La place de lՎthique

dans les pratiques disciplinaires de lÕanthropologue

 

Un Žtat de lÕart ˆ la lumire de lÕexpŽrience

du PIR CNRS ÔMoussonÕ, Lutte contre la Pollution ˆ Ouagadougou[1]

 

ƒtienne Le Roy

LAJP, UniversitŽ Paris 1

 

 

 

 

Cette communication ayant essentiellement pour fonction dÕintroduire la rŽflexion des participants de ces journŽes dՎtudes en proposant des repres et des balises quand ils invoquent le recours ˆ lՎthique aura un double objet ˆ la fois didactique et ethnographique.

 

Didactique tout dÕabord car il nous faut apprŽcier en commun la requte de transdisciplinaritŽ que contient, ˆ mon avis, toute dŽmarche dÕanthropologue, ce qui suppose dÕaccepter que notre anthropologie ne soit pas considŽrŽe comme une Ç discipline comme les autres È et que, dÕautre part, la multiplicitŽ des pratiques de recherche quÕautorise cette approche ait un Žcho direct sur nos rapports ˆ lՎthique. Ë une pluralitŽ naturelle des pratiques anthropologiques de recherche correspond donc tout aussi Ç naturellement È une pluralitŽ dÕinvocations de lՎthique.

 

Mais, concrtement, les contraintes sont heureusement moins nombreuses dans un programme de recherche qui, nŽcessairement, oriente les questions dans certains champs plut™t que dÕautres. La pratique ethnologique, deuxime phase incontournable de nos dŽmarches aprs la description ethnographique selon une distinction proposŽe ˆ la communautŽ anthropologique francophone par Claude LŽvi-Strauss en 1958 (LŽvi-Strauss 1958) suppose que le chercheur sera confrontŽ ˆ des situations impliquant des rŽponses Žthiques spŽcifiques. On prendra lÕexemple du Programme Interdisciplinaire de Recherche (PIR) du CNRS Ç Mousson È dans lequel on assume la fonction de veille ŽpistŽmologique au nom des sciences humaines et sociales. Ce choix est sans doute dictŽ par lÕintŽrt que des chercheurs maghrŽbins peuvent trouver ˆ se confronter ˆ un phŽnomne aussi complexe que celui de la pollution en milieu urbain et ˆ aborder cette complexitŽ non seulement sous lÕangle de la description mais aussi de lÕintervention et de la dŽcision politique. Mais ce choix est aussi dictŽ par les enjeux ŽpistŽmologiques qui y sont associŽs et en particulier par la relation entre une lecture interdisciplinaire devenue progressivement Ç transdisciplinaire È et une dynamique de champ scientifique portŽe par lÕanthropologie.

 

Dernire notation, enfin : il sÕagit ici dÕun Žtat de lÕart, impressionniste, plus quÕun Žtat des lieux, qui prŽtendrait ˆ la plus grande gŽnŽralitŽ. Il nÕy a pas dÕarbitre des ŽlŽgances scientifiques dŽcidant qui se fait ou ne se fait pas dans notre domaine, ce qui rend le recours ˆ lՎthique si dŽterminant. En effet, selon une formule qui inspirait initialement cette communication Ç lՎthique, ce sont ces normes quÕon mobilise quand on a tout invoquŽ È, la dernire cartouche ˆ tirer, ou ce choix qui ne repose que sur la seule responsabilitŽ du chercheur, en son for intŽrieur, quÕon nomme Žgalement fort joliment le tribunal des consciences. Si les observations suivantes reposent sur une expŽrience de recherche de plus de quarante ans, avec une trs rŽelle diversitŽ dÕobjets, de problŽmatiques et de publications,(Le Roy, 1999), leur seule validitŽ ne peut tenir quÕau recoupement de mes observations avec les expŽriences du lecteur qui pourra, ou non,  sÕen sentir enrichi.

Aprs une premire partie consacrŽe ˆ une mise au clair ces concepts et des pratiques disciplinaires de recherche, je montrerai quelles applications Žthiques et quelles consŽquences en tirer dans un processus de recherche complexe quÕest le PIR Mousson.

 

LÕanthropologue face ˆ la diversitŽ des pratiques disciplinaires

 

Ainsi que je lÕai indiquŽ ci-dessus, je ne considre pas lÕanthropologie comme une discipline scientifique ordinaire et, pour dŽvelopper simplement cette idŽe, je ne crois pas que lÕanthropologie puisse relever de ce quÕon appelle une discipline universitaire : trop Ç baroque È  pour cela. Le fait que je sois professeur dÕanthropologie semble introduire un paradoxe. SÕagit-il de renoncer au statut confortable de lÕuniversitaire Ç comme les autres È ? Ou de Ç dŽbiner È la profession ?  Nullement, car mon souci est de dŽpasser le prŽjugŽ que je nourris ˆ lՎgard de lÕenfermement des recherches en sciences humaines dans une logique de lÕinstitution universitaire pour dŽvoiler la richesse potentielle des rŽsultats que propose le paradigme anthropologique et inviter ses praticiens ˆ se libŽrer des attaches les plus sclŽrosantes.

Je vais donc partir du vocabulaire, proposer quelques schŽmas simples pour poser le dŽcor qui sera ensuite dŽtaillŽ ˆ partir de ce que suppose lÕacte de recherche.

 

QuÕest quÕune discipline ?

 

LE LANGAGE COMMUN

DISCIPLINE n.f. (1080) ; Ç punition, ravage, douleur È en a.f ;, lat. disciplina

1¡ : (XIV¡) sorte de fouet fait de cordelettes ou de petites cha”nes, utilisŽ pour se flageller, se mortifier ;

2¡ : (XVI¡), instruction, direction morale, influence ;

3¡ : (moderne, 1409) se dit des diverses branches de la connaissance ;

4¡ : (courant) rgle de conduite commune aux membres dÕun corps, dÕune collectivitŽ et destinŽe  ˆ faire rŽgner le bon ordre ; par extension, lÕobŽissance  ˆ cette rgle

5¡ : rgle de conduite que lÕon sÕimpose È[2]..

On ne devra jamais oublier quÕau sens premier la discipline dŽsigne une sorte de petit fouet, donc un instrument de rŽpression.

UNE DISTINCTION CARDINALE : DISCIPLINE UNIVERSITAIRE et DISCIPLINE SCIENTIFIQUE

 

La DISCIPLINE UNIVERSITAIRE CÕest le cadre institutionnel dans lequel sÕeffectue la transmission des connaissances (enseignements selon des degrŽs diffŽrents de spŽcialisation et communication scientifique) et la rŽgulation de lÕaccs aux fonctions dÕenseignement et de recherche qui y sont associŽes.

Elle suppose une certaine idŽe dÕun Ç ordre ˆ promouvoir È (ordre qui est ˆ la fois social et politique quant aux valeurs, et technique quant aux formes) et dÕinstances pour lÕassurer. LՎvaluation, autrefois pratiquŽe de manire Ç discrte È, devient une dimension essentielle qui peut conduire ˆ une plus grande dŽmocratie ou ˆ de nouveaux conformismes.

Le principe de libertŽ est affirmŽ tant dans la conduite de transmission des connaissances que dÕautonomie des instances de gestion. La rŽalitŽ peut tre, naturellement, diffŽrente.

 

La DISCIPLINE SCIENTIFIQUE CÕest une rgle de conduite adoptŽe par le chercheur, supposant un protocole en fonction duquel est appliquŽe lÕexigence dÕexpŽrimentation (en sciences de la nature, au sens large) et de rŽplicabilitŽ (dans les sciences de lÕhomme et la sociŽtŽ), afin de soumettre les conclusions et les moyens dÕy parvenir ˆ des critres partageables et critiquables, donc gŽnŽralisables.

 

Elle suppose une inventivitŽ, cÕest-ˆ-dire la mise en Ïuvre dÕune exigence du Ç surcro”t de connaissance È qui, seul, justifie les investissements intellectuels et matŽriels consentis.

 

Le principe de responsabilitŽ est au fondement des dŽmarches et des choix individuels et collectifs.

 

UN Ç TIERSÈ PARAMéTRE :: La DISCIPLINE CITOYENNE

 

Cette troisime manire dÕaborder la pratique de la discipline, plus rŽcemment thŽmatisŽe,  tient ˆ de nombreuses raisons. JÕen retiens trois principales.

Tout dÕabord, il est loisible dÕobserver de frŽquentes contradictions entre la conception universitaire de la discipline et les pratiques dÕune discipline scientifique. La libertŽ qui est au fondement de lÕUniversitas moyenne-‰geuse comme une totalitŽ auto-rŽgulŽe peut entrer en confrontation avec lÕexigence dÕun Ôordre ˆ promouvoirÕ, cet ordre pouvant tre Žconomique, politique ou idŽologique. Il y a lˆ une premire contradiction supposant son dŽpassement dynamique.

 

Ensuite, les demandes sociales et politiques caractŽristiques de la pŽriode contemporaine (par exemple en matire de bonne gouvernance ou de dŽveloppement durable) supposent de nouveaux modes dÕapproche et de conduite de la recherche et de communications de ses rŽsultats. Les cadres universitaires sont trop restreints, souvent bureaucratiques, et les scientifiques sont parfois peu conscients de leurs responsabilitŽs ˆ lՎgard des diverses communautŽs qui peuvent bŽnŽficier de leurs rŽsultats.

 

Enfin, la pratique mme de la recherche anthropologique conduit ˆ prendre en compte des questions se situant ˆ lÕintersection de domaines des recherches pratiquŽes et mettant en Žvidence des niveaux de complexitŽ qui ne sont pas de la seule responsabilitŽ des chercheurs tout en dŽpassant la compŽtence du dŽcideur. Il faut construire des dŽbats et des forums dans lesquels les divers types dÕintŽrts peuvent tre confrontŽs. La  plus banale de ces dŽmarches (mais pas nŽcessairement la plus neutre) est lÕexpertise collective mobilisant une pluralitŽ de chercheurs ˆ la demande dÕun opŽrateur ou dÕun dŽcideur. .

 

Un positionnement original

Il sÕagit dÕune dŽmarche de recherche Ç impliquŽe È, dans laquelle les protocoles de la discipline scientifique sont soumis ˆ une pluralitŽ de communautŽs ŽpistŽmiques (pour en Žlargir la validitŽ et/ou lÕopŽrationnalitŽ) et o les exigences de la discipline universitaire sont relativisŽes ou Ç suspendues È par rapport aux retombŽes que la collectivitŽ  veut tirer les rŽsultats. La notion de Ç champ scientifique È commence ˆ y tre associŽe pour dŽsigner le cadre dans lequel se dŽveloppent de telles recherches, en mettant lÕaccent sur les dynamiques ainsi prises en compte (Le Roy, 2008).

Aux principes de libertŽ et de responsabilitŽ individuelle sÕajoute celui de lÕengagement du chercheur dans les problmes de sociŽtŽ. Et lÕinvocation plus systŽmatique de lՎthique

 

Figure N¡ 1

 

MISE EN TENSION DES TROIS DIMENSIONS

DE LA DISCIPLINE DANS LA RECHERCHE

 

Discipline universitaire

 

CHAMP SCIENTIFIQUE

ComitŽs dÕETHIQUE

 

  

   Discipline scientifique         Discipline citoyenne

 

 

TROIS EXIGENCES

 

-       Ces trois dimensions de la pratique disciplinaires sont insŽcables et paraissent constitutives de la recherche en ce dŽbut de XXI¡ sicle. Comme tout modle complexe, toute modification de lÕun des facteurs entra”ne une adaptation des deux autres.

-       ObŽissant au principe de la complŽmentaritŽ des diffŽrences se substituant ˆ celui, aristotŽlicien, du contraire, ce schŽma suppose dÕapprofondir les spŽcificitŽs pour mieux identifier les interdŽpendances (Le Roy, ˆ para”tre, ˆ propos de la recherche en anthropologiejuridique).

-       Mais ce Ç modle È est profondŽment instable et suppose des adaptations dynamiques qui ne peuvent tre trouvŽes quÕau sein dÕinstances de dialogue, dits forums scientifiques pour la recherche ou comitŽs dՎthique pour la validation collective entre pairs de choix ou de prioritŽs..

 

La ma”trise  de ces dŽmarches suppose une ŽpistŽmologie propre. Le modles du Jeu des lois (Le Roy, 1999) a ŽtŽ conu puis expŽrimentŽ pour y rŽpondre. On y reviendra ultŽrieurement.

 

Les pratiques disciplinaires dans la recherche scientifique et en anthropologie

 

 

La distinction entre diffŽrents types de pratiques peut offrir des solutions originales et Žventuellement contradictoires selon les pratiques propres aux communautŽs ŽpistŽmiques considŽrŽes. Comme on lÕa indiquŽ, il nÕexiste pas dÕarbitre des ŽlŽgances et aucune autoritŽ ne peut imposer un usage plut™t quÕun autre, la rŽgulation se faisant de manire coutumire et selon des modles de conduites et de comportements Žvoluant au fil des ans et des communications scientifiques.

La dŽmarche adoptŽe se veut proche tant du langage naturel que des opŽrations intellectuelles les plus couramment mises en Ïuvre. Elle est fondŽe sur une dŽfinition minimaliste de la recherche que lÕon qualifie de scientifique sous certaines conditions. Un formalisme ŽlŽmentaire permet dՎclairer ces explications en visualisant les principaux paramtres de notre raisonnement.

Si on approche la recherche scientifique (Re s) comme une application particulire dÕune pratique commune de chaque individu, induisant lÕensemble des questions (Q) et de rŽponses (R) dŽveloppŽes ˆ propos dÕun objet (O) sous rŽserve de justification des protocoles (Pr) et de surcro”t (+++) des connaissances,  

 

       Figure N¡ 2

Re s =  (Q/R) Pr+++

                                                                  O

on peut distinguer deux types de pratiques (qui peuvent se combiner).

 

Les unes sont liŽes au degrŽ de libertŽ reconnu au chercheur pour formuler questions et rŽponses. Elles privilŽgient le problme de la dŽfinition de lÕobjet.

 

Les autres sont liŽes au degrŽ de complexitŽ dans la manire de lier questions et rŽponses, donc sont associŽes aux modes dՎlaboration des protocoles de recherche selon quÕils mobilisent un nombre plus ou moins grand de communautŽs ŽpistŽmiques. Elles supposent une ma”trise des mŽthodologies.

 

PLURALITƒ DES MONTAGES DISCIPLINAIRES SELON LE CRITéRE DE LA LIBERTƒ DE FORMULATION  DU JEU QUESTIONS/RƒPONSES

 

Selon ce premier critre, on peut distinguer au moins quatre pratiques diffŽrentes qui sont conventionnellement dŽnommŽes recherches fondamentale, opŽrationnelle, appliquŽe et finalisŽe. Les dŽfinitions suivantes sont proposŽes de manire axiomatique, cÕest-ˆ-dire quÕelles ne sont pas considŽrŽes comme vraies ou fausses, mais bonnes (ou mauvaises) pour les applications que nous leur donnerons.

 

La recherche fondamentale :  suppose en principe une totale libertŽ reconnue au chercheur pour formuler questions et rŽponses sous rŽserve des exigences de la scientificitŽ  et, maintenant, de la responsabilitŽ citoyenne. LՎquation du chercheur est donc du type

Q =R= libertŽ

 

La recherche  opŽrationnelle repose sur  lÕidŽe que la solution, donc le type de rŽponse, est dŽsignŽe par le commanditaire et non nŽgociable ; par contre le chercheur est libre de dŽvelopper les questions quÕil juge pertinentes.  On est en face dÕune inŽgalitŽ de premier type                                                               LibertŽ de Q>libertŽ deR

 

Dans la recherche appliquŽe, les connaissances disponibles ne sont pas remises en cause, donc non directement Ç questionnŽes È. Ce sont leurs utilisations nouvelles qui sont lÕenjeu du processus de recherche          

.LibertŽ de R>LibertŽ de Q

 

Enfin, pour ce qui concerne la recherche finalisŽe, dite aussi recherche-action, lÕenjeu est de combiner des questions et des rŽponses dŽjˆ disponibles mais apparemment Žtrangres les unes aux autres, chacune pertinente dans un contexte mais dont les relations seront formulŽes selon des protocoles ad hoc.

 

 Q=R = donnŽes par ma”tre dÕÏuvre

 

Ce qui est en cause ici cÕest un savoir faire, un tour de main, un art de Ç faire la sauce È en termes culinaires.

 

PLURALITƒ DES MONTAGES DISCIPLINAIRES SELON LES MODES DÕELABORATION DES PROTOCOLES DE RECHERCHE, AVEC UNE APPLICATION ANTHROPOLOGIQUE

 

Notre dŽmarche distinguera les pratiques du  plus simple, sous lÕangle de la mobilisation dÕun protocole de recherche au plus complexeÉ

 

En matire de MonodisciplinaritŽ, lÕobjet Žtant supposŽ identifiŽ, lÕenjeu tient ˆ lՎlaboration du paradigme qui va structurer le choix du jeu questions/rŽponses. LÕexemple classique, pour nous anthropologues, est la manire de mobiliser: le paradigme de lÕaltŽritŽ. Comment Žlabore-t-on puis mettons-nous en Ïuvre cette relation entre le moi de lÕobservateur, le soi de la sociŽtŽ et culture dominantes et lÕautre, objet de nos observations et spŽculations ?  Comment parler de lÕAutre au Soi dans un langage qui ne rŽduise pas lÕAutre au Soi ou nÕassimile pas le Moi ˆ lÕAutre, tout en pratiquant les homŽomorphismes qui permettent de partager les expŽriences et leurs significations ? (Le Roy, 2003)

 

Dans la BidisciplinaritŽ, chacune des deux disciplines reste dans son domaine propre de recherche, dŽfinit son objet et dŽveloppe ses mŽthodes selon ses rgles de lÕart. La question sensible est de rendre compatibles des paradigmes originellement Žtrangers et qui peuvent tre traitŽs comme Ç contraires È ou Ç complŽmentaires È (supra). Les expŽriences accumulŽes depuis une cinquantaine dÕannŽes illustrent une trs grande diversitŽ de rŽsultats qui tiennent moins aux questions techniques que posent les problŽmatiques, quÕaux hommes qui les incarnent. LorsquÕen particulier, les pratiques disciplinaires sont interrogŽes de lÕextŽrieur comme insuffisamment scientifiques ou inutilement sophistiquŽes, par exemple, le dialogue entre les reprŽsentants des disciplines devient ardu, voire impossible, pour des raisons dÕincompatibilitŽ de personnalitŽs, de corporatismes ou de carriŽrisme plut™t que de scientificitŽ.
Durant les annŽes 1960 et 1970, les Anthropologues se sont ainsi ouverts aux sciences religieuses, ˆ lÕHistoire, ˆ lՃconomie, ˆ la Science Politique, ˆ la Linguistique, pour ne pas parler des MathŽmatiques ou des Žtudes formelles. Peu de ces pratiques ont perdurŽ au point de justifier quÕon parle quarante ans aprs dÕanthropologies historique ou Žconomique, par exemple, car les influences mutuelles ont ŽtŽ suffisantes pour Žlargir le spectre des travaux reconnus par les disciplines-mres et lŽgitimer les productions Ç mŽtisses È. LÕanthropologie du politique sÕest mieux stabilisŽe. Mais cÕest lÕanthropologie juridique
, dite ensuite anthropologie du droit(Le Roy, 1978), qui a imposŽ un label original. Ë cela une raison simple : ni les Anthropologues nÕont voulu entendre parler du Droit ni les Juristes (au moins franais) de lÕaltŽritŽ et de la diffŽrence. Il a donc bien fallu crŽer un espace de recherche original pour pouvoir sÕexprimer. JÕavoue, en y consacrant ma carrire, y avoir partagŽ un grand enrichissement intellectuel. (Eberhard et Vernicos, 2007)

La PluridisciplinaritŽ peut appara”tre ˆ partir de trois disciplines impliquŽes par le mme chercheur ou le mme groupe de chercheurs. Ici, cÕest nŽcessairement lՎlaboration dÕun objet commun pouvant ensuite gŽnŽrer un champ scientifique partagŽ qui sera la prŽoccupation centrale, pouvant conduire ensuite ˆ un nouveau paradigme qui sera bricolŽ avant dՐtre thŽorisŽ. Je reste dans lÕexemple prŽcŽdent qui a lÕavantage de co•ncider avec ma pratique de recherche. Quand il sÕest agi de prŽciser le type de recherche pratiquŽ en anthropologie juridique, on a vu Žmerger des tendances diffŽrentes se rŽclamant tant™t de la discipline universitaire (supposant un rattachement, en France, ˆ lÕhistoire des Institutions) tant™t dÕune pratique disciplinaire valorisant le r™le de la recherche opŽrationnelle ( ou finalisŽe) et les relations avec les dŽcideurs politiques. Pour les distinguer, on nÕhŽsitera pas ˆ parler, ˆ partir de la fin des annŽes 1970, dÕune  anthropologie politique ou dÕune anthropologie historique du droit en sachant  que les paradigmes pratiquŽs, sensibles ˆ lÕidŽe de totalitŽ ou de holisme, ne prŽsupposent pas le recours de lÕhistoire contre le politique ou la mobilisation du politique contre lՎconomique. Nous sommes ici face ˆ des procŽdures de triangulation qui annoncent le passage ˆ des pratiques de recherche o le pluralisme se dŽveloppe avec lÕinterdisciplinaritŽ.(Le Roy, 1999).

 

InterdisciplinaritŽ prte ˆ beaucoup dÕabus et donc dÕusages mal contr™lŽs, indus. Dans mon raisonnement, nous sommes face ˆ la mobilisation dÕau moins trois rŽfŽrents paradigmatiques. Mais, les expŽriences de recherches opŽrationnelles, appliquŽes ou finalisŽes auxquelles jÕai ŽtŽ associŽes mÕont conduit ˆ reprendre et populariser une formule de Jacques Weber testŽe lors de la prŽparation de la rŽforme foncire ˆ Madagascar au milieu des annŽes 1990 (Le Roy, 1999). LÕinterdisciplinaritŽ est dominŽe par la prŽoccupation de Ç rŽsoudre un problme È, donc de trouver une solution innovante. Elle conduit ˆ privilŽgier les rŽponses et ˆ ne retenir des disciplines-mres que les rŽfŽrences de paradigmes, de thŽories et de mŽthodes entrant dans le champ de la recherche, en situant le nouveau protocole aux marges de la discipline universitaire, voire de la discipline scientifique. Et puisquÕon vient de parler de rŽforme foncire, je propose au lecteur cette Žquation foncire, outil didactique qui illustre la manire de mobiliser des disciplines, des savoir-faire et des prŽoccupations (Le Roy, 1991).

On propose au lecteur de lire  une anthropologie du rapport Ç foncier È sous la formule

 

Figure N¡ 3

F = S (E+J+A) Pl,n,i

T3

F=Foncier ; S=Rapport Social ; E=ƒconomie ; J= Juridique ; A = AmŽnagements de la nature ; Pl,n,i = Politique aux Žchelles locales, nationales et internationales ; T = Terre, terroir et territoire

 

Quant ˆ la TransdisciplinaritŽ elle serait pratiquŽe quand la recherche est dans la situation de repŽrer un problme mais de ne pas savoir quelles questions poser pour saisir toutes ses dimensions et ses implications. Quand donc on tente de respecter la complexitŽ et les dynamiques inhŽrentes aux objets en voie de construction, il faut accepter de sÕaffranchir de certaines conventions, de lÕhypothŽtique en particulier, au profit de lÕaxiomatisation. LՎlaboration de modles sÕavre Žgalement indispensable. CÕest lÕexemple du PIR Mousson de lutte contre la pollution ˆ Ouagadougou dont je vais parler en relation avec une approche de la place de lՎthique dans nos pratiques disciplinaires dÕanthropologues. Pour en illustrer les spŽcificitŽs, le lecteur pourra en apprŽcier les particularitŽs ˆ partir de la matrice N¡ 1. Mousson relve de la situation 20 mais suppose des opŽrations de recherche qui sÕinscrivent dans des contextes plus simples dont on parlera par la suite.

 

 

Matrice N¡ 1

Identification de montages disciplinaires originaux

-                                                                                       +

Recherches

fondamentale

opŽrationnelle

appliquŽe

finalisŽe

monodisciplinaire

1

2

3

4

bidisciplinaire

5

6

7

8

pluridisciplinaire

9

10

11

12

interdisqciplinaire

13

14

15

16

transdiscioplinaire

17

18

19

20

 

 

 

 

 

LՎthique, les normes quÕon mobilise quand on a tout invoquŽ

 

LՎthique, une notion ˆ prŽciser

 

Comme pour lÕapproche de la discipline, je propose de partir du langage commun et, dans ce cas, le dictionnaire Le Robert Žtant peu explicite, de retenir une description du Larousse illustrŽ publiŽ vers 1900. Cette notice, malgrŽ son caractre apparemment dŽsuet est, pleine dÕenseignements :

 

Ç Ôle mot Žthique, qui a vieilli,  a sur le mot morale, tirŽ du latin mores, lÕavantage de mieux marquer le rapport de lÕaction droite et du caractre vertueux. LՎthique est lÕart de se faire un caractre moral, de contracter des habitudes dÕo dŽcoulent naturellement des actes conformes ˆ la loi du devoir. Cette conception de la morale, qui rapproche la vertu du caractre et des mÏurs, est peut-tre un peu ŽloignŽe de certaines conceptions modernes ; elle tend cependant, ˆ lÕemporter de nouveau sur toutes les autres È (Larousse, IV, s ;d ;, 333)

En effet, au lieu de vieillir, la rŽfŽrence ˆ lՎthique a rajeuni et sÕest largement substituŽe ˆ la morale dont il para”t actuellement anachronique de parler hors des cercles de philosophes. Par contre, les comitŽs dՎthique fleurissent partout, sans quÕon sache ˆ quoi correspond cette nouvelle approche. Un effet de mode ?, Un  Ç cache-misre (Ch‰tel, ce volume) ? Et quelles sont les implications pratiques des dŽcisions prises par de tels comitŽs ? On peut cependant relever trois caractŽristiques :

 

- LՎthique fait appel ˆ des normes non formellement reconnues, thŽmatisŽes ou sanctionnŽes, donc ni juridiques ni religieuses., mme si les valeurs peuvent lՐtre.

-       - Elle engage des individus et des valeurs qui concernent lÕindividu en sociŽtŽ.

-       - Elle suppose le principe dÕultime solution. Comme la culture dont ƒdouard Herriot, homme politique de la III¡ RŽpublique franaise et ancien maire de Lyon, disait que cÕest ce qui reste quand on a tout oubliŽ, lՎthique est ce quÕon mobilise quand on a tout invoquŽ. CÕest la dernire chance de pouvoir donner une valeur, une lŽgitimitŽ, voire un sens ˆ des choix liŽs ˆ des comportements en sociŽtŽ. Du fait quÕil nÕest plus possible dÕen appeler ˆ une norme ou ˆ une autoritŽ extŽrieure ou supŽrieure, cÕest Ç entre soi È, entre Žgaux que se dŽbattent les questions dՎthique quand la solution concerne une communautŽ de praticiens.

-        

Ajoutons quelques commentaires.

LՎthique fait appel ˆ des normes dont le sens latin norma dŽsigne la rgle de lÕarchitecte, lÕunitŽ de mesure. Il sÕagit donc dÕapprŽcier un comportement, de le mesurer comme conforme ou non parmi une Žchelle dÕusages. LՎthique a un rapport avec la morale (un Ç caractre moral È dit le texte) mais elle transcrit ˆ lՎchelon de lÕindividu ce que la morale prescrit ˆ celui de la sociŽtŽ. Il semblerait que quand on prend en considŽration une situation intermŽdiaire dÕun collectif agissant en tant que tel (corporate group dans les classifications de lÕanthropologie sociale anglaise) mais ne reprŽsentant pas la sociŽtŽ dans son ensemble, on use dÕun tiers terme, la dŽontologie, pour les mŽdecins, les architectes, les journalistesÉ mais non pour les professeurs dÕuniversitŽ.

Pour ces derniers, comme pour les chercheurs, il existe un droit disciplinaire liŽ, en France, ˆ la position de membre de la fonction publique. Mais ce droit disciplinaire et, de manire plus gŽnŽrale, les normes juridiques sont trs rarement invoquŽes, rendant la rŽfŽrence ˆ lՎthique incontournable.

 

On peut enfin prŽciser tant la diversitŽ des types de demandes et de valeurs impliquŽes que les types de rŽponses souhaitŽes.

 

 

 

Figure N¡ 4

 

Ë quelle demande rŽpond-elle ?

DÕo viennent les valeurs ˆ mobiliser ?

 

HumanitŽ/Nation/SociŽtŽ

(R. fondamentale)

 

 


Commanditaire              ƒTHIQUE             BŽnŽficiaires

(R. opŽrationnelle)      anthropologue        (R. appliquŽe)

 

 

Ma”tre dÕÏuvre

(R. finalisŽe)

 

 

 

 

 

Figure N¡ 5

 

Quelles rŽponses attendues ?

 

Ç Rgles de lÕart È ˆ appliquer

(monodisciplinaritŽ)

 

Limites et frontires entre champs       ETHIQUE     IntŽrt comparatif des Ç bŽnŽficiaires È

(bi et pluri-disciplinaritŽ)                                  (interdisciplinaritŽ)

)

validitŽ des questionnements

(transdisciplinaritŽ)

 

 

Le programme Mousson de lutte contre la pollution ˆ Ouagadougou

 

 

Le programme interdisciplinaire de recherches Mousson doit son nom au fait quÕil est issu dÕun autre programme (AMMA) couvrant ˆ lՎchelle mondiale lՎtude du phŽnomne de la mousson dans un contexte de changements climatiques qui sont assez connus pour quÕil ne soit pas nŽcessaire de commenter les phŽnomnes de rŽchauffement qui font la Ç une È des journaux. Trois raisons ont conduit ˆ autonomiser ce programme spŽcifique.

DÕune part, et ceci est assez rare pour quÕon le souligne dÕemblŽe, la dŽmarche est conduite par les sciences humaines et sociales et non par des sciences de la nature, spŽcialement des climatologues .

DÕautre part, le cadre dÕanalyse a ŽtŽ restreint ˆ lÕAfrique cÕest-ˆ-dire au golfe de GuinŽe puis ˆ la zone sahŽlienne centrale dont lՎpicentre se trouve tre Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. La ville de Ouagadougou Žtant aussi polluŽe que celle de PŽkin dont on a parlŽ lors de la prŽparation des Jeux olympiques de 2008, on a prŽcisŽ lÕobservation des circulations de courants aŽriens en analysant les phŽnomnes rŽcurrents de pollution atmosphŽrique

Enfin, cette dŽmarche repose sur une demande explicite de coopŽration scientifique du Centre National de la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) du Burkina Faso en vue de mener en partenariat avec son homologue franais le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), une recherche doublement exemplaire sur le plan de la politique scientifique et de la dŽmarche disciplinaire. Les accords de coopŽration signŽs en mars 2008 pour rŽgir les relations entre partenaires mettent la recherche du Nord au service  du Sud dont lÕautonomie se trouve assurŽe tant du point de vue des pratiques de recherche que de la gestion des moyens financiers.

 

TROIS CARACTERISTIQUES PRINCIPALES PEUVENT  ETRE DISTINGUEES

 

Une pratique de champ scientifique

Les dŽmarches se situent nŽcessairement ˆ lÕintersection des pratiques universitaires, scientifiques et citoyennes. LÕenjeu de la transformation radicale du mode de coopŽration scientifique avec nos homologues burkinabŽs sur la base du principe de la complŽmentaritŽ des diffŽrences est, pour les anthropologues participant au projet, Ç crucial È. Ils sont donc particulirement sensibles ˆ la dimension citoyenne de lÕapproche et ˆ la nŽcessitŽ de dŽboucher sur des solutions non seulement pratiques mais pragmatiques.  Ils considrent aussi que la dŽcision politique est un objet de recherche anthropologique Ç ˆ part entire È.

 

Une recherche finalisŽe

La question, lՎtude de la pollution, et la rŽponse, un processus de mobilisation des acteurs locaux en vue de la prise de dŽcision en cas de crise de pollution, sont lÕune et lÕautre Ç donnŽes È, imposŽes par le document contractuel associant le CNRST et le CNRS. Nous sommes bien en situation de recherche finalisŽe. Nous savions ds lÕorigine ce quÕest une pollution atmosphŽrique en gŽnŽral et, dans le contexte de Ouagadougou, nous disposions dŽjˆ de quelques mesures apportŽes par la mŽtŽorologie nationale burkinabŽ, un des partenaires du programme, permettant dÕidentifier la gravitŽ du phŽnomne, mais pas ses causes les plus dŽterminantes ici.  Outre le travail prŽcieux des mŽtŽorologues qui permettent dÕidentifier la circulation aŽrienne des pollutions, lÕapport de la physique-chimie (et en particulier des chimistes pour lÕanalyse des relevŽs des particules contenus dans lÕair), des gŽographes (pour la localisation des lieux et des dynamiques dՎmission) et des mŽdecins de santŽ publique sur les effets chroniques ou spŽcifiques sur les malades sont prŽcieux. Chacun travaille ici selon les rgles de sa discipline, fondamentale, opŽrationnelle ou appliquŽe selon des protocoles ŽlaborŽs et validŽs en commun (supra, matrice N¡ 1). Par ailleurs, lÕobjectif Žtant de favoriser une dŽcision, par nature politique, des divers acteurs burkinabŽs impliquŽs dans la lutte contre la pollution essentiellement de type prŽventif, on doit faire appel aux juristes, aux politistes et aux spŽcialistes de la gestion de systmes complexes, en particulier mathŽmaticiens et informaticiens pour construire des modŽlisations formelles. Dans une situation de crise Žcologique, lÕenjeu, immŽdiat, est dՎlaborer un systme dÕalerte/alarme pour contr™ler les incidences Žconomiques, mŽdicales, environnementales, socio-familiales, etc., de la pollution aŽrienne, ce qui peut induigre des changements parfois radicaux, ainsi pour lÕusage domestique du bois-Žnergie. Ici, les sociologues et anthropologues sont particulirement mobilisŽs pour conna”tre les systmes de reprŽsentation de la pollution et de la dŽcision  qui dŽtermineront, ou non la rŽussite du projet.

 

Une interdisciplinaritŽ devenue transdisciplinaritŽ

 

Non seulement on ne sait comment les diffŽrents acteurs concernŽs se posent les questions mais lÕhŽtŽrogŽnŽitŽ des approches, des intŽrts et des contraintes oblige ˆ aborder lÕobjet dans sa complexitŽ et selon ses dynamiques propres Une dŽmarche de type 20 dans notre matrice N¡1 peut exiger des pratiques de type 16, 12 ou 8, mais aussi mobiliser des rŽsultats de chercheurs associŽs, doctorants par exemple rŽalisant des recherches de type fondamental mono ou bi-disciplinaire (types 1 ou 5).

 La modŽlisation est ici un enjeu institutionnel du Programme Interdisciplinaire de Recherche (PIR) du CNRS. Elle est donc au cÏur du projet collectif. Il y a lˆ un vrai dŽfi ˆ relever. En effet, lՎtude des systmes complexes a ŽtŽ largement monopolisŽe par les sciences mathŽmatiques et il Žtait apparu intŽressant, ˆ lÕorigine, de mobiliser les spŽcialistes de du Laboratoire des Systmes complexes lՃcole polytechnique. Mais il a fallu faire Žvoluer le dispositif car cÕest le dŽpartement des Sciences de lÕhomme et de la SociŽtŽ du CNRS qui avait la responsabilitŽ de ce programme, cÕest donc aux spŽcialistes de ces disciplines quÕil appartenait dÕune part de proposer une approche originale, de type Ç sciences humaines È, donc fondamentalement Ç qualitative È, de la modŽlisation et dÕautre part, de vŽrifier la bonne marche du projet selon ses choix initiaux, donc dÕapprŽcier constamment la pertinence ŽpistŽmologique de la dŽmarche.

Les anthropologues sont ainsi associŽs non seulement au recueil de donnŽes sur les reprŽsentations de la perception de la pollution et de ses effets pathologiques, mais aussi sur lՎlaboration des modles et sur la veille ŽpistŽmologique au sein dÕune cellule crŽŽe spŽcialement pour ces objectifs scientifiques, politiques et Žthiques. Celle-ci donne lieu ˆ des bulletins de suivi ˆ ŽchŽance bimestrielle avec compilations sur une base semestrielle puis annuelle. La communication est par ailleurs rŽalisŽe par un site WIKI ouvert ˆ tous les participants selon un niveau de confidentialitŽ appropriŽ.

 

 

LÕETHIQUE DANS MOUSSON

 

Une expŽrience antŽrieure et relativement comparable mŽrite dՐtre ŽvoquŽe pour introduire la rŽflexion. La mise en place puis lÕexpŽrimentation dÕun programme dÕintermŽdiation culturelle en milieu juridictionnel par la Laboratoire dÕanthropologie juridique de Paris auprs de juridictions des mineurs, entre 1996 et 2002, avaient suggŽrŽ de prendre quelques initiatives prŽventives. Des jeunes chercheurs, Žtrangers (en gŽnŽral doctorants africains), femmes et hommes, avaient ŽtŽ formŽs pour tre les intermŽdiaires entre des magistrats pour mineurs et les familles africaines qui accepteraient dÕentrer dans un dialogue Žducatif avec le juge gr‰ce ˆ un facilitateur, lÕintermŽdiateur. Pour prŽvenir les dŽrives possibles des relations de lÕintermŽdiateur avec le magistrat, le mineur ou sa famille, voire dÕautres acteurs du travail social, on avait rŽdigŽ, sur une base pragmatique, un code de bonnes conduites comprenant quelque huit principes de base. Ce code a ŽtŽ diffusŽ et rŽgulirement ŽvoquŽ dans les rŽunions du comitŽ de pilotage, mais on nÕa jamais eu ˆ le mettre en Ïuvre, sa simple existence suffisant ˆ prŽvenir des difficultŽs mutuelles dÕapprŽciation. (Le Roy, 2003).

On a repris cette idŽe dans le cadre de Mousson en lÕassociant ˆ une fonction plus directement ŽpistŽmologique mariant ˆ la fois les exigences de lÕinterdisciplinaritŽ et la recherche dՎquilibres entre les divers partenaires.

En fait, on a repris la philosophie de la chefferie indienne dont Pierre Clastres avait fait une si intŽressante description sur la base de ses observations et de celle de Claude LŽvi-Strauss dans Tristes tropiques (1955)  Pierre Clastres (Clastres, 1974) explique en particulier que lÕautoritŽ dont dispose le chef indien ne repose pas sur quelque pouvoir de commandement sur les individus et que ce sont ses qualitŽs dÕorateur et dÕapaiseur qui font  la fondement de sa fonction.

Nous avons donc transposŽ cette fonction dÕapaiseur au sein de la cellule ŽpistŽmologique et nous ne manquons pas une sŽance de travail pour rappeler la philosophie de cette interdisciplinaritŽ qui, en fait, rencontre actuellement les problmes dՎthique  dans les trois dimensions des pratiques disciplinaires, universitaire, citoyenne et scientifique.

 

¡ MalgrŽ lÕabolition dŽclarŽe du pouvoir mandarinal depuis 1968, les relations de clientle et les dŽtournements de fonctions ou de rapports hiŽrarchiques restent le quotidien de la vie universitaire, tant au Nord quÕau Sud, mais au Sud dans des contextes de raretŽ, de pŽnuries et de sŽlection qui affectent les rapports de travail au quotidien de manire parfois prŽoccupante. En parler quand il nÕy a pas de question pendante ou cruciale supposant dÕintervenir Ç ˆ chaud È permet de prŽvenir et de rendre plus facile lՎvocation de situations Ðlimites.

 

¡ Quant ˆ la discipline citoyenne, elle trouve ˆ sÕexprimer pleinement dans les objectifs dՎvolution des rapports entre chercheurs du Sud et du Nord du programme, pour respecter des meilleurs Žquilibres dans la rŽpartition des moyens financiers, le choix des protocoles et les processus de validation des rŽsultats. Dans ce domaine, nous venons de trs loin dans les contextes africanistes car des formes implicites de racisme au quotidien affleurent encore trop souvent dans les relations entre Ç patrons È du Nord et doctorant ou Ç post-docs È du Sud qui sont condamnŽs ˆ avaler des couleuvres pour obtenir le dipl™me convoitŽ.

 

¡ Il est enfin banal de rappeler que nos pratiques scientifiques nous obligent constamment ˆ des choix qui ne sont pas seulement techniques mais supposent bien de hiŽrarchiser des valeurs selon les protocoles et les rŽsultats quÕon cherche ˆ dŽvelopper. LÕapproche de lՎthique que nous expŽrimentons actuellement repose sur le dialogue qui est la meilleure des prŽventions dans le domaine de lÕethnocentrisme. Ce dialogue se fait dÕabord avec ses propres idŽes, cÕest le r™le du for intŽrieur ou Ç tribunal des consciences È, puis avec celles des autres, Le choix des forums scientifiques ˆ diffŽrentes Žchelles est Žgalement Ç crucial È pour rŽguler le fonctionnement du champ scientifique.

 

 

En conclusion : promouvoir une hermŽneutique diatopique, dialogique et diamuthique

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Nous, anthropologues, avons une contrainte  propre: en matire dÕhermŽneutique comme une application spŽcifique du paradigme de lÕaltŽritŽ. Rappelons pour mŽmoire que notre dŽmarche doit dÕabord tre diatopique en confrontant puis associant les divers points de vue (topoi) ˆ partir desquels sont ŽnoncŽs les faits. Puis les discours et les logiques (logoi)qui sÕy rŽvlent vont donner naissance ˆ une dialogie comme montage .des connaissances obtenues. Et enfin, ˆ chaque fois que nŽcessaire, notre dŽmarche sera Žgalement diamuthique, cÕest ˆ dire tiendra compte des visions du mondes (muthoi)  et des appartenances multiples induisant des positionnements et des explications originales.(Le Roy, 1999).

 CÕest par cette progression ŽpistŽmologique diatopie/dialogie/diamuthie que lÕanthropologue peut relever le dŽfi de dŽcliner dans  toute leur complexitŽ les rapports moi/soi/autre et de rŽpondre aux contraintes du refus de lÕethnocentrisme. que Robert Jaulin  nous a laissŽ en hŽritage (Le Roy, 2003).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

Clastres Pierre, 1974, La sociŽtŽ contre lՃtat, Paris, Minuit.

Eberhard Christoph et Vernicos Genevive (ƒds.), La qute anthropologique du droit, Autour de la dŽmarche dՃtienne Le Roy, Paris, Karthala, 2006.

Le Robert, Le nouveau petit Robert, Paris, ƒditions Le Robert, 1996.

Le Roy ƒtienne, Ç Pour une anthropologie du droit È, Revue Interdisciplinaire dՃtudes juridiques, 1978, vol.1, p. 71-100.

Le Roy ƒtienne, Ç LՎquation foncire È, Le Bris ƒmile, Le Roy ƒtienne, Mathieu Paul, LÕappropriation de la terre en Afrique noire. Manuel dÕanalyse, de dŽcision et de gestion foncires, Paris, Karthala, 1991, p. 13.

Le Roy ƒtienne, Le jeu des lois, une anthropologie ÔdynamiqueÕ du droit, Paris, LGDJ, collection Droit et sociŽtŽ, sŽrie Anthropologie, 1999.

Le Roy ƒtienne, Ç La dŽmarche dÕintermŽdiation culturelle, une expŽrience au Tribunal pour Enfants de Paris, 1996-2002 È DERPAD, Protection de lÕenfance et diversitŽ europŽenne, Paris, Petites capitales, 2003, p. 299-310.

Le Roy ƒtienne, Ç Gens du moi, gens du monde, reprŽsentations endognes et gouvernance mondiale È, Actes du colloque Robert Jaulin, Paris, CitŽ des sciences, 13 et 14 novembre 2003, 23 p., actes non publiŽs.

Le Roy ƒtienne, Ç Le champ scientifique, cadre propice aux innovations scientifiques de la recherche au Sud È, GŽronimi Vincent, Bellier Irne, Gabas Jean-Jacques, Vernires Michel et Viltard Yves (sous la direction de ), Savoirs et politiques de dŽveloppement, questions en dŽbat ˆ lÕaube du XXI¡ sicle, Paris, Karthala, p. 141-164.

Le Roy ƒtienne, ÒLÕhorizon de la juridicitŽ : comparer les diffŽrences dans leurs complŽmentaritŽs pour repenser les droits dans une perspective globale de rŽgulation des sociŽtŽs contemporainesÓ. Communication au colloque Ç Les frontires avancŽes du savoir du juriste È, Accademia delle Scienze di Torino, 25 au 27 avril 2007, placŽ sous lՎgide de LÕistituto subalpino per lÕanalisi del diritto delle activitˆ transnazionali et de lÕAssociazione italiana di diritto comparato, ˆ para”tre.

LŽvi-Strauss Claude, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958.

LŽvi-Strauss Claude, Ç Tristes tropiques È,in Îuvres Paris, Gallimard,collection de la Pleiade, 2008 [1955],pp. 3-445.

Nouveau Larousse illustrŽ, Paris, Larousse, s.d. [1900] 8 volumes.

 



[1] Communication aux journŽes dՎtudes organisŽes par lÕInstitut de Recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC) et lÕAssociation Tunisienne dÕAnthropologie Sociale et Culturelle (ATASC) les 19 et 20 dŽcembre 2008 ˆ Sidi Bou Sa•d, (Tunisie), sur le thme Ç LÕanthropologie face aux nouveaux enjeux Žthiques È.

[2] Extrait du dictionnaire Le Robert, 1996, p. 489 : Les exemples rŽfrent aux institutions scolaires et militaires et aux instances professionnelles de type corporatiste. Il nÕest pas fait directement mention de la recherche scientifique mais, plus gŽnŽralement, de Ç la connaissance È.