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Conclusion à la 3ème partie:
Quest-ce quune société complexe ?
(extrait de Étienne Le Roy, Le jeu des lois. Une anthropologie " dynamique " du Droit, Paris, LGDJ, Col. Droit et Société, Série Anthropologique, 415 p)
Litinéraire anthropologique,
de laltérité à la complexité,
Ce que complexité veut dire ici
Le prologue nous avait préparé à entrevoir dans lécriture anthropologique plusieurs types dintentions comme le soulignait alors Marc-Henri Piault, intentions souvent emboîtées les unes dans les autres et que chacun dentre nous peut extraire, lune ou lautre, selon son tempérament, lhistoire de sa pratique, les pesanteurs professionnelles (en particulier les rapports avec les collègues)...
Je voudrais donc, sans prétendre en faire lhistoire, qui sans doute demanderait plus dinvestissements que ce que je puis y consacrer au terme dun ouvrage déjà touffu, rappeler les étapes qui ont conduit à lactuelle mise en évidence de la complexité. Puis je résumerai les conclusions que suggèrent les cinq " terrains " que jai présentés et qui permettent de répondre à la question " quest-ce quune société complexe ", avant de refermer, dans la conclusion générale, lensemble de ces enseignements dans une perspective plus générale du jeu des lois.
- Litinéraire anthropologique, de laltérité à la complexité
Plus quune discipline scientifique, lanthropologie est un point de vue sur les phénomènes sociaux, entendant par là lobservation des comportements de lhomme singulier, puis de ses relations avec dautres hommes avec les collectifs quils forment et enfin lemboîtement de ces divers collectifs dans " la société " dont on a eu loccasion dapercevoir la caractéristique majeure : le fait quelle se présente comme une universitas. Les anthropologues du Droit ont tendance, à la suite de Michel Alliot, à ajouter à ces trois étages, lhomme, le groupe, la société, un quatrième étagement non plus institutionnel mais socioculturel quon désigne comme " les traditions ", regroupement de sociétés sur la base du partage des archétypes qui les caractérisent et de leurs modes particuliers de spécifications. Curieusement, cet élargissement de la perspective est taxé de relativisme sans doute parce que, spécialement dans la perception française contemporaine, la prise en compte de la culture met mal à laise en interrogeant les bases affirmées de notre prétention rationaliste à luniversalisme (supra chapitre 33). Je ne poursuivrai donc pas plus longtemps le sens de cette distinction et je traiterai par la suite des trois premiers étagements.
On peut prendre ces trois étagements (qui correspondent peut-être aux paliers en profondeur dans la sociologie de Georges Gurvitch) dans un sens ou dans lautre, le choix nétant pas innocent mais la tendance étant à les conjuguer, du singulier au général et inversement. Il y a encore quelques années, comme je lindiquais dans lintroduction générale, les tenants de la singularité se disaient ethnologues et les partisans des grandes généralisations, à la suite de Claude Lévi-Strauss, se disaient anthropologues. Finalement, le terme anthropologie sest imposé de manière conventionnelle comme un standard international permettant le dialogue interculturel de part et dautre de lAtlantique ou de la Manche, toutes les singularités dauto-désignations restant concevables et effectivement pratiquées.
Tout ceci ne simplifie pas la perception externe de notre discipline et explique sans doute que Jacques Lombard qui fut un grand illustrateur de lanthropologie sociale en étant influencé par le structuro-fonctionnalisme anglais consacre son dernier ouvrage à un retour à lethnologie, pour mieux dévoiler une tendance du " généraliste seffaçant de plus en plus derrière le spécialiste "(1994-29). Il observe également que la finalité de lethnologie la conduit à privilégier létude des petits groupes, le plus souvent en voie de disparition, et que sa démarche est " scientifiquement dépendante ". Tous ces arguments pourraient faire douter de lintérêt de notre approche si on nintroduit pas la prise en compte dun facteur qui assure son autonomie et sa spécificité: le paradigme de laltérité.
Cest sur ce paradigme que souvre cet ouvrage (comme pour toute recherche anthropologique) et que peut se refermer toute pratique anthropologique car, en dépit de tout ce qui a été écrit, laltérité reste un " tabou " (supra chapitre 19) qui, de lethnocentrisme au racisme, continue dempoisonner nos sociétés à la fin du XX° siècle et ainsi fonde lutilité sociale et politique de lanthropologie.
Si on veut donner une idée de lévolution de ce paradigme, cest à ce XVI° siècle, comme la souligné le chapitre 33, quil faut lassocier. Ce siècle fut appelé Renaissance et vit effectivement renaître la question de laltérité quavait déjà abordée, sans respect particulier, lantiquité gréco-romaine.
On doit aux voyageurs de la Renaissance les premiers récits qui vont fonder lethnologie scientifique et les références qui deviendront ensuite incontournables. Qui dentre nous, anthropologues, ne se reconnaît pas dans cette affirmation de Michel de Montaigne dans le célèbre chapitre des cannibales de ses Essais : " chacun appelle barbare ce qui nest pas de son usage; comme de vrai, il semble que nous navons dautre mire de la vérité et de la raison que lexemple et lidée des opinions et usances du pays où nous sommes ". Cet esprit de tolérance mettra cependant deux siècles à être transposé scientifiquement et, comme je lai déjà indiqué, je suis lavis de Claude Lévi-Strauss considérant Jean-Jacques Rousseau comme fondateur de lethnologie scientifique en posant laffirmation suivante dans le chapitre VIII de son Essai sur lorigine des langues :
" Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier lhomme, il faut porter sa vue au loin; il faut dabord observer les différences pour découvrir les propriétés ".
Cette perspective de lanthropologie mettra encore deux siècles à se concrétiser, piégée par les notions dévolution et de progrès qui déformeront ce " regard porté au loin ". De même, la colonisation et limpérialisme infléchiront durablement ce regard car les pratiques dobservation et danalyse dans le contexte colonial sont nécessairement biaisées.
De cette longue période et en dépit des multiples connaissances particulières qui ont été accumulées sur " les hommes " et sur leurs droits, je ne retiens rétrospectivement que ce que les travaux nous apportent de la connaissance de lHomme et je privilégie à nouveau lapport de celui qui neut pas à aller " étudier les hommes " sur le terrain pour comprendre les comportements de lHomme dans leur plus grande généralité, je veux parler de Marcel Mauss. Cest le théoricien de la totalité qui est ici reconnu, apportant le concept relais qui permettait douvrir lanthropologie sur le mystère de la société comme totalité ou universitas dans le langage de Dumont et des canonistes. Lidée de totalité permettait de dépasser les deux grandes clôtures de laltérité classique, le fait quun ethno-anthropologue ne puisse étudier systématiquement que des petits groupes (contrainte démographique) et que ces analyses soient réputées " hors de lhistoire " (contrainte de monochronologie). Lanthropologie de ce siècle se donne lambition détudier la totalité de la société dès lors quelle se dit une universitas et dans la totalité de son historicité.
Ainsi, la double opposition entre ethnologie et anthropologie puis entre lethno-anthropologie et sociologie devenait-elle dépassable et le sera, lentement, au cours des années quatre-vingts.
Jai ainsi retrouvé un long article (près dune page) dans Le Monde de 15 janvier 1982 dEmmanuel Todd. Cet auteur, anthropologue qui dans son oeuvre a sacrifié à son propre constat dun " manque de théorisation et dexcès de généralisation ", générateur de lune de ces crises cycliques qui parsèment lhistoire de lanthropologie, souligne pourtant " lamorce dune révolution qui mène lanthropologie à la rencontre de lhistoire, dans les années 70, en France comme en Angleterre ". Si E. Todd aime les formules et oppose " les Français (qui) ont mis lanthropologie au service de lhistoire (aux) Britanniques (qui) ont mis lhistoire au service de lanthropologie ", il désigne bien une innovation, la redéfinition des objets de la recherche. Prenant lexemple des études de parenté, cette " vache sacrée " dont jai également parlé, il indique à propos des anthropologues britanniques que progressivement leur analyse
" a changé de nature : une distinction sest imposée entre la parenté comme système idéologique et la parenté comme système de relations interpersonnelles à partir des études dEvans-Pritchard sur les Nuer. On se demande moins pourquoi toute une catégorie dindividus sont appelés frères, indépendamment de lidée biologique de fraternité, mais on examine attentivement la cohabitation, au sein dun même ménage, de tels ou tels types de parents. Bref, on abandonne la parenté pour la famille ".
Les travaux du LAJP (dont jai rendu compte dans le chapitre 23) ont suivi le même processus de redéfinition des objets au milieu des années soixante. Mais pour aboutir à la conception actuelle, qui na rien dun aboutissement et qui est seulement une étape rappelons-le, il fallait encore renoncer à un effet pernicieux de lexotisme qui faisait encore sacrifier certains dentre nous à leffet du sauvage à la mode. Cest la banalisation dun monde déjà désenchanté, banalisation opérée à la fin des années quatre-vingt avec la chute du mur de Berlin et la disparition du " deuxième monde " la multiplication des communications et des voyages, linternationalisation des média, qui ont modifié les perceptions, sans faire oublier tout folklorisme. De là naît lidée que sans être " du pareil au même " chaque société est riche de ses différences au nord comme au sud : toutes sont diverses, toutes sont complexes conjurant ainsi le risque de relativisme par luniversalité de la " complication ", selon le sens commun, de la complexité dans les analyses dEdgar Morin.
Si cette nouvelle façon de conjuguer laltérité nest plus spécifiquement ethnologique, si donc lanthropologie ne revendique pas le monopole ou linitiative dans ce domaine et quelle partage ce type de préoccupation avec des disciplines plus ou moins voisines (spécialement la sociologie dont ne la sépare que les nuances que certains veulent souligner), cest bien lémergence dun paradigme renouvelé au sens dune " néo-altérité " qui apparaît dans le contexte de la trans-modernité et que cet ouvrage a contribué à illustrer.
Ce que complexité veut dire ici
Les cinq terrains que nous avons exploré en commun me permettent de tirer six enseignements à propos de ce que la complexité peut signifier in concreto : non pas de manière spéculative et abstraite mais déductivement.
Premièrement, la complexité ne se comprend qua posteriori
Au premier abord, une société se révèle indéchiffrable pour un observateur extérieur. Tout y est mélé, sens dessus dessous apparemment, et la compréhension, le fait de saisir de lintérieur une explication, ne vient que lentement par étalonnage rétrospectif de lensemble des expériences accumulées. Cette constatation nest pas spécialement scientifique mais le chercheur, particulièrement lanthropologue, en déduit des conséquences quant à lélaboration théorique.
Les expériences de terrain dont jai rendu compte illustrent en effet une exigence théorique qui associe induction et déduction pour reconstruire constamment des cadres théoriques qui ne doivent être considérés que comme des constructions a posteriori, aux bases plus ou moins assurées, aux implications plus ou moins heuristiques.
Les situations où nous avons pu privilégier le " terrain " et ses enseignements (chapitres 31,32, 34) ont permis de valoriser la démarche inductive, toujours préférée par lethno-anthropologue. Les chapitres sur lEtat et sur les Droits de lhomme sont plus déductifs en recherchant les conséquences de nouvelles règles du jeu posées demblée comme incontournables pour répondre aux questions de la recherche. Pourtant, on a remarqué, me semble-t-il, que la vieille opposition entre linduction ethnologique et le déduction sociologique nest pas tenable car chaque terrain implique de passer constamment de la déduction des connaissances antérieures à linduction à partir des observations nouvelles pour formuler dans un troisième temps des conclusions par déduction ouvrant à de nouvelles investigations. Le jeu entre linduction et la déduction, ce passage du particulier au général et du général au particulier, est donc aussi constant que linhalation et lexpiration dans la respiration : deux temps dune même expérience.
Par ailleurs, poser que les cadres théoriques sont des constructions a posteriori ne veut pas dire que lanthropologue naborde pas son terrain sans référents théoriques. Mais ceux-ci appartiennent à la problématique pour constituer laxe, la colonne vertébrale de la recherche. Ceci signifie, en approfondissant cette image, que la recherche ne peut tenir debout sans ces éléments de théorie mais ne peut prétendre restituer le grand jeu de la vie si elle ne demeure que ce squelette théorique initial. Nourrir les éléments de théorisation initiale des observations inductives et déductives permet de produire ces explications, délargir les connaissances et de faire progresser la science en répondant ainsi à lexigence dinnovation - qui est aussi justification- du chercheur. Car cest bien dans linstant de lévaluation de la marge davancées et de confirmation, positive aussi bien que négative, des enjeux de la problématique que la théorie peut être pesée pour ce quelle offre, lappréciation du surcroît de connaissance que la recherche a autorisé.
Deuxièmement, la complexité nous situe entre science, voyance et initiation
Chacun de ces terrains, exotiques ou non, a exigé pour accéder aux connaissances des procédures particulières pour entrer dans ses questionnements, découvrir les personnes-ressources, sinscrire dans les réseaux relationnels où séchangent les informations et où sont confrontées les conclusions. Ces procédures particulières sapprennent puis sexpérimentent au cas par cas. Ce sont des contraintes techniques particulières à la profession de chercheur et lanthropologue ny introduit que des variantes avec sa démarche dobservation participante. Il faut aussi " en être " pour en parler. Vivre chez Mamadou Sey, infirmier à Thiès, ou suivre lagent voyer de cette ville dans sa tournée des tas dordure nous apportent beaucoup plus de connaissances des conditions de vie et des manifestations de la civilité urbaine que létude des statistiques de fréquentation des services de létat civil.
Pour celui qui na pas pu ou voulu recourir à ces procédures particulières, qui na pas cherché à pousser les portes, à se présenter " en aveugle " pour partager les joies et les peines selon les lois de lhospitalité, ces mondes peuvent apparaître comme clos et terrifiants parce quil nen possède pas les clefs. Ainsi, pour moi, le deuxième enseignement de ces travaux est que la complexité nous oblige à regarder, au-delà de la science, ces savoirs " profonds ", ce que les Wolof appellent savoir-savoir (xam-xam) le vrai et le gai savoir (au sens de Rabelais). Cet élargissement du regard scientifique nest que la confirmation dune sagesse immémoriale : ce qui est clos et hostile pour celui qui a renoncé à se laisser interpeller par les phénomènes daltérité est ouvert et fécond pour celui qui sest donné la peine dentrer dans la connaissance. La complexité peut et doit être interrogée en mobilisant les ressources nécessaires et jusquà se heurter à " linfini turbulent " dont parlait le poète Henri Michaux à partir de son expérience de la drogue.
Ce que lépoque actuelle ajoute aux expériences ancestrales tient à lillusion, que donne la télévision en particulier, quil suffit de voir pour comprendre alors quon reste dans la position dun voyeur quand il faudrait être dans celle du voyant.
Est-il alors besoin de rappeler le défi que constitue pour celui qui a " passé la ligne " la possibilité de décrire ce quil a vu, de parler dun ineffable, de cette petite musique ou de ces parfums, de ces attitudes et de ces plaisanteries qui font un ethos, à la fois matériaux pour la recherche et traces impalpables du grand poème de la vie qui reste toujours à composer ?
Troisièmement, la complexité induit incertitude et instabilité
Cette troisième proposition nest pas une découverte et ne fait que confirmer les bases conceptuelles du jeu des lois. Non seulement le résultat du jeu des lois nest pas donné à lavance (incertitude) mais également les solutions utilisables à un moment donné sont susceptibles dêtre remises en cause par la variation dun facteur qui entraîne le rééquilibrage de lensemble des autres facteurs (instabilité). Pour linstant, nous ne pouvons pas prédire les solutions types qui pourraient émerger car la réponse ne peut être déduite dun programme informatique ou de calculs. A nouveau, lexemple de nos villes sénégalaises est significatif. Un secrétaire général de mairie anticipe de plusieurs années une réforme (qui sera effectivement mise en oeuvre quelques années après) pour résoudre un problème de robinet, au risque, quand le Droit aura évolué, davoir déjà changé et adapté sa stratégie à un autre équilibre, imprévu. La prévision et la sécurité juridique pourraient être les grands perdants, sauf, comme on la aussi indiqué, à changer certaines bases référentielles de ce quon cherche à prévoir ou de ce quon tente de sécuriser. A côté des inconvénients indiscutables mais aussi incontournables de la prise en compte de la complexité, il y a des avantages. Jen vois un depuis le début de cet ouvrage : la nouvelle responsabilisation des acteurs dans la vie sociale et juridique. Dès lors que le résultat est incertain, il ne peut être laissé aux seules mains des spécialistes ou au bon plaisir de mécanismes ou de procédures. Lhomme doit se réinvestir dans le relationnel ou, plus exactement, confirmer que les investissements dans les relations personnelles quil réalisait de manière honteuse et sous le couvert du secret sont une part incontournable, donc structurelle et licite, du jeu social.
Quatrièmement, réintroduire une épistémologie de lopacité comme principe de lecture de la complexité
La démarche de la science moderne repose sur une épistémologie de la transparence qui est sans doute partiellement fictive mais qui suppose que tous les raisonnements et toutes les opérations raisonnées sont observables, catégorisables, énonçables et reproductibles. " Il ny a quà " trouver la bonne procédure ou le bon outil, à la manière de la découverte par Le Verrier dune planète qui porte maintenant son nom. Cette planète fut calculée par lui mais observée réellement quelques décennies après lorsque les astronomes disposèrent de linstrument adapté. Dans cette hypothèse de transparence et dobjectivité, les choses sont ou seront telles quelles sont décrites par le chercheur sil respecte les protocoles de sa discipline.
Cette foi du charbonnier dans les vertus de la science se heurte pourtant à de solides obstacles. Sur la base dune " équation " où la recherche Re est égale à un jeu de questions /réponses (Q/R) relatives à un objet (O),
Re = Q/R
O
jen distingue au moins de trois types selon les cas suivants.
- On ne dispose pas dun bon système de questionnement (Q), par exemple parce quon ne sait pas quoi regarder dans nos villes sénégalaises : les monuments ? les hommes ? les marchés ?
- On dispose dinformations incomplètes, bâclées, contradictoires ou carrément fausses, comme on la évoqué à propos de cette fameuse propriété foncière collective qui nest que le fruit de lidéologie moderne et du principe de lenglobement du contraire. Cest alors lobjet scientifique (O) qui se trouve remis en question.
- Enfin, des réponses (R) sont données et doivent être prises en considération parce quon est en situation de recherche appliquée où le commanditaire exprime sa demande : " je veux tel résultat, voyez comment me lassurer ". Par là il veut dire " dégagez lobjet, voyez quelles questions il pose et à quelles conditions la réponse est possible ". Du fait que le client, comme le bailleur de fonds, a toujours raison, il faut bien mettre en oeuvre des procédures pour produire le résultat escompté.
Lépistémologie de lopacité (qui a une histoire qui mériterait dêtre reconstituée et publiée) répond à des situations de ce type. Je lai expérimenté à propos de la justice des mineurs (dans le rapport de recherche cité dans le chapitre 34). Elle consiste à postuler que la réalité est enfermable dans une " boite " (quon dira boite noire si on peut y associer un système denregistrement) et quon observe seulement ce qui rentre et ce qui sort. Sur la base dune comparaison entre inputs et outputs et dune répétition de ces observations selon des protocoles, on déduit des variations des principes dexplication de ce qui se passe à lintérieur de la boite " noire ".
. Dans le cas de la justice des mineurs, par exemple, cétait le cabinet du juge des enfants qui était considéré comme une boite et le système denregistrement nétait autre que lanthropologue assis à la place du greffier et relevant sous le couvert de la confidentialité tous ceux qui pouvaient entrer ou sortir, ce quils disaient ou faisaient et tout ce qui était échangé au téléphone. Enfin, les dossiers pouvaient être consultés sils apportaient des éléments dinformation complémentaires.
Les diverses prestations, enregistrées par écrit et confrontées, permirent de dégager un processus de prise en charge de la fonction de courtage du juge des enfants dont jai parlé dans le chapitre 34 à travers les mécanismes de loralité juridique, un mode de gestion du conflit dont javais découvert la logique opératoire dans la justice coutumière africaine (au tribunal coutumier de Bakongo à Brazzaville) et dont je retrouvais les applications au tribunal pour enfants de Créteil !
Lintérêt de poser le principe de mise en boite noire est de réserver les conclusions sans préjuger de la connaissance des mécanismes en cause. Dans le cas de la justice des mineurs, cette démarche permettait de " mettre entre parenthèses " la connaissance classique de la justice et déviter de reproduire des clivages incongrus, donc autorisait à traiter la justice des mineurs comme une forme originale de régulation des conflits concernant les mineurs et leurs familles dans un but déducation.
Cette démarche a été reproduite pour la gestion patrimoniale dune manière moins systématique, en nous obligeant à prendre au sérieux les pratiques dacteurs se situant à la fois dans la traditionalité et dans la modernité, donc dans lentre-deux de lun et lautre à la fois.
Cinquièmement, toute complexité suppose une interculturalité
Lensemble des connaissances, savoirs et savoir-faire quon dénomme culture se décline de plus en plus au pluriel et on distingue ainsi des cultures savantes ou populaires, des cultures classiques, dentreprise, religieuses ou laïques, traditionnelles et modernes... La prise en compte de la pluralité des mondes que jemprunte à Boltanski et Thévenot induit également pluralité des cultures, et exigence de conjonction de ces cultures en situation de complexité. Rappelons que pour ces auteurs,
" (o)n peut qualifier ces sociétés de complexes au sens où leurs membres doivent posséder la compétence nécessaire pour identifier la nature de la situation et pour traverser des situations relevant de mondes différents. Les principes de justice nétant pas immédiatement compatibles, leur présence dans un même espace entraîne des tensions qui doivent être résorbées pour que le cours de laction se poursuive normalement " (1991-266).
Linterculturalité qui sen déduit nest pas familière à la société française et va bouleverser les méthodes de lenseignement scolaire et influer, positivement peut-on lespérer, sur les pratiques sociales.
Dans le chapitre 14, et à partir des travaux de Raymundo Panikkar et de Robert Vachon , jai souligné les contraintes particulières du dialogisme qui est rencontre et découverte de lautre dans les termes suivants : le dialogue dialogal ne consiste pas tellement en un dialogue sur un objet (...) mais plutôt en un dialogue entre sujets, où laccent est déplacé de ce dont on parle vers ceux qui parlent et qui devient ainsi un lieu de partage et de dévoilement mutuel des sujets, les menant à se découvrir soi-même en découvrant lautre .
Dans cette même perspective, ces cinq chapitres, spécialement celui relatif à la gestion patrimoniale dun point de vue formel, vérifient le besoin de systématiser des modèles comparatifs anthropologiques. Ces cadres comparatifs doivent disposer dune neutralité qui respecte la convergence des observations, favorise leur redéfinition sur une base commune et évite la discrimination des explications dans chaque culture. Il sagit là de réunir les conditions dune approche comparative non ethnocentrique.
Sixièmement, la complexité nest pas luniformité
Au contraire ! La complexité nous invite à redécouvrir le principe de la complémentarité des différences. Dans un texte récent prolongeant les travaux du LAJP sur le thème de la maltraitance infantile, publié dans le cadre du Centre International De lEnfance et de la Famille (CIDEF), je remarquais que la complexité interdisait également " de refuser tout dualisme induisant les risques de dichotomies et finalement lenfermement de la pensée scientifque dans le principe de lenglobement du contraire ". Ceci suggère singulièrement déviter de retomber dans les simplifications de la mondialisation et de sinterdire de penser le " local " comme le contraire du " global ". " La localisation est à la mondialisation ce que, dans la pensée confucéenne, le ying est au yang. Elle est dautant plus présente quelle nest pas affichée ou énoncée. Et toute tête dans les étoiles de la mondialisation doit avoir ses pieds ou ses racines dans un terreau qui peut être terroir ou fumier, épaisse moquette ou grande plaine ouverte. Il y a là un jeu dialectique essentiel " (Ibidem, 1998-188) que chacun doit apprendre à maîtriser et que nos chapitres ont illustré, spécialement pour les droits de lhomme et la gestion patrimoniale.
Ce refus de luniformisation sapplique à toutes les cultures scientifiques et aux langues de communication. Ceci suppose de préparer la francophonie à être au rendez-vous du temps de la complexité.
En conclusion
, si on tente de répondre à la question que pose lintitulé de cette rubrique, on peut faire les observations suivantes :° Une société complexe est dabord une société ouverte, spatialement sur toutes les autres sociétés du globe, temporellement sur son passé, sur son présent et sur son devenir.
° Cest une société où les agencements sociaux et les régulations sont instables, donc incertains, au moins à lintérieur de certaines marges. Le Droit , selon la formule souvent citée du doyen Hauriou " constate des armistices sociaux " fugaces et volatiles. Ce que le manque de profondeur temporelle obère, la capacité dadaptation aux nouvelles contraintes le favorise.
° La vie en société sapprécie par ses résultats, non par ses intentions ou ses objectifs proclamés. Cette préoccupation matérialiste qui est aussi une obsession du futur modifie nécessairement la conception du Droit qui ne peut plus tenter dimmobiliser le temps au présent recomposé et qui devra inventer de nouveaux mécanismes de régulation.
° Si une société complexe apparaît comme multiculturelle et pluriconfessionnelle, plurielle et plurale, et que la requête dinterculturalité et duniversalité est incontournable, le mystère de ce qui lie ensemble les individus dans cette universitas quon appelle société reste entier. On a évoqué le rôle de " lieur " que devrait assumer le magistrat judiciaire. On a également relevé le besoin dun droit des repères au profit non seulement des cohortes juvéniles mais aussi de tous ceux qui sont déséquilibrés ou désarticulés, donc marginalisés par les changements dont le rapidité frappe tous les esprits.
Cest donc à la question des projets de société que sera réservée notre conclusion générale.
Conclusion générale
Lanthropologie du Droit à la recherche
de nouveaux projets de société : dix leçons
Les apports du jeu des lois
Les exigences dun projet
Toute recherche qui se clôt souvre nécessairement à de nouveaux questionnements. On se moque parfois du chercheur " qui nen a jamais terminé " ou " qui complique tout " dit le sens commun. Pourtant, comme la montré la troisième partie, cette complication nest pas le fait du chercheur mais de la société, irrémédiablement complexe.
Je ne vais pas revenir sur les conclusions précédentes mais donner à ces esquisses un prolongement en minspirant principalement des conclusions dégagées progressivement dans les deux premières parties.
Je me tiens ici à deux règles de méthode que jai eu loccasion dillustrer :
1° Lobjet de la recherche cest la société comme universitas donc comme totalité " discrète " non la societas comme agrégat : Or, ai-je constaté, " le problème est (...) que, dans nos expériences contemporaines, la société comme un tout organique et comme unité dynamique est absente ".
2° et en conséquence, il ne peut y avoir de comparaison possible entre ces ensembles " discrets " quon appelle sociétés quà condition de mettre en oeuvre des protocoles qui sous le nom de modèles ont structuré le présent ouvrage depuis lIntroduction générale. Comparaison nest pas raison si on ne se donne pas les moyens du comparatisme.
En dehors du fait que les cinq chapitres de la troisième partie ont à la fois confirmé quelques idées courantes et ouvert à des expériences inattendues, la conséquence quon peut tirer de leurs enseignements est que seule la plongée dans ce qui constitue lessence (ethos) de chaque société peut répondre à lexigence de compréhension et dintelligibilité de la science sociale. A cette exigence minimale, lanthropologue du Droit y a ajouté le souci de toujours ramener lobservation des phénomènes juridiques aux logiques sociales qui les fondent. Avant de prétendre " penser le Droit ", il sest ainsi préoccupé de saisir les acteurs dans leurs " mondes " et dinterpréter les " visions du monde " inscrites au sein de " traditions " dont on a vu quelles appliquent le principe du mouvement et de la vie et que tout change à lintérieur dune trame, dune matrice dautant plus permanente quelle nest généralement pas consciente donc pas questionnée ou critiquée. Comme on le remarquait à propos de linvention de la ville en Afrique, je fais mienne la juste observation de Georges Navarro : (l)e tout, pour nous, est de suivre à la trace le fil de la <reliance sociale> et de voir son travail, ses visages ".
De ces deux propositions de méthode je tire donc pour conséquences, quand on prend au sérieux le caractère de nos sociétés en situation de " trans-modernité ", la double orientation de cette conclusion : dune part, faire la synthèse des apports de cet ouvrage pour ce qui concerne notre connaissance de la société et de la part qui prend le Droit comme " règle-du-jeu- " de la vie en société et dautre part dégager les contraintes dans lénonciation des projets de société
Les leçons du jeu des lois
Première leçon
Indépendamment du contenu des parties, leur premier apport est de couper le lien de filiation entre le jeu de loie et le jeu des lois. Comme le faisait remarquer Laurent Boileau à propos du jeu " de société ", " sa règle repose sur un postulat de fiction, contraire à la réalité quotidienne ". Notre jeu des lois se pratique " en société " et na ainsi aucun caractère fictif. Il tente dapprocher au plus près la vie en société dans ses modes de régulation spécifiques. Ainsi, le jeu des lois ne peut-il être arbitrairement arrêté et si on ne sait exactement quand il a débuté on peut être assuré quil ne peut avoir de fin sauf à renoncer à la vie. Dès lors que nous sommes vivant et " animal civilisé " (zoon politicon) nous sommes condamnés à pratiquer le jeu des lois, plus ou moins consciemment et si possible de manière à en maîtriser les contraintes et les virtualités. Le ludique a ainsi fait progressivement place à linteractif, parfois au tragique. On se souvient de la métaphore de la fourche télescopique proposée par J.-F. Tribillon pour qualifier le Droit, fourche qui permet dabsorber les chocs et aléas de la vie et de conduire lindividu en société vers le " port ", grâce aux repères quoffre la juridicité.
Deuxième leçon
Lexigence de totalité ne façonne pas seulement la démarche anthropologique mais la prise en compte de la vie en société. A lencontre dune tendance à lartificialisation, donc à la spécialisation toujours croissante, le jeu des lois a dégagé les manifestations dialectiques des logiques sociétaires et nous invite à une appréhension de la globalité des facettes de la vie en société : " il faut donc, disait-on dans le chapitre 14, bien tenir la démarche par les deux bouts, à la fois savoir de quoi on part, qu'est-ce qu'on transmet, comment on va l'établir et comment cela va durer (dimension de linstitution) et d'autre part, à quelle besoin cela doit répondre, qu'est-ce qu'on en fera, à qui et surtout à quoi cela servira, effectivement (dimension fonctionnelle) ".
Troisième leçon
Le droit-comme-règle-du-jeu est paradoxalement saisi par le mouvement, celui de la vie, au moment où les exigences de la sécurité juridique lui donnent lapparence dêtre fixiste ou figé dans un présent historique reconstitué. Cette prise de conscience dun temps " qui bouge " dans le Droit pose des questions neuves que tente de saisir un des projets de lAcadémie Européenne de Théorie du Droit (AETD) que jai cité et cest le sens de ce mouvement, de cette dynamique appliquée au Droit que jai cherché à déchiffrer dans cet ouvrage.
Jai ainsi diagnostiqué dès lintroduction générale " une acculturation des projets de société ", observable tant dans les sociétés européennes quafricaines (ou américaines), et " accouchant progressivement des visions du monde du XXI° siècle ". Je me rends compte, au terme de louvrage, du caractère optimiste de mon expression, le " progressivement " devant sans doute être remplacé par " difficilement ".
Cette acculturation prend, selon mes analyses, la forme dune greffe ou dun métissage et induit une transformation en profondeur de lexpérience occidentale dans le contexte dune sortie de modernité qui pourrait être interprétée comme entrée dans la trans-modernité : " La bonne démarche paraît être de favoriser ladaptation de la conception commune ou banale du Droit à la complexité et de se proposer denrichir ces conceptions de la loi et de la régulation, à la manière dun enrichissement de luranium en plutonium ". " On est donc conduit, vaille que vaille, à intégrer lidée que cest la régulation juridique dans sa version légale et étatiste, qui doit être repensée. On est également amené à considérer que le sens du jeu est déterminé par notre capacité à penser les institutions et leur Droit comme des repères pour l'action future plutôt que comme la répétition des expériences du passé. On est enfin amené à admettre la part de flou, de fluide et de contradictoire dans la vie en société ", donc dans le Droit.
Je rappelais également dans ce chapitre 14 que " ces formules de régulation, combinant universalité et particularités, auront pour caractéristiques dêtre personnalisées, contextuelles mais généralisables et séquentielles. On a ainsi relevé dans le chapitre 13 la remise en cause quintroduisait la prise en compte de la gestion reproductible et durable de lenvironnement : " Quand on doit prendre en compte le droit des générations futures, donc se projeter dans lavenir et subroger le consentement de ces générations à naître, on ne peut plus recourir au seul mécanisme contractuel et seules des approches de type patrimonial permettraient de proposer des solutions satisfaisantes ".
Le chapitre 32 a vérifié le caractère trans-moderne de ce type de démarche tout en soulignant les nouveaux investissements scientifiques à réaliser pour disposer de mécanismes de régulation effectivement opératoires.
Enfin, le chapitre 16 a constaté que notre culture contemporaine valorise linstantané et le simultané (réaction en " temps réel " immédiate à lévénement, communication simultanée des marchés financiers et des réseaux dinformations et dimages) plus quelle ne cultive la mémoire ou ne forge des projets pour lavenir, et ce sur fond de fragmentation sociale et dindividualisme croissants (sans oublier cependant les phénomènes sociaux, plus souterrains, de recomposition).
Quatrième leçon
On sest demandé également " sil nappartient pas aussi au droit de sincrire dans la durée : peut-on en effet " instituer " sans durer "?
Pour durer il faut des valeurs et les valeurs sont le nord magnétique des pratiques juridiques. Un Droit sans valeurs partagées est déboussolé. La crise que traversent les sociétés en cette fin du vingtième siècle est due à laporie de valeurs " valorisantes " ou stimulantes (par différenciation des valeurs monétaires ou financières que je tiens pour stérilisantes et qui simposent de manière indue).
Or, le partage de valeurs opératoires paraît une des clés dans la régulation des sociétés, au Sud comme au Nord, autour de la notion de partage précisément.
Dans le cadre de cet ouvrage, nous avons vu des séries de valeurs émerger dans chacun des contextes où nous avons travaillé, civilités urbaines, médiation et justice, droits de lhomme, gestion patrimoniale, socialisation des mineurs.
- La médiation nous a permis de comprendre que " violence faite à sa propre violence sous lautorité dun tiers, la médiation nest jamais douce. Surtout, elle nest pas une justice même de proximité. Elle ne dit pas qui est en faute. Son objet est de concilier ou de réconcilier, de reconstruire le lien par le lieu de la médiation " De même, nous avons associé la figure du juge dans le chapitre 34 à celle du lieur que thématisait déjà le bouclier dAchille dans lIliade !
De ce fait, et dans un contexte de globalisation, " il faut concevoir une théorie de la juridicité qui tienne compte de ces articulations nouvelles, à partir du lien social et selon une problématique du multijuridisme ". Car, " aucune définition du Droit ne peut extrapoler les critères de juridicité de lune des sociétés, même si son économie domine le monde ".
- Ensuite, les droits de lhomme nous ont fait déboucher sur les valeurs de paix, paix définie au plus simple comme " harmonie des différences ", à travers trois exigences : respect de lautre, maîtrise de soi (et de ses pulsions), dialogisme.
- De plus, la gestion patrimoniale a favorisé la reconnaissance des vertus de la négociation et de certaines valeurs particulières à protéger : promouvoir une gestion paritaire et décentralisée implique la valeur de participation; privilégier le principe de subsidiarité réhabilite la valeur dadhésion par les acteurs; intégrer la pluralité, la différence et la divergence donc des valeurs dhétéronomie.
On a ainsi cherché à dégager les lignes dune politique juridique faisant leurs parts respectives aux normes générales et impersonnelles pour fixer les principes dorganisation, aux modèles de conduite et de comportement pour traduire dans le Droit de la pratique leurs applications normatives en vue denraciner par des systèmes de dispositions durables les valeurs à poursuivre.
- Dans le chapitre 22, enfin, à propos de la socialisation juridique, je confirme cette lecture. Il sagit en effet de donner à ces fameuses " normes en creux " un sens qui ne soit pas seulement négatif (tu ne voleras point) mais positif. Ce faisant, il faut adosser la norme à une valeur qui soit acceptée de manière suffisamment large pour réduire les effets de brouillage et associer, de manière non contradictoire et si possible complémentaire, les systèmes de dispositions durables aux modèles de conduites et de comportements et aux normes générales et impersonnelles. Passer dun énoncé prescriptif ou interdictif à une formule dadhésion, des normes en creux à des formes normatives pleines auxquelles ladolescent (puis ladulte) puisse adhérer (tout en y impulsant sa créativité) passe par le dédoublement dun droit des procédures juridico-judiciaires. On reste là fidèle à la double mission éducative et sanctionnatrice de la justice des mineurs tout en redécouvrant la vertu des rituels dans la socialisation des individus.
Les travaux dAndrée Lajoie exploités dans le contexte de la sécurité juridique ont, en outre, montré le caractère sélectif et arbitraire des choix de valeurs consacrées ou rejetées, en nous introduisant dans lobservation des mécanismes de la démocratie "post-moderne " puisquil sagissait du Canada. Plus généralement, la forme démocratique, si utile, est aussi fort délicate à protéger. Dans lintroduction de la deuxième partie, je notais ainsi : " sans valeurs républicaines et responsabilisantes, lEtat de Droit devient immédiatement formel et instrumentalisé et la Démocratie se trouve rapidement déstabilisée ". Comment, maintenant, passer des valeurs de centralité et duniformité à des valeurs de responsabilité et de pluralité par complémentarité des différences ? Cest là le défi de la société française face à la réforme de lEtat et à la construction européenne en cette fin de siècle.
Toute anthropologie du Droit est donc une anthologie des valeurs socialement et politiquement poursuivies, en ayant le courage de mettre en lumière celles de ces valeurs qui paraissent susceptibles de compromettre la reproduction de la société et quun débat démocratique, du type du référendum dinitiative populaire suisse, permettrait de confirmer ou dinfirmer.
Cinquième leçon
Ces domaines de la reproduction sociale qui sont tenus pour juridiques sont variables dans lespace et dans le temps. Jen déduisais dans la conclusion de la première partie les conséquences suivantes :
- Il convient, cas par cas, didentifier les enjeux que la société tient pour la base de sa reproduction car ils pourraient être pour la société le cadre de ses " lois génératrices " ou de ses principes référentiels à privilégier dans toute action législative, ce que Henri Lévi-Bruhl aurait sans doute appelé la juristique.
- La reconnaissance de la variabilité des enjeux de reproduction dans nos propres sociétés doit nous conduire à renoncer à déduire de nos observations des prédictions sur le devenir des sociétés. Ceci conduit à une attitude au mieux probabiliste car le résultat de lévolution paraît largement imprévisible, surtout à terme. Comme le dit Gautier à propos de Debussy " tout change ", même les conditions de la problématisation scientifique.
- La sécurité dans les relations juridiques doit être moins trouvée dans le Droit comme ensemble de normes générales et impersonnelles susceptibles douvrir droit à réparation ou à sanction en cas de non-respect des clauses contractuelles que dans les relations, dans les pratiques et plus globalement par la prise en compte de la juridicité.
- Enfin, " on ne comprend que des relations entre les choses, pas les choses elles-mêmes, lesquelles nont pas de signification " disait Gautier en conclusion à la première partie. Les choses étant relativement stables et les innovations dans la production des choses étant également relativement rares, les changements qui sont intervenus ou qui vont advenir reposent à titre principal sur un changement de relations entre les choses et surtout de changement de signification des relations entre les choses. Nous avons ainsi observé le changement qui avait affecté linterprétation des actes de malveillance de jeunes à lencontre du parc immobilier de HLM et la requalification sous le terme incivilités de pratiques (et donc de relations aux choses) qui auparavant étaient classées sans suite faute dune signification " juridique " attribuée à de tels actes.
Dans les approches sur le terrain, ces types dexigences sexpriment dans le langage des projets, projets de développement en Afrique, projets de vie concernant les jeunes, projets de ville ou de pays en France. Dans le chapitre 14, je souhaitais élargir cette proposition à une axiologie comme ensemble de propositions se référant aux valeurs sociales à poursuivre, avec une axiomatique neuve à défricher. Dégageons-en les prolégomènes.
Ce que projet veut dire : ses exigences
Comme à laccoutumé depuis le début de cet ouvrage, notre premier réflexe doit être douvrir le dictionnaire pour comprendre " de quoi on parle ".
Projet est ici principalement abordé dans son sens premier , me dit le Robert, " limage dune situation, dun état que lon pense atteindre " (1968-1402). Comme on la pratiqué dans la négociation patrimoniale, se projeter suppose de " se lancer en avant et avec force " dans un temps plus ou moins éloigné et de préciser les moyens datteindre les objectifs ainsi dégagés. Le second sens de projet nous intéresse de manière dérivée. Il sagit dun " travail préparatoire, dun premier état ou dun premier jet. Il désigne aussi un dessin darchitecte ou un modèle de couturier. Ce second sens nest pas à négliger dans la mesure où plus la taille de la situation est grande plus lerreur dappréciation lest également. Dans ce cas, lesquisse se simplifie pour éviter des généralisations contraires aux possibilités de linduction.
Le concept de projet est ainsi en phase avec les notions de prospective, de création, daléas et dincertitude. Ce terme a été fort souvent employé dans cet ouvrage et je dirai que lanthropologue en partage la saveur et les contraintes avec larchitecte. En tant que possible projection dans un futur plus ou moins bien maîtrisé, le projet de société propose les cinq derniers enseignements de cet ouvrage.
Sixième leçon
Tout projet est inscription dans un ordre archétypique. Au risque dinverser la tension qui parcourt le champ juridique entre les pôles de lordre et du désordre (chapitre 18), il paraît maintenant impossible déviter une confrontation directe entre les divers archétypes qui se sont plus ou moins ignorés jusquici, donc de rechercher une nouvelle combinaison entre les principes de soumission, de différenciation et didentification qui sont à la base de la conception des archétypes selon Michel Alliot. Cette combinatoire neuve permettrait den spécifier les implications institutionnelles, selon un mode de mise en ordre propre à chaque universitas et apte à faire advenir son projet de société particulier dans le contexte de la mondialisation et de la trans-modernité. Dès lors que la mondialisation ne peut être légitimement la généralisation dun ordonnancement imposé particulier (la pax romana, gallica ou americana) et que cette universitas doit être conjuguée au pluriel, cest un projet de société privilégiant un ordonnancement négocié et une participation responsable des acteurs-citoyens qui devrait se consolider au III° millénaire comme le nouveau modèle institué à léchelle de la communauté mondiale.
Ceci est particulièrement vrai de lEtat de droit. Rappelons que pour être universalisé, lEtat de droit doit trouver des applications globalement analogues dans toutes les sociétés et sous tous les régimes juridiques et politiques. On en est encore loin selon une approche interculturelle.
Pour être un de ces nouveaux " universaux " dune société mondialisée, lEtat de Droit doit souvrir à tous les changements quinduit la complexité de nos sociétés. Ainsi, pour ce qui concerne la France, le mode légal dénonciation devra faire une place aux deux autres fondements du Droit et la forme étatique, ainsi que le monopole de juridicité, devra évoluer en faisant, selon une formule à la mode, " dégraisser le mammouth ". Enfin, les nouvelles valeurs de société, desprit trans-moderne, devront trouver des applications dans la juridicité en émergence, en renonçant à sacrifier au modernisme " à tout va ", de plus en plus délétère pour mieux affirmer les exigences " contemporaines " de la reproduction sociale dans les sociétés du XXI° siècle.
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Septième leçon
Un projet de société ne peut saisir que des potentiels, alors quune planification ne repose que sur des données quantifiées. Souvenons-nous de ce quécrivait J.-M. Legay : " linteraction entre ici et maintenant et ici et plus tard ne couvre pas une relation de conservatisme (protéger ceci ou cela), mais une relation de potentiels (être capables de ...). Il me semble que les problèmes posés sont donc beaucoup plus difficiles quon ne pouvait limaginer ". Il y a des choses dont nous sommes capables, par exemple de réintroduire dans la vie juridique ceux des " pieds du Droit " qui ont été négligés par la modernité juridique. A propos de la socialisation juridique, je souligne lapport dune prise en considération des habitus, donc de la culture juridique que certaines élites tiennent pour " vulgaire " : ces habitus sinscrivent en effet dans les visions du monde des acteurs avec lesquelles ils forment des ensembles flous mais cohérents. A propos du mariage à la carte chez les Wolof, je me suis interrogé sur la capacité pour le Droit positif de généraliser des solutions de ce type et de passer darmistices tacites à lélaboration dun véritable ordonnancement juridique négocié au sens du chapitre 18 et susceptible de répondre aux exigences de lEtat de Droit.
Aussi, même si lévolution des habitus dépend de facteurs apparemment irrationnels (idéologies, croyances, sentiments), il faut prendre conscience que cest par leur biais que la réforme peut être en phase avec la transformation des mentalités. On ne saurait faire évoluer le droit positif sans travailler également la mutation des mentalités, et inversement
Huitième leçon
Tout projet doit garder une part dimprovisation, voire une part cachée qui favorise les adaptations sous lapparence de lirrationalité. Dans la conclusion de la deuxième partie, jobserve " ce jeu entre les sens manifeste et caché, entre des contraintes et la capacité de les accepter, (qui) explique cette part de flexibilité, délasticité, cette aptitude à ladaptation, cette part de liberté irréductible du zoon politicon ce qui caractérise donc lhomme en société.
Il y a dune part le Droit tel quil est connu et invoqué au quotidien (soit un corps de principes de base assez sommaire et peu éloigné des recettes de cuisine, ce que le doyen Carbonnier que je citais en ouverture de cet ouvrage compare à lhorizon dune forêt) et dautre part la juridicité, le Droit pour le spécialiste, ce corps de normes et de pratiques, impliquant une culture professionnelle et des connaissances évoluant de plus en plus vite. Cest cette juridicité, non le Droit au sens restreint que je viens denvisager, qui doit être pris en considération si on veut comprendre comment " le Droit " répond ou ne répond pas aux problèmes de reproduction de la vie en société, donc comment il est possible de réformer ou dadapter la vie juridique.
En effet, le Droit et la juridicité étant les deux facettes dune même dynamique, dun même ensemble de régulations, la prise en compte de la juridicité oblige à un déplacement de problématique, non seulement dans la dimension savante de la production du Droit (lato sensu) mais aussi à propos de lenrichissement de ce Droit vécu à loccasion de son apprentissage, de sa gestion reproductible et durable et de lusage qui peut être fait de la sécurité que peut apporter le Droit. La transmission ou lapplication de ce Droit-des-professionnels ne peut être intelligible sans référence à la juridicité donc sans une attention exigeante à ce qui fait ou ne fait pas la reproduction dune société.
En se gardant pourtant de vouloir tout prévoir, tout organiser, tout ordonner. Noublions pas à cet égard la déclaration de Pierre Legendre : " On veut tout mettre en lumière mais l'humanité a besoin de l'ombre pour échapper à la folie. Il faut espérer que ces nouvelles technologies inventeront leurs propres genres poétiques, aujourd'hui inimaginables, qu'elles instaureront leurs propre régime de fiction pour sortir de l'actuelle dérive scientiste. La dérive qui nie que dans la gestion des comportements, même dans les plus techniques ou les plus triviaux, il entre une part de pathétique. Celle qui refuse qu'une part de l'humain échappera indéfiniment à la saisie, que l'homme est "civilisable" mais pas absolument gouvernable"". Toute société repose sur des contradictions fortes ou sur des paradoxes qui constituent lethos social et quon ne saurait inconsidérément négliger ou détruire.
Neuvième leçon
Le droit, par lui-même, ne peut rien. Seuls les hommes sont maîtres du futur. Rappelons cette vérité dévidence que notre bon sens oublie trop souvent : en lui-même le Droit ne fait rien et ne prédit rien car il na dautre existence que spéculative. Ce sont les hommes qui décident et qui font. Ne cédons pas à un anthropomorphisme qui prêterait au Droit, une " vie ", des intentions et des volitions. Le Droit est une boite noire enregistrant tous les spasmes de la vie puis proposant des programmes pour gérer les itinéraires individuels et collectifs, de la naissance à la mort.
Une autre conséquence de ce constat est de réhabiliter le Politique dans le Droit. Sans politique pénale, le recours à la médiation perd sa signification forte pour redevenir un gadget à la mode ai-je indiqué sur lair de " Tout va très bien, Madame La Marquise ". Sans axiologies, les politiques de la ville ou les réformes foncières sont condamnées à léchec. Sans repères fondés sur léthique et validés politiquement, le Droit en devient " gauche ", inapte à répondre aux besoins sociaux.
Dixième et ultime leçon
Tout change, même le Droit, même les juristes !
Mais le changement nest pas sans risque. Au début dune nouvelle période de lhistoire de lhumanité caractérisée par la mondialisation des échanges et des technologies et lentrée progressive en trans-modernité, la difficulté, de lun et lautre côté de lAtlantique, de concevoir une civilisation juridique interculturelle risque de produire des clôtures et des censures de " lautre " au nom dune démarche de vérité qui nous ramènerait aux localismes les plus bornés et aux formes dinquisition les plus inacceptables.
Annik Osmont nous dit à propos des sociétés urbaines africaines que " même revêtues des habits de léconomie institutionnelle, les réformes de structures imposées par lajustement sinstallent dans des villes et sur des territoires concrets, qui ont leur histoire et leur dynamique propres, et dont les habitants recherchent par eux-mêmes des alternatives concrètes aux modes de gestion qui leur sont proposées, abstraitement, de lextérieur " donc sans prises sur ces sociétés.
Cest pourquoi, en dépit des apparences, les sociétés africaines ont dû trouver des réponses pragmatiques à la hauteur des problèmes quelles rencontrent. Il nest pas inimaginable que les sociétés occidentales doivent se plier à cette même exigence qui est une exigence de réalité : et pur si muove !
Cest en fonction de ces leçons que les orientations scientifiques de Laboratoire dAnthropologie Juridique de Paris ont été construites depuis une dizaine dannées autour des choix de politique juridique dans différents domaines de la reproduction de la vie en société. Cest également en relation avec les contraintes délaboration des projets de société que la LAJP, en partenariat avec lUniversité Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal, se propose de débattre des projets de la société africaine du XXI° siècle, en montrant le chemin qui reste à suivre pour les sociétés occidentales.
En refermant cet ouvrage, le lecteur pourra réfléchir à la double exigence qui a été associée à cette recherche du sens du Droit comme signification et comme direction. Deux mots, trop souvent galvaudés, la responsabilité et la liberté, ont été les horizons de ma démarche.
° La liberté, dune part, donne tout son sens, en lorientant positivement, à la conception trans-moderne du Droit. Cest cette quête qui mobilisait " Les hommes de la liberté " selon le beau titre des ouvrages de Claude Manceron sur les origines de la Révolution française. Si, selon une autre formule, on a commis bien des crimes au nom de la liberté, si le contrôle quexerce sur chacun dentre nous la machinerie administrative reste potentiellement dangereuse pour les libertés publiques (et quainsi le 1984 dArthur Koesler reste un scénario potentiellement concrétisable), il me paraît que, paradoxalement, nous navons jamais été aussi libres et que la liberté na jamais été aussi menacée.
Aux libertés publiques conquises en 1789 puis aux droits économiques et sociaux du XX° siècle sont venus sajouter une libération des esprits et des moeurs qui modifie totalement les conditions dexercice du contrôle social, au risque de succomber à un relativisme absolu, ce que la quatrième leçon nous a appris à récuser en recherchant valeurs et axiologie. Lélargissement des conditions de communication par Internet donne le sentiment dune liberté sans limites, au moins pour les modes dexpression. Ne chantons pas trop vite victoire et ne cédons pas à lillusion que cette liberté soit partagée par tous. Approchant les phénomènes de marginalisation des jeunes dans nos sociétés et des sociétés du Sud dans le concert mondial, nous avons appris quil y a, par la naissance, la culture ou la richesse, " de plus libres que dautres " et que, parallélement à la libération des hommes et des esprits les processus de dépendance (drogues et alcools), de travail forcé (pour des enfants, des femmes...) voire de réduction en esclavage sont encore monnaie courante. Allegro ma non troppo, telle était notre conclusion du chapitre 32 et telle doit être notre ligne daction. Car la liberté na de sens que si elle autorise de nouveaux investissements dans le lien social et rend, indiquions nous, plus solidaire notre exigence de fraternité.La liberté est dabord menacée par notre laiser aller civique et cest là, dans nos micro-démissions quotidiennes ou dans nos renoncements intellectuels, que réside le plus grand risque pour notre avenir.
° La responsabilité, ensuite, est la condition de lexercice de cette liberté. A la suite de Michel Alliot, jai souvent souligné que la conception occidentale de lEtat et du Droit, donc la modernité institutionnelle, étaient lune et lautre dautant plus infantilisantes quelle exigeaient pour être concrétisées lapport dun corps de spécialistes, se constituant en élites professionnelles à tendance nécessairement corporatiste. Cette approche du Droit est plus sensible dans les pays latins mais les pays anglo-saxons connaissent une judiciarisation de la vie sociale et vivent sous la menace dun gouvernement des juges.
Cette infantilisation des acteurs de la société par ses élites au nom dune exigence de rationalité de laction sociale nest plus de mise. Ses cadres de légitimation, tel lEtat-providence, sont en voie de dépassement, même si de nouveaux équilibres sont en train de se chercher entre libéralisme et solidarité. De ce fait, nous nous trouvons dans une situation où les demandes dune société civile en recherche des conditions de son expression sont contredites par des demandes contraires ou contradictoires dautres acteurs sociaux (voire des mêmes acteurs dans dautres rôles) attendant de lEtat et des institutions la solution de tous leurs problèmes sur le mode " que fait la police ? " Ils transposent souvent dans leurs rapports à lEtat la servitude volontaire (pour reprendre le titre du traité dEtienne de La Boétie) qui caractérise leur rapport à la médecine et au corps médical.
Refermant cet ouvrage, je lis dans Le Monde un " point de vue " signé par un large éventail dintellectuels, de Régis Debray à Paul Thibaud qui se proposent, comme nous pour lEtat dans le chapitre 35, de " refonder la République ", envisageant " une longue chaîne de citoyenneté " en " agissant sur les leviers à notre portée (...) dans nos propres sphères dexistence ". Ce texte entend aussi rompre avec " le décalage entre les pratiques dabandon et la fermeté des affichages, entre les comportements et les discours de lofficialité (qui) fera bientôt de lhypocrisie le premier principe républicain ". Il souligne une contradiction dont je me suis étonné au fil de mes analyses :
Las des grands mots, le citoyen, désormais, demande à voir, et il a bien raison. Le besoin de République et la fatigue des rhétoriques le disputent au fond de nous. Marier lénergie et le réalisme serait-il impossible ? Ne vaudrait-il pas mieux se donner des fins modestes correspondant à ses moyens que de promulguer des programmes ou des lois quon naura ni les moyens, ni la volonté, dappliquer le moment venu ? Ce qui peut engendrer in fine des dizaines de milliers de sans papiers, illégaux officiels, expulsables en principe, mais non en fait.
A titre de solutions, les auteurs proposent ainsi, la liste nétant pas exhaustive, de responsabiliser les adultes (en matière de racisme au quotidien), les services de sécurité publique (face aux incivilités), les requérants étrangers à la naturalisation (par lapprentissage de notre langue et de nos habitus), les partenaires internationaux de la France en matière de flux migratoires, les mineurs (en abaissant lâge de la responsabilité pénale à 16 ans ), les élèves, comme les professeurs de lycée. Tout cela a lapparence dun poème à la Prévert et contient des propositions fort diverses et, pour certaines, inacceptables, tel labaissement de la majorité pénale à 16 ans, manifestement simpliste. Un gros travail danalyse et de propositions reste donc à faire.
Citons pourtant la conclusion de cet appel à une nouvelle responsabilisation, qui me parait bien " dans lair du temps " :
" Le principe de légalité devant la loi, en seffaçant des réalités, a littéralement disparu des consciences. La France qui, lors du Mondial, sest administré à elle-même une bonne cure antidépressive, attend de ses responsables une leçon despérance, mais sans tricherie ni tartufferie. Ceux qui sauront conjuguer les nécessités du retour à la loi avec les exigences du progrès social auront gagné pour longtemps la bataille civique ".
Dès lors que le Droit nest pas tant ce quen disent les textes que ce quen font les citoyens, lentrée en trans-modernité passe par un effort de chacun dentre nous pour intérioriser et concrétiser les conditions de la régulation sociale dans des sociétés complexes.
Table des matières
Prologue : page
Lécriture anthropologique ........................................................................
Le sens de louvrage : une anthropologie à la recherche du sens du Droit...................
Introduction générale
Dune anthropologie structurale à une anthropologie dynamique.............................
Lanthropologie dynamique et le comparatisme.................................................
Le Droit nest pas tant ce quen disent les textes que ce quen font les citoyens.............
1 -Le sens du jeu des lois
10 - Introduction : Une lecture ludique :
- Le Droit-comme-règle-du-jeu..............................................................
- Du jeu de loie au " jeu des lois "........................................................
- La signification dune interdisciplinarité..................................................
11 - Lentrée dans le jeu par ses acteurs : statuts, rôles, fonctions et positions
- Le langage naturel et le langage sociologique............................................
- Les cités et la pluralité des mondes........................................................
- L'impensé du pluralisme....................................................................
- Conséquences de méthode..................................................................
12 - Les ressources des acteurs
- Des ressources matérielles, humaines et mentales.......................................
- Le capitalisme comme rupture avec des valeurs dexistence...........................
- linterférence de ces ressources dans le champ juridique...............................
13 - Les conduites, entre lesquive et lanticipation,le flou, le fluide et lorganisation
- Pratiques et conduites.......................................................................
- Conduites danticipation : tactiques et stratégies........................................
- Modèles de comportements dans le groupe..............................................
- Négociation et contractualisation : les limites............................................
14 - Les logiques, comme rationalisations pour laction
- Un des paramètres privilégiés dune anthropologie du droit..........................
- Logique institutionnelle/logique fonctionnelle...........................................
- Analogie et Dialogisme.....................................................................
15 - Les échelles spatio-temporelles de contextualisation du jeu juridique
- Leffet de léchelle de Jacob..............................................................
- Les trois étages de léconomie selon F. Braudel.......................................
- Lart de la transposition dune échelle à lautre.........................................
16- Les processus et les trajectoires de la dynamique sociale
- Pluralité des temporalités historiques.....................................................
- Lanalyse processuelle et lhéritage de Sally Falk Moore..............................
- Enchainements et contradictions,tranformation et stagnation : le sens de la dynamique sociale..........................................................................................
17 - Les lieux de la décision : arènes et forums
- Des lieux pour la confrontation, la négociation et le réglement des conflits........
- Aux Comores, de Hautes Autorités Foncières...........................................
- Arbre à palabre, médiation et maisons de justice........................................
- Le tribunal international pour le Rwanda : surveiller et punir ou pacifier ?...........
18 - Les ordonnancements sociaux
- Entre ordre et désordre......................................................................
- Les ordonnancements imposé, négocié, accepté et contesté comme types idéaux...
- Le sens de leurs interactions contemporaines............................................
19 - Les enjeux juridiques : ceux quune société tient pour vitaux dans la reproduction individuelle et collective
- Lenjeu, ce qui peut être gagné ou perdu...................................................
- Ces enjeux quune société tient pour vitaux................................................
- Trois exemples dune reproduction sociale " en jeu "...................................
Conclusion /transition : le sens de la dynamique.................................................
2 - Des règles du jeu social au jeu des règles de la vie en société: Droit et juridicité
20 - Introduction
- Le sens dune inversion : du "jeu comme paradigme pour le Droit " au Droit comme paradigme pour le jeu social....................................................................
- Le sens dune élucidation : le Droit entre trop et trop peu.................................
- La juridicité comme attribut, critère ou propriété...........................................
21 - Le Droit tripode
- La coutume : petite histoire dune redécouverte personnelle..............................
- Des sources juridiques aux fondements du Droit..........................................
- La loi, la coutume et lhabitus pour introduire aux fondements du Droit................
- Variabilité des montages des fondements de la juridicité..................................
22 - Lapprentissage de la juridicité, entre norme juridique et loi symbolique
- Les vertus confucéennes de lauto-discipline................................................
- Lincidence des micro-règles de civilité, lexemple de la justice des mineurs...........
- Le retour aux rituels par le droit des procédures............................................
23 - La gestion de la juridicité, entre invention et conservation
- Un management des ressources juridiques...............................................
- Parenté et communauté, un jeu sur les modèles " coutumiers " de conduites et de comportements....................................................................................
- Exemple du mariage wolof....................................................................
24 - La fabrique de la sécurité juridique, entre abstraction et casuistique
- Repères introductifs............................................................................
- Les fondations de la sécurité juridique........................................................
- Lexemple de la sécurisation foncière en Afrique............................................
25 -Maintenant et ailleurs, ici et plus tard : la juridicité en devenir
- Laméricanisation du Droit et la juridicisation de la société.................................
- Luniversalité de lEtat de Droit................................................................
3 - Le sens de la complexité contemporaine, cinq chantiers danthropologie du Droit
30 - Introduction à la troisième partie.................................................
31 - Une régulation urbaine " à la marge ", entre Droit et politique : exemples sénégalais et horizons françaises :
- Linvention de la ville africaine..................................................................
- Droit et gouvernance urbaine.....................................................................
32 - la gestion patrimoniale, ou la redécouverte des " communs " dans lOcéan Indien
- Thème..............................................................................................
- Et variations.......................................................................................
- Allegro, ma non troppo..........................................................................
33 - les droits de lhomme : linterculturel et le partage de nos humanités
- Corriger deux approches........................................................................
- Les droits de lhomme, expression de la modernité.........................................
- La voie anthropologique : la redécouverte des cultures de paix............................
34 -La justice et la médiation pénale, en France et au Canada
- Le juge, une figure dautorité dans un ordre imposé........................................
- La médiation pénale ou la risque de dévoiement de la négociation.........................
- Le circle sentencing canadien et lintermédiation culturelle au TE de Paris...............
35 - La refondation de lEtat, en Afrique et ailleurs
- Lhorizon dIthaque ou lerrance inachevée de lEtat.........................................
- Vivre avec ou sans lEtat ?.......................................................................
- Une problématique de la refondation de lEtat.................................................
36 - Conclusion : Quest-ce quune société complexe ?
- Litinéraire anthropologique, de laltérité à la complexité....................................
- Ce que complexité veut dire ici..................................................................
Conclusion Générale :
Lanthropologie du Droit à la recherche de nouveaux projets de société
- Les enseignements du jeu des lois..............................................................
- Ce que projet veut dire............................................................................
Index des concepts......................................................................................
Index des auteurs cités.................................................................................
Liste des tableaux........................................................................................