondé sur le symbolisme circulaire
du mandala, il comporte aussi des éléments hiérarchiques.
Il nous permettra ainsi de nous ouvrir à des conceptions de hiérarchies
très enchevétrées et « bouclées »
et permettra de dégager quelques éléments sur les notions
de légitimité, d'autorité dans des contextes où
il existe une distinction entre laïque et religieux et où coexistent
des représentations circulaires et hiérarchiques dans la vision
du monde et du Droit. Nous bouclerons ensuite notre boucle en tentant de
dégager de nos pérégrinations des pistes pour repenser
nos Droits à la hauteur des défis de l'interculturalisme et
de la Paix et en harmonie avec ces deux symboles.
1. À la découverte du Cercle avec les Haudenosaunee ou Iroquois
Nous commencerons par donner une première vision du cercle de la Grande
Paix avant de nous lancer dans une comparaison plus poussée entre
cultures juridico-politiques Haudenosaunee et moderne ce qui nous permettra
aussi d’éclairer la rencontre de ces deux cultures par rapport à
la question de la « reconnaissance des droits des peuples autochtones
».
1. Premières approches du cercle de la Grande Paix
Les Haudenosaunee , ou Iroquois comme les nomment les français, forment
le peuple de la Maison Longue qui habite l'Île de la Tortue ou ce que
nous appelons le Canada. Elle regroupe toutes les communautés qui
font partie de la Confédération des Six Nations et qui se réclament
d'une façon ou d'une autre de la Grande Loi de la Paix (Kayanerekowa
: la Grande Beauté) qui « consiste en ce que tous les êtres
soient d'un même esprit ou sentiment, c'est-à-dire bras liés
dans l'équilibre et l'harmonie du cercle de la vie. » (Vachon
1991 : 13). La Grande Paix, sans se résumer à ce rôle,
est la constitution des Haudesaunee. Elle est transmise de manière
orale et est récitée. Écoutons Kai-en-ta-ron-kwen (Ernie
Benedict) qui nous la fait partager (1982 : 39-40) :
« La constitution des Etats-Unis est une constitution écrite.
Celle des Iroquois est récitée. Le préambule de notre
constitution mentionne un personnage appelé shaman qui porte de nos
jours le nom de Pacificateur. Plusieurs Iroquois parlent de ce ‘Pacificateur’
comme de celui qui a donné la loi au peuple iroquois. Chose curieuse,
ce pacificateur n'est originaire d'aucune des cinq Nations Confédérées
. Il est Huron de naissance, et les Hurons, même à cette époque,
étaient traités avec mépris par les Iroquois. Et c'est
de cette tribu méprisée qu'est issu le Législateur qu'on
nomme Tekanawita. Les gens qui respectent la fédération l'ont
surnommé le Pacificateur. C'est ainsi que nous l'appelons et nous
n'employons pas son nom. Je l'appellerai donc le Pacificateur.
‘Je suis le Pacificateur. Avec les leaders de la Ligue des Cinq Nations,
je plante l'arbre de la Grande Paix. Je le plante sur votre territoire, le
tien Atotarho, et celui des Onondagas : sur votre territoire à vous
qui êtes gardiens du feu. Sur ce territoire nous plantons l'Arbre de
la Grande Paix. A l'ombre de cet Arbre de la Grande Paix, nous répandons
le duvet blanc du chardon en guise de siège pour toi, Atotarho, et
pour tes cousins leaders. Là vous siégerez pour veiller au
Feu de la Ligue des Cinq Nations. Toutes les affaires de la Ligue seront
traitées à cet endroit devant vous, Atotarho et vos cousins
leaders, par les leaders de la Ligue des Cinq Nations.
Des racines sont sortis de l'Arbre de la Grande Paix, l'une vers le Nord,
l'autre vers l'Est, une troisième vers le Sud et une quatrième
vers l'Ouest. Ce sont les Grandes Racines Blanches, et leur nature est la
Paix et la Force. Tout homme ou toute nation qui veut suivre les lois de
la paix devra suivre ces racines jusqu'à leur source et il sera invité
à trouver asile sous l'Arbre.
À côté du Conseil gardien du feu, nous plaçons
une aile de goéland, ainsi qu’une baguette et un bâton. Le gardien
du feu veillera à garder propre l’espace qui entoure le feu du conseil.
Il ne laissera aucune étincelle se poser sur quiconque est assis près
de ce feu. L’aile de goéland lui permettra de chasser toute étincelle
qui tomberait de ce côté. Le feu du Conseil ne sera pas alimenté
de bois de châtaignier parce qu’il fait trop d’étincelles.
Nous nous asseyons en cercle sur le sol pour que personne ne soit plus élevé
que les autres. Et nous entrelacerons nos bras si fort que même si
le Grand Arbre venait à tomber, il ne briserait pas le cercle. Puissiez-vous
garder intact le cercle des Cinq Nations. Si un homme ou une nation cherchait
à obéir à la loi d'une autre nation, il lui serait permis
de se glisser à travers les bras entrelacés et d'être
appelé : ‘Celui-qui-est-passé-outre’. Il devrait laisser à
l'intérieur du cercle toutes ses possessions et ses insignes de fonction
et il devrait fuir du cercle, nu. (…) Chacun des chefs du conseil doit avoir
une peau qui a sept doigts d'épaisseur, car il doit être à
l'épreuve des attaques qui lui viennent de sa propre communauté.
Mais il doit constamment crier aux gens ces paroles : ‘Prenez garde que la
Grande Paix ne soit menacée.’ Gardez dans votre cœur et votre discours
les buts de la Grande Paix’. Maintenant nous allons déraciner le plus
grand arbre et dans le trou ainsi obtenu, nous allons jeter toutes les armes
de guerre. Nous allons les ensevelir pour toujours et replanter l'arbre.
Ainsi sera établie la Grande Paix pour toujours. »
Il apparaît clairement que le vivre-ensemble des Six Nations n’est
pas fondé sur la mythologie d’un pouvoir supérieur auquel elles
devraient abandonner leurs pouvoirs et face auquel elles se trouveraient
toutes désarmées et donc égales. Plutôt que de
s’en remettre à un pouvoir supérieur, à l’instar
du Léviathan de Hobbes et de s’inscrire dans une matrice pyramidale
caractéristique de notre façon moderne de penser l’État
c’est vers le symbolisme du cercle qu’elles se tournent pour penser leur
cohabitation harmonieuse. Dans le cercle tous sont égaux. Nul ne peut
imposer sa volonté aux autres. La cohésion du Cercle vient
de l’imbrication des uns avec les autres (l’entrelacement des bras) et de
tous avec l’harmonie cosmique plus vaste. Le vivre-ensemble est basé
sur l’interdépendance de tous, qui suppose aussi le respect de la
différence de chacun et de son ontonomie. Le centre du Cercle est
constitué par la Grande Paix. C’est ce centre transcendant, véritable
lien entre la Paix cosmique à la Paix humaine qui constitue l’autorité
et donne un fondement solide à l’harmonie entre les humains, à
la « Grande Paix » humaine . On voit que par rapport à
l’approche étatiste, la Paix est perçue de manière fort
différente. Dans nos conceptions c’est le droit, l’ordre, qui sont
supposés assurer la Paix. Or chez les Mohawk , le système politique
est fondé sur Kayanerekowa, la Grande Loi de la Paix qui n’est pas
de facture humaine. C’est littéralement « ‘le Grand Beau’, ‘la
Grande Harmonie’, ou ‘l’ordre de la nature’, ‘les dispositions de la Grande
Harmonie’ communément appelés ‘dispositions du créateur’
(ra we ron ne sonkwaiatison : littéralement, ‘Il a pensé/ordonné
(le) celui qui a fait notre corps intègre ou qui a complété
notre corps tout entier.’ » (Vachon 1992 : 7). Si on peut dire que
dans nos approches modernes notre conception de la Paix est informée
par le mythe juridique de la loi qui assure l’ordre et donc la paix, dans
les conceptions amériendiennes c’est la Paix, la grande harmonie qui
constitue le mythe dans lequel s’inscrit leur Droit . Le problème
des amériendiens n’est pas de réaliser un ordre dans un monde
qui est perçu comme chaotique, mais plutôt de veiller au maintien
d’une harmonie cosmique préexistante. Le maintien de l’harmonie prime
ainsi les autres considérations, même celle de « régler
un conflit ». Oren Lyons (1994 : 69-70) l’illustre bien dans son témoignage
:
« Nous sommes les Haudenosaunees. Ce mot signifie ‘le Peuple-de-la-Longue-Maison’.
Il est composé de six nations. Nous sommes tous égaux, tous
souverains. Et nous formons une confédération. Nous recherchons
la paix, pas la guerre… Pour discuter de la guerre ou de la paix, ou d’autres
questions importantes, nous nous asseyons et prenons ensemble des décisions.
Nous n’obéissons pas à une autorité unique. Nous ne
votons pas. Nous n’arrétons une ligne de conduite que lorsque nous
sommes tous d’accord, et nous disposons d’une procédure pour parvenir
à cette unanimité. Notre Feu Central a trois côtés.
Nos frères les plus anciens, les Senecas et les Mohawks, siègent
d’un côté ; nos frères les plus jeunes, les Oneidas,
les Cayugas et les Tuscaroras, se tiennent en face d’eux ; et au centre se
trouvent les Onondagas, les gardiens du Feu Central. De chaque côté
du feu, un porte-parole s’exprime au nom de tous ceux qui sont assis avec
lui. Quand un problème nous préoccupe, il est exposé
par ce que nous appelons la ‘Source’. Chaque côté en débat
librement et propose une solution. Son porte-parole la communique à
la source, qui la modifie afin qu’elle soit en conformité avec les
propositions des autres côtés, puis soumet le résultat
à chacun des trois côtés pour qu’ils en discutent de
nouveau. Ce va-et-vient se poursuit jusqu’à ce que la solution envisagée
fasse l’unanimité. Il s’agit d’une très vieille méthode
indienne de gouvernement. Elle exige une totale unité de décision.
Elle demande beaucoup de temps, mais une fois prises, les décisions
sont fermement appliquées. Quand nous ne parvenons pas à résoudre
un problème, nous en reportons l’examen à une session suivante.
Si, au bout de trois conseils, l’unanimité n’a toujours pas été
atteinte, le Tadodaho - le chef onondaga qui assure la présidence
- suggère un compromis. Mais si la question continue, malgré
cela, d’être un point de discorde, alors le Tadodaho clôt les
débats en annonçant : ‘Nous ne la résoudrons pas du
tout’, car il n’existe aucun problème au monde qui soit assez important
pour créer des divisions entre nous. Le Pacificateur, qui fonda notre
confédération, nous a dit que nos esprits ne devaient faire
qu’un . Ce conseil vaut pour notre époque … et pour toutes les autres.
»
Notons que le cercle de la Grande Paix, la « chaîne des bras
liés » ne se limite pas à la Confédération
des Six Nations mais s’est doublé dans l’histoire iroquoise d’un système
d’alliance de la famille étendue entre la Confédération
des Six Nations et les autres Nations autochtones et européennes.
« Dans les deux cas, il s’agissait d’alliances parentales qui se voulaient
à perpétuité mais qui avaient besoin d’être réaffirmées
et purifiées périodiquement par un rituel. » (Vachon
1993a : 28). Donnons un bref aperçu de la dynamique d’alliance avec
les nations européennes qui débuta au dix-septième siècle
(voir Vachon 1993a : 34 ss) pour nous introduire aux différences entre
les conceptions des Haudenosaunees et celles européennes que nous
approfondirons ensuite de manière plus systématique .
Dans la conception Mohawk, la Paix ne se conçoit pas malgré,
mais dans et à cause de nos différences. L’alliance de Paix
où Guswenta qui a ses origines dans une première alliance avec
les Hollandais en 1628 et qui continue à être pour les Haudenosaunees
à la base de leurs relations diplomatiques avec les nations occidentales
(Vachon 1993 : 42) ne s’éclaire à nos yeux que si nous percevons
son arrière-fond, celui du cercle de la Paix qui est aussi celui de
la vie : « Tous les êtres, qu’ils soient humains ou non,
sont parents et forment une famille. La terre est la mère de tous,
la lune est la grand-mère, les vents sont les grand-pères,
les autres Nations sont les petits et grands frères, les cousins etc.
(…) L’ordre social tout entier est basé non sur des droits mais sur
le devoir qui vient de la nature, à savoir, découvrir et suivre
la place qui est assignée à chaque élément du
cercle par les dispositions du Créateur et inscrite dans la nature
des choses. » (Vachon 1992 : 8-9). Ainsi l’alliance avec les européens
prît la forme du Guswenta, ou Wampum (traité) à deux
rangs ou à deux sentiers qui reconnaissait explicitement les différences
de modes de vie de chaque culture et qui était fondé, dans
la perspective des Haudenosaunees, sur la boucle sacrée ou le cercle
de la non-gouvernance où aucune nation n’est supérieure aux
autres (Vachon 1993 : 30-31, 40). De par leur vision du monde, la Chaîne
de l’alliance ne devait en principe exclure aucune nation autochtone ni européenne,
ni d’ailleurs forcément les regrouper toutes. La logique du cercle
de non-gouvernance permettait aussi sans problème de s’allier avec
les nations les plus diverses, sans que ceci soit lié à un
quelconque essai d’unification et d’uniformisation de l’espace politico-juridique
(Vachon 1993 : 32-33). L’image employée était celle de la barque
et du bateau naviguant côte à côte, chacun suivant son
propre cours.
Cependant du point de vue européen, la « Chaîne de l’alliance
» ou « chaîne de l’amitié » était perçue
très différemment révélant d’autres mythes fondateurs
du lien politico-juridique. Elle était tout d’abord perçue
comme une alliance seigneuriale entre d’un côté un roi européen
et de l’autre ses loyaux sujets, les nations autochtones (Vachon 1993 : 33).
Cette logique hiérarchique et pyramidale a continué à
subsister jusqu’à nos jours en niant complètement la perspective
de l’alliance avancée par les Haudenosaunees. Elle a abouti à
la mise en place d’États-Nations modernes en Amérique du Nord
qui, après avoir nié toute existence juridico-politique aux
peuples autochtones, commencent à s’ouvrir aux revendications des
peuples autochtones, mais tout en restant profondément ancrés
dans des perceptions pyramidales modernes. Les peuples autochtones sont perçus
avant tout comme faisant partie de l’État-Nation du Canada ou des
États Unis auquel ils sont intégrés. Ce n’est que l’État-Nation
qui peut leur conférer des droits et les reconnaître. Si à
travers une certaine reconnaissance des droits des peuples autochtones on
semble s’ouvrir à un système juridique plus pluraliste, plus
ouvert, évoluant d’une pyramide d’imposition à un « réseau
d’échanges » entre systèmes juridiques différents,
occidentaux et autochtones, on reste loin d’une véritable reconnaissance
prenant en compte la vision du cercle de non-gouvernance et de Paix. En effet,
comme continuent à le dire les Haudenosaunees (cités dans Vachon
1993 : 37) :
« Nous ne sommes pas citoyens des États Unis ou du Canada. Nous
ne sommes pas sujets de, (ni soumis à) vos lois. Nous sommes des frères
et des sœurs qui avons conclu une alliance parentale et d’amitié éternelle
fondée sur le Wampum à Deux Voies quand nous vous avons accueilli
pour partager cette terre avec nous dans le respect mutuel de nos cultures
: demeurant, vous dans votre navire, et nous dans notre canot, unissant nos
bras pour toujours. »
Apparaît ici le phénomène que nous annoncions dans notre
introduction : si l’émergence de réalités et de pensée
en réseaux correspond effectivement à une ouverture dialogale
au réel et à la complexité à partir de l’intérieur
de notre système (dont le point de départ est et demeure profondément
pyramidal) , nous restons cependant enfermés à l’intérieur
de ce système et nous ne nous autorisons pas vraiment à dialoguer
avec les cultures juridiques autochtones, de manière authentiquement
dialogale, c’est à dire en prenant au sérieux leurs topois
culturels et leurs mythes fondateurs différents et en acceptant au
cours du dialogue de changer nos propres cadres conceptuels voire de nous
enraciner dans un nouveau mythos . Et ainsi nous ne nous donnons pas les
moyens de réfléchir à une approche véritablement
interculturelle et dialogale de nos Droits dans ce contexte (voir Eberhard
2001, Vachon 1995a,b &c). Le moment semble donc venu de mettre brièvement
en contraste les points les plus saillants entre les approches autochtones
fondées sur le Cercle et celles occidentales qui restent fortement
marquées par la pyramide.
1.2. Mise en contraste des modèles fondés sur le cercle et
la pyramide, des cultures politiques mohawk et occidentale
1.2.1. Harmonie / Ordre
Tout d’abord nous devons noté que si la culture occidentale est fondée
sur l’idée d’ordre, celle des Mohawk tourne plutôt autour de
celle d’harmonie. Dans la vision occidentale qui s’inscrit dans un archétype
de soumission (Alliot 1983 : 98 ss) la cohésion de l’univers est vu
avant tout par sa soumission aux lois de son créateur - il y a déjà
dès l’origine la vision que le monde n’est pas parfait mais qu’il
doit être redressé, remis en conformité avec un ordre
supérieur. Avec les Lumières et le recentrage anthropocentrique
de notre culture, c’est l’Homme à travers sa Raison qui est devenu
le principal acteur de la réalisation de l’ordre du monde. Comme le
note Zygmunt Bauman (1993 : 4 ss), dans leur acceptation moderne qui continue
à nous marquer profondément, « ordre » et «
chaos » ont émergé ensemble comme deux jumeaux nés
d’une situation où la question de notre vivre-ensemble est devenu
avant tout un problème rationnel à résoudre. Et on peut
interpréter la modernité comme une croisade contre l’ambivalence
et le « désordre », comme l’essai de s’acheminer vers
une transparence complète du réel qui permettrait aussi son
organisation sociale parfaite (Bauman 1993 : 1 ss). On peut la voir aussi
comme la passage de « cultures sauvages » où le monde
était accepté tel qu’il se présentait naturellement
à des « cultures de jardinage » où il devenait
primordial de corriger les insuffisances du monde, de redresser « l’état
de nature » pour le civiliser et le rendre conforme à la Raison
(Bauman 1989 : 51 ss). Ce sont ces représentations qui fondamentalement
sous-tendent toute vision systémique de notre vivre-ensemble et de
notre Droit, que ces systèmes prennent des formes plus pyramidales
circulaires ou résauiques .
Dans la vision Mohawk, le monde ne constitue pas au départ un problème
à résoudre. C’est un mystère à vivre et à
découvrir. Le monde est fondamentalement harmonieux. On l’appelle
le « Grand Beau », la « Grande Harmonie » (Vachon
1992 : 5). « La vie est un cercle centré, un cercle sacré,
un cercle divisé en quartiers. Cela signifie qu’elle est un tout composé
de parties.(…) Tout est dépendant l’un de l’autre. Chaque partie reçoit
et donne constamment à l’intérieur du tout. L’action de chaque
partie est affectée par et, au même moment, affecte toutes les
autres parties. C’est seulement lorsque chaque partie remplit son rôle
propre en rapport avec les autres, qu’il est possible de maintenir le cercle
sacré. C’est cette ‘vision du monde’ qui donne aux sociétés
traditionnelles leur sens du bien et du mal, du bon et du mauvais, etc. »
(Newberry 1982 : 29). Mais le bon et le mauvais ne s’opposent pas mais sont
interdépendants comme le jour et la nuit, le masculin et le féminin.
Il s’agit donc pour les Mohawk non pas tellement de réaliser un ordre
que de s’harmoniser à une Réalité harmonieuse préexistante.
Et il serait inadéquat de réfléchir a leur manière
de vivre-ensemble en terme de réalisation d’un ordre (voir aussi Vachon
2000 : 11-12).
Il est peut-être aussi utile de noter ici que si l’Occident met l’accent
sur l’œil et sur le visible, les Mohawk accordent plus d’importance à
l’ouïe et à l’invisible. Pour le premier, ce qui prime c’est
l’exigence de clarté, le logos, la compréhension, la connaissance.
Pour le second, l’important est d’être à l’écoute du
mystère et « le rôle le plus prestigieux dans le cercle
mohawk, c’est d’être capable de parler la Grande Parole, c’est-à-dire
le Grand Beau » (Vachon 1992 9) qui ne peut d’ailleurs en dernière
analyse jamais complètement exprimée par la parole humaine
ou l’écriture mais reste toujours dans le domaine du Mystère.
1.2.2. Kosmophanie / Démocratie
Le systèmes politiques modernes sont fondés sur l’idée
de démocratie qui est de nature pyramidale : il y a une distinction
entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, les derniers
se trouvant à la base de la pyramide étatique et les premiers
à son sommet. Par les élections les gouvernés sont supposés
participer à leur gouvernement et apparaît ainsi un système
de bouclage. En effet, malgré l’institution pyramidale du pouvoir,
l’idée de la démocratie est celui du gouvernement par le peuple.
Ainsi, bien que pyramidal, le système apparaît alors en fait
comme un réseau avec un sommet explicite, le gouvernement, et un sommet
implicite qui justifie l’existence du sommet explicite et lui donne sa légitimité
et qui est, paradoxalement, la base de la pyramide du gouvernement, le peuple.
Cette vision s’inscrit de plus dans une vision associative et sociétale
du vivre-ensemble : on part de l’idée d’individus autonomes qui s’associent
en société par un « contrat social » et on est
donc dans le registre de relations d’échange, de contrat, de traité,
de pacte, de fédération, de coalition etc.
Pour les Mohawk, la vision est différente. Tout d’abord leur culture
politique ne se restreint pas aux êtres humains mais se base sur une
notion plus large du cercle de la vie incluant le peuple des poissons, des
arbres, des oiseaux etc. Puis, leur culture politique n’est pas basé
sur le kratein ou gouvernement d’un être sur un autre. Elle est fondamentalement
inscrite dans le Cercle de non-gouverne auquel nous reviendrons et qui est
lié à leur perception ontonomique d’eux-mêmes et de la
réalité. On pourrait donc qualifier leur culture politique
comme « Kosmophanique ». « Kosmos avec un ‘K’, renvoie
à toute la parenté (humaine et non-humaine) ; phanique (du
grec phanein, briller, manifester) renvoie au kosmos, comme étant
l’expression ou la manifestation de la réalité dans toutes
ses dimensions, laquelle en Mohawk on nomme le Grand Beau. L’univers ou kosmos
ne gouverne pas à strictement parler, car chaque chose, dans la cosmologie
mohawk est une dimension constitutive du Tout qu’est la Réalité.
Qu’il y ait quelqu’un qui commande et gouverne les autres comme sujets est
étranger à la tradition mohawk. » (Vachon 1992 : 6-7).
Si le système politique occidental est basé sur des lois humaines,
qu’il est anthropocentrique, celui des Mohawk a une assise cosmique, la Kayanerekowa,
ou Grande Loi de la Paix, et est donc cosmocentrique. En découle que
si nous voyons nos lois comme moyen de réaliser des « projets
de société » , dans le contexte Mohawk la liberté
consiste justement à vivre pleinement les dispositions inscrites dans
la nature des choses. Aussi, les Mohawk ne se voient pas comme societas.
Ils se voient comme une communauté qui ne s’est pas constituée
par choix humain, mais provient des « dispositions de la Nature ou
du Grand Esprit » et qui est une communauté de parenté.
Comme nous l’avons déjà noté plus haut, toute la Création
est vue comme faisant partie de rapports de parenté et la Nation mohawk
en est une partie bien spécifique ayant son propre rôle à
jouer dans le Tout.
1.2.3. Le cercle de la non-gouverne / La pyramide de la gouverne
Dans la vision occidentale, toute conception d’ordre et de politique repose
sur un principe de gouverne. Princeps signifiant premier, prince, principal
et gubernium signifiant gouvernail on entend par là ce qui «
définit, organise, décide, dirige, ordonne, commande, dicte,
contrôle, punit. Ce principe peut être interne ou externe ; il
peut être Dieu par rapport à l’Homme, l’Homme par rapport à
la nature, une société ou une Nation particulière par
rapport à une autre, un groupe particulier par rapport à un
autre (…) l’ordre procède d’un principe gouverneur. (…) L’ordre social
n’est pas un donné, c’est une création par un principe qui
ordonne et gouverne. (…) Tout doit être autorisé par une autorité
externe ou interne, par exemple la loi, ma décision autonome, le principe
d’autonomie. (…) Il faut toujours une justification, un titre, une raison
; chaque chose doit être intelligible, autrement elle n’a aucune existence
valide. Tout doit être valide, protégé. » (Vachon
1992 : 9-10).
Le cercle de non-gouverne des Mohawks est fondé sur des présupposés
forts différents dont celui essentiel de non-interférence.
On pourrait dire que c’est un cercle de confluence, de partage et d’harmonisation
fondé sur la non-interférence qui est elle-même basée
sur le principe d’ontonomie. L’ontonomie (de nomos, loi et on, l’être)
n’est ni autonomie où les lois externes sont rejetées chacun
étant sa propre loi, ni hétéronomie où chaque
sphère d’existence dépendrait d’une spère supérieure.
Elle réfère à la « régularité interne
de quelque être que ce soit dans sa relation constitutive au tout (du
Réel) dont il est membre » (Vachon 1995b : 26) . C’est bien
une position originale et non pas un simple compromis ou juste-milieu entre
l’hétéronomie et l’autonomie. Chaque personne ou culture est
perçue comme existant dans la mesure où elle participe
au Tout et lui permet de s’exprimer à travers elle. Ainsi, dans les
relations entre cultures autochtones et occidentales, par exemple, les deux
sont perçues comme deux dimensions d’une seule et même réalité,
d’un seul cercle, « chacune d’elle étant incomplète,
voire fausse, dès qu’elle réclame pour soi une sphère
séparée, indépendante, souveraine, ou le cercle tout
entier. » (Vachon 1995b : 27). Dans cette conception la vie est un
cercle sacré où personne n’a autorité sur l’autre et
où il est inconcevable qu’un être humain gouverne, dirige ou
commande un autre. On ne trouve donc pas vraiment chez les Mohawks des «
chefs » ou des « gouvernants ». Leur équivalent
homéomorphe serait le Roiane, littéralement « un homme
bon » qui ne « représente » pas le peuple au sens
occidental mais est le symbole et le porte-parole de tout le peuple, du Grand
Beau de l’arbre de la Paix. Les rotiiane ne sont pas élus. Ils sont
mis en place par un consensus des mères de clan d’abord, du clan ensuite,
puis de la Nation et enfin de la Confédération des Six Nations.
Leur rôle n’est pas d’exercer un pouvoir de décision mais de
rappeler l’état des choses telles qu’elles sont et ont toujours été.
Ils sont à la fois symboles politique et spirituel et il leur incombe
de dire officiellement le Grand Beau, la Nation et le Peuple, de faire les
cérémonies pour célébrer le Grand Beau et maintenir
ainsi l’harmonie du cercle selon la tradition et d’être les interprètes
officiels de la Kayanerekowa, la Grande Loi de la Paix.
À travers le rôle du chef, nous apparaît encore clairement
que le cercle de non-gouverne est solidement ancré dans la parenté
de tous les êtres et les relations du Cercle entier de la Vie auquel
tous appartiennent et dans lequel tous accomplissent leur propre rôle
et qu’il est une réalité plus cosmique qu’humaine.
Il nous semble que le lecteur a maintenant déjà une bonne idée
des différences entre des visions holistes systémiques telles
que l’évoquent les métaphores du réseau occidentales
et des visions telles que celles des Mohawk, fondé sur une cosmologie
du cercle. Avant de tirer quelques pistes de cette mise en contraste pour
une approche interculturelle du Droit en vue d’un objectif de Paix, faisons
encore un second par le système juridique tibétain traditionnel.
Ceci nous permettra de mettre en perspective nos premières découvertes
du cercle par une culture juridique où celui-ci joue aussi un rôle
important mais de façon différente. De plus le système
juridique traditionnel tibétain connaît aussi une distinction
entre droit religieux et laïque et possède un droit écrit
et une institution judiciaire hiérarchisée. Il sera donc fertile
de s’y intéresser de plus prêt à l’imbrication (aux réseaux
qui s’y nouent ?) entre cercle et « pyramide ».
2. Le système juridique tibétain traditionnel : Entre cercle et pyramide ?
Avec le système juridique tibétain traditionnel, en place jusqu’en
1959 où le Tibet fût annexé par les Chinois, nous entrons
dans un univers assez différent de celui des Haudenosaunee. Le Tibet
connaissait en effet un gouvernement et une administration centralisés.
Il distinguait entre un droit religieux et un droit séculier, le premier
s’appliquant à la sphère des moines, des chercheurs spirituels
et le deuxième à celle des laïques perçus comme
les supporteurs des chercheurs spirituels, même si dans son fondement
ultime tout le Droit tibétain était foncièrement religieux
comme nous allons le voir. L’institution judiciaire, ainsi que la société
tibétaine dans son ensemble d’ailleurs, était profondément
hiérarchique. Et cependant, nos conceptions modernes de hiérarchie
ne nous permettent pas de le comprendre car la hiérarchie tibétaine
se double de représentations en termes de cercle, de non-dualité,
de pluralisme tels que nous avons pu les rencontrer dans notre visite aux
Haudenosaunees ci-dessus.
Comme précédemment, nous commencerons par une première
approche de la cosmologie juridique tibétaine avant de nous intéresser
plus particulièrement aux traits caractéristiques du système
juridique tibétain traditionnel. Notons aussi, que si lors de notre
visite aux Haudenosaunees, nous nous sommes plutôt intéressés
à leur Droit par rapport à la question de leur organisation
politique et de leurs dynamiques d’alliance entre Nations Haudenosaunee,
autres Nations autochtones et Nations occidentales puisque les fondements
mêmes de leur culture juridique ne peuvent pas s’approcher à
travers nos notions de territorialité et de l’existence d’un pouvoir
législatif central, dans le cas de notre visite aux Tibétains
nous sommes en présence d’un « système juridique unifié
» sur un territoire donné, à première vue
plus proche de nos systèmes juridiques modernes, et nous nous intéresserons
donc plus particulièrement à celui-ci.
2.1. Premières approches de la cosmologie tibétaine du Droit à travers le mandala
Les bouddhistes tibétains ont une vision du monde symbolique fort
complexe. Celui-ci est perçu comme un grand ensemble, réseau
de relations entre tous les mondes, tous les temps et tous les êtres.
Toute partie du Tout est en relation avec toute autre partie. Elle a de par
sa place unique une particularité radicale et réfléchit
en même temps le Tout. Nous sommes très proches des notions
de Cercle de vie, d’ontonomie et de pluralisme évoqués plus
hauts. Les images, les habits, les couleurs, les sons, les gestes, les directions
cardinales, le panthéon des déités, les institutions
etc. font tous partie de ce grand réseau symbolique du monde qui a
une importance considérable pour le religieux et le social et qui
est représenté dans le symbole du mandala (French 1995 : 175).
« ‘Mandala’ est un terme sanscrit qui se dit en tibétain ‘kyilkhor’,
‘kyil’ signifie ‘centre’ et ‘khor’ signifie ‘périphérie’. Un
‘mandala’ est donc une structure constituée d’un centre et d’une circonférence.
Dans le cas du mandala de l’univers , le centre est la montagne axiale, à
la périphérie de laquelle se trouvent les différents
continents, avec en dessus et en dessous les plans d’existence supra et infra-humains.
C’est là une représentation très profonde, qui ne comprend
pas seulement l’univers visible, mais inclut tous les plans d’existences,
c’est l’univers dans sa totalité. » (Kalou Rinpoché 1993
: 287). Le mandala est aussi un « psycho-cosmogramme », pour
reprendre l’expression de Giuseppe Tucci, qui est « le schéma
de la désintégration de l’Un dans le multiple et de la réintégration
du multiple à l’Un » (Tucci 1989 : 33). C’est un miroir du macrocosmos
en même temps que du microcosmos que représente l’homme . Comme
l’exprime bien Rebecca Redwood French (1995 : 177) « C’est un
symbole dans lequel toute idée, toute personne, toute entité,
tout symbole inférieur a sa place. C’est une image représentant
le monde en même temps comme non-changeant, atemporel et éternel
(dans le sens que c’est la réalité ultime) et comme toujours
changeant, rempli de temps, et présent (dans le sens que c’est de
sa nature même que découlent l’impermanence et les renaissances
humaines cycliques). C’est une structure qui incorpore le diffus, l’arbitraire,
l’ambigu et le contesté, le connu et l’inconnu, le désordre
et la cohérence, chacun et toute chose. (…) le mandala représentait
toutes les idées fondamentales du bouddhisme : le karma , la présence
à chaque moment de tous les mondes, la particularité radicale,
la nature cyclique de l’existence, le noyeau que constitue le Bouddha. Le
gouvernement même du Tibet était compris comme un mandala à
plusieurs niveaux avec des niveaux périphériques successifs
menant à un cœur à Lhasa , le siège du Bouddha. Hiérarchies,
catégories sociales, relations de pouvoir, niveaux juridiques du ménage
à la Cour Suprême concordaient avec ces représentations.
L’esprit de l’individu au centre du mandala personnel était aussi
compris comme le centre de l’univers juridique, et le mandala réitérait
en forme symbolique le mouvement du système juridique. De la même
façon que des Bouddhas émanaient du cœur du mandala et que
les aspirants en méditation se mouvaient des portes extérieures
vers les portes intérieures du mandala, le système juridique
était perçu comme flexible, permettant de se mouvoir vers le
haut et le bas et entre procédures, forums et niveaux différentes.
»
Il apparaît de la présentation ci-dessus une combinaison de
facteurs hiérarchiques et circulaires : la vision du monde traditionnelle
tibétaine est fortement hiérarchique, mais dans le sens de
niveaux et de zones qui vont de l’inférieur au supérieur, et
du séculier au sacré. Les différents niveaux sont compris
avant tout comme les étapes graduées d’un mandala déplié
en trois dimensions (French 1995 : 108-109). Mais ces niveaux sont reliés
et coexistent en même temps et ne sont donc pas uniquement dans une
relation hiérarchique simple. Au niveau de la distinction du séculier
et du sacré on peut aussi noter que s’il existe une division entre
ces deux sphères, en fait le sacré forme toujours le centre
du mandala de l’organisation institutionnelle et sociale (voir French 1995
: 87). Et le Code Ganden Podrang des Dalai Lama note que si « Le droit
religieux est doux comme un nœud de soie (autour de ton cou), le droit étatique
contrôle comme un joug d’or (sur ton cou) » (French 1995 : 1).
Tout le Droit tibétain reste ainsi fondamentalement ouvert à
toutes les dimensions du Réel. À la grande différence
d’une pensée systémique holiste qui intégrerait aussi
les notions de flou, d’indétermination, de relationnalité et
de relativité, de complémentarité des différences
plutôt que d’opposition des contraires, la vision bouddhiste tibétaine
ne présuppose pas un cadre d’intelligibilité englobant. Comme
les représentations des Haudenosaunees, il y a dans cette vision du
monde une ouverture fondamentale au « mystère » de la
vie, qui va au-delà de son essai d’explication ou de contrôle
à travers l’instrument de la Raison. Elle nous ouvre à une
approche fondamentalement pluraliste de la réalité, ce qui
implique aussi une vision très pluraliste du Droit. Essayons d’en
donner un bref aperçu, tout en étant conscient du caractère
impressionniste de notre démarche, faute de plus de place et du degré
de différence très important du système traditionnel
tibétain avec le nôtre à tous les niveaux et notre ignorance
quasi-totale de cet univers.
2.2. Quelques traits du système juridique tibétain « kaleidoscopique »
Pour rendre un peu plus concrète notre présentation, suivons
Rebecca Redwood French dans l’introduction très parlante à
son ouvrage sur la cosmologie juridique du Tibet bouddhiste par la présentation
d’un cas de façon très littéraire (1995 : 1-7). Ce sera
un point de départ utile pour nous plonger dans une atmosphère
juridique différente. Il illustrera certains traits saillants du système
juridique tibétain que nous ne manquerons pas de compléter
par la présentation des autres traits marquants qui caractérisaient
la pensée traditionnelle du Droit dans le Tibet bouddhiste et
qui nous permettrons de remettre en perspective nos approches de la pyramide
et du réseau.
« Debout au milieu du champ, le moine chauve dans ses robes bordeaux
délavées trouva qu’il était fatigué du soleil
brillant. Le ciel paraissait trop clair, et il transpira abondamment, bien
que le vent froid de l’automne s’était déjà levé.
Dans ses mains il tînt des feuilles de papier avec des notes recopiées
d’un grand livre au monastère qui décrivaient les terres dans
tous les sept villages de son domaine. Il avait noté la description
de deux endroits et lut maintenant du papier aux deux paysans qui l’accompagnaient
lorsque ceux-ci commencèrent à chercher les marqueurs de frontières
dans les champs. (…) il se dit qu’il y avait eu trop de litiges dans cette
région la dernière année. Était-ce là
un signe digne d’être observé ? Avant la naissance d’un grand
être dans une région, il y avait souvent des sécheresses,
des récoltes ruinées, et de la disharmonie. Mais il n’y avait
pas de lama important qui avait dissolu son corps récemment et allait
renaître ; le dernier visiteur de Lhasa lui avait dit que Sa Sainteté
le Dalai Lama était en pleine forme. Sans aucun doute, les dieux protecteurs
locaux n’aimaient pas la prolifération de paroles et de pensées
fâchées dans ce village, mais leur mécontentement prendra-t-il
la forme de maladies des enfants ? Les femmes arrêteraient-elles de
donner naissance ? Où autre chose était-il en train de se passer
? Il était déterminé de demander son avis au moine senior
et d’organiser des rituels d’apaisement pour les protecteurs locaux. (…)
Dans le passé, le moine fut appelé à décider
un certain nombre de variétés de litiges fonciers. Le présent
litige portait sur le coin d’une parcelle qui n’avait pas été
indiqué le long d’une ligne de démarcation naturelle, la rivière.
La grande démarcation qu’il avait mis en place avec les paysans reposait
au milieu de la ligne de frontière qui divisait les deux parcelles,
mais il n’y avait pas de démarcation au bord de la rivière.
Le propriétaire sur la partie sud soutint que la fin de la ligne de
frontière sur la rivière était beaucoup plus loin en
amont que ce qu’avançait le propriétaire du nord. La revendication
de chaque propriétaire augmenterait la taille de sa parcelle substantiellement.
C’était un cas compliqué, surtout parce qu’il n’a pas pu être
résolu par l’investigation conjointe des lieux.
Le paysan du nord, qui a soulevé le problème en premier, avait
demandé à Sonam d’être un conciliateur, un bardum pa
(bar ’ dum pa), non pas un conseiller ou un juge. Ceci signalait qu’il devait
s’agir d’une ‘décision interne’, et non pas d’une décision
révélant de ses devoirs monastiques officiels comme administrateur
du gouvernement. Tout le monde savait qu’il avait été choisi
parce qu’il était l’administrateur ; cependant, la requête indiquait
que les deux parties n’étaient pas encore prêtes à passer
à travers des canaux officiels - elles étaient peu disposées
à employer son expertise et son poids dans cette fonction. Donc il
accepta.
On dit que de nombreuses années auparavant, un litige foncier avait
été amené devant la cour du district à Nakartse,
mais après de nombreuses investigations et une procédure coûteuse,
elle n’a pas été réglée. Finalement, on a demandé
à un bardum pa d’aller à la cour de district, de retirer l’affaire,
puis de la régler dans le village local après avoir payé
de grandes sommes à la cour et aux juges. Depuis, les gens de cette
région évitait de se tourner vers la cour de district. Disant
que cela ne résulterait qu’en une négociation légale,
ils rappelèrent le proverbe, ‘Ne faites pas de requête aux autorités
; ne demandez de l’aide à personne’ ; le paysan du nord l’avait utilisé
lorsqu’il avait demandé à Sonam d’être un conciliateur.
Sonam avait appris à l’école qu’à une période
très ancienne, si un homme en tuait un autre, un autre homme serait
tué en vengeance. Le bouddhisme avait changé cela ; des procédures
furent développées pour éviter les tueries de vengeance,
et de nos jours de telles affaires étaient décidées
à la lumière des dix actes non-vertueux et de la vérité
et la non-vérité du Code juridique des Dalaï Lama. La
conciliation était même mentionnée dans le Grand Code
de Droit du cinquième Dalaï Lama : « De plus, dans des
cas de ce genre de disputes entre deux parties, si un homme âgé
de la région ou un homme avisé décide un cas, produit
un document de décision finale, on dit qu’ ‘une conciliation fait
par une chèvre ne doit pas être défaite par un cheval,’
et ‘une conciliation faite par un mendiant (ne devrait pas être défaite)
par un roi puissant.’ Si une conciliation honnête est faite, que l’affaire
soit petite ou grande, le juge devrait supporter cette conciliation. Comme
il l’est dit dans les vieux textes de loi, on devrait supporter la vérité.
(…) »
De retour au monastère il consulta les anciens cas archivés
et en trouva un qui ressemblait à son cas. « En lisant, Sonam
trouva finalement quelque chose d’utile. Le litige archivé tournait
autour d’une question de payement de bab (bab / babs) : pour éviter
un litige, les parties avaient écrit un arrangement sur les délimitations
des terres en question et sur la pâture du bétail ; l’arrangement
comportait une clause de bab fixant la somme à être payée
si l’une des parties violait l’accord. Son prédécesseur avait
décidé que le vieux bab devait être payé par la
partie coupable, et qu’un nouveau contrat avec une nouvelle somme de bab
devait être établi.
Sonam se redressa et réfléchit un moment. Si c’était
la première fois que ces deux paysans se disputaient au sujet de la
démarcation, et s’il voulait véritablement une conciliation,
pourquoi ne pas leur demander demain de rédiger un accord pour le
futur ? Il écrirait un document contenant l’accord sur l’emplacement
du marqueur du bord de la rivière. Il comporterait aussi une clause
de bab, et les deux parties signeraient sur le dos, indiquant leur accord
sur le document. Puis, il s’assurerait que les deux parties et peut-être
leurs familles se rencontrent pour échanger des foulards et partager
de la bière pour indiquer leurs bonnes intentions à l’endroit
l’une de l’autre - très importantes pour les propriétaires
des champs adjacents. Ceci lui donna un plan d’action pour le lendemain (…)
Il replaça le document dans la chemise en tissu, la roula, et la remis
dans la boîte. Soufflant la lampe, il s’enroula dans son manteau et
s’allongea sur son matelas pour dormir avec un esprit apaisé. Ses
dernières pensées furent celles de l’éclat bleu chatoyant
du beau lac Yardrok. »
Ce court extrait est déjà très riche d’enseignements.
Il nous montre l’interconnexion dans la pensée juridique tibétaine
des différents niveaux d’existence, des mondes visible et invisible.
Il nous fait percevoir la coexistence de divers forums de règlement
de conflit permettant un certain « forum shopping », et même
la coexistance reconnue de divers champs sociaux semi-autonomes pour reprendre
l’expression de Sally Falk Moore (1983 : 54 ss) et la possibilité
d’aller de l’un à l’autre pour régler les litiges. Il illustre
aussi l’importance de modèles de conduite et de comportement tirés
du modèle du Bouddha et de ses enseignements, mais aussi de celles
provenant de sagesses locales. Les codes qui sont plus des recueils prudentiels
que des recueils de normes coexistent avec des légendes, des fables
et des proverbes, l’oralité avec l’écriture. L’important ce
sont les modèles de conduite et de comportement véhiculés
et qui sont partagés par tous. Le cœur du système est donné
par le souci d’harmonisation des rapports et de pacification. Le plus important
n’est pas de régler des situations en conformité à des
normes générales, impersonnelles et intemporelles, mais en
conformité avec la vérité de chaque situation qui est
vu comme étant toujours forcément particulariste. De plus ce
n’est pas le droit qui peut redresser un individu ou créer l’harmonie
dans une communauté, mais la pratique des vertus bouddhistes et la
réalistaion de la nature illusoire du monde (French 1995 : 91). On
préfère donc toujours le règlement par les parties elles-mêmes
de leur différend et en accord avec l’éthique bouddhiste. Et
on ne connaît pas le principe de l’autorité de la chose jugée.
Si une mésentente subsiste après le règlement d’un litige
cela signifie que l’on est pas parvenu à la vérité du
cas, que le problème n’a pas été réglé,
et on n’hésitera donc pas à « rouvrir » l’affaire,
qui tant qu’elle ne s’est pas dissoute n’a en fait jamais été
fermée ou plutôt « réglée ». Les décisions
sont aussi plus axées sur le présent et le futur que sur le
passé. On n’essaye pas tant de prouver des droits passés que
de parvenir à une solution satisfaisante dans le cas présent
et qui assurera l’harmonie pour le futur. De plus cette harmonie n’est pas
seulement celle des deux parties. Elle concerne également leurs familles,
leurs communautés, leurs villages, leurs régions et ceci autant
dans les mondes visibles qu’invisibles - le rétablissement de l’harmonie
a donc même une dimension cosmique. On évite d’ailleurs d’entrer
trop facilement et trop ouvertement en conflit car ceci risquerait de créer
une disharmonie qui peut se révéler préjudiciable pour
soi-même et son entourage.
Par rapport à nos réflexions sur la pyramide et le réseau,
il semble pertinent de rapidement présenter les différents
niveaux juridiques du système tibétain traditionnel et de leurs
relations. Notons tout de suite que c’est différents niveaux ne relèvent
pas tous, bien au contraire, de ce que nous appellerions le « droit
officiel ». Le système tibétain reconnaît explicitement
divers droits concurrents à celui du gouvernement central et on peut
noter que par rapport à nos représentations, la « pyramide
» tibétaine se retrouve même sur la tête, ce qui
est lié à la représentation du mandala au centre duquel
se trouve l’esprit de l’individu qui rejoint « l’esprit cosmique ».
Le centre du système juridique tibétain autour duquel tout
gravite et s’organise est bien constitué par l’esprit de l’individu,
sem (French 1995 : 75). Et le premier niveau juridique était bien
celui de l’individu qui était gouverné par sa propre loi ou
par autorégulation. « Rongtim, ‘un examen de soi-même
par rapport à ses attributs et compétences’ était compris
par les tibétains comme auto-régulation morale ou l’effort
de suivre les préceptes moraux bouddhistes autant dans les sphères
religieuses que séculières de sa vie. » (French 1995
: 164). Le deuxième niveau, mais le premier où se produisaient
et étaient résolus des litiges était celui de la maisonnée,
de la famille, khim tsang rimpa, qui étaient réglées
« entre soi », « par le père », « par
un ami » ou « par un voisin ». Et autant que possible on
essayait de garder les conflits à ce niveau interne selon le proverbe
« Une plaie dans la bouche est mieux guérie dans la bouche.
» Les règlements internes pouvaient utiliser toute une variété
de procédures juridiques. Mais quelle que soit la personne qui le
réglait, même si c’était un haut fonctionnaire du gouvernement,
le cas était considéré comme du niveau de la maisonnée
(French 1995 : 164-165). Le prochain niveau était celui de la «
communauté » ou du « village » ou en ville du «
bloc de maisons », dong rimpa. Ici aussi on avait le plus souvent recours
à des procédures de conciliation plutôt qu’à des
procédures légales gouvernementales. Au quatrième niveau
on trouve les associations, kyiduk dang tsopka, qui jouait le rôle
le plus important d’interconnexion de réseaux d’individus au Tibet.
De telles associations qui pouvaient être ethniques, religieuses, des
guildes, des sociétés d’entraide etc. constituaient des unités
sociales bien délimitées qui jouaient un rôle important
pour régler les conflits entre leurs membres et agissaient pour leurs
membres et les représentaient pour l’extérieur (French 1995
: 166, 167). Le prochain niveau était celui des municipalités,
dongkir rimpa, comprenant plusieurs villages ou communautés, souvent
administrées par des monastères. Ils créaient leurs
propres droits locaux et la tête de la municipalité ou le conseil
détenant le pouvoir judiciaire avait une grande latitude pour décider
des cas et imposer des peines (French 1995 : 169). Ce n’est qu’ensuite
que vinrent les niveaux du gouvernement central qui se fondait sur l’administration
de districts ou dzong. Le Bureau du district était le premier des
cinq niveaux administratifs du gouvernement du Dalaï Lama. Il était
suivi par le Bureau du gouverneur provincial, les Départements centraux,
le Cabinet ou Bureau Ecclésiastique, et le Bureau du Dalaï Lama
(French 1995 : 169 - 170), qui correspondait finalement au centre du mandala,
au lieu de séjour du Bouddha. La hiérarchie apparaît
donc comme un rapprochement progressif vers le centre du mandala, mais n’excluant
pas les relations réciproques des différents niveaux et la
possibilité de se déplacer librement entre ces différents
niveaux et non pas forcément linéairement du plus bas vers
le plus haut.
De manière générale, Rebecca Redwood French (1995 :
343 - 347) retient les traits suivants comme caractéristiques du système
tibétain traditionnel :
1. Il traitait tous les individus comme entièrement
unique et comme complètement intégré dans le Tout cosmique
reflétant par là sa cosmologie de particularité radicale
et d’intégration cosmique. Ce faisant il admettait une pluralité
de modes de raisonnement et n’était pas basé sur un mode de
pensée dualiste catégorisant le monde en bon / mauvais, nature
/ culture, public / privé, foi / raison etc. d’où il aurait
pu tirer des normes générales et conçus comme universellement
valides.
2. Il était imprégné par les exigences
morales du Bouddha et par la conviction que l’auto-régulation de l’esprit
de tout individu était la clef à tous les systèmes sociaux.
Le Bouddha représentait le modèle immuable pour le bon comportement
et un système social était bon dans la mesure où il
s’approchait le plus possible de ce modèle. Ainsi il n’y avait pas
non plus de distinction entre religieux et séculier dans notre sens
occidental. En dernière analyse tout droit était religieux
bien qu’il se différenciait en un droit applicable aux religieux et
un autre aux séculiers.
3. Le système juridique tibétain n’a ni donné
naissance à la formation de normes générales ni au recours
systématique de precedents (comme en Common Law). « Au Tibet,
procédure et prédictabilité signifiait dégager
les facteurs pertinents (factoring), et ce factoring ne nécessitait
pas de suivre ou de former des règles, de suivre ou de fonder des
precedents. Ce sont les facteurs à prendre en compte dans les diverses
situations afin de pouvoir les déterminer dans leur unicité
et résoudre les conflits de la manière la plus appropriée
que l’on retrouve dans les codes juridiques tibétains. Comme la vie
du Bouddha et la voie qu’il proposa fournissait un standard immuable, l’application
universelle d’une règle pour démontrer (donner à voir)
de la légitimité n’était pas nécessaire. »
(French 1995 : 344) .
4. Le système ne connaissait pas de finalité
ni de clôture. Des litiges pouvaient être rouverts tout de suite
après avoir été tranchés, même si les deux
parties avaient toutes les deux approuvées la décision du juge
ou du conciliateur. Et cette possibilité de pouvoir être en
désaccord jusqu’à ce qu’un véritable accord ait été
trouvé était un aspect fortement apprécié par
les tibétains de leur système. Dans la perspective bouddhiste
cette « liberté de désaccord » est lié au
potentiel infini de l’esprit de changer et de choisir. Dans le domaine du
droit, ceci se traduisait dans la non-exclusivité des forums de règlement
de conflit permettant une très grande flexibilité quant au
choix du forum et d’une procédure considérés comme appropriés
et donc d’un véritable forum shopping, et dans la non-clôture
définitive de litiges.
5. « L’État tibétain » n’avait
pas (ni ne prétendait avoir ou devoir avoir) le monopole de la violence
légitime et s’il l’avait eu n’aurait pas pu l’exercer par manque de
fonctionnaires et de policiers. Le consensus jouait un rôle primordial
dans la vie juridique, même dans le domaine pénal autant au
niveau du choix de la procédure, du forum et de la décision.
On voit ainsi que le droit n’est pas forcément fondé sur la
potestas mais peut aussi être fondé sur l’auctoritas.
En conclusion, Rebecca Redwood French (1995 : 346) note qu’on ne peut véritablement
comprendre le système juridique tibétain traditionnel que dans
son lien étroit avec la cosmologie « kaleidoscopique »
qui le sous-tendait, et qui constituait plus qu’une simple « culture
juridique » et était un point de départ très
différent pour une analyse du Droit puisqu’il « décentrait
et déstabilisait tout en rendant cohérent et en intégrant.
(…) la cosmologie juridique du Tibet est fondée sur des prémisses
sur le monde comme simultanément entièrement interconnecté
et en même temps complètement particulier. Tout est dans un
flux constant, dans l’impermanence et dans la régénération
cyclique. (…) les concepts et pratiques juridiques ne constituent pas des
unités indépendantes opérant dans une unité séparée
et autonome désignée comme ‘système juridique’. Ils
ne sont pas non plus de la compétence particulière d’un groupe
professionnalisé, ni ne constituent-ils un ensemble spécifique
de règles et de forums. Au lieu de cela ils sont perçus comme
étant entièrement connectés à et dérivés
de la vision bouddhiste tibétaine du mandala intégré
‘Tout-Un’. » (French 1995 : 346) .
Conclusion : Ouvrons la boucle : quelques pistes du Cercle pour des approches
possibles de l’interculturalité et de la Paix
Revenons, après nos moultes périples à notre interrogation
de départ : en quoi ces visions différentes du Cercle peuvent-elles
nous inspirer pour des approches de l’interculturalisme et de la Paix dans
nos pratiques et nos théories du Droit contemporaines ?
Tout d’abord elles semblent nous rappeler que le vivre-ensemble harmonieux
ne doit pas forcément être pensé dans le terme de l’imposition
d’un ordre sur la réalité sociale, ni sur des notions d’uniformité.
Si l’accent mis sur la potestas est caractéristique des pensées
modernes de l’État, il ne faut pas négliger l’auctoritas comme
fondement de la légitimité d’un mode de vivre-ensemble . De
plus l’auctoritas n’a pas à être forcément centralisée.
Dès lors que l’on cesse de voir la question du Droit comme celle de
l’imposition d’un ordre le plus rationnel possible à une société
à travers de spécialistes, de « sachants », le
pluralisme juridique cesse de poser problème. On peut reconnaître
la multitude de forums et de procédures de règlements de conflits.
Et cette reconnaissance va au-delà de celle permise par la pensée
en réseaux puisqu’elle ne se situe pas dans un espace homogène,
dans un « univers », mais dans une perception de « plurivers
» (voir Eberhard 2000a : 261 ss) fondée dans un pluralisme non-dualiste
radical, « mandalaïque » et qu’on essaye donc pas de réduire
celui-ci uniquement à un pluralisme de normes ou d’un pluralisme à
l’intérieur d’un système, ou du moins déterminé
par un système donné et continuant ainsi de penser de manière
unitaire le pluralisme juridique (voir Le Roy 1998, Vanderlinden 1989 &
1993) . Cependant ceci demande le partage d’une certaine éthique,
ou plutôt d’un certain éthos, de certains modèles de
conduite et de comportements. Ce n’est pas « plus de droit »
qui créera une « meilleure société » - on
semble d’ailleurs le sentir diffusément si l’on pense, négativement,
aux critiques de la prolifération des lois et règlements qui
brouillerait l’horizon de nos actions ou, positivement, aux tendances de
vouloir s’acheminer de plus en plus vers des grands principes, ce dont témoignent
les débats sur l’émergence d’un nouveau ius commune européen,
voire à un autre niveau le discours des droits de l’homme qui se fait
de plus en plus bruyant. L’émergence de voies négociées
de résolution de conflits dans des milieux « hostiles »,
telle que la France, semble aussi pointer dans la direction d’une recherche
du Droit plus proche des pratiques des citoyens et d’un « droit modèle
» ou d’un « droit des repères » plutôt que
d’un « droit de spécialistes », d’un « droit norme
» ou d’un « droit sanction » (voir Le Roy 1999 : 205 ss).
La reconnaissance de l’Autre, de plus en plus incontournable dans les situations
contemporaines qui sont de plus en plus interculturelles semble fournir l’impératif
permettant de dégager les nouveaux principes pur les modalités
de notre « respect mutuel ». Il nous semble qu’il faille que
nous nous ouvrions à des approches en termes d’ontonomie, de «
relationalité radicale » ou de « cercle de non gouverne
» tels que nous avons pu les rencontrer ci-dessus, ce qui devra se
refléter par des voies plus négociées de résolution
de conflits, que ce soit dans nos relations entre cultures à un niveau
macroscopique (pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones
par exemple) ou plus microscopique (dans la « gestion » au jour
le jour de la justice des mineurs en France par exemple - voir Le Roy 1989).
Il nous apparaît donc essentiel comme pressenti dans l’introduction
de nous émanciper d’approches du Droit en termes uniquement systémiques
ou en partant uniquement d’un point de vue du droit compris dans son sens
strict pour nous engager dans des démarches de dévoilement
de la juridicité dans nos sociétés contemporaines (voir
Le Roy 1999 : 177 ss).
Prendre le Cercle au sérieux, c’est prendre au sérieux la totalité
de nos vies en société, non pas seulement la societas mais
l’universitas , voire cette dernière dans toute son interrelation
avec le cosmos. Et il faut donc au minimum que nous acceptions de repenser
nos droits à partir de la totalité sociale, en acceptant toute
sa complexité et en ne succombant pas à la tentation de réduire
le pluralisme qui lui est inhérent à une unité, un système
unique quel que soit sa sophistication, sa complexité ou sa circularité.
Enfin, pour nous acheminer vers un véritable « Droit de Paix
» qui, non seulement respecterait nos différences mais serait
véritablement ancré en elles et serait donc véritablement
interculturel, nous sommes invités à une révolution
copernicienne : au lieu d’essayer de réaliser la Paix par l’extérieur,
par l’instrument du droit, il nous semble que nous commençons à
entrevoir et nous devons en approfondir les pistes, que c’est la Paix qui
doit sous-tendre tout Droit si on veut que celui-ci soit véritablement
ius pacis, donc droit de Paix non pas uniquement dans le sens d’un génitif,
mais un Droit trouvant son origine dans un état d’esprit pacifié
et ultimement dans l’harmonie cosmique, la Grande Paix qui est le Grand
Cercle de la Vie.
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