Droit : de la pyramide au rŽseau ?
Une
introduction
(ce texte para”tra comme introduction ˆ l'ouvrage de
Franois Ost et de Michel van de Kerchove De la pyramide au rŽseau ? Pour
une thŽorie dialectique du droit, Presses des FacultŽs Universitaires Saint Louis)
Franois Ost & Michel van de Kerchove
ost@fusl.ac.be & vdk@fusl.ac.be
Le corps du texte est prŽcŽdŽ et
suivi d'un "hors texte".
Hors-texte I
Deux illustrations pour entamer notre
rŽflexion.
La premire est tirŽe du frontispice de
l'Ždition originale du LŽviathan de Thomas Hobbes (1651) ,
ouvrage fondateur ˆ la fois du positivisme juridique et de la thŽorie politique
moderne. Un personnage allŽgorique, mi-homme, mi-dieu, domine le pays : le
LŽviathan tout-puissant, ce personnage ÇartificielÈ, dit Hobbes, qui symbolise
la RŽpublique. Les attributs des pouvoirs temporel (l'ŽpŽe) et spirituel ( la
crosse) confrent ˆ sa couronne une assise solide, dessinant deux lignes
convergentes, l'Žbauche d'une pyramide. Et pour que personne ne se mŽprenne,
une citation de l'ƒcriture accrŽdite son pouvoir : non est potestas super
terram quae comparetur ei (il n'est, sur terre, aucune puissance
qui surpasse la sienne).
Pas de doute, voilˆ le souverain, titulaire
d'un pouvoir sans partage, qui irradie jusqu'aux confins les plus reculŽs de
l'ƒtat. Son pouvoir est absolu, non pas tant au sens de tyrannique ou de
totalitaire, mais en cela qu'il prŽsuppose une perspective unique, monologique,
qui dŽtermine toute perception possible.
Du reste, ˆ mieux y regarder, on s'aperoit
que le grand corps de lÕƒtat est composŽ de l'assemblage de tous les sujets de
droit, tous ÇassujettisÈ, tous s'identifiant ˆ lui, communiant dans sa volontŽ
ÇgŽnŽraleÈ. Kelsen n'Žcrira-t-il pas que les sujets de droit ne sont, en
dŽfinitive, que les organes de lÕƒtat, et leurs droits subjectifs, de simples
corollaires du droit objectif ?
Cet univers pyramidal est celui de l'ordre et
de la hiŽrarchie : un ordre vertical et linŽaire qui culmine, selon
l'indication de l'Žtymologie, dans un pouvoir transcendant et sacrŽ (hieros
- ark) : hier celui du
monarque de droit divin, plus tard celui du souverain consacrŽ par le suffrage
universel, aujourd'hui celui des directoires politico-financiers. Ë l'ombre du
Grand LŽviathan, dans la tranquille assurance de la convergence du rationnel et
du matŽriel, l'ordre rgne sur le pays. Notre monde ?
¡
¡
¡
La seconde illustration est une lithographie
de Escher, intitulŽe RelativitŽ (1953).
Ici le chaos semble s'tre substituŽ ˆ l'ordre
: des portes et des fentres s'ouvrent au sol et au plafond, des escaliers
partent dans tous les sens, des gens montent et descendent de faon
incohŽrente. Une fois dissipŽ le premier malaise que suscite cette gravure, et
que nous entamons son interprŽtation, il appara”t qu'elle enchevtre trois
mondes, chacun parfaitement logique dans sa perspective propre, mais absurdes
dans leur assemblage. Comme si trois mondes hiŽrarchisŽs et signifiants, trois
pyramides coexistaient, nous contraignant successivement ˆ observer la
lithographie d'abord dans son sens ÇnormalÈ, de bas en haut, le personnage du
bas qui gravit l'Žchelle nous en indiquant la perspective, ensuite, dans un
deuxime temps, ˆ la faire pivoter vers la droite, dŽgageant un deuxime monde,
celui des personnages qui dŽjeunent sur une terrasse extŽrieure, et enfin, dans
un troisime temps, ˆ la faire pivoter vers la gauche, ce qui fait appara”tre
un troisime monde : celui du personnage qui observe la scne du haut d'un
muret, et du couple qui se promne dans un jardin.
Escher utilise ici simultanŽment trois points
de fuite diffŽrents pour rŽunir en une seule figure trois mondes distincts([1]). Le rŽsultat d'ensemble ne manquera pas
d'appara”tre illogique, tant qu'on l'interprte ˆ partir d'un seul monde, le
monde ÇabsoluÈ d'une reprŽsentation monologique et pyramidale. En revanche, ds
lors qu'on adopte une perspective pluraliste et relativiste, chaque monde
retrouve sa logique. Reste cependant la question de leur ÇcompossibilitŽÈ. En
Žtat d'apesanteur, le monde eschŽrien serait parfaitement imaginable : une fois
disparue la force de gravitŽ, aucun plan de l'espace n'est en effet privilŽgiŽ
par rapport aux autres([2]). Mais prŽcisŽment, Escher ne suggre-t-il
pas aussi que les lois de la pesanteur sont respectŽes dans les trois mondes ˆ
la fois ? Or, si elles sont respectŽes dans le premier monde, elles ne
peuvent quÕtre violŽes dans les deuxime et troisime mondes, et inversement.
Nous reste alors ˆ inventer un monde dans
lequel les phŽnomnes eschŽriens pourraient exister([3]). Des mondes o les souverainetŽs politiques
seraient relatives, les citoyennetŽs partagŽes, les rationalitŽs multiples, les
valeurs plurielles...Un monde en rŽseau. Notre monde ?
¡
¡
¡
Une pyramide qui ne soit pas synonyme de
tyrannie, une transcendance qui soit affranchie du dogmatisme.
Un rŽseau de mondes enchevtrŽs qui ne soit
pas synonyme de chaos, une immanence qui soit affranchie de l'insignifiance.
Notre monde ?
Introduction
Kelsen, Hart et Ross, quelques-uns des
meilleurs interprtes de la pensŽe juridique encore dominante aujourd'hui dans
le sens commun des juristes, ont Žcrit l'essentiel de leurs oeuvres aux
alentours du milieu du vingtime sicle, ˆ un moment o, en dŽpit des
catastrophes politiques et des bouleversements thŽoriques qu'annonaient les
sciences fondamentales, prŽvalait encore une vision du monde caractŽrisŽe par
l'ordre et la stabilitŽ. Ordre politique centrŽ sur l'ƒtat, puissance suprme
dans l'ordre interne, figure souveraine dans les relations internationales;
ordre juridique fondŽ sur la norme, commandement impŽratif et unilatŽral,
s'imposant sous la menace de la contrainte. C'Žtait l' qui assurait l'Žgale souverainetŽ ˆ l'extŽrieur, tandis que,
ˆ l'intŽrieur, prŽvalait le Rechtsstaat fondŽ sur une rigoureuse sŽparation des pouvoirs et
un systme de distribution strict et hiŽrarchisŽ des habilitations et des
compŽtences.
Cet univers juridique ordonnŽ reposait sur
une reprŽsentation euclidienne de l'espace : la souverainetŽ s'exerait sur des
territoires stabilisŽs, nettement dŽlimitŽs par des frontires fixes
distinguant un intŽrieur et un extŽrieur. Comme dans la reprŽsentation du LŽviathan,
cet espace Žtait organisŽ ˆ
partir d'un seul point de fuite, la perspective du souverain. Il s'accompagnait
de distances identifiables et mesurables ainsi que de tout un systme de
distinctions et de sŽparations (devant-derrire, au-dessus, en dessous)
gŽnŽratrices de hiŽrarchies multiples.
Cet univers n'Žtait pas statique pour autant ; il s'y dŽployait un jeu de forces important, relevant cette fois d'une conception newtonienne de la physique: des lois de gravitŽ pouvaient tre identifiŽes, les corps les plus lourds entra”naient les plus lŽgers dans leur orbite. D'autres hiŽrarchies se dessinaient alors, constituŽes autour des notions de centre et de pŽriphŽrie, et justifiant des rapports de force et de dŽpendance aussi asymŽtriques que prŽvisibles.
Cet univers Žtait aussi celui de la logique
aristotŽlicienne : logique hiŽrarchisŽe elle aussi, qui s'entend ˆ subsumer les
sous les , pour en dŽduire, de faon parfaitement
prŽvisible, les : logique basŽe sur les principes d'identitŽ (A=A) et de
diffŽrence (A n'est pas non-A), gŽnŽratrice d'un rigoureux systme binaire
d'appartenance et de non-appartenance, conduisant tout naturellement ˆ
l'exclusion du tiers. Ami ou ennemi, national ou Žtranger, fait ou droit, lŽgalitŽ
ou opportunitŽ, public ou privŽ, lettre ou esprit, de lege lata ou de lege ferenda, droit naturel ou droit positif... Tout un
univers juridique s'ordonnanait ainsi autour d'un foisonnement de dichotomies
toujours recommencŽes, jamais en dŽfaut.
Voilˆ pourtant que cet univers juridique s'est mis ˆ bouger... Les juristes, gardiens du temple, ont-ils pris la mesure du sŽisme qui en Žbranle les bases ? Ds le dŽbut du sicle, A. Einstein bouleverse l'espace euclidien et la physique newtonienne en Žlaborant sa thŽorie de la relativitŽ... une relativitŽ que Escher donnait pour titre ˆ sa lithographie ; voilˆ que les points de fuite se diversifient, chaque groupe de personnages commandant une nouvelle perspective; les espaces se dŽterritorialisent, les frontires deviennent poreuses et rŽversibles, les sŽparations se brouillent, les distances se contractent ou s'allongent ˆ volontŽ.
En sciences sociales aussi les analyses se
multiplient, qui invitent ˆ un changement de regard. Celles de M.Foucault, par
exemple, qui entend s'affranchir : c'est que, explique-t-il, le pouvoir est partout, ce n'est
pas qu'il englobe tout, c'est qu'il vient de partout; il ne faut donc pas
chercher ce pouvoir , mais plut™t dans ([4]).
Dans l'intervalle qui nous sŽpare de Kelsen, Hart et Ross, c'est aussi le monde qui a changŽ, donnant chaque jour plus de crŽdit ˆ ces nouvelles perspectives. Qu'il suffise d'Žvoquer, ple-mle, la globalisation des marchŽs financiers, l'interdŽpendance accrue des Žconomies et des cultures (mondialisation), les progrs des technologies numŽriques gŽnŽratrices d'une sociŽtŽ de l'information, la construction europŽenne, l'affaiblissement de la capacitŽ d'action des ƒtats (sous leur double forme d'ƒtat-nation et d'ƒtat providence), l'apparition de puissants pouvoirs privŽs (entreprises transnationales et organisations non gouvernementales), la montŽe en puissance des juges et le culte des droits de l'homme, le multiculturalisme ˆ l'intŽrieur mme des ƒtats-nations, la multiplication des poussŽes individualistes...
Observateur attentif de ces transformations
et auteur d'un ouvrage intitulŽ GŽopolitique du chaos, Ignatio Ramonet propose cette grille d'interprŽtation qui sera aussi la n™tre : ([5]).
Un changement de paradigme ?
Ces transformations profondes de l'ƒtat et du
droit modernes, que G.Zagrebelsky a pu qualifier de ([6]), nous nous proposons de les Žtudier ˆ
l'aide de la thŽorie du changement de paradigmes ŽlaborŽe par Th. Kuhn dans le
cadre de son analyse des rŽvolutions scientifiques([7]). Kuhn explique que, durant les pŽriodes de , les chercheurs appartenant ˆ une discipline
ou sous-discipline adhrent ˆ un cadre thŽorique commun qui, ([8]). L'accord se fait autour d'un paradigme
qui, ˆ la manire d'une carte et d'une boussole, oriente les recherches et
suggre les voies de solution. Un jour cependant se produiront des anomalies -
des faits d'observation qui ne cadrent plus avec le modle explicatif
- qui, si elles se multiplient,
provoqueront la mise en cause du paradigme dominant. Non sans rŽsistance
cependant : dans un premier temps, et tenteront de refouler l'intrus et de restaurer la prŽŽminence
du modle inquiŽtŽ. Il est vraisemblable que, l'esprit critique caractŽristique
de la dŽmarche scientifique l'emportant finalement, se poursuive la recherche
d'une thŽorie plus englobante - c'est le stade prŽ-paradigmatique de la - et que triomphe enfin, au terme d'une , un nouveau paradigme instaurateur d'une nouvelle pŽriode de .
Bien qu'en sciences humaines, et donc aussi
dans les sciences du droit, on n'ait jamais constatŽ le et la recherche caractŽristique de l'adhŽsion ˆ un paradigme incontestŽ, on
ne peut nier que le modle hiŽrarchique (Žtatiste, positiviste, monologique)
caractŽristique du sens commun des juristes, soit aujourd'hui fortement remis
en cause et que, de tous c™tŽs, s'observent des tentatives de formuler des
thŽories alternatives. On est donc bien dans une pŽriode de crise
caractŽristique de la transition d'un paradigme ˆ l'autre. La thse
fondamentale de cet ouvrage est
que, de la crise du modle pyramidal, Žmerge progressivement un paradigme
concurrent, celui du droit en rŽseau, sans que disparaissent pour autant des
rŽsidus importants du premier, ce qui ne manque pas de complexifier encore la
situation. Avec le rŽseau, l'ƒtat cesse d'tre le foyer unique de la
souverainetŽ (celle-ci ne se dŽploie pas seulement ˆ d'autres Žchelles, entre
pouvoirs publics infra et supra-Žtatiques, elle se redistribue Žgalement entre
de puissants pouvoirs privŽs); la volontŽ du lŽgislateur cesse d'tre reue
comme un dogme (on ne l'admet plus que sous conditions, au terme de procŽdures
complexes d'Žvaluation tant en amont qu'en aval de l'Ždiction de la loi); les
frontires du fait et du droit se brouillent; les pouvoirs interagissent (les
juges deviennent co-auteurs de la loi et les subdŽlŽgations du pouvoir
normatif, en principe interdites, se multiplient); les systmes juridiques (et,
plus largement, les systmes normatifs) s'enchevtrent; la connaissance du
droit, qui revendiquait hier sa puretŽ mŽthodologique (mono-disciplinaritŽ) se
dŽcline aujourd'hui sur le mode interdisciplinaire et rŽsulte plus de
l'expŽrience contextualisŽe (learning process) que d'axiomes a priori; la justice, enfin, que le
modle pyramidal entendait ramener aux hiŽrarchies de valeurs fixŽes dans la
loi, s'apprŽhende aujourd'hui en termes de balances d'intŽrt et
d'Žquilibrations de valeurs aussi diverses que variables.
Comment nier que les (au regard du paradigme pyramidal) se sont multipliŽes au
cours de ces dernires dŽcennies ? On pourrait tout d'abord Žvoquer ˆ cet
Žgard ce que, dans la thŽorie des systmes on appelle ([9]) : ces exemples de dans lesquels l'organe (infŽrieur selon la logique hiŽrarchique) se rend ma”tre de
la norme adoptŽe par un organe qui, en principe, devrait pourtant dŽterminer sa propre
action. Il en va ainsi, notamment, lorsque le ministre public, censŽ pourtant
tre l' (son exŽcuteur fidle), dŽcide, en vertu du principe d', de ne pas faire application, ou de faire
une application sŽlective, de telle ou telle lŽgislation pŽnale.
Une autre forme d' consiste dans l'apparition de ce qu'on pourrait appeler, avec
un peu d'humour, des : ainsi, par exemple, les nouvelles (telle la Commission bancaire et financire), ou encore le
Conseil supŽrieur de la Justice, le Collge des Procureurs gŽnŽraux, les
ComitŽs d'Žthique, dont la situation, ˆ l'interface des pouvoirs lŽgislatif,
exŽcutif et judiciaire, pose toute une sŽrie de problmes nouveaux qui se
traduisent notamment par une hŽsitation sur la nature juridique exacte des
dŽcisions qu'ils adoptent.
La multiplication des concepts hybrides
rŽvle une troisime forme d'anomalies : on accepte aujourd'hui que les
souverainetŽs soient ou , que les citoyennetŽs soient multiples ou ([10]), que la validitŽ des normes juridiques soit
conditionnelle et provisoire, que la rationalitŽ soit ...
ConfrontŽe ˆ de telles anomalies, la science
juridique peut opposer plusieurs formes de rŽaction. Une premire attitude,
plut™t exceptionnelle, consiste ˆ abandonner sans regret le paradigme encore
dominant et ˆ rŽserver un accueil enthousiaste ˆ tel ou tel nouveau modle
censŽ rendre compte de faon plus satisfaisante des anomalies observŽes.
G. Teubner illustre bien ce premier type de rŽaction : renvoyant au
passŽ le droit Žtatique et ses mŽthodes de , il cŽlbre l'Žmergence de ce qu'il qualifie
de , dans le cadre d'une sociŽtŽ dŽsormais mondialisŽe([11]). Dans un sens assez proche, quatre auteurs
finlandais signent un (sic)([12]), annonant, au-delˆ du pluralisme
juridique, l'apparition d'un droit polycentrique renonant ˆ toute prŽtention
intŽgratrice ou fondatrice. Dirigeant, quant ˆ lui, une publication collective
sous le titre Le droit soluble, J.-G. Belley Žvoque l'ultime (?) passage ˆ la limite qui consisterait
dans la dilution de la normativitŽ juridique dans la de la rŽgulation sociale globale([13]). Ces travaux d'avant-garde, qui ont sans
doute le mŽrite de la crŽativitŽ intellectuelle, prŽsentent cependant le danger
de sous-estimer les survivances, parfois considŽrables (ainsi que les retours
toujours possibles) du modle antŽrieur. Ils ne s'interrogent pas non plus, sur
un plan Žthico-politique cette fois, ˆ propos des enjeux liŽs ˆ la disparition
possible des valeurs positives associŽes au modle pyramidal (disons, pour
faire bref, la constellation des valeurs libŽrales liŽes ˆ l'ƒtat de droit, et,
notamment, celle de la sŽcuritŽ juridique).
Dans la plupart des cas, cependant, le
paradigme dominant oppose une rŽsistance farouche ˆ l'Žgard des thŽories
rivales, s'employant tant™t ˆ formuler des pour tenter de rendre compte des anomalies sans pour autant
remettre en cause la thŽorie elle-mme, tant™t en formulant des en vue de refouler toute avancŽe d'un paradigme concurrent([14]).
On peut prŽsenter les comme autant d'exceptions (dont on dit qu'elles confirment la
rgle) bricolŽes par la thŽorie du droit en vue de , tout en s'Žpargnant de rŽviser les
prŽmisses de la thŽorie elle-mme. On soutiendra, par exemple, comme on le
verra dans le premier chapitre, que la construction europŽenne configure un
modle sui generis pour
ne pas avoir ˆ s'interroger sur les dŽmentis qu'elle inflige aux concepts et
reprŽsentations classiques de la thŽorie du droit. Il arrive cependant un
moment o, les exceptions se multipliant, la thŽorie devient ˆ ce point
alambiquŽe que le rapport principe-exceptions se renverse... Il est temps,
alors, de changer de paradigme.
Une autre stratŽgie de dŽfense du paradigme
officiel consiste ˆ dresser des ([15]) autour du paradigme menacŽ, afin d'Žtendre
(indžment) son pouvoir explicatif et disqualifier les interprŽtations
concurrentes. Ici encore les illustrations ne manquent pas. Plut™t, par
exemple, que de prendre acte du pouvoir crŽateur de la jurisprudence, on
s'attache encore, du moins dans certains cas, ˆ prŽsenter ce phŽnomne comme
une dŽrive pathologique du systme, une menace pour la dŽmocratie, une
manifestation inacceptable de . Autre exemple : plut™t que de prendre
l'exacte mesure du phŽnomne d'auto-rŽgulation que se sont adjugŽe certains
secteurs Žconomiques puissants (on pense notamment ˆ la lex mercatoria , ou encore ˆ la lex numerica rŽgissant les rapports juridiques du
cyberespace), on feint de croire que cette normativitŽ privŽe n'est qu'une
illustration du principe classique d', et que, somme toute, cette application de
l'article 1134 du Code civil ne bouleverse en rien la pyramide juridique([16]). Ou encore : plut™t que de
s'accommoder de la dŽmultiplication des sources du droit et de tenter d'y
introduire un peu d'ordre par le biais de quelques principes juridiques de
synthse, on feint de croire ˆ la possibilitŽ de vastes codifications, sans
comprendre que les conditions favorables ˆ ces entreprises au XIXe sicle ne
sont plus gure rŽunies aujourd'hui.
Peut-tre que, pour des raisons qui lui sont
propres, la doctrine juridique a intŽrt ˆ entretenir ces reprŽsentations
trompeuses ainsi que les illusions qui les nourrissent. Il n'en reste pas moins
qu'une science du droit critique, dŽgagŽe de ces intŽrts, doit pouvoir
affronter ces remises en question et tenter, en se gardant cependant de tout
effet de mode, de formuler un nouveau cadre thŽorique, plus englobant que
l'ancien, susceptible ˆ la fois de rendre compte des survivances du modle
prŽcŽdent, des raisons de ses nombreuses transformations et des formes inŽdites
que celles-ci revtent. C'est prŽcisŽment l'exercice auquel nous voudrions
inviter le lecteur ˆ l'aide du paradigme du rŽseau, modle auquel nous
associerons plus loin les idŽes de rŽgulation (en lieu et place de la
rŽglementation) et de gouvernance (en lieu et place du gouvernement).
S'il est vrai, ˆ suivre toujours
l'enseignement de Th. Kuhn, qu'un paradigme prend appui ˆ la fois sur des
principes de base, des valeurs et une vision du monde([17]), on peut tenter, en quelques mots (ce sera
le propos du livre entier de dŽvelopper ces idŽes), de caractŽriser ces
diffŽrents ŽlŽments. Quant aux principes fondamentaux, on assiste ˆ une forte relativisation
des postulats de rationalitŽ et de souverainetŽ du lŽgislateur([18]) : des postulats qui le cdent
aujourd'hui, dans la validation et l'interprŽtation des textes juridiques, aux
principes de proportionnalitŽ et de subsidiaritŽ. Ces principes subordonnent
dŽsormais la compŽtence d'un pouvoir, la validitŽ d'une rgle et le sens d'une
disposition ˆ des jugements
conditionnels, comparatifs et contextuels a posteriori : un mŽta-principe
de relativitŽ gŽnŽralisŽe s'insinue ainsi au coeur de la rationalitŽ juridique
(exactement comme dans la lithographie de Escher o c'Žtait seulement , on adoptait tel ou tel point de vue, que tel segment de
l'image prenait sens).
En ce qui concerne les valeurs associŽes
respectivement au paradigme de la pyramide et ˆ celui du rŽseau, on notera que,
si la hiŽrarchie classique poursuivait les valeurs de cohŽrence, de sŽcuritŽ,
de stabilitŽ et d'obŽissance, le rŽseau, en revanche, cultive les valeurs de crŽativitŽ,
de souplesse, de pluralisme et d'apprentissage permanent. On a pu notamment lui
associer la qualitŽ de , comprise au sens de , ou aptitude ˆ faire coexister, plus ou
moins harmonieusement, des valeurs diverses, parfois opposŽes. Ce serait
notamment le propre des principes gŽnŽraux, ˆ la diffŽrence des rgles
juridiques classiques, que de permettre une telle concordance pratique entre
valeurs hŽtŽrognes. Alors que les rgles relveraient d'une logique
hiŽrarchique conduisant ou ˆ l'intŽgration ou ˆ l'exclusion, les principes
supposent une axiomatique fluide, seule en mesure de produire la modŽration
rŽciproque, la tempŽrance indispensable aux sociŽtŽs pluralistes et
pluriculturelles : aurea medietas et non aurea mediocritas, explique G. Zagrebelsky, ˆ mille lieux de la
logique autoritaire de Th. Hobbes et de K. Schmitt par exemple([19]).
Enfin, en ce qui concerne les sous-jacentes aux deux paradigmes, on ne se trompera pas en
en relevant que le modle pyramidal repose sur une ontologie substantialiste et
mŽcaniciste, ainsi que sur une mŽtaphysique du sujet : le monde simple et
mŽcanique, centrŽ sur la figure de l'individu, le monde de la rationalitŽ
occidentale moderne dont Hobbes et Descartes constituent deux reprŽsentants
Žminents, tandis que le modle du rŽseau relve, quant ˆ lui, d'une ontologie
relationnelle et cybernŽtique, liŽe ˆ une pragmatique de l'intersubjectivitŽ et
de la communication([20]) : le monde complexe et rŽcursif de
l'interactivitŽ gŽnŽralisŽe dont on commence seulement ˆ dŽcouvrir la
grammaire.
Kuhn ajoute encore, et ce n'est pas le
moindre intŽrt de son analyse, qu'un paradigme s'accompagne d'un ensemble
d'images et de mŽtaphores qui Žvoquent, de faon heuristique, la logique
profonde qui l'anime. Les notions mmes de et de , ainsi que les reprŽsentations du LŽviathan
de Hobbes et de la lithographie de Escher que nous leur avons associŽes,
reprŽsentent dŽjˆ, par elles-mmes, des mŽtaphores trs significatives du
glissement de paradigmes que nous Žtudions. Mais le jeu des mŽtaphores ne
s'arrte certainement pas ici. Relevons-en quelques-unes, sans prŽtention
d'exhaustivitŽ : alors que Dworkin parle encore d', G. Timsit Žvoque maintenant l'([21]); ˆ l'image traditionnelle de l' des pouvoirs (qui, par le biais de l'idŽe d'arbre
gŽnŽalogique, remonte directement aux fonctions d'engendrement et de
transmission propres ˆ la fonction paternelle, laquelle permet ˆ son tour
d'Žvoquer les figures de l' et de l'), M. Delmas-Marty prŽfre celle de juridique, empruntant ˆ G. Deleuze et F. Guattari
cette idŽe de prolifŽration souterraine et de rŽsurgence alŽatoire([22]); ˆ l'idŽe classique de (et notamment de l'ƒtat comme personne, si bien reprŽsentŽe
par le personnage fabuleux du LŽviathan), G. Teubner substitue, ˆ propos
des rŽseaux, l'image de l'([23]); au juridique, unitaire, stable et imposant, M. Vogliotti
oppose le modle, ˆ la fois trs ancien et trs moderne, de la , sorte de patchwork (encore une image) de textes brodant
librement sur un canevas connu ( dans la Grce ancienne, des pomes librement
inspirŽs par l'Illiade et l' OdyssŽe et chantŽs, de ville en ville, par les
rhapsodes)([24]); aux allŽgories classiques du lion et de
l'aigle, symboles d'un pouvoir souverain et puissant, B. de Sousa Santos oppose
la figure ambigu‘ du droit ([25]); enfin, on peut encore rappeler la
mŽtaphore chimique du droit dont parle J.-G. Belley (aprs celles du droit , du droit , du droit , dŽjˆ ŽvoquŽes par d'autres auteurs)([26]), et ce en lieu et place du droit , dur (dura lex, sed lex) et tranchant (comme l'ŽpŽe de la justice) du
modle classique([27]).
On le voit : la thŽorie du changement de
paradigme s'avre un instrument d'analyse particulirement Žclairant pour
rendre compte des transformations prŽsentes de l'ƒtat et du droit. Encore
faut-il prŽciser plus avant le concept de rŽseau autour duquel se construit le
nouveau paradigme. Avant de procŽder ˆ cette analyse, il convient cependant de
faire plusieurs mises au point importantes: elles visent toutes ˆ relativiser
la radicalitŽ qu'on serait tentŽ de prter, mais ˆ tort, au glissement de la
pyramide au rŽseau.
On se gardera tout d'abord d'oublier que le paradigme, tel un idŽal-type, schŽmatise la rŽalitŽ et en force les traits: dans les faits, l'ƒtat n'a jamais ŽtŽ dans la position de toute-puissance, ni le lŽgislateur dans la posture d'omniscience que le modle pyramidal pourrait suggŽrer; ˆ l'inverse, des pans entiers de l'univers juridique s'articulent encore aujourd'hui dans la logique linŽaire de la pensŽe hiŽrarchique, comme des ”lots (parfois des continents) au sein du rŽseau rŽgulatoire.
Au plan historique, on se gardera
pareillement de croire ˆ la nouveautŽ radicale de la figure du rŽseau, ainsi
qu'ˆ un brusque passage d'un modle ˆ l'autre. Peut-tre la structuration du
droit et de la sociŽtŽ en rŽseau n'est-elle que la redŽcouverte de modles
anciens ou de logiques qui n'ont jamais cessŽ de prŽvaloir dans d'autres
rŽgions. On se permet de renvoyer aux travaux des historiens du droit (complexe
et enchevtrŽ) de l'Ancien rŽgime, ainsi qu'aux analyses des anthropologues du
droit qui soulignent, ˆ propos de certaines sociŽtŽs africaines notamment, les
figures rŽticulaires trs complexes qui s'Žtablissent entre le droit
formel-Žtatique d'origine occidentale, le droit coutumier traditionnel, et le
droit islamique du statut personnel([28]).
Ces deux observations nous conduisent ˆ
formuler une mise en garde ŽpistŽmologique fondamentale : il faut
toujours, dans l'analyse des donnŽes sociales, se garder de confondre les
rŽalitŽs observŽes avec l'instrument conceptuel qui sert ˆ les observer. Cette
confusion est frŽquente, dans la mesure o, prŽcisŽment, nous ne percevons les
rŽalitŽs qu'ˆ travers le filtre des concepts, des reprŽsentations, des
thŽories, des valeurs (en un mot : le paradigme) que nous utilisons. S'il
est vrai que la rŽalitŽ existe en-dehors de la thŽorie, c'est nŽanmoins la
thŽorie qui la construit, qui la de telle ou telle faon. Le risque est grand, dans ces
conditions, de prendre pour une rupture radicale ce qui n'est, somme toute, qu'un changement dans la
perception de celle-ci([29]). Autrement dit, il y a gros ˆ parier que
les rŽalitŽs juridiques Žtaient sans doute moins hiŽrarchisŽes et monologiques,
hier, ˆ l'heure de la pyramide, tout comme elles sont certainement moins
fluides et rŽticulaires que ne le donne aujourd'hui ˆ penser le paradigme du
rŽseau. Il reste que, dans le cours d'une Žvolution, un point limite est
franchi ˆ un certain moment, qui fait basculer le centre de gravitŽ de la
reprŽsentation dominante et conduit progressivement l'observateur ˆ voir les
choses . Ce n'est pas ˆ dire que les choses ont
changŽ radicalement; du moins ont-elles suffisamment ŽvoluŽ pour qu'il faille
les apprŽhender ˆ l'aide d'un autre modle. Fixer ce moment de basculement est
une opŽration dŽlicate, d'autant qu'il ne se produit pas dans tous les secteurs
juridiques en mme temps. Dans l'intervalle, prŽvaut une situation de
perplexitŽ et d'hŽsitation (qui peut, du reste, se prolonger longtemps et
conna”tre des formes de retours en arrire) qui conduit les observateurs ˆ
insister sur l'ambivalence des Žvolutions. Ainsi J. Chevallier a-t-il pu
interprŽter la post-modernitŽ juridique tant™t comme une (rupture radicale avec le modle classique : on parle
alors d'un droit pluraliste, nŽgociŽ, mou et rŽflexif), soit sous les traits
d'une (renforcement du modle juridique moderne : on insiste,
dans ce cas, sur la rationalisation du droit et la juridicisation du social)([30]). Nous montrerons, par exemple, qu'un
mŽcanisme comme celui du contr™le de constitutionnalitŽ des lois relve de ces
deux logiques simultanŽment : s'il peut s'interprŽter comme une volontŽ de
renforcer l' ƒtat de droit et de restaurer la pyramide juridique en
garantissant la primautŽ de la Constitution ˆ l'Žgard de la loi, on peut tout
aussi bien montrer qu'il consacre une boucle Žtrange en faisant du juge
constitutionnel le juge de la loi et, au moins dans une certaine mesure, le
co-auteur de la Constitution. Au plan politique, ce contr™le rŽvle par
ailleurs une conception plurielle et diversifiŽe de la reprŽsentation nationale
qui cesse d'assimiler totalement la volontŽ des parlementaires ˆ la volontŽ
nationale.
Une dernire mise en garde s'impose, d'ordre
axiologique. Elle vise ˆ rappeler la distinction ŽlŽmentaire, dont il ne faut
jamais se dŽpartir en sciences sociales, entre dŽcrire, expliquer, et Žvaluer
une situation. DŽcrire et expliquer des situations juridiques ˆ l'aide du
modle du rŽseau (et ses corollaires, la rŽgulation et la gouvernance) ne
signifie pas nŽcessairement Žvaluer positivement, approuver de faon
inconditionnelle cette Žvolution. Sans prŽtendre ˆ une (impossible) neutralitŽ,
on s'efforcera donc de toujours faire la part des choses : prendre acte
d'une Žvolution quand celle-ci parait s'imposer, tenter d'en expliquer les
raisons et les consŽquences, et ensuite, au plan axiologique, prononcer s'il le
faut un jugement de valeur
critique. On n'oubliera pas, ˆ cet Žgard, que toute construction
institutionnelle est susceptible d'usages sociaux variŽs (justes ou injustes,
Žgalitaires ou inŽgalitaires), et on n'aura pas la na•vetŽ de croire que les
interactions, horizontales et immanentes qui se dŽveloppent au sein des rŽseaux
auraient, comme par enchantement, fait dispara”tre les relations de pouvoir, et
donc les risques d'abus et d'exploitation. Plus fondamentalement encore, il
faudra toujours se demander si l'exercice de la fonction instituante que nous
continuons d'associer au droit (nouer le lien social en diffusant des valeurs
collectives et en fixant des repres normatifs) ne suppose pas un minimum de
transcendance garante de sa position tierce, une dose au moins de distance
symbolique garante de la rŽussite de sa magie performative. Si l'expŽrience
historique nous a appris que le droit pouvait dispara”tre dans le passage ˆ la
limite d'un modle pyramidal ramenŽ au geste autoritaire du tyran, la prudence
doit nous conduire ˆ penser que le droit pourrait aussi dispara”tre dans le
passage ˆ la limite d'un modle rŽticulaire dŽsinstituŽ, ramenŽ ˆ la loi du
marchŽ ou ˆ quelque autre forme de pouvoir dont nous n'avons pas encore idŽe([31]).
Le concept de rŽseau
Pour comprendre la portŽe, mme
relative, du passage du paradigme de la pyramide ˆ celui du rŽseau([32]) qui se trouve au cÏur de cet ouvrage, il
importe de prŽciser, au moins partiellement, cette notion.
Comme les auteurs le rappellent
habituellement([33]), lÕŽtymologie du terme - du latin retis - renvoie ˆ lÕidŽe de filet qui a engendrŽ le mot . UtilisŽ au XVIIe sicle pour dŽsigner
lÕentrecroisement des fibres textiles ou vŽgŽtales, il se rŽfŽrait ˆ une sorte de tissu de fil ou de soie.
LÕusage du terme Žvoque ds lors dÕabord, ˆ la lumire de ses origines, une
mŽtaphore textile, impliquant la prŽsence dÕun constituŽ de fils et de nÏuds.
On constate cependant
aisŽment que la notion est ([34]), quÕelle a fait lÕobjet de nouveaux usages
successifs dans les domaines militaire, astronomique, topographique,
biologique, sociologique, linguistique, informatique, etc., et quÕelle est, par
la force des choses, devenue, selon lÕheureuse expression de P. Musso, un
vŽritable ([35]).
Par ailleurs, on a pu souligner
que les usages du terme sont parfois , dans la mesure o, ([36]).
Enfin, on a relevŽ que, dÕun
point de vue symbolique, lÕon associe au concept de rŽseau des ([37]), comme lÕillustre parfaitement bien
lÕopposition ŽlŽmentaire quÕon peut percevoir entre un rŽseau de communication
ou de distribution, un rŽseau ferroviaire ou un rŽseau policier, dÕune part, et
un rŽseau mafieux ou terroriste, dÕautre part.
Quoique pertinentes, ces
diffŽrentes remarques ne nous paraissent pas faire obstacle ˆ la fŽconditŽ,
mme relative, du concept de rŽseau.
La polysŽmie Žvidente du terme,
doublŽe de son incontestable indŽtermination, ne nous empche pas dÕidentifier
un relativement stable, susceptible dÕtre caractŽrisŽ, non
seulement de manire positive, mais Žgalement de manire nŽgative, afin de le
diffŽrencier dÕautres concepts. De manire positive, on retiendra ainsi le fait que le rŽseau constitue une ([38]) ou une ([39]), composŽe dÕ ou de , souvent qualifiŽs de ou de , reliŽs entre eux par des ou , assurant leur ou leur ([40]) et dont les variations obŽissent ˆ
certaines ([41]). De manire nŽgative, par ailleurs, on
souligne gŽnŽralement que, ˆ la
diffŽrence sans doute de la structure dÕun systme, et certainement dÕune
structure pyramidale, arborescente ou hiŽrarchique, dans un rŽseau, ([42]). Ë la diffŽrence de la notion de systme,
celle de rŽseau para”t Žgalement nÕimpliquer aucune forme de ([43]), les rŽseaux Žtant des ([44]).
Par ailleurs, les usages
apparemment contradictoires de la notion ne sont-ils pas susceptibles dÕtre
interprŽtŽs comme rŽvŽlateurs dÕune caractŽristique de la notion gŽnŽrale elle-mme, tout en
renvoyant, pour le surplus ˆ des formes rŽellement diffŽrentes de rŽseaux
observables ? Ainsi, est-il intŽressant de souligner dÕabord, ˆ la suite
dÕautres auteurs, que le rŽseau ne permet pas seulement dÕ ([45]). Cette forme empche Žgalement , sÕinscrivant ainsi ([46]). Ainsi a-t-on pu dire que le rŽseau est ([47]). Or, cette position intermŽdiaire , pour reprendre les images utilisŽes par
H. Atlan, ne peut que se traduire tout naturellement dans des variŽtŽs
diffŽrentes de rŽseaux, dans lesquelles on se rapproche tant™t dÕun de ces
p™les, tant™t de lÕautre. CÕest ainsi que, sans nŽcessairement tomber dans la , on peut parfaitement concevoir lÕexistence
de ([48]) ou de ([49]), au mme titre quÕon peut concevoir des ou des , constituant autant de cas-limites situŽs
aux frontires de ces deux concepts.
Enfin, la prŽsence de
connotations opposŽes, valorisantes et dŽvalorisantes, illustre parfaitement
bien les jugements de valeur contrastŽs susceptibles dÕtre Žmis concernant le ŽtudiŽ. Ainsi, pour ne prendre quÕun exemple, F. Viola
a-t-il pu souligner, ˆ la suite de Pierce, la plus grande flexibilitŽ et la
plus grande rŽsistance du par rapport ˆ la (que lÕon peut rapprocher du modle hiŽrarchique), partant de
lÕidŽe que la cha”ne a la rŽsistance
de son maillon le plus faible, alors que le rŽseau est plus solide que
le plus solide des fils de la trame dont il se compose([50]). La prŽsence de telles connotations Žvoque
Žgalement, comme nous lÕavons dŽjˆ rappelŽ, la nŽcessitŽ de distinguer aussi
clairement que possible de tels jugements de valeur Žventuels par rapport ˆ la
tentative de comprŽhension et dÕexplication du phŽnomne, qui occupe une place
plus centrale dans la perspective adoptŽe par le prŽsent ouvrage.
RŽgulation/rŽglementation, gouvernance/gouvernement
Le glissement de la pyramide au rŽseau est
une Žvolution qui s'accompagne de deux autres transformations majeures de
l'univers juridico-politique: le passage de la rŽglementation ˆ la rŽgulation,
et la montŽe en puissance du thme de la gouvernance en lieu et place de celui
du gouvernement. RŽseau, rŽgulation et gouvernance forment ainsi un nouveau
dispositif dont il serait sans doute excessif de dire qu'il s'est substituŽ ˆ
la triade classique pyramide, rŽglementation, gouvernement, mais qui la dŽborde
certainement et en subvertit parfois les modes de fonctionnement.
Quelques mots, tout d'abord, sur la
rŽgulation, dont on peut dire qu'elle est devenu le nouveau mode de production
du droit, du moins du droit en rŽseau. Le commandement unilatŽral, autoritaire,
centralisŽ - souverain, en un mot - fait place ˆ un ordonnancement
assoupli, dŽcentralisŽ, adaptatif et souvent nŽgociŽ. Le concept de rŽgulation
semble pouvoir en rendre compte de manire adŽquate([51]) . La rŽgulation, pourrait-on dire, est ˆ la
production normative ce que le traitement
de textes est ˆ la production d'informations: une manire de gestion
souple et Žvolutive d'un ensemble indŽfini de donnŽes en qute d'un Žquilibre
au moins provisoire. , Žcrit G. Canguilhem, ([52]). ImportŽ de la mŽcanique du XVIIIe sicle,
transitant par la biologie et la cybernŽtique, solidement implantŽ dans
l'Žconomie et la sociologie, le terme de rŽgulation s'acclimate maintenant dans
le champ juridique.
Dans chacun de ces contextes, il diffuse
quelque chose du paradigme systŽmico-fonctionnel dont il est issu; il s'agit,
dans chaque cas, de penser les procŽdures destinŽes ˆ maintenir ou restaurer,
par ajustements successifs, l'Žquilibre d'un systme menacŽ par des
perturbations([53]). On comprend ds lors pourquoi l'idŽe de
rŽgulation appara”t, ˆ point nommŽ, dans un champ juridique qui prend dŽsormais
la forme du rŽseau; elle permet de
penser les dŽlicates opŽrations d'Žquilibration qui prennent place entre
sources de pouvoir ˆ la fois complŽmentaires et concurrentes; elle accompagne
les improbables percŽes du droit dans les mŽcanismes des sous-systmes
(Žconomique, Žducatif, scientifique...) qu'il souhaiterait contr™ler; ˆ
l'inverse, elle suit le mouvement ˆ rebours par lequel les instances de ces
sous-systmes prŽtendent contr™ler au moins une part de cette production
juridique. On parle alors d', trs dŽveloppŽe dans les secteurs du droit
social, du droit financier, du droit Žconomique international et du droit de la
concurrence : dans chaque cas, l'autonomie revendiquŽe est justifiŽe par la
plus grande flexibilitŽ d'une normativitŽ auto-produite et auto-contr™lŽe qui
doit s'adapter ˆ une conjoncture ˆ la fois ultra-spŽcialisŽe et instable ([54]). C'est aussi une mission de rŽgulation qui
est confiŽe aux autoritŽs administratives dites ou , elles-mmes institutions hybrides, chargŽes
de rŽguler, aux confins de l'ƒtat et de la sociŽtŽ civile des secteurs qu'on ne
se rŽsout pas ˆ laisser aux seules forces du marchŽ, tout en ne pouvant plus
les maintenir sous la coupe exclusive des pouvoirs publics.
Plus caractŽristique encore : l'idŽe de
rŽgulation s'est imposŽe pour qualifier l'intervention - - des juridictions supŽrieures qui ne se contentent plus
dŽsormais d'appliquer la loi, comme dans le modle pyramidal, mais qui en
apprŽcient la juridicitŽ au regard des Žquilibres amŽnagŽs entre pouvoirs et de
la balance ˆ Žtablir entre droits et intŽrts lŽgitimes : ds 1954,
J. Rivero qualifiait le Conseil d'ƒtat de ; plus tard, L. Favoreu qualifiait le
Conseil constitutionnel de , avant que ce dernier ne s'auto-dŽsigne ([55]).
Encore convient-il d'insister sur l'ambigu•tŽ
du thme de la rŽgulation. Dans un premier sens, il souligne un effort de
rationalisation, comme une volontŽ de ma”trise des acteurs principaux du
systme, soucieux de restaurer un peu d'Žquilibre et de prŽvisibilitŽ dans un
environnement dont la direction para”t leur Žchapper. En ce sens, la rŽgulation
serait la forme fine de ma”trise adaptŽe ˆ un objet complexe et incertain. Les
responsabilitŽs seraient partagŽes, les instructions sauraient suivre des voies
indirectes, des dŽlais seraient mŽnagŽs, des synergies seraient exploitŽes; par
la proportionnalitŽ et la subsidiaritŽ, des ajustements seraient opŽrŽs au plus
prs de la rŽalitŽ de terrain. Ce que le pouvoir perdrait en symbolique
autoritaire, il le regagnerait ainsi en efficacitŽ managŽriale. Assumant
dŽsormais l'incertitude des savoirs et l'indŽtermination des valeurs, ce
management public renonce aux ambitieuses planifications de l'ƒtat providence,
et, jouant le jeu des et de la , s'attache ˆ la construction nŽgociŽe de compromis,
en privilŽgiant rŽsolument la mise en oeuvre contextuelle des dŽcisions par
rapport ˆ leur adoption initiale([56]).
On peut cependant se demander si ce premier
sens ne relve pas d'une certaine idŽalisation des donnŽes observables : ne
continue-t-on pas encore (dans le droit fil de l'origine mŽcanique du concept
de rŽgulation), ˆ postuler un rŽgulateur central capable de maintenir en
Žquilibre un systme, lui-mme nettement distinguŽ de son environnement ?
Est-on certain que l'on puisse toujours prter aux pouvoirs publics, aussi
stratges soient-ils, des desseins aussi clairs, et surtout la capacitŽ de les
rŽaliser ? Si ces prŽvisions se rŽvŽlaient illusoires, se profilerait
alors un deuxime sens du terme qui ferait cette fois son deuil des rŽsidus d'intentionnalitŽ
propres ˆ un pouvoir supŽrieur et omniscient et viserait le processus global
d'interrelations et d'interactions propre ˆ une sociŽtŽ en rŽseau au sein de
laquelle l'instance juridique ne reprŽsenterait qu'un rŽgulateur parmi
d'autres. Un rŽgulateur qui, renonant le plus souvent ˆ sa fonction
instituante, se contenterait d'ouvrir des espaces de nŽgociation ˆ des acteurs
sociaux qui sont du reste dŽjˆ bien souvent en mesure de s'approprier la rgle
sociale et de l'inflŽchir dans le sens qu'ils souhaitent([57]).
On le voit : l'Žvaluation des phŽnomnes rŽgulatoires est dŽlicate et variera selon que l'on privilŽgie le premier sens qui crŽdite encore les pouvoirs publics et le droit objectif d'une capacitŽ stratŽgique de contr™le et de pilotage du rŽseau, ou selon que, conformŽment au second sens de la rŽgulation, on considre que les instances rŽgulatrices n'occupent plus cette position de ma”trise et que, plongŽes dans le rŽseau, elles ne peuvent qu'en reproduire ˆ leur tour les lois de fonctionnement.
Mais ceci pose la question du glissement du
gouvernement ˆ la gouvernance. C'est en contrepoint de la notion mieux connue
de que se dŽgage le concept de : alors que la premire s'entend d'une
institution, le second vise un processus. Le gouvernement se comprend comme ([58]). La gouvernance, quant ˆ elle, peut tre
dŽfinie comme ([59]). La montŽe en puissance de la gouvernance
traduit donc une remise en cause sŽrieuse du modle wŽbŽrien de gouvernement
fondŽ sur l'autoritŽ, la hiŽrarchie et une bureaucratie puissante([60]). La construction de l'ordre social et
politique se fonde dŽsormais moins sur un appareil ([61]) que sur un processus polycentrique et
nŽgociŽ, une multitude d'ajustements partiels, un rŽseau de relations ˆ la
recherche de principes de coordination. Notion encore trs incertaine, la
gouvernance se dŽcline sur de multiples registres. Elle semble tre apparue ˆ
peu prs simultanŽment dans le champ des Žtudes urbaines ( thme de la multi-level
governance qui se traduit
notamment par des partenariats inŽdits entre ƒtat, pouvoirs locaux, entreprises
et associations dans des visant ˆ combiner efficacitŽ pratique et dŽmocratie locale)([62]), dans le domaine des relations
internationales (l'absence d'un ƒtat mondial favorisant ici l'Žmergence
d'acteurs nouveaux, organisations internationales, organisations
non-gouvernementales et entreprises transnationales formant dans certains cas
ce que J. Rosenau appellera une )([63]) et enfin dans le secteur de la gestion des
entreprises (corporate governance, o des , produits de l'autorŽgulation, tentent de
combler les lacunes du droit des sociŽtŽs). Finalement, il Žtait inŽvitable que
le phŽnomne de gouvernance atteigne l'ƒtat lui-mme - un ƒtat parfois
qualifiŽ de , au moment o un fort dŽficit de puissance
et de lŽgitimitŽ compromet ses capacitŽs de concevoir et d'imposer de grandes
politiques volontaristes susceptibles d'agrŽger les intŽrts sectoriels et
d'imprimer une direction cohŽrente ˆ la vie collective([64]). Devenu , selon la formule de D. Bell([65]), cet ƒtat est contraint de redŽfinir ses
modes d'intervention. Participent de ces transformations le mouvement
gŽnŽralisŽ de dŽcentralisation en direction des pouvoirs locaux, le phŽnomne
de privatisation des services publics (concomitant d'une redŽfinition de la
mission des services publics et des rapports avec les usagers), ainsi que la
modernisation de la fonction publique sur le modle entrepreneurial. Dans les
pays anglo-saxons, o ces thmes sont portŽs par une puissante vague
nŽo-libŽrale, l'objectif visŽ est celui d'un ; en Europe, et en France notamment,
l'institution Žtatique tente de se survivre sous la forme de l', ou, dans une version plus volontariste, l'([66]).
De nouveaux instruments d'action publique
apparaissent alors, qui, au moins dans certains cas, se substituent aux modes
classiques d'intervention unilatŽrale et impŽrative de l'ƒtat : la
comitologie (consultation systŽmatique d'acteurs appartenant ˆ des milieux
hŽtŽrognes en vue d'une construction en commun des problmes et de leur
solution) concurrence la dŽcision d'autoritŽ, la rŽgulation (moins une
administration directe qu'un contr™le continu et marginal) englobe et dŽborde
la rŽglementation classique, l'Žvaluation (pilotage ex post, par les consŽquences) tend ˆ supplanter la
conduite des affaires ex ante, par les principes([67]).
Bien entendu, un tel glissement de paradigme
ne manque pas de susciter une multitude d'interrogations. Outre les questions
classiques qu'il soulve ˆ propos de la spŽcificitŽ du politique (que
reste-t-il de l'imperium d'un ƒtat qui se fait animateur ou stratge ?),
on s'interroge sur les indispensables mŽcanismes de coordination horizontale
qu'implique la gouvernance en rŽseau : comment, en l'absence d'un
rŽgulateur central, penser nŽanmoins une action collective dotŽe d'un minimum
d'institutionnalisation et de cohŽrence ? Autrement dit, comment rendre
gouvernables les sociŽtŽs en rŽseau ? Ë cette question de la ([68]), qui suppose le mixage d'univers sociaux
distincts, le dialogue d'interlocuteurs relevant de logiques diffŽrentes,
l'hybridation de savoirs multiples - et ce en vue de relever les dŽfis que
posent des enjeux sociaux nouveaux qui prŽsentent un fort caractre de
transversalitŽ (qu'il suffise d'Žvoquer l'exemple de la protection de
l'environnement qui fait se croiser des politiques industrielles et agricoles,
des questions d'amŽnagement du territoire et de transport, des enjeux d'emploi
et de santŽ publique) -, P. Lascoumes propose une rŽponse en termes de , ou, mieux encore, de ([69]). Il n'y aura pas d'agrŽgation d'intŽrts,
de construction de compromis, ni de coordination d'action sans cette capacitŽ
prŽalable de transcription des informations et des reprŽsentations d'un langage
ou d'un code dans un autre. (La notion de traduction occupera une place
importante, on le verra, dans les chapitres VIII et IX, ŽpistŽmologique et
Žthico-politique, de cet ouvrage. Elle est, en effet, au coeur des questions
d'interdisciplinaritŽ, ainsi que de celle du dialogue des communautŽs Žthiques
partageant une visŽe d'universalitŽ.)
Se traduisant ainsi par une forte capacitŽ
auto-rŽflexive (notamment dans ses processus d'Žvaluation et sa faon
d'apprendre par ), la gouvernance prŽsente aussi cette
caractŽristique, souvent notŽe, de dŽpasser plusieurs dichotomies
classiques qui ont perdu une bonne
partie de leur capacitŽ explicative : la distinction public/privŽ en
politique, la distinction anarchie/souverainetŽ dans les relations
internationales, la distinction marchŽ/hiŽrarchie dans le domaine Žconomique([70]). En revanche, rien ne garantit que les
ajustements rŽsultant des processus de transcodage de la gouvernance produisent
des solutions ŽquilibrŽes et Žquitables : faute de principes de mesure
formellement ŽnoncŽs et stabilisŽs, ([71]).
On ne s'Žtonnera donc pas des critiques que
suscite cette nouvelle gouvernance. Critiques sur le plan de l'efficacitŽ, tout
d'abord : dilution des responsabilitŽs (everyone is in check, but no
one is in charge), opacitŽ
des processus dŽcisionnels, paralysie des institutions([72]). Critiques aussi sur le plan de la
lŽgitimitŽ : que deviennent les garanties de l'ƒtat de droit ? Comment
s'assurer la reprŽsentativitŽ des partenaires du rŽseau ? Quelle capacitŽ
subsiste-t-il de dŽgager, au-delˆ des intŽrts sectoriels, une conception de
l'intŽrt gŽnŽral ? Comment contrebalancer la loi du marchŽ par les
exigences de la justice sociale et du dŽveloppement durable, et ce, ˆ une
Žchelle ˆ la fois planŽtaire et transgŽnŽrationnelle ?
Mais peut-tre l'analyse en termes de
gouvernance conduit-elle ˆ surŽvaluer certaines donnŽes (ainsi l'importance des
acteurs associatifs) et ˆ en sous-Žvaluer d'autres (telle la capacitŽ d'action
de l'ƒtat). Ici encore, c'est en termes de superposition de paradigmes plus que
de substitution qu'il convient de raisonner; la gouvernance laisse, en effet,
d' pour l'action gouvernementale classique, explique
J. Leca. Ainsi la comitologie ne tient pas lieu de dŽlibŽration
dŽmocratique, la rŽgulation ne permet pas d'effectuer les arbitrages globaux
entre les diffŽrents programmes; quant ˆ l'Žvaluation, elle ne dispensera
jamais les dŽcideurs du risque de faire des choix dans l'incertitude([73]).
LÕEurope, laboratoire expŽrimental des transformations juridiques
Le Livre blanc que la Commission europŽenne a consacrŽ, en
juillet 2001, ˆ la ([74]) constitue une excellente illustration de la
combinaison du paradigme du rŽseau (associŽ aux thmes de la rŽgulation et de
la gouvernance), dÕune part, et du modle pyramidal plus classique, dÕautre
part, avec cependant une nette prŽdominance du premier, comme si cÕŽtait la
conscience nette des limites, des Žchecs, et parfois mme des effets pervers du
second qui conduisait la Commission ˆ explorer de nouvelles pistes dÕaction.
Ce ne sont cependant pas les
fermes manifestations dÕintention
qui manquent, en vue dÕaffirmer, ou plut™t de restaurer, une autoritŽ qui
appara”t compromise. La commission, qui se prŽsente elle-mme comme la (p. 9), dŽclare quÕelle veillera ˆ une application plus
rigoureuse de la lŽgislation communautaire (p. 5) : elle entend
dŽsormais poursuivre avec intransigeance les infractions au droit communautaire
(p. 30), notamment en accŽlŽrant le traitement des plaintes; elle
sÕassurera par ailleurs que les ƒtats fassent preuve de plus de diligence dans
la transposition des rgles communautaires dans leur droit interne
(p. 31). Mieux encore : elle veillera ˆ la cohŽrence de ses
politiques et sÕattachera ˆ identifier des objectifs ˆ long terme (p. 6).
Dans ce but, elle entend recentrer sa propre responsabilitŽ exŽcutive et
transcender les intŽrts sectoriels (p. 6).
Mais, ˆ tout prendre, ces
objectifs classiques, expressions de lÕimperium dÕun pouvoir qui se reprŽsente
et se veut supŽrieur, ne constituent quÕun volet limitŽ du dispositif gŽnŽral
de la gouvernance. LÕessentiel, pour la Commission, consiste en effet ˆ (p. 4). On fera tout dÕabord une application
systŽmatique des principes de proportionnalitŽ et de subsidiaritŽ : (p. 5). On sÕappliquera ensuite ˆ combiner divers instruments
de politique publique, comme la lŽgislation, le dialogue social, le financement
structurel et les programmes dÕaction (p. 9). LÕoutil rŽglementaire sera
lui-mme diversifiŽ : ˆ c™tŽ des directives classiques, on travaillera par
recommandations, par (p. 24), ou encore par co-rŽgulation qui (p. 25). On multipliera les agences de rŽgulation, et on
expŽrimentera la qui devrait offrir un moyen dÕencourager la coopŽration,
dÕŽchanger de bonnes pratiques et de convenir dÕobjectifs communs (p. 26).
Enfin et surtout, on appliquera
une (p. 4); chaque page du Livre blanc est pŽtrie de cette philosophie dont les
ma”tres mots sont consultation, partenariat et rŽseau. LÕeffort se portera
dÕabord vers les collectivitŽs rŽgionales et locales, dans le cadre de la
nouvelle multi-level governance : on concŽdera plus de souplesse dans lÕapplication
du droit communautaire, en vue de mieux prendre en compte les particularitŽs
locales; on fera mme lÕexpŽrience, , prŽcise-t-on, de nŽgociŽs entre la Commission, les ƒtats membres et les
rŽgions et collectivitŽs locales (p. 16). LÕeffort se portera Žgalement en
direction de la sociŽtŽ civile, dont il sÕagit de mieux relayer les
prŽoccupations : on va mme jusquÕˆ offrir aux citoyens et aux
associations (p. 18). De faon gŽnŽrale, la Commission rappelle
quÕelle gre dŽjˆ (p. 20). Inutile de dire que le rŽseau Internet
constituera un instrument essentiel de cette nouvelle politique. La rŽdaction
du Livre blanc lui-mme
sÕest accompagnŽe dÕun site qui enregistre, en amont et en aval de lÕadoption du texte,
toutes les rŽactions du public, et comprendra de (p. 7). Il sÕagit, dit encore la Commission, de (p. 10) : ainsi espre-t-on (p. 14).
Comme on sÕen doute, la
fonction juridictionnelle nÕŽchappe pas ˆ cette logique interactive du rŽseau.
On Žvoque, ˆ cet Žgard, la crŽation dÕun et dÕun (p. 30). Plus loin, il est encore question dÕ (p. 31).
Ainsi se dŽcline la gouvernance
europŽenne en projet; cette phrase la rŽsume bien, qui aurait pu figurer en
exergue de cette introduction : (p. 13).
Une deuxime illustration
rŽcente empruntŽe ˆ la construction europŽenne rŽside dans le mode trs
novateur dÕŽlaboration de la Charte des droits fondamentaux de lÕUnion
europŽenne, solennellement proclamŽe le 7 dŽcembre 2000, ainsi que dans le
statut trs particulier du texte qui en est issu.
Quant ˆ la procŽdure
dÕŽlaboration de la Charte, les commentateurs sont unanimes pour souligner quÕelle est fondamentalement ([75]). Plut™t que dÕen faire lÕŽmanation dÕ, selon un mode dÕŽlaboration , le fait dÕen avoir confiŽ la rŽdaction ˆ
une , rapidement autoproclamŽe , prŽsentait ([76]). Ainsi, parmi les 62 membres de la
Convention, 15 Žtaient dŽlŽguŽs par les ƒtats membres, 1 par la Commission
europŽenne, 16 par le Parlement europŽen et 30 par les Parlements nationaux.
Par ailleurs, la Convention Žtait chargŽe de dŽterminer elle-mme ses rgles de
fonctionnement. Enfin, la procŽdure a ŽtŽ marquŽe par une ouverture sans
prŽcŽdent ˆ la sociŽtŽ civile([77]), ˆ la fois en termes de transparence des
travaux, par leur communication sur Internet, et en termes de possibilitŽ de
participation, aboutissant ˆ lÕaudition effective de 67 organisations non
gouvernementales. Cherchant ainsi ˆ combler un dŽficit gŽnŽralement peru
sur ce plan, la procŽdure suivie a manifestement privilŽgiŽ des critres de
lŽgitimitŽ par rapport ˆ des critres de lŽgalitŽ ou dÕefficience,
traditionnellement prŽpondŽrants, en ajoutant aux manifestations
traditionnelles de des manifestations nouvelles de ([78]). Or, il nÕŽchappe ˆ personne que ([79]), ce qui a amenŽ certains ˆ dŽplorer
prŽcisŽment ([80]).
Quant au statut de la Charte,
sÕil convient dÕadmettre quÕelle se prŽsente, dans lÕŽtat actuel des choses,
comme ([81]), on a pu souligner ˆ juste titre quÕelle
possde sans doute davantage quÕune portŽe purement symbolique, notamment en ce
quÕelle , de mme quÕelle ([82]). Elle serait ainsi dŽjˆ ([83]). Enfin, si la valeur juridique de la Charte
se trouve ainsi provisoirement suspendue ˆ sa lŽgitimitŽ, voire ˆ son
effectivitŽ progressive, plut™t quÕˆ sa validitŽ formelle, celle-ci nÕen est pas moins dŽjˆ conue, ˆ dŽfaut
dÕtre dŽjˆ consacrŽe. MalgrŽ les rŽticences encore formulŽes par certains
ƒtats, la Commission europŽenne, en effet, ˆ lÕinstar dÕautres ƒtats, nÕa
jamais dissimulŽ que, pour elle, , que et quÕ([84]). Cette doctrine du , relevant tant de la fiction que du pari,
confre ainsi ˆ la Charte une sorte de validitŽ juridique conditionnelle et
relative, symptomatique dÕune approche nouvelle du phŽnomne juridique que nous
illustrerons plus amplement dans
le corps de lÕouvrage.
Dialectique
Le sous-titre de notre ouvrage,
qui, ˆ la diffŽrence du titre, nÕest pas assorti dÕun point dÕinterrogation,
sÕŽnonce . Si le glissement du paradigme de la
pyramide ˆ celui du rŽseau continue de faire question, en revanche, notre
dŽtermination ˆ poursuivre la mŽthode dialectique est entire. Poursuivre, car
cÕest dŽjˆ la dialectique qui, dans des ouvrages prŽcŽdents, nous avait permis
de prŽsenter le systme juridique ([85]), et dÕŽtudier le droit sous lÕangle des ([86]).
Ici encore, pour explorer les
arcanes du rŽseau entre le trop plein de sens et de positivitŽ de la pyramide
et le trop de nŽgativitŽ et dÕinsignifiance du chaos, ou pour dŽcrire les
enchevtrements de ces trois figures dans le labyrinthe juridique, quel
meilleur guide que cette dialectique, dont Merleau-Ponty, qui lui a consacrŽ
dÕadmirables textes comme celui, bien nommŽ LÕentrelacs et le chiasme([87]), disait quÕelle Žtait une pensŽe ([88]).
Enseignant la nŽgativitŽ de
toute chose (qui est et nÕest pas ce quÕelle est) et la processualitŽ de lÕtre
(qui devient ce quÕil est), la dialectique conduit ˆ penser lÕinteraction des
termes habituellement distinguŽs (lÕtre
et la pensŽe, la vie et la mort, le masculin et le fŽmininÉ; en
droit : la lettre et lÕesprit, lÕobjectif et le subjectif, le normativisme
et le rŽalisme, le pluralisme et le monisme). Alors que la pensŽe classique
souligne les identitŽs et renforce les diffŽrences, excluant ainsi le tiers, la dialectique montre
comment chaque terme en prŽsence, qui contient une part de lÕautre, interagit
avec celui-ci, faisant ainsi lÕŽpreuve du passage de lÕentre-deux (cÕest-ˆ-dire
de la mŽdiation) qui le transforme : ˆ la fois lui-mme et autre, toujours
en devenir. Ce processus dÕengendrement
rŽciproque, qui signe le retour du tiers (propriŽtŽ Žmergente du rapport
dÕimplication des termes enchevtrŽs), est seul de nature ˆ faire justice ˆ la
complexitŽ dynamique du rŽel.
Cette dialectique devrait aussi nous garder de ce travers
si courant de la pensŽe scientifique, et qui nÕŽpargne pas la pensŽe juridique,
que G. Bachelard nommait , dŽnonant par lˆ le fait que lÕesprit ne se
dŽlivre gŽnŽralement dÕune erreur que pour succomber aussit™t au travers
opposŽ, par lÕeffet dÕune sorte de mouvement dogmatique de balancier([89]). Tout appara”t alors structurŽ de faon
dichotomique, ˆ la manire scolastique des disputationes pro et contra. La pensŽe juridique prend alors les allures
dÕun champ de bataille, et dans la lutte sans merci que se livrent les thŽories
en , chacun est tenu de choisir son camp. La
pensŽe dialectique rŽsiste ˆ cet embrigadement rŽducteur et invite ˆ un changement de regard : et si
la vŽritŽ tenait dans la tension des deux p™les (plut™t que dans le choix de
lÕun ou de lÕautre), dans leur solidaritŽ conflictuelle et leur intime articulation Ðcomme si, ˆ raison mme
de leur opposition, ils tentaient ensemble de dire quelque chose de la
complexitŽ dÕun rŽel qui ne se rŽduit ni ˆ lÕun ni ˆ lÕautre ?
Telle sera donc notre mŽthode
tout au long de cet ouvrage : plut™t que de rŽduire la complexitŽ des
phŽnomnes observŽs en les ramenant ˆ lÕune des deux interprŽtations en
conflit, plut™t aussi que de tracer une prudente troisime voie ˆ Žgale
distance de celles-ci, il sÕagira de les mettre et de les maintenir en tension.
Montrer, pour cela, que chaque terme contient virtuellement son , et que, ds lors, ils ont ; suivre les jeux de leurs enchevtrements
et, littŽralement, de leurs trans-formations; dŽgager de leurs rapports les
propriŽtŽs Žmergentes et tierces qui contribuent dŽsormais ˆ leur reproduction
diffŽrenciŽe; assumer le risque de lÕincertitude de cette ([90]) qui est celle de la complexitŽ, de la vie
et de lÕhistoire; libŽrer ainsi la puissance heuristique inou•e des paradoxes
qui ne cessent de .
Ainsi donc la dialectique sera
notre fil dÕAriane dans les dŽdales des rŽseaux et des pyramides juridiques. Le
lecteur en identifiera aisŽment les manifestations. Le chapitre IX, qui
sÕenquiert dÕune Žthique pour le droit en rŽseau, sÕintitule explicitement . Deux autres chapitres entendent, tout aussi
explicitement, exposer un dialectique : le chapitre III, qui Žtudie les rapports
que dŽveloppent les systmes juridiques, , et le chapitre VII, qui situe le
raisonnement juridique . Les nŽologismes fondŽs sur la base de la
prŽposition , auxquels nous aboutissons souvent,
traduisent Žgalement une perspective dialectique : ainsi lÕinterdisciplinaritŽ que nous prŽconisons (chapitre
VIII), ou encore lÕintersystŽmaticitŽ
(chapitre III), lÕinternormativitŽ (chapitre III et V) ou lÕintertextualitŽ (chapitre VII). Relve Žgalement
de cette perspective, la notion, centrale dans le chapitre VI, dÕinteraction entre les trois p™les de la validitŽ
(lŽgalitŽ, effectivitŽ, lŽgitimitŽ). Ë son tour, cette thse implique de
prendre en compte lÕattitude (de validation, dÕinvalidation ou de validation relative) de tous les
acteurs du rŽseau juridique, et dÕinsister sur le fait que ces rŽactions
entremlent des formes de coopŽration et de conflit. Au plan des fondements du
droit, cette conception de la validitŽ traduit une dialectique des faits, des
normes et des valeurs qui permet dÕarticuler les thŽories positivistes et les
thŽories iusnaturalistes.
En amont de cette dialectique,
et comme condition de celle-ci, apparaissent systŽmatiquement tout au long des
pages qui suivent les notions de pluralitŽ et de relativitŽ (ou de
gradualitŽ) : quÕil sÕagisse des dŽfinitions du droit, des systmes
juridiques, des formes de sanctions, des significations de la norme
interprŽtŽe, des conditions de validitŽ, des ou encore des modes de connaissance du droit. Notre
insistance sur le thme de la en est encore un signe : monopole du r™le de lÕƒtat dans
les relations internationales, monopole du lŽgislateur sur le sens de la loi,
ou encore monopole de la doctrine en matire de savoir juridique.
Mais, insister sur la fin dÕun
monopole ne doit pas conduire ˆ en reproduire de nouveaux : souligner la
montŽe en puissance du juge, ce nÕest pas le hisser au sommet dÕune nouvelle
pyramide et lui reconna”tre tous les droits; cŽlŽbrer les mŽrites de
lÕinterdisciplinaritŽ, ce nÕest pas disqualifier pour autant une connaissance
interne du droit; insister sur lÕimportance croissante de lÕautorŽgulation et
de la dŽmocratie participative ˆ lÕinitiative de la sociŽtŽ civile nÕautorise
pas ˆ conclure ˆ la disparition de lÕƒtat et de la dŽmocratie reprŽsentative.
Ce balancement dynamique
Ð Žquilibre mouvant sur un fil - est sans doute lÕunique moyen de
faire justice au point dÕinterrogation qui accompagne le titre de ce livre.
Fayence, janvier
2002.
Hors-texte II
En guise de
conclusion, osons, une fois encore, le dŽtour dÕune illustration, sans doute
plus parlante que tous les textes, en lÕoccurrence le dŽtail dÕune lithographie
de Pierre Alechinsky, intitulŽe Suzette, rŽalisŽe en collaboration avec
Jean-Yves Bosseur([i]).
Bien que
lÕinterprŽtation que nous tenterons dÕen donner soit sans doute trs largement
Žtrangre aux intentions de lÕartiste, nous commenterons quatre des quinze
images dont est constituŽ cet Çassemblage lithographiqueÈ, fruit de
Çrecouvrements partiels, ÒcaviardagesÓ, enluminuresÉ, superposŽs ˆ chacune des
quinze pages de partitionsÈ([ii]). Leur succession illustre
de manire lumineuse les principales positions que suscite la question de la
structure des phŽnomnes que nous avons ŽvoquŽs tout au long de cet ouvrage.
Comme une
partition musicale, tout texte, nous lÕavons rappelŽ, est nŽcessairement livrŽ
ˆ une interprŽtation, dont la surimpression, par rapport au texte lui-mme,
Žvoque dÕemblŽe la technique de composition que nous avons sous les yeux.
Plus
prŽcisŽment, les quatre images successives illustrent parfaitement quatre
interprŽtations qui ont ŽtŽ discutŽes au cours de nos rŽflexions.
La premire
figure, familire, reprŽsente sans doute la butte du ÇLion de WaterlooÈ souvent
prŽsente dans lÕÏuvre dÕAlechinsky, et reconnaissable tant ˆ la forme qui la
surmonte quÕaux marches qui permettent dÕy accŽder. Elle correspond Žvidemment
ˆ une interprŽtation ÇpyramidaleÈ ou ÇhiŽrarchiqueÈ des phŽnomnes, dont nous
avons soulignŽ le caractre traditionnellement dominant, aussi bien dans le
mode de production du droit, que dans lÕapproche thŽorique qui en est proposŽe.
La deuxime
figure, plus surprenante, semble nous proposer un renversement de la prŽcŽdente
o une pyramide reposerait sur son sommet et o sa base, qui occupe le dessus,
se trouverait elle-mme reprŽsentŽe sous la forme, non dÕune ligne droite, mais
de plusieurs petites pyramides dessinŽes, cette fois, ˆ lÕendroit, et non plus
ˆ lÕenvers. Quoique moins rŽpandue, cette image nous fait penser, ˆ son tour, ˆ
la lecture ÇinversŽeÈ de la structure du systme juridique, proposŽe par
certains auteurs qui, dans un prŽtendu souci de ÇrŽalismeÈ, considrent que les
dŽcisions judiciaires ˆ portŽe individuelle ne sont pas effectivement dŽrivŽes
ˆ partir des rgles gŽnŽrales formulŽes par les pouvoirs lŽgislatif et
exŽcutif, mais bien le contraire. Raffinant cette interprŽtation, on pourrait
Žvidemment ajouter, comme lÕont ŽvoquŽ certains, au vu de la pluralitŽ des
ordres de juridictions Ð eux-mmes parfois hiŽrarchisŽs -, que les
nouvelles Çnormes supŽrieuresÈ sont constituŽes par les dŽcisions rendues par
les juridictions suprmes de ces diffŽrents ordres.
La troisime
figure, plus dynamique, semble reprŽsenter un triangle Ð ou une
pyramide - inscrit dans un cercle, dont le tracŽ en pointillŽ pourrait
suggŽrer la rotation permanente. Une telle figure ne manquera pas dÕŽvoquer, ˆ
son tour, une conception pyramidale ÇrelativisteÈ o, par lÕeffet de la
rotation, chaque angle du triangle (lŽgislateur, administration, juges, voire
particuliers) est susceptible dÕoccuper ˆ tour de r™le la position du sommet,
et les deux autres celle de la base. Voire, ˆ la limite, une conception
ÇcirculaireÈ o toute position hiŽrarchique de supŽrioritŽ ou de subordination
est appelŽe ˆ dispara”tre et ˆ cŽder la place ˆ des relations de pure
coopŽration.
La quatrime
figure, enfin, sans doute la plus complexe, semble Žgalement la plus Žvocatrice
de lÕidŽe de rŽseau. Ayant la forme globale dÕun treillis ou dÕun tissu aux
relations multiples et variŽes, lÕimage se compose, dans le dŽtail, de
diffŽrentes pyramides assises, tant™t sur leur base, tant™t sur leur sommet; la
plupart Žtant reliŽes les unes aux autres, lÕune dÕentre elles restant
cependant isolŽe. Ne peut-on y voir lÕillustration de lÕidŽe que, tout en
fournissant une interprŽtation plus riche et plus diversifiŽe des phŽnomnes
que le paradigme de la ÇpyramideÈ, le paradigme du ÇrŽseauÈ nÕexclut pas
lÕexistence de relations hiŽrarchiques, mais met en lumire la complexitŽ, la
relativitŽ et lÕŽventuelle rŽcursivitŽ de telles relations ?
([3]) D. HOFSTADTER, Gšdel,
Esher, Bach. Les brins d'une guirlande Žternelle, trad. par J. Henry et
R. French, Paris, InterŽditions, 1985, p. 112.
([4]) M. FOUCAULT,
La volontŽ de savoir, Paris, Gallimard, 1975, p.128 et 122. Foucault ajoute
encore, comme s'il commentait l'illustration du LŽviathan : (p. 128).
([6]) G. ZAGREBELSKY, Le
droit en douceur (Il diritto mite), trad. par M.Leroy, Paris, Economica, 2000, p. 35.
([10]) Droits fondamentaux
et citoyennetŽ. Une citoyennetŽ fragmentŽe, limitŽe, illusoire ?, sous la dir. de M. Coutu et
al., MontrŽal, Ed. ThŽmis, 1999.
([11]) G. TEUBNER, Un
droit spontanŽ dans la sociŽtŽ mondiale ? in Le droit saisi par la
mondialisation, sous la dir. de Ch.-A.Morand, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 197 et
s.
([12]) L. ERIKSSON, A.
HIRVONEN, P. MINKKINEN, J. P…YH…NEN, Introduction: a polytical manifesto, in Polycentricity. The
multiple scenes of law, Edited by Ari Hirvonen, Londres, Pluto Press, 1998,
p. 1 et s.
([13]) J.-G. BELLEY, Une
mŽtaphore chimique pour le droit, in Le
droit soluble. Contributions quŽbecoises ˆ l'Žtude de l'internormativitŽ, sous la dir. de
J.-G. Belley, Paris, LGDJ, 1996, p. 7 et s.
([14]) G. ZAGREBELSKY,
op.cit., p. 42
: ÇLes idŽologies juridiques prŽsentent de la rŽsistance au changement. La
survivance ÒidŽologiqueÓ du positivisme juridique est un exemple de la force
d'inertie des grandes conceptions juridiques qui continuent souvent ˆ agir, de
faon rŽsiduelle, mme quand elles ont perdu leur raison d'tre ˆ cause de la modification des
conditions qui les avaient justifiŽes ˆ l'origineÈ.
([15]) Sur ce concept, cf. G.
BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, 11e Žd., Paris, Vrin, 1980,
p. 13 et s.
([16]) Cf. notamment P. VAN
OMMESLAGHE, L'auto-rŽgulation. Rapport de synthse, in L'auto-rŽgulation, sous la dir. de X. Dieux
et al., Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 263 et s.
([17]) Th.KUHN, op.cit., p. 216 et s. Pour une
application au paradigme du jeu, cf. F.OST et M. van de KERCHOVE, L'idŽe de
jeu peut-elle prŽtendre au titre de paradigme de la science juridique ?, in R.I.E.J., n¡30, 1993, p. 191 et s.
([18]) Sur ces principes, cf.
F. OST et M. van de KERCHOVE, RationalitŽ et souverainetŽ du
lŽgislateur, "paradigmes" de la dogmatique juridique ? in Jalons pour une thŽorie
critique du droit, Bruxelles, Publications des FacultŽs univrsitaires Saint-Louis, 1987,
p. 97 et s.
([20]) Pour une prŽsentation
du droit ˆ l'aide du modle de la communication, cf. M. VAN HOECKE, Law
as communication, ˆ para”tre (Oxford, Hart Publishing, 2002); cf. aussi J. LENOBLE, Droit
et communication, Paris, Les ƒditions du Cerf, 1994. La montŽe en puissance du thme de la
communication entra”ne corrŽlativement le dŽclin de la notion de volontŽ,
centrale dans le modle pyramidal (volontŽ gŽnŽrale, volontŽ du lŽgislateur,
volontŽ des contractants...).
([22]) M. DELMAS-MARTY, Introduction
in Les
transformations de la rŽgulation juridique, sous la dir. de J. Clam et
G. Martin, Paris, LGDJ, 1998, p. 212.
([24]) M.VOGLIOTTI, La
ÒrhapsodieÓ: fŽconditŽ d'une mŽtaphore littŽraire pour repenser l'Žcriture
juridique contemporaine, in R.I.E.J., n¡46, 2001, p. 156 et s. L'auteur explique
notamment pourquoi l'image (en rŽseau) de la rhapsodie est plus satisfaisante
que la cŽlbre mŽtaphore dworkinienne de la , qui s'inscrit encore dans
une perspective linŽaire. Dans la mme ligne, on pourrait aussi opposer texte
et hypertexte; alors que le premier suppose une lecture linŽaire, le second se
prte ˆ une pluridirectionnelle (entre les de l'hypertexte les relations sont ˆ la fois optionnelles,
transitives, et peu, ou pas, hiŽrarchisŽes).
([25]) B. de SOUSA SANTOS, Law:
a map of misreading, in Journal of law and society, vol. 14, n¡3, p. 298.
([26]) J.-G. BELLEY, (op.
cit., p. 9
) rappelle que M. SERRES (Herms V. Le passage du Nord-Ouest, Paris, Ed. Minuit,
1980), dans le chapitre intitulŽ , explique que Çles concepts
scientifiques modernes ont ŽtŽ formŽs ˆ l'image des solides et sur la base
d'une pensŽe cartŽsienne qui exclut le fluctuant et le composite. En se
rŽfŽrant aux modles offerts par des objets aux contours irrŽguliers et
incertains, comme les fluides, les flammes ou les nuages, la pensŽe
scientifique se donnerait les moyens d'une meilleure prise en compte de la
diversitŽ et de la complexitŽ des chosesÈ. Dans la mme ligne, on peut encore rappeler
la distinction que faisait K. POPPER entre deux modles d'analyse des
phŽnomnes physiques : (La
connaissance objective, Paris , Aubier, 1991, p. 319).
([27]) On peut poursuivre le
jeu des mŽtaphores en opposant, comme Zagrebelsky, le droit au droit , de mme que, dans l'allŽgorie de la justice, on peut
valoriser soit le symbole de l'ŽpŽe, soit celui de la balance.
([29]) En ce sens,
J. COMMAILLE et B. JOBERT, Introduction. La rŽgulation politique :
l'Žnigme d'un nouveau rŽgime de connaissance, in Les mŽtamorphoses de la
rŽgulation politique, sous la dir. de
J. Commaille et B. Jobert, Paris, LGDJ, 1998, p. 16-17;
Ch.-A. MORAND, Le droit nŽo-moderne des politiques publiques, Paris, LGDJ, 1999,
p. 10-11.
([30]) J. CHEVALLIER, Vers
un droit post-moderne ? Les transformations de la rŽgulation juridique, in Revue du droit public
et de la science politique en France et ˆ l'Žtranger, n¡3, 1998, p. 659 et s.
([31]) Ë propos des lois du
marchŽ et des lois de la science, dans leurs rapports avec les lois juridiques,
cf. A. SUPIOT, L'empire des lois ou les avatars d'une faon de penser, in R.I.E.J.,n¡46, 2001, p. 26 et s.
([32]) Ë cet Žgard, cf. notamment
H. BAKIS, Les rŽseaux et leurs enjeux sociaux, Paris, PUF, 1993, p. 8 : . Cf. Žgalement L. BOLTANSKI et E. CHIAPELLO, Le
nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 208 : ÇLa notion de
rŽseauÉ se trouve maintenant au cÏur dÕun nombre ŽlevŽ, et dÕailleurs assez diversifiŽ,
de travaux thŽoriques ou empiriques relevant de plusieurs disciplines, au point
que les promoteurs de ces dŽveloppements nÕhŽsitent pas ˆ parler dÕun nouveau
paradigmeÈ.
([33]) Cf. notamment H.
BAKIS, op. cit., p.13; D. PARROCHIA, Philosophie des rŽseaux, Paris, PUF, 1993,
p. 5.
([35]) P. MUSSO, TŽlŽcommnunications
et philosophie des rŽseaux. La postŽritŽ paradoxale de Saint-Simon, Paris, PUF, 1997,
p. 36.
([37]) Ibidem, p. 10. Cf. Žgalement
L. BOLTANSKI et E. CHIAPELLO, op. cit., p. 212 qui soulignent, ˆ
propos de lÕusage du concept de rŽseau, le passage .
([39]) P. MUSSO, op. cit., p.42; M. CASTELLS, La
sociŽtŽ en rŽseaux, t. I, LÕre de lÕinformation, Paris, Fayard, 1998, p. 526.
([42]) M. SERRES, La
communication, 1968, p. 11, citŽ par H. BAKIS, op. cit., p. 25. Cf. Žgalement
F. VIOLA, Autoritˆ e ordine del diritto, 2e Žd., Turin,
G. Giappichelli, 1987, p. 377 : tratta di un intreccio di
relazioni, che intercorrono tra gli elementi del sistema senza che si possa
stabilire un punto di partenza obbligato o unÕunica via dÕaccesso.
([51]) F.OST, La
rŽgulation: des horloges et des nuages..., in ƒlaborer la loi aujourd'hui,
mission impossible ?, sous la dir. de B. Jadot et F. Ost, Bruxelles,
Publications des FacultŽs universitaires Saint-Louis, 1999, p. 7 et s.
([52]) G. CANGUILHEM, v¡
RŽgulation, in Encyclopaedia universalis, vol. 14, p. 1-3; cf. aussi
J. COMMAILLE, v¡ RŽgulation sociale, in Dictionnaire encyclopŽdique de
thŽorie et de sociologie du droit, sous la dir. de A.-J. Arnaud et al., Paris, LGDJ, 1988,
p. 523.
([53]) J. CHEVALLIER, De
quelques usages du concept de rŽgulation, in La rŽgulation entre droit et
politique, textes
rŽunis sous la dir. de M. Miaille, Paris, LÕHarmattan, 1995, p. 71 et
s.
([54]) P. VAN OMMESLAGHE, L'autorŽgulation.
Rapport de synthse, in L'autorŽgulation, op. cit., Bruxelles, Bruylant, 1995.
([55]) J.-L. AUTIN, RŽflexions
sur l'usage de la rŽgulation en droit public, in La rŽgulation entre droit et
politique, op. cit., p. 45 et s.
([56]) P.DURAN, Piloter
l'action publique, avec ou sans le droit ?, in Revue politique et management
public, vol. 11,
n¡ 4, dŽcembre 1993, p. 31; ID., Penser l'action publique, Paris, LGDJ, 1999, p. 167 et s.
(55) J. COMMAILLE et
B. JOBERT, Introduction. La rŽgulation politique : l'Žmergence d'un
nouveau rŽgime de connaissance, op. cit., p. 29.
(56) Ibidem, p. 28; cf.aussi J. LECA, La ÒgouvernanceÓ de la
France sous la cinquime rŽpublique, in De la Ve RŽpublique ˆ l'Europe. Hommage ˆ
Jean-Louis Quermonne, sous la dir. de F. d'Arcy et L. Rouban, Paris,
Presses de sciences po, 1996, p. 339; K. DESCHOUWER, Politieke
instituties, strategie‘n en beleid : de consequenties van multi-level
governance, in
Res publica, 2000/1, p. 6.
([60]) S. ALLEMAND, Gouvernance.
Le pouvoir partagŽ, in Sciences humaines, n¡ 101, janvier 2000, p. 13.
([63]) J. ROSENAU, J. et
E.O. CZEMPIEL ( ed.), Governance without government : order and change
in world politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
([69]) P. LASCOUMES, Rendre
gouvernable : de la ÒtraductionÓ au ÒtranscodageÓ. L'analyse des processus de
changement dans les rŽseaux d'action publique, in La gouvernabilitŽ, op. cit., p. 325 et s.
([72]) Cf. notamment les
critiques sŽvres de Fr. DEHOUSSE ˆ propos du montage institutionnel rŽsultant
du TraitŽ europŽen de Nice de
janvier 2000 : , , , , , , (Nice : un
traitŽ trop petit pour une Europe trop grande , in J.T., 2001, p. 13).
([74]) Commission des
CommunautŽs europŽennes, Gouvernance europŽenne : un livre blanc, Bruxelles, 25 juillet 2001,
COM (2001) 428 final.
([75]) E. BRIBOSIA et O. DE
SCHUTTER, La Charte des droits fondamentaux de lÕUnion europŽenne, in J.T., 2001, p. 281.
([76]) O. DE SCHUTTER, La : un instrument au
service de lÕart de gouverner ?, in La Revue nouvelle, n¡6, juin 2001, p. 63 et
72.
([77]) O. DE SCHUTTER, Europe
in search of its civil society, in The Chartering of Europe.The Charter of fundamental
rights in context, Žd. par E.O. Eriksen, J.E. Fossum et A.J. MenŽndez, Arena Report, n¡8/2001,
octobre 2001, p. 155 et s.
([79]) O. DE SCHUTTER, dans
G. de KERCHOVE, O. DE SCHUTTER et Fr. TULKENS, La Charte des droits
fondamentaux de lÕUnion europŽenne. Dialogue ˆ trois voix, in Annales dÕŽtudes
europŽennes,
2000, p. 30.
([86]) M. van de KERCHOVE et
F. OST, Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, PUF, 1992. Aux pages 82 ˆ 95
de cet ouvrage, on trouvera un exposŽ substantiel de la mŽthode dialectique.