Christoph Eberhard·                                    20/02/2002
E-mail : c.eberhard@free.fr




Le cercle comme ouverture pour la Paix -
Détour par des visions amérindienne et tibétaine du Droit

(pour le séminaire « Éclairages interculturels et anthropologiques de la pyramide et du réseau »,
 Facultés Universitaires Saint Louis, Bruxelles, 21 février 2002 / version revue parue dans RIEJ 49)



« L’exercice de s’ouvrir à une culture politique radicalement différente
est difficile et dérangeant ; il exige que l’on devienne profondément vulnérable.
Mais il peut aussi, par le fait même, être une expérience très libératrice et révélatrice
de notre propre culture politique occidentale. » (Robert Vachon 1992 : 11)


Dans notre monde contemporain, on peut discerner deux défis majeurs qui nous semblent être profondément liés à l'émergence de deux nouveaux symboles qui nous introduisent dans un nouveau mythe , ou un nouvel horizon, pour penser notre « vivre-ensemble ». Il s'agit de l'interculturalité et de la Paix. Tout d'abord, ce sont deux défis intimement liés. Notre monde se rétrécit de plus en plus et nous prenons progressivement conscience de la coexistence de visions du monde différentes et qui ne paraissent pas se laisser synthétiser. Nous nous rendons compte aussi des heurts qui se produisent entre ces différentes manières de vivre le monde. Nous avons été les témoins dans cette dernière décennie de génocides. On nous met en garde contre un « choc des civilisations » (Huntington 1997). Du moins certains auteurs croient-ils déceler plutôt que l'émergence d'un village planétaire celui d'un archipel planétaire où toutes les cultures seraient loin de vibrer à l'unisson (Rouland 1993 : 214). Nos systèmes juridiques nationaux sont confrontés de plus en plus à l'interculturalité à travers les migrations provenant de cultures différentes et qui prennent un caractère définitif et aussi à travers des intégrations régionales telle que la construction européenne. Il faut apprendre à vivre cette diversité émergente, ce pluralisme qui imprègne de plus en plus nos vies. Et il faut apprendre à le faire dans une optique de Paix fondé sur le respect, le partage et le dialogue pour éviter que l'on ne tombe sous prétexte de respect de la différence culturelle dans le ghetto des particularismes, où sous prétexte d'un universalisme négateur de différences dans l'exclusion, voire l'élimination, de l'autre « génant », car ne voulant pas s'assimiler à soi-même. En même temps que défis, l'interculturalité et la paix apparaissent aussi comme des symboles qui peuvent aujourd'hui être partagés et donner un sens, une orientation à notre vivre ensemble et qui pourraient constituer le fondement pour l’émergence du « respect » comme valeur fondamentale de nos interactions dans un monde qui devient de plus en plus complexe et instable (voir Badie 1995).

La question se pose alors de savoir ce qu'impliquent ces défis par rapport à notre pensée du Droit et ce que recèlent ces symboles pour de nouvelles approches. À prime abord, il semblerait que les bougés de notre organisation juridique classique, pyramidale, fondée sur une logique d'exclusion des contraires et des causalités linéaires, et organisant notre vivre ensemble à partir d'un point de fuite unique à partir duquel se projette l'ordre social sur un espace social homogène, et l'émergence d'approches en termes de réseau aillent dans le sens des défis que nous avons explicités : le paradigme du réseau ne permet-il pas de prendre en compte les multiples acteurs du droit et leurs interactions, ne permet-il pas de mieux rendre compte de la complexité du réel et du paradigme de l'altérité qui le sous-tend ? Oui, il le permet. Ne semble-t-il pas plus dialogal que la représentation pyramidale d'une chaîne de commandement ? Certainement. Mais il nous faut relever des réserves. Tout d'abord nous devons noter le danger que comporte ce paradigme séduisant de masquer notre vue sur des phénomènes extrêmement importants pour une réflexion du Droit centrée autour des problématiques interculturelles : l'émergence d'approches alternatives interculturelles  aux modèles juridiques contemporains risque de se trouver occulté et bloqué par le paradigme du réseau qui peut donner l'impression de répondre déjà à ces interrogations de par son caractère systémique englobant. Puis il faudra s'interroger sur la question de l'émergence d'« états de Droit », compris au sens interculturel comme situations de Droit , et aux paradigmes qui peuvent permettre de les penser, une fois que l'on est convaincu que le changement de perspective de la pyramide au réseau, interne au système juridique compris dans son sens positiviste n'est pas suffisant.  

Premièrement, le paradigme de réseau tel que proposé par François Ost et par Michel van de Kerchove (2002) part explicitement du système juridique compris dans son sens strict, et continue ainsi à rester à nos yeux profondément enraciné dans une vision d'une part occidentale du Droit et d'autre part systémique de la réalité, même s’il nous semble qu’à travers l’approche dialectique mise en œuvre, la perspective sur le droit de ces auteurs est beaucoup plus ouverte que celle d’une grande majorité des théoriciens du droit . Cet enracinement nous pose problème par rapport à une réflexion interculturelle de notre vivre-ensemble dans un horizon de Paix. En effet, si tout Droit est sous-tendu par une vision du monde dans le sens que la dernière influe sur la façon dont les différentes sociétés pensent et organisent leur reproduction et la résolution de leurs conflits, toute conception du Droit véhicule aussi cette vision du monde. Droits et visions du monde sont dans une relation dialectique, l'un ne précédant pas l'autre, mais les deux se soutenant mutuellement et s'influençant mutuellement (voir Eberhard 2000 : 153 ss). Le problème qui apparaît dès lors qu'on essaie de réfléchir aux problématiques de l'interculturalité à partir du paradigme du réseau est que tout en nous donnant l'impression d'une vision englobante de la réalité juridique dans toute sa complexité, nous ne sortons en fait pas du « juridique » tel que compris dans les sociétés modernes occidentales. Nous ne nous ouvrons ni aux réalités juridiques non-occidentales incontournables dans toute réflexion sur le Droit dans des contextes non-occidentaux où le transfert des modèles institutionnels européens a démontré sa faillite, ni aux droits vivants, aux droits de la pratique, existant dans nos propres sociétés. Et ainsi nous ne nous donnons pas vraiment les moyens de penser l'émergence d'alternatives au Droit contemporain qui serait plus apte à prendre en compte les défis de l'altérité, de l'interculturalité, mais aussi d'un certain pragmatisme, ou d'une praxis juridique accrue de tous les citoyens (voir Eberhard 2002). Ce premier constat de difficulté se double d'un deuxième : celui du caractère « envahissant » du modèle du « réseau » qui peut susciter l'impression d'une nouvelle manière de mieux comprendre la complexité de notre réel social et de sa reproduction. En effet, le paradigme juridique du réseau n'est qu'une facette de la montée d'une « pensée en réseaux » qui s'opposerait à des pensées antérieures plus linéaires, moins complexes. Elle peut donner l'impression d'être plus holiste que les approches plus classiques. Cependant, à nos yeux elle reste profondément enracinée dans une vision systémique de la réalité - elle permet uniquement de mieux éclairer nos problématiques à partir d'une perspective en continuité avec notre modernité et de rendre compte des nouvelles problématiques qui émergent à l'intérieur de notre vision du monde. Mais elle ne permet pas de nous ouvrir, ce qui semble de plus en plus incontournable, aux expériences non-modernes faisant partie de notre monde . Selon les analyses de Georges Balandier (2001 : 51-52) que nous partageons, nous pouvons même affirmer que l'émergence du « grand système » mondial et de ses réseaux transforme profondément notre perception de l'altérité. Cette dernière se définit de plus en plus « abstraitement ». Lorsque nous parlons d'altérité nous ne parlons plus de l'expérience d'altérité entre personnes et cultures enracinées dans des topois différents et du dialogue qui peut en découler mais nous raisonnons implicitement en termes d'altérité, plus ou moins grande, de toutes les cultures par rapport au « grand système », celui de la globalisation profondément marquée par une pensée moderne et libérale. De fait, se trouve ainsi évacuée toute interrogation et toute réflexion sur une véritable interculturalité puisqu'on mesure des distances respectives par rapport à un modèle type, un point de fuite (et d'une certaine manière sommes nous là dans une représentation pyramidale), et qu'on néglige d'aborder les divers topoi culturels existants et leurs représentations du monde et du vivre-ensemble (diatopisme) et la question de leur mise en dialogue (dialogisme). Dans la même veine, dans la cadre de ce paradigme, voire mythe, du « grand système » on voit les réseaux avant tout comme des réseaux entre « individus » dans un espace finalement assez homogène. La pensée en réseaux serait l'aboutissement d'un pensée libérale fondée sur l'autonomie de l'individu et son émancipation de sa communauté d'appartenance d'origine à travers son tissage de réseaux divers avec divers mondes. Or, comme nous le verrons, il y a une manière plus « traditionnelle » de voir le « réseau » : c'est justement celle découlant du point de vue que tout être humain est un nœud de relations dans l'étoffe du réel, qu'il est le nœud de fonctions diverses qu'il doit remplir et qui l'insère dans divers réseaux sociaux, mais aussi naturels, voire cosmiques .

Passons maintenant, après cette première réserve, à une seconde qui elle a plus trait à une réflexion sur des paradigmes possibles pour repenser nos états de Droit à l'aune des défis de l'interculturalisme (et donc du pluralisme) et de la Paix. Le paradigme du réseau tel que développé par François Ost et Michel van de Kerchove, même s'il n'est pas purement descriptif mais contient aussi des intuitions axiologiques, ne parvient pas à lui seul à répondre aux questionnements qu'il suscite par rapport aux réflexions sur l'émergence de nouveaux états de Droit intégrant profondément l'exigence de respect de l'altérité et du dialogue : si on avait des théories sur l'autorité, la légitimité, la responsabilité dans le domaine pyramidal, que deviennent ces réalités dans un paradigme résauique qui semble avoir tendance à diluer ces notions par son emphase sur la complexité, les enchevêtrements multiples, les effets de rétroaction ? Ce que l'on semble gagner dans l'adéquation de la description, on semble le perdre dans la clarté de ce qui est censé assurer une certaine sécurité juridique ou un « état de Droit » qui permettrait la sécurisation de tous les acteurs sociaux dans leurs rapports mutuels. Il nous semble qu'il peut être heuristique, à travers une perspective d'anthropologue du Droit pour qui le système juridique va au-delà de celui constitué par le droit positif, et pour qui « l'état de Droit » ne se résume pas à l'institution juridique de l'Etat de Droit, d'essayer de déceler ce qui pourrait se cacher derrière le changement paradigmatique de la pyramide et du réseau, et ceci en proposant un détour par d'autres cultures juridiques de notre monde. Ceci permettrait d'éclairer la notion de réseau comme paradigme théorique pour la compréhension des systèmes juridiques compris dans leur sens sociologique . Ce qui permettrait d'apporter des éclairages par rapport à la question de réalisation d'états de Droit dans nos contextes contemporains devant intégrer les exigences de l'interculturalité et de la Paix. Notons d'ailleurs que si nous parlons pour l'instant ici de « système juridique » dans son sens élargi sociologique en suivant André-Jean Arnaud (Arnaud et Dulce 1998), ce n'est pas que nous partageons l'analyse systémique. C'est juste pour montrer comment on peut ouvrir le réseau comme paradigme explicatif des systèmes juridiques à des points de vus plus sociologique et anthropologique en ouvrant la notion de système juridique à une acceptation plus large. Et il nous semble que des études liant l'analyse en termes de réseaux à ceux du systèmes juridiques compris au sens sociologique pourrait se révéler fort fructueuses pour une théorie sociologique du droit. Cependant, par rapport à notre démarche qui tourne essentiellement autour de la problématique de l'interculturalité et de son approche pacifique, même un tel élargissement du système juridique nous paraît en dernier analyse piégeant et nous préférerons la métaphore de « grand jeu social de la juridicité » pour reprendre les pistes lancées par Étienne Le Roy pour repenser le Droit à partir de nos vies société au lieu de le penser en partant du droit, voire de penser nos sociétés à partir du droit (1999 : 177 ss) .

Voilà exposé deux défis qui appellent à un décentrement de nos perspectives pour pouvoir dégager de nouvelles pistes de réflexion et positivement contribuer à une réflexion interculturelle sur le Droit dans une optique de Paix. Pour effectuer ce décentrement il nous paraît heuristique de faire un détour par des sociétés dont la vie juridique est basée sur des représentations du cercle. En effet, si pour nous le paradigme du réseau a émergé du paradigme pyramidal qui se révélait de plus en plus incapable de rendre compte adéquatement de phénomènes de bouclages, de circularité etc., d'autres sociétés, connaissent aussi les réseaux mais entendus de manière différente de la nôtre, sont fondées sur des visions explicitement circulaires et pour certaines ont même le cercle comme symbole central. Comment apparaît notre paradigme du réseau à travers le regard de sociétés dont toute l'organisation est explicitement fondée sur le symbolisme du cercle, et donc sur la circularité plutôt que sur la linéarité, sur l'inclusion plutôt que sur l'exclusion des contraires, sur l'harmonie des différences plutôt que sur leur opposition ?

Nous nous proposerons dans les pages suivantes d'accompagner le lecteur dans un double décentrement. Tout d'abord nous nous intéresserons aux cultures juridiques des nations autochtones amériendiennes qu'on peut voir comme exemples types de sociétés fondées sur le cercle. Ceci nous permettra outre de nous familiariser avec leur culture juridique et une vision du cercle, de prendre conscience des défis qui se posent dans toute la problématique de nos relations avec les peuples autochtones de notre planète. Si les intégrations régionales, telle la construction européenne, on fait irrémédiablement basculer nos systèmes juridiques de la pyramide au réseau par l'enchevêtrement de systèmes juridiques multiples et pas clairement hiérarchisés, la reconnaissance des droits des peuples autochtones nous mène encore plus loin, puisque c'est avec des cultures juridiques entièrement différentes qu'il faut entrer en dialogue. On se trouve là en présence de la rencontre entre « pyramides » (droit moderne des États Nation, du droit international) et cercles (les cultures juridiques autochtones). Si on assiste dans la rencontre à une résauification nécessaire des pyramides en présence, on peut se demander si on ne pourrait pas essayer d'aller encore plus loin et de voir ce que nous pourrons apprendre des représentations en termes de cercle. Notre culture juridique moderne n'est pas l'horizon ultime de notre vivre ensemble et par rapport à nos problématiques contemporaines il peut être fructueux de s'ouvrir au dialogue avec des conceptions radicalement différentes. D'un point de vue occidental, il s'agit comme le préconise Étienne Le Roy (1999) de s'engager dans une démarche transmoderne approchant nos Droits contemporains en articulant le prémoderne, le moderne et le « postmoderne » en émergence. D'un point de vue interculturel, il s'agit de reconnaître avec Raimon Panikkar (1984 : 3) que de nos jours nulle culture ne détient à elle seule les solutions pour organiser notre vivre ensemble et que nous devons donc forcément nous engager dans un dialogue interculturel pour dégager de nouveaux horizons et pour nous permettre d'inventer de nouvelles formes du vivre -ensemble. Pour cette invention, nous ferons ensuite un second détour par le Tibet et son système juridique traditionnel afin de compléter notre première approche. En effet, le système traditionnel tibétain, à la différence des cultures juridiques amériendiennes, connaît aussi un droit écrit et une distinction entre droit religieux et laïque, ainsi qu’un gouvernement et une bureaucratie centralisée. Il allie cercle et pyramide puisque tout en étant fondé sur le symbolisme circulaire du mandala, il comporte aussi des éléments hiérarchiques. Il nous permettra ainsi de nous ouvrir à des conceptions de hiérarchies très enchevétrées et « bouclées » et permettra de dégager quelques éléments sur les notions de légitimité, d'autorité dans des contextes où il existe une distinction entre laïque et religieux et où coexistent des représentations circulaires et hiérarchiques dans la vision du monde et du Droit. Nous bouclerons ensuite notre boucle en tentant de dégager de nos pérégrinations des pistes pour repenser nos Droits à la hauteur des défis de l'interculturalisme et de la Paix et en harmonie avec ces deux symboles.


1. À la découverte du Cercle avec les Haudenosaunee ou Iroquois

Nous commencerons par donner une première vision du cercle de la Grande Paix avant de nous lancer dans une comparaison plus poussée entre cultures juridico-politiques Haudenosaunee et moderne ce qui nous permettra aussi d’éclairer la rencontre de ces deux cultures par rapport à la question de la « reconnaissance des droits des peuples autochtones ».


1.    Premières approches du cercle de la Grande Paix

Les Haudenosaunee , ou Iroquois comme les nomment les français, forment le peuple de la Maison Longue qui habite l'Île de la Tortue ou ce que nous appelons le Canada. Elle regroupe toutes les communautés qui font partie de la Confédération des Six Nations et qui se réclament d'une façon ou d'une autre de la Grande Loi de la Paix (Kayanerekowa : la Grande Beauté) qui « consiste en ce que tous les êtres soient d'un même esprit ou sentiment, c'est-à-dire bras liés dans l'équilibre et l'harmonie du cercle de la vie. » (Vachon 1991 : 13). La Grande Paix, sans se résumer à ce rôle, est la constitution des Haudesaunee. Elle est transmise de manière orale et est récitée. Écoutons Kai-en-ta-ron-kwen (Ernie Benedict) qui nous la fait partager (1982 : 39-40)  :

« La constitution des Etats-Unis est une constitution écrite. Celle des Iroquois est récitée. Le préambule de notre constitution mentionne un personnage appelé shaman qui porte de nos jours le nom de Pacificateur. Plusieurs Iroquois parlent de ce ‘Pacificateur’ comme de celui qui a donné la loi au peuple iroquois. Chose curieuse, ce pacificateur n'est originaire d'aucune des cinq Nations Confédérées . Il est Huron de naissance, et les Hurons, même à cette époque, étaient traités avec mépris par les Iroquois. Et c'est de cette tribu méprisée qu'est issu le Législateur qu'on nomme Tekanawita. Les gens qui respectent la fédération l'ont surnommé le Pacificateur. C'est ainsi que nous l'appelons et nous n'employons pas son nom. Je l'appellerai donc le Pacificateur.

‘Je suis le Pacificateur. Avec les leaders de la Ligue des Cinq Nations, je plante l'arbre de la Grande Paix. Je le plante sur votre territoire, le tien Atotarho, et celui des Onondagas : sur votre territoire à vous qui êtes gardiens du feu. Sur ce territoire nous plantons l'Arbre de la Grande Paix. A l'ombre de cet Arbre de la Grande Paix, nous répandons le duvet blanc du chardon en guise de siège pour toi, Atotarho, et pour tes cousins leaders. Là vous siégerez pour veiller au Feu de la Ligue des Cinq Nations. Toutes les affaires de la Ligue seront traitées à cet endroit devant vous, Atotarho et vos cousins leaders, par les leaders de la Ligue des Cinq Nations.

Des racines sont sortis de l'Arbre de la Grande Paix, l'une vers le Nord, l'autre vers l'Est, une troisième vers le Sud et une quatrième vers l'Ouest. Ce sont les Grandes Racines Blanches, et leur nature est la Paix et la Force. Tout homme ou toute nation qui veut suivre les lois de la paix devra suivre ces racines jusqu'à leur source et il sera invité à trouver asile sous l'Arbre.

À côté du Conseil gardien du feu, nous plaçons une aile de goéland, ainsi qu’une baguette et un bâton. Le gardien du feu veillera à garder propre l’espace qui entoure le feu du conseil. Il ne laissera aucune étincelle se poser sur quiconque est assis près de ce feu. L’aile de goéland lui permettra de chasser toute étincelle qui tomberait de ce côté. Le feu du Conseil ne sera pas alimenté de bois de châtaignier parce qu’il fait trop d’étincelles.

Nous nous asseyons en cercle sur le sol pour que personne ne soit plus élevé que les autres. Et nous entrelacerons nos bras si fort que même si le Grand Arbre venait à tomber, il ne briserait pas le cercle. Puissiez-vous garder intact le cercle des Cinq Nations. Si un homme ou une nation cherchait à obéir à la loi d'une autre nation, il lui serait permis de se glisser à travers les bras entrelacés et d'être appelé : ‘Celui-qui-est-passé-outre’. Il devrait laisser à l'intérieur du cercle toutes ses possessions et ses insignes de fonction et il devrait fuir du cercle, nu. (…) Chacun des chefs du conseil doit avoir une peau qui a sept doigts d'épaisseur, car il doit être à l'épreuve des attaques qui lui viennent de sa propre communauté. Mais il doit constamment crier aux gens ces paroles : ‘Prenez garde que la Grande Paix ne soit menacée.’ Gardez dans votre cœur et votre discours les buts de la Grande Paix’. Maintenant nous allons déraciner le plus grand arbre et dans le trou ainsi obtenu, nous allons jeter toutes les armes de guerre. Nous allons les ensevelir pour toujours et replanter l'arbre. Ainsi sera établie la Grande Paix pour toujours. »

Il apparaît clairement que le vivre-ensemble des Six Nations n’est pas fondé sur la mythologie d’un pouvoir supérieur auquel elles devraient abandonner leurs pouvoirs et face auquel elles se trouveraient toutes désarmées et donc égales. Plutôt que de s’en remettre à un pouvoir  supérieur, à l’instar du Léviathan de Hobbes et de s’inscrire dans une matrice pyramidale caractéristique de notre façon moderne de penser l’État c’est vers le symbolisme du cercle qu’elles se tournent pour penser leur cohabitation harmonieuse. Dans le cercle tous sont égaux. Nul ne peut imposer sa volonté aux autres. La cohésion du Cercle vient de l’imbrication des uns avec les autres (l’entrelacement des bras) et de tous avec l’harmonie cosmique plus vaste. Le vivre-ensemble est basé sur l’interdépendance de tous, qui suppose aussi le respect de la différence de chacun et de son ontonomie. Le centre du Cercle est constitué par la Grande Paix. C’est ce centre transcendant, véritable lien entre la Paix cosmique à la Paix humaine qui constitue l’autorité et donne un fondement solide à l’harmonie entre les humains, à la « Grande Paix » humaine . On voit que par rapport à l’approche étatiste, la Paix est perçue de manière fort différente. Dans nos conceptions c’est le droit, l’ordre, qui sont supposés assurer la Paix. Or chez les Mohawk , le système politique est fondé sur Kayanerekowa, la Grande Loi de la Paix qui n’est pas de facture humaine. C’est littéralement « ‘le Grand Beau’, ‘la Grande Harmonie’, ou ‘l’ordre de la nature’, ‘les dispositions de la Grande Harmonie’ communément appelés ‘dispositions du créateur’ (ra we ron ne sonkwaiatison : littéralement, ‘Il a pensé/ordonné (le) celui qui a fait notre corps intègre ou qui a complété notre corps tout entier.’ » (Vachon 1992 : 7). Si on peut dire que dans nos approches modernes notre conception de la Paix est informée par le mythe juridique de la loi qui assure l’ordre et donc la paix, dans les conceptions amériendiennes c’est la Paix, la grande harmonie qui constitue le mythe dans lequel s’inscrit leur Droit . Le problème des amériendiens n’est pas de réaliser un ordre dans un monde qui est perçu comme chaotique, mais plutôt de veiller au maintien d’une harmonie cosmique préexistante. Le maintien de l’harmonie prime ainsi les autres considérations, même celle de « régler un conflit ». Oren Lyons (1994 : 69-70) l’illustre bien dans son témoignage :

« Nous sommes les Haudenosaunees. Ce mot signifie ‘le Peuple-de-la-Longue-Maison’. Il est composé de six nations. Nous sommes tous égaux, tous souverains. Et nous formons une confédération. Nous recherchons la paix, pas la guerre… Pour discuter de la guerre ou de la paix, ou d’autres questions importantes, nous nous asseyons et prenons ensemble des décisions. Nous n’obéissons pas à une autorité unique. Nous ne votons pas. Nous n’arrétons une ligne de conduite que lorsque nous sommes tous d’accord, et nous disposons d’une procédure pour parvenir à cette unanimité. Notre Feu Central a trois côtés. Nos frères les plus anciens, les Senecas et les Mohawks, siègent d’un côté ; nos frères les plus jeunes, les Oneidas, les Cayugas et les Tuscaroras, se tiennent en face d’eux ; et au centre se trouvent les Onondagas, les gardiens du Feu Central. De chaque côté du feu, un porte-parole s’exprime au nom de tous ceux qui sont assis avec lui. Quand un problème nous préoccupe, il est exposé par ce que nous appelons la ‘Source’. Chaque côté en débat librement et propose une solution. Son porte-parole la communique à la source, qui la modifie afin qu’elle soit en conformité avec les propositions des autres côtés, puis soumet le résultat à chacun des trois côtés pour qu’ils en discutent de nouveau. Ce va-et-vient se poursuit jusqu’à ce que la solution envisagée fasse l’unanimité. Il s’agit d’une très vieille méthode indienne de gouvernement. Elle exige une totale unité de décision. Elle demande beaucoup de temps, mais une fois prises, les décisions sont fermement appliquées. Quand nous ne parvenons pas à résoudre un problème, nous en reportons l’examen à une session suivante. Si, au bout de trois conseils, l’unanimité n’a toujours pas été atteinte, le Tadodaho - le chef onondaga qui assure la présidence - suggère un compromis. Mais si la question continue, malgré cela, d’être un point de discorde, alors le Tadodaho clôt les débats en annonçant : ‘Nous ne la résoudrons pas du tout’, car il n’existe aucun problème au monde qui soit assez important pour créer des divisions entre nous. Le Pacificateur, qui fonda notre confédération, nous a dit que nos esprits ne devaient faire qu’un . Ce conseil vaut pour notre époque … et pour toutes les autres. »

Notons que le cercle de la Grande Paix, la « chaîne des bras liés » ne se limite pas à la Confédération des Six Nations mais s’est doublé dans l’histoire iroquoise d’un système d’alliance de la famille étendue entre la Confédération des Six Nations et les autres Nations autochtones et européennes. « Dans les deux cas, il s’agissait d’alliances parentales qui se voulaient à perpétuité mais qui avaient besoin d’être réaffirmées et purifiées périodiquement par un rituel. » (Vachon 1993a : 28). Donnons un bref aperçu de la dynamique d’alliance avec les nations européennes qui débuta au dix-septième siècle (voir Vachon 1993a : 34 ss) pour nous introduire aux différences entre les conceptions des Haudenosaunees et celles européennes que nous approfondirons ensuite de manière plus systématique .

Dans la conception Mohawk, la Paix ne se conçoit pas malgré, mais dans et à cause de nos différences. L’alliance de Paix où Guswenta qui a ses origines dans une première alliance avec les Hollandais en 1628 et qui continue à être pour les Haudenosaunees à la base de leurs relations diplomatiques avec les nations occidentales (Vachon 1993 : 42) ne s’éclaire à nos yeux que si nous percevons son arrière-fond, celui du cercle de la Paix qui est aussi celui de la vie  : « Tous les êtres, qu’ils soient humains ou non, sont parents et forment une famille. La terre est la mère de tous, la lune est la grand-mère, les vents sont les grand-pères, les autres Nations sont les petits et grands frères, les cousins etc. (…) L’ordre social tout entier est basé non sur des droits mais sur le devoir qui vient de la nature, à savoir, découvrir et suivre la place qui est assignée à chaque élément du cercle par les dispositions du Créateur et inscrite dans la nature des choses. » (Vachon 1992 : 8-9). Ainsi l’alliance avec les européens prît la forme du Guswenta, ou Wampum (traité) à deux rangs ou à deux sentiers qui reconnaissait explicitement les différences de modes de vie de chaque culture et qui était fondé, dans la perspective des Haudenosaunees, sur la boucle sacrée ou le cercle de la non-gouvernance où aucune nation n’est supérieure aux autres (Vachon 1993 : 30-31, 40). De par leur vision du monde, la Chaîne de l’alliance ne devait en principe exclure aucune nation autochtone ni européenne, ni d’ailleurs forcément les regrouper toutes. La logique du cercle de non-gouvernance permettait aussi sans problème de s’allier avec les nations les plus diverses, sans que ceci soit lié à un quelconque essai d’unification et d’uniformisation de l’espace politico-juridique (Vachon 1993 : 32-33). L’image employée était celle de la barque et du bateau naviguant côte à côte, chacun suivant son propre cours.

Cependant du point de vue européen, la « Chaîne de l’alliance » ou « chaîne de l’amitié » était perçue très différemment révélant d’autres mythes fondateurs du lien politico-juridique. Elle était tout d’abord perçue comme une alliance seigneuriale entre d’un côté un roi européen et de l’autre ses loyaux sujets, les nations autochtones (Vachon 1993 : 33). Cette logique hiérarchique et pyramidale a continué à subsister jusqu’à nos jours en niant complètement la perspective de l’alliance avancée par les Haudenosaunees. Elle a abouti à la mise en place d’États-Nations modernes en Amérique du Nord qui, après avoir nié toute existence juridico-politique aux peuples autochtones, commencent à s’ouvrir aux revendications des peuples autochtones, mais tout en restant profondément ancrés dans des perceptions pyramidales modernes. Les peuples autochtones sont perçus avant tout comme faisant partie de l’État-Nation du Canada ou des États Unis auquel ils sont intégrés. Ce n’est que l’État-Nation qui peut leur conférer des droits et les reconnaître. Si à travers une certaine reconnaissance des droits des peuples autochtones on semble s’ouvrir à un système juridique plus pluraliste, plus ouvert, évoluant d’une pyramide d’imposition à un « réseau d’échanges » entre systèmes juridiques  différents, occidentaux et autochtones, on reste loin d’une véritable reconnaissance prenant en compte la vision du cercle de non-gouvernance et de Paix. En effet, comme continuent à le dire les Haudenosaunees (cités dans Vachon 1993 : 37) :

« Nous ne sommes pas citoyens des États Unis ou du Canada. Nous ne sommes pas sujets de, (ni soumis à) vos lois. Nous sommes des frères et des sœurs qui avons conclu une alliance parentale et d’amitié éternelle fondée sur le Wampum à Deux Voies quand nous vous avons accueilli pour partager cette terre avec nous dans le respect mutuel de nos cultures : demeurant, vous dans votre navire, et nous dans notre canot, unissant nos bras pour toujours. »


Apparaît ici le phénomène que nous annoncions dans notre introduction : si l’émergence de réalités et de pensée en réseaux correspond effectivement à une ouverture dialogale au réel et à la complexité à partir de l’intérieur de notre système (dont le point de départ est et demeure profondément pyramidal) , nous restons cependant enfermés à l’intérieur de ce système et nous ne nous autorisons pas vraiment à dialoguer avec les cultures juridiques autochtones, de manière authentiquement dialogale, c’est à dire en prenant au sérieux leurs topois culturels et leurs mythes fondateurs différents et en acceptant au cours du dialogue de changer nos propres cadres conceptuels voire de nous enraciner dans un nouveau mythos . Et ainsi nous ne nous donnons pas les moyens de réfléchir à une approche véritablement interculturelle et dialogale de nos Droits dans ce contexte (voir Eberhard 2001, Vachon 1995a,b &c). Le moment semble donc venu de mettre brièvement en contraste les points les plus saillants entre les approches autochtones fondées sur le Cercle et celles occidentales qui restent fortement marquées par la pyramide.


1.2. Mise en contraste des modèles fondés sur le cercle et la pyramide, des cultures politiques mohawk et occidentale

1.2.1. Harmonie / Ordre

Tout d’abord nous devons noté que si la culture occidentale est fondée sur l’idée d’ordre, celle des Mohawk tourne plutôt autour de celle d’harmonie. Dans la vision occidentale qui s’inscrit dans un archétype de soumission (Alliot 1983 : 98 ss) la cohésion de l’univers est vu avant tout par sa soumission aux lois de son créateur - il y a déjà dès l’origine la vision que le monde n’est pas parfait mais qu’il doit être redressé, remis en conformité avec un ordre supérieur. Avec les Lumières et le recentrage anthropocentrique de notre culture, c’est l’Homme à travers sa Raison qui est devenu le principal acteur de la réalisation de l’ordre du monde. Comme le note Zygmunt Bauman (1993 : 4 ss), dans leur acceptation moderne qui continue à nous marquer profondément, « ordre » et « chaos » ont émergé ensemble comme deux jumeaux nés d’une situation où la question de notre vivre-ensemble est devenu avant tout un problème rationnel à résoudre. Et on peut interpréter la modernité comme une croisade contre l’ambivalence et le « désordre », comme l’essai de s’acheminer vers une transparence complète du réel qui permettrait aussi son organisation sociale parfaite (Bauman 1993 : 1 ss). On peut la voir aussi comme la passage de « cultures sauvages » où le monde était accepté tel qu’il se présentait naturellement à des « cultures de jardinage » où il devenait primordial de corriger les insuffisances du monde, de redresser « l’état de nature » pour le civiliser et le rendre conforme à la Raison (Bauman 1989 : 51 ss). Ce sont ces représentations qui fondamentalement sous-tendent toute vision systémique de notre vivre-ensemble et de notre Droit, que ces systèmes prennent des formes plus pyramidales circulaires ou résauiques .

Dans la vision Mohawk, le monde ne constitue pas au départ un problème à résoudre. C’est un mystère à vivre et à découvrir. Le monde est fondamentalement harmonieux. On l’appelle le « Grand Beau », la « Grande Harmonie » (Vachon 1992 : 5). « La vie est un cercle centré, un cercle sacré, un cercle divisé en quartiers. Cela signifie qu’elle est un tout composé de parties.(…) Tout est dépendant l’un de l’autre. Chaque partie reçoit et donne constamment à l’intérieur du tout. L’action de chaque partie est affectée par et, au même moment, affecte toutes les autres parties. C’est seulement lorsque chaque partie remplit son rôle propre en rapport avec les autres, qu’il est possible de maintenir le cercle sacré. C’est cette ‘vision du monde’ qui donne aux sociétés traditionnelles leur sens du bien et du mal, du bon et du mauvais, etc. » (Newberry 1982 : 29). Mais le bon et le mauvais ne s’opposent pas mais sont interdépendants comme le jour et la nuit, le masculin et le féminin. Il s’agit donc pour les Mohawk non pas tellement de réaliser un ordre que de s’harmoniser à une Réalité harmonieuse préexistante. Et il serait inadéquat de réfléchir a leur manière de vivre-ensemble en terme de réalisation d’un ordre (voir aussi Vachon 2000 : 11-12).

Il est peut-être aussi utile de noter ici que si l’Occident met l’accent sur l’œil et sur le visible, les Mohawk accordent plus d’importance à l’ouïe et à l’invisible. Pour le premier, ce qui prime c’est l’exigence de clarté, le logos, la compréhension, la connaissance. Pour le second, l’important est d’être à l’écoute du mystère et « le rôle le plus prestigieux dans le cercle mohawk, c’est d’être capable de parler la Grande Parole, c’est-à-dire le Grand Beau » (Vachon 1992 9) qui ne peut d’ailleurs en dernière analyse jamais complètement exprimée par la parole humaine ou l’écriture mais reste toujours dans le domaine du Mystère.

1.2.2. Kosmophanie / Démocratie

Le systèmes politiques modernes sont fondés sur l’idée de démocratie qui est de nature pyramidale : il y a une distinction entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, les derniers se trouvant à la base de la pyramide étatique et les premiers à son sommet. Par les élections les gouvernés sont supposés participer à leur gouvernement et apparaît ainsi un système de bouclage. En effet, malgré l’institution pyramidale du pouvoir, l’idée de la démocratie est celui du gouvernement par le peuple. Ainsi, bien que pyramidal, le système apparaît alors en fait comme un réseau avec un sommet explicite, le gouvernement, et un sommet implicite qui justifie l’existence du sommet explicite et lui donne sa légitimité et qui est, paradoxalement, la base de la pyramide du gouvernement, le peuple. Cette vision s’inscrit de plus dans une vision associative et sociétale  du vivre-ensemble : on part de l’idée d’individus autonomes qui s’associent en société par un « contrat social » et on est donc dans le registre de relations d’échange, de contrat, de traité, de pacte, de fédération, de coalition etc.

Pour les Mohawk, la vision est différente. Tout d’abord leur culture politique ne se restreint pas aux êtres humains mais se base sur une notion plus large du cercle de la vie incluant le peuple des poissons, des arbres, des oiseaux etc. Puis, leur culture politique n’est pas basé sur le kratein ou gouvernement d’un être sur un autre. Elle est fondamentalement inscrite dans le Cercle de non-gouverne auquel nous reviendrons et qui est lié à leur perception ontonomique d’eux-mêmes et de la réalité. On pourrait donc qualifier leur culture politique comme « Kosmophanique ». « Kosmos avec un ‘K’, renvoie à toute la parenté (humaine et non-humaine) ; phanique (du grec phanein, briller, manifester) renvoie au kosmos, comme étant l’expression ou la manifestation de la réalité dans toutes ses dimensions, laquelle en Mohawk on nomme le Grand Beau. L’univers ou kosmos ne gouverne pas à strictement parler, car chaque chose, dans la cosmologie mohawk est une dimension constitutive du Tout qu’est la Réalité. Qu’il y ait quelqu’un qui commande et gouverne les autres comme sujets est étranger à la tradition mohawk. » (Vachon 1992 : 6-7). Si le système politique occidental est basé sur des lois humaines, qu’il est anthropocentrique, celui des Mohawk a une assise cosmique, la Kayanerekowa, ou Grande Loi de la Paix, et est donc cosmocentrique. En découle que si nous voyons nos lois comme moyen de réaliser des « projets de société » , dans le contexte Mohawk la liberté consiste justement à vivre pleinement les dispositions inscrites dans la nature des choses. Aussi, les Mohawk ne se voient pas comme societas. Ils se voient comme une communauté qui ne s’est pas constituée par choix humain, mais provient des « dispositions de la Nature ou du Grand Esprit » et qui est une communauté de parenté. Comme nous l’avons déjà noté plus haut, toute la Création est vue comme faisant partie de rapports de parenté et la Nation mohawk en est une partie bien spécifique ayant son propre rôle à jouer dans le Tout.


1.2.3. Le cercle de la non-gouverne / La pyramide de la gouverne

Dans la vision occidentale, toute conception d’ordre et de politique repose sur un principe de gouverne. Princeps signifiant premier, prince, principal et gubernium signifiant gouvernail on entend par là ce qui « définit, organise, décide, dirige, ordonne, commande, dicte, contrôle, punit. Ce principe peut être interne ou externe ; il peut être Dieu par rapport à l’Homme, l’Homme par rapport à la nature, une société ou une Nation particulière par rapport à une autre, un groupe particulier par rapport à un autre (…) l’ordre procède d’un principe gouverneur. (…) L’ordre social n’est pas un donné, c’est une création par un principe qui ordonne et gouverne. (…) Tout doit être autorisé par une autorité externe ou interne, par exemple la loi, ma décision autonome, le principe d’autonomie. (…) Il faut toujours une justification, un titre, une raison ; chaque chose doit être intelligible, autrement elle n’a aucune existence valide. Tout doit être valide, protégé. » (Vachon 1992 : 9-10).

Le cercle de non-gouverne des Mohawks est fondé sur des présupposés forts différents dont celui essentiel de non-interférence. On pourrait dire que c’est un cercle de confluence, de partage et d’harmonisation fondé sur la non-interférence qui est elle-même basée sur le principe d’ontonomie. L’ontonomie (de nomos, loi et on, l’être) n’est ni autonomie où les lois externes sont rejetées chacun étant sa propre loi, ni hétéronomie où chaque sphère d’existence dépendrait d’une spère supérieure. Elle réfère à la « régularité interne de quelque être que ce soit dans sa relation constitutive au tout (du Réel) dont il est membre » (Vachon 1995b : 26) . C’est bien une position originale et non pas un simple compromis ou juste-milieu entre l’hétéronomie et l’autonomie. Chaque personne ou culture est perçue comme existant dans la  mesure où elle participe au Tout et lui permet de s’exprimer à travers elle. Ainsi, dans les relations entre cultures autochtones et occidentales, par exemple, les deux sont perçues comme deux dimensions d’une seule et même réalité, d’un seul cercle, « chacune d’elle étant incomplète, voire fausse, dès qu’elle réclame pour soi une sphère séparée, indépendante, souveraine, ou le cercle tout entier. » (Vachon 1995b : 27). Dans cette conception la vie est un cercle sacré où personne n’a autorité sur l’autre et où il est inconcevable qu’un être humain gouverne, dirige ou commande un autre. On ne trouve donc pas vraiment chez les Mohawks des « chefs » ou des « gouvernants ». Leur équivalent homéomorphe serait le Roiane, littéralement « un homme bon » qui ne « représente » pas le peuple au sens occidental mais est le symbole et le porte-parole de tout le peuple, du Grand Beau de l’arbre de la Paix. Les rotiiane ne sont pas élus. Ils sont mis en place par un consensus des mères de clan d’abord, du clan ensuite, puis de la Nation et enfin de la Confédération des Six Nations. Leur rôle n’est pas d’exercer un pouvoir de décision mais de rappeler l’état des choses telles qu’elles sont et ont toujours été. Ils sont à la fois symboles politique et spirituel et il leur incombe de dire officiellement le Grand Beau, la Nation et le Peuple, de faire les cérémonies pour célébrer le Grand Beau et maintenir ainsi l’harmonie du cercle selon la tradition et d’être les interprètes officiels de la Kayanerekowa, la Grande Loi de la Paix.

À travers le rôle du chef, nous apparaît encore clairement que le cercle de non-gouverne est solidement ancré dans la parenté de tous les êtres et les relations du Cercle entier de la Vie auquel tous appartiennent et dans lequel tous accomplissent leur propre rôle et qu’il est une réalité plus cosmique qu’humaine.

Il nous semble que le lecteur a maintenant déjà une bonne idée des différences entre des visions holistes systémiques telles que l’évoquent les métaphores du réseau occidentales et des visions telles que celles des Mohawk, fondé sur une cosmologie du cercle. Avant de tirer quelques pistes de cette mise en contraste pour une approche interculturelle du Droit en vue d’un objectif de Paix, faisons encore un second par le système juridique tibétain traditionnel. Ceci nous permettra de mettre en perspective nos premières découvertes du cercle par une culture juridique où celui-ci joue aussi un rôle important mais de façon différente. De plus le système juridique traditionnel tibétain connaît aussi une distinction entre droit religieux et laïque et possède un droit écrit et une institution judiciaire hiérarchisée. Il sera donc fertile de s’y intéresser de plus prêt à l’imbrication (aux réseaux qui s’y nouent ?) entre cercle et « pyramide ».


2. Le système juridique tibétain traditionnel : Entre cercle et pyramide ?

Avec le système juridique tibétain traditionnel, en place jusqu’en 1959 où le Tibet fût annexé par les Chinois, nous entrons dans un univers assez différent de celui des Haudenosaunee. Le Tibet connaissait en effet un gouvernement et une administration centralisés. Il distinguait entre un droit religieux et un droit séculier, le premier s’appliquant à la sphère des moines, des chercheurs spirituels et le deuxième à celle des laïques perçus comme les supporteurs des chercheurs spirituels, même si dans son fondement ultime tout le Droit tibétain était foncièrement religieux comme nous allons le voir. L’institution judiciaire, ainsi que la société tibétaine dans son ensemble d’ailleurs, était profondément hiérarchique. Et cependant, nos conceptions modernes de hiérarchie ne nous permettent pas de le comprendre car la hiérarchie tibétaine se double de représentations en termes de cercle, de non-dualité, de pluralisme tels que nous avons pu les rencontrer dans notre visite aux Haudenosaunees ci-dessus.

Comme précédemment, nous commencerons par une première approche de la cosmologie juridique tibétaine avant de nous intéresser plus particulièrement aux traits caractéristiques du système juridique tibétain traditionnel. Notons aussi, que si lors de notre visite aux Haudenosaunees, nous nous sommes plutôt intéressés à leur Droit par rapport à la question de leur organisation politique et de leurs dynamiques d’alliance entre Nations Haudenosaunee, autres Nations autochtones et Nations occidentales puisque les fondements mêmes de leur culture juridique ne peuvent pas s’approcher à travers nos notions de territorialité et de l’existence d’un pouvoir législatif central, dans le cas de notre visite aux Tibétains nous sommes en présence d’un « système juridique unifié »  sur un territoire donné, à première vue plus proche de nos systèmes juridiques modernes, et nous nous intéresserons donc plus particulièrement à celui-ci.


2.1. Premières approches de la cosmologie tibétaine du Droit à travers le mandala

Les bouddhistes tibétains ont une vision du monde symbolique fort complexe. Celui-ci est perçu comme un grand ensemble, réseau de relations entre tous les mondes, tous les temps et tous les êtres. Toute partie du Tout est en relation avec toute autre partie. Elle a de par sa place unique une particularité radicale et réfléchit en même temps le Tout. Nous sommes très proches des notions de Cercle de vie, d’ontonomie et de pluralisme évoqués plus hauts. Les images, les habits, les couleurs, les sons, les gestes, les directions cardinales, le panthéon des déités, les institutions etc. font tous partie de ce grand réseau symbolique du monde qui a une importance considérable pour le religieux et le social et qui est représenté dans le symbole du mandala (French 1995 : 175).

« ‘Mandala’ est un terme sanscrit qui se dit en tibétain ‘kyilkhor’, ‘kyil’ signifie ‘centre’ et ‘khor’ signifie ‘périphérie’. Un ‘mandala’ est donc une structure constituée d’un centre et d’une circonférence. Dans le cas du mandala de l’univers , le centre est la montagne axiale, à la périphérie de laquelle se trouvent les différents continents, avec en dessus et en dessous les plans d’existence supra et infra-humains. C’est là une représentation très profonde, qui ne comprend pas seulement l’univers visible, mais inclut tous les plans d’existences, c’est l’univers dans sa totalité. » (Kalou Rinpoché 1993 : 287). Le mandala est aussi un « psycho-cosmogramme », pour reprendre l’expression de Giuseppe Tucci, qui est « le schéma de la désintégration de l’Un dans le multiple et de la réintégration du multiple à l’Un » (Tucci 1989 : 33). C’est un miroir du macrocosmos en même temps que du microcosmos que représente l’homme . Comme l’exprime bien Rebecca Redwood French  (1995 : 177) « C’est un symbole dans lequel toute idée, toute personne, toute entité, tout symbole inférieur a sa place. C’est une image représentant le monde en même temps comme non-changeant, atemporel et éternel (dans le sens que c’est la réalité ultime) et comme toujours changeant, rempli de temps, et présent (dans le sens que c’est de sa nature même que découlent l’impermanence et les renaissances humaines cycliques). C’est une structure qui incorpore le diffus, l’arbitraire, l’ambigu et le contesté, le connu et l’inconnu, le désordre et la cohérence, chacun et toute chose. (…) le mandala représentait toutes les idées fondamentales du bouddhisme : le karma , la présence à chaque moment de tous les mondes, la particularité radicale, la nature cyclique de l’existence, le noyeau que constitue le Bouddha. Le gouvernement même du Tibet était compris comme un mandala à plusieurs niveaux avec des niveaux périphériques successifs menant à un cœur à Lhasa , le siège du Bouddha. Hiérarchies, catégories sociales, relations de pouvoir, niveaux juridiques du ménage à la Cour Suprême concordaient avec ces représentations. L’esprit de l’individu au centre du mandala personnel était aussi compris comme le centre de l’univers juridique, et le mandala réitérait en forme symbolique le mouvement du système juridique. De la même façon que des Bouddhas émanaient du cœur du mandala et que les aspirants en méditation se mouvaient des portes extérieures vers les portes intérieures du mandala, le système juridique était perçu comme flexible, permettant de se mouvoir vers le haut et le bas et entre procédures, forums et niveaux différentes. »

Il apparaît de la présentation ci-dessus une combinaison de facteurs hiérarchiques et circulaires : la vision du monde traditionnelle tibétaine est fortement hiérarchique, mais dans le sens de niveaux et de zones qui vont de l’inférieur au supérieur, et du séculier au sacré. Les différents niveaux sont compris avant tout comme les étapes graduées d’un mandala déplié en trois dimensions (French 1995 : 108-109). Mais ces niveaux sont reliés et coexistent en même temps et ne sont donc pas uniquement dans une relation hiérarchique simple. Au niveau de la distinction du séculier et du sacré on peut aussi noter que s’il existe une division entre ces deux sphères, en fait le sacré forme toujours le centre du mandala de l’organisation institutionnelle et sociale (voir French 1995 : 87). Et le Code Ganden Podrang des Dalai Lama note que si « Le droit religieux est doux comme un nœud de soie (autour de ton cou), le droit étatique contrôle comme un joug d’or (sur ton cou) » (French 1995 : 1). Tout le Droit tibétain reste ainsi fondamentalement ouvert à toutes les dimensions du Réel. À la grande différence d’une pensée systémique holiste qui intégrerait aussi les notions de flou, d’indétermination, de relationnalité et de relativité, de complémentarité des différences plutôt que d’opposition des contraires, la vision bouddhiste tibétaine ne présuppose pas un cadre d’intelligibilité englobant. Comme les représentations des Haudenosaunees, il y a dans cette vision du monde une ouverture fondamentale au « mystère » de la vie, qui va au-delà de son essai d’explication ou de contrôle à travers l’instrument de la Raison. Elle nous ouvre à une approche fondamentalement pluraliste de la réalité, ce qui implique aussi une vision très pluraliste du Droit. Essayons d’en donner un bref aperçu, tout en étant conscient du caractère impressionniste de notre démarche, faute de plus de place et du degré de différence très important du système traditionnel tibétain avec le nôtre à tous les niveaux et notre ignorance quasi-totale de cet univers.


2.2. Quelques traits du système juridique tibétain « kaleidoscopique »

Pour rendre un peu plus concrète notre présentation, suivons Rebecca Redwood French dans l’introduction très parlante à son ouvrage sur la cosmologie juridique du Tibet bouddhiste par la présentation d’un cas de façon très littéraire (1995 : 1-7). Ce sera un point de départ utile pour nous plonger dans une atmosphère juridique différente. Il illustrera certains traits saillants du système juridique tibétain que nous ne manquerons pas de compléter par la présentation des autres traits marquants qui caractérisaient la pensée traditionnelle du Droit dans le Tibet bouddhiste  et qui nous permettrons de remettre en perspective nos approches de la pyramide et du réseau.

« Debout au milieu du champ, le moine chauve dans ses robes bordeaux délavées trouva qu’il était fatigué du soleil brillant. Le ciel paraissait trop clair, et il transpira abondamment, bien que le vent froid de l’automne s’était déjà levé. Dans ses mains il tînt des feuilles de papier avec des notes recopiées d’un grand livre au monastère qui décrivaient les terres dans tous les sept villages de son domaine. Il avait noté la description de deux endroits et lut maintenant du papier aux deux paysans qui l’accompagnaient  lorsque ceux-ci commencèrent à chercher les marqueurs de frontières dans les champs. (…) il se dit qu’il y avait eu trop de litiges dans cette région la dernière année. Était-ce là un signe digne d’être observé ? Avant la naissance d’un grand être dans une région, il y avait souvent des sécheresses, des récoltes ruinées, et de la disharmonie. Mais il n’y avait pas de lama important qui avait dissolu son corps récemment et allait renaître ; le dernier visiteur de Lhasa lui avait dit que Sa Sainteté le Dalai Lama était en pleine forme. Sans aucun doute, les dieux protecteurs locaux n’aimaient pas la prolifération de paroles et de pensées fâchées dans ce village, mais leur mécontentement prendra-t-il la forme de maladies des enfants ? Les femmes arrêteraient-elles de donner naissance ? Où autre chose était-il en train de se passer ? Il était déterminé de demander son avis au moine senior et d’organiser des rituels d’apaisement pour les protecteurs locaux. (…)

Dans le passé, le moine fut appelé à décider un certain nombre de variétés de litiges fonciers. Le présent litige portait sur le coin d’une parcelle qui n’avait pas été indiqué le long d’une ligne de démarcation naturelle, la rivière. La grande démarcation qu’il avait mis en place avec les paysans reposait au milieu de la ligne de frontière qui divisait les deux parcelles, mais il n’y avait pas de démarcation au bord de la rivière. Le propriétaire sur la partie sud soutint que la fin de la ligne de frontière sur la rivière était beaucoup plus loin en amont que ce qu’avançait le propriétaire du nord. La revendication de chaque propriétaire augmenterait la taille de sa parcelle substantiellement. C’était un cas compliqué, surtout parce qu’il n’a pas pu être résolu par l’investigation conjointe des lieux.

Le paysan du nord, qui a soulevé le problème en premier, avait demandé à Sonam d’être un conciliateur, un bardum pa (bar ’ dum pa), non pas un conseiller ou un juge. Ceci signalait qu’il devait s’agir d’une ‘décision interne’, et non pas d’une décision révélant de ses devoirs monastiques officiels comme administrateur du gouvernement. Tout le monde savait qu’il avait été choisi parce qu’il était l’administrateur ; cependant, la requête indiquait que les deux parties n’étaient pas encore prêtes à passer à travers des canaux officiels - elles étaient peu disposées à employer son expertise et son poids dans cette fonction. Donc il accepta.

On dit que de nombreuses années auparavant, un litige foncier avait été amené devant la cour du district à Nakartse, mais après de nombreuses investigations et une procédure coûteuse, elle n’a pas été réglée. Finalement, on a demandé à un bardum pa d’aller à la cour de district, de retirer l’affaire, puis de la régler dans le village local après avoir payé de grandes sommes à la cour et aux juges. Depuis, les gens de cette région évitait de se tourner vers la cour de district. Disant que cela ne résulterait qu’en une négociation légale, ils rappelèrent le proverbe, ‘Ne faites pas de requête aux autorités ; ne demandez de l’aide à personne’ ; le paysan du nord l’avait utilisé lorsqu’il avait demandé à Sonam d’être un conciliateur.

Sonam avait appris à l’école qu’à une période très ancienne, si un homme en tuait un autre, un autre homme serait tué en vengeance. Le bouddhisme avait changé cela ; des procédures furent développées pour éviter les tueries de vengeance, et de nos jours de telles affaires étaient décidées à la lumière des dix actes non-vertueux et de la vérité et la non-vérité du Code juridique des Dalaï Lama. La conciliation était même mentionnée dans le Grand Code de Droit du cinquième Dalaï Lama : « De plus, dans des cas de ce genre de disputes entre deux parties, si un homme âgé de la région ou un homme avisé décide un cas, produit un document de décision finale, on dit qu’ ‘une conciliation fait par une chèvre ne doit pas être défaite par un cheval,’ et ‘une conciliation faite par un mendiant (ne devrait pas être défaite) par un roi puissant.’ Si une conciliation honnête est faite, que l’affaire soit petite ou grande, le juge devrait supporter cette conciliation. Comme il l’est dit dans les vieux textes de loi, on devrait supporter la vérité. (…) »

De retour au monastère il consulta les anciens cas archivés et en trouva un qui ressemblait à son cas. « En lisant, Sonam trouva finalement quelque chose d’utile. Le litige archivé tournait autour d’une question de payement de bab (bab / babs) : pour éviter un litige, les parties avaient écrit un arrangement sur les délimitations des terres en question et sur la pâture du bétail ; l’arrangement comportait une clause de bab fixant la somme à être payée si l’une des parties violait l’accord. Son prédécesseur avait décidé que le vieux bab devait être payé par la partie coupable, et qu’un nouveau contrat avec une nouvelle somme de bab devait être établi.

Sonam se redressa et réfléchit un moment. Si c’était la première fois que ces deux paysans se disputaient au sujet de la démarcation, et s’il voulait véritablement une conciliation, pourquoi ne pas leur demander demain de rédiger un accord pour le futur ? Il écrirait un document contenant l’accord sur l’emplacement du marqueur du bord de la rivière. Il comporterait aussi une clause de bab, et les deux parties signeraient sur le dos, indiquant leur accord sur le document. Puis, il s’assurerait que les deux parties et peut-être leurs familles se rencontrent pour échanger des foulards et partager de la bière pour indiquer leurs bonnes intentions à l’endroit l’une de l’autre - très importantes pour les propriétaires des champs adjacents. Ceci lui donna un plan d’action pour le lendemain (…) Il replaça le document dans la chemise en tissu, la roula, et la remis dans la boîte. Soufflant la lampe, il s’enroula dans son manteau et s’allongea sur son matelas pour dormir avec un esprit apaisé. Ses dernières pensées furent celles de l’éclat bleu chatoyant du beau lac Yardrok. »


Ce court extrait est déjà très riche d’enseignements. Il nous montre l’interconnexion dans la pensée juridique tibétaine des différents niveaux d’existence, des mondes visible et invisible. Il nous fait percevoir la coexistence de divers forums de règlement de conflit permettant un certain « forum shopping », et même la coexistance reconnue de divers champs sociaux semi-autonomes pour reprendre l’expression de Sally Falk Moore (1983 : 54 ss) et la possibilité d’aller de l’un à l’autre pour régler les litiges. Il illustre aussi l’importance de modèles de conduite et de comportement tirés du modèle du Bouddha et de ses enseignements, mais aussi de celles provenant de sagesses locales. Les codes qui sont plus des recueils prudentiels que des recueils de normes coexistent avec des légendes, des fables et des proverbes, l’oralité avec l’écriture. L’important ce sont les modèles de conduite et de comportement véhiculés et qui sont partagés par tous. Le cœur du système est donné par le souci d’harmonisation des rapports et de pacification. Le plus important n’est pas de régler des situations en conformité à des normes générales, impersonnelles et intemporelles, mais en conformité avec la vérité de chaque situation qui est vu comme étant toujours forcément particulariste. De plus ce n’est pas le droit qui peut redresser un individu ou créer l’harmonie dans une communauté, mais la pratique des vertus bouddhistes et la réalistaion de la nature illusoire du monde (French 1995 : 91). On préfère donc toujours le règlement par les parties elles-mêmes de leur différend et en accord avec l’éthique bouddhiste. Et on ne connaît pas le principe de l’autorité de la chose jugée. Si une mésentente subsiste après le règlement d’un litige cela signifie que l’on est pas parvenu à la vérité du cas, que le problème n’a pas été réglé, et on n’hésitera donc pas à « rouvrir » l’affaire, qui tant qu’elle ne s’est pas dissoute n’a en fait jamais été fermée ou plutôt « réglée ». Les décisions sont aussi plus axées sur le présent et le futur que sur le passé. On n’essaye pas tant de prouver des droits passés que de parvenir à une solution satisfaisante dans le cas présent et qui assurera l’harmonie pour le futur. De plus cette harmonie n’est pas seulement celle des deux parties. Elle concerne également leurs familles, leurs communautés, leurs villages, leurs régions et ceci autant dans les mondes visibles qu’invisibles - le rétablissement de l’harmonie a donc même une dimension cosmique. On évite d’ailleurs d’entrer trop facilement et trop ouvertement en conflit car ceci risquerait de créer une disharmonie qui peut se révéler préjudiciable pour soi-même et son entourage.

Par rapport à nos réflexions sur la pyramide et le réseau, il semble pertinent de rapidement présenter les différents niveaux juridiques du système tibétain traditionnel et de leurs relations. Notons tout de suite que c’est différents niveaux ne relèvent pas tous, bien au contraire, de ce que nous appellerions le « droit officiel ». Le système tibétain reconnaît explicitement divers droits concurrents à celui du gouvernement central et on peut noter que par rapport à nos représentations, la « pyramide » tibétaine se retrouve même sur la tête, ce qui est lié à la représentation du mandala au centre duquel se trouve l’esprit de l’individu qui rejoint « l’esprit cosmique ». Le centre du système juridique tibétain autour duquel tout gravite et s’organise est bien constitué par l’esprit de l’individu, sem (French 1995 : 75). Et le premier niveau juridique était bien celui de l’individu qui était gouverné par sa propre loi ou par autorégulation. « Rongtim, ‘un examen de soi-même par rapport à ses attributs et compétences’ était compris par les tibétains comme auto-régulation morale ou l’effort de suivre les préceptes moraux bouddhistes autant dans les sphères religieuses que séculières de sa vie. » (French 1995 : 164). Le deuxième niveau, mais le premier où se produisaient et étaient résolus des litiges était celui de la maisonnée, de la famille, khim tsang rimpa, qui étaient réglées « entre soi », « par le père », « par un ami » ou « par un voisin ». Et autant que possible on essayait de garder les conflits à ce niveau interne selon le proverbe « Une plaie dans la bouche est mieux guérie dans la bouche. » Les règlements internes pouvaient utiliser toute une variété de procédures juridiques. Mais quelle que soit la personne qui le réglait, même si c’était un haut fonctionnaire du gouvernement, le cas était considéré comme du niveau de la maisonnée (French 1995 : 164-165). Le prochain niveau était celui de la « communauté » ou du « village » ou en ville du « bloc de maisons », dong rimpa. Ici aussi on avait le plus souvent recours à des procédures de conciliation plutôt qu’à des procédures légales gouvernementales. Au quatrième niveau on trouve les associations, kyiduk dang tsopka, qui jouait le rôle le plus important d’interconnexion de réseaux d’individus au Tibet. De telles associations qui pouvaient être ethniques, religieuses, des guildes, des sociétés d’entraide etc. constituaient des unités sociales bien délimitées qui jouaient un rôle important pour régler les conflits entre leurs membres et agissaient pour leurs membres et les représentaient pour l’extérieur (French 1995 : 166, 167). Le prochain niveau était celui des municipalités, dongkir rimpa, comprenant plusieurs villages ou communautés, souvent administrées par des monastères. Ils créaient leurs propres droits locaux et la tête de la municipalité ou le conseil détenant le pouvoir judiciaire avait une grande latitude pour décider des cas et imposer des peines (French 1995 : 169).  Ce n’est qu’ensuite que vinrent les niveaux du gouvernement central qui se fondait sur l’administration de districts ou dzong. Le Bureau du district était le premier des cinq niveaux administratifs du gouvernement du Dalaï Lama. Il était suivi par le Bureau du gouverneur provincial, les Départements centraux, le Cabinet ou Bureau Ecclésiastique, et le Bureau du Dalaï Lama (French 1995 : 169 - 170), qui correspondait finalement au centre du mandala, au lieu de séjour du Bouddha. La hiérarchie apparaît donc comme un rapprochement progressif vers le centre du mandala, mais n’excluant pas les relations réciproques des différents niveaux et la possibilité de se déplacer librement entre ces différents niveaux et non pas forcément linéairement du plus bas vers le plus haut.

De manière générale, Rebecca Redwood French (1995 : 343 - 347) retient les traits suivants comme caractéristiques du système tibétain traditionnel  :

1.    Il traitait tous les individus comme entièrement unique et comme complètement intégré dans le Tout cosmique reflétant par là sa cosmologie de particularité radicale et d’intégration cosmique. Ce faisant il admettait une pluralité de modes de raisonnement et n’était pas basé sur un mode de pensée dualiste catégorisant le monde en bon / mauvais, nature / culture, public / privé, foi / raison etc. d’où il aurait pu tirer des normes générales et conçus comme universellement valides.

2.    Il était imprégné par les exigences morales du Bouddha et par la conviction que l’auto-régulation de l’esprit de tout individu était la clef à tous les systèmes sociaux. Le Bouddha représentait le modèle immuable pour le bon comportement et un système social était bon dans la mesure où il s’approchait le plus possible de ce modèle. Ainsi il n’y avait pas non plus de distinction entre religieux et séculier dans notre sens occidental. En dernière analyse tout droit était religieux bien qu’il se différenciait en un droit applicable aux religieux et un autre aux séculiers.

3.    Le système juridique tibétain n’a ni donné naissance à la formation de normes générales ni au recours systématique de precedents (comme en Common Law). « Au Tibet, procédure et prédictabilité signifiait dégager les facteurs pertinents (factoring), et ce factoring ne nécessitait pas de suivre ou de former des règles, de suivre ou de fonder des precedents. Ce sont les facteurs à prendre en compte dans les diverses situations afin de pouvoir les déterminer dans leur unicité et résoudre les conflits de la manière la plus appropriée que l’on retrouve dans les codes juridiques tibétains. Comme la vie du Bouddha et la voie qu’il proposa fournissait un standard immuable, l’application universelle d’une règle pour démontrer (donner à voir) de la légitimité n’était pas nécessaire. » (French 1995 : 344) .

4.    Le système ne connaissait pas de finalité ni de clôture. Des litiges pouvaient être rouverts tout de suite après avoir été tranchés, même si les deux parties avaient toutes les deux approuvées la décision du juge ou du conciliateur. Et cette possibilité de pouvoir être en désaccord jusqu’à ce qu’un véritable accord ait été trouvé était un aspect fortement apprécié par les tibétains de leur système. Dans la perspective bouddhiste cette « liberté de désaccord » est lié au potentiel infini de l’esprit de changer et de choisir. Dans le domaine du droit, ceci se traduisait dans la non-exclusivité des forums de règlement de conflit permettant une très grande flexibilité quant au choix du forum et d’une procédure considérés comme appropriés et donc d’un véritable forum shopping, et dans la non-clôture définitive de litiges.

5.    « L’État tibétain » n’avait pas (ni ne prétendait avoir ou devoir avoir) le monopole de la violence légitime et s’il l’avait eu n’aurait pas pu l’exercer par manque de fonctionnaires et de policiers. Le consensus jouait un rôle primordial dans la vie juridique, même dans le domaine pénal autant au niveau du choix de la procédure, du forum et de la décision. On voit ainsi que le droit n’est pas forcément fondé sur la potestas mais peut aussi être fondé sur l’auctoritas.

En conclusion, Rebecca Redwood French (1995 : 346) note qu’on ne peut véritablement comprendre le système juridique tibétain traditionnel que dans son lien étroit avec la cosmologie « kaleidoscopique » qui le sous-tendait, et qui constituait plus qu’une simple « culture juridique »  et était un point de départ très différent pour une analyse du Droit puisqu’il « décentrait et déstabilisait tout en rendant cohérent et en intégrant. (…) la cosmologie juridique du Tibet est fondée sur des prémisses sur le monde comme simultanément entièrement interconnecté et en même temps complètement particulier. Tout est dans un flux constant, dans l’impermanence et dans la régénération cyclique. (…) les concepts et pratiques juridiques ne constituent pas des unités indépendantes opérant dans une unité séparée et autonome désignée comme ‘système juridique’. Ils ne sont pas non plus de la compétence particulière d’un groupe professionnalisé, ni ne constituent-ils un ensemble spécifique de règles et de forums. Au lieu de cela ils sont perçus comme étant entièrement connectés à et dérivés de la vision bouddhiste tibétaine du mandala intégré ‘Tout-Un’. » (French 1995 : 346) .


Conclusion : Ouvrons la boucle : quelques pistes du Cercle pour des approches possibles de l’interculturalité et de la Paix

Revenons, après nos moultes périples à notre interrogation de départ : en quoi ces visions différentes du Cercle peuvent-elles nous inspirer pour des approches de l’interculturalisme et de la Paix dans nos pratiques et nos théories du Droit contemporaines ?

Tout d’abord elles semblent nous rappeler que le vivre-ensemble harmonieux ne doit pas forcément être pensé dans le terme de l’imposition d’un ordre sur la réalité sociale, ni sur des notions d’uniformité. Si l’accent mis sur la potestas est caractéristique des pensées modernes de l’État, il ne faut pas négliger l’auctoritas comme fondement de la légitimité d’un mode de vivre-ensemble . De plus l’auctoritas n’a pas à être forcément centralisée. Dès lors que l’on cesse de voir la question du Droit comme celle de l’imposition d’un ordre le plus rationnel possible à une société à travers de spécialistes, de « sachants », le pluralisme juridique cesse de poser problème. On peut reconnaître la multitude de forums et de procédures de règlements de conflits. Et cette reconnaissance va au-delà de celle permise par la pensée en réseaux puisqu’elle ne se situe pas dans un espace homogène, dans un « univers », mais dans une perception de « plurivers » (voir Eberhard 2000a : 261 ss) fondée dans un pluralisme non-dualiste radical, « mandalaïque » et qu’on essaye donc pas de réduire celui-ci uniquement à un pluralisme de normes ou d’un pluralisme à l’intérieur d’un système, ou du moins déterminé par un système donné et continuant ainsi de penser de manière unitaire le pluralisme juridique (voir Le Roy 1998, Vanderlinden 1989 & 1993) . Cependant ceci demande le partage d’une certaine éthique, ou plutôt d’un certain éthos, de certains modèles de conduite et de comportements. Ce n’est pas « plus de droit » qui créera une « meilleure société » - on semble d’ailleurs le sentir diffusément si l’on pense, négativement, aux critiques de la prolifération des lois et règlements qui brouillerait l’horizon de nos actions ou, positivement, aux tendances de vouloir s’acheminer de plus en plus vers des grands principes, ce dont témoignent les débats sur l’émergence d’un nouveau ius commune européen, voire à un autre niveau le discours des droits de l’homme qui se fait de plus en plus bruyant. L’émergence de voies négociées de résolution de conflits dans des milieux « hostiles », telle que la France, semble aussi pointer dans la direction d’une recherche du Droit plus proche des pratiques des citoyens et d’un « droit modèle » ou d’un « droit des repères » plutôt que d’un « droit de spécialistes », d’un « droit norme » ou d’un « droit sanction » (voir Le Roy 1999 : 205 ss). La reconnaissance de l’Autre, de plus en plus incontournable dans les situations contemporaines qui sont de plus en plus interculturelles semble fournir l’impératif permettant de dégager les nouveaux principes pur les modalités de notre « respect mutuel ». Il nous semble qu’il faille que nous nous ouvrions à des approches en termes d’ontonomie, de « relationalité radicale » ou de « cercle de non gouverne » tels que nous avons pu les rencontrer ci-dessus, ce qui devra se refléter par des voies plus négociées de résolution de conflits, que ce soit dans nos relations entre cultures à un niveau macroscopique (pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones par exemple) ou plus microscopique (dans la « gestion » au jour le jour de la justice des mineurs en France par exemple - voir Le Roy 1989). Il nous apparaît donc essentiel comme pressenti dans l’introduction de nous émanciper d’approches du Droit en termes uniquement systémiques ou en partant uniquement d’un point de vue du droit compris dans son sens strict pour nous engager dans des démarches de dévoilement de la juridicité dans nos sociétés contemporaines (voir Le Roy 1999 : 177 ss).

Prendre le Cercle au sérieux, c’est prendre au sérieux la totalité de nos vies en société, non pas seulement la societas mais l’universitas , voire cette dernière dans toute son interrelation avec le cosmos. Et il faut donc au minimum que nous acceptions de repenser nos droits à partir de la totalité sociale, en acceptant toute sa complexité et en ne succombant pas à la tentation de réduire le pluralisme qui lui est inhérent à une unité, un système unique quel que soit sa sophistication, sa complexité ou sa circularité. Enfin, pour nous acheminer vers un véritable « Droit de Paix » qui, non seulement respecterait nos différences mais serait véritablement ancré en elles et serait donc véritablement interculturel, nous sommes invités à une révolution copernicienne : au lieu d’essayer de réaliser la Paix par l’extérieur, par l’instrument du droit, il nous semble que nous commençons à entrevoir et nous devons en approfondir les pistes, que c’est la Paix qui doit sous-tendre tout Droit si on veut que celui-ci soit véritablement ius pacis, donc droit de Paix non pas uniquement dans le sens d’un génitif, mais un Droit trouvant son origine dans un état d’esprit pacifié et ultimement dans l’harmonie cosmique, la Grande Paix  qui est le Grand Cercle de la Vie.

 


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