La typologie des systmes de proprit de
C. R. Noyes

Un outil dՎvaluation contextualise des rgimes de proprit prive, publique et commune

Matthieu Galey

 

Paru dans Christoph Eberhard (dir.), Enjeux fonciers et environnementaux. Dialogues afro-indiens, Pondichery, Institut Franais de Pondichry, 2007, 549 p (89-125)

Abstract : C. R . Noyes Typology of Property Systems. A Tool for the Contextualized Evaluation of Private, Public and Common Property Regimes.

One of the major achievements of law and economics in the field of environmental studies is to have recast the economic analysis of problems of pollution and depletion of scarce natural resources in an institutional perspective. It is now widely known that many, if not all, environmental problems stem from deficiencies in the way property rights over those resources are defined, distributed and enforced (Coase 1960). Nevertheless, the microeconomic theory of property rights suffers from many methodological and theoretical shortcomings. We can mention its reductive anthropological assumptions, its lack of a sound conceptual basis regarding ownership, as well as its inability to trace and explain the origin of structural insufficiencies in positive municipal systems of property. Free-market environmentalism relies, for example, on confusion between regimes of common property and regimes of open access (Bromley 1991). The methodological question of a case by case assessment of the environmental efficiency of diverse regimes of property according to their cost in specific institutional, economic, technological and cultural contexts is very complex and, in the end, remains open (Cole 2002).

In this regard, the typology of systems of property defined in 1936 by the institutional economist Charles Reinold Noyes appears to be of prime utility. This typology would seem to act as a cognitive adaptor that helps to build a bridge not only between the legal cultures of civil law and common law pertaining to land law, but also between legal formalism and the instrumentalist approach and assumptions of microeconomics. Indeed, according to Noyes, systems of property stem from the interplay of two fundamental dimensions: the institutional substance, that is, the type of legal relations that are effectively practised in economic life, and the legal form in which this moving institutional substance is crystallised and through which it is refracted. Noyes then goes on to distinguish between systems of property inherited from the Romanist tradition, which are direct and collateral, and systems of property rooted in the feudal background of common law, which are derivative and lineal.

This typology helps to account for many conceptual differences, or even misunderstandings, between civil and common lawyers, as well as between civil lawyers and legal economists, when one is speaking of landownership and property rights. It also helps to understand why some property regimes, whether public, private or common, prove to be more efficient in one legal system than in another. Exclusion and coordination costs, linked to the introduction or modification of a property regime, are indeed not the same, according to the kind of systems of property in which one is working and according to the way this system of property is legally formalised. This typology thus helps us to further our understanding of transaction costs arising from institutional changes that are introduced in the matter of property regimes in order to improve the allocation of scarce natural resources. Legal form and legal formalism are not neutral. They are to be taken seriously by the economist.

INTRODUCTION

Les problmes fonciers, que suscitent ou mettent en lumire la mise en uvre des objectifs de bonne gouvernance et de dveloppement durable en matire de gestion des ressources naturelles rares, ne sont pas poss de la mme manire, selon que lon se situe en Afrique francophone, anglophone ou en Inde. Ces diffrences dapproches ne tiennent pas seulement aux diffrences culturelles dont les systmes coutumiers locaux sont lexpression. Elles sexpliquent galement par les diffrences de traditions juridiques coloniales, qui sont venues sy superposer en matire dappropriation foncires, et dont ces pays ont hrit lindpendance.

Le propos de la prsente contribution est de mettre en relief la porte thorique et lutilit pistmologique toute particulire de la typologie des systmes de proprit, labore en 1936 par lՎconomiste amricain Charles Reynold Noyes, dans une tude classique intitule The Institution of Property : A Study of Development Substance and Arrangements of the System of Property in the Modern Anglo American Law.

Paradoxalement, tant lauteur que les rsultats de ses travaux sont rests ignors par le courant institutionnaliste de lanalyse conomique du droit, dans la perspective duquel il avait pourtant inscrit son tude. On nen trouve aucune mention dans les recensions canoniques de la matire (Hodgson, Samuels & Tool 1994 ; Rutherford & Samuels 1997). Il faut dire quil ne sest jamais pleinement inscrit dans ce courant[1]. Il nen est pas moins cit par le sociologue du droit Wolfgang Friedman (1973) comme lun des classiques de lanalyse socio conomique des institutions juridiques du droit priv, aux cts de K. Renner (1949). Dans la doctrine comparatiste franaise, cest Marie-France Dterville Papandrou que revient le mrite davoir employ, la premire la typologie de Noyes dans le contexte dune comparaison franco-anglaise (Dterville Papandrou 1996).

Or, cette typologie constitue un outil mthodologique particulirement prcieux. Nous voudrions montrer en quoi elle se prsente comme un vritable adaptateur cognitif, permettant de connecter et darticuler entre elles sur un mme objet, savoir la question foncire dans sa dimension environnementale, plusieurs perspectives trangres les unes aux autres dun point de vue tant disciplinaire que culturel. Elle nous permet en effet de comprendre pourquoi les diffrences formelles, par lesquelles il est possible dopposer la manire dont est juridiquement organise lappropriation du sol dans les traditions juridiques de common law et romano germaniques, ne sont pas de simples clauses de styles. Au contraire, elles recouvrent des diffrences institutionnelles substantielles quil est possible de caractriser partir dune modlisation de la structure des systmes de proprit, conus comme systmes de relations entre personnes propos dun bien immeuble.

Par proprit, il faut entendre ici, la fois, la relation juridique reliant le propritaire la chose approprie et les relations que le propritaire entretient avec les tiers relativement cette mme chose. Il sagit dun mta  concept de la proprit, cest--dire dun concept suffisamment large et dpris des catgories propres chacun des systmes pour permettre la comparaison de rester neutre et objective[2]. Parler, avec Noyes, de systme de proprit, cest affirmer que la globalit des rapports juridiques gouvernant lappropriation immobilire, dans chacun des ordres juridiques positifs nationaux, forme un tout cohrent comportant des caractristiques constantes qui permettent de lidentifier comme systme. Cest affirmer que le droit foncier ne se rduit pas en un corps modulable de rgles oprationnelles variables, mais se compose galement d  lments plus fondamentaux et plus stables, laide desquels on peut dcouvrir [ou laborer] les rgles, les interprter et en prciser la nature  (David, Jauffret-Spinozi 2002 : 21).

Interprt par Noyes comme structure de relations gouvernant les rapports du propritaire avec la chose approprie ainsi quavec les tiers eu gard cette chose, le systme de proprit issu de la common law est caractris comme driv et linaire, par opposition au systme de proprit dvelopp par la tradition romaniste, qui est direct et collatral.

Lapport de cette construction typologique est double.

Permettant daffranchir lanalyse institutionnelle du formalisme juridique sans pour autant nier son importance, cette typologie des systmes de proprit jette un pont entre lanalyse conomique du droit et le formalisme des juristes. Elle montre pourquoi et comment les formes concrtes du droit positif, telles quelles sont mises en uvre par les juristes doivent tre prises au srieux par les conomistes (I).

En effet, cette typologie ne permet pas seulement de lever plusieurs incomprhensions fondamentales entre common lawyers et juristes de tradition romano-germanique, en matire de proprit, droits de proprit et denvironnement, elle permet galement daffiner, en la contextualisant, lՎvaluation instrumentale des rgimes de proprit priv, publique ou commune, envisags chaque fois comme des structures discrtes de droits et devoirs rciproques liant les parties prenantes intresses une mme ressource naturelle et organisant ainsi un systme collectif de gestion. Elle claire en effet lincidence du contexte juridique sur la plus ou moins grande efficacit conomique et environnementale dun rgime de proprit, les cots de transactions lis sa mise en place nՎtant pas les mmes selon le type concret de systme de proprit dans lequel on se situe, quil soit direct et collatral, ou bien au contraire, driv et linaire (II).

I. Prendre au srieux les formes juridiques de lappropriation : lautonomie institutionnelle
des systmes de proprit

LՎtude compare systmatique des systmes de proprit concrets, telle que Noyes la dveloppe sinscrit dans une dmarche rsolument institutionnaliste, visant approfondir la comprhension des cots de transaction lis aux changements institutionnels en matire de proprit. A cet gard, Noyes distingue rigoureusement entre les deux aspects de la chose juridique que sont dun ct, la substance institutionnelle formalise par le droit, entendue comme le systme de relations juridiques effectivement pratiqu dans la vie conomique (institutional substance), et, de lautre, la formalisation juridique elle-mme, prsente comme une abstraction conventionnelle de faits relationnels et institutionnels (legal form) (Noyes 1936 : 18). La finalit thorique de cette distinction est de mettre en vidence lautonomie institutionnelle des systmes de proprit (A).

Lintrt mthodologique de son projet tient tout entier dans sa souplesse, dans la mesure o elle permet de mettre en regard un diagramme descriptif de la structure institutionnelle dinterrelations constitutives dun systme de proprit et la forme juridique sous laquelle ce systme sorganise concrtement. Dun ct, il devient possible didentifier, au-del de la forme juridique, le type de structure institutionnelle et relationnelle que cette forme organise, en vue dune apprciation des cots de transactions qui lui sont associs. De lautre, la prise en compte des particularits de la formalisation juridique concrtisant cette structure vient jouer comme un coefficient dadaptation permettant dՎvaluer lincidence de ce formalisme sur lagencement de la structure institutionnelle (B).

A. Linertie des systmes de proprit rfracts par leur formalisation juridique

LՎtude compare des systmes juridiques de proprit que mne Noyes en qualit dՎconomiste procde de la conviction, partage avec lensemble du courant institutionnaliste, que les dispositifs institutionnels et juridiques ne sont ni transparents ni mallables, et quil nest pas possible de les modifier volont raison des besoins fonctionnels du moment. Noyes postule au contraire ce quil appelle la rfraction des dispositifs institutionnels sur les comportements individuels (Noyes 1936 : 10)[3].

A cet gard, la finalit de lՎconomie institutionnelle, telle quil la conoit en filant la mtaphore mdicale , est de permettre lՎtude  des conomies individuelles, de leur ontogense, de leur anatomie, de leur physiologie, et de leur pathologie  (Noyes 1936 : 5). Elle a pour volet essentiel ce quil appelle lanalyse fonctionnelle des institutions, cest--dire la description des  habitudes comportementales de la collectivit, les voies, mouvements, et activits qui peuvent tre ou ne pas tre formuls en termes de rgles, mais tendent cependant se cristalliser sous formes de conventions  (ibid. : 6). Mais pour tre rigoureuse, cette analyse fonctionnelle doit avoir pour pralable leur analyse statique, laquelle a pour objet de dresser le  diagramme structurel du systme institutionnel diffrenci et du rseau complexe dinterrelations quil organise  (ibid.). Cest ce prix quil est possible de produire une nomenclature reconnue et standardise de donnes institutionnelles qualitatives, telles que la proprit. Une nomenclature susceptible dՐtre prise en compte pour expliquer les mesures quantitatives et statistiques de lՎconomtrie, voire de procurer le fondement dun valuation probabiliste des  chanes de squences fonctionnelles et comportementales  caractrisant la vie et le function-nement desdites institutions (Noyes 1936 : 15). LՎtude compare laquelle nous convie Noyes nest donc rien dautres que des prolgomnes une conomie institutionnelle de la proprit.

La porte et loriginalit mthodologique de son effort de caractrisation et de classification, et de la distinction entre substance institutionnelle et forme juridique sur laquelle il repose, se mesure laune de la distinction fondamentale, introduite par Thorstein Veblen la fin du XIXme sicle, reprise et reformule par Ayres aprs la seconde guerre mondiale, entre processus instrumental et rsistance crmonielle[4]. Appro-fondissant la comprhension de cette inertie institutionnelle (2), la distinc-tion entre substance institutionnelle et forme juridique permet galement de nourrir la critique de la manire dont la question des rapports entre proprit et environnement est ordinairement pose par lanalyse microconomique du droit (1).

1. Les postulats de la microconomie confronts linertie du droit

La distinction entre processus instrumental et rsistance crmonielle est au fondement de lanalyse conomique institutionnelle. Considrant le facteur institutionnel comme la contrainte principale pesant sur la diffusion des innovations technologiques, Veblen distingue en effet entre le processus instrumental, consistant essentiellement dans des activits techniques visant la rsolution des problmes pratiques (problem-solving activities), et la rsistance crmonielle, quil caractrise comme des activits de rsistance au changement (change-resisting activities) (in Swaney 1994).

Or, lapplication la rgle de droit dun calcul defficience micro-conomique, la volont de promouvoir une surdtermination de celle-l par celui-ci, qui caractrise si bien lanalyse microconomique du droit telle que la dveloppe lՎcole de Chicago, reprsente le parfait exemple du processus instrumental. Le propre en effet de cette dmarche est de partir, non du droit tel quil est, mais de vouloir, au contraire, reconstruire ce dernier partir dun calcul conomique dallocation optimale des ressources rares, rig en norme defficience (Strowel 1992). Lun des apports majeurs de la thorie conomique des droits de proprit que ce courant a ainsi dvelopp est dailleurs davoir replac dans une perspective juridique et institutionnelle la rflexion sur les problmes de pollution et de dgradation des ressources naturelles rares. Il tait classique de considrer cet ventail de phnomnes physiques comme lexpression dune limite du march, la consquence de labsence dun systme de prix refltant la raret relative desdites ressources et susceptible den slectionner spontanment les diffrents usages selon leur utilit respective et den provoquer ainsi lallocation rationnelle (Hugo 1993). La thorie microconomique des droits de proprit a dmontr que cette inaptitude des mcanismes conomiques classiques dallocation des ressources rguler lusage des biens denviron-nement provenaient moins des caractristiques physiques intrinsques de ceux-ci que de labsence dun systme de droits privatifs et ngociables portant sur ces derniers, et de nature permettre la prise en compte de leur raret et la dtermination de leur valeur conomique (Coase 1960, Kirat 1999).

La solution propose partir de ces prmisses pour rsoudre les problmes de pollutions est le type mme du processus instrumental. Le principe de lenvironnementalisme de march est en effet de privatiser les biens denvironnement, cest--dire dattribuer sur les ressources naturelles des droits dusage exclusifs et librement transfrables, usuellement dnomms droits de proprit ou property rights, leur rpartition et leur agencement rciproque tant par suite pleinement ouverts et soumis aux mcanismes du march.

Le paradoxe est que cette approche conomique novatrice du droit et des problmes lies la gestion des ressources naturelles souffre dinsuffisances mthodologiques souvent dcries, lies labsence dune vritable prise au srieux de lincidence du droit et des institutions positives sur les comportements des acteurs conomiques. Elle sappuie toute entire sur un individualisme mthodologique assimilant, titre de postulat, le sujet de droit lagent conomique dot dune rationalit parfaite et tout entier dvolu la maximisation de son utilit et la minimisation de ses pertes (Rutherford & Samuels 1997). Ainsi, affirmer la surdtermination du droit par une logique defficience conomique visant lallocation optimale des ressources rares implique de postuler que tout sujet de droit adopte, concernant la rgle de droit, le point de vue externe dont parle Hart (1994 : 89), ce qui revient sappuyer sur un postulat anthropologique des plus contestables[5].

Il ne faut pas ds lors sՎtonner de limpressionnisme conceptuel de cette littrature concernant la notion mme de proprit. Lenvironne-mentalisme de march, qui propose la privatisation de lenvironnement comme panace universelle, procde dune mconnaissance des caractris-tiques juridiques concrtes des rgimes de proprit commune, la tragdie des communs dcrite par G. Hardin (1968) tant dabord une tragdie des rgimes daccs ouvert (Bromley 1993). Par ailleurs, la question du cot de la dfinition et de lattribution de droits de proprit privatif sur les ressources naturelles nest gnralement pas pose (Cole 2002).

Lanalyse conomique institutionnelle (ou institutional economics pour reprendre lexpression de Noyes) part au contraire du droit tel quil est. Elle sintresse aux cots de transaction associs aux institutions et aux changements institutionnels, tels quils sont provoqus par les activits de rsistance au changement. Veblen distingue entre les activits de rsistance crmonielle, selon quelles sont actives ou passives. Les premires sont le fait de groupes dintrt organiss, lesquels utilisent leur contrle de linformation et leur pouvoir conomique et politique aux fins de protger leurs positions privilgies, dans le cadre dun  combat pour le droit . Cest l le champ danalyse privilgi des sciences politiques ou de lanalyse conomique des choix publics. Les secondes sont lies au contraire aux habitus, aux structures cognitives caractrisant une culture donne, et plus particulirement, une culture juridique (Legrand 1996).

Cest sur ce dernier aspect quinsistent les institutionnalistes, en affirmant limportance de la connaissance du droit et des institutions telles quelles sont. Refusant dassimiler le sujet de droit lhomo oeconomicus dot dune rationalit parfaite, ils ne vont pas pour autant jusquՈ prsumer laltruisme des agents conomiques. Ils apprhendent au contraire le sujet de droit comme un agent dot dune mentalit institutionnalise (institutionalized mind), cest--dire dune rationalit limite et affecte tant par la rgle et les institutions que par leur incertitude et leur mobilit ; un agent proccup de scurisation de ses relations et de ses attentes (expectations) plus encore que de maximisation de son utilit (Rutherford & Samuels 1997). A cet gard, lun des facteurs majeurs de rsistance au processus instrumental est bien sr le formalisme des juristes, cest--dire le fait pour les juristes de se proccuper, dans un souci de scurit juridique, de la rgle de droit pour elle-mme, de sa validit ainsi que de la cohrence formelle du systme juridique pris dans sa globalit, indpendamment des effets pragmatiques de lapplication de la rgle.

Refusant didentifier le sujet de droit au maximisateur rationnel, les institutionnalistes refusent galement de rduire le march nՐtre quun simple mcanisme de fixation des prix qui serait m par les forces abstraites de loffre et de la demande. Ils considrent au contraire le march comme un mcanisme conomique complexe compos dune pluralit dinstitutions, o la rgle de droit ne peut se rduire une simple tarification des agissements de ses acteurs. Ils se caractrisent par une approche volutionniste des institutions centre sur la multiplicit et la complexit des processus de changement et dajustement institutionnels (Rutherford & Samuels 1997). Noyes sinscrit entirement dans cette perspective, puisque les institutions sont pour lui le fruit dune invention au coup par coup et dun processus damlioration graduelle (Noyes 1936 : 8). Evolutive, loin dՐtre fige, les institutions du droit ne sen caractrisent pas moins par une inertie gnratrice de cots transactions, quil est ncessaire de prendre en compte lorsque lon savise de modifier les rgimes de proprit en vue damliorer les systmes de gestion environnementaux.

2. Substance institutionnelle et forme juridique

Cest le mcanisme de cette inertie crmonielle que la distinction entre substance institutionnelle et forme juridique vise en dfinitive mieux cerner.

La dmarche de Noyes est tout fait rigoureuse. En effet et il ladmet demble ce diagramme dun systme institutionnel dinter-relations relles que lanalyse statique a pour vocation de produire, est ncessairement conventionnel (Noyes 1936 : 12). Il ne dcrit pas une ralit existant en soi, mais vise seulement mettre en place les cadres de comprhension ncessaires lanalyse fonctionnelle. Pas question par consquent dhypostasier le systme de relations dappropriation quil cherche mettre en vidence dans chacune des traditions juridiques quil compare. Pas question non plus de nier limportance dterminante du formalisme juridique, dont la vise institutionnelle a pourtant permis de saffranchir.

Certes, en employant le terme de substance institutionnelle pour dsigner le complexe dinterrelations relles constitutives de la proprit, Noyes souligne son autonomie et sa primaut, par rapport la forme juridique qui lorganise. La formalisation juridique nest alors toujours quune cristallisation seconde. Elle ne produit gure que  les habits juridiques dans lesquels une institution est enveloppe ainsi que les droits sur le fondement desquels ces relations sont analyses et classifies lorsquelles ont besoin dՐtre valides et protges  (Noyes 1936 : 18).

Mais si elle est toujours seconde par rapport la substance institutionnelle, nous dit Noyes, la forme juridique nest pas neutre et transparente pour autant. Bien au contraire, elle interagit avec la substance institutionnelle, voire rtroagit sur elle. Do la ncessit de prendre en compte  la manire dont la substance institutionnelle est fonctionnellement contrainte et structurellement modifie par la forme  (Noyes 1936 : 19). La forme juridique nest pas neutre. Les diffrences de formalisation juridique dune mme catgorie dinstitution juridique ne sont pas seulement le fruit de diffrences structurelles affectant le fait institutionnel, mais galement le facteur essentiel de diffrenciation des systmes institutionnels.

Cest ici sans doute que Noyes affirme son originalit par rapport la plupart des conomistes du droit qui, mme parmi les institutionnalistes, ont trop souvent tendance balayer dun revers de main, comme purement conventionnelles et non significatives, celles des distinctions formelles des juristes dont la prise en compte remettraient en cause leurs postulats. Noyes ne se dmarque pas seulement du constructivisme de nombre dՎconomistes du droit, mais galement du fonctionnalisme de certains comparatistes, pour qui les diffrences de formalisation juridique ne sont gure que des clauses de styles recouvrant une ralit conomique et fonctionnelle identique.

B. La distinction des systmes de proprit drivs et linaires, dun ct, et directs et collatraux, de lautre

LՎtude compare que mne Noyes des systmes de proprit romain et anglais ralise parfaitement son programme mthodologique. Il met en vidence lexistence de deux types opposs de systmes de proprit : le systme direct et collatral du droit romain et le systme driv et linaire, hrit de la Common Law. Ces systmes sont, lorigine, lexpression de deux types diffrents dorganisation sociale (1). Pour autant, il convient de garder lesprit que cette typologie des systmes de proprit ne vise pas dcrire une ralit objective existant en soi, mais disposer des repres pour saisir le fonctionnement dun systme institutionnel mouvant dinter-relations, qui trouve dans sa formalisation juridique un point dancrage et de stabilisation momentan. Cest en tout cas ce qui apparat de manire particulirement manifeste lorsque lon confronte les termes de la comparaison droit romain/droit anglais, mene par Noyes, et la transposition de sa typologie dans le contexte dune comparaison franco-anglaise par Marie-France Dterville-Papandrou (2).

1. La forme juridique, facteur dautonomie institutionnelle

Si les configurations diffrencies des systmes de proprit identifis par Noyes tirent leurs origines des contraintes dorganisations conomiques et sociales diffrentes, cest travers leur cristallisation sous une forme juridique que ces systmes conquirent lautonomie institutionnelle propre les affranchir de leur base conomique et sociale initiale.

Par systme de proprit collatral ou allodial, Noyes entend un systme organisant  la dtention du sol selon un droit original et absolu par des units [individuelles ou familiales] indpendantes et cogales ; les intrts ainsi dtenus ayant des caractristiques identiques  (Noyes 1936 : 222). Le propre dun tel systme est damnager des relations horizontales entre propritaires, au sens o chacun est dot d'un statut quivalent de matre exclusif de sa parcelle de terre, et o aucun ne peut prtendre avoir juridiction sur les autres (Getzler 1999 : 85). Il implique en particulier  qu'en cas de disposition de la chose par son propritaire, la transmission de la proprit est complte et dfinitive, sans possibilit de se rserver une part de contrle . Par ailleurs les titulaires de droits rels dmembrs constituent galement  des units gales et spares investies des prrogatives ni dpendantes, ni drives les unes des autres . Par exemple, les droits de l'usufruitier et du nu-propritaire sont  maintenus aussi spars que possible : ces droits se trouvent sur deux parallles qui, par dfinition, ne sont pas destines se rencontrer  (Dterville-Papandrou 1996 : 58).

Par systme de proprit linaire ou fodal, Noyes dsigne au contraire une organisation juridique disposant  la dtention du sol selon un droit indpendant et driv par des units [individuelles ou familiales] successives et hirarchises conformment des degrs variables dascendance ; le caractre des intrts fonciers tant mutuellement exclusif  (Noyes 1936 : 222). A la diffrence du systme collatral, dans le systme linaire, les transferts de droit sont rarement, voire jamais complets ni dfinitifs : chaque personne alinant ou dmembrant un droit est susceptible de conserver une part de contrle sur la chose objet de l'opration. Cest de cette manire quun agencement de ces droits concurrents et simultans en une srie hirarchique peut se mettre en place.

Le droit romain sous sa forme classique, tel quil a t codifi par les Institutes de Gaius et de Justinien, sest dvelopp pour rpondre aux besoins suscites par les profondes transformations subies par la socit romaine de lՎpoque classique, du fait de la conqute, de laffirmation du fait urbain et du dveloppement des relations commerciales (Gaudemet 2002). La thse de Noyes est quil est cependant rest profondment marqu par lorganisation initiale de la socit romaine archaque en groupes sociaux indpendants, dnomms familiae, se tenant les uns vis--vis des autres sur un pied dՎgalit. Cette socit se caractrisait par une dualit marque entre le domaine priv intrafamilial, soumis la puissance du chef de famille et des coutumes familiales, et le domaine public interfamilial de lorganisation politique, partir duquel le droit de la cit sest dvelopp pour absorber progressivement dans son champ le domaine priv (Noyes 1936 : 213)[6].

Ainsi, la donne premire du systme collatral, sa contrainte structurelle fondamentale se trouve dans lՎvidence intuitive et pr juridique, hrit de la socit romaine archaque, agraire et rurale, dune matrise initiale, souveraine et sans partage exerce sur lintgralit des tres et des choses situs sur le territoire appropri par le groupe familial (Noyes 1936 : 122 et s.). Le dominium nest quune dnomination tardive, et jamais explicitement dfinie par la doctrine romaine, de cette matrise si absolue de la chose quelle se confond avec elle dans sa matrialit (Noyes 1936 : 176 ; Ellul 1999 : 355 & 411). Cest elle pourtant que prsuppose la distinction fondamentale entre les res corporales et res incorporales, selon que la procdure judiciaire a pour cause une chose ou un tre tangible que lon revendique comme sien, ou seulement un droit incorporel vis--vis dune personne libre (obligatio) ou sur la chose dautrui (ius in re aliena). Cest elle qui explique le caractre collatral du systme, en interdisant de facto lenchevtrement de matrises concurrentes sur un mme bien. Ainsi est-ce par la construction de liens de droit (vinculum juris) entre units indpendantes et co gales, sous la forme dobligations personnelles (droits de obligations) ou de droits dmembrs sur la chose dautrui (droit des servitudes) que le droit romain a rpondu aux besoins de coordination inhrents au commerce et la conqute (Noyes 1936 : 201 et s.). Cest galement pour satisfaire ces besoins que les juristes romains ont introduit une distinction subtile et contre-intuitive entre la matrise de fait de la chose (possessio) et le lien intellectuel, direct et perptuel, unissant le propritaire la chose approprie indpendamment de cette matrise (proprietas) (Gaudemet 2000).

Le systme de proprit directe et collatrale, adapt aux exigences dune socit urbaine et commerciale, qua dvelopp le droit romain classique, eut donc limpossibilit dorganiser des matrise concurrentes sur un mme bien pour contrainte fondamentale, et le partage antique rigoureux entre deux champs distincts de pouvoir, le domaine public interfamilial et le domaine priv intrafamilial, pour pierre angulaire. Noyes va mme en retrouver des traces jusque dans le plan des Institutes de Gaius et de Justinien, qui traitent sparment du droit des personnes et du droit des biens, puis dans un troisime temps, du droit des obligations (Noyes 1936 : 168).

Le systme anglais de proprit driv et linaire sest constitu selon une dynamique inverse. Il est issu dune socit fodale issue de leffondre-ment du systme dualiste romain et de labsorption des fonctions politiques et juridiques par la villa, unit conomique et foncire de production agricole, hritire tardive de lantique familia (Noyes 1936, p. 232). Une socit organise selon une hirarchie verticale dunits familiales interdpendantes ayant pour colonne vertbrale le systme des tenures articul autours du fief foncier. Dans le cadre dun tel systme de proprit, ce sont les relations dobligations personnelles entre le ou les propritaires et les tiers eu gard au bien appropri qui sont premires, et non le lien par lequel la chose approprie leur est attache. Selon la doctrine des tenures, en effet, aucune terre nՎtait dtenue en pleine proprit, mais seulement par tenure, cest--dire sous condition dobligations personnelles vis--vis du suprieur fodal.

La donne premire ne fut donc pas ici une matrise du bien immobilier initiale, absolue et exclusive de tout partage, mais au contraire, les relations dobligations personnelles entre le ou les propritaires et les tiers eu gard au bien appropri. Dans le cadre dun tel systme, la proprit est drive notamment parce quelle y est conquise sur des relations personnelles prexistantes. Elle ne doit donc pas sanalyser comme un pouvoir consacr par le lgislateur et sexerant sur la chose hors de tout lien dobligation, mais plutt comme une protection garantie par le juge au dtenteur dun fief contre labus de pouvoir de suprieur fodal ou les interfrences de ses pairs : dans la sphre de Common Law, le right in rem se dfinit ngativement comme  une protection contre autrui de la possession non perturbe des objets physiques  (Noyes 1936 : 284 et 288).

Plus prcisment, en droit anglais, le proprit du sol est fondamentalement une situation juridique rsultant du fait de la possession, accordant son bnficiaire une jouissance dont lexclusivit sest construite indirectement, lintersection des rgles destines en protger le bnfice contre linterfrence des tiers (trespassory rules), en transmettre le bnfice ou le rpartir dans le temps (doctrine of estates), et en rgler lusage, quil sagisse du droit des nuisances (law of nuisance) ou des clauses restrictives dusage (restrictive covenants) (Harris 1986). De mme, le trust, mcanisme fiduciaire permettant lexercice de la proprit pour le compte dautrui, sest impos en droit anglais comme loutil privilgi permettant de concilier libre alinabilit du sol dun ct, et fragmentation des intrts fonciers de lautre, cest--dire de libraliser le march foncier tout en maintenant, au moins formellement, lexistence de mcanismes patrimoniaux visant prserver les patrimoines familiaux (Gray 1993). L encore, cest par le jeu crois du formalisme de ces divers corps de rgles que les juristes anglais ont retravaill de lintrieur le systme de proprit linaire hrit de la socit fodale, pour y permettre lՎmergence dune appropriation exclusive en laffranchissant de sa base sociale initiale.

2. La rtroaction de la forme juridique sur la configuration du systme institutionnel

Si un systme de proprit trouve son point dancrage et de stabilisation dans les modalits de sa formalisation juridique, rciproquement, celle-ci rtroagit sur sa configuration. Ainsi, la typologie tablie par Noyes ne suffit pas elle seule pour procurer une description exacte dun systme donn de proprit. Il faut, pour en acqurir une vision exacte, la mettre en regard avec la manire dont le systme est juridiquement formalis. Cest par la mise en regard de ces deux dimensions institutionnelle/relationnelle, dune part, et juridique/formelle dautre part, que lon acquiert une vision exacte et globale du systme.

Si les systmes de proprit romain et anglais sopposent par leurs caractristiques tant structurelles que formelles, en revanche, le mode opratoire de leur formalisation juridique est trs semblable. A chaque fois en effet, la formalisation juridique du systme a t luvre progressive et incrmentale des docteurs et/ou des juges. Les structures institutionnelles hrites du pass ont t apprhendes comme des contraintes, avec lesquelles il faut composer, et quil faut retravailler de lintrieur pour les concilier avec les volutions que lon veut raliser, mais non comme des archasmes quil faudrait abolir. Cest dailleurs l toute loriginalit du droit foncier anglais au regard du droit franais : La proprit prive exclusive et librement alinable sy est forme progressivement au cur mme de lordre fodal, auquel elle a emprunt ses formes alors mme quelle cristallisait une raction contre ses contraintes.

Au contraire, si le systme de proprit franais partage avec son homologue romain des caractristiques structurelles identiques, il sen diffrencie tant par le mode de constitution que par les caractristiques de sa formalisation juridique. Le systme franais de proprit directe et collatrale rsulte dune rupture historique avec le systme fodal des tenures, survenue dans la nuit du 4 aot 1789 et consacre tant par la dclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 aot suivant que par lentre en vigueur du Code civil de 1804. Sous sa forme classique, il est le fruit dune transaction entre le droit coutumier franais et la tradition romaniste dont les termes ont t labors par la doctrine franaise sous lancien rgime. Au partage antique entre domaine public et domaine priv, on a substitu un autre formalisme, celui du droit subjectif, et de la distinction, inconnue des common lawyers pour ne rien dire des conomistes de lՎcole de Chicago entre la jouissance du droit et lexercice du droit. Initiale, thoriquement antrieure lՃtat, la proprit est donc en droit franais lexpression dun pouvoir de droit, fond en titre et consacr par le lgislateur, sous les traits dun domimium dsormais rigoureusement conceptualis comme la facult duser (usus), de jouir (fructus) et de disposer (abusus) de la chose approprie, et par l clairement distingu de limperium, le pouvoir de commander aux hommes (Arnaud 1969, Halprin 1996). On est loin ici de la proprit foncire telle que lapprhende le common lawyer, cest--dire une situation juridique rsultant du fait de la possession, constate par le juge et accordant son bnficiaire une jouissance exclusive dont le contenu et les prrogatives nont jamais t formellement dfinies par la jurisprudence.

Le paradoxe est que les systmes de proprit anglais et franais, qui sopposent tant par leur structure institutionnelle que par leur formalisme juridique sont pourtant informs par des valeurs rigoureusement identiques : celles de lindividualisme possessif et libral occidental. Ainsi souligne-t-on rgulirement la relativit des diffrences conceptuelles qui opposent les deux droits. En effet, depuis le Law of Property Act de 1922 et labolition du copyhold[7], la doctrine des tenures nest plus quune curiosit historique subsistant parce quelle permet dexpliquer formellement pourquoi, en Common Law, la relation dappropriation est analyse de manire mdiate et indirecte. Toute terre tant en Common Law, tenue de la Couronne en vertu du principe  nulle terre sans seigneur , le propritaire foncier nest pas directement propritaire du sol en lui-mme, mais dun estate sur le sol, lequel se dfinit classiquement comme  du temps sur le sol et le sol pour un temps [8]. Mais cette particularit elle-mme est relativiser. Depuis le Law of Property Act de 1925, le seul estate en dtention libre opposable sur le terrain du Common Law est lestate en fief simple absolu en possession (estate in fee simple absolute in possession), cest--dire une jouissance du sol (estate) transmissible aux hritiers (in fee), que ceux-ci soient en ligne directe ou non (simple), sans condition, notamment de dlais (absolute) et ouvrant accs une possession immdiate de la terre (in possession par opposition lestate in reversion qui ne donne accs quՈ une possession diffre). Or celui-ci constitue une approximation du dominium romain, dans la mesure o il autorise une appropriation perptuelle de lintgralit des utilits du biens.

La tentation est donc grande de conclure la convergence des droits fonciers et au caractre fictif des diffrences lies au formalisme juridique. Luvre de Noyes nous permet de comprendre que ces diffrences ne sont pas neutres et expriment au contraire des divergences substantielles dans la manire dont ces systmes de proprit sont structurs.

II. La prise en compte des distorsions conceptuelles et pratiques gnres par la particularit des contextes juridiques positifs

Sur le plan thorique, linteraction que Noyes met en vidence entre les deux dimensions de lautonomie des systmes de proprit, juridique et formelle, dun ct, et institutionnelle et relationnelle, de lautre, permet de mieux discerner le bon usage tant des notions de  droits de proprit  vhicules par le discours de lՎconomie du droit que des conceptualisations thoriques du rapport ou des rapports entre proprit et environnement que lon peut faire dans lun et lautre contexte. Plus prcisment, elle permet non seulement de mettre en lumire la surdtermination de ces thorisations par les formalismes juridiques concrets, mais aussi le coefficient dadaptation dont il est ncessaire de les affecter lorsquon les transplante dans un contexte juridique autre que celui qui leur a donn naissance (A).

Dun point de vue pragmatique, la prise en compte de cette interaction permet de comprendre pourquoi les diffrents rgimes de proprit ne se concrtisent pas sous la mme forme dans les diffrents systmes et pourquoi leur efficience conomique et environnementale diffre selon le contexte institutionnel (B).

A. Une gnalogie des conflits de perception et de conceptualisation

Lavantage de la modlisation propose par Noyes est quelle permet de rendre compte non seulement des formes du droit positif mais galement des variations doctrinales dans lanalyse thorique de la proprit dune famille de droit lautre. Sur le terrain thorique, lavantage majeur de cette modlisation tient en effet ce quelle permet de lever nombres de malentendus et dincomprhensions concernant lusage que les conomistes du droit font de la notion de  droits de proprit  (1) ou dՎclairer des divergences dans la manire dont sont abords et problmatiss les rapports entre proprit et environnement (2).

1. Gnalogie de la comprhension implicite et pr-conceptuelle de la notion conomique de  droits de proprit 

Lune des sources majeures de malentendus voire de contresens occasionns par la rception, dans un contexte romano-germanique, du discours de lanalyse conomique sur les droits de proprit tient prcisment la notion que les conomistes du droit se font des droits de proprit. Dune part, ils entendent par  droits de proprit  un simple droit dusage exclusif et transfrable sur la ressource et non son appropriation au sens romain du terme. Mais surtout, il ne sagit pas dune notion juridique. Tout le malentendu tient ce que cet usage non juridique de la notion de  droits de proprit , qui peut paratre paradoxal et droutant pour un juriste de tradition romaniste, ne lest pas ds lors quon le replace dans la perspective culturelle et conceptuelle du contexte de Common Law qui la vu natre, tel que Noyes permet de le caractriser. En fait, la notion conomique, ajuridique et prconceptuelle de  droits de proprit , comprise comme  droits exclusifs et transfrables , telles que lemploient les conomistes, constitue comme le ngatif photographique des diffrentes dimensions de la culture juridique des common lawyers en matire de proprit immobilire.

Tout dabord, le caractre ajuridique de la notion de  droits de proprit , na rien pour choquer les juristes de Common Law, pour qui la proprit se conoit avant tout en termes de protection, contre toute interfrence des tiers, de la jouissance exclusive du sol. Pour eux, en effet, le concept substantiel de proprit prive, compris comme droit subjectif, comme pouvoir exerc sur la chose approprie, nest pas un terme de lart, il ne revt pas une signification juridique technique, mme sil imprgne lensemble du droit foncier applicable et constitue une rfrence philosophique et politique constitutive de la  moralit  des institutions britanniques. Pour la majorit de la doctrine britannique, le concept de proprit (ownership) est avant tout une grille de lecture du droit positif, visant en exprimer la ralit substantielle (Harris 1986). Ceci explique que la notion de  droits de proprit , au sens de droits dusage exclusif et transfrable attribu sur une ressource, nait pas de caractre juridique. Ceci explique galement pourquoi les conomistes aient pu employer une notion a-juridique de  droits de proprit , sans que quiconque, parmi les juristes de common law, ne songe aucunement sen offusquer.

Dautre part, lattribution, sur une ressource naturelle, de  droits de proprit  compris comme  droits dusage exclusifs et transfrables  ne peut se comprendre quen termes de saisine, cest--dire conformment la comprhension traditionnelle que les common lawyers ont de la jouissance exclusive en matire immobilire (Gray 1993, Lawson & Rudden 2002). Dans le contexte de lhistoire du droit franais, Anne-Marie Patault a parfaitement montr que le terme de saisine doit se comprendre en terme de proprit jouissance, de matrise des utilits de la chose ne saccompagnant pas dune matrise de la chose dans lintgralit de sa matrialit, loppos de la notion de dominium, de proprit matire, qui implique une con-fusion troite entre la chose et les prrogatives exerces sur elle (Patault 1989).

Par ailleurs, la notion de  droits de proprit  des conomistes, qui est a priori indiffrencie, cadre mal avec la structuration abstraite a priori des prrogatives du propritaire, telle que la labore la doctrine romaniste depuis Bartole, en usus, fructus et abusus. A cet gard, on peut mme affirmer que la notion conomique de  droits de proprit  a quelque chose de profondment destructurant, et on comprend le malaise que les juristes romanistes peuvent prouver cet gard. Or tel nest pas le cas des common lawyers. Il suffit, pour sen convaincre, de se reporter la clbre analyse de la notion downership par Tony Honor (1961). Dfinissant de manire typiquement britannique la proprit comme  le plus grand intrt quil est possible de dtenir sur une chose dans un systme de droit arriv maturit , il tente den dfinir le paradigme substantiel travers lՎnumration empirique et non exhaustive de la srie, potentiellement fractionnable,  dincidents standards  du real estate, cest--dire de prrogatives, telles que le droit de possession, dusage, de gestion, le droit au revenu, le droit la scurit de la possession, la transmissibilit et labsence de termes, la prohibition des usages producteurs de nuisances et lobligation dexcuter les jugements de dettes et dinviolabilit (Honor 1961 : 107).

Enfin, les juristes de traditions romanistes sont galement trs mal laise devant la propension des conomistes du droit appliquer indistinctement la notion de  droits de proprit  aux rapports dobligation personnelle (Atias 1987). Or, un tel glissement conceptuel peut parfaitement senvisager dans un contexte de Common Law o aucune distinction rigide entre le personnel et le rel na jamais t pleinement reue (Samuel 1994).

Lintrt de la typologie de Noyes est de mettre en lumire la profonde cohrence des diffrentes dimensions de la culture juridique des common lawyers, en dpit mme de labsence dune formalisation juridique propre permettre de les articuler en une thorie juridique systmatique de la proprit au sens romain des Institutes Civilis de Gaius (Samuel 1987). Elle permet ainsi de rendre compte tant de la vritable congruence qui existe entre le discours des conomistes sur les  droits de proprit  et plusieurs traits majeurs de la culture juridique des common lawyers en matire immobilire, que du malaise des juristes de tradition romaniste lorsquils apprhendent lucidement la notion et ne commettent pas de contresens son propos.

2. Gnalogie des conflits de conceptualisation concernant les rapports entre proprit et environnement

Le second intrt de la typologie des systmes de proprit dresse par Noyes tient ce quelle permet de rendre compte des divergences thoriques, quont suscites les traditions romanistes et de Common Law, en ce qui concerne tant le concept de proprit lui-mme que lanalyse des rapports entre proprit et environnement. Elle permet de comprendre pourquoi la proprit est analyse en terme de droit subjectif dans les systmes romano germaniques et pourquoi cest sur le terrain du common law que sest panouie la mtaphore du  faisceau de droits  (a). Elle permet galement de saisir pourquoi la relation entre proprit et environnement est pose en terme de fonction dans la doctrine franaise (fonction sociale, fonction cologique de la proprit), tandis que la doctrine anglo-amricaine insiste plutt sur lide dՎthique de gestion patrimoniale (land ethics ; steward-ship) (b).

a. Lanalyse thorique de la proprit foncire

La question de la conceptualisation du rapport juridique de proprit ne se pose pas dans les mmes termes selon que lon se situe dans un contexte romano-germanique ou dans celui du Common Law.

La collatralit des relations entretenues par le propritaire avec les tiers titulaires de droits rels dmembrs sur son bien, en permettant lattribution du dominium sur la chose un seul, mnage galement la possibilit danalyser la proprit comme un droit subjectif caractre rel, et de mettre ainsi surtout laccent sur le lien rattachant le propritaire la chose :  Place au droit rel, s'exclame Demolombe dans une tirade clbre, et que tous les rangs s'ouvrent pour lui faire place lorsqu'il s'avance tout puissant et absolu, par sa seule et propre force, sans l'intermdiaire d'aucun dbiteur, vers la chose mme sur laquelle il porte directement   (Demolombe 1845-1882 : t.9, n 473). Dans le contexte dun tel systme collatral de proprit, le courant doctrinal personnaliste ne pouvait que rester minoritaire, lui qui, la fin du XIX sicle, contestant que le droit rel puisse sanalyser comme un pouvoir sur un chose, ny voyait au contraire quune varit de droit personnel saccompagnant dune obligation passive universelle (Ripert 1902 ; Znati & Revet 1997 : n 211).

Il faut dire que la conceptualisation raliste classique du rapport juridique de proprit liant le propritaire la chose approprie ne pose plus gure de problmes pour la doctrine juridique franaise, depuis que le lgislateur franais en a donn, dans le cadre de larticle 544, une dfinition lgislative conforme la notion quen avait construite plusieurs sicles de doctrine romaniste depuis Bartole (Arnauld 1969). Cette clture lgislative du concept de proprit sest dailleurs accompagne dun appauvrissement considrable de la rflexion thorique sur le sujet mme si des efforts rcents ont t mens pour la revivifier (Xifaras 2004).

Dans la sphre du Common Law, o prvaut un systme de proprit linaire laissant dans lindtermination le contenu des prrogatives du propritaire, la question de la notion de proprit sest rvle beaucoup plus problmatique ds lors quil sest agi den produire une conceptualisation cohrente avec le droit positif. Cette question sest pose avec une virulence toute particulire dans le contexte du droit constitutionnel amricain, o il est apparu ncessaire de proposer des critres substantiels cohrents de la privation de proprit (taking) au sens du V amendement. En Common Law anglaise en effet, la pluralit des grilles de lectures applicables au droit positif a conduit ce que Noyes appelle un conflit des schmatisations du rapport de proprit, sans quaucun effort thorique ne soit conduit pour rduire la contradiction. La tradition britannique a pu ainsi laisser cohabiter paisiblement une tradition thorique dinspiration romaniste, dpourvue de toute influence sur la pratique juridique et contentieuse des juristes, et loppos, la permanence en droit positif de formes et de classification juridiques informant encore la pratique des juristes tout en tant compltement dconnect des ralits conomiques et sociales (Noyes 1936 : 286 ; Lobban 1991).

LՎquilibre des positions doctrinales sest invers, en faveur dune approche personnaliste, depuis que Hohfeld a tabli que tout droit sur la chose (right in rem) est susceptible de sanalyser en un compos dune ou plusieurs relations entre le propritaire et les tiers vis--vis de la chose, parmi ce quil prsente comme les quatre relations juridiques fondamentales. Ainsi la proprit sanalyse-t-elle, non comme un dominion exclusif exerc par un propritaire sur son bien conformment la dfinition quen donnait encore Blackstone, mais comme un faisceau de droits, reliant le propritaires dautres personnes propos de son bien, et se composant dune masse de revendications, privilges, pouvoirs et immunits ayant pour corrlats respectifs des devoirs, labsence de droits, des responsabilits et labsence de pouvoirs (Hohfeld 1913 et 1917)[9]. Plus prcisment, la mtaphore du  faisceau de droits  a pour origine lamalgame entre cette analyse thorique par Hohfeld des relations juridiques fondamentales et lՎnumra-tion empirique des prrogatives du propritaire par Honor (Penner 1996).

Cette mtaphore a t doublement critique. Dune part, elle a linconvnient de conduire la ngligence complte du fondement matriel de la relation dappropriation et finalement, selon une formule dsormais clbre, une  dsintgration de la proprit  (Grey 1980). Aujourdhui, dans la sphre de Common Law amricaine, leffort doctrinal tend plutt restituer la relation dappropriation lintgrit de son fondement matriel, dans la perspective notamment dune meilleure analyse de ses rapports avec lenvironnement (Arnold 2002). Par ailleurs, la doctrine britannique est aujourdhui unanime reconnatre que cette mtaphore ne reflte pas fidlement lapproche que le droit anglais a de lappropriation immobilire (Penner 1997 ; Bright 1999). Conservant cependant lapproche person-naliste, K. Gray propose de dfinir la proprit comme  une prrogative (power-relation) consistant en un contrle juridiquement sanctionn sur l'accs au bnfice d'une ressource excluable  (Gray 1991).

b. Les rapports entre proprit et environnement

La question du rapport entre proprit et environnement est pose de manire trs diffrente selon que lon se situe dans le contexte du Code civil ou dans celui du Common Law. Certes, il sagit, dans chaque cas, dapprcier dans quelle mesure les rgles qui rgissent lappropriation du sol permettent ou non de mettre en uvre les principes gnraux dune thique patrimoniale de dveloppement durable, visant  satisfaire les besoins des gnrations prsentes sans compromettre la capacit des gnrations futures rpondre aux leurs  (Brundtland 1988 : 51). Toute la diffrence entre le systme de proprit drive et linaire, tel quon le trouve dans le cadre du Common Law, dune part, et le systme de proprit directe et collatrale consacr par le code civil, dautre part, tient ce que le premier autorise une rinterprtation des rgles gouvernant la matrise foncire, dans le sens dune redfinition de sa nature et de son tendue, tandis que le second linterdit. L encore, les termes du dbat thorique sont en grande partie surdtermins par la configuration du droit positif.

La littrature juridique anglo-saxonne est unanime considrer la notion de garde ou dintendance (stewardship) comme la caractrisation de la matrise foncire refltant le plus fidlement lobjectif de dveloppement durable :  la notion de surintendance [stewardship] (), qui impose un devoir de garde et peut-tre aussi damlioration de lenvironnement, est troitement lie celle de dveloppement durable. Les deux impliquent un souci des gnrations futures, et les deux requirent du propritaire de choisir la manire de promouvoir le dveloppement la plus respectueuse de lenvironnement  (Alder & Wilkinson 1999). Contre le principe de prrogatives exerces discrtionnairement par le propritaire hors de toute obligation patrimoniale lՎgard de la socit, lide de garde ou de surintendance (stewardship), telle que lapprhende la littrature anglo-saxonne, souligne au contraire  linterpntration structurelle des obligations sociales et des droits invidivuels  (Gray 1994).

Or, lopposition entre proprit (ownership) et garde ou surintendance (stewardship) ractive de manire lacise un vieux dbats traversant la tradition judo-chrtienne occidentale, et plus particulirement la thologie catholique, opposant deux visions diffrentes de la relation de lhomme Dieu lՎgard du monde (Passmore 1974 ; Friedman 1967 : 110-111). Dun ct, lhomme est apprhend comme ayant reu de Dieu mandat pour exercer une domination sans partage. Selon cette tradition, lhomme est matre de droit du monde qui lentoure et qui a vocation lui tre soumis (Lucy & Mitchell 1996 : 571). On trouve lide dun droit gnral de lhomme sur les choses qui, reprise sous une forme lacise par lEcole protestante du Droit de la Nature et des Gens, est lorigine du concept moderne de proprit, tel que le dfinit par exemple larticle 544 du code civil (Renoux-Zagam 1987). Lautre tradition, dans laquelle senracine lide de garde ou de surintendance (stewardship), considre au contraire lhomme comme le lieutenant de Dieu sur terre, activement responsable devant lui de la garde de la cration. Dans sa version moderne, la notion de garde ou de surintendance substitue la relation de lhomme au reste de la communaut humaine celle de lhomme Dieu (Lucy & Mitchell 1996 : 571).

La spcificit du dbat anglo amricain concernant les relations entre proprit et environnement tient ce que les rapport entre les deux grilles dinterprtation possibles de la matrise foncire, restent indtermines, du fait de labsence en common law, dune dfinition juridique positive des prrogatives attachs lappropriation du sol. En fait, le droit anglais de la proprit foncire, tel que la rendu possible le systme de proprit drive et linaire au sein duquel il sest dvelopp, se caractrise, pour reprendre une expression clbre, par sa texture ouverte, cest--dire quil laisse ouvert un espace dinterprtation o peut se nouer le dialogue entre plusieurs valeurs opposes (Hart 1994 : 128). Cest ainsi que la littrature anglo saxonne insiste rgulirement sur la possibilit de combiner, de superposer, voire de substituer lune lautre les deux grilles de lecture du droit de la proprit immobilire. Ainsi, le dveloppement du droit des torts, tels que nuisance ou trespass, visant protger la jouissance exclusive du propritaire foncier contre les interfrences extrieures, a-t-il favoris la notion de proprit (ownership), tandis que les doctrines de lestate et du trust renvoient de manire latente ou expresse la notion de garde et de surintendance. La notion de trustee (fiduciaire) en particulier est quasiment lՎquivalent de celle de steward (Gray 1994 & 1996, Alder & Wilkinson 1999, entre autres)[10]. En fait, certains auteurs prtendent mme quil serait parfaitement possible, au regard tant des doctrines jurisprudentielles que des dispositifs lgislatifs de restrictions administratives informant le droit anglais de la proprit foncire, de substituer, droit constant, la notion de garde ou de surintendance celle de proprit comme grille dinterprtation du droit positif en la matire (Lucy & Mitchell 1996).

Un tel bouleversement des conceptions indpendamment dune rforme lgislative de larticle 544 serait inenvisageable en droit franais. Si la doctrine franaise prsente quelques rfrences parses au rle de  gardien  du propritaire du bien environnemental (Malafosse 1979), on ne trouve en revanche aucune thmatisation de la notion, pour ne rien dire dune laboration thorique. Imbue quelle est de ce consensus inbranlable sur la nature et la dfinition des prrogatives du propritaire, le doctrine franaise est en quelque sorte hmiplgique : elle ne marche que sur une jambe. Pas question pour elle de ractiver pour linstant la vieille dichotomie scholastique. Depuis la rvolution franaise et lentre en vigueur du Code civil, la dichotomie entre droit de garde et droit de proprit na t employe quen matire de droit public, pour discuter les prrogatives des personnes publiques sur les biens appartenant au domaine public (Yolka 1996). Au sein du droit priv, la notion de garde est confine au droit des obligations, clate entre le droit de la responsabilit et celui des contrats[11].

Cest sous la figure de la fonction sociale de la proprit que lantique conception scholastique de la  proprit mandat  a t rintroduite dans la doctrine juridique franaise (Duguit 1920, Gilli 1975). Dans limpossibilit de proposer une rinterprtation du concept de proprit, la doctrine franaise a eu recours, pour en faire voluer lexercice, un facteur de limitation externe linstitution juridique proprement dite, non pas immanent mais transcendant celle-ci, savoir sa finalit, laquelle constitue lՎtalon au regard duquel il est lgitime ou non dimposer des restrictions lexercice de ses droits par le propritaire. Par ailleurs, en labsence des outils juridiques du trust et de la  proprit quitable , le droit franais et plus gnralement, les droits de tradition romaniste, ont t amens dvelopper la notion de patrimoine commun de la nation ou de lhumanit. Ainsi, selon la culture juridique dont est issu sont interprte, une mme convention internationale pourra tre interprte en termes de patrimoine commun (Kiss 1983) ou de public trust (Gray 1994), voire dintergenera-tional trust (Redgwell 1999).

B. Un outil dexplication des modalits de concrtisation des rgimes de proprit au sein des systmes de droit positif

Sur le terrain pratique, linteraction entre les deux dimensions de lautonomie institutionnelle des systmes de proprit, institutionnelle relationnelle dun ct, et juridique formelle, de lautre, contribue rendre compte de ce qui reste inexpliqu au regard de la classification convention-nelle des rgimes de proprit, telles quun Bromley la conceptualise, savoir : la manire dont se distribuent les diffrents rgimes de proprit, prive, publique et commune, au sein dun mme systme de droit positif (Cole 2002). Mieux, elle contribue expliquer pourquoi, pour des objectifs identiques de gestion environnementale, certains rgimes de proprit se rvlent plus efficaces ou adapts dans le contexte dun systme juridique de proprit particulier et non dans un autre. En effet, si, comme cela a t fort justement soulign, les cots dexclusion et de coordination occasionns par la mise en place de systmes de proprit ne sont pas partout les mmes (Cole 2002), cest que les deux types de systmes dappropriation noffrent pas selon la manire dont ils sont juridiquement formaliss les mmes outils dexclusion des tiers ou de coordination des dtenteurs de droits rels sur les biens fonciers.

Si lon prend lexemple (topique) des systmes de proprit anglais et franais, on constate demble, en les comparant, que les diffrents rgimes de proprit, tels que Bromley les a caractriss, ne se distribuent pas de la mme manire dun systme lautre, lorsquil sagit de mettre en place des systmes de gestion des espaces naturels. Ce qui frappe, cest limportance du recours par le droit anglais des mcanismes de droit priv, voire des mcanismes hybride (private charitable trust, statutory covenants), l o le droit franais va recourir quasi-exclusivement des procds de droit public (domanialit publique, servitudes administratives, associations syndicales de propritaires autorises ou forces), ne mobilisant que trs peu les mca-nismes du droit de la proprit immobilire, tel que lorganise le code civil.

Le premier lment dexplication tient ce que le systme anglais de proprit, drive et linaire, de par son origine fodale et de la confusion des dimensions relles et personnelles, na gure favoris une formalisation juridique claire de la distinction entre imperium, pouvoir souverain de commander aux hommes et dominium, matrise de lintgralit des utilits conomiques de la chose approprie (Flogatis 1998). Du coup, il ne favorise pas non plus lՎmergence dun rgime de proprit publique clairement formalis et nettement diffrenci de la proprit prive. Le rgime applicable aux biens de la Couronne nest en fait quune adaptation du rgime de proprit limite dj contenu dans le droit commun (strict settlement, trust for sale). Tout au plus les biens de la Couronne bnficient-ils dun rgime dimmunit, en vertu duquel seules les dispositions lgislatives expresses leur sont applicables.

Le second lment dexplication tient au caractre linaire du systme anglais de proprit, au fait que les titulaires de droits dmembrs concurrents sur un mme bien sont maintenus par le droit anglais dans des liens dinterdpendance favorisant leur coordination. Plus prcisment, le droit foncier anglais, de par son caractre linaire et driv, contient de nombreux mcanismes de coordination qui font traditionnellement dfaut au systme franais de proprit, dont la formalisation juridique par le code civil a systmatis le caractre direct et collatral.

Il est connu que tant les rvolutionnaires que les rdacteurs du Code civil ont eu le souci dexpurger le droit franais de tout mcanisme de coordination entre personnes prives susceptibles de favoriser lՎmergence de corps intermdiaires susceptibles de sinterposer entre lintrt particulier du citoyen et lintrt gnral de la Rpublique. Do la mfiance traditionnelle du droit franais vis--vis des baux emphytotiques qui nont t rintroduit, quau dbut du XX sicle, par la petite porte du code rural , vis--vis des fondations, des fiducies ; ou encore de linterdiction de principe des substitutions fidicommissaires.

La conscration en France du rgime de proprit prive exclusive sest accompagne du passage dun modle de gestion de lenvironnement  autarcique unitaire  (autarcique, parce que privilgiant les solutions autonomes impliquant seulement les personnes qui vivent sur le territoire gr ; unitaire parce que reposant sur la cohsion dune communaut locale et impliquant des individus pluri actifs et des actions multifunction-nelles), un systme de gestion  ouvert parcellis  par  filires dusage  verticales (ouvert, parce que largement dpendant de lextrieur ; parcellis parce que chaque utilit du milieu tend tre prise en charge par une filire verticale dusage indpendante des autres chasse, pche, eau potable, etc). Cet avnement des systmes de gestion  ouvert parcellis  sest accompagn dune perte dautonomie des territoires, ainsi que dune perte de cohrence de la gestion de lenvironnement envisage comme un tout (Barouch 1989).

Si la sphre de Common Law anglaise a t moins touche par ce phnomne de parcellisation des systmes de gestion de lenvironnement, cest que le systme de proprit de common law procure en matire foncire des instruments trs souples de coopration, dont lexemple topique est le trust. Dailleurs, si le droit anglais na jamais eu la hantise des corps intermdiaires, cest trs probablement du fait de lextrme souplesse de ce mcanisme qui a rendu possible une gamme trs varie dappropriation collective, sans quil soit systmatiquement ncessaire de recourir la technique de la personnalit morale (incorporation) pour garantir les droits de cette collectivit (Maitland 1936). En Angleterre, la technique du trust, et plus prcisment du charitable trust, a permis lՎmergence dun vritable  tiers secteur  but non lucratif, qui constitue un partenaire de premier plan pour les autorits publiques charges de la protection de lenvironnement et des espaces naturels (Hodge 1996).

Le droit immobilier franais ne dispose pas de mcanismes identiques celui du trust. Tout au plus dispose-t-il dՎquivalents, de  trust-like devices , qui tous impliquent cependant la constitution de personnalit morale (Walters 1981). Or, le recours obligatoire la constitution de personnalit morale implique des mcanismes juridiques beaucoup plus lourds, et donc beaucoup plus coteux, quil sagisse de fondation ou dassociations syndicales de propritaires. Dailleurs la difficult de constituer des associations syndicales de propritaire est suffisamment grande pour que le lgislateur franais ait prvu la possibilit den tablir de manire force. Lassociation syndicale tombe alors sous le coup du droit public, puisque le Conseil dՃtat lui reconnat le caractre dՎtablissement public. Dune manire gnrale, ce mcanisme est utilis en milieu rural ou/et humide pour lorganisation de travaux dentretien ou de gestion dintrt collectif, et a vu en 2004 son champ sՎtendre la prvention des risques naturels. Lide est chaque fois de rtablir les conditions dune gestion collective qui soit la fois  ouverte et unitaire  (Barouch 1989).

Notons pour finir que la domanialit publique elle-mme dont on a pu souligner la proximit avec le rgime des fondations (Lavialle 1990), rsultant de laffectation dun bien lusage direct du public, est inenvisageable en dehors dune appropriation du bien par une personne morale de droit public.        

Cette absence de flexibilit du systme de proprit direct et collatral institu par le Code civil franais, et les cots dexclusion et de coordination quy implique la mise en place de mcanisme de gestion concerte dinitiative prive explique en grande partie le profond ancrage culturel dune longue tradition dinterventionnisme public unilatral en matire durbanisme et denvironnement.

Conclusion 

La porte mthodologique et explicative, lutilit de la modlisation des systmes de proprit propose par Noyes, linterrelation quil met en vidence entre les dimensions institutionnelles-relationnelles dun ct, et juridiques-formelles de lautre, dpasse bien sr de trs loin le cadre troit dune comparaison franco-anglaise.

Ainsi, labsence de tout quivalent dans le code civil franais de mcanismes de droits de proprit quitables, caractristiques de la Common Law nont fait que renforcer la profonde inadaptation des catgories juridiques romanistes aux ralits coutumires africaines (Le Roy 1991), et peut contribuer expliquer la ncessit, pour lՎcole franaise danthropologie du Droit de dvelopper, aux fins de penser et darticuler une gestion patrimoniale collective des ressources naturelles rares, une thorie du patrimoine et des matrises foncires (Barrire 2002), qui voque un perception juridique des conflits fonciers familire au common lawyer.

Cette approche peut galement contribuer clairer la manire dont les problmes de rpartitions des droits sur les ressources naturelles sont poss dans le cadre de la Common Law indienne, et en particulier, lemploi qui est fait par la Cour Suprme indienne des ressources de lequity que leur offre la Common Law pour arbitrer les conflits dusages et dintrts sur les ressources naturelles.

Le juge indien procde en effet un usage slectif de la technique du trust, qui le conduit une hybridation originale dune logique de protection des droits fondamentaux et des techniques fiduciaires dappropriation collective[12]. Loriginalit de cette hybridation doit tre souligne. En effet, Les deux approches ne reposent pas exactement sur la mme philosophie.

Analysant les possibilits offertes par la Common Law de greffer sur les proprits exclusives ordinaires de droits de proprit quitable, et la garantie que ces mcanismes peuvent reprsenter dun droit daccs aux ressources pour les parties prenantes (stake holders) dpourvues de titres formels de proprit, K. Gray notait fort justement :

 It may, of course, be asked why the interest represented in the new equitable property are not merely urged as human or civic rights. The answer must be one given by the Professor Mac Pherson : we have made property so central to our society that any thing and any rights that are not property are very apt to take second place[13]. In adopting the terminology of equitable property we lock into the insidious powerful leverage of the primal claim its mine, and we harness this claim for more constructive social purposes. When important assets of the human community are threatened, we are able to say, with collective force You cant do that: these assets are ours. When you pollute our air or our rivers or exclude us unreasonably from wild and open spaces, we can mobilise the enormous symbolic and emotional impact of the property attribution by asserting that you are taking away some of our property  (Gray 1994 : 210)


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[1] Douze ans aprs son tude sur les systmes de proprit, qui s'inscrit dans une dmarche institutionnaliste, il a publi, en 1948, un ouvrage extrmement fouill intitul The Economic Man in Relation to his Natural Environment (Noyes 1948). Quiconque y cherchera un prolongement de son tude sur les systmes de proprit appliqu aux problmes d'environnement sera trs du. La mthodologie institutionnaliste est vacue en introduction. L'enjeu est ici d'tablir un pont entre la biologie et l'conomie. Quittant la perspective institutionnelle, lՎtude se propose ici de nourrir le propos des conomistes marginalistes concernant les mcanismes de formation de la valeur.

[2] Concevoir lappropriation du sol en termes relationnels peut paratre trange un juriste romaniste habitu concevoir la proprit comme un droit rel exerc directement sur la chose titre exclusif hors de toute obligation personnelle. Mais lexclusion, toute exclusive soit-elle, nen reste pas moins une relation liant le propritaire au non propritaire vis--vis de la chose approprie, si bien quil est parfaitement possible de construire un mta-concept de la proprit, valide quel que soit les modalits de sa formalisation juridique, et dfinissant cette dernire comme lensemble compos de la relation juridique reliant le propritaire la chose approprie et des relations que le propritaire entretient avec les tiers relativement cette mme chose.

[3] Le terme de rfraction est ici employ par mtaphore. Rappelons cependant quil dsigne un phnomne physique de dviation dun rayon lumineux ou dune onde lectromagntique intervenant lorsque celle-ci franchit la surface de sparation de deux milieux dans lesquelles les vitesses de propagation sont diffrentes, le rayon rfract restant dans le plan form par le rayon incident et la normale la surface de sparation.

[4] La dichotomie entre processus instrumental et rsistance crmonielle est une distinction analytique fondamentale de la tradition institutionnaliste de la premire gnration, allant de Thorstein Veblen Clarence Ayres. Cette dichotomie a pour fondement la distinction, courant dans toute luvre de Veblen, entre modes opposs de lgitimation de la conduite humaine (behavior) : les habitudes de pense (habits of thought) et la connaissance rsultant de lexprience (matter-of-fact knowledge). Sous la plume de Clarence Ayres, cette dichotomie permet dopposer la technologie, nourrissant une dynamique dՎvolution et de progrs, permettant la rsolution des problmes, et les institutions, source dinertie et fondement des activits de rsistance au changement (Waller 1994 ; Tool 1994). Cette distinction est reprise ici pour son utilit analytique objective, sans que soient pour autant cautionns les a priori philosophiques pragmatiques et no-darwiniens, qui lont initialement inspire, ni le jugement de valeur dont ils sont porteurs.

[5] Le point de vue externe selon Hart soppose au point de vue interne adopt par le membre du groupe qui adhre la rgle non seulement comme la source mais galement comme la justification de lobligation qui simpose lui. Le point de vue externe est, au contraire, celui de la partie prenante (stake holder) qui, sabstrayant du groupe par un pas de ct, et se positionnant vis--vis de lui en observateur,  apprhende la rgle en termes de rgularits de conduite observables et lobligation en termes de prdictions et de probabilits de sanction calculables. Refusant dadhrer la rgle comme justification de lobligation et de sa sanction, il ne nglige pas la possibilit de ne pas lobserver si son apprciation des probabilits des sanctions lui en dmontre lintrt dans loptique dune maximisation de son utilit. Lanalyse microconomique du droit fait rigoureusement la mme chose lorsquelle apprhende la rgle de droit comme mthode de dtermination du prix des actions des agents, et se propose de dmontrer que le critre du choix de la rgle appliqu par le juge est celui de son efficience conomique.

[6] En cela, les analyses de Noyes confirment pleinement celles de Hannah Arendt sur la dis-tinction entre domaine public et domaine priv dans lantiquit (Arendt 1961, p. 65 et s.).

[7] Cest--dire les estates dtenus sur le fondement dune inscription sur le registre manorial, et soumis de ce fait aux charges manoriales coutumires.

[8] Walshinghams Case [1573] 2 Plowden 547 555 (cit par Simpson 1986, p. 86) :  An estate in land is time on land and land for a time . On voit combien ce terme de vieux franais ou law french est intraduisible dans le langage romaniste ; combien la notion de domaine ou dominium lui est trangre, qui met laccent au contraire sur une matrise spatiale prsume perptuelle de limmeuble corporel.

[9] Hohfeld propose deux classifications diffrentes de ces quatre relations juridiques fondamentales. Il distingue en premier lieu les corrlats statiques (Droit/devoir ; Privilge/aucun droit) et dynamiques (Pouvoir /responsabi-lit ; Immunit/aucun pouvoir), selon que ces relations expriment des situations juridiques tablies ou renvoient la facult de crer de telles situations. Il oppose en second lieu les relations actives, cest--dire des relations impratives sujettes la comptence de lEtat (Droit/devoir ; Pouvoir/ responsabilit) et les relations passives (Privilge/aucun droit ; Immunit/aucun pouvoir), qui ne sont sujettes aucune sanction juridique directe. On dispose ainsi dinstrument thorique trs puissant pour analyser, sur le terrain juridique, les phnomnes dexternalits ou de dsutilits externs.

[10] Il semble bien que le trusteeship soit une varit particulirement exemplaire de ce que la doctrine anglo-saxonne entend par intendance (stewardship). Comme nous lavons rappel, le trust est en effet un mcanisme de proprit pour le compte dautrui. Le mcanisme du trust permet en effet de sparer et dattribuer des personnes diffrentes ladministration et la jouissance des ressources rares. Le trustee dtient formellement le titre de la proprit, ainsi que toutes les prrogatives dadministration et de gestion qui sy rattachent : il est le propritaire nominal de limmeuble. De la mme manire, lՎconome dtient des prrogatives de contrle et des droits sur la ressource rare dont il est le propritaire nominal, mais ces prrogatives doivent, pour lessentiel, tre exerces pour le compte et dans lintrt dautrui. Lespace de libert dont dispose le propritaire nominal est donc troitement dlimit par lobligation morale que lEquity greffe sur son titre, transfrant ainsi aux bnficiaires des droits quitables de proprit le bnfice substantiel des utilits du bien. (Voir ce sujet : Yannacone 1978, p. 71 ; Lucy & Mitchell 1996, p. 584 ; Alder & Wilkinson 1999, p. 241).

[11] En droit de la responsabilit, au regard de larticle 1382 du Code civil, la garde doit sentendre comme un fait juridique,  le pouvoir indpendant dusage, de direction et de contrle sur une chose qui permet de considrer celui qui lexerce effectivement comme lauteur responsable du dommage caus par cette chose.  En droit des contrats, la notion de garde dsigne au contraire  lobligation de veiller la conservation dune chose (en empchant quelle ne perde ou ne se dgrade) que certains contrats font natre la charge dune partie (investie ou non, par ailleurs, du droit de sen servir) et dont lintensit a t approuve avec plus ou moins de rigueur, suivant des critres dՎquit  (Cornu 1991, pp. 407-408).

[12] Dun ct, en effet, la doctrine du public trust a t reconnue, en 1997, comme partie intgrante de la Common Law indienne et dveloppe sur le fondement de larticle 21 de la Constitution consacrant le droit la vie (right to life), comme lune des composante de ce dernier, ct du droit un environnement sain (right to a healthy environment) et de celui aux moyens dexistence (right to livelihood). Ainsi, la Cour suprme indienne a admis le principe selon lequel lՃtat est le trustee de toutes les ressources naturelles qui ont vocation par nature tre affecte lusage ou la jouissance du public. Ainsi le public en gnral est-il le bnficiaire quitable du littoral, des eaux courantes, de lair, des forts, et des terres cologiquement fragiles. La consquence essentielle de cette doctrine du public trust, telle quadopte par la Cour Suprme indienne est que ces ressources rares ne peuvent pas tre soumises un rgime de proprit prive. Pour autant, aucun droit de proprit quitable, au sens de la Common Law, nest reconnue au bnfice du public. Le mcanisme du trust est donc mobilis pour garantir la mise en place dun rgime de proprit publique propre garantir lexercice par le public des droits environnementaux fondamentaux que lui reconnat la constitution (Razzaque 2001).

De lautre ct, on ne constate quaucun usage similaire des mcanismes de trust nest fait pour la protection des intrts forestiers des minorits tribales Adivasis sur leurs territoires traditionnels (voir ce propos les contributions de A. Menon et de D. Parthasarathy), contrairement lՎvolution jurisprudentielle consacre par la High Court du Queensland. Celles-ci a en effet reconnue lexistence de droits coutumiers autochtones (native titles) au profit des populations indignes, sous forme dobligations fiduciaires grevant leur profit lEtat fdr australien. Ici, la dynamique du trust est employ pour prserver les intrts traditionnels dune communaut, et se traduit par la reconnaissance dauthentiques droits de proprit quitables sous la forme de native titles (Ortega 2005).

[13] Mac Pherson 1977 : 77.